PROMESSES
Un contexte culturel particulier
« Mais enfin mon fils, est-ce que je suis en train de te parler hébreu ? » C’est une remarque que j’ai souvent entendue lorsque, enfant, j’avais désobéi à une directive paternelle. Mon père sous-entendait : « Je te parle dans une langue intelligible, une langue autre que l’hébreu, tu devrais écouter, comprendre et donc obéir. »
Je suis né au Moyen-Orient, au Liban, pays situé au nord de l’actuel État d’Israël. Ma famille était de tradition chrétienne, grecque-orthodoxe du côté paternel et maronite (catholique romaine) du côté maternel.
J’ai suivi des études dans des collèges de tradition chrétienne. Je me pensais chrétien, me disais chrétien, mais, au sens biblique du terme, je ne l’étais pas. Dans ce tableau ressortait un sujet épineux : le peuple juif.
Ou plus généralement : « le Juif ».
Une aversion ethnique injuste
Le peuple juif était considéré comme déicide, celui qui avait « tué Dieu », en référence à la mort de Jésus-Christ sur la croix (Act 2.23).
Cette pensée latente impliquait de la méfiance à l’égard de ce peuple.
Toutes sortes d’histoires de mauvais goût circulaient à son propos. Par exemple, lors d’une discussion à propos d’un événement impliquant une personne juive, il était courant d’entendre, en conclusion : « Il est juif ! », ponctué par un geste de la main et un signe de la tête.
À contexte égal, à situation similaire, les réactions différaient, selon que la personne était juive ou non.
Donc, il y avait effectivement une aversion ethnique injuste envers le peuple juif. J’ai baigné dans cette ambiance, alimentée d’informations incomplètes ou erronées.
La Parole éclaire la pensée
Mon regard a changé lorsque l’Évangile m’a été annoncé et que je me suis converti au Seigneur.
En lisant et étudiant la Bible, j’ai eu accès pour la première fois au récit biblique complet. Les versets bibliques suivants m’ont particulièrement éclairé :« Le Père m’aime, parce que je donne ma vie, afin de la reprendre. Personne ne me l’ôte, mais je la donne de moi–même ; j’ai le pouvoir de la donner et j’ai le pouvoir de la reprendre ; tel est l’ordre que j’ai reçu de mon Père. » (Jean 10.17-18)
« Cet homme, livré selon le dessein arrêté et selon la prescience de Dieu, vous l’avez crucifié, vous l’avez fait mourir par la main des impies. » (Act 2.23)
Ma compréhension des événements entourant la mort de Jésus a été clarifiée. En voici quelques points :
1. Le pouvoir de Jésus de donner et de reprendre sa vie
La croix n’aurait jamais eu lieu, si Jésus, le Fils de Dieu, n’avait décidé de donner volontairement sa vie, en parfait accord avec Dieu le Père (Jean 10.17-18).
2. La souveraineté de Dieu concernant la croix
Jésus est livré selon le plan de Dieu, qui en avait décidé ainsi et qui avait prévu que cela arriverait (Act 2.23a).
3. La responsabilité des Juifs
Une fois Jésus en leur pouvoir, ils l’ont tué en le faisant crucifier par la main des impies (Act 2.23b).
4. La responsabilité des non-Juifs
Jésus a été crucifié par la main des impies, les non-Juifs, qui le savaient innocent. Pilate avait dit ne rien trouver de coupable en lui, s’était déclaré innocent du sang de ce juste, mais l’a quand même fait crucifier (Act 2.23c, Mat 27.24, Luc 23.24).
En synthétisant ce qui précède, je comprenais que Dieu avait décidé à l’avance de livrer Jésus-Christ, afin qu’il accomplisse l’œuvre de la rédemption. Les Juifs et les païens se sont emparés de lui, et, tout en sachant qu’il était innocent, l’ont crucifié.
Vue sous cet angle, la responsabilité humaine de la mort de Jésus-Christ est commune aux Juifs et aux païens. À l’étude de la Parole, il n’était plus question pour moi de considérer, avec les lunettes de ma culture traditionnelle chrétienne, le peuple juif comme seul « déicide ». Je devais admettre que tous, Juifs et païens, étaient responsables de l’exécution d’un innocent, du Messie, de l’agneau de Dieu, sur la croix. À ce point de ma réflexion, mon âme était révoltée au plus profond de moi de ce que ces hommes, en ce temps, avaient fait au Seigneur.
Il me semblait impossible que des personnes dotées de bon sens puissent agir de la sorte. Mais, il est souvent plus facile de détecter un problème chez autrui que de se rendre compte de la présence et de l’étendue du même problème chez soi.
La Parole révèle le cœur
Par la suite, en méditant sur ces événements, à travers la Parole, des questions me sont venues à l’esprit, à propos de moi-même :
« Et toi, si tu avais été résident à Jérusalem, au moment de l’entrée de Jésus dans la ville, qu’aurais-tu dit ? N’aurais-tu pas acclamé Jésus avec la foule ?
Et au moment du procès de Jésus, qu’aurais-tu demandé avec la foule ? Sa libération ou sa crucifixion ?
Et si tu avais été parmi les disciples qui l’ont suivi tout le long de son ministère terrestre, si tu l’avais vu guérir ceux qui avaient le cœur brisé, annoncer la bonne nouvelle aux pauvres, proclamer aux captifs la délivrance et aux aveugles le recouvrement de la vue, renvoyer libres les opprimés, et proclamer une année de grâce du Seigneur, qu’aurais-tu fait lors de son arrestation ? Ne te serais-tu pas enfui, à l’instar de tous les disciples ?
Et si tu avais été dans cette cour, entouré des serviteurs et servantes du souverain sacrificateur, qu’aurais-tu répondu à la remarque « Toi aussi, tu étais avec Jésus le Galiléen » ? N’aurais-tu pas objecté « Je ne sais pas ce que tu veux dire ; je ne connais pas cet homme », en faisant des imprécations et en jurant ? N’aurais-tu pas nié, même dix fois, le connaître ? »
Oui, connaissant mon cœur, la dureté dont il est capable (Jér 17.9), je reconnais que j’aurais agi comme tous ceux-là et peut-être même pire. Ma main aurait pu être de celles qui plantaient les clous dans les mains du Seigneur ! En définitive, je me suis rendu compte que j’avais les mêmes capacités à pécher que les contemporains de Jésus. Malgré les deux millénaires qui me séparent d’eux, il n’y a aucune différence entre moi et eux (Rom 3.23). Je réalisais que j’étais tout aussi profondément atteint par le péché que n’importe quel autre homme ayant vécu, hormis Jésus.
L’aversion remplacée par l’amour
En comprenant ce que la Bible relate des événements autour de la croix, ma haine du peuple juif, cette injuste aversion que j’avais du Juif a disparu d’elle-même. Pour la première fois de ma vie, j’ai rencontré des frères et sœurs juifs croyant en Jésus, et développé avec eux une amitié profonde, fraternelle et durable.
J’ai aussi pris plus exactement conscience du besoin vital de tout être humain, Juif ou non-Juif, du salut offert par Dieu en Jésus-Christ seul. Un amour est né dans mon cœur pour le peuple juif et pour les autres peuples. Un amour qui suscite le désir de voir de nombreuses personnes graciées, pardonnées, justifiées, adoptées, restaurées par Dieu, comme je l’ai été moi-même, par « l’Évangile [qui] est la puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit, du Juif premièrement, puis du Grec. » (Rom 1.16)
- Edité par Akl Fadi
L’amour et la justice peuvent paraître incompatibles.
L’huile et l’eau ne se mélangent pas ; en va-t-il de même pour ces deux attributs divins ? Les fautes innombrables de chaque être humain le condamnent devant le juste Juge. Mais nous tenterons de montrer que dans son amour infini, Dieu n’exclut aucun homme de son plan de salut. Car « là où le péché a abondé, la grâce a surabondé » (Rom 5.20).
On entend parfois certains chrétiens dire : « Dieu serait parfaitement juste s’il laissait tous les hommes aller en enfer. »
On ne peut qu’acquiescer à cette affirmation d’après la Bible. En effet, « tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu » (Rom 3.23). Après la chute d’Adam et Ève, le péché a tellement souillé l’humanité que le Dieu très saint aurait pu l’éradiquer totalement.
Cependant, cette première affirmation est souvent citée dans le but d’en faire accepter une seconde : « Dieu est donc plein de grâce (ou d’amour) en sélectionnant certains humains pour les sauver tout en laissant les autres à leur funeste destinée [note]Cette affirmation est parfois appelée « la double prédestination ». Cette expression provient de l’Institution de la religion chrétienne, Jean Calvin ; livre 3, chapitre 21 : « De l’élection éternelle : par laquelle Dieu en a prédestiné les uns à salut, et les autres à condamnation. »[/note] . » Dieu choisirait certains (les élus) et communiquerait son salut à eux seuls, et déciderait de laisser les autres dans leur état.
La seconde affirmation est un non sequitur, c’est-à-dire qu’elle n’est pas la conclusion logique de la première proposition. La première affirmation parle de la justice de Dieu et la seconde de la grâce de Dieu. Ce sont deux points différents, et les deux propositions doivent être démontrées par la Bible.
Que nous dit donc la Bible sur la grâce et l’amour de Dieu ? L’amour divin est-il limité à un certain nombre d’humains ?
La réponse à ces questions peut avoir un grand impact sur notre vie de foi et sur la manière dont nous allons annoncer à tous la bonne nouvelle du salut.
Le choix divin
Le chapitre 9 de l’Épître aux Romains pourrait laisser penser que Dieu a sélectionné un certain nombre d’individus pour le salut. Nous ne pouvons en faire une étude détaillée ici [note] Pour une étude détaillée sous cet angle, voir Leighton Flowers, La Promesse du potier.[/note]. , mais nous estimons que l’objectif de Paul dans ce chapitre va précisément à l’inverse de cette position. Ce chapitre est centré sur le rôle d’Israël, du premier au dernier verset.
D’ailleurs, les chapitres 9, 10 et 11 de Romains pourraient être titrés : le passé, le présent et l’avenir d’Israël.
Certaines expressions du chapitre 9 peuvent sembler choquantes à première vue, mais si l’on comprend l’objectif de Paul, tout s’éclaire. Il montre d’abord que les promesses et l’élection d’Israël ne pouvaient échouer. En choisissant ce peuple, Dieu avait le salut du monde entier en vue puisque le Christ devait sortir d’Israël (Rom 9.5) ! Il ne faudra donc pas mélanger ici l’élection d’Israël (comme peuple) et celle du chrétien (comme individu).
Israël s’est endurci et a rejeté son propre Messie. Mais Paul déclare que cela n’a pas fait échouer la promesse ! Dieu s’est servi de ce peuple rebelle, il l’a même enfermé momentanément dans son endurcissement pour se servir de lui. Dieu a tourné leur mal en bien, pour le salut du monde. Dieu avait de la même manière utilisé l’endurcissement de Pharaon pour libérer son peuple (Rom 9.17).
Paul déclare fermement : « Ainsi, il fait miséricorde à qui il veut, et il endurcit qui il veut. Tu me diras : Pourquoi blâme-t-il encore ? Car qui est-ce qui résiste à sa volonté ? » (Rom 9.18-19) On pourrait alors être tenté d’approuver cette affirmation : « Vous voyez, Dieu choisit qui il veut sauver ! Alors qui êtes-vous pour le blâmer d’agir ainsi ? »
Mais il n’est pas question de salut dans ce passage. Paul continue son raisonnement en expliquant la chute d’Israël. Le contradicteur de Paul qui pose des questions au verset 19, c’est un Juif. Ce Juif reproche à Dieu de l’écarter au profit de gens des nations ! Lui, le fils d’Abraham, mérite le salut car il appartient au peuple élu ! Dieu n’a pas le droit de faire miséricorde à ces chiens des nations ! C’est aussi dans ce sens que Paul conclut son texte (Rom 9.29-33).
Sorti de son contexte, le verset 18 pourrait faire croire que Dieu restreint son salut à quelques élus choisis de manière mystérieuse. Paul dit ici tout le contraire : Dieu choisit d’endurcir un peuple élu mais rebelle, afin d’étendre son salut à toutes les nations ! Romains 9 ne décrit pas une restriction du salut à quelques hommes, mais une ouverture du salut à tous ceux qui l’acceptent par la foi (Rom 9.31). Et en effet, personne ne peut le blâmer pour ce choix souverain !
L’amour de Dieu pour tous
Imaginons un père très riche qui aurait trois enfants. Ces derniers complotent pour lui voler son argent et s’enfuir dans un pays étranger. Si le père retrouve leur adresse et offre le pardon à son préféré, mais pas aux deux autres qu’il dénonce à la police, il ne commettrait pas d’injustice vis-à-vis de la loi.
