PROMESSES

2 Corinthiens est une Épître paradoxale, car c’est une lettre à la fois bien connue et peu connue. Bien connue, car nous y trouvons nombre de versets familiers à beaucoup de lecteurs. En voici quelques-uns :
• « Notre capacité vient de Dieu. » (3.5)
• « Nous portons ce trésor dans des vases de terre. » (4.7)
• « L’amour de Christ nous presse. » (5.14)
• « Grâces soient rendues à Dieu pour son don merveilleux ! » (9.15)
• « Ma grâce te suffit. » (12.9)
• « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort. » (12.10)
Et nous pourrions allonger la liste — jusqu’au dernier verset, bénédiction souvent prononcée ou chantée en fin de culte : « Que la grâce du Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu, et la communion du Saint-Esprit, soient avec vous tous ! » (13.13).

Toutefois, la trame générale de la lettre reste souvent méconnue : Paul y traite d’abord et avant tout le sujet de la contestation de son ministère par les Corinthiens. Tout en poursuivant ce thème principal plutôt sombre, l’apôtre s’interrompt pour faire un développement annexe, ouvre une parenthèse, fait une application.
Cette trame est discernable y compris dans les parties les plus souvent lues.

Voici un exemple :
« C’est pourquoi, ayant ce ministère selon la miséricorde qui nous a été faite, nous ne perdons pas courage. Nous rejetons les choses honteuses qui se font en secret, nous ne nous comportons pas avec ruse, et nous n’altérons point la parole de Dieu. Mais en publiant la vérité, nous nous recommandons à toute conscience d’homme devant Dieu. Si notre Évangile est encore voilé, il est voilé pour ceux qui périssent, pour les incrédules dont le dieu de ce siècle a aveuglé l’intelligence, afin qu’ils ne voient pas briller la splendeur de l’Évangile de la gloire de Christ, qui est l’image de Dieu. Nous ne nous prêchons pas nous-mêmes ; c’est Jésus-Christ le Seigneur que nous prêchons, et nous nous disons vos serviteurs à cause de Jésus. Car Dieu, qui a dit : La lumière brillera du sein des ténèbres ! a fait briller la lumière dans nos cœurs pour faire resplendir la connaissance de la gloire de Dieu sur la face de Christ. » (4.1-6)
Les portions mises en rouge paraissent a priori incongrues et difficiles à interpréter si elles ne sont pas rattachées au thème général de la lettre. En la lisant, il nous faut donc changer de perspective et la voir avant tout comme un plaidoyer de Paul pour son ministère face à ses accusateurs. C’est le seul moyen d’en percevoir la cohérence et de correctement interpréter dans leur contexte nos versets préférés.

La situation de l’église de Corinthe

Les échanges entre Paul et les Corinthiens furent nombreux et complexes, donnant lieu à au moins 5 lettres et 5 visites[note]L’hypothèse d’une première lettre (« 0 » Corinthiens) et d’une troisième (« 1,5 » Corinthiens) est soutenue par de nombreux commentateurs. Cf. Craig Blomberg,  1 Corinthians, NIVAC, p. 22 ; Thomas Schreiner, 1 Corinthiens, MB, p. 38 ; David Garland, 2 Corinthians, NAC, p. 25-27. »[/note]. Le tableau page suivante tente de les résumer.

Les suites de la visite rapide de Paul

Lorsque Paul, depuis la Macédoine, rédige 2 Corinthiens, la situation de l’église s’est éclaircie.
Après lui avoir envoyé sa première lettre, Paul avait dû faire une visite rapide à Corinthe à partir d’Éphèse au cours de laquelle il avait fait face à une forte contestation. Qui s’était opposé à lui ? L’incestueux de 1 Corinthiens 5 ? Un des leaders de l’église ? En tout cas, Paul y fait allusion en affirmant qu’il lui a pardonné (2.5,10).
Après la réception d’une lettre sévère de Paul (7.8) et grâce au ministère de Tite, l’envoyé de l’apôtre, la réaction de l’église a été saine : elle a pris les mesures disciplinaires qui s’imposaient envers l’opposant de Paul : « Cette même tristesse selon Dieu, quel empressement n’a-t-elle pas produit en vous ! Quelle justification, quelle indignation, quelle crainte, quel désir ardent, quel zèle, quelle punition ! Vous avez montré à tous égards que vous étiez purs dans cette affaire. » (7.11)

Les super-apôtres[note]C’est ainsi que les versions NBS, S21, BFC, Semeur, etc., traduisent l’expression « les apôtres par excellence » de la NEG (11.5). [/note]

Malheureusement, un grave problème subsistait : l’église de Corinthe accueillait des enseignants qui contestaient le ministère de Paul. Il n’est pas facile de cerner avec précision qui ils étaient ni ce qu’ils enseignaient. Dans un sens, ce flou nous profite car il donne à la lettre un caractère général et la rend applicable dans une grande variété de situations, ce qui serait sans doute moins le cas si Paul avait été plus spécifique. Quoi qu’il en soit, l’objectif majeur de l’apôtre est de contrer leur influence toxique et d’avertir l’église.
Notons que Paul ne s’adresse jamais à eux, mais à l’église qui les a accueillis. Chaque église est responsable du leadership qu’elle suit et c’est à elle de prendre les mesures nécessaires.

D’où venaient les super-apôtres ?

• Ils étaient, semble-t-il, originaires de Palestine et non de Corinthe. Ils revendiquaient avec fierté leur judaïté : « Sont-ils Hébreux ? Moi aussi. Sont-ils Israélites ? Moi aussi. Sont-ils de la postérité d’Abraham ? Moi aussi. » (11.22)
• Sans doute plusieurs avaient-ils vu le Christ ressuscité et s’en glorifiaient-ils (cf. 5.16).
• Ils disposaient de lettres de recommandation plus ou moins authentiques (cf. 3.1 ; 10.12).
• Leur ministère n’était cependant pas validé par les vrais apôtres : la lettre circulaire rédigée en conclusion du concile de Jérusalem environ 7 ans auparavant précisait : « Ayant appris que quelques hommes partis de chez nous, et auxquels nous n’avions donné aucun ordre, vous ont troublés par leurs discours et ont ébranlé vos âmes… » (Act 15.24). Cette remise en cause ne les avait pas empêchés de sévir à Corinthe.
• Ils prétendaient être à Christ de manière spéciale (cf. 10.7). Peut-être étaient-ils les leaders du « parti de Christ » auquel Paul avait fait allusion en 1 Corinthiens 1.12.

Sous quelles influences étaient les super-apôtres ?

• Des influences juives : ils prônaient un retour vers la loi, méconnaissant le changement introduit par la nouvelle alliance (cf. 3.7-18).
• Des influences grecques : ils accordaient une grande importance à la forme et à la puissance rhétorique et ils méprisaient Paul dont ils jugeaient la présence faible et la parole méprisable (10.10).
• Des influences mystiques : ils se glorifiaient de révélations directes du Seigneur qu’ils auraient reçues (cf. 12.1).

Quelle était la conduite des super-apôtres ?

• Elle était intrusive : ils avaient subrepticement pénétré dans la sphère d’activité de Paul pour la récupérer à leur profit (cf. 10.15).
• Elle était dominatrice  : Paul constate  : «  Si quelqu’un vous asservit, si quelqu’un vous dévore, si quelqu’un s’empare de vous, si quelqu’un est arrogant, si quelqu’un vous frappe au visage, vous le supportez. » (11.20)
• Elle était cupide : dans l’Antiquité, plus un maître faisait payer ses élèves, plus son enseignement était jugé de qualité. Les exigences financières des super-apôtres étaient élevées, face à Paul qui avait annoncé gratuitement l’Évangile (11.7).

Quelle est l’opinion de Paul sur les super-apôtres ?

Le jugement de l’apôtre est très sévère : pour lui, ils sont de faux docteurs qui enseignent un évangile frelaté (cf. 2.17 ; 11.4). Il va même jusqu’à dire que de tels hommes sont « de faux apôtres, des ouvriers trompeurs, déguisés en apôtres de Christ », des ministres de Satan déguisés en ministres de la justice dont la « fin sera selon leurs œuvres » (11.13-15). À la lumière de ce texte, on peut se demander si, pour Paul, ces hommes ont vraiment la vie de Dieu…

La triple occasion de la lettre

En écrivant à l’église de Corinthe, Paul visait un triple but :
• Tout d’abord, il devait régler le problème lié à sa visite rapide et à sa lettre sévère : il devait affirmer qu’il n’avait pas de ressentiment, faire part de sa joie à l’écoute du témoignage de Tite lui rapportant que la situation avait été réglée et défendre son ministère face aux attaques.
• Ensuite, dans le cadre de la préparation de la collecte que Paul voulait ramener à Jérusalem, il devait stimuler les Corinthiens à être généreux, en instaurant une saine émulation entre les églises de Grèce, d’Achaïe et de Macédoine. Il devait également les rassurer sur la bonne gestion de la collecte.
• Enfin, il devait avertir fermement les Corinthiens par rapport aux super-apôtres. Il va ainsi se trouver dans la situation paradoxale d’être obligé de se défendre, sinon il sera accusé de faiblesse. Mais Paul est peu désireux de se mettre en avant, sinon il sera accusé de se vanter. Il est donc sur une crête très étroite et il s’en sort en disant en substance : « Vous voyez, je suis obligé de parler comme un insensé ; vous m’y contraignez parce que je suis obligé de me défendre mais je n’ai pas envie de me mettre en avant. » Grâce à cette astuce rhétorique, Paul met au jour le danger que représentent ces super-apôtres tout en préparant sa venue future, en demandant aux Corinthiens de prendre les mesures nécessaires contre eux.
Cette triple occasion de la lettre permet d’y distinguer trois grandes parties : ch. 1 à 7, 8 et 9 puis 10 à 13 (cf. plan en annexe).

Deux thèmes majeurs de la lettre

La Seconde Épître aux Corinthiens couvre moins de thèmes que la Première. Deux thèmes se détachent néanmoins particulièrement.

Des aspects uniques de Christ

2 Corinthiens présente de façon touchante et parfois unique des aspects de la personne et de l’œuvre de Jésus-Christ :
1. Christ est unique dans son sacrifice  :
• Il est la substitution pour nos péchés, comme l’affirme un des textes les plus profonds de toute la Bible : « Celui qui n’a point connu le péché, il l’a fait devenir péché pour nous, afin que nous devenions en lui justice de Dieu. » (5.21)
• En lui, nous trouvons ce que John Stott appelle à juste titre « l’auto-substitution de Dieu [note]John Stott, La croix de Jésus-Christ , EBV, 1988, p. 127-155.[/note]  » : « Dieu était en Christ, réconciliant le monde avec lui-même, en n’imputant point aux hommes leurs offenses. » (5.19)
2. Christ est unique dans son abaissement volontaire pour nous :
• Il s’est fait volontairement pauvre : « Vous connaissez la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, qui pour vous s’est fait pauvre, de riche qu’il était, afin que par sa pauvreté vous soyez enrichis. » (8.9)
• Il s’est fait volontairement faible : « Il a été crucifié dans la faiblesse. » (13.4, NBS)
3. Christ est unique, mais il peut être vu dans les siens :
• Les chrétiens sont transformés par la contemplation de sa personne : « Nous tous dont le visage découvert reflète la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image, de gloire en gloire, par l’Esprit du Seigneur. » (3.18)
• Les chrétiens, à la suite de Paul, peuvent suivre son exemple : « Moi Paul, je vous prie, par la douceur et la bonté de Christ » … (10.1).

Le ministère chrétien

Le second thème, trame principale de la lettre, est l’apologie du vrai ministère chrétien. Le vrai serviteur de Christ :
• Imite Jésus Christ en acceptant paradoxes et souffrances sans chercher son intérêt personnel : « Moi, très-volontiers je dépenserai et je serai entièrement dépensé pour vos âmes, si même, vous aimant beaucoup plus, je devais être moins aimé. » (12.15, Darby) ;
• Prêche la pure Parole de Dieu — ce qui, aujourd’hui, signifie rester fidèle à la Parole apostolique (cf. 2.17) ;
• Accepte les responsabilités pour combattre quand cela est nécessaire (10.4-6) ;
• Développe un cœur de berger en s’intéressant au collectif comme à l’individuel : « Je suis assiégé chaque jour par les soucis que me donnent toutes les Églises. Qui est faible, que je ne sois faible ? Qui vient à tomber, que je ne brûle ? » (11.28-29) ;
• Est équilibré en tout  : humble sans être servile, doux sans être faible, flexible sans être influençable (cf. 4.8-10 ; 6.3-10 ; 10.17).

L’impact de la lettre

Quels furent les effets de la lettre ? Ils sont peu explicites à la lecture du livre des Actes. À tout le moins, la collecte a dû être suffisante pour que Paul la porte à Jérusalem et le climat a dû être suffisamment paisible pour que Paul puisse rédiger l’Épître aux Romains pendant son séjour. Et puis Paul n’a pas jugé nécessaire, semble-t-il, de rédiger un « 3 Corinthiens » !
Au-delà de cet impact historique, 2 Corinthiens aura un impact aujourd’hui si la lecture de cette lettre nous conduit à nous engager hardiment dans le service du Seigneur, en imitant Paul qui lui-même imitait si bien son Maître.

 

Annexe : un plan pour 2 Corinthiens

Sans rentrer dans tous les détails du plan, il est nécessaire d’indiquer que la première partie des ch. 1 à 7 comporte une grande parenthèse courant de 2.14 à 7.4. En effet, 7.5 semble continuer directement le thème couvert jusqu’en 2.13 :

La défense de la conduite de Paul (1. 11 – 2. 13)

Paul ne trouve pas Tite à Troas et part en Macédoine
2. 12-13 : Or , étant arrivé dans la Troade pour l’Evangile de Christ, et une porte m’y étant ouverte dans le Seigneur, je n’ai point eu de repos dans mon esprit, parce que je n’ai pas trouvé Tite, mon frère ; mais, ayant pris congé d’eux, je suis parti pour la Macédoine.

Parenthèse : La nature du ministère (2. 14 – 7. 4)

La défense de la lettre écrite par Paul (7.5-16)

Paul lutte en Macédoine en attendant Tite qui arrive finalement 7. 5-6 : Car aussi, lorsque nous arrivâmes en Macédoine, notre chair n’eut aucun repos, mais nous fûmes affligés en toute manière : au dehors, des combats ; au-dedans, des craintes.
Mais celui qui console ceux qui sont abaissés, Dieu, nous a consolés par la venue de Tite.

Salutation et bénédiction  1.1-11
Adresse  1.1-2
Bénédiction  1.3-11

A. La défense du ministère 1.11-7.16
1. La défense de la conduite de Paul  1.12-2.13
L’explication du changement des plans de Paul  1.12-2.4
Le pardon du frère offenseur 2.5-11
L’absence de Tite à Troas  2.12-13
2. La nature du ministère  2.14-7.4
La gloire du ministère  2.14-4.6
La fragilité du ministre 4.7-5.10
Le message du ministre  5.11-6.10
L’appel du ministre à l’amour et à la sainteté  6.11-7.4
3. La défense de la lettre écrite par Paul 7.5-16
La rencontre avec Tite en Macédoine  7.5-7
La lettre sévère et la tristesse positive produite  7.8-16

B. La collecte pour les chrétiens de Jérusalem  8.1-9.15
1. La nécessité de la collecte 8.1-15
L’exemple stimulant des Macédoniens  8.1-5
L’exhortation motivée aux Corinthiens  8.6-15
2. La mission de Tite et des deux frères à Corinthe 8.16-9.5
La recommandation de Tite et des deux frères par Paul 8.16-24
L’attente de Paul 9.1-5
3. Les principes de la générosité chrétienne 9.6-15
Le bénéfice pour le donateur  9.6-11
La louange à Dieu par les bénéficiaires  9.12-15

C. L’autorité de Paul face à ses adversaires 10.1-13.10
1. L’autorité de Paul face à ses adversaires .. 10.1-18
Les armes utilisées par Paul  10.1-6
L’attitude cohérente de Paul  10.7-11
L’ampleur du champ d’activité de Paul 10.12-18
2. La supériorité de Paul face à ses adversaires  11.1-12.13
La supériorité de Paul dans sa prédication et sa conduite  11.1-15
La glorification forcée de Paul  11.16-12.13
3. La prochaine visite de Paul  12.14-13.10
Le désintéressement de Paul 12.14-18
Les craintes de Paul sur la situation des Corinthiens lors de sa visite  12.19-21
Les avertissements de Paul sur l’exercice possible de sa discipline apostolique  13.1-10

Exhortations finales, salutations et vœux .. 13.11-13

 


En lisant d’une seule traite la deuxième Épître de Paul aux Corinthiens, on a l’impression de lire une lettre d’amour (faites le test !). L’apôtre réaffirme plusieurs fois et avec éloquence sa grande affection pour les Corinthiens, ainsi que ses déceptions : ses émotions fluctuent comme sur des montagnes russes ! Le flot rapide et les propos de la lettre lèvent le voile sur ses sentiments profonds.
L’apôtre s’est mis au diapason du cœur de Dieu, en serviteur exemplaire de son Seigneur. Dans l’Ancien Testament, on trouve souvent le thème de la désobéissance d’Israël, comparé à une prostituée lorsqu’il abandonne Dieu, son premier amour, pour se tourner vers les idoles. C’est un peu le même schéma qui se reproduit ici. L’apôtre Paul rappelle son travail inlassable pour édifier l’église de Corinthe et donne des preuves de son amour envers elle. Il montre aussi la peine qu’il a de les voir se détourner vers de faux apôtres aux doctrines alternatives. Se considérant comme un instrument dans la main de Dieu, il n’hésite pas à hausser le ton pour les ramener à l’unique Évangile.
Qu’à l’occasion de ce numéro sur 2 Corinthiens, nous réalisions de manière concrète, comme Paul, que « l’amour de Christ nous étreint » (5.14, Darby) ! C’est dans ses faiblesses et ses épreuves extrêmes que l’apôtre reflétait le mieux la gloire divine. Que cela nous encourage ! Pleinement conscients de notre nouvelle identité, nous vivrons alors comme des « ambassadeurs pour Christ » (5.15-20).


En sortant quelques versets de leur contexte, certains font passer Jésus pour un homme violent.
• La preuve, il a utilisé un fouet pour chasser les marchands du temple, diront-ils (Jean 2.15). Pourtant, c’est bien le dos de Jésus qui a reçu de violents coups de fouet et non celui des marchands.
• Et n’a-t-il pas demandé d’acheter deux épées à ses disciples (Luc  22.36)  ? C’est vrai, mais ils n’ont pas compris qu’il s’agissait d’une préparation à un combat spirituel. C’est pourquoi il a dû leur donner cette leçon claire : « Alors Jésus lui dit : Remets ton épée à sa place ; car tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée. Penses-tu que je ne puisse pas invoquer mon Père, qui me donnerait à l’instant plus de douze légions d’anges  ?  » (Mat 26.53).
• Jésus a dit lui-même qu’il n’était pas venu amener la paix mais l’épée (Mat 10.34) ! Certes, mais le contexte immédiat montre que l’épée symbolise ici les divisions au sein des familles, engendrées par la conversion de certains membres et le rejet des autres.
En fait, Jésus est bien le Prince de paix (És 9.5), le seul maître qui puisse faire cette promesse  : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. » (Jean 14.27)
Un jour cependant, quand la patience de Dieu aura pris fin, Jésus jugera les nations avec « l’épée aiguë  » qui sortira de sa bouche (Apoc 19.15).
Mais cela sera «  son œuvre étrange, son travail inhabituel. » (És 28.21, S21)
Et enfin, « sous son règne, le juste fleurira, et la paix sera grande tant que la lune éclairera  » (Ps 72.7, S21).


Introduction de Silvain Combe

Les chrétiens peuvent se sentir impuissants face aux épreuves de la vie, parfois extrêmes (guerre, famine…).
Même si l’on croit que Dieu peut faire des miracles, on craint parfois de les lui demander et l’on se laisse facilement aller à baisser les bras. Pourtant, Dieu semble parfois « attendre » nos prières pour changer le cours des choses : « L’Éternel voit avec indignation qu’il n’y a plus de droiture. Il constate qu’il n’y a personne, il est consterné en voyant qu’il n’y a personne pour intercéder » (És 59.15-16 ; S21).

Avec une foi vivante et un enthousiasme rafraîchissant, Frère André nous rappelle dans ce livre que nos prières peuvent « déplacer des montagnes ». Elles peuvent « amener Dieu à changer d’avis sur ce qu’il permet à Satan de faire » (p. 150). Ce « changement de plan » n’est donc pas une véritable atteinte ou un défi à la volonté de Dieu. Si certaines expressions de cet homme de foi nous semblent aller un peu loin dans ce livre, sa fraîcheur et ses rappels concrets sont néanmoins inspirants.
Il encourage les chrétiens à faire confiance à Dieu, et pas seulement en théorie !

Extraits choisis

Le danger du fatalisme (p. 1-13)

L’attitude du fataliste semble refléter une foi en apparence remarquable : « je refuse de remettre en question la volonté de Dieu », dira-t-il avec une pieuse humilité. Mais cela suppose-t-il que pour lui tout ce qui se passe dans le monde, la guerre, la famine, l’oppression, l’effondrement de la famille et de la société, l’exploitation des faibles et des innocents, la dégradation de ce qui est pur, est bien ? « Si Dieu le permet c’est qu’il doit avoir une bonne raison », avancera-t-il, « et je ne puis espérer comprendre les raisons de Dieu avec ma petite cervelle, alors j’accepte par la foi ce qu’il fait et je loue le Seigneur en tout temps ». Et l’on répondra, admiratif : « Quelle foi ! »
Ce genre de foi n’a toutefois aucune puissance, car elle ne repose pas sur de bonnes bases. Appelez-la comme vous le voulez — karma, destin, sort, kismet — c’est toujours la même réalité plus ou moins déguisée : nous ne pouvons modifier ce que Dieu a écrit, et notre devoir consiste simplement à nous laisser porter par le mouvement du programme défini par Dieu. Cela semble rendre la vie simple, n’est-ce pas ? Oui, et c’est précisément là que réside une partie de son attrait. Les fatalistes peuvent être détendus puisqu’ils ne sont plus responsables. Ils n’ont plus besoin d’obéir à Dieu ni de résister au mal.

La puissance de la prière (p. 16-17)

Malheureusement, ils ne comprennent pas que, avant que ce soit trop tard, le courant qui semble leur procurer un parcours agréable et sûr est en réalité en train de les aspirer toujours plus rapidement vers un tourbillon mortel – et l’anéantissement. C’est une des stratégies les plus fondamentales de Satan tout au long de l’histoire. Il continue de l’employer parce qu’elle a bien réussi, depuis longtemps. Mais nous ne devons pas lui permettre de réussir ! Nous avons le pouvoir de lui résister et de le vaincre, et Dieu a placé entre nos mains l’arme qui peut nous le permettre. Cette arme, c’est la prière.
Rien ne rend Satan plus craintif qu’un chrétien qui comprend la puissance de la prière : parce qu’il sait que Dieu ne refuse rien à ses amis. À mesure que nous connaissons mieux le Seigneur, que nous commençons à comprendre tout ce qu’il est, et réaliser tout ce qu’il a, nous ne sommes plus des victimes sans recours, ballotées par les tempêtes et les vagues que Satan suscite. Nous sommes, au contraire, capables de faire ce qui est impossible à Satan et à ses démons. Jésus nous dit :« Si vous avez la foi, si vous ne doutez pas… si vous dites à cette colline : “Soulève-toi de là et jette-toi dans la mer”, cela se fera. Si vous priez avec foi, tout ce que vous demanderez, vous l’obtiendrez » (Mat 21.21,22).
Il n’est donc pas étonnant que Satan cherche si ardemment à empêcher les chrétiens de s’engager dans une prière sérieuse ! Il n’a aucun pouvoir, aucune puissance qui puisse se comparer à celle-là. Voilà pourquoi je suis si préoccupé par le fatalisme chrétien. Il ne s’agit pas d’une simple interprétation doctrinale inoffensive, une variante mineure de la théologie chrétienne que nous pourrions tolérer.
Le fatalisme est une maladie paralysante qui a envahi le Corps de Christ ; les conséquences sont désastreuses : il infecte ses victimes avec une sorte d’apathie qui annihile leur volonté de résister au mal, tout en sapant leur détermination d’accomplir la tâche que Christ leur a confiée.

Ne pas craindre de faire des erreurs en priant (p. 77)

Abraham a trébuché, menti, trompé – mais quand Dieu écrivit sa biographie dans la lettre aux Romains, il déclara : « Abraham eut confiance en Dieu » (Romains 4.3). Nous pourrions dire : « Mais il a menti, il a trompé les autres ! » Ce n’est pas ainsi que Dieu le voyait. Il dit : « Abraham eut confiance en Dieu », un point c’est tout. Tout le reste n’était qu’accessoire. Abraham était innocenté, et non parfait. Il y a une grande différence entre les deux.
Nous sommes ainsi quand nous nous tenons devant Dieu en prière, justifiés mais non parfaits.
C’est une merveilleuse position.

Nous n’avons pas besoin d’avoir peur d’aller trop loin avec Dieu. Même si nous le faisons, il ne nous en tiendra pas rigueur.
Sa grâce est plus grande que nos erreurs.
Dieu sait que nous n’attendrons pas d’avoir toutes les données avant de prier, parce que nous ne pourrons jamais savoir tout ce qui concerne ses plans. Ce qui est de notre ressort, c’est de chercher avec ferveur à le connaître, d’étudier les indices circonstanciels, d’écouter les directives du Saint Esprit, de tenir compte de ce que nous connaissons de son caractère, de tirer de tout cela des conclusions raisonnables et de prier en conséquence. Dans la mesure où nous le faisons, Dieu nous apprendra à commettre toujours moins d’erreurs, et nos prières deviendront de plus en plus efficaces. Il se peut que nous l’entendions et le comprenions souvent imparfaitement, mais il continue à faire en nous l’œuvre qu’il a promise : nous perfectionner à mesure que nous nous rapprochons de lui.

Tout cela peut nous paraître plus complexe que les révélations miraculeuses de l’époque de l’Ancien Testament, mais c’est aussi beaucoup plus instructif.
Dieu nous apprend, de manière pratique, souvent par nos tâtonnements, comment mettre en œuvre la connaissance qu’il nous a accordée.

Il ne peut donc y avoir de péché dans le fait de demander à Dieu tout ce que nous croyons susceptible d’accomplir sa volonté et ses desseins.
Peu importe si notre insécurité est causée par la conscience de nos limites. Nous n’avons nul besoin de connaître toute l’étendue de ses plans pour en conclure qu’ils peuvent changer. Dieu est toujours heureux d’entendre notre prière, même quand notre compréhension est des plus limitées, comme ce fut le cas quand Abraham intercéda pour Sodome et Gomorrhe.

« Si vous demandez quelque chose en mon nom, je le ferai », dit Jésus (Jean 14.14). Je crois que ces Paroles constituent la réponse ultime à toutes nos interrogations sur le moment et la manière dont nous pouvons demander à Dieu de changer ses plans. Il ne s’agit pas d’agir inconsidérément, comme des ignorants. Mais s’il nous arrive de le faire, Dieu nous pardonnera et utilisera nos erreurs pour nous rendre plus sages la prochaine fois.
Les seules personnes qui ne commettent jamais d’erreurs sont celles qui ne demandent et ne font jamais rien pour Dieu. S’il est une chose dont il faut s’inquiéter, en voilà une ! [note]Plus loin dans le livre, Frère André encourage à la prière ciblée (pas vague et générale). Il invite également à ne pas se satisfaire stoïquement du silence de Dieu à la suite de certaines prières. Il faut se sentir libre de demander « Pourquoi ? » à Dieu, comme David le fait dans le Psaume 22.2. (NDLR)[/note]

La prière nous rapproche de Dieu (p. 83)

Certains de mes souvenirs les plus chers de Corrie ten Boom sont les nombreux moments que nous avons passés ensemble en prière. Corrie était un intercesseur passionné ; l’urgence et l’enthousiasme qui se dégageaient d’elle étaient très communicatifs.
Il était impossible de prier avec elle sans être comme transformé par cette expérience.

« Seigneur, disait-elle, Seigneur, il faut que tu fasses quelque chose ! Il n’y a pas de temps à perdre ! »
Puis elle continuait en précisant au Seigneur sans détour ce qu’elle voulait qu’il fasse. Elle s’adressait à lui comme à moi, son ami de longue date. Elle pleurait, elle riait, elle argumentait avec force, mais elle restait toujours elle-même, totalement honnête.
Elle ne cachait rien à Dieu, et il semblait ne rien lui cacher.

Bien des fois, dans ces temps de prière intenses, elle citait à Dieu sa propre Parole pour lui rappeler ses promesses. Elle aurait pu faire un redoutable avocat au barreau ! Dans les moments où elle s’enflammait plus particulièrement, elle s’emparait de sa Bible, la feuilletait rapidement pour trouver le texte exact pour appuyer sa plaidoirie. Alors elle levait sa Bible en l’air, pointait sur le verset et proclamait, triomphante : « Voilà, Seigneur ! Tu peux le lire toi-même ! » Combien j’aimais cela. Et, j’en suis certain, Dieu aussi. Il est heureux quand nous le connaissons assez bien pour lui parler de cette façon. Je ne connais personne dont les prières aient eu plus d’effet sur Dieu que celles de Corrie. Elle ne se laissait pas détourner par une fausse piété, par légalisme ou par le besoin d’être quelqu’un d’autre qu’elle-même. Et après tout, comme elle se plaisait bien souvent à le rappeler à Dieu, elle ne lui demandait rien qu’il n’ait déjà promis. Elle n’hésitait donc jamais à lui dire ce qu’il devait faire et à le remercier quand il exauçait sa prière. « Je savais bien que tu le ferais ! » s’exclamait-elle avec le sourire. « Je le savais ! »

Et c’est vrai, elle savait ce que Dieu accomplirait pour elle car elle connaissait Dieu. Elle comprenait sa volonté et s’attendait à ce qu’il respectât sa Parole. Elle n’aurait pas une seule fois imaginé le contraire. Quelle foi ! Si seulement le Seigneur avait d’autres amis comme Corrie, notre pauvre monde ne serait pas dans l’état où il est aujourd’hui.

D’après vous, les prières de Corrie étaient-elles blasphématoires ? Présomptueuses ? Certains oseraient l’affirmer, sans doute, mais pas moi, car son approche était fidèle aux Écritures. Jésus a dit : « Demandez-moi quoi que ce soit… » et Corrie le crut sur parole. Ses prières étaient toujours fondées sur sa profonde compréhension de la volonté de Dieu. Et Dieu l’exauçait. Comment aurait-il pu faire autrement ?
Pour répondre à la question « Comment pouvons-nous prier pour amener Dieu à « changer d’avis » ? » je commencerais par rappeler que nous ne prions pas avec le désir de le faire « changer d’avis », ou de lui dire ce qu’il doit faire ; notre désir est de mieux le connaître comme Ami et Père. Les occasions pour l’amener à modifier ses plans ne sont qu’une des conséquences de cette relation.

 

 


Comme le fait Christopher Hitchens dans son livre Dieu n’est pas grand, les Croisades sont souvent utilisées comme argument par les détracteurs du christianisme pour contredire le message d’amour et de paix de l’Évangile. Quelle attitude les chrétiens du XXI e siècle devraient-ils adopter par rapport aux Croisades ?

Revenir sur des événements vieux de près d’un millénaire nécessite un certain nombre de précautions pour éviter trop de raccourcis et d’anachronismes. Il faut bien avouer que malgré la quantité importante de livres écrits ces dernières années sur les Croisades, nous ne sommes généralement pas en mesure d’aligner plus de quelques phrases sur le sujet en dehors de l’évocation de quelques noms comme Godefroy de Bouillon ou Richard Cœur de Lion ou encore l’image de chevaliers à croix rouge sur fond blanc chargeant sur leur destrier. Quelques éléments de contexte sont donc nécessaires avant de revenir à notre époque.

Les Croisades dans leur contexte

Les Croisades sont une série d’expéditions militaires au Moyen-Orient principalement dirigées vers la Palestine appelée « Terre sainte » qui ont eu lieu entre 1096 et 1291 dans le but de reconquérir la ville de Jérusalem alors aux mains des musulmans. Le terme « croisade », qui est postérieur à l’époque médiévale, vient de l’habitude qu’avaient ceux qui partirent de se faire coudre une croix sur leurs vêtements — d’où le nom de croisés qui leur fut donné. Le terme de croisades au sens large désigne également des expéditions de même type menée au nom de l’Église contre des personnes considérées comme hérétiques autres que les musulmans, par exemple, les Cathares, les Vaudois ou les Hussites.
Les Croisades ont commencé à la suite d’un appel prononcé par le Pape Urbain II au concile de Clermont en novembre 1095 relayé un peu partout dans tout l’Occident chrétien. Celui-ci fut suivi par une onde d’adhésion impressionnante mobilisant des dizaines de milliers d’hommes, femmes et enfants (voire centaines de milliers sur l’ensemble des Croisades) autant dans les milieux nobles (chevaliers, mais aussi des rois et des empereurs) que populaires. Les grands intellectuels chrétiens comme Bernard de Clairvaux (1090-1153) adhèrent et supportent les Croisades.
Comment comprendre un tel enthousiasme ?
La diversité des profils engagés et l’ampleur du phénomène excluent des réponses trop caricaturales qui souligneraient uniquement l’appât du gain, la recherche de gloire ou un fanatisme guerrier et religieux. Il faut sans doute rechercher des éléments de réponse dans le contexte d’une époque pleine de changements dans le cœur de l’Europe médiévale. Voici six éléments à considérer :
1. L’Islam apparu au VII e siècle avait conquis comme un éclair plus de la moitié du monde chrétien, dont Jérusalem en 636. Les musulmans avaient respecté la ville qui était pour eux également une ville sainte et avaient laissé se poursuivre les pèlerinages chrétiens dont l’origine remontait à l’époque de Constantin le Grand. Cependant au XI e siècle font leur apparition les Turcs Seldjoukides nouvellement convertis à l’Islam. Ceux-ci battent les Byzantins à Manzikert en 1071 ouvrant la voie à la conquête de toute l’Asie mineure jusqu’alors chrétienne et enlèvent Jérusalem et la Palestine aux musulmans fatimides en 1078 avec un impact important sur les pèlerinages chrétiens. Alexis I er Comnène, empereur byzantin, lance un appel à Urbain II pour venir en aide aux chrétiens d’Orient. Dans ce contexte, la première croisade peut être comprise comme une réponse défensive à l’expansion de l’Islam et à la protection des chrétiens d’Orient. Les souffrances endurées par les pèlerins chrétiens ont d’ailleurs été longuement évoquées par le pape pour justifier son appel dans les différents témoignages de son discours qui nous sont parvenus.
2. Après des siècles de désintégration politique et économique qui avaient vu s’effondrer l’empire carolingien, l’Occident rentre dans une nouvelle ère de prospérité et d’unité. Les terribles Normands et les Hongrois se sont convertis au christianisme. Les bateaux vénitiens et génois dominent progressivement la mer Méditerranée. L’Occident se sent désormais assez fort pour passer à l’offensive. En Espagne et dans les îles méditerranéennes, la reconquête sur l’Islam a déjà commencé dès le début du XI e siècle. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le pape souhaite confier le leadership de la Croisade aux barons expérimentés d’Occitanie comme Raymond de Saint-Gilles. Ainsi les Croisades peuvent être perçues comme des guerres de reconquête.
3. Le XI e siècle est par ailleurs celui de la réforme grégorienne de l’Église qui voit s’agrandir considérablement la puissance des papes. Les papes vont prétendre non seulement à un pouvoir spirituel sur toute l’Église, ce qui précipitera la séparation avec l’Église orthodoxe d’Orient en 1054, mais également à un pouvoir politique. On aurait dû s’attendre à ce que les Croisades soient lancées par des chefs politiques et non par le pape. Or, au moment de la première croisade, le roi de France et l’empereur du Saint Empire romain germanique sont excommuniés. Les Croisades peuvent être ainsi vues comme un programme ambitieux de papes puissants comme Urbain II ou Innocent III visant à assurer leur domination politique en fédérant autour d’eux les puissances séculières et peut-être, au moins pendant la première période des Croisades, de tenter une réconciliation avec l’Église d’Orient.
4. On peut s’étonner que l’Église prenne l’initiative d’une guerre même défensive. Mais la position théologique sur le sujet avait depuis longtemps déjà glissé d’une position pacifique des chrétiens à une formulation par Augustin d’une guerre juste à laquelle les chrétiens pourraient participer.
Cette évolution s’est produite dans un contexte de rapprochement aux IV e et V e siècles entre le pouvoir politique et religieux au moment où les frontières de l’Empire Romain commençaient à céder. En intégrant dans la chrétienté des peuples de culture où la gloire masculine est quasi exclusivement liée à la force physique, l’Église a eu fort à faire pour essayer de canaliser cette violence en faisant naître des compromis que l’homme de notre siècle a du mal à appréhender. Il est intéressant de noter la forte proportion de contingents d’origine « viking » dans la croisade des chevaliers. Même avant les Croisades, l’Église se militarise avec la création des chevaliers de Saint-Pierre dès 1053. Puis viendra la reconnaissance des ordres de moines-chevaliers comme les Hospitaliers (1113), les Templiers (1118), ou les chevaliers teutoniques (1190) dédiés à la défense de la Terre sainte. Il faut noter cependant que le même concile de Clermont qui voit prêcher la première croisade encouragera dans le même temps le mouvement dit de la « Paix de Dieu » en invitant tous les chrétiens à observer entre eux une paix perpétuelle. En réorientant l’énergie belliqueuse vers l’hérétique, les Croisades peuvent être perçues comme un mal nécessaire pour établir la paix dans le monde.
5. Dans les esprits du Moyen-Âge, le Royaume de Dieu est assimilé théologiquement à l’emprise territoriale des États chrétiens. On comprend ainsi que l’appel à la libération des lieux où le Christ a marché, où il est mort et ressuscité et où il reviendra bientôt, trouve un écho dans le cœur de très nombreux croyants. Plus qu’une simple possibilité d’accès, la libération puis la défense de Jérusalem et du tombeau du Christ sont accueillies comme une grande œuvre de piété. L’image des croisés faisant procession pieds nus devant les murailles de Jérusalem tels Josué devant Jéricho montre l’assimilation de la reconquête de la Terre sainte à la conquête de la Terre promise. Ici, le musulman, souvent caricaturé et très mal connu, est rarement perçu comme une âme à gagner, mais plutôt comme un agent de l’Antichrist. On notera quelques exceptions notables comme François d’Assise qui s’est joint à la cinquième croisade sans combattre, mais avec le projet de présenter l’Évangile au sultan Malik-al-Kamil. Le sultan ne se convertit pas, mais il offre à François des richesses (qu’il refuse) et le fait escorter jusqu’au camp chrétien. De manière plus générale, c’est l’urgence eschatologique de la libération des lieux saints qui prédomine. Les Croisades peuvent être vues dans cette perspective comme le résultat de l’attente prophétique de l’accomplissement à Jérusalem du monde nouveau.
6. Enfin, les croisés étaient animés par l’espoir du salut dans un contexte où le message promulgué par l’Église était source d’incertitude. L’appel aux Croisades s’est assorti d’une promesse d’une indulgence plénière, une des premières de l’histoire, à ceux qui entreprenaient de libérer la terre où le Sauveur était né. Celle-ci garantissait que tous ceux qui mourraient en chemin, que ce soit par terre ou par mer, ou en combattant les païens, auraient la rémission immédiate de leurs péchés. Ainsi des foules se sont mises en marche en dépit de ce que la raison aurait pu juger comme inconscient ou suicidaire, mais dans l’espérance salutaire du « quoi qu’il arrive ». Des hommes et des femmes ont tout quitté par la foi, des seigneurs se sont ruinés par la foi aux dépens bien souvent de leur liberté et de leur vie. Les Croisades peuvent ainsi être comprises comme un acte de pèlerinage pénitentiel répondant à l’angoisse des peines éternelles des croyants du cœur du Moyen Âge.

Le bilan des Croisades

Si se replonger dans ces éléments de contexte permet de mieux comprendre ce qui a poussé tant d’hommes et de femmes à partir aux Croisades en évitant quelques anachronismes, il n’en demeure pas moins que le recul sur ces événements dresse un bilan catastrophique.
Un échec militaire tout d’abord. Mis à part les succès de la première croisade avec la prise d’Antioche et de Jérusalem qui permettra la naissance des fragiles États latins d’Orient, les divisions incessantes des chefs croisés et l’épuisement rapide du flux du renouvellement des forces humaines rendront les sacrifices des Croisades totalement futiles avec la prise de Saint-Jean-d’Acre par les Mamelouks en 1291. On pourrait dire « tout ça pour ça ? ». Et ce « tout ça » est un terrible gâchis humain. Les imposants convois de croisés, souvent composés également de femmes et d’enfants, s’aventurent dans d’immenses contrées sans eau et sous un soleil de plomb. Fatigués par les longs trajets à pied et mal équipés, ils deviennent des proies faciles qui se font régulièrement tailler en pièces. Les principes de la soi-disant guerre juste sont piétinés par les pires élans du cœur humain quand les populaces indisciplinées massacrent les Juifs sur le chemin de la croisade, quand les guerriers sanguinaires usent des pires tortures ou quand la prise de Jérusalem se transforme en bain de sang. Cette violence mêlée d’un honteux intérêt financier se retourne même contre les chrétiens entre eux comme dans le cas hallucinant de la quatrième croisade qui se termine par le pillage de Constantinople, ville la plus riche de l’époque, fragilisant de manière durable ce tampon historique avec l’Islam. Le fossé entre chrétiens occidentaux et d’orient s’en est trouvé plus profondément creusé.
Les Croisades n’ont répondu ainsi à aucun de leurs objectifs.

Quelles ont été les conséquences durables des Croisades sur les relations des chrétiens avec le monde musulman ?

Si nous devons sans doute résister à la tentation d’attribuer l’extrémisme islamique actuel aux Croisades, cela ne veut pas dire que les Croisades n’occupent pas une place importante dans la conscience de notre entourage musulman. Comme le commente Kevin De Young en 2015, il n’en a pas toujours été ainsi : « Le terme désignant les Croisades, harb-al-salib, n’a été introduit dans la langue arabe qu’au milieu du XIX e siècle, et la première histoire arabe des Croisades n’a été écrite qu’en 1899. Les Croisades ayant échoué, elles n’avaient tout simplement pas beaucoup d’importance pour les musulmans. Mais la mémoire de ces événements a commencé à changer lorsque les nations européennes ont colonisé les nations musulmanes et y ont apporté leurs écoles et leurs manuels scolaires qui saluaient les vaillants croisés et les chevaliers héroïques qui avaient tenté d’apporter le christianisme et la civilisation au Moyen-Orient. Comme le sport, comme la guerre, comme la vie — quand vous gagnez, vous ne vous souciez pas de qui perd ; mais quand vous perdez, il importe beaucoup de savoir qui vous bat. » C’est bien souvent la réappropriation de la mémoire des événements anciens stimulés par un ressenti contemporain qui fait obstacle à la défense de la foi chrétienne. Ainsi, le positionnement des chrétiens du XXI e siècle par rapport aux Croisades a son importance puisqu’il traduit l’attitude actuelle des chrétiens envers leurs contemporains musulmans, juifs ou athées.

Quelle attitude adopter face aux Croisades ?

Dans le contexte tellement différent de notre monde moderne qui exalte l’individualisme démocratique, la liberté religieuse et la séparation du séculier et du spirituel, quelle attitude adopter ?
Aujourd’hui, nous ne partageons pas bon nombre des hypothèses des chrétiens du Moyen Âge. Nous pouvons comprendre le contexte socio-religieux, la logique des enchaînements, la part de bonnes intentions, mais même conscients de se retrouver de l’autre côté de la chronologie de l’histoire, comment approuver de telles dérives si étrangères à l’Évangile ? Les erreurs doctrinales sont évidentes : nous ne pouvons pas accomplir des actes de pénitence salvateurs ; le Christ n’avance pas son œuvre par la force. Le contexte géopolitique contemporain relance souvent les tentations de débats et réflexion sur la question de la guerre juste, mais nous n’oublions pas que notre principal combat est d’ordre spirituel. Notre Seigneur a triomphé de l’ennemi non pas en prenant la vie, mais en donnant la sienne. Condamner les Croisades me paraît ainsi justifié. Peut-être est-ce insuffisamment respectueux des intentions défensives légitimes et du cœur sincère des chrétiens médiévaux ; peut-être faut-il condamner uniquement les exactions commises aux détours des Croisades pour respecter l’histoire sans anachronisme, mais nos contemporains ne voient souvent pas les nuances.
Une attitude protestante aurait aussi tendance à se défausser en s’associant plutôt aux victimes qu’aux agresseurs « catholiques », mais là aussi gare aux anachronismes — même s’il est vrai que les éléments qui se mettent en place dans l’Église au moment des Croisades sont en germe ce qui provoquera les mouvements de la Réforme.
Le problème apologétique demeure néanmoins présent pour nos contemporains qui ne font pas facilement de distinction.
Au final, comme dans tout conflit, dans tout malentendu, il me semble que l’attitude la meilleure reste sans doute la demande de pardon même si entre humains les torts sont souvent partagés.
Le pardon coûte parce qu’il ne fonctionne pas en comptant les points de justice entre chaque partie, mais accepte volontairement de couvrir ce qui n’est pas juste. Mais quel beau moyen pour faire tomber le mur des Croisades construit dans le cœur des humains comme obstacle à la foi chrétienne !


Bibliographie

• Thomas F Madden, Les Croisades, Evergreen, 2008.
• René Grousset, L’épopée des Croisades, Tempus Perrin, 2017.
• Amin Maalouf, Les croisades vues par les Arabes, J’ai lu, 1999.
• Neal Blough, Guerre et Paix ; La foi chrétienne et les défis du monde contemporain.
• Christian History Magazine, “The Crusades”, n° 40.

 


Hervé, tu as été confronté à des souffrances terribles, liées à la guerre civile qui dévaste l’est de la RDC. Peux-tu nous dire comment cela est arrivé ?

Depuis de nombreuses années, je m’implique dans le ministère d’EFF international [note]https://eff-international.fr/[/note] , qui vise à former des animateurs fidèles et capables de transmettre les valeurs bibliques de la famille dans les pays de la Francophonie.
J’ai participé à une formation au Nord-Kasaï, une autre région blessée de RDC, avec une sœur de Bunia [note]Chef-lieu de la province de l’Ituri, au nord-est de la RDC, théâtre de combats sanglants depuis 2003.[/note] qui s’occupait d’apporter la Parole de Dieu dans des camps de déplacés dans la région. Elle m’a demandé de venir former des collaborateurs chrétiens et j’y suis allé à cinq reprises, même si le trajet pour s’y rendre est très long et compliqué.

Quelle est la situation dans cette région et quels sont les types de souffrance auxquelles tu as été confronté ?

Depuis plus de 25 ans, des troubles et des guerres civiles ensanglantent cette région. Les rebelles passent de l’Ouganda ou du Rwanda en RDC et on ne sait pas bien qui manipule qui. Plus le pays est déstabilisé, plus les dirigeants et les firmes étrangères peuvent vendre à tout va les matières premières dont il regorge. En suscitant des guerres ethniques fratricides, ils instaurent un climat de peur, conduisant à des déplacements de population vers les villes ; les territoires se vident et la place est libre.
Les haines entre tribus, entre dominants et dominés, remontent à très longtemps et il suffit de mettre un peu d’huile sur le feu pour les attiser.
Le drame est que ce sont des chrétiens — de nom — qui se battent entre eux. Pour que des hommes puissent commettre de telles atrocités, seul un démon peut être derrière. La guerre n’est pas belle, c’est fait pour voler, pour piller, mais là on atteint un degré de perversité et d’abjection indicible. Je ne peux pas raconter ce que j’ai entendu. Ce sont des actes de barbarie dont les femmes et les enfants sont les premières victimes.

Comment sortir de cette spirale de violence ?

Un jour, alors que nous avions travaillé la veille sur le chemin du pardon en abordant le sujet avec une extrême douceur, un vieux monsieur a demandé la parole pour témoigner qu’il avait renoncé à la vengeance : « Mes voisins ont tué toute ma famille, à l’exception d’une seule de mes petites-filles de 6 ans. J’avais préparé un poison pour tuer mes voisins et hier soir, j’ai pris le poison et l’ai donné au pasteur. »

Que dire à des personnes ayant vécu des abominations à répétition ?

Toute parole est une insulte à leur souffrance, à leur cœur déchiré. Alors que puis-je leur apporter ? Les amener dans la présence de Jésus, présent comme il l’a promis (Mat 28.20), les aider à réaliser son regard de compassion sur eux, ses yeux sur eux, sa main sur eux, et les amener à demander au Seigneur une parole, une réponse, quelque chose juste pour eux.
Leur proposer un temps de silence, d’écoute pour eux, d’intercession silencieuse pour nous, et là, le Seigneur leur donne une parole, une réponse, un verset, un signe entre lui et eux. Ça vient de sa part, par son Esprit : c’est un cadeau de sa grâce.
Une femme qui avait atrocement souffert, après un temps de méditation, a reçu du Seigneur ce texte qu’elle nous a partagé : « Parce que je vis, tu vivras. » Bien d’autres ont témoigné de réponses analogues et sont repartis, au moins pour un temps, détendus, souriants, apaisés. Nous avons vu la consolation de l’Éternel agir !

Comment se sentir légitime face à de telles souffrances ?

Lors d’un séjour, comme les troubles reprenaient, les frères qui m’accueillaient m’ont littéralement jeté dans le dernier avion. À l’escale suivante, j’éprouvais le sentiment de les avoir abandonnés : j’allai retrouver mon confort occidental alors que, eux, risquaient des atrocités. Une sœur m’a appelé sur mon portable et m’a consolé : « Tu as fait ta part ; le reste appartient à Dieu. »

Quels textes sont d’un réconfort particulier pour ces chrétiens ?

Nous commençons par raconter l’histoire d’un pasteur déplacé à la suite de massacres et qui doute. Le premier pas est de les aider à trouver qui est Dieu dans la Bible, par exemple les textes où il dit : « Je suis… » Le Dieu qui est bon, qui tient tout dans sa main, qui délivre, qui demande d’attendre.
Aux femmes violées, nous lisons : « Ne rougis pas, car tu ne seras pas déshonorée ; Mais tu oublieras la honte de ta jeunesse. » (És 54.4) Nous les aidons à passer étape après étape, jusqu’à reconnaître la justice de Dieu qui rendra la vengeance. Et nous finissons par les textes sur le pardon.
Une difficulté supplémentaire est liée à la culture, parfois très éloignée de la nôtre. Par exemple, une femme violée est considérée comme adultère et doit payer une amende à sa belle-famille ! C’est l’occasion de citer Jean 8, où Jésus ne condamne pas une femme volontairement adultère : a fortiori une femme qui a involontairement subi un rapport souvent atroce.
« D’autres subirent les moqueries et le fouet, les chaînes et la prison ; ils furent lapidés, sciés, torturés  ; ils moururent tués par l’épée  ; ils [furent] dénués de tout, persécutés, maltraités. » (Héb 11.36 37) En RDC, nous y sommes en plein !
Ce que nous pouvons apporter, face à cet océan de souffrance, ne m’appartient pas. Je verse ma petite goutte d’huile et je crois dans l’abondement de Dieu.


Un chrétien doit-il être pacifiste en toute circonstance ? Devrait-il « tendre l’autre joue » même si son agresseur le met physiquement en danger ? Il nous semble difficile d’imaginer Jésus dire cela à une femme qui se ferait battre par son conjoint… Dans cet extrait de son ouvrage Vivre l’éthique de Dieu, Daniel Arnold nous propose un survol de la question de l’usage de la légitime défense pour le chrétien.

Extrait

La légitime défense consiste à prendre des mesures adéquates pour empêcher un agresseur de tuer ou de blesser une personne. Contrairement à une décision de justice qui peut être prise à tête reposée, une action défensive doit souvent se prendre dans le feu de l’action. La personne agressée doit rapidement user de son bon sens pour évaluer la gravité de la situation. S’il est manifeste qu’un intrus ne veut que dérober des biens matériels, il est illégitime de l’abattre. Mais si le voleur porte une arme, ses intentions sont moins manifestes.
Dans l’Exode, on fait une différence entre un voleur abattu de nuit ou de jour : « Si le voleur est surpris dérobant avec effraction, et qu’il soit frappé et meure, on ne sera point coupable de meurtre envers lui, mais si le soleil est levé, on sera coupable de meurtre envers lui » (Ex 22.2-3).
De nuit, un voleur peut difficilement être distingué d’un criminel. On ne peut pas le voir comme il faut et mesurer ses coups.
De jour, l’acte de l’intrus est plus manifeste. La loi ne doit pas être appliquée à la lettre, mais selon le principe qu’elle souligne. Par exemple, de nos jours, il suffirait de tourner un interrupteur pour éclairer une pièce en pleine nuit. L’intention du visiteur se verrait mieux, mais on pourrait hésiter à tourner le commutateur, car l’agresseur alerté pourrait réagir dangereusement. Tout est une affaire de jugement et d’intention. Dans tous les cas, il est manifeste qu’un droit à la défense existe, mais qu’il faut en user avec modération.
Quand Jésus dit qu’il ne faut pas résister au méchant (Mat 5.39), il ne pense pas au meurtrier, mais à une personne qui veut humilier son prochain ou le déposséder d’un bien. Les exemples que Jésus cite sont très explicites. Le premier agresseur donne une gifle pour humilier (il frappe du revers de la main sur la joue droite), le second veut traîner un homme en justice pour lui ravir un objet de valeur (un manteau), le troisième impose une tâche difficile et ingrate (Mat 5.39-41).
Lorsque Jésus est arrêté au jardin de Gethsémané, il demande à Pierre de rengainer son épée : « Remets ton épée à sa place ; car tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée », puis il rajoute : « Penses-tu que je ne puisse pas invoquer mon Père qui me donnerait à l’instant plus de douze légions d’anges ? » (Mat 26.52-53). Jésus fait comprendre à son disciple que la défense par les armes n’est pas utile dans cette situation. En effet, Jésus ne va pas être mis tout de suite à mort, mais il va simplement être arrêté pour être jugé. Or, il ne faut pas que les adversaires de Jésus puissent l’accuser d’avoir résisté par les armes aux autorités judiciaires. (Un maître devrait pouvoir contrôler ses disciples.) Jésus guérit donc l’homme que Pierre a blessé (Luc 22.51). Ainsi, aucune accusation ne pourra être portée ni contre lui ni contre Pierre. Jésus témoigne aussi de sa compassion pour le serviteur du souverain sacrificateur, injustement blessé.
Quelques heures plus tôt, Jésus avait dit à ses disciples une parole parfois mal comprise : « Que celui qui a une bourse la prenne et que celui qui a un sac le prenne également, que celui qui n’a point d’épée vende son vêtement et achète une épée » (Luc 22.36). Par là, il ne voulait certainement pas dire qu’il fallait combattre les ennemis par les armes, puisqu’il rejette fermement les deux épées que les disciples lui présentent : « Ils dirent : Seigneur, voici deux épées. Et il leur dit : Cela suffit » (Luc 22.38).
Jésus leur annonçait simplement un temps nouveau fait de tribulations.

Conclusion de la rédaction de Promesses

On pourrait objecter que nous cherchons ici à minimiser les paroles de Jésus. En effet, en face d’une persécution violente, de nombreux chrétiens ont suivi Jésus jusqu’à la mort, sans se défendre. Le sujet délicat du martyr n’est pas abordé dans cet article.
Il démontre seulement que de manière générale, la légitime défense est permise pour le chrétien.
Replacées dans leur contexte biblique, les paroles de Jésus s’éclairent. Il ne désire pas que son disciple se laisse tuer ou maltraiter par plaisir. Seulement, dans certaines circonstances précisément établies dans le texte, le « lâcher-prise » sera un témoignage plus « frappant » pour l’agresseur et les potentiels témoins. Dans de telles situations, le défi lancé par Jésus reste donc de taille pour le chrétien.


« Mettez pour chaussures à vos pieds le zèle que donne l’évangile de paix. » (Éphésiens 6.15)

Quand vous achetez une voiture neuve, une fois que vous êtes décidé sur le modèle, vous regardez quelles sont les options que le garagiste va vous vendre. Imaginez qu’il vous demande si vous désirez avoir l’option « volant » dans ce superbe véhicule.
– L’option volant ? Mais qu’entendez-vous par l’option volant ?
– Oh, beaucoup de gens achètent ce modèle uniquement pour la renommée que leur donne ce véhicule. Le conduire est devenu quelque chose d’optionnel, et c’est pour ça que nous proposons maintenant le volant en option.

Mais si vous êtes choqué par ce dialogue délirant, qu’on puisse considérer le volant comme une option dans une voiture, pourquoi les chrétiens de ce siècle font si peu de cas de l’évangile de paix ? Il n’est pas optionnel, il n’est pas un luxe, il n’est pas un idéal inatteignable. La bonne nouvelle de la paix devrait être le volant d’un christianisme aujourd’hui en errance !

Il est intéressant qu’au milieu d’une description fort guerrière de la foi, Paul prenne le soin de parler des sandales du zèle pour l’annonce d’un évangile de paix. L’apôtre connaît le danger qu’il y a à utiliser des métaphores guerrières quand on parle de la foi.
Les religions ne sont-elles pas un des principaux vecteurs de guerres dans ce monde ? Mais, parce que son ministère dépend avant toute chose de Jésus-Christ, le Prince de la Paix, Paul veut à tout prix rappeler aux chrétiens d’Éphèse que le but du combat de la foi est d’être témoins de la paix. C’est un paradoxe, comme souvent quand on s’approche de Jésus-Christ.

Voyez l’homme Jésus

Jésus est un modèle de douceur qui a inspiré les artistes bien au-delà de la sphère chrétienne.
L’homme Jésus a marqué l’histoire par la paix qu’il portait en lui et qu’il diffusait autour de lui. Il n’était pas seulement porteur d’un message de paix mais aussi d’une pratique de la paix. Beaucoup de gens peuvent vous écrire des centaines de pages sur la paix mais ne la vivent pas. Jésus était porteur de paix jusque dans ses moindres gestes. Il a poussé la non-violence jusqu’à se laisser crucifier. L’injustice de l’humanité est criante quand le Christ est silencieux sur la croix. Y a-t-il une expérience de non-violence plus extrême que celle qui consiste à se laisser livrer ? Certains craignent la perversité quelque peu masochiste d’une souffrance dans laquelle on peut se complaire. Mais si Jésus a laissé faire, c’est en conscience, persuadé que c’était la volonté de Dieu.
Il a même vérifié cela dans sa prière : « Si c’est bien ta volonté, qu’il en soit ainsi. » Il fallait en être sûr pour pouvoir vivre tous ces instants jusqu’au bout.

Face à la violence radicale de l’injustice à son paroxysme, Jésus oppose la puissance de la non-violence.

Mais il ne faudrait pas s’y tromper : la paix qui rayonne de cet homme n’est pas un pacifisme béat, un angélisme, un dolorisme où on se laisse avoir en étant persuadé qu’on est supérieur aux autres parce qu’on prend plus sur soi.

Jésus, Prince de paix, est l’homme le plus violent qui ait jamais existé contre les démons, contre Satan, contre les servitudes et les jougs qui font plier l’échine à des gens qui devraient marcher en étant vraiment debout, contre l’hypocrisie et le mensonge. Jésus est d’une violence terrible contre tout ce qui abîme l’humain.

Quelle puissance ! Voilà un homme en guerre permanente contre la déshumanisation de l’homme. Cela nous fascine, car nous n’avons pas sa capacité à tenir en même temps deux sentiments aussi extrêmes que la non-violence totale à l’égard des personnes et la violence radicale contre les ténèbres. Nous arrivons tout à fait à éprouver ces sentiments l’un après l’autre, dans des temps bien séparés et successifs. Mais les vivre en même temps nous est tout à fait impossible. En tout cas impossible à nos volontés et nos cœurs d’humains.
Soit nous sommes complètement au calme et paisibles, soit nous sommes complètement en colère et au combat, mais nous n’arrivons pas par nous-mêmes à vivre les deux de façon simultanée.
Jésus, lui, le pouvait. Non pas par lui-même en tant qu’homme, mais parce qu’il avait accepté de laisser l’Esprit de Dieu agir en lui.

Le vrai combat

Par la puissance de Dieu en nous, nous pouvons être porteurs de cette double présence au monde, tout en douceur et tout en lutte. Mais cela ne peut être que l’œuvre du Seigneur dans nos vies étroites.
Nos cœurs doivent être dilatés par la présence de Dieu en nous pour pouvoir vivre ces choses.
Au milieu d’un discours guerrier sur les armes de la foi, Paul rappelle que nous ne nous battons pas contre les humains mais contre les puissances spirituelles. Et il rappelle que ce qui nous fait avancer dans l’existence, ce sont les sandales du zèle à annoncer une bonne nouvelle de paix. C’est aussi peu optionnel dans une vie chrétienne que le volant dans une voiture, — sauf à ne pas utiliser sa voiture et à ne s’en servir que pour l’image qu’elle nous donne. Notre foi est bien un outil pour une présence au monde. Une voiture qui ne roule pas ne sert à rien. Ou en tout cas son usage est détourné par rapport à sa destinée. Un chrétien qui ne s’engage pas pour la paix puissante telle que Jésus l’a vécue, est un chrétien qui est détourné de sa destinée.

Oui, il y a une guerre, une guerre sainte contre le mal. Mais celui-ci n’a rien à voir avec le pétrole, les peuples arabes, russes, chinois, nord-coréens, etc. Cela concerne avant tout la lutte contre l’esprit de Mammon, celui qui est le vrai dieu du monde.
Contre la puissance spirituelle et pas contre les médiocres pantins instrumentalisés par cette puissance, quels que soient leurs noms.
Au nom de l’évangile de paix — et le mot paix en hébreu, shalom, veut aussi dire prospérité matérielle — au nom de l’évangile de la vraie prospérité paisible, soyez zélés et marchez ! Marchez avec courage dans le juste combat qui n’est pas contre les personnes mais contre l’ennemi de nos âmes. Ne vous trompez pas de bataille.
Le Prince de la paix vous appelle à intercéder et à bénir autour de vous. Ne rentrez pas dans les logiques de ruptures, de séparation et de cloisonnement de la société, car vous donneriez des points au prince des ténèbres, quand le Prince de paix vous appelle à marcher vers les autres, à mettre les bonnes sandales pour rejoindre le prochain, rejoindre le frère, rejoindre le voisin, rejoindre l’ennemi pour le bénir au sein même de son camp.
La plus grande urgence est donc de recevoir de l’Esprit de Dieu la douceur bienfaisante qui était sur Jésus-Christ, car c’est l’arme la plus puissante qui existe.


Un chrétien peut-il être soldat au XXI e siècle ? Peut-il tuer s’il en reçoit l’ordre ? La guerre peut-elle être juste ? Des chrétiens sérieux, convaincus de l’inspiration de l’Écriture, répondent différemment à ces questions. Cet article propose humblement quelques pistes bibliques, qui respectent des convictions et des avis différents, avant une proposition de synthèse qui ne se veut ni dogmatique ni définitive.

Dans l’Ancien Testament

• Dieu se révèle à Abraham et fait alliance avec lui, lui promettant une terre, une descendance et une bénédiction universelle (Gen 12). En Genèse 15.7, 13-20, Dieu annonce qu’Israël sera longtemps un peuple d’émigrés qui sera maltraité pendant 400 ans. Ils ne pourront prendre possession de la terre promise avant « car c’est alors seulement que la déchéance morale des Amoréens aura atteint son comble » (15.15). Du coup, la guerre de conquête de Canaan (XVI e s. av. J.-C.) sera aussi un jugement militaire sur les Cananéens [note]L’archéologie a démontré la cruauté des Cananéens qui, entre autres sévices, brûlaient vifs des enfants jusqu’à 5 ans pour satisfaire leurs divinités. [/note] . Dieu utilise la force armée pour donner à Israël un territoire, et pour juger en même temps un peuple méchant et immoral. Dieu juge parfois les nations par la guerre [note]Voir, dans ce même numéro, l’article sur la guerre de conquête de Canaan. Les livres historiques (Juges, 1 & 2 Rois par ex.) rapportent de nombreux exemples de guerres punitives et de guerres libératrices… [/note] .
• Les « 10 commandements » de la loi de Moïse prohibent de commettre un meurtre, c’est-à-dire d’ôter la vie d’un innocent, par envie, par méchanceté, ou par intérêt personnel. Le mot utilisé pour « tuer », notamment en temps de guerre, est un autre mot. La loi distingue donc le meurtre de l’action de tuer, soit dans l’exercice de la justice, soit dans le contexte d’une guerre.
• Plusieurs passages de la Torah régulent la manière de mener la guerre, notamment Deutéronome 20. Il fallait proposer à la ville assiégée de se rendre avant la bataille (Deut 20.10), protéger les arbres fruitiers (20.19), etc. La loi posait un cadre à la guerre, comme si celle-ci était un mal possible, qui permettait parfois d’empêcher d’autres maux, pires encore, mais en les encadrant. On imagine ce que serait l’Europe si le nazisme avait triomphé, et on peut comprendre que certaines guerres soient utiles, voire nécessaires, pour préserver l’intégrité morale ou humaine d’une civilisation. On note par ailleurs que les combattants pouvaient être relevés de leur appel en fonction de leurs situations personnelles  : mariage récent, plantation récente, etc.
• Lorsque Dieu emploie les Assyriens pour juger le royaume d’Israël, puis Nebucadnetsar, le dictateur de Babylone, pour juger le royaume de Juda, ils sont rendus responsables de leurs actes atroces (cf. Jér 51.20-24). Un Dieu souverain emploie des nations païennes, conduisant la brutalité « naturelle » des rois de l’époque, pour accomplir son plan de jugement. Mais ces hommes qui accomplissent son plan ne sont en aucun cas dédouanés de leurs responsabilités personnelles puisqu’ils agissent selon leur propre cœur.

Dans le Nouveau Testament

Le N.T. présente des données quelque peu surprenantes. Israël est sous tutelle romaine, après avoir été sous la gouvernance des Grecs.
• Tous les centeniers [note] Un centenier (ou centurion) était un officier de l’armée romaine commandant une centaine de soldats.[/note] mentionnés dans le N.T. sont présentés de façon favorable — c’est-à-dire qu’ils ne sont jamais présentés comme étant des hommes mauvais ou méchants, mais comme des personnes qui, par contraste même avec le peuple d’Israël, ont un cœur, une spiritualité, et une recherche de Dieu. C’est d’autant plus surprenant à nos yeux qu’ils étaient les officiers d’une armée occupante !
Jésus relève la foi du centenier de Capernaüm (Mat 8.5-13). Celui qui a été chargé de surveiller la crucifixion a confessé la divinité de Jésus (Mat 27.54). Corneille (Act 10) et Sergius Paulus [note]Il était proconsul et comme tel il pouvait ordonner l’exécution des criminels ou déployer des troupes en guerre.[/note] (Act 13.7,12) sont devenus chrétiens.
• Aucune des longues listes de péchés que nous trouvons dans le N.T. ne mentionne le fait d’être soldat ; à aucun moment, les apôtres dans leurs lettres ne demandent aux soldats de démissionner de leurs fonctions.
• À l’époque du N.T., l’armée jouait à la fois un rôle militaire (de conquérant) et un rôle de police (de maintien de l’ordre). Quand Paul évoque le « magistrat […] qui porte l’épée, étant serviteur de Dieu pour exercer la vengeance et punir celui qui fait le mal », il enjoint : « Il est donc nécessaire d’être soumis, non seulement par crainte de la punition, mais encore par motif de conscience » (Rom 13.4-5). Dieu demande donc à l’armée d’instaurer un ordre, certes imparfait, mais préférable au chaos de l’anarchie et du non-droit.
• En même temps, le N.T. insiste sur le fait qu’un disciple de Christ va se caractériser par une certaine douceur : il aime son ennemi, prie pour ceux qui le maltraitent et qui le persécutent.
L’attitude générale du chrétien doit le faire connaître comme un homme doux, généreux, bienveillant, qui ne répond pas « au quart de tour », loin d’un esprit haineux, revanchard et belliqueux (cf. Mt 5.1-12, 5.38-45, Rom 12.17-21, Mt 7.12, 1 Pi 2.11-25).
• Lorsque Jean-Baptiste voit des soldats venir à lui pour lui demander ce qu’ils doivent faire, il leur répond : « Ne commettez ni extorsion ni fraude envers personne, et contentez-vous de votre solde. » (Luc 3.14) Jean-Baptiste ne dit pas à ces soldats de démissionner ou de déposer les armes, mais il modère et limite leur activité pour que cette activité se fasse selon une certaine éthique. Ça veut dire qu’un soldat chrétien va devoir réfléchir aux ordres qu’il reçoit. Cela me semble être l’un des éléments importants à prendre en compte dans la réponse à la question initiale.

Un essai de synthèse

Comment concilier ces données qui semblent parfois un petit peu en contradiction les unes avec les autres ?
L’histoire nous apprend que les chrétiens les ont comprises différemment :
• La première position est le pacifisme. Elle a marqué le mouvement mennonite qui a maintenu pendant des siècles une position fermement pacifique où un chrétien ne prendrait les armes en aucune circonstance [note]En francophonie, Egbert Egberts défend cette approche dans son livre, On n’apprendra plus la guerre, Vers un pacifisme chrétien, aux éditions Oasis. [/note] .
Un pacifiste dira « Je préfère aller en prison que de porter une arme et de porter la main sur un être humain créé à l’image de Dieu. [note]Certains pays offrent le statut d’objecteur de conscience. [/note] »
C’est aussi la position la plus fréquente des chrétiens dans les pays musulmans où la guerre prend souvent une connotation religieuse ; ils ont décidé pour la plupart, étant donné que la violence entraîne un cycle infernal de violence, de ne pas prendre les armes. Les guerres de religion européennes ont conduit les anabaptistes aux mêmes conclusions.
• La deuxième position est inverse. Ces chrétiens disent que s’enrôler est un appel personnel légitime. Ils participent à l’armée de leur pays et, lorsque l’ordre de mener bataille est donné, ils font leur travail, c’est-à-dire qu’ils tuent les soldats d’un pays adverse sans aucun problème de conscience. Ils estiment que Dieu forge l’histoire de nations souverainement et providentiellement par le biais de l’État et de l’armée. Un droit s’établit ainsi, certes imparfait, même mauvais dans un certain sens, mais préférable au chaos qui vient d’un monde livré au règne du plus fort [note]Les exactions terribles commises et attestées dans certains pays (mutilations des femmes, enrôlement d’enfants soldats, etc.) après le départ de l’armée conquérante d’un pays démocratique ayant établi un certain ordre social serait une justification de cette approche. [/note] . Je remarque que cette position s’exprime souvent dans le contexte de pays où les chrétiens ont confiance dans leur gouvernement qui est plus ou moins stable et démocratique.
• Une variante de la position précédente propose d’évaluer la moralité d’une guerre pour décider d’une participation [note]Augustin, puis Thomas d’Aquin, ont été les premiers théologiens à se pencher sur [/note]. Une guerre défensive serait considérée comme juste, ou encore une guerre visant la libération d’un peuple de l’oppression d’un gouvernement injuste. Le problème de cette perspective est qu’elle aurait soutenu les militaires de Jérusalem, quand Dieu qualifiait d’injuste cette posture et qu’il demandait par son prophète Jérémie de se rendre aux Babyloniens !
En l’absence d’un prophète authentique, