PROMESSES

« C’est pas juste ! » Cette réflexion amère ne se trouve pas dans de savants ouvrages ; mais dans la bouche d’un enfant frustré en recevant un cadeau moins désirable que celui d’un autre enfant, d’un employé qui ne sent pas traité comme son collègue, d’un supporter d’une équipe de football pour qui l’arbitre est « manifestement » favorable à l’équipe adverse, d’une personne qui a tout perdu dans une catastrophe soudaine…
« C’est pas juste ! » Cette réflexion spontanée n’est pas nécessairement fondée sur le non-respect d’une loi ou règlement, mais plutôt sur le sentiment que quelque chose n’est pas « normal ». Elle est donc intuitive, imprécise.
« C’est pas juste ! » C’est l’avis de celui qui se considère comme victime — très rarement de celui qui serait l’auteur du préjudice ou le gagnant dans le litige. Notre perception de l’injustice est donc très variable selon les cas.
« C’est pas juste ! » revient beaucoup plus souvent que « C’est juste ! » Serions-nous plus sensibles à l’injustice qu’intéressés par la justice ? La justice serait-elle seulement une non-injustice ?
Ce numéro de Promesses vous propose des éléments de réflexion pour approfondir la notion de justice. Que valent les fondements d’une justice humaine ? Que dit la Bible sur la justice divine ? Comment vivre individuellement de façon juste ? Pourquoi tant d’injustices dans notre monde ? Comment y faire face quand nous en subissons ?


Un ministre de la reine d’Éthiopie est venu à Jérusalem pour adorer Dieu. Il repart avec une partie de la révélation de Dieu et se met à la lire attentivement et même à haute voix dès le début du long trajet de retour : il craint Dieu, il le recherche avec soin. Pourtant le texte lui paraît incompréhensible, hermétique.
Un ange envoie Philippe dans la direction de l’Éthiopien, l’Esprit lui dit de s’approcher de son char. Philippe observe cet homme absorbé dans sa lecture laborieuse et comprend sa mission  : être l’instrument de Dieu pour rendre le texte compréhensible, grâce à un peu… d’herméneutique.
«  Comprends-tu ce que tu lis  ? Il répondit  : Comment le pourrais-je, si quelqu’un ne me guide ?
Et il invita Philippe à monter et à s’asseoir avec lui […]. Philippe, ouvrant la bouche et commençant par ce passage, lui annonça la bonne nouvelle de Jésus. » (Act 8.30,31,35)

La Parole de Dieu est à la fois claire et obscure :
• «  Ta parole est une lampe à mes pieds, et une lumière sur mon sentier » (Ps 119.105) : La Parole est assez claire pour me faire comprendre où sont mes pieds, c’est-à-dire ma situation personnelle actuelle  ; elle éclaire aussi mon sentier  en me montrant la direction à suivre, les personnes avec qui je voyage, les dangers à éviter et les belles choses à voir. La lecture personnelle de la Bible permet de comprendre l’essentiel : qui est Dieu, comment il nous voit, ses attentes et ses offres, ses encouragements et ses avertissements.
• « Il y a des points difficiles à comprendre, dont les personnes ignorantes et mal affermies tordent le sens » (2 Pi 3.16) : Dieu est infiniment grand  ! Cette grandeur dépasse souvent nos capacités de compréhension (1  Cor 13.12). C’est pourquoi nous avons besoin de l’étudier, de bien appliquer des règles d’interprétation (l’herméneutique) et d’accepter de recevoir l’aide de personnes douées par Dieu pour nous aider… comme Philippe pour l’Éthiopien.


Voici une question souvent posée au sein des églises locales ou entre chrétiens : tous les points de « doctrine » [Nous prenons ici le mot « doctrine » au sens le plus large de « point d’enseignement biblique », qui couvre, au-delà des thèmes proprement doctrinaux, les sujets d’éthique et de comportement.] de la Bible sont-ils également importants pour les chrétiens ? Et si la réponse est négative, comment, alors, déterminer quelles sont les doctrines les plus importantes ? Sur quel(s) critère(s) baser cette hiérarchisation ? Y aurait-il des principes herméneutiques pour nous guider ?

1. Tous les points de doctrine de la Bible sont-ils également importants ?

Des textes bibliques en faveur du « oui »

Un certain nombre de textes semblent conduire à penser que toute la Bible revêt une égale importance :
• La Bible affirme sa propre inspiration dans sa totalité et ses parties : « Toute Écriture est inspirée de Dieu, et utile… » (2 Tim 3.16).
• Jésus insiste sur l’accomplissement total de toute l’Écriture, à la lettre près : « Je vous le dis en vérité : tant que le ciel et la terre ne passeront point, il ne disparaîtra pas de la loi un seul iota ou un seul trait de lettre, jusqu’à ce que tout soit arrivé. » (Mat 5.18 ; cf. 24.35)
• Les raisonnements des auteurs bibliques s’appuient parfois sur des détails « infimes » du texte : par exemple, Paul base son argumentation concernant la réalisation en Christ de la promesse faite à Abraham sur un mot au singulier (Gal 3.16).
• Plusieurs textes insistent sur l’unité des chrétiens qui partagent « une seule foi » (Éph 4.5), ou nous exhortent à avoir « une même pensée » (Phil 2.2).

Des arguments en faveur du « oui »

D’autres arguments peuvent être avancés pour considérer toutes les doctrines au même niveau : • « Sélectionner » les doctrines importantes est difficile.
• On peut facilement craindre des dérives qui conduiraient à trier dans la Bible ce qui nous convient.
• Cela risque de remettre en cause l’inspiration plénière de la Bible.

Des textes bibliques en faveur du « non »

D’autres textes bibliques orientent vers une différenciation entre les textes :
• Jésus lui-même, dans sa controverse avec les pharisiens qui lui demandaient quel est le plus grand commandement de la loi, ne se défausse pas en répondant que tous sont également importants, mais il donne les deux premiers selon lui (Mat 22.35-40).
• Paul exhorte à accueillir les personnes d’opinions différentes sur certains points, comme les prescriptions alimentaires, sans discuter leurs opinions (Rom 14.1) — même si lui-même ne s’estime pas lié par des interdits alimentaires.
• Nous trouvons des marqueurs explicites dans les textes bibliques comme : « premièrement », « avant tout », « d’abord »…

Des arguments en faveur du « non »

• La Bible reconnaît que des péchés sont plus importants que d’autres. Par analogie, les textes qui condamnent les plus sérieux ont forcément plus de poids que ceux qui relèvent les moins graves.
• Selon Jean Calvin, « tous les articles de la doctrine de Dieu n’ont pas la même valeur. Certains sont tellement nécessaires à connaître que personne ne doit en douter. D’autres sont en débat parmi les Églises, sans rompre, cependant, leur unité. » (Institution de la religion chrétienne, IV.1.12)
• Selon Henri Blocher, « lorsque des hommes de Dieu scientifiquement compétents, et qui se veulent tout à fait dociles devant l’Écriture, se trouvent en grand nombre dans les deux camps d’une controverse, nous pouvons présumer que l’objet du débat n’appartient pas au cœur absolument vital du christianisme. » (« L’unité chrétienne selon la Bible », Théologie évangélique, 9)

Conclusion

Un « non » nuancé nous semble s’imposer. S’il est fondamental de tenir ferme à l’inspiration totale et entière de toute l’Écriture, il est nécessaire de prendre en compte la hiérarchisation présente dans les textes eux-mêmes.

2. Quels principes herméneutiques permettent de hiérarchiser les doctrines ?

Des expressions explicites

Comme indiqué, les auteurs bibliques (ou Jésus qu’ils citent) n’hésitent pas à préciser les points les plus importants à leurs yeux par des formules explicites.
Relevons quelques exemples :
• « Avant tout » : « Je vous ai enseigné avant tout, comme je l’avais aussi reçu, que Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures… » (1 Cor 15.3) « Jésus se mit à dire à ses disciples : Avant tout, gardez-vous du levain des pharisiens, qui est l’hypocrisie. » (Luc 12.1) « Avant tout, ayez les uns pour les autres un ardent amour. » (1 Pi 4.8)
• « Premièrement » : « Cherchez premièrement le royaume et la justice de Dieu. » (Mat 6.33) « La sagesse d’en haut est premièrement pure, ensuite… » (Jac 3.17)• « Plus important » : « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous payez la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin, et que vous laissez ce qui est plus important dans la loi, la justice, la miséricorde et la fidélité. » (Mat 23.23)
• « Mieux » : « L’obéissance vaut mieux que les sacrifices. » (1 Sam 15.22) « Il vaut mieux se marier que de brûler. » (1 Cor 7.9)
• « Meilleur » : « [Christ] a obtenu un ministère d’autant supérieur qu’il est le médiateur d’une alliance plus excellente, qui a été établie sur de meilleures promesses. » (Héb 8.6)

Les fréquences

Un mot qui revient à une grande fréquence dans un livre biblique donné — et plus encore dans toute la Bible — a toutes les chances de concerner un sujet majeur pour notre foi. Par exemple, Dieu (ou l’Éternel) et Jésus (ou Christ) sont, de très loin, les mots les plus fréquents de chaque Testament ; or l’Écriture révèle avant tout qui est Dieu et qui est Jésus.

De même, une idée répétée dans plusieurs textes, plus encore sous la plume de différents auteurs, présente vraisemblablement une importance plus grande qu’un point traité par un seul verset. Par exemple, le « baptême pour les morts » (1 Cor 15.29), quel que soit le sens qu’on lui donne, n’aura jamais la même importance que le baptême chrétien que les Évangiles, les Actes et les Épîtres mentionnent à de multiples reprises. Soyons donc particulièrement prudents sur les doctrines évoquées dans un seul texte et qui sont parfois source inutile de tensions, voire de divisions (il suffirait de citer la couverture des femmes en 1 Cor 11 pour faire saisir l’acuité du sujet !).

Le fait que la mort de Jésus soit décrite quatre fois et que chaque évangéliste y consacre une part disproportionnée de sa biographie inspirée suffit à en indiquer l’importance cruciale. De même pour sa résurrection.

La reprise presque mot pour mot des «  Dix commandements » au début de la loi de Sinaï (Ex 20) et en tête du développement des lois du Deutéronome (Deut 5) justifie l’intérêt accordé à ce texte.

Le placement des textes

Les auteurs bibliques, sous la conduite de l’Esprit, ont agencé leurs textes avec grand soin, en particulier en utilisant la forme hébraïque importante du chiasme [ Un chiasme est une figure littéraire qui consiste à reprendre des idées de façon concentrique : A B C D C’ B’ A’. A’ correspond à A, B’ à B, etc. En général, lorsque la symétrie est impaire, la section centrale est la plus importante (D dans cet exemple), suivie des sections A et A’.] . Un texte placé au centre d’un chiasme revêtira ainsi un poids plus important.
Par exemple, 1 Timothée peut être structuré sous forme d’un chiasme qui fait ressortir comme centre les v. 14 à 16 du ch. 3. On peut donc penser que ces versets sont au cœur du message de Paul à Timothée.
D’autres structures sont également éclairantes : entre ses salutations et le début de son développement, Paul résume le message de sa lettre aux Romains dans les v. 16 et 17 du ch. 1. Les points évoqués par ces deux courts versets sont donc fondamentaux à ses yeux.

Les résumés

Les auteurs bibliques donnent parfois des « résumés » de leur doctrine. Par exemple, Paul aborde le sujet de la résurrection en indiquant : « Je vous ai enseigné avant tout, comme je l’avais aussi reçu, que Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures… » En quelques versets, il va donner aux Corinthiens une synthèse de l’Évangile (1 Cor 15.1-11). Toute doctrine y figurant aura donc un poids majeur.

Les thèmes transversaux

Certains thèmes bibliques sont comme des trames qui courent du début à la fin de la révélation divine.
Ils ont comme particularité de ne pas être circonscrits à un livre ou un auteur particulier. Le développement de ces thèmes est cohérent avec l’orientation historico-rédemptrice de l’Écriture et ils trouvent leur résolution et leur finalité en Jésus-Christ.
En voici quelques exemples : les alliances, la gloire, l’expiation, le temple, l’amour, etc.

Le contenu même des textes

Certains textes contiennent dans leur formulation même l’accent de leur importance. C’est particulièrement le cas des versets qui avertissent que, si nous n’y obéissons pas, nous ne pourrons pas être sauvés. Citons, entre autres :
• Confesser Jésus Christ, Fils de Dieu venu comme homme (1 Jean 4.1-3)
• Croire en la résurrection personnelle corporelle de Jésus Christ (1 Cor 15.12-19)
• Croire en la suffisance de l’œuvre de Christ pour le salut (Col 2.4-21)
• Accepter le salut par la foi, sans les œuvres (Act 15.8-11 ; Gal 1.6-9)
• Pardonner aux autres (Mat 18.35)
• S’engager résolument à la suite de Jésus (Mat 10.38-39)
• Renoncer aux œuvres de la chair (Gal 5.19-21)
• Etc. !
Les prédications des apôtres dans le livre des Actes sont aussi un guide intéressant : elles nous indiquent ce qui était, à leurs yeux, essentiel à la foi — en premier lieu la résurrection de Jésus, la repentance ou l’accomplissement en Christ des prophéties de l’A.T.

Conclusion

Sur les points importants, la Bible est claire : nous disposons de plusieurs textes sur le même sujet, sous la plume de différents auteurs ; le sens du texte original n’offre pas d’ambiguïté d’interprétation ; les marqueurs littéraires convergent pour souligner leur entralité.

Sur d’autres points, la Bible semble « volontairement » moins claire. Nous serons donc plus prudents et moins affirmatifs les concernant et nous éviterons d’en faire des sujets de division.

Enfin, n’oublions pas que de nombreux chrétiens ont réfléchi à ce sujet de la hiérarchisation des doctrines au cours des siècles, ont cherché à appliquer soigneusement les meilleurs principes herméneutiques pour discerner les points fondamentaux et ont rédigé des confessions de foi. Quelque imparfaites que restent ces œuvres humaines, elles peuvent aussi nous aider à clarifier les points les plus importants de la doctrine chrétienne.


Que de mots compliqués pour le titre d’un éditorial ! Ce numéro a pourtant pour objectif de présenter de façon simple quelques enjeux de l’interprétation de la Bible. Interpréter les Écritures implique, de façon implicite ou explicite, de mettre en œuvre des « principes d’interprétation » et ces principes sont précisément ce qu’on appelle « l’herméneutique ».
Parmi les nombreux systèmes herméneutiques, nous proposons de retenir une « herméneutique grammatico-historico-littéraire » :
• grammaticale, parce que la Bible se présente comme un texte faisant sens, qui suit les règles du langage écrit de ses originaux hébreu et grec ;
• historique, parce que chaque livre de la Bible a été rédigé à un moment précis de l’histoire et en relation avec des faits et un contexte historiques qu’il convient de comprendre pour interpréter correctement ;
• littéraire, parce que la Bible est un ouvrage littéraire aux styles variés — Dieu nous ayant parlé « de bien des manières » (Héb 1.1) — styles qu’il convient de soigneusement distinguer pour ne pas se tromper dans son interprétation.
Mais ne nous arrêtons pas à ces trois adjectifs fondamentaux, car une herméneutique fidèle se doit d’être aussi :
• christocentrique, car Christ est le point central de la Bible dont la révélation progressive conduit vers lui ;
• pratique, car la finalité de toute interprétation doit être d’orienter nos pensées et nos actions pour glorifier le Seigneur.
Que ce numéro contribue à nous faire mieux aimer et comprendre la Bible, la lettre d’amour de notre Dieu !


Les EMI : le tunnel obscur et la lumière au bout

Quand j’étais jeune, dans les années 80, j’ai dévoré les livres du psychologue et médecin américain Raymond Moody, premier auteur à succès s’étant penché sur ces Expériences de Mort Imminente (EMI ou NDE, Near Death Experience en anglais [note] Le titre est pudique : puisque tous sont revenus, il est difficile de parler de mort. Mais les livres de Raymond Moody en parlent comme si c’était réellement la mort : La vie après la vie, Lumières nouvelles sur la vie après la vie. Voir également les ouvrages de Kübler-Ross, Osis et Haraldsson etc.[/note] ). Voici une description de ce type d’expérience :
« Voici donc un homme qui meurt, et, tandis qu’il atteint le paroxysme de la détresse physique, il entend le médecin constater son décès. […]
Il se sent emporté avec une grande rapidité à travers un obscur et long tunnel. Après quoi il se retrouve soudain hors de son corps physique, sans quitter toutefois son environnement immédiat ; il aperçoit son propre corps à distance, comme en spectateur. […] Bientôt, d’autres événements se produisent : d’autres êtres s’avancent à sa rencontre, paraissant vouloir lui venir en aide ; il entrevoit les esprits de parents et d’amis décédés avant lui. Et soudain, une entité spirituelle, d’une espèce inconnue, un esprit de chaude tendresse, tout vibrant d’amour, un être de lumière se montre à lui. Cet être fait surgir en lui une interrogation, qui n’est pas verbalement prononcée, et qui le porte à effectuer le bilan de sa vie passée. L’entité le seconde dans cette tâche en lui procurant une vision panoramique, instantanée, de tous les événements qui ont marqué son destin. Le moment vient ensuite où le défunt semble rencontrer une sorte de barrière, ou de frontière, symbolisant l’ultime limite entre sa vie terrestre et la vie à venir.
Mais il constate alors qu’il lui faut revenir en arrière, que le temps de mourir n’est pas encore venu pour lui. À cet instant, il résiste, car il est désormais subjugué par le flux des événements de l’après-vie et ne souhaite pas ce retour. » [note] Citation de R. Moody, La vie après la vie, p. 36-37. On remarque la similitude avec le mythe d’Er que Platon relate dans le dixième livre de La République. Un soldat meurt, visite le pays des morts et revient. Tous les détails observés par Moody sont présents : décorporation, vue d’en haut, vision panoramique et rencontre avec des êtres surnaturels. Cette citation est reprise de mon livre sur la réincarnation(Florent Varak, La réincarnation, Éditions CLÉ).[/note].
Depuis la publication de ces ouvrages, des études scientifiques plus fines ont été menées pour décrire avec précision ce phénomène. Adrien Peyrache est neuroscientifique à l’université McGill, au Canada, où il dirige un laboratoire de recherche. Il note les constantes que l’on retrouve dans ce type d’expériences :
«  Ces travaux conduits par Helena Cassol, neuropsychologue et doctorante en sciences biomédicales, mettent en évidence 11 composantes : vision d’une lumière, rencontre avec des défunts ou avec un être mystique, hyperlucidité, narration de scènes, sensation d’être dans l’obscurité, expérience de décorporation (Out-of-Body Experience, ou OBE), impression d’être mort, souvenir d’événements de vie passés ou de prémonitions, sensation d’entrer dans l’expérience de mort imminente, retour de l’expérience de mort imminente, perception altérée du temps. » [note]  Adrien Peyrache, « Expériences de mort imminente : le quête d’une explication rationnelle », La Recherche, n° 540, octobre 2018, p. 60-64.[/note]

Les EMI : des expériences fiables ?

Ces expériences ne sont pas fiables dans le sens où elles ne décrivent pas ce qui se passe à la mort. Voilà pourquoi.
• Des expériences similaires sont vécues dans d’autres circonstances. Une personne sous anesthésie décrit un état analogue : « Après avoir été endormi – ce à l’éther ou au protoxyde d’azote, je ne sais plus – le garçon s’était retrouvé comme flottant près du plafond de la chambre ; au-dessous de lui, il se voyait lui-même, immobile, pendant que le praticien, aperçu de dos, se penchait sur son travail. » [note]Préface de P. Misraki dans l’ouvrage de R. Moody, La vie après la vie, p.10.[/note]
• Il existe d’autres conditions où l’état de la conscience est altéré : « Certaines expériences furent tentées, qui consistaient à provoquer une expérience métaphysique par une ingestion de LSD, afin d’aider les malades terminaux à transcender leur peur de la mort. Ainsi par exemple, Kast fit une première expérimentation contrôlée en 1966.
Du LSD fut administré à 80 patients souffrant de tumeurs malignes. 90 % des patients en retirèrent une conscience accrue du sens de leur existence, et changèrent radicalement leur approche de la mort.
[…] Étonnamment, [les chercheurs] observèrent aussi que la condition physique des patients qui avaient vécu ainsi une expérience transcendante s’était améliorée de façon spectaculaire. » [note]C. Hardy, L’après-vie à l’épreuve de la science, Éditions du Rocher, 1986, p. 48-49.[/note]

Il est vrai qu’à l’approche de la mort, et spécialement en cas de mort violente, des mécanismes physiologiques sont activés, donnant lieu à des sensations semblables à celles décrites plus haut. Les explications psychologiques sont également intéressantes, mais ne semblent pas convaincantes.
Un autre phénomène troublant est la «  couleur religieuse » de l’expérience. La mère d’un ami, de famille chrétienne, a vécu cet événement de la mort imminente selon une grille de références chrétiennes. Est-ce à dire que chacun voit la mort selon sa compréhension ?
Un auteur adepte de la réincarnation prétend : « Le mort qui reste lucide, qui ouvre ses yeux et ses oreilles, celui-là verra après quelque temps cette lumière devenir une divinité. Et là, il se passe une chose peu compréhensible mais qui prouve que tous les hommes, malgré leurs différences, sont les fils de la nature. En effet, un chrétien verra Jésus-Christ, un Juif apercevra Moïse, un musulman contemplera Mohamed, un Indien découvrira Bouddha, un athée verra Socrate, etc. […]
L’important est d’atteindre la lumière qui se trouve sur la montagne secrète, […] peu importe la pente que l’on gravit. » [note] P. Vigne, La réincarnation, sur les traces des vies antérieures : les preuves de leurs existences, Éditions de Vecchi, 1988, p. 112.[/note]

Cette belle « macédoine » religieuse incite à pencher vers l’hypothèse d’une projection. Les visions de nature spirituelle sont nombreuses et variées. Une femme de mineur d’une soixantaine d’années se mourait d’un cancer excessivement douloureux. En extase, semblant très heureuse, elle dit à l’infirmière dans un état de parfaite lucidité : « La Vierge Marie ! Comme elle est belle ! » [note] Adrien Peyrache,
op. cit.
, p. 63[/note] Si chacun voit ce à quoi il croit, comment peut-on penser être devant le véritable récit de la mort ? Et si tous sont revenus, c’est qu’aucun n’était vraiment mort !

Une étude scientifique invalide cette thèse des EMI

Peyrache note déjà que contrairement aux affirmations de la littérature (Moody en tête), il y a près de 20 % d’expériences négatives. Il ne faut donc pas déduire que la mort, telle que représentée par ces livres à succès, donne une image globale constante de ceux qui s’en seraient approchés. Il note aussi que pour plusieurs, ces expériences « constituent la preuve de l’existence d’une vie après la mort. Ce raisonnement ne repose sur rien de sérieux. Par définition, aucun de ceux qui ont rapporté un vécu d’expériences de mort imminente n’a connu la mort. “Tout vient d’une confusion entre les concepts de mort cérébrale, où le cerveau est devenu totalement inactif, et de mort clinique, laquelle se limite à la cessation de la respiration et de la circulation sanguine, laissant ainsi encore une chance de récupération”, explique Charlotte Martial. Ainsi, les EMI ne nous permettent-elles pas de tirer la moindre conclusion scientifique au sujet d’un au-delà. » [note] Adrien Peyrache, op. cit., p. 64.[/note]

Et la Bible ?

La Bible rapporte plusieurs cas de « ressuscitation » [note]À distinguer de la « résurrection » puisque ces individus sont repassés par la mort. La résurrection, selon la Bible, touchera croyants et non-croyants (Act 24.15), donnant un corps impérissable dans la présence de Dieu ou dans l’absence de Dieu.[/note] , sans que ne soient décrits le ressenti ou l’expérience des individus concernés. Cette sobriété du récit biblique est à mon sens un argument qui plaide en faveur de l’historicité des événements relatés. Nous aurions posé mille questions au sujet de ce qu’il y avait de l’autre côté, nous aurions rapporté la réponse à grand renfort de publicité et d’exagération ! Mais rien de cela. Seul le rapport du fait nous est laissé.

Voici quelques-unes des ressuscitations miraculeuses, spectaculaires, que rapporte la Bible :
• trois dans l’A.T.  : le fils de la veuve de Sarepta (1 Rois 17.17-22) ; le fils de la Sunamite (2 Rois 4.18 -37) ; et l’homme dont le corps touche les os d’Élisée (2 Rois 13.20-21) ;
• trois dans les Évangiles : la fille de Jaïrus (Marc 5.35 -42) ; le fils de la veuve de Naïn (Luc  7.12 -15)  ; Lazare (Jean  1.38-44) ;
• une dans le livre des Actes : Tabitha (Act 9.36-41).

Absolument rien ne transparaît de leur expérience.
L’accent est tout entier placé sur la vie accordée, sur le réconfort des proches, sur la puissance de Dieu, sur la foi en Christ, auteur d’une restauration complète par l’Évangile.
Nous sommes tellement curieux sur l’au-delà ! Mais la Bible ne joue pas sur notre imagination et concentre l’essentiel de notre attention sur « ici et maintenant », avec seulement quelques brèves descriptions ou anticipations de la vie au-delà du voile (cf. 1 Cor 15 ; 2 Cor 4-5 ; 12 ; Apoc 6…).
Cela doit nous inviter à la plus extrême prudence devant ceux et celles qui mettent en avant des voyages extraordinaires dans l’au-delà. Le monde spirituel n’est pas neutre (2 Cor 11.14). La fraude est fréquente, même parmi ceux qui se réclament d’une spiritualité « chrétienne ».
Il serait tragique de compter sur les EMI pour affronter la mort, quand elles ne sont que le fruit de l’imagination ou de conditions physiologiques non identifiées par la médecine. Mieux vaut considérer la vie, la mort et la résurrection de Jésus-Christ – résurrection qui est un événement historique attesté ! À la sœur de Lazare, mort et enterré et qu’il ressuscitera peu de temps après, Jésus dit, pour notre réconfort et notre assurance : « Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, même s’il meurt ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? » (Jean 11.25-26).


Au milieu d’une discussion longue et détaillée sur la résurrection dans 1 Corinthiens 15, Paul lance une phrase déroutante :
«  Autrement, que feraient ceux qui se font baptiser pour les morts  ? Si les morts ne ressuscitent absolument pas, pourquoi se font-ils baptiser pour eux ? » (1 Cor. 15.29)

Dans un chapitre remarquable pour son argumentation claire et soignée, ce verset se démarque. L’église de Corinthe a certainement eu sa part de pratiques douteuses, mais baptiser au nom des morts semble étrange, même pour eux. Paul y fait juste allusion, sans expliquer ce qui se passait à Corinthe. Est-ce une pratique que l’Église devrait mettre en œuvre aujourd’hui ? Paul ne la condamne pas. Que devrions-nous alors penser ?
Il est difficile de dire exactement ce que faisaient les chrétiens de Corinthe.
La mention rapide du baptême pour les morts par Paul ne fournit pas beaucoup d’informations. Il n’est pas étonnant que les spécialistes estiment que plus de 200 théories différentes ont été proposées.

Les quatre interprétations les plus largement acceptées

1. Théorie du remplacement

Les personnes baptisées au nom des morts remplaceraient les saints de la congrégation qui sont décédés. Pour utiliser l’imagerie militaire : lorsqu’un soldat tombe, un autre se lève pour prendre sa place.

2. Théorie de l’évangélisation

Ils seraient baptisés en l’honneur de quelqu’un dont les prières ou l’évangélisation les ont amenés à la foi. Par exemple, peut-être que votre grand-mère a prié pour votre salut pendant toute votre jeunesse, et que vous êtes devenu chrétien après sa mort. Selon cette théorie, le baptême pour les morts signifierait simplement que vous honorez le rôle de votre grand-mère dans votre salut.

3. Théorie du baptême par procuration

Si une personne était en train de devenir membre de l’église et qu’elle est décédée avant de pouvoir être baptisée, quelqu’un pourrait se porter volontaire pour être baptisé en son nom. Pourquoi ? Probablement à cause d’une idée erronée selon laquelle le baptême est un rite mystique nécessaire à la vie éternelle.
Peut-être croyaient-ils que le salut ne serait pas possible pour une personne qui mourrait sans être baptisée, sauf si une personne vivante était baptisée à sa place.
En faveur de ce point de vue, l’expression « pour » les morts semble indiquer un type de baptême par procuration ou par substitution. Mais ce point de vue se heurte à des questions difficiles :
• Pourquoi les chrétiens de Corinthe auraient-ils une pratique particulière du baptême, qui ne serait mentionnée nulle part ailleurs dans la Bible ?
• Pourquoi Paul ne condamne-t-il pas cette pratique si elle n’est pas théologiquement correcte ?
• Pourquoi Paul ne recommande-t-il pas ou n’explique-t-il pas cette pratique si elle est bonne ?

4. Théorie du baptême à la hâte

Jean Calvin a avancé un argument solide contre la théorie du baptême par procuration, en affirmant que Paul n’aurait pas manqué de réfuter une vision aussi erronée du baptême. Après avoir reproché aux Corinthiens tant de péchés et d’erreurs, Paul ne passerait pas sous silence cette étrange pratique.
Calvin pensait que Paul faisait référence à un baptême normal et trinitaire. Pourquoi employait-il alors l’expression « baptisé pour un mort » ?
Calvin soutenait que si un nouveau converti se préparait à devenir membre de l’église et tombait malade au point que la mort semblait imminente, il pouvait demander à être baptisé sans avoir terminé sa préparation.

Devrions-nous baptiser pour les morts ?

Quel que soit le point de vue que nous trouvions le plus convaincant, ce qui nous laisse le plus perplexe à propos du baptême pour les morts, c’est que Paul ne le condamne ni ne l’approuve. Cela n’implique pas pour autant que nous ne puissions pas comprendre ce que Paul enseigne. Le silence de Paul nous laisse perplexes, mais il est aussi instructif. Ce qu’il dit ne concerne pas vraiment le baptême pour les morts.
Paul reconnaît simplement l’existence de la pratique, quelle qu’elle soit, et l’utilise pour construire une argumentation.
Nous devons considérer tout le chapitre pour comprendre cette argumentation.
Paul commence par défendre l’historicité de la résurrection de Jésus. Ensuite, il répond à ceux qui nient la résurrection, en leur demandant comment ils peuvent le faire si le Christ est ressuscité. Il énumère ensuite les résultats de la résurrection du Christ : les morts seront ressuscités, et le Christ reviendra pour établir son royaume et vaincre la mort une fois pour toutes. Paul présente des arguments supplémentaires en faveur de la résurrection, puis il mentionne le baptême des morts au verset 29.
Quand on arrive à ce verset, c’est comme si Paul disait : « Si les arguments précédents ne suffisent pas, voici encore une raison de plus de croire en la résurrection des morts ! » Le but de Paul n’est pas de condamner ou de louer cette pratique. Il veut simplement souligner que sans la résurrection, la pratique est absurde. Encore une fois, c’est comme s’il disait : « Si vous ne croyez pas en la résurrection, pourquoi baptiser au nom des morts ? Votre pratique est en contradiction avec votre croyance ! » Paul veut que nous reliions constamment notre foi et notre pratique.
S’il n’y avait pas de résurrection, alors la vie devrait être vécue à la poursuite de plaisirs passagers, et non au service du Christ. Pourtant, comme Paul l’a déjà affirmé, Christ est ressuscité – et les croyants peuvent être sûrs qu’ils le seront aussi. Si nous doutons de la résurrection, si nous vivons en contradiction avec la résurrection, si nous vivons comme si cette vie était tout ce que nous avions, alors Paul exhorte les Corinthiens, et nous, à ne pas nous laisser tromper (1 Cor 15.33).

Il est clair que non

Les églises devraient-elles donc baptiser pour les morts ? Non. Paul ne recommande pas implicitement cette pratique (et nous ne savons pas avec certitude ce que faisaient les Corinthiens, donc nous ne pourrions pas les imiter même si nous le voulions).
La remarque de Paul n’a rien à voir avec la justesse ou la fausseté de ce que faisaient les Corinthiens. Son enseignement porte plutôt sur l’espérance de la vie éternelle, qui nous appartient par la foi, car Jésus a vaincu la mort.

Source : Les chrétiens devraient-ils baptiser pour les morts ?
https://evangile21.thegospelcoalition.org/article/les-chretiens-devraient-ils-baptiser-pour-les-morts/

 


Cet article est déjà paru sur le périodique Le Lien Fraternel de mars 2018. Il est reproduit avec l’aimable autorisation de l’Association évangélique d’Églises baptistes de langue française et de son auteur.
La traduction de la Bible utilisée dans cet article est la Segond 21.

Le chapitre 2 de l’Exode nous parle d’une attente, une très longue attente.
Dieu, qui a adressé des promesses saisissantes à son peuple, Israël, semble prendre son temps pour les accomplir. Comment Dieu révèle-t-il son caractère et ses projets dans nos temps d’attente ?

Dieu délivre

Le contexte de notre chapitre est terrifiant : un pharaon cruel ordonne de supprimer tous les enfants mâles des Hébreux (cf. ch. 1). Or une mère, qui reste anonyme ici, va faire un geste qui, à coup sûr, lui a terriblement coûté. Qui peut imaginer laisser son enfant dans une « caisse de joncs » (2.3) sur un fleuve ? Mais l’histoire se termine bien — en tout cas, aussi bien que possible vu les circonstances. La maman devra renoncer à ses prérogatives de mère, mais elle aura le réconfort de voir son garçon grandir, et de le savoir protégé. Son bébé va non seulement être sauvé du massacre, mais encore être accueilli et élevé dans la famille du pharaon.

C’est un retournement de plus dans une histoire qui en compte beaucoup. Dieu préserve l’enfant, Moïse. Mais c’est une délivrance discrète, à petite échelle. Dieu utilise une fois de plus des gens modestes. Une maman anonyme dont l’amour déborde au point d’avoir recours
à une solution presque inimaginable. Une grande sœur pleine de courage qui va oser, elle fille d’esclaves, s’adresser à rien moins que la fille du pharaon, et lui proposer une nourrice (2.7).

Dieu aime utiliser des gens ordinaires pour accomplir ses projets. On ne cesse de le voir dans les Écritures. C’est un rappel pour nous, gens ordinaires à qui Dieu confie une mission extraordinaire, unique : être les porteurs de son message de réconciliation avec le monde.

Le texte évoque ensuite une deuxième délivrance. Moïse, qui se découvre une nouvelle solidarité avec le peuple hébreu, tue un Égyptien qui maltraitait un Hébreu, et doit se cacher pendant des années dans un pays étranger (2.15). Une fois de plus, sa vie est menacée par le pharaon qui, pourtant, est en quelque sorte son grand-père adoptif. On peut imaginer le déchirement pour celui qui a été élevé à la cour. Pourtant, si cette fuite peut paraître honteuse, elle sera en réalité salutaire. Dieu va à nouveau protéger Moïse des attaques du pharaon, le « cacher », comme il avait été caché par sa mère après sa naissance.

Mais Israël continue de souffrir. La fin du chapitre le confirme d’ailleurs explicitement : « Les Israélites gémissaient du fond de l’esclavage, ils poussaient des cris » (2.23). L’attente d’une délivrance à grande échelle perdure. Mais à petite échelle, dans la vie de Moïse, Dieu montre qu’il est un libérateur. Et s’il libère Moïse par deux fois, c’est parce qu’il veut utiliser Moïse pour libérer tout son peuple.

Dieu n’a pas changé. Aujourd’hui encore, il est le Dieu libérateur. Nous qui sommes chrétiens, nous affirmons que nous avons été « sauvés », délivrés par Dieu du pire esclavage qui soit : celui du péché et de la mort, celui d’une vie vécue loin de Dieu. Ainsi parle Paul (Gal 4.7) : « Tu n’es plus esclave, mais fils ; et si tu es fils, tu es aussi héritier de Dieu par Christ. » Peut-on imaginer meilleur destin que celui-ci ? Y croyons-nous vraiment ? Pouvons- nous proclamer avec force que Dieu nous a délivrés, quelles que soient nos circonstances
aujourd’hui ?
Dans notre quotidien également, nous assistons plus souvent que nous ne voulons le reconnaître à des délivrances à petite échelle qui nous rappellent le caractère de Dieu. Combien de fois Dieu nous a-t-il délivrés d’une situation difficile ? Combien de fois nous a-t-il relevés alors que nous étions abattus, voire effondrés ?
Dieu est le Dieu qui délivre. Et lorsqu’il nous fait attendre, cela ne l’empêche pas de se manifester dans nos vies comme le Dieu qui délivre.

Dieu prépare

Le chapitre 2 de l’Exode nous présente pour la première fois Moïse qui va devenir, après Dieu, le personnage-clé de tout le livre. Le chapitre 3 décrira son appel. Mais ici se dessine plutôt sa formation, sa longue formation. Dieu l’a préparé d’abord, bien sûr, en permettant qu’il soit sauvé des eaux. Ensuite, même si le texte ne s’y attarde pas ici, le Nouveau Testament confirmera que Moïse a été formé au sein de l’élite égyptienne : « Moïse a été formé avec toute la sagesse des Égyptiens » (Act 7.22, cf. aussi Héb 11.26). Fils de la fille de Pharaon, Moïse a indubitablement reçu ce qu’il y avait de meilleur en Égypte. Mais Dieu a aussi fait un travail dans son cœur : « Une fois devenu grand, Moïse sortit vers ses frères et vit leurs pénibles travaux » (2.11). Moïse considère les Hébreux comme « ses frères ». Il s’identifie au peuple hébreu. Cette évolution de son « identité » va prendre un tournant dramatique lorsqu’il assassine l’Égyptien (2.12). Le texte ne se prononce pas sur le geste de Moïse. Mais ce meurtre confirme définitivement le basculement d’identité de Moïse. En prenant parti pour un Israélite contre un Égyptien, il a choisi son camp, même si ce camp se méfie encore de lui (2.14). Et Dieu continue à préparer Moïse à devenir le libérateur de son peuple. La dernière étape de cette préparation se fera dans la fuite au pays de Madian, sans doute quelque part sur la péninsule arabique.
Moïse a définitivement renoncé à la gloire de l’Égypte. Il vit en immigré (2.15), serviteur d’un prêtre, Réouel. Moïse va passer près de quarante ans (cf. 2.21 ; Act 7.23) dans cette situation entièrement nouvelle, très loin des palais égyptiens. Le début du chapitre 3 nous indique qu’il travaille tout simplement comme berger, lui qui était promis à un avenir dans la noblesse égyptienne. On peut supposer que Moïse a mûri pendant ce temps. Il a appris l’humilité, la simplicité, et s’est sans doute débarrassé des réflexes de privilégié qu’il avait pu acquérir en Égypte.
Chacun d’entre nous est certainement « en attente » de quelque chose: une meilleure situation professionnelle, la fin d’un conflit, une guérison, la rencontre d’un futur conjoint. En tant que chrétiens nous attendons en particulier que notre amour pour Dieu grandisse, que notre foi soit plus ferme, que nos hésitations laissent place à une plus grande confiance en lui. Moïse attendra quarante années. Mais tout au long de cette attente, Dieu l’a formé. Vous me direz : « Oui, mais je n’ai pas la même vocation que Moïse. » C’est vrai. Mais la nôtre n’est pas moins glorieuse. Elle l’est même plus, si j’en crois le Nouveau Testament. Nous chrétiens sommes invités à être porteurs d’une parole qui libère les hommes et les femmes de l’oppression d’une vie vécue sans Dieu, du péché, du mal, de la futilité et de la mort. Dieu nous appelle tous à être au service de la plus grande des causes. Peut-être devons- nous, nous aussi, laisser Dieu nous libérer douloureusement ? Nous libérer des espérances qui nous animent aujourd’hui et qui sont peut-être de fausses espérances ou des choses qui détournent notre attention de l’essentiel ? Les épreuves et les attentes que nous vivons pourraient-elles être des temps de formation personnalisée que Dieu nous réserve afin de nous amener à une vraie liberté, une vraie joie, une vraie paix que nous n’imaginons pas ?
Dieu a préparé Moïse. Cela a duré très longtemps. Mais ce n’était pas en vain. Dieu met à part. Dieu prépare. Et enfin, Dieu entend.

Dieu entend

Ce qui rend l’attente difficile, c’est de ne pas savoir « jusqu’à quand ». Nous avons tous à l’esprit des sujets de prière que nous portons depuis longtemps. Au-delà de nos sujets personnels, notre maturité dans la foi nous pousse à prier plus largement pour que Dieu intervienne non seulement dans nos vies, mais dans le monde entier : qu’il essuie les larmes, qu’il mette fin à l’oppression et au mal, qu’il balaye la mort pour toujours.
L’une des premières exclamations des chrétiens était une expression araméenne, « Maranatha ! », « Viens, Seigneur ! ». Que ton règne vienne sur la terre comme au ciel ! Délivre-nous du mal ! Et face à une attente qui dure, qui dure, la Bible elle-même nous invite à crier vers Dieu : « Jusqu’à quand, Seigneur ? ». Ce n’est pas un cri amer ou rebelle, mais un cri de dépendance et de foi : « Seigneur, tu as les clés de cette situation. Tu as les clés de l’Histoire. Je sais que tu vas intervenir.
Jusqu’à quand me feras-tu attendre ? » Dans l’histoire de Moïse, l’attente a été très longue : « Longtemps après, le roi d’Égypte mourut » (2.23). Or, cette mort a-t-elle apporté la délivrance tant espérée ? Eh bien non. Après le pharaon cruel, il y a un autre pharaon cruel.
Depuis la mort de Joseph, un long temps s’est écoulé (12.40-41) ! C’est interminable ! Mais au moment décidé, Dieu a entendu la prière de son peuple. « Dieu entendit leurs gémissements et se souvint de son alliance avec Abraham, Isaac et Jacob. Dieu vit les Israélites, il comprit leur situation » (2.24-25). L’attente faisait partie de ses projets. Et au moment choisi, il a agi en fonction de l’engagement qu’il avait pris de faire des descendants d’Abraham son peuple, de les bénir, de leur donner une terre, de les sauver. « Dieu […] se souvint de son alliance avec Abraham, Isaac et Jacob. »
Tout au long de l’Ancien Testament, même dans les périodes les plus sombres, cet engagement solennel de Dieu refait surface régulièrement. Ce n’est pas pour rien qu’il a affirmé qu’il sauverait son peuple, et qu’en définitive il sauverait tous les peuples. Les périodes d’attente ont du sens. Elles sont l’occasion pour Dieu d’écrire une histoire beaucoup plus riche et profonde.
Quand Jésus est venu, beaucoup ne l’attendaient même plus vraiment. Beaucoup avaient oublié la promesse d’un Sauveur, d’une délivrance pour toutes les nations, d’une réconciliation avec Dieu. Mais Dieu a tenu sa promesse. Et il a fait beaucoup plus et mieux que personne n’aurait imaginé. Dieu n’oublie pas ses promesses. Et il répond, parfois quand on ne s’y attend même plus.
Or si nous avons confié notre vie à Jésus-Christ, nous avons reçu cette promesse : « Tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qui sont appelés conformément à son plan » (Rom 8.28). Même les attentes que nous ne comprenons pas sont utilisées par Dieu pour notre bien. De même que Dieu n’a pas oublié la promesse faite à Abraham, il n’oubliera pas ses promesses faites en Jésus-Christ.
En Jésus-Christ, Dieu nous a promis une nouvelle identité, le pardon de toutes nos fautes, son Esprit qui change notre cœur, une nouvelle famille, l’Église, la puissance de résurrection par laquelle il a ressuscité Jésus et par laquelle il nous fera, nous aussi, sortir un jour du tombeau.
Prenons conscience de la force saisissante de tout cela et nous comprendrons que les attentes que Dieu nous fait subir ne sont pas vaines ! L’histoire qu’il écrit est parfaite. Il a fait attendre Abraham. Il a fait attendre Moïse. Il a fait attendre Israël. Il nous fait attendre aujourd’hui. Mais dans cette attente, il nous délivre déjà. Il nous prépare chaque jour. Il entend nos cris. Et il agira, parce que rien ni personne ne pourra nous ôter son amour (Rom 8.38-39).

 


« Je vous ai enseigné avant tout, comme je l’avais aussi reçu, que Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures ; il a été enseveli, et il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures » (15.3-4).
Si l’on devait retenir un seul texte de cette longue lettre aux Corinthiens, ce serait peut-être celui-ci puisque, par l’expression « avant tout », Paul lui-même le met bien en évidence. Jésus-Christ, mort et ressuscité selon les annonces faites dans l’A.T., est le cœur de l’évangile.
Dans les quatorze chapitres qui précèdent ce verset, l’apôtre a abordé de nombreux sujets. Plusieurs seront détaillés à travers ce numéro : la discipline ecclésiastique, le mariage et le célibat, le repas du Seigneur, le parler en langues. Tous ces thèmes sont importants à leur place — mais seulement à leur place, qui n’est pas la place centrale.
La place centrale revient « avant tout » à Jésus-Christ. Nos prédications, nos études bibliques, nos lectures personnelles, nos pensées doivent « avant tout » commencer par lui, être centrées sur lui, nous ramener à lui — et alors tout le reste prendra sa vraie place.


« Que chacun se soumette aux autorités qui nous gouvernent, car toute autorité vient de Dieu. » (Rom 13.1)  « Que chacun se soumette aux autorités qui nous gouvernent, car toute autorité vient de Dieu. » (Rom 13.1)  

« À cause du Seigneur, soumettez-vous à toutes les institutions établies parmi les hommes. » (1 Pi 2.13)

Dans la bouche de Paul et de Pierre, ces deux impératifs appellent la soumission à toutes les autorités, sans condition ni interprétation possible du texte.

Dans les temps troublés que traversent nos sociétés, un individualisme exacerbé se développe et refuse, parfois ouvertement, toute autorité contraignante. Alors la perte des repères traditionnels, la violence des relations et le sentiment d’insécurité peuvent conduire à souhaiter un pouvoir, voire un homme, fort, capable de faire respecter la loi et l’ordre. La tradition légitimiste des chrétiens et le soutien de l’Église historique aux pouvoirs en place peuvent nous amener à manquer de discernement en donnant un caractère absolu et sans nuance à ces textes. Plusieurs raisons liées notamment à l’approche biblique du sujet de l’autorité invitent toutefois à la vigilance et à l’équilibre dans les choix éthiques liés à la soumission.
Afin d’éclairer la proposition d’une approche vigilante et peut-être moins inconditionnelle de la soumission, nous nous livrerons à un parcours très sommaire dans l’histoire de la royauté en Israël. Nous chercherons ensuite, dans la vie et les paroles de Jésus, quelques leçons sur l’autorité. L’exercice de celle-ci n’étant ni arbitraire ni absolu, nous essaierons d’en dégager le cadre biblique.

Un rapide parcours biblique

• L’origine

L’autorité souveraine et absolue est toujours la prérogative de Dieu et de lui seul (Job 33.12,13 ; Act 1.7 ; 1 Tim.6.15 ). L’homme n’a de liberté d’agir ou d’exercer une autorité sur d’autres que dans le cadre d’une délégation et dans la dépendance de Dieu (Gen 1.26, 28 ; 2.15-17 ; Jean 19.10,11). Le refus de la créature de dépendre de Dieu son créateur provoque en l’humain un esprit de convoitise et de toute-puissance, une volonté de domination de l’autre jamais satisfaite (Gen 3.16 ; 4.23) et la tentation d’usurper arbitrairement une autorité vite transformée en pouvoir autoritaire.

• La faillite de la royauté en Israël

La royauté en Israël est une initiative du peuple qui ne correspond pas au plan de Dieu. Le peuple manifeste le rejet de l’autorité divine et la volonté de se conformer aux nations voisines, même au risque d’y perdre sa liberté. Dieu accepte mais avertit le peuple et prévoit des contre-pouvoirs (la loi et le prophète) : le roi n’est pas au-dessus de la loi (dix commandements, Torah) et la présence des prophètes et des sacrificateurs évoque déjà une séparation des pouvoirs (Lire Deut 17.8-20 ; 28.36 et 1 Sam 8).
Le livre des Juges donne une illustration saisissante avec la demande des hommes d’Israël à Gédéon : « Domine sur nous […] et Gédéon leur dit : Je ne dominerai point sur vous […] l’Éternel dominera sur vous » (8.22,23). Malgré la prophétie de Jotham et la belle parabole des arbres et de l’épine, le peuple qui oublie son Dieu (8.34) n’hésite pas à confier son avenir à Abimélec, usurpateur sanguinaire. Le premier roi en Israël, autoritaire et violent, termine son règne dans les massacres de la première guerre civile.
Le long règne de Salomon, si bien commencé, se termine mal. Son fils Roboam ne comprend pas l’appel du peuple et le conseil des vieillards : 1 Rois 12 : « ton père a exercé une dure domination sur nous […] toi allège le dur service […] deviens serviteur de ce peuple ». Il n’écoute pas son peuple et préfère imposer une royauté plus autoritaire que son père. Ce sera l’origine de la division du peuple.
À la fin de l’histoire de la royauté en Juda, les prophètes Jérémie (22 et 23) et Ézéchiel (34) avertissent les souverains et les invitent à régner en justice, comme des serviteurs et des bergers de leur peuple.

Jésus et l’autorité, la vraie nature de l’autorité

La vie et la condamnation du Seigneur Jésus illustrent remarquablement la question de l’autorité

• La vie de Jésus met en évidence les deux points d’appui d’une vraie autorité

– Une légitimité conférée par la loi ou une autorité supérieure : Jésus est reconnu par Dieu lui-même publiquement : « Celui-ci est mon Fils bien aimé, en qui j’ai trouvé mon plaisir : Écoutez-le » (Mat 3.17 ; 17.5). Il montre sa puissance sur les esprits (Luc 4.36) et sur les éléments (Mat 8.27),
– Une qualité morale qui donne sa crédibilité à l’autorité : Jésus n’a jamais revendiqué l’autorité ou le pouvoir pour lui-même ni agi de manière autoritaire. L’autorité de Jésus repose sur une qualité morale irréprochable et une cohérence sans faille entre ses actes et sa parole ; elle se révèle dans le service, l’enseignement (Act 1.1 ; Mat 7.29) ; les paroles (Luc 4.32) ; l’attention et le respect des plus petits Elle s’impose sans autoritarisme comme une évidence (cf. appel des disciples Mat 9.9).     Jésus montre ainsi que l’autorité véritable n’a besoin ni d’attitude de persuasion, ni d’une position hiérarchique, ni de manipulation, ni de menace ou de recours à la force pour être reconnue et respectée.

• Jésus et les autorités de son temps

Les responsables religieux et civils de son temps se sont constamment confrontés à Jésus. Un homme dont l’autorité vraie et désintéressée mettait en évidence les dérives de l’autorité devenue un pouvoir au service de ceux qui le détiennent (Mat 23).
Très tôt les « autorités » religieuses ont cherché à se débarrasser de lui, n’hésitant pas pour cela à se compromettre avec des autorités civiles et militaires honnies, pour faire aboutir leur projet. Les unes et les autres se montrent alors capables d’agir au mépris de toute justice.
Devant les prétentions et l’opposition des autorités, religieuses en particulier, Jésus fait preuve de dignité, de courage et d’une résistance à tout ce qui entrave son ministère. Contrairement à ce qui a trop souvent été le cas de l’Église professante et des institutions religieuses, Jésus se place du côté des humbles et non du pouvoir en place et des puissants.
Les paroles et l’exemple du Seigneur nous invitent alors à une réflexion sur l’exercice de l’autorité et sur les conditions et limites de la soumission.

Autorité et soumission dans les différents types de relations

Dans chaque type de relation, l’invitation claire à la soumission est toujours accompagnée d’avertissements qui limitent l’exercice de l’autorité pour prévenir les dérives autoritaires et leur cortège d’injustices, d’abus et de maltraitance :

•   Dans le couple, la domination de l’homme sur la femme est le résultat du péché (Gen 3.16). L’homme et la femme sont chacun au service de l’autre dans un respect libre et réciproque (1 Cor 7.3-4) ; l’invitation faite aux femmes de se soumettre à leur mari est très soigneusement encadrée par le rappel de la soumission réciproque de chacun des conjoints et l’invitation insistante à un amour sans faille à l’image du Christ pour l’Église (Éph 5.21-33).

•   Dans la famille, l’autorité du père est pleinement reconnue ; elle est indispensable au développement harmonieux de la personnalité de l’enfant et à son éducation dans le Seigneur. La Bible lui fixe des limites avec l’invitation à la douceur (1 Tim 3.3), à ne pas décourager, provoquer ou exaspérer la fragilité de l’enfant (Éph 6.4 et Col 3.21).

•   Dans l’Église, le Seigneur Jésus, chef de l’Église, appelle des pasteurs / bergers, des anciens / surveillants ; il leur confère une autorité pour prendre soin de son troupeau et le protéger des doctrines erronées ou perverses (Act 20.28-31), de désordres moraux, des querelles vaines, des verbeux et des cupides (Tite 1.10,11) et de ceux qui veulent être les premiers (3 Jean 9). Les textes sont nombreux pour montrer l’importance de ce service et inviter les fidèles à la reconnaissance et à la soumission aux anciens (1 Tim 3-5 ; Tite). En même temps, les responsables sont mis en garde contre tout autoritarisme : l’édification est le seul but de l’autorité dans l’Église (2 Cor 10.8 ; 13.10) ; la délicatesse et la douceur caractérisent les responsables (1 Tim 5.1-3) ; ils ont des comptes à rendre (Héb 13.17) et ne doivent pas être dominants (1 Pi 5.3). L’exercice collégial des responsabilités devrait éviter le pouvoir personnel abusif.

•   Dans les relations professionnelles, les conditions de chaque époque ne permettent pas d’appliquer sans contextualisation aux employés d’aujourd’hui les exhortations adressées aux esclaves de l’antiquité gréco-romaine. Il est toutefois possible de retenir trois points significatifs : ­
-l’encouragement à la soumission et au respect du maitre, ­
-l’invitation à assurer tout service ou activité comme serviteur du Seigneur, dans la liberté intérieure d’un cœur dont Dieu demeure le motif premier, ­
-la réciprocité demandée aux employeurs avec l’interdiction de toute menace et injustice dans leur management (lire Éph 6.5-9 ; Col 3.22-4.1 ; Jac 5.4)

•   Dans les institutions civiles, tout en commandant la soumission à toutes les institutions établies, l’apôtre Pierre invite les croyants à se comporter en hommes libres. La liberté est ici mise en avant comme premier caractère des serviteurs de Dieu et non comme prétexte à un laxisme immoral (1 Pi 2.13-17). Cette attitude est le fruit d’un engagement devant Dieu dans la dignité de la personne et non dans la peur d’une autorité contraignante dont il est à craindre qu’elle ne devienne de plus en plus liberticide.

Autorité et soumission se vivent dans un cadre donné par Dieu

Les observations qui précèdent permettent de dégager quelques points de cadrage bibliques pour l’exercice de l’autorité :
• Dieu est souverain, unique source de l’autorité et objet premier et dernier de toute soumission. L’attitude du croyant est toujours devant Dieu d’abord (Deut 6.4,5 ;   Act 4.18-20) et à l’écoute de sa volonté.
• L’autorité n’est pas arbitraire mais soumise à un cadre légal : Dans l’Israël de l’Ancien Testament, la loi s’impose au roi comme à ses sujets (Deut 17.18-20). Aujourd’hui encore, de façon plus ou moins réussie, les États non tyranniques se présentent comme des États de droit.
• L’autorité est toujours au service de l’être humain pour son bien (Rom 13.4). Elle protège le plus faible de la loi du plus fort et permet le « vivre ensemble ». Elle n’est jamais au service d’une institution. Elle n’est pas une fin en soi, mais offre un cadre protecteur qui permet la croissance et vise à établir chacun dans sa liberté jusqu’à la maturité. Ainsi l’enfant mineur est soumis à l’autorité de ses parents ou d’un tuteur jusqu’à sa majorité (Gal 4.2).
• L’autorité et la justice sont indispensables à la vie collective (Ecc 8.11). Mais l’histoire biblique et l’histoire profane alertent continuellement sur le danger de dérive autoritaire vers le népotisme et le pouvoir personnel corrompu. L’utilisation de la force marque alors plutôt l’échec de l’éducation et de la transmission.
• Les paroles et l’exemple du Seigneur Jésus donnent l’antidote à cette tentation de la toute-puissance en montrant la vraie nature de l’autorité selon Dieu : que celui qui commande soit comme celui qui sert (Luc 22.26).

Le croyant et l’autorité, l’invitation à la soumission n’exclut pas la vigilance

• Le croyant est encouragé à ne pas se conformer à la pensée dominante formatée par des « influenceurs » et des média omniprésents, puis souvent traduite dans le Droit. Son intelligence est renouvelée en permanence pour discerner la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait. Le paragraphe introductif des chapitres 12 à 16 de la lettre aux Romains montre les caractères de la vie nouvelle dans l’Évangile et la puissance de l’Esprit. La soumission aux autorités (13.1-7) ne peut donc être inconditionnelle mais doit se vivre dans la vigilance et l’éclairage de ces textes.
•  Le Seigneur Jésus enseigne aux disciples, d’une part la primauté de la liberté de conscience devant Dieu (n’appelez personne votre père, un seul est votre chef, c’est le Christ) et d’autre part la vraie nature de toute autorité qui renonce à toute domination pour le service de l’autre dans l’humilité (Mat 23.8-12). Comme toujours il est important de ne pas esquiver la radicalité des paroles du Seigneur.
• Après la guérison de l’homme boiteux et la progression fulgurante de l’Évangile, les autorités religieuses interdisent aux disciples de parler ou d’enseigner au nom de Jésus. La réponse de Pierre et Jean établit d’abord un principe général : « Est-il juste, devant Dieu, de vous écouter, vous, plutôt que Dieu » avant de le décliner pour la situation du moment (Act 4.18-20).  Tous nos choix, notre éthique de vie (pas seulement la liberté d’annoncer l’Évangile) sont donc devant Dieu éclairés par sa Parole, avant toute soumission aux autorités.
• « Rendez à l’empereur ce qui est à l’empereur et à Dieu ce qui est à Dieu. » La réponse de Jésus au piège des religieux concerne le paiement de l’impôt (Marc 12.17). Il n’est pas du tout anodin que la première application que Paul tire du commandement de se soumettre aux autorités concerne le consentement à l’impôt et à son paiement (Rom 13.6,7). En particulier à une époque où évasion et fraude fiscales mettent en péril le budget des États, en appelons-nous à l’autorité seulement pour lutter contre les incivilités et l’insécurité ? La réponse de Jésus invite certainement d’abord à rendre à Dieu tout ce qui est à Dieu, manifestant là encore la primauté de la soumission à Dieu avant les autorités dans tous les aspects de la vie.

L’une des dernières paroles du Seigneur aux disciples nous servira de conclusion. Juste après le partage du repas et avant son arrestation, alors que déjà s’élevait entre eux le poison de la rivalité et de l’ambition : « Les rois des nations les dominent et ceux qui exercent le pouvoir se font appeler bienfaiteurs. Que cela ne soit pas votre cas […] que celui qui commande soit comme celui qui sert ? MOI, je suis au milieu de vous comme celui qui sert. » (Luc 22.24-30 – Colombe).


1) Une famille de trois mots

Le mot « autorité » apparait une quarantaine de fois dans le Nouveau Testament NEG. Mais le mot original exousia apparaît deux fois plus souvent dans le texte original du N.T. Cette différence est due au fait que ce mot exousia est traduit en français par des mots très variés : autorité, mais aussi droit, pouvoir, puissance, possibilité, autorisation, juridiction, gouvernement.Pour mieux comprendre ce que le mot autorité représente dans le N.T., il est utile de repérer et étudier les versets qui contiennent ces différentes traductions du mot exousia (ce mot est référencé comme n°1849 dans la concordance « Strong »).Ce mot exousia n’est pas un solitaire ; il appartient à une famille de trois mots. Faisons connaissance avec cette fratrie.

2) Exesti

Le verbe impersonnel exesti signifie : il est permis, il est possible. Ce mot exprime :
• une permission générale, accordée ou non par une autorité (Jean 18.31) ;
• ou bien une permission personnelle spéciale (Act 2.29 ; 21.37 ; = permettez-moi de vous dire…) ;
• ou bien encore une permission qu’on se donne à soi-même (1 Cor 6.12).

3) Exousiazo

Le verbe exesti a fourni le nom exousia qui a fourni à son tour le verbe exousiazo, exercer une autorité, contrôler, maîtriser, dominer.Un texte prend un relief intéressant quand on y repère exesti et exousiazo :« …tout m’est permis (exesti), mais je ne me laisserai pas asservir (exousiazo) par quoi que ce soit » (1 Cor 6.12).Traduction libre : « …j’ai le pouvoir (= la permission, l’autorité) de tout faire mais je ne laisserai rien prendre le pouvoir (= le contrôle, l’autorité) sur moi ».

4) Exousia

Exousia indique d’abord la liberté d’action qui résulte d’une permission, cette liberté devient un droit (Jean 1.12 ; 1 Cor 9.5-6 ; 2 Thes 3.9) ou une autorisation. Paul avait ainsi la permission de la part des principaux sacrificateurs d’arrêter des chrétiens (Act 9.14). Cela lui a donné l’autorité légitime pour les persécuter. Puis il a reçu du Seigneur une permission / autorisation / autorité pour construire — et non démolir — l’Église (2 Cor 10.8 ; NBS) ; cela constituait son autorité d’apôtre.Le mot au pluriel désigne des personnages qui exercent l’autorité, comme en français « les autorités ». Il en existe sur la terre (les autorités civiles, Rom 13.1-2) et dans le domaine de Satan (les délégués de Satan, Col 1.13 ; 2.15).→ L’autorité au sens du N.T. insiste sur le statut ou le droit d’une personne, son domaine de compétence ou l’étendue géographique de sa compétence (juridiction, Luc 19.17 ; 23.7).

5) Conclusion

Un survol des textes du N.T. mentionnant l’autorité suggère les remarques suivantes :
• Les autorités spirituelles ont été dépouillées (Col 2.15) mais pas encore anéanties. Elles sont l’ancrage de la mauvaise autorité, mélange toxique de mensonge, de manipulation et d’orgueil ; cette autorité est nuisible, elle opprime, prive de liberté, appauvrit, vise la destruction et la mort (Jean 10.10).
• L’autorité du Seigneur a été renforcée par son œuvre parfaite ; elle est universelle et totale (Mat 28.18). Dieu a souverainement élevé son Fils Jésus-Christ ; il est digne de louange ! (Phil 2.9-11) Cette autorité est juste, bienveillante, bienfaisante, bénissante, stimulante, créatrice, créative, libératrice, progressiste. Elle donne un cadre où se développent la vie, la justice et l’amour. L’autorité divine est l’ancrage de l’autorité dans la famille chrétienne, dans l’Église, dans le Royaume de Dieu. Elle est le modèle pour l’enfant de Dieu.
• Le croyant reconnaît et reflète l’autorité divine. Il s’approprie les permissions que Dieu lui accorde et les mandats qu’il lui délègue. Sa capacité et son autorité viennent de Dieu (2 Cor 3.5 ; 10.8). Il reste humble comme le Seigneur (Phil 2.1-11) en attendant la récompense de Dieu (2 Tim 4.8).