Néanmoins, serait-il pleinement « amour » de n’en choisir qu’un pour être réconcilié avec lui ? Ne serait-ce pas là une attitude partiale ?
Dans cet exemple, Dieu, représenté par le père, ne voudrait sauver que certains hommes. Or, Jésus nous exhorte à aimer et à bénir nos ennemis sans exception (Mat 5.44). Il serait très étonnant que Jésus nous demande de faire une chose que le Père ne ferait pas lui-même.
Il y a bien une forme de l’amour divin qui s’étend à tous les hommes. Cette « grâce commune » dispense à tous des bienfaits terrestres donnés par Dieu (comme le soleil et la pluie, Mat 5.45). En ce qui concerne le salut en revanche, la foi ne serait donnée par Dieu qu’à certains (par un « appel irrésistible »).
Mais l’amour de Dieu pour tous les hommes va bien au-delà ; il est décrit en des termes bien plus forts que le seul amour providentiel de Dieu. Paul nous exhorte à « comprendre avec tous les saints quelle est la largeur, la longueur, la profondeur et la hauteur, et connaître l’amour de Christ, qui surpasse toute connaissance » (Éph 3.18-19). Avec ses quatre dimensions, comme l’espace-temps, cet amour ne peut qu’englober l’humanité entière, en tout lieu et en tout temps. Beaucoup de versets l’affirment [note]ean 3.16 ; 4.42 ; 1 Tim 2.4, etc.[/note] comme 1 Tim 4.10, où Paul dit même clairement que Dieu est le « Sauveur de tous les hommes, surtout des croyants ». L’amour de Dieu, qui le pousse à vouloir sauver les hommes, ne s’étend donc pas qu’aux élus (ceux qui ont foi en Christ) : il est bien disponible pour tous.
L’amour véritable nécessite une absence de contrainte entre les deux parties, ce qui implique un risque de rejet. Dieu « prend le risque » de nous aimer tous, quitte à se faire rejeter par certains. Cela peut paraître peu glorieux à quelques-uns. Dieu n’est-il pas un roi souverain ? Se laisserait-il marcher sur les pieds ainsi ? La Bible semble plutôt montrer que la plus grande gloire de Dieu est associée à son abaissement jusqu’à nous en la personne de son Fils.
C’est tout le message biblique qui nous présente un Dieu qui ne s’impose pas mais qui souhaite que tous les hommes « s’efforcent de le trouver en tâtonnant, bien qu’il ne soit pas loin de chacun de nous » (Act 17.27).
C’est son libre choix d’offrir son salut à quiconque lorsqu’il dit : « Que celui qui a soif vienne ; que celui qui veut prenne de l’eau de la vie, gratuitement. » (Apoc 22.17)
Un amour universel, un salut conditionnel
Mais alors, pourquoi certains ne sont finalement pas sauvés ? Tout simplement parce qu’ils ne veulent pas emprunter le chemin du salut dans les termes souverainement décrétés par Dieu. Ce chemin passe par la repentance. Malheureusement, ceci ne plaît pas à l’homme qui se croit juste par lui-même.
Même les pharisiens endurcis étaient appelés à se convertir : « Et tout le peuple qui l’a entendu et même les publicains ont justifié Dieu, en se faisant baptiser du baptême de Jean ; mais les pharisiens et les docteurs de la loi, en ne se faisant pas baptiser par lui, ont rendu nul à leur égard le dessein de Dieu. » (Luc 7.29-30) Ces derniers n’étaient pas mis à l’écart par Dieu. Ils se sont écartés du plan de Dieu pour leur salut à cause de leur orgueil, en rejetant le baptême de la repentance proposé par Jean.
Concernant le motif du jugement éternel de certains hommes, Jésus est très clair : ce qui condamne les hommes, c’est leur rejet de la foi en lui :
• « Dieu, en effet, n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour qu’il juge le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. Celui qui croit en lui n’est point jugé ; mais celui qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. » (Jean 3.17-18)
• « Si je n’étais pas venu et que je ne leur aie point parlé, ils n’auraient pas de péché ; mais maintenant ils n’ont aucune excuse de leur péché. » (Jean 15.22)
Si certains iront en enfer, d’après Jésus lui-même, ce n’est pas en raison d’un décret divin, ni de leur nature pécheresse héritée d’Adam. Pour cela, même s’ils sont responsables de leurs actes, ils sont aussi des victimes de leur mauvaise nature (Rom 7). Leur incapacité à se conformer à la Loi de Dieu a été démontrée, ils sont esclaves du péché. C’est pourquoi Dieu dans sa grâce, a donné le salut sur la base de la foi (opposée aux œuvres par définition). La faute vraiment impardonnable pour Jésus est donc de ne pas croire en lui, de refuser son témoignage et son œuvre, de rejeter le pardon qu’il a si chèrement acquis ! Reconnaître simplement que l’on n’arrive pas à être juste par soi-même, lorsque le Saint-Esprit et notre expérience nous le montrent, voilà qui est à notre portée !
La foi n’est donc pas communiquée aux élus seuls par un décret divin car cela reviendrait à dire que Dieu jugerait les hommes coupables de ne pas accepter la foi… sans leur en communiquer la capacité. Cela semble incohérent.
On pourrait objecter que la foi est présentée dans certains versets comme un don de Dieu, comme une grâce (Phil 1.29 par exemple). C’est vrai, mais comme un cadeau, on peut l’accepter ou le refuser.
Nous prions Dieu pour qu’il nous « donne » le pain de chaque jour, et pourtant nous travaillons pour le gagner. De même, en matière de foi, Dieu a choisi de répartir les responsabilités. Dieu a préparé le salut en Jésus au moyen de la foi, c’est lui qui équipe des chrétiens pour annoncer sa Parole au monde, et c’est aussi lui qui travaille dans les cœurs. Ne rejetons pas son plan d’amour, mais plaçons notre confiance en lui.
* * *
Dieu est juste, il pourrait nous envoyer tous en enfer sans remède ; mais Dieu est amour et ne laisse personne sur le bord du chemin, « ne voulant pas qu’aucun périsse, mais voulant que tous arrivent à la repentance » (2 Pi 3.9).
Nous pouvons donc partager le message du salut avec assurance, sachant que cette offre divine est réellement disponible pour chaque être humain qui se repent.
« Dieu, sans tenir compte des temps d’ignorance, annonce maintenant à tous les hommes, en tous lieux, qu’ils ont à se repentir, parce qu’il a fixé un jour où il jugera le monde selon la justice, par l’homme qu’il a désigné. » (Act 17.30-31)
- Edité par Combe Silvain
Lorsqu’on m’a demandé de rédiger un article sur l’injustice, j’ai tout de suite été partant car le sujet me touche particulièrement. Cependant, passer de l’idée à la réalisation s’est révélé plus compliqué. Cette démarche m’a demandé une remise en question sur ma façon de ressentir l’injustice, de la vivre et de la pratiquer parfois… Pour amorcer cette réflexion, je me propose de vous partager un témoignage qui remonte à deux décennies.
À l’époque, je venais tout juste d’être embauché en tant que gendarme adjoint.
Après un an de travail environ, une accusation de vol a été portée contre moi par écrit auprès de mes supérieurs. L’accusation portait sur le déplacement de pneus entreposés dans la cave d’un appartement mis à ma disposition par mon employeur. Je ne savais pas à qui appartenaient ces pneus et les avais déplacés en emménageant dans l’appartement. Lorsque j’ai appris que leur propriétaire les cherchait, je les ai immédiatement rapportés.
Malgré la restitution, une procédure à mon encontre a été enclenchée.
Mon supérieur direct a fait témoigner des collègues qui étaient avec moi en colocation, affirmant que j’étais le coupable. Il s’ensuivit une série de mesures que j’ai trouvées profondément injustes et qui m’ont mis dans une situation inconfortable. En effet, en attendant que l’affaire soit traitée, j’ai été affecté à des tâches éloignées de mes missions habituelles. Mon arme m’a été retirée, mes missions de surveillance annulées, mes fonctions se sont résumées à des tâches ménagères et au nettoyage de la voiture de service.
Heureusement, j’ai pu trouver du soutien dans les discussions avec ma fiancée et dans un groupe de prière auquel nous appartenions. Ce contexte nous a incités à prier pour la résolution du conflit. Au bout de deux mois, j’ai été convoqué par le colonel commandant la caserne.
Face à lui, un épais dossier. Après m’avoir écouté, il a pris le dossier d’une main et l’a jeté à la poubelle. L’affaire était close. Cette issue a été une source de soulagement et de paix, une occasion de me réjouir de la réponse aux prières. J’ai réalisé à quel point l’intervention de l’autorité peut faire disparaître des accusations d’un simple geste, évoquant le pouvoir du pardon et de la grâce lorsque nous plaçons notre confiance en Dieu.
Avec le recul et d’autres expériences accumulées, je me questionne sur la nature même de l’injustice que j’ai vécue. Était-ce vraiment une injustice aussi grave que je le croyais ? Ou bien était-ce davantage lié à mon caractère et à ma manière de me comporter avec es autres ?
L’injustice à la lumière de la foi
Notre rapport à l’injustice peut revêtir quatre aspects :
Pratiquer l’injustice dans nos vies
Paul décrit l’homme comme « étant rempli de toute espèce d’injustice » (Rom 1.29). En conséquence, il est naturel de rencontrer des manifestations d’injustice dans notre société et dans notre quotidien. Ce verset nous montre que l’injustice est inhérente à la nature humaine déchue. L’homme ne pratique pas seulement l’injustice, il en est rempli !
Posons-nous la question : suis-je moi-même injuste avec ceux qui m’entourent ?
Nous trouvons en Éphésiens un impératif passif « soyez remplis de l’Esprit saint ». Voilà de quoi devrait être rempli l’homme qui désire marcher avec Dieu. Laissons-nous remplir par l’Esprit de Dieu. Ne nous conformons pas au monde, au risque d’en subir les conséquences. Au contraire, nous sommes appelés à être une lumière dans ce monde, à manifester l’amour du Christ et la vérité en étant justes. Nous devons apprendre à discerner l’injustice, voire à la dénoncer. Cela implique un travail continu et une transformation par l’Esprit saint, qui nous pousse à ressembler toujours davantage à notre modèle, Jésus-Christ.
Subir l’injustice à cause de sa foi
Paul dira « Je me réjouis maintenant dans mes souffrances pour vous ; et ce qui manque aux souffrances de Christ, je l’achève en ma chair, pour son corps, qui est l’Eglise. » (Col 1.24) Christ a subi l’injustice à cause de l’œuvre qu’il avait à accomplir. Malgré son emprisonnement, Paul se réjouit dans ses souffrances à cause de sa foi qui l’a poussé à partager l’Évangile. Son exemple est certainement difficile à suivre. Cependant, en prenant du recul sur notre situation, une certaine joie de partager quelque chose de Jésus est accessible.
Subir l’injustice par discrimination
Nous pouvons être victimes de racisme, d’une injustice sociale, de harcèlement. Ces situations ne sont pas forcément directement liées à notre foi. La Bible nous rappelle que, même si nous vivons dans un monde profondément marqué par l’injustice, nous ne sommes pas démunis. Dieu n’est pas insensible aux injustices que nous subissons et sa colère se révélera tôt ou tard.
D’autre part, s’il y a la colère pour les uns, les autres peuvent expérimenter la paix donnée par Dieu dans ces circonstances. La cuirasse de la justice donnée en Éphésiens ne serait-elle pas un moyen de tenir bon face aux injustices du monde ? Méditons la justice que Dieu opère pour nous afin qu’elle nous fortifie.
Subir l’injustice dans le cadre de l’Église
Le Nouveau Testament nous donne un commandement nouveau : « Aimez-vous les uns les autres comme moi je vous ai aimés. »
D’autre part, « L’amour […] ne soupçonne point le mal, il ne se réjouit point de l’injustice, mais il se réjouit de la vérité » (1 Cor 13.4-6). Ici, nous retrouvons une opposition entre l’injustice et la vérité. Autrement dit, il y a un lien entre l’amour, la justice et la vérité. La Bible nous enseigne que Jésus incarne la vérité, il dit lui-même « Je suis […] la vérité » (Jean 14.6). Nous disons aussi qu’il est notre justice et qu’il est amour.
Si nous aspirons à être les disciples de Jésus, apprenons de lui. Jésus lui-même a subi l’injustice de manière exemplaire, acceptant de porter les péchés pour ses frères. Sa réponse à l’injustice est éloquente : il a gardé le silence, a pardonné à ceux qui le persécutaient, il n’a pas cherché à se défendre, s’est laissé voler et frapper… Certes, nous ne sommes pas appelés à porter le péché des hommes. Mais pour des questions qui ne relèvent pas de la justice humaine ou de la morale biblique, nous pourrions éviter de nous disputer et de nous faire des procès et accepter de subir quelques injustices de notre point de vue (1 Cor 6).
Espérance et confiance face à l’injustice
Pour revenir au témoignage introductif, il est certain qu’à la lumière des réflexions précédentes, d’une expérience grandissante de la transformation de l’Esprit, et, j’espère, d’un peu plus de sagesse, j’agirais différemment aujourd’hui. Je ne déplacerais peut-être pas les pneus sans chercher leur propriétaire, j’irais voir directement la personne qui s’était plainte, j’exprimerais mes sentiments, je pardonnerais à mes colocataires…
Jacques rappelle que « La prière agissante du juste a une grande efficacité » (Jac 5.16). Cela est particulièrement vrai lorsque nous subissons une injustice. Prions les uns pour les autres, partageons ensemble, soutenons-nous, attendons-nous à Dieu.
Encourageons-nous avec ces paroles de David, qui a lui-même subi beaucoup d’injustices :« Ne t’irrite pas contre les méchants, n’envie pas ceux qui font le mal. Car ils sont fauchés aussi vite que l’herbe, et ils se flétrissent comme le gazon vert. Confie-toi en l’Éternel, et pratique le bien ; aie le pays pour demeure et la fidélité pour pâture. Fais de l’Éternel tes délices, et il te donnera ce que ton cœur désire. Recommande ton sort à l’Éternel, mets en lui ta confiance, et il agira. » (Ps 37.1-5)
- Edité par Picq Florian
Le monde du travail est un domaine où la justice est réclamée, en particulier entre employeurs et employés.
• L’employeur cherche un juste équilibre entre le coût du travail de son salarié et son efficacité productive.
• L’employé cherche à être traité de façon juste et impartiale.
Dans ce cadre de valeurs communément admises, le manager chrétien se trouvera confronté à des conflits d’intérêts et de priorisation des valeurs :
Comment concilier justice, équité et efficacité ? Comment rester juste quand il faut prendre des décisions lourdes de conséquences pour les personnes (sanctions, licenciements, révision de conditions salariales…) ?
Comment intégrer les fragilités sans provoquer de sentiments d’injustice ? Comment véhiculer cette justice dans les relations avec l’ensemble des partenaires ?
Sans prétendre répondre à toutes ces questions, nous chercherons dans la Parole de Dieu quelques textes ou quelques exemples qui nous indiquent un chemin de cohérence.
Une juste rémunération ou juste une rémunération (Mat 20.1-16)
La parabole des ouvriers de la onzième heure s’adresse tant à l’employeur qu’au salarié. Le maître invite chacun de ses ouvriers à se concentrer sur le « contrat » passé avec lui, en évitant de se mesurer aux autres.
Il est donc important pour chaque salarié d’être à l’aise avec l’équilibre du contrat de travail sur tous les plans : financier évidemment, mais également en termes de conditions d’exécution des tâches (ou de qualité des conditions de travail) et de niveau des objectifs attendus. Les comptes sont soldés dès lors que chaque partie a rempli sa part du contrat : le salarié ayant effectué sa tâche, l’employeur ayant réglé la somme convenue.
L’enseignement de Jésus dans la parabole va au-delà du pur contractuel pour évoquer la grâce du salut : la rémunération est identique puisque symboliquement il s’agit du salut, le même pour tous.
Toutefois, sur un autre plan, le récit montre que le seul équilibre « contractuel » ne suffit pas à créer ou maintenir un sentiment de justice entre les salariés.
Est-ce à dire qu’une démarche de « bonification » ponctuelle de la part de l’employeur serait donc impossible car considérée comme injuste par les autres membres des équipes ? Non, si elle est justifiée par des éléments factuels.
Par ailleurs, il existe des formes de rémunération égalitaires (quels que soient la rémunération, le temps de travail, la qualité de travail ou même le temps de présence) qui sont perçues par les équipes comme équitables, comme par exemple des prestations du comité d’entreprise.[note] En France, le comité d’entreprise offre des prestations sociales, culturelles, sportives, de voyage, etc., aux salariés. Elles sont souvent indépendantes des termes du contrat : les enfants
d’une employée à mi-temps ont tout autant droit à l’arbre de Noël de l’entreprise que ceux d’un cadre dirigeant à plein temps.[/note].
Le refus de l’optimisation à tout prix (Lév 19.9-10,15)
L’Ancien Testament enjoignait au propriétaire d’un champ de ne pas moissonner les bords de son champ, ni de cueillir les grappes oubliées, ni de ramasser les grains tombés, mais de les laisser au pauvre et à l’étranger.
Nous pourrions transposer ce commandement en une invitation pour l’entreprise à ne pas avoir pour objectif principal la maximisation du profit pour elle-même mais à laisser volontairement une part de ses ressources pour le bien commun et en particulier pour les parties prenantes — au premier rang desquelles se trouvent les salariés. C’est ainsi que des mécanismes de participation des salariés aux bénéfices de leur entreprise sont mis en place.
L’entreprise est aussi incitée à ne pas rechercher d’optimisation technique visant à augmenter son profit à tout prix. Dans cet esprit on peut citer : faire de l’optimisation fiscale, se limiter à la stricte application des minima légaux de rémunération des salariés ou encore aller jusqu’aux limites réglementaires permettant de proposer un service ou un produit le plus cher possible.
Ces instructions de l’Ancien Testament se concluent par un appel à juger son prochain avec justice (Lév 19.15). Notons que la justice consiste en un équilibre qui ne favorise ni le fort ni le faible.
Cette « juste » répartition doit prendre en compte une relation équilibrée avec l’ensemble des partenaires, y compris les fournisseurs, qui devraient percevoir une rémunération convenable leur permettant de rémunérer correctement leurs propres salariés. Ces éléments peuvent faire partie d’une contractualisation avec les fournisseurs dans le cadre de labellisation ou d’engagements volontaires [note] Certains labels attestent du respect par l’entreprise de relations équilibrées avec ses
fournisseurs tant sur le plan économique que sur le plan juridique, permettant au fournisseur de respecter des normes environnementales et sociétales minimales. Citons par exemple le « Label Relations fournisseurs & Achats responsables » délivré par l’État français.[/note].
Dans le même ordre de préoccupation, il est aussi juste de rémunérer l’utilisation des biens et services collectifs en honorant les impôts et taxes sur les lieux de consommation des ressources et des biens. Des réflexions sont également menées pour demander aux entreprises de contribuer au renouvellement des ressources naturelles détruites (ou consommées) par l’entreprise, ce qui est l’objet de la taxe carbone, par exemple. Ce principe pourrait être étendu à d’autres types d’impacts environnementaux.
Le management comme service (Jean 13.5 ; Luc 22.26-27)
Le Seigneur a décrit ainsi son « management » à ses disciples : « Que le plus grand parmi vous soit comme le plus petit, et celui qui gouverne comme celui qui sert. Car quel est le plus grand, celui qui est à table, ou celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Et moi, cependant, je suis au milieu de vous comme celui qui sert. » (Luc 22.26-27)
À son exemple, les managers chrétiens sont invités à être des leaders « serviteurs ». Cela signifie qu’ils font passer leur mission et les personnes qui en sont bénéficiaires avant leur propre intérêt. Cette façon de diriger peut paraître profondément inadéquate aux yeux de beaucoup car la vision habituelle associe l’autorité au pouvoir de disposer des autres pour son propre profit. Or nous pouvons découvrir que l’exercice de l’autorité est bien plus efficace et perçu comme plus juste lorsqu’il est vécu comme étant au service de l’autre. Une telle attitude rend légitime l’autorité sans en amoindrir sa réalité.
Si un manager est prêt à aider et à demander de l’aide en montrant ses propres fragilités, le salarié acceptera plus facilement de rendre également service à son manager. Alors les rapports deviennent plus équilibrés et créent un réel esprit d’équipe au service d’un but commun.
L’amputation pour le bien de l’ensemble
La perception de justice de traitement est relative à ce que nous estimons avoir fourni comme efforts en quantité et en qualité. Notre jugement se base alors sur les seuls éléments que nous voyons et il ignore les points qui ne nous concernent pas ou qui sont au-delà de notre perception.
Il se peut que des décisions difficiles doivent être prises dans l’intérêt du collectif, telles que des licenciements de nature économique ou le licenciement d’un collaborateur qui nuit à la bonne marche de l’entreprise. Le bien de l’ensemble oblige à se séparer d’un élément — un peu comme Jésus proposait de s’amputer d’une main pour « entrer dans la vie » (Mat 18.8).
Dans ce cas, une attitude juste consiste tout d’abord à expliquer les motivations — ce qui exige que celles-ci soient « avouables » — puis à mettre en œuvre, avec une attention particulière, un accompagnement moral, technique et financier.
L’objectif est de compenser, voire, s’il est possible, de tourner en bien la décision apparemment négative. L’expérience montre que la poursuite d’une démarche juste et pleine d’attentions (pour ne pas utiliser le mot « amour ») est non seulement efficace mais, dans de nombreux cas, également économiquement rentable et in fine pour le bien de tous.
Ainsi il est très souvent possible pour un manager chrétien de trouver un chemin conciliant vérité, amour et efficacité/rentabilité, sous réserve de ne pas mettre l’aspect économique au premier plan mais bien l’amour du prochain.
La juste réaction à l’injustice volontaire et à l’autoritarisme
Nous pouvons aussi être confrontés à des comportements volontairement opposés à la notion de justice. Celle-ci est alors considérée comme un obstacle à l’efficacité. Ce type de comportement peut se retrouver à tous les niveaux, mais aura des effets d’autant plus désastreux que la personne dispose de plus de pouvoirs dans l’entreprise.
Alors comment accepter des décisions ou des comportements que nous considérons comme profondément injustes ? Voici quelques pistes de réponse :
• Dire la vérité sans insister sur nos droits, en gardant une « attitude conciliante » (Phil 4.5, NBS).
• Accepter notre incapacité à changer les cœurs et les pensées des personnes.
• Rester confiant dans l’amour de Dieu pour nous (Rom 8.28,39), même s’il est parfois difficile de réaliser sur le moment que telle circonstance peut nous être bénéfique.
Enfin dire la vérité peut nous conduire à prendre la responsabilité de couper les liens avec les personnes qui ont un comportement profondément injuste.
Pour le manager, cela se traduira par ne pas licencier sans en avoir expliqué les raisons, et, si possible, avoir laissé l’occasion de changer et en tout cas dans le respect des droits du subordonné
Pour le subordonné, une coupure du lien sera plus délicate puisqu’il y a évidemment un enjeu de ressources, notamment en cas de rupture du contrat de travail. Bien évidemment la loi — au moins en France — prévoit des voies de recours permettant de contraindre l’employeur ou/et de protéger le salarié en cas de situation malveillante ou malsaine.
L’utilisation des moyens juridiques en vue de faire cesser des agissements injustes, nocifs et illégaux ne semble pas s’opposer au devoir d’obéissance envers les « maîtres selon la chair » visé en Éph 6.5, si les tentatives d’explications en vérité ont échoué.
Toutefois ces voies de recours, utilisables en cas d’impossibilité d’être entendu, sont rarement un moyen de rétablir une relation et encore moins d’atténuer le sentiment d’injustice ; elles permettent, d’une part, de réaliser une rupture dans des conditions économiques plus sécurisées et, d’autre part, d’obtenir une reconnaissance institutionnelle de l’injustice subie.
Ainsi il sera important de faire une double démarche personnelle d’acceptation et de pardon afin d’être libéré réellement d’une telle situation.
* * *
D’autres textes bibliques pourront être utilement mis à profit dans d’autres contextes de travail. Face à l’immense variété des cas rencontrés, il conviendra néanmoins de rester à l’écoute de ce que l’Esprit saint verse dans nos cœurs. Soyons assurés que notre Dieu juste et bon est présent dans chacune de nos situations de travail.
- Edité par Garzaro Philippe
Le mémorial de Yad Vachem à Jérusalem garde le souvenir des hommes et des femmes qui, avec courage et au mépris de leur vie, ont porté assistance aux Juifs persécutés pendant la Seconde Guerre mondiale.
Ils sont appelés des « Justes parmi les nations ». Ils sont l’illustration même de ce qu’on entend communément par une personne « juste » : quelqu’un reconnu comme ayant un comportement juste envers d’autres personnes. La justice s’entend entre humains et devant les humains, dans une dimension horizontale.
En revanche, pour nos contemporains, il semble que la justice devant Dieu soit passée aux oubliettes et que le sens de la redevabilité humaine devant le tribunal divin se soit évaporé.
L’Épître aux Romains traite à la fois de la dimension verticale de la relation de l’homme face à Dieu (la justification [note] L’Épître emploie plusieurs mots de la même famille dikè : des substantifs (justification, justice), des adjectifs (juste, injuste), des verbes (justifier, agir injustement, faire justice). Pour distinguer les deux dimensions, nous réserverons dans le commentaire le terme « justification » à la relation verticale envers Dieu et le terme « justice » à la dimension horizontale entre humains, même si ce dernier désigne aussi notre relation à Dieu dans plusieurs versets.[/note] ) — fondamentale — et de la dimension horizontale — très importante également. Plus encore, elle démontre comment la seconde est la conséquence logique et importante de la première. Parcourons quelques textes de cette lettre pour clarifier ces points.
Pourquoi la justification est-elle nécessaire ?
Parce que Dieu est juste
Il ne s’agit pas d’une pure affirmation théorique, maintes fois réitérée tout au long de l’Écriture. La justice intrinsèque du Dieu parfait, radiance d’un de ses attributs, se manifeste par des jugements dont personne ne pourra contester l’équité : « Que Dieu, au contraire, soit reconnu pour vrai, et tout homme pour menteur, selon qu’il est écrit : “Afin que tu sois trouvé juste dans tes paroles, et que tu triomphes lorsqu’on te juge.” Mais si notre injustice établit la justice de Dieu, que dirons-nous ? Dieu est-il injuste quand il déchaîne sa colère ? (Je parle à la manière des hommes.) Loin de là ! Autrement, comment Dieu jugerait-il le monde ? » (3.4-6) Dieu est ainsi « trouvé juste » lorsqu’il est reconnu comme l’être suprêmement juste, en particulier dans chacune de ses actions (cf. Apoc 15.3 ; 19.2).
Parce que l’homme est injuste
En contraste avec le caractère parfaitement juste de Dieu, les êtres humains sont décrits par Paul comme « remplis de toute espèce d’injustice » (1.29). Affirmation d’autant plus frappante que l’homme, créé à l’image de Dieu, possède un sentiment inné de la justice : qui n’a pas entendu deux petits enfants se disputer et l’un dire à l’autre (ou à un adulte tiers) : « C’est pas juste ! » Mais, hélas, ce sens plus ou moins confus de la justice n’induit pas toujours un comportement juste et l’énumération qui suit (1.29-30) illustre de nombreuses facettes de l’injustice humaine.
Parce que la loi (de Moïse) le démontre
Dieu a donné à Moïse sa loi, sainte, juste et bonne (7.12), reflet de sa justice intrinsèque. « Ceux qui la mettent en pratique seront déclarés justes » (2.13, S21), dit Paul. Sauf que personne ne peut obéir à la loi en tout point ! L’affirmation reste théorique car si la loi permet de connaître la volonté de Dieu, elle ne donne pas le pouvoir de s’y conformer. La loi démontre donc à la fois la parfaite justice de Dieu et l’incapacité de l’homme, pire son péché, son injustice : « Personne ne sera justifié devant lui par les œuvres de la loi, puisque c’est par la loi que vient la connaissance du péché. » (3.20)
Comment la justification est-elle accomplie ?
La justification est parfois illustrée par un tribunal où Dieu siégerait comme un juge devant qui l’homme comparaîtrait. L’image est biaisée, car le juge se doit d’être impartial et ne pas avoir d’intérêt dans l’affaire jugée, sinon il doit se déporter ou il peut être récusé.
Or Dieu est avant tout la partie lésée : c’est lui qui est offensé par l’injustice des humains (cf. Ps 51.6) ; avant d’être le juge, il est le procureur.
La justification par un Dieu juste d’un homme injuste condamné par la loi s’effectue par un double acte objectif et une appropriation subjective :
Par le sacrifice de Jésus-Christ à la croix
Tous ceux qui croient « sont gratuitement justifiés par sa grâce, par le moyen de la rédemption qui est en Jésus-Christ. […] Il montre ainsi sa justice dans le temps présent, de manière à être juste tout en justifiant celui qui a la foi en Jésus. » (3.24,26) Le « sang » de Jésus seul peut justifier car le seul Juste a donné sa vie pour des injustes (1 Pi 3.18). Jésus, le Fils de Dieu, la partie offensée, a payé la culpabilité à notre place pour que nous soyons désormais en lui plus que justifiés — la démonstration même de la justice de Dieu (2 Cor 5.21) !
Par la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts
« Jésus notre Seigneur a été livré pour nos offenses, et est ressuscité pour notre justification. » (4.24-25) L’injustice de l’homme entraîne sa condamnation qui aboutit à sa mort. Le triomphe de Jésus sur la mort par sa résurrection nous entraîne avec lui dans le domaine de la vie ; sa vie de ressuscité témoigne que nous vivrons avec lui parce nous avons été justifiés par lui.
Par la foi en l’œuvre accomplie de Jésus-Christ
Aux deux faits objectifs précédents, il est nécessaire d’en ajouter un troisième pour que la justification devienne mon partage personnel : la foi. « La justice de Dieu [est] par la foi en Jésus-Christ pour tous ceux qui croient. » (3.22, S21) La foi est le moyen par lequel la justice de Dieu, « disponible » du fait de la mort et de la résurrection de Jésus, m’est personnellement imputée. Au moment de ma conversion, je change de statut devant Dieu et je deviens juste à ses yeux. J’étais impie et Dieu me déclare non seulement plus injuste mais positivement juste (4.5) !
Quelles sont les conséquences de la justification ?
Une déclaration
Tous ceux qui croient « sont gratuitement justifiés par sa grâce, par le moyen de la rédemption qui est en Jésus-Christ » (3.24). Insistons sur le « gratuitement » : Dieu nous donne sans contrepartie, sans mérite de notre part. Dieu donne de façon définitive : nous avons été déclarés justes (verbe au passé, 8.30). Aucune faute, aucune injustice que nous pouvons hélas encore commettre, n’altère notre statut de justifiés ; nous n’avons pas à racheter nos péchés ultérieurs, simplement à les confesser. Cette déclaration nous donne une totale tranquillité quant à la façon dont Dieu nous voit, revêtus pour l’éternité de la justice de Christ.
Une libération
Paul proclame : « Celui qui est mort a été déclaré juste : il n’a plus à répondre du péché. » (6.7, BDS) Alfred Kuen a paraphrasé ce verset : « Un mort est quitte envers le péché, il est dégagé de sa responsabilité ; le mal a beau l’appeler : il ne répond plus. » (Parole vivante) Notre rédemption (notre changement de maître) est donc étroitement liée à notre justification.
Non seulement nous sommes justifiés devant Dieu, mais Dieu lui-même nous justifie devant le diable, le monde, notre conscience : « Qui accusera les élus de Dieu ? C’est Dieu qui justifie ! Qui les condamnera ? Christ est mort ; bien plus, il est ressuscité, il est à la droite de Dieu, et il intercède pour nous ! » (8.33-34)
Nous sommes les « justes de Dieu » ; Dieu est de notre côté et prend toujours notre parti. N’ayons donc plus peur !
Une espérance
Être justifié par la foi, c’est vivre dans l’espérance : « Si par un seul homme, par la faute d’un seul, la mort a régné, ceux qui reçoivent avec abondance la grâce et le don de la justice régneront à bien plus forte raison dans la vie par Jésus-Christ lui seul. » (5.17, S21) Tout en étant déjà pleinement juste devant Dieu, j’attends le règne de la justice (2 Pi 3.13) auquel je participerai.
Comment cela se traduit-il en justice mise en pratique ?
De la justification à la justice en pratique
L’Écriture ne dissocie pas la justification de la justice en pratique. Déjà dans l’A.T., une centaine de versets rapprochent la justice (sedeq) du jugement (mitspat) qui est la mise en œuvre concrète de la justice.
Le chrétien n’agit pas justement pour être justifié devant Dieu mais sa position nouvelle devant Dieu se traduit nécessairement en actions justes envers les autres[note] Il est important de noter que les chrétiens ne sont pas les seuls à agir justement — et heureusement ! De nombreux hommes et femmes qui n’ont pas la vie de Dieu en eux, voire s’opposent à lui, montrent au quotidien une justice réelle dans leurs actions concrètes. Ils témoignent ainsi qu’ils ont été créés à l’image du Dieu juste (cf. 2.14). Ces actes justes ne les rendent pas justes aux yeux de Dieu car seule la foi en l’œuvre de Christ peut le faire. Toutefois notre Dieu appréciera ces actions de façon parfaitement juste dans son jugement final (2.6).[/note] . D’où la flèche épaisse de la gauche vers la droite. Inversement, pratiquer la justice l’affermit dans son statut de justifié, comme l’indique la flèche mince dans le sens inverse.
La justice en pratique se montre de trois manières dans la lettre aux Romains :
Par la mise à disposition de nos membres
Au ch. 6, Paul passe de l’indicatif (6.7) à l’impératif : « Une fois libérés du péché, vous êtes devenus esclaves de la justice. — Je parle à la manière des hommes, à cause de votre faiblesse naturelle. — De même que vous avez mis vos membres comme esclaves au service de l’impureté et de l’injustice pour arriver à plus d’injustice, de même maintenant, mettez vos membres comme esclaves au service de la justice pour progresser dans la sainteté. » (6.18-19, S21) Ce que Dieu a fait pour nous est la base et la motivation de ce que nous devons faire pour Dieu.
Dans notre cœur et notre vie de croyant, la vieille domination du péché doit être surmontée chaque jour à nouveau en nous rappelant le changement fondamental qui a été opéré par Dieu pour nous donner un nouveau statut. Cela passe par des actions très concrètes du quotidien, comme Paul l’indique en utilisant le mot membres » : des paroles justes (par notre bouche), des actes justes (par nos mains et nos pieds), etc.
Par le libre accomplissement de la loi grâce à l’Esprit en nous
Nos actions de la vie de tous les jours conduisent à mettre en pratique les commandements de la loi : « La justice réclamée par la loi est accomplie en nous qui vivons non conformément à notre nature propre mais conformément à l’Esprit. » (8.4, S21) La loi exigeait mais ne donnait aucune ressource pour remplir ses exigences ; l’Esprit qui habite dans l’être justifié du croyant donne la puissance pour vivre selon Dieu. Et quelle est l’exigence suprême de la loi ? Paul le dit plus loin : « Les commandements […] se résument dans cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (13.9) L’amour pour les autres dont l’Esprit veut nous remplir (5.5) est la première marque d’une vie juste. Et si nous voulons voir comment cet amour se décline concrètement, lisons les listes d’injonctions du chapitre 12 : aimer, c’est être plein d’affection, hospitalier, patient, attentif aux besoins d’autrui, sympathisant, prévenant, etc.
Par la vie dans le royaume dès aujourd’hui
La dernière mention de la justice dans la lettre aux Romains se trouve au ch. 14 : « Le royaume de Dieu, ce n’est pas le manger et le boire, mais la justice, la paix et la joie, par le Saint-Esprit. Celui qui sert Christ de cette manière est agréable à Dieu et approuvé des hommes. » (14.17-18) Vivre justement est une marque fondamentale de la vie dans le royaume de Dieu aujourd’hui. Le règne de Dieu n’est pas encore total et la justice ne règne pas partout, mais le royaume progresse aujourd’hui quand des hommes et des femmes se soumettent à Dieu et montrent le fruit de l’Esprit. L’ordre importe : il ne peut y avoir de paix sans justice, ni de joie sans paix. Vivre justement n’est pas affaire de règles, mais un style de vie qui fait passer le bien de l’autre avant le sien et répand autour de soi une atmosphère paisible et joyeuse.
Car la justice en pratique est avant tout relationnelle.
* * *
« Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice », enseignait le Maître (Mat 6.33, Darby).
Au lieu de limiter ses préoccupations à des enjeux purement matériels, le disciple du royaume cherchera à faire rayonner la justice selon Dieu dans toutes ses relations, dans la sphère des chrétiens et au-delà. John Stott disait : « Nous nous engagerons dans l’action sociale et nous nous efforcerons de répandre dans la communauté les normes supérieures de justice qui plaisent à Dieu [note]John R.W. Stott, The message of the Sermon on the mount, Bible Speaks Today, IVP, p. 172.[/note] . »
Nombre de nos contemporains ont faim et soif de justice sociale, raciale, économique, entre les sexes, etc. Dans le royaume de Dieu, les barrières établies par les sociétés humaines ne sont plus de mise et les enfants du royaume, justifiés gratuitement en Christ, peuvent répandre autour d’eux les valeurs de justice du royaume, dans l’attente du jour où la justice régnera pleinement.
- Edité par Prohin Joël
La notion de justice est-elle une construction rationnelle ou idéologique [note] Une idéologie est un « Ensemble plus ou moins cohérent des idées, des croyances et des doctrines philosophiques, religieuses, politiques, économiques, sociales, propre à une époque, une société, une classe et qui oriente l’action. » https://www.cnrtl.fr/lexicographie/idéologie.[/note]? La question est provocatrice mais légitime, car la réponse va déterminer la valeur et la crédibilité de notre concept de justice.
Une définition officielle de la justice
Voici la définition très concise donnée par une fiche officielle de l’Administration française [note] https://www.vie-publique.fr/fiches/38023-quest-ce-que-la-justice-definition-de-la-justice.[/note] :
« La justice constitue à la fois :
1. un idéal philosophique et moral,
2. l’exercice d’une activité (juger),
3. un ensemble d’institutions (les institutions judiciaires). »
Notre réflexion porte sur l’idée de justice et non sur sa mise en œuvre, donc uniquement sur le premier aspect de cette définition : la justice est « un idéal philosophique et moral ». Étudions chacun de ces termes.
Idéal
« Qui est de la nature de l’idée, qui n’a d’existence que pour la pensée.
Qui réunirait toutes les perfections que l’esprit peut concevoir. […] Ce que l’esprit conçoit comme le terme de la perfection [note]https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9I0043.[/note] ».
L’idéal se situe donc dans l’irréel, l’inaccessible. Bien sûr un idéal est utile pour fixer un but, il permet de déterminer si une pensée ou un acte est cohérent avec ce but ou non. Un idéal est rassembleur tant qu’il se limite à des généralités et à des slogans. Toute tentative de l’appliquer dans le « ici et maintenant » du réel risque de se heurter à des réflexions ou à des intérêts divergents.
→ « Idéal » ressemble plus à « idéologique » qu’à « rationnel » ; ce n’est pas surprenant. Il n’existe pas un unique idéal de la justice, résultat d’une démarche rationnelle incontestable. Le développement d’un idéal est souvent une idéologie, c’est-à-dire un ensemble varié et variable de croyances et de valeurs. Les États qui ont voulu appliquer rigoureusement un idéal d’égalité ont en fait développé des idéologies brutales et irrationnelles.
Philosophique
Les dictionnaires peinent à donner un sens précis à ce terme. Il évoque une recherche de sagesse.
C’est très louable et certainement utile de raisonner méthodiquement. Mais il est inévitable que des préjugés et des biais cognitifs [note] Raisonnement rapide et incomplet qui nous conduit à un jugement erroné.[/note] introduisent de l’irrationnel dans la réflexion. Ainsi l’histoire de la philosophie est très riche en écoles concurrentes et successives.
→ La recherche philosophique a l’intérêt de remettre en question les conceptions traditionnelles de la justice, de privilégier la réflexion par rapport aux intérêts personnels. Elle ne cherche pas à imposer des critères clairs pour distinguer le bien et le mal ; elle a donné lieu à de multiples démarches visant un même but (la sagesse) ; mais il leur manque au départ un cadre unique de valeurs de référence.
Moral
Cet adjectif fait référence aux règles sociales, aux mœurs établies dans une société ; mais il n’est pas neutre : il implique une distinction entre un domaine du bien et un domaine du mal. Il indique des valeurs positives et bénéfiques à rechercher (ex : égalité, équité, liberté, vérité, solidarité, bienveillance) et des « anti-valeurs » nuisibles donc à éviter (inégalités, oppression, violence, malveillance). Moral s’oppose à amoral (qui ignore la distinction bien/mal) et à immoral (contraire ce que la communauté considère comme bien).
Les institutions judiciaires ne se réfèrent pas à la distinction morale bien/mal mais à la distinction juridique légal/illégal. Les juges appliquent les lois, en appréciant la plus juste manière de les interpréter. Il revient donc au législateur de fixer des étiquettes bien ou mal sur les points abordés.
Il suffit d’observer des débats dans une assemblée législative ou de suivre l’historique d’une législation pour constater que la distinction bien/mal est floue à un moment donné et variable dans le temps. Cela est particulièrement évident pour les questions dites sociétales (avortement, euthanasie, famille etc.). De grandes différences apparaissent entre les législations de différents pays au même moment.
Les États classés démocratiques considèrent que le peuple est souverain. Le peuple (ou ses représentants élus et médiatiques) peut donc légitimement et légalement modifier des lois qu’il estime obsolètes (dans le domaine économique par exemple) ; il peut tout autant intervenir dans la redéfinition de l’idéal moral, c’est à dire déplacer la frontière entre le bien et le mal. Ces changements sont de réels progrès… si le peuple décide avec sagesse, en fonction de l’intérêt général à long terme, sans être influencé (manipulé ?) par des groupes de pression ou des idéologies irrationnelles.
Dans les États classés non-démocratiques, c’est un pouvoir central qui décide ce qui est bien ou mal, légal ou illégal, juste ou injuste, en fonction de ses propres intérêts ou d’un système de pensée très normatif (une idéologie politique ou une religion d’État). La liberté individuelle ne fait alors plus partie de l’idéal.
→ Moral ? Ce mot surprend dans un texte proposé par une administration républicaine et laïque, dans une définition aussi neutre que possible de la justice, qui plus est. Ce n’est pas un hasard, c’est même inévitable : le juste se définit par rapport au bien, l’injuste pas rapport au mal.
L’intérêt et les limites de cette définition
La définition officielle citée en début d’article a le mérite de la sincérité ; mais elle exprime aussi toute la fragilité d’un concept de justice qui n’est pas ancré dans un cadre de référence solide. Elle est suivie de la conclusion suivante : « [La justice] est à la fois instinctive (le sentiment d’injustice ou de justice s’impose à nous) et complexe (il est impossible de définir abstraitement les critères du juste) ». La justice est alors un équilibre fragile, appuyé sur les valeurs de la majorité d’une population donnée à un moment donné. Elle est codifiée dans des lois formelles et dans une « bien-pensance » qui évoluent au rythme de ces « valeurs ».
Autrement dit, la justice s’appuie sur « un ensemble plus ou moins cohérent d’idées, de croyances et de doctrines philosophiques, religieuses, politiques, économiques, sociales, propre à une époque, une société, une classe ». Ainsi tout idéal de justice correspond précisément à la définition d’une idéologie ! (cf. note 1).
Comment définir les fondements d’une vraie justice ?
Plusieurs propositions ont été avancées pour définir une justice universelle, libre de croyances et de doctrines liées à certaines cultures, une justice non idéologique. En voici quelques-unes :
L’amitié (Aristote, 4 e siècle av. J.-C.) :
« L’amitié parfaite est celle que nouent les hommes bons les uns avec les autres et ceux qui se ressemblent sur le plan de la vertu. Ces gens-là, en effet, se veulent mutuellement du bien de la même manière, parce qu’ils sont bons et le sont par essence [note] Aristote, ; Éthique à Nicomaque, Flammarion.[/note] . » La recherche commune du bien de l’autre permettrait de réguler les relations sociales.
L’utilitarisme (Jeremy Bentham, John Stuart Mill, 18 e -19 e ) valorise plus l’utilité et l’efficacité que l’appréciation morale.
C’est un « principe qui approuve ou désapprouve toute action en accord avec la tendance à augmenter ou à diminuer le bonheur de la partie dont l’intérêt est en question[note] Jeremy Bentham, An Introduction to the Principles of Morals and Legislation.[/note] . »
Le contractualisme (Thomas Hobbes, 17 e ; John Locke, 17 e ; Jean-Jacques Rousseau, 18 e )
Les citoyens définissent un contrat entre eux et avec l’État, renoncent à certaines libertés individuelles pour garantir la sécurité, la liberté et l’intérêt général dans la communauté.
Le « voile de l’ignorance [note] John Rawls, Théorie de la justice(1971). John Rawls, Théorie de la justice(1971).[/note] »
Établir des principes de justice demande de faire abstraction de son vécu (l’ignorer), c’est-à-dire de s’imaginer dans une situation originelle neutre, pour ne penser qu’à l’intérêt de la communauté.
Un droit naturel sacré ?
La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 se distancie de la religion mais exprime clairement le besoin d’une référence stable, d’un absolu qui échappe à la volatilité des réflexions et normes humaines. Son préambule se réfère ainsi à un « Être suprême » pour justifier les droits naturels [note]Droit naturel : ensemble des normes supposées relatives à la nature de l’Homme et de son rôle dans le monde, sa finalité. Ce droit naturel confère des droits à l’Homme en tant qu’il est Homme, c’est-à-dire une créature distinguée du reste du vivant. De fait, le droit naturel s’oppose au droit positif [NDLR : ensemble des règles de conduite], car le droit naturel n’a pas besoin d’être inscrit dans le droit écrit pour être en vigueur. (Wikipedia).[/note] de l’Homme :
« Les représentants du peuple français […] ont résolu d’exposer […] les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme. […]. L’Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les droits suivants de l’homme et du citoyen etc.[note]https://fr.wikisource.org/wiki/D%C3%A9claration_des_Droits_de_l%E2%80%99Homme_et_du_Citoyen_de_1789.[/note] »
En fait, aucune des cinq propositions ci-dessus n’a pu s’imposer comme fondement d’une justice légitime, claire, incontestable et efficace !
Le philosophe et politiste Luc Ferry ouvre une autre piste. Il ne mentionne pas Dieu et ne cite pas l’Évangile mais il fait un constat : « En s’appuyant sur une définition de la personne humaine et sur une pensée inédite de l’amour, le christianisme va laisser des traces incomparables dans l’histoire des idées.
[…]., il est tout à fait clair que, sans cette valorisation typiquement chrétienne de la personne humaine, jamais la philosophie des droits de l’homme à laquelle nous sommes si attachés aujourd’hui n’aurait vu le jour[note]Luc Ferry, Apprendre à vivre, Plon (2013).[/note] . »
Mais le « christianisme » n’est pas une école de pensée comme une autre ; son origine n’est pas dans l’homme mais en Dieu lui-même. Il est la vraie référence sûre que l’homme cherche.
La vraie référence
Une référence « par défaut » dans le logiciel humain
« Les hommes faits à l’image de Dieu » (Jac 3.9) : cette expression du Nouveau Testament témoigne du fait que l’homme pécheur a toujours cette empreinte divine en lui. Dieu a créé l’homme avec une conscience, une certaine capacité à distinguer le bien et le mal.
« Quand les païens, qui n’ont point la loi, font naturellement ce que prescrit la loi, ils sont, eux qui n’ont point la loi, une loi pour eux-mêmes ; ils montrent que l’œuvre de la loi est écrite dans leur cœur 11 , leur conscience en rendant témoignage, et leurs pensées s’accusant ou se défendant tour à tour. » (Rom 2.14-15) Paul explique ainsi aux croyants de Rome que tout homme possède, au fond de lui-même, les notions de bien et de mal, de juste et d’injuste, de responsabilité.
C’est vrai que beaucoup de valeurs chrétiennes se retrouvent dans des morales non chrétiennes : bienveillance, hospitalité, droiture, respect de la vérité, fidélité dans les promesses, respect de la vie, entre autres.
Donc la référence existe, elle est même inscrite dans notre « ADN » humain. Malheureusement le virus du péché et les blessures de la vie ont affaibli la lisibilité de ses inscriptions et « tagué » des inventions humaines par-dessus.
Une référence parfaitement fiable
Dieu est infiniment sage, il distingue toujours exactement ce qui est bien ou mal, juste ou injuste, vrai ou faux, dans tous les contextes culturels et sociaux.
Dans certains cas particuliers, le chrétien se sent embarrassé pour reconnaître ce qui est juste selon Dieu. Mais il progresse en vivant proche de son maître. Il devient peu à peu un chrétien mature « dont le jugement est exercé par l’usage à discerner ce qui est bien et ce qui est mal. » (Héb 5.14)
Conclusion
La justice n’est certainement pas une construction rationnelle, car dans ce cas elle serait unique et stable.
Les définitions apparues au cours de l’Histoire sont au mieux raisonnables, elles proposent des idéaux… « idéaulogiques », mais elles finissent par s’effondrer, faute d’appui solide. La justice, l’amour, la lumière, la vérité ont leur fondement et leur source en Dieu seul !
- Edité par Lacombe Jean
Comme le fait Christopher Hitchens dans son livre Dieu n’est pas grand, les Croisades sont souvent utilisées comme argument par les détracteurs du christianisme pour contredire le message d’amour et de paix de l’Évangile. Quelle attitude les chrétiens du XXI e siècle devraient-ils adopter par rapport aux Croisades ?
Revenir sur des événements vieux de près d’un millénaire nécessite un certain nombre de précautions pour éviter trop de raccourcis et d’anachronismes. Il faut bien avouer que malgré la quantité importante de livres écrits ces dernières années sur les Croisades, nous ne sommes généralement pas en mesure d’aligner plus de quelques phrases sur le sujet en dehors de l’évocation de quelques noms comme Godefroy de Bouillon ou Richard Cœur de Lion ou encore l’image de chevaliers à croix rouge sur fond blanc chargeant sur leur destrier. Quelques éléments de contexte sont donc nécessaires avant de revenir à notre époque.
Les Croisades dans leur contexte
Les Croisades sont une série d’expéditions militaires au Moyen-Orient principalement dirigées vers la Palestine appelée « Terre sainte » qui ont eu lieu entre 1096 et 1291 dans le but de reconquérir la ville de Jérusalem alors aux mains des musulmans. Le terme « croisade », qui est postérieur à l’époque médiévale, vient de l’habitude qu’avaient ceux qui partirent de se faire coudre une croix sur leurs vêtements — d’où le nom de croisés qui leur fut donné. Le terme de croisades au sens large désigne également des expéditions de même type menée au nom de l’Église contre des personnes considérées comme hérétiques autres que les musulmans, par exemple, les Cathares, les Vaudois ou les Hussites.
Les Croisades ont commencé à la suite d’un appel prononcé par le Pape Urbain II au concile de Clermont en novembre 1095 relayé un peu partout dans tout l’Occident chrétien. Celui-ci fut suivi par une onde d’adhésion impressionnante mobilisant des dizaines de milliers d’hommes, femmes et enfants (voire centaines de milliers sur l’ensemble des Croisades) autant dans les milieux nobles (chevaliers, mais aussi des rois et des empereurs) que populaires. Les grands intellectuels chrétiens comme Bernard de Clairvaux (1090-1153) adhèrent et supportent les Croisades.
Comment comprendre un tel enthousiasme ?
La diversité des profils engagés et l’ampleur du phénomène excluent des réponses trop caricaturales qui souligneraient uniquement l’appât du gain, la recherche de gloire ou un fanatisme guerrier et religieux. Il faut sans doute rechercher des éléments de réponse dans le contexte d’une époque pleine de changements dans le cœur de l’Europe médiévale. Voici six éléments à considérer :
1. L’Islam apparu au VII e siècle avait conquis comme un éclair plus de la moitié du monde chrétien, dont Jérusalem en 636. Les musulmans avaient respecté la ville qui était pour eux également une ville sainte et avaient laissé se poursuivre les pèlerinages chrétiens dont l’origine remontait à l’époque de Constantin le Grand. Cependant au XI e siècle font leur apparition les Turcs Seldjoukides nouvellement convertis à l’Islam. Ceux-ci battent les Byzantins à Manzikert en 1071 ouvrant la voie à la conquête de toute l’Asie mineure jusqu’alors chrétienne et enlèvent Jérusalem et la Palestine aux musulmans fatimides en 1078 avec un impact important sur les pèlerinages chrétiens. Alexis I er Comnène, empereur byzantin, lance un appel à Urbain II pour venir en aide aux chrétiens d’Orient. Dans ce contexte, la première croisade peut être comprise comme une réponse défensive à l’expansion de l’Islam et à la protection des chrétiens d’Orient. Les souffrances endurées par les pèlerins chrétiens ont d’ailleurs été longuement évoquées par le pape pour justifier son appel dans les différents témoignages de son discours qui nous sont parvenus.
2. Après des siècles de désintégration politique et économique qui avaient vu s’effondrer l’empire carolingien, l’Occident rentre dans une nouvelle ère de prospérité et d’unité. Les terribles Normands et les Hongrois se sont convertis au christianisme. Les bateaux vénitiens et génois dominent progressivement la mer Méditerranée. L’Occident se sent désormais assez fort pour passer à l’offensive. En Espagne et dans les îles méditerranéennes, la reconquête sur l’Islam a déjà commencé dès le début du XI e siècle. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le pape souhaite confier le leadership de la Croisade aux barons expérimentés d’Occitanie comme Raymond de Saint-Gilles. Ainsi les Croisades peuvent être perçues comme des guerres de reconquête.
3. Le XI e siècle est par ailleurs celui de la réforme grégorienne de l’Église qui voit s’agrandir considérablement la puissance des papes. Les papes vont prétendre non seulement à un pouvoir spirituel sur toute l’Église, ce qui précipitera la séparation avec l’Église orthodoxe d’Orient en 1054, mais également à un pouvoir politique. On aurait dû s’attendre à ce que les Croisades soient lancées par des chefs politiques et non par le pape. Or, au moment de la première croisade, le roi de France et l’empereur du Saint Empire romain germanique sont excommuniés. Les Croisades peuvent être ainsi vues comme un programme ambitieux de papes puissants comme Urbain II ou Innocent III visant à assurer leur domination politique en fédérant autour d’eux les puissances séculières et peut-être, au moins pendant la première période des Croisades, de tenter une réconciliation avec l’Église d’Orient.
4. On peut s’étonner que l’Église prenne l’initiative d’une guerre même défensive. Mais la position théologique sur le sujet avait depuis longtemps déjà glissé d’une position pacifique des chrétiens à une formulation par Augustin d’une guerre juste à laquelle les chrétiens pourraient participer.
Cette évolution s’est produite dans un contexte de rapprochement aux IV e et V e siècles entre le pouvoir politique et religieux au moment où les frontières de l’Empire Romain commençaient à céder. En intégrant dans la chrétienté des peuples de culture où la gloire masculine est quasi exclusivement liée à la force physique, l’Église a eu fort à faire pour essayer de canaliser cette violence en faisant naître des compromis que l’homme de notre siècle a du mal à appréhender. Il est intéressant de noter la forte proportion de contingents d’origine « viking » dans la croisade des chevaliers. Même avant les Croisades, l’Église se militarise avec la création des chevaliers de Saint-Pierre dès 1053. Puis viendra la reconnaissance des ordres de moines-chevaliers comme les Hospitaliers (1113), les Templiers (1118), ou les chevaliers teutoniques (1190) dédiés à la défense de la Terre sainte. Il faut noter cependant que le même concile de Clermont qui voit prêcher la première croisade encouragera dans le même temps le mouvement dit de la « Paix de Dieu » en invitant tous les chrétiens à observer entre eux une paix perpétuelle. En réorientant l’énergie belliqueuse vers l’hérétique, les Croisades peuvent être perçues comme un mal nécessaire pour établir la paix dans le monde.
5. Dans les esprits du Moyen-Âge, le Royaume de Dieu est assimilé théologiquement à l’emprise territoriale des États chrétiens. On comprend ainsi que l’appel à la libération des lieux où le Christ a marché, où il est mort et ressuscité et où il reviendra bientôt, trouve un écho dans le cœur de très nombreux croyants. Plus qu’une simple possibilité d’accès, la libération puis la défense de Jérusalem et du tombeau du Christ sont accueillies comme une grande œuvre de piété. L’image des croisés faisant procession pieds nus devant les murailles de Jérusalem tels Josué devant Jéricho montre l’assimilation de la reconquête de la Terre sainte à la conquête de la Terre promise. Ici, le musulman, souvent caricaturé et très mal connu, est rarement perçu comme une âme à gagner, mais plutôt comme un agent de l’Antichrist. On notera quelques exceptions notables comme François d’Assise qui s’est joint à la cinquième croisade sans combattre, mais avec le projet de présenter l’Évangile au sultan Malik-al-Kamil. Le sultan ne se convertit pas, mais il offre à François des richesses (qu’il refuse) et le fait escorter jusqu’au camp chrétien. De manière plus générale, c’est l’urgence eschatologique de la libération des lieux saints qui prédomine. Les Croisades peuvent être vues dans cette perspective comme le résultat de l’attente prophétique de l’accomplissement à Jérusalem du monde nouveau.
6. Enfin, les croisés étaient animés par l’espoir du salut dans un contexte où le message promulgué par l’Église était source d’incertitude. L’appel aux Croisades s’est assorti d’une promesse d’une indulgence plénière, une des premières de l’histoire, à ceux qui entreprenaient de libérer la terre où le Sauveur était né. Celle-ci garantissait que tous ceux qui mourraient en chemin, que ce soit par terre ou par mer, ou en combattant les païens, auraient la rémission immédiate de leurs péchés. Ainsi des foules se sont mises en marche en dépit de ce que la raison aurait pu juger comme inconscient ou suicidaire, mais dans l’espérance salutaire du « quoi qu’il arrive ». Des hommes et des femmes ont tout quitté par la foi, des seigneurs se sont ruinés par la foi aux dépens bien souvent de leur liberté et de leur vie. Les Croisades peuvent ainsi être comprises comme un acte de pèlerinage pénitentiel répondant à l’angoisse des peines éternelles des croyants du cœur du Moyen Âge.
Le bilan des Croisades
Si se replonger dans ces éléments de contexte permet de mieux comprendre ce qui a poussé tant d’hommes et de femmes à partir aux Croisades en évitant quelques anachronismes, il n’en demeure pas moins que le recul sur ces événements dresse un bilan catastrophique.
Un échec militaire tout d’abord. Mis à part les succès de la première croisade avec la prise d’Antioche et de Jérusalem qui permettra la naissance des fragiles États latins d’Orient, les divisions incessantes des chefs croisés et l’épuisement rapide du flux du renouvellement des forces humaines rendront les sacrifices des Croisades totalement futiles avec la prise de Saint-Jean-d’Acre par les Mamelouks en 1291. On pourrait dire « tout ça pour ça ? ». Et ce « tout ça » est un terrible gâchis humain. Les imposants convois de croisés, souvent composés également de femmes et d’enfants, s’aventurent dans d’immenses contrées sans eau et sous un soleil de plomb. Fatigués par les longs trajets à pied et mal équipés, ils deviennent des proies faciles qui se font régulièrement tailler en pièces. Les principes de la soi-disant guerre juste sont piétinés par les pires élans du cœur humain quand les populaces indisciplinées massacrent les Juifs sur le chemin de la croisade, quand les guerriers sanguinaires usent des pires tortures ou quand la prise de Jérusalem se transforme en bain de sang. Cette violence mêlée d’un honteux intérêt financier se retourne même contre les chrétiens entre eux comme dans le cas hallucinant de la quatrième croisade qui se termine par le pillage de Constantinople, ville la plus riche de l’époque, fragilisant de manière durable ce tampon historique avec l’Islam. Le fossé entre chrétiens occidentaux et d’orient s’en est trouvé plus profondément creusé.
Les Croisades n’ont répondu ainsi à aucun de leurs objectifs.
Quelles ont été les conséquences durables des Croisades sur les relations des chrétiens avec le monde musulman ?
Si nous devons sans doute résister à la tentation d’attribuer l’extrémisme islamique actuel aux Croisades, cela ne veut pas dire que les Croisades n’occupent pas une place importante dans la conscience de notre entourage musulman. Comme le commente Kevin De Young en 2015, il n’en a pas toujours été ainsi : « Le terme désignant les Croisades, harb-al-salib, n’a été introduit dans la langue arabe qu’au milieu du XIX e siècle, et la première histoire arabe des Croisades n’a été écrite qu’en 1899. Les Croisades ayant échoué, elles n’avaient tout simplement pas beaucoup d’importance pour les musulmans. Mais la mémoire de ces événements a commencé à changer lorsque les nations européennes ont colonisé les nations musulmanes et y ont apporté leurs écoles et leurs manuels scolaires qui saluaient les vaillants croisés et les chevaliers héroïques qui avaient tenté d’apporter le christianisme et la civilisation au Moyen-Orient. Comme le sport, comme la guerre, comme la vie — quand vous gagnez, vous ne vous souciez pas de qui perd ; mais quand vous perdez, il importe beaucoup de savoir qui vous bat. » C’est bien souvent la réappropriation de la mémoire des événements anciens stimulés par un ressenti contemporain qui fait obstacle à la défense de la foi chrétienne. Ainsi, le positionnement des chrétiens du XXI e siècle par rapport aux Croisades a son importance puisqu’il traduit l’attitude actuelle des chrétiens envers leurs contemporains musulmans, juifs ou athées.
Quelle attitude adopter face aux Croisades ?
Dans le contexte tellement différent de notre monde moderne qui exalte l’individualisme démocratique, la liberté religieuse et la séparation du séculier et du spirituel, quelle attitude adopter ?
Aujourd’hui, nous ne partageons pas bon nombre des hypothèses des chrétiens du Moyen Âge. Nous pouvons comprendre le contexte socio-religieux, la logique des enchaînements, la part de bonnes intentions, mais même conscients de se retrouver de l’autre côté de la chronologie de l’histoire, comment approuver de telles dérives si étrangères à l’Évangile ? Les erreurs doctrinales sont évidentes : nous ne pouvons pas accomplir des actes de pénitence salvateurs ; le Christ n’avance pas son œuvre par la force. Le contexte géopolitique contemporain relance souvent les tentations de débats et réflexion sur la question de la guerre juste, mais nous n’oublions pas que notre principal combat est d’ordre spirituel. Notre Seigneur a triomphé de l’ennemi non pas en prenant la vie, mais en donnant la sienne. Condamner les Croisades me paraît ainsi justifié. Peut-être est-ce insuffisamment respectueux des intentions défensives légitimes et du cœur sincère des chrétiens médiévaux ; peut-être faut-il condamner uniquement les exactions commises aux détours des Croisades pour respecter l’histoire sans anachronisme, mais nos contemporains ne voient souvent pas les nuances.
Une attitude protestante aurait aussi tendance à se défausser en s’associant plutôt aux victimes qu’aux agresseurs « catholiques », mais là aussi gare aux anachronismes — même s’il est vrai que les éléments qui se mettent en place dans l’Église au moment des Croisades sont en germe ce qui provoquera les mouvements de la Réforme.
Le problème apologétique demeure néanmoins présent pour nos contemporains qui ne font pas facilement de distinction.
Au final, comme dans tout conflit, dans tout malentendu, il me semble que l’attitude la meilleure reste sans doute la demande de pardon même si entre humains les torts sont souvent partagés.
Le pardon coûte parce qu’il ne fonctionne pas en comptant les points de justice entre chaque partie, mais accepte volontairement de couvrir ce qui n’est pas juste. Mais quel beau moyen pour faire tomber le mur des Croisades construit dans le cœur des humains comme obstacle à la foi chrétienne !
Bibliographie
• Thomas F Madden, Les Croisades, Evergreen, 2008.
• René Grousset, L’épopée des Croisades, Tempus Perrin, 2017.
• Amin Maalouf, Les croisades vues par les Arabes, J’ai lu, 1999.
• Neal Blough, Guerre et Paix ; La foi chrétienne et les défis du monde contemporain.
• Christian History Magazine, “The Crusades”, n° 40.
- Edité par Lacroix Romaric
Un chrétien doit-il être pacifiste en toute circonstance ? Devrait-il « tendre l’autre joue » même si son agresseur le met physiquement en danger ? Il nous semble difficile d’imaginer Jésus dire cela à une femme qui se ferait battre par son conjoint… Dans cet extrait de son ouvrage Vivre l’éthique de Dieu, Daniel Arnold nous propose un survol de la question de l’usage de la légitime défense pour le chrétien.
Extrait
La légitime défense consiste à prendre des mesures adéquates pour empêcher un agresseur de tuer ou de blesser une personne. Contrairement à une décision de justice qui peut être prise à tête reposée, une action défensive doit souvent se prendre dans le feu de l’action. La personne agressée doit rapidement user de son bon sens pour évaluer la gravité de la situation. S’il est manifeste qu’un intrus ne veut que dérober des biens matériels, il est illégitime de l’abattre. Mais si le voleur porte une arme, ses intentions sont moins manifestes.
Dans l’Exode, on fait une différence entre un voleur abattu de nuit ou de jour : « Si le voleur est surpris dérobant avec effraction, et qu’il soit frappé et meure, on ne sera point coupable de meurtre envers lui, mais si le soleil est levé, on sera coupable de meurtre envers lui » (Ex 22.2-3).
De nuit, un voleur peut difficilement être distingué d’un criminel. On ne peut pas le voir comme il faut et mesurer ses coups.
De jour, l’acte de l’intrus est plus manifeste. La loi ne doit pas être appliquée à la lettre, mais selon le principe qu’elle souligne. Par exemple, de nos jours, il suffirait de tourner un interrupteur pour éclairer une pièce en pleine nuit. L’intention du visiteur se verrait mieux, mais on pourrait hésiter à tourner le commutateur, car l’agresseur alerté pourrait réagir dangereusement. Tout est une affaire de jugement et d’intention. Dans tous les cas, il est manifeste qu’un droit à la défense existe, mais qu’il faut en user avec modération.
Quand Jésus dit qu’il ne faut pas résister au méchant (Mat 5.39), il ne pense pas au meurtrier, mais à une personne qui veut humilier son prochain ou le déposséder d’un bien. Les exemples que Jésus cite sont très explicites. Le premier agresseur donne une gifle pour humilier (il frappe du revers de la main sur la joue droite), le second veut traîner un homme en justice pour lui ravir un objet de valeur (un manteau), le troisième impose une tâche difficile et ingrate (Mat 5.39-41).
Lorsque Jésus est arrêté au jardin de Gethsémané, il demande à Pierre de rengainer son épée : « Remets ton épée à sa place ; car tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée », puis il rajoute : « Penses-tu que je ne puisse pas invoquer mon Père qui me donnerait à l’instant plus de douze légions d’anges ? » (Mat 26.52-53). Jésus fait comprendre à son disciple que la défense par les armes n’est pas utile dans cette situation. En effet, Jésus ne va pas être mis tout de suite à mort, mais il va simplement être arrêté pour être jugé. Or, il ne faut pas que les adversaires de Jésus puissent l’accuser d’avoir résisté par les armes aux autorités judiciaires. (Un maître devrait pouvoir contrôler ses disciples.) Jésus guérit donc l’homme que Pierre a blessé (Luc 22.51). Ainsi, aucune accusation ne pourra être portée ni contre lui ni contre Pierre. Jésus témoigne aussi de sa compassion pour le serviteur du souverain sacrificateur, injustement blessé.
Quelques heures plus tôt, Jésus avait dit à ses disciples une parole parfois mal comprise : « Que celui qui a une bourse la prenne et que celui qui a un sac le prenne également, que celui qui n’a point d’épée vende son vêtement et achète une épée » (Luc 22.36). Par là, il ne voulait certainement pas dire qu’il fallait combattre les ennemis par les armes, puisqu’il rejette fermement les deux épées que les disciples lui présentent : « Ils dirent : Seigneur, voici deux épées. Et il leur dit : Cela suffit » (Luc 22.38).
Jésus leur annonçait simplement un temps nouveau fait de tribulations.
Conclusion de la rédaction de Promesses
On pourrait objecter que nous cherchons ici à minimiser les paroles de Jésus. En effet, en face d’une persécution violente, de nombreux chrétiens ont suivi Jésus jusqu’à la mort, sans se défendre. Le sujet délicat du martyr n’est pas abordé dans cet article.
Il démontre seulement que de manière générale, la légitime défense est permise pour le chrétien.
Replacées dans leur contexte biblique, les paroles de Jésus s’éclairent. Il ne désire pas que son disciple se laisse tuer ou maltraiter par plaisir. Seulement, dans certaines circonstances précisément établies dans le texte, le « lâcher-prise » sera un témoignage plus « frappant » pour l’agresseur et les potentiels témoins. Dans de telles situations, le défi lancé par Jésus reste donc de taille pour le chrétien.
- Edité par Arnold Daniel
« Mettez pour chaussures à vos pieds le zèle que donne l’évangile de paix. » (Éphésiens 6.15)
Quand vous achetez une voiture neuve, une fois que vous êtes décidé sur le modèle, vous regardez quelles sont les options que le garagiste va vous vendre. Imaginez qu’il vous demande si vous désirez avoir l’option « volant » dans ce superbe véhicule.
– L’option volant ? Mais qu’entendez-vous par l’option volant ?
– Oh, beaucoup de gens achètent ce modèle uniquement pour la renommée que leur donne ce véhicule. Le conduire est devenu quelque chose d’optionnel, et c’est pour ça que nous proposons maintenant le volant en option.
Mais si vous êtes choqué par ce dialogue délirant, qu’on puisse considérer le volant comme une option dans une voiture, pourquoi les chrétiens de ce siècle font si peu de cas de l’évangile de paix ? Il n’est pas optionnel, il n’est pas un luxe, il n’est pas un idéal inatteignable. La bonne nouvelle de la paix devrait être le volant d’un christianisme aujourd’hui en errance !
Il est intéressant qu’au milieu d’une description fort guerrière de la foi, Paul prenne le soin de parler des sandales du zèle pour l’annonce d’un évangile de paix. L’apôtre connaît le danger qu’il y a à utiliser des métaphores guerrières quand on parle de la foi.
Les religions ne sont-elles pas un des principaux vecteurs de guerres dans ce monde ? Mais, parce que son ministère dépend avant toute chose de Jésus-Christ, le Prince de la Paix, Paul veut à tout prix rappeler aux chrétiens d’Éphèse que le but du combat de la foi est d’être témoins de la paix. C’est un paradoxe, comme souvent quand on s’approche de Jésus-Christ.
Voyez l’homme Jésus
Jésus est un modèle de douceur qui a inspiré les artistes bien au-delà de la sphère chrétienne.
L’homme Jésus a marqué l’histoire par la paix qu’il portait en lui et qu’il diffusait autour de lui. Il n’était pas seulement porteur d’un message de paix mais aussi d’une pratique de la paix. Beaucoup de gens peuvent vous écrire des centaines de pages sur la paix mais ne la vivent pas. Jésus était porteur de paix jusque dans ses moindres gestes. Il a poussé la non-violence jusqu’à se laisser crucifier. L’injustice de l’humanité est criante quand le Christ est silencieux sur la croix. Y a-t-il une expérience de non-violence plus extrême que celle qui consiste à se laisser livrer ? Certains craignent la perversité quelque peu masochiste d’une souffrance dans laquelle on peut se complaire. Mais si Jésus a laissé faire, c’est en conscience, persuadé que c’était la volonté de Dieu.
Il a même vérifié cela dans sa prière : « Si c’est bien ta volonté, qu’il en soit ainsi. » Il fallait en être sûr pour pouvoir vivre tous ces instants jusqu’au bout.
Face à la violence radicale de l’injustice à son paroxysme, Jésus oppose la puissance de la non-violence.
Mais il ne faudrait pas s’y tromper : la paix qui rayonne de cet homme n’est pas un pacifisme béat, un angélisme, un dolorisme où on se laisse avoir en étant persuadé qu’on est supérieur aux autres parce qu’on prend plus sur soi.
Jésus, Prince de paix, est l’homme le plus violent qui ait jamais existé contre les démons, contre Satan, contre les servitudes et les jougs qui font plier l’échine à des gens qui devraient marcher en étant vraiment debout, contre l’hypocrisie et le mensonge. Jésus est d’une violence terrible contre tout ce qui abîme l’humain.
Quelle puissance ! Voilà un homme en guerre permanente contre la déshumanisation de l’homme. Cela nous fascine, car nous n’avons pas sa capacité à tenir en même temps deux sentiments aussi extrêmes que la non-violence totale à l’égard des personnes et la violence radicale contre les ténèbres. Nous arrivons tout à fait à éprouver ces sentiments l’un après l’autre, dans des temps bien séparés et successifs. Mais les vivre en même temps nous est tout à fait impossible. En tout cas impossible à nos volontés et nos cœurs d’humains.
Soit nous sommes complètement au calme et paisibles, soit nous sommes complètement en colère et au combat, mais nous n’arrivons pas par nous-mêmes à vivre les deux de façon simultanée.
Jésus, lui, le pouvait. Non pas par lui-même en tant qu’homme, mais parce qu’il avait accepté de laisser l’Esprit de Dieu agir en lui.
Le vrai combat
Par la puissance de Dieu en nous, nous pouvons être porteurs de cette double présence au monde, tout en douceur et tout en lutte. Mais cela ne peut être que l’œuvre du Seigneur dans nos vies étroites.
Nos cœurs doivent être dilatés par la présence de Dieu en nous pour pouvoir vivre ces choses.
Au milieu d’un discours guerrier sur les armes de la foi, Paul rappelle que nous ne nous battons pas contre les humains mais contre les puissances spirituelles. Et il rappelle que ce qui nous fait avancer dans l’existence, ce sont les sandales du zèle à annoncer une bonne nouvelle de paix. C’est aussi peu optionnel dans une vie chrétienne que le volant dans une voiture, — sauf à ne pas utiliser sa voiture et à ne s’en servir que pour l’image qu’elle nous donne. Notre foi est bien un outil pour une présence au monde. Une voiture qui ne roule pas ne sert à rien. Ou en tout cas son usage est détourné par rapport à sa destinée. Un chrétien qui ne s’engage pas pour la paix puissante telle que Jésus l’a vécue, est un chrétien qui est détourné de sa destinée.
Oui, il y a une guerre, une guerre sainte contre le mal. Mais celui-ci n’a rien à voir avec le pétrole, les peuples arabes, russes, chinois, nord-coréens, etc. Cela concerne avant tout la lutte contre l’esprit de Mammon, celui qui est le vrai dieu du monde.
Contre la puissance spirituelle et pas contre les médiocres pantins instrumentalisés par cette puissance, quels que soient leurs noms.
Au nom de l’évangile de paix — et le mot paix en hébreu, shalom, veut aussi dire prospérité matérielle — au nom de l’évangile de la vraie prospérité paisible, soyez zélés et marchez ! Marchez avec courage dans le juste combat qui n’est pas contre les personnes mais contre l’ennemi de nos âmes. Ne vous trompez pas de bataille.
Le Prince de la paix vous appelle à intercéder et à bénir autour de vous. Ne rentrez pas dans les logiques de ruptures, de séparation et de cloisonnement de la société, car vous donneriez des points au prince des ténèbres, quand le Prince de paix vous appelle à marcher vers les autres, à mettre les bonnes sandales pour rejoindre le prochain, rejoindre le frère, rejoindre le voisin, rejoindre l’ennemi pour le bénir au sein même de son camp.
La plus grande urgence est donc de recevoir de l’Esprit de Dieu la douceur bienfaisante qui était sur Jésus-Christ, car c’est l’arme la plus puissante qui existe.
- Edité par Boucomont Gilles
Un chrétien peut-il être soldat au XXI e siècle ? Peut-il tuer s’il en reçoit l’ordre ? La guerre peut-elle être juste ? Des chrétiens sérieux, convaincus de l’inspiration de l’Écriture, répondent différemment à ces questions. Cet article propose humblement quelques pistes bibliques, qui respectent des convictions et des avis différents, avant une proposition de synthèse qui ne se veut ni dogmatique ni définitive.
Dans l’Ancien Testament
• Dieu se révèle à Abraham et fait alliance avec lui, lui promettant une terre, une descendance et une bénédiction universelle (Gen 12). En Genèse 15.7, 13-20, Dieu annonce qu’Israël sera longtemps un peuple d’émigrés qui sera maltraité pendant 400 ans. Ils ne pourront prendre possession de la terre promise avant « car c’est alors seulement que la déchéance morale des Amoréens aura atteint son comble » (15.15). Du coup, la guerre de conquête de Canaan (XVI e s. av. J.-C.) sera aussi un jugement militaire sur les Cananéens [note]L’archéologie a démontré la cruauté des Cananéens qui, entre autres sévices, brûlaient vifs des enfants jusqu’à 5 ans pour satisfaire leurs divinités. [/note] . Dieu utilise la force armée pour donner à Israël un territoire, et pour juger en même temps un peuple méchant et immoral. Dieu juge parfois les nations par la guerre [note]Voir, dans ce même numéro, l’article sur la guerre de conquête de Canaan. Les livres historiques (Juges, 1 & 2 Rois par ex.) rapportent de nombreux exemples de guerres punitives et de guerres libératrices… [/note] .
• Les « 10 commandements » de la loi de Moïse prohibent de commettre un meurtre, c’est-à-dire d’ôter la vie d’un innocent, par envie, par méchanceté, ou par intérêt personnel. Le mot utilisé pour « tuer », notamment en temps de guerre, est un autre mot. La loi distingue donc le meurtre de l’action de tuer, soit dans l’exercice de la justice, soit dans le contexte d’une guerre.
• Plusieurs passages de la Torah régulent la manière de mener la guerre, notamment Deutéronome 20. Il fallait proposer à la ville assiégée de se rendre avant la bataille (Deut 20.10), protéger les arbres fruitiers (20.19), etc. La loi posait un cadre à la guerre, comme si celle-ci était un mal possible, qui permettait parfois d’empêcher d’autres maux, pires encore, mais en les encadrant. On imagine ce que serait l’Europe si le nazisme avait triomphé, et on peut comprendre que certaines guerres soient utiles, voire nécessaires, pour préserver l’intégrité morale ou humaine d’une civilisation. On note par ailleurs que les combattants pouvaient être relevés de leur appel en fonction de leurs situations personnelles : mariage récent, plantation récente, etc.
• Lorsque Dieu emploie les Assyriens pour juger le royaume d’Israël, puis Nebucadnetsar, le dictateur de Babylone, pour juger le royaume de Juda, ils sont rendus responsables de leurs actes atroces (cf. Jér 51.20-24). Un Dieu souverain emploie des nations païennes, conduisant la brutalité « naturelle » des rois de l’époque, pour accomplir son plan de jugement. Mais ces hommes qui accomplissent son plan ne sont en aucun cas dédouanés de leurs responsabilités personnelles puisqu’ils agissent selon leur propre cœur.
Dans le Nouveau Testament
Le N.T. présente des données quelque peu surprenantes. Israël est sous tutelle romaine, après avoir été sous la gouvernance des Grecs.
• Tous les centeniers [note] Un centenier (ou centurion) était un officier de l’armée romaine commandant une centaine de soldats.[/note] mentionnés dans le N.T. sont présentés de façon favorable — c’est-à-dire qu’ils ne sont jamais présentés comme étant des hommes mauvais ou méchants, mais comme des personnes qui, par contraste même avec le peuple d’Israël, ont un cœur, une spiritualité, et une recherche de Dieu. C’est d’autant plus surprenant à nos yeux qu’ils étaient les officiers d’une armée occupante !
Jésus relève la foi du centenier de Capernaüm (Mat 8.5-13). Celui qui a été chargé de surveiller la crucifixion a confessé la divinité de Jésus (Mat 27.54). Corneille (Act 10) et Sergius Paulus [note]Il était proconsul et comme tel il pouvait ordonner l’exécution des criminels ou déployer des troupes en guerre.[/note] (Act 13.7,12) sont devenus chrétiens.
• Aucune des longues listes de péchés que nous trouvons dans le N.T. ne mentionne le fait d’être soldat ; à aucun moment, les apôtres dans leurs lettres ne demandent aux soldats de démissionner de leurs fonctions.
• À l’époque du N.T., l’armée jouait à la fois un rôle militaire (de conquérant) et un rôle de police (de maintien de l’ordre). Quand Paul évoque le « magistrat […] qui porte l’épée, étant serviteur de Dieu pour exercer la vengeance et punir celui qui fait le mal », il enjoint : « Il est donc nécessaire d’être soumis, non seulement par crainte de la punition, mais encore par motif de conscience » (Rom 13.4-5). Dieu demande donc à l’armée d’instaurer un ordre, certes imparfait, mais préférable au chaos de l’anarchie et du non-droit.
• En même temps, le N.T. insiste sur le fait qu’un disciple de Christ va se caractériser par une certaine douceur : il aime son ennemi, prie pour ceux qui le maltraitent et qui le persécutent.
L’attitude générale du chrétien doit le faire connaître comme un homme doux, généreux, bienveillant, qui ne répond pas « au quart de tour », loin d’un esprit haineux, revanchard et belliqueux (cf. Mt 5.1-12, 5.38-45, Rom 12.17-21, Mt 7.12, 1 Pi 2.11-25).
• Lorsque Jean-Baptiste voit des soldats venir à lui pour lui demander ce qu’ils doivent faire, il leur répond : « Ne commettez ni extorsion ni fraude envers personne, et contentez-vous de votre solde. » (Luc 3.14) Jean-Baptiste ne dit pas à ces soldats de démissionner ou de déposer les armes, mais il modère et limite leur activité pour que cette activité se fasse selon une certaine éthique. Ça veut dire qu’un soldat chrétien va devoir réfléchir aux ordres qu’il reçoit. Cela me semble être l’un des éléments importants à prendre en compte dans la réponse à la question initiale.
Un essai de synthèse
Comment concilier ces données qui semblent parfois un petit peu en contradiction les unes avec les autres ?
L’histoire nous apprend que les chrétiens les ont comprises différemment :
• La première position est le pacifisme. Elle a marqué le mouvement mennonite qui a maintenu pendant des siècles une position fermement pacifique où un chrétien ne prendrait les armes en aucune circonstance [note]En francophonie, Egbert Egberts défend cette approche dans son livre, On n’apprendra plus la guerre, Vers un pacifisme chrétien, aux éditions Oasis. [/note] .
Un pacifiste dira « Je préfère aller en prison que de porter une arme et de porter la main sur un être humain créé à l’image de Dieu. [note]Certains pays offrent le statut d’objecteur de conscience. [/note] »
C’est aussi la position la plus fréquente des chrétiens dans les pays musulmans où la guerre prend souvent une connotation religieuse ; ils ont décidé pour la plupart, étant donné que la violence entraîne un cycle infernal de violence, de ne pas prendre les armes. Les guerres de religion européennes ont conduit les anabaptistes aux mêmes conclusions.
• La deuxième position est inverse. Ces chrétiens disent que s’enrôler est un appel personnel légitime. Ils participent à l’armée de leur pays et, lorsque l’ordre de mener bataille est donné, ils font leur travail, c’est-à-dire qu’ils tuent les soldats d’un pays adverse sans aucun problème de conscience. Ils estiment que Dieu forge l’histoire de nations souverainement et providentiellement par le biais de l’État et de l’armée. Un droit s’établit ainsi, certes imparfait, même mauvais dans un certain sens, mais préférable au chaos qui vient d’un monde livré au règne du plus fort [note]Les exactions terribles commises et attestées dans certains pays (mutilations des femmes, enrôlement d’enfants soldats, etc.) après le départ de l’armée conquérante d’un pays démocratique ayant établi un certain ordre social serait une justification de cette approche. [/note] . Je remarque que cette position s’exprime souvent dans le contexte de pays où les chrétiens ont confiance dans leur gouvernement qui est plus ou moins stable et démocratique.
• Une variante de la position précédente propose d’évaluer la moralité d’une guerre pour décider d’une participation [note]Augustin, puis Thomas d’Aquin, ont été les premiers théologiens à se pencher sur [/note]. Une guerre défensive serait considérée comme juste, ou encore une guerre visant la libération d’un peuple de l’oppression d’un gouvernement injuste. Le problème de cette perspective est qu’elle aurait soutenu les militaires de Jérusalem, quand Dieu qualifiait d’injuste cette posture et qu’il demandait par son prophète Jérémie de se rendre aux Babyloniens !
En l’absence d’un prophète authentique, il est difficile d’établir ce que serait une guerre juste.
• Une troisième perspective, entre les deux, se limite au soutien logistique. Dans cette perspective le chrétien pourrait manifester son soutien à un État en guerre, mais uniquement dans des positions de non-combattant. Il pourrait s’impliquer en tant que médecin, chauffeur, infirmier ou logisticien, sans accepter une position où il prendrait une arme pour participer aux combats.
• Au II e siècle de notre ère, les pères de l’Église recommandaient aux gens qui se convertissaient de ne pas devenir des soldats, mais on laissait aux soldats qui devenaient chrétiens la possibilité de rester dans leur profession. Là encore, c’était une position de compromis. Souvent les réflexions éthiques ne sont pas toujours très tranchées car on navigue dans un monde déchu où le bien et le mal ne sont pas toujours si clairs.
Avec le temps, j’ai développé une perspective que je qualifierais de « consentante ». Elle « rend à César ce qui est à César » et « à Dieu ce qui est à Dieu ».
Dans mon appel, je vais militer pour le royaume de Dieu, c’est-à-dire proclamer l’Évangile, vivre la vie chrétienne du mieux possible, prier pour la liberté de culte, etc. ; en parallèle, je consens à participer au royaume de ce monde et je consens à un certain nombre d’activités, y compris combattante. Je suis prêt à un certain nombre d’engagements jusqu’aux limites de ma conscience ; Actes 5.29 nous dit que nous devons obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes, et à un moment donné, si les ordres qui me sont donnés sont des ordres qui violent ma conscience (par exemple tuer des civils, ou se venger sur eux), je ne le ferai pas ; j’espère avoir le courage à ce moment-là de le refuser, quitte à en subir les conséquences qui pourraient aller jusqu’à une exécution ou un emprisonnement. Voilà comment je verrais les choses :
1. Laissons à Dieu le soin de diriger les présidents et les rois, sachant qu’il jugera et condamnera les dictateurs de ce monde.
2. Prions que Dieu accorde en tout lieu la liberté de prêcher et de croire. Dans notre pays, et dans tous les pays du monde, notamment les pays encore fermés à l’Évangile.
3. Consentons aux décisions prises par nos autorités pour les suivre jusqu’au combat, poursuivant un engagement mesuré et respectueux des populations.
4. Refusons tout acte militaire ou policier outrancier contraire à l’éthique chrétienne (torture, racisme, viol, etc.). Consentons que ce refus de soumission entraîne une condamnation pour insubordination.
5. Participons activement, en tant qu’Église, à tout acte de justice (protection des faibles, opprimés, étrangers, etc.).
6. Accueillons dans l’Église tout croyant, même avec des avis différents, même « ennemi occupant ».
7. Prêchons l’Évangile à tous, pour permettre au plus grand nombre d’accéder à l’éternité de paix que Dieu va instaurer.
Chaque lecteur est encouragé à se positionner personnellement. Restons aussi prudents vis-à-vis de ceux qui ont pris une décision différente de la nôtre, car il n’y a sans doute pas de réponse absolue possible à cette question.
- Edité par Varak Florent
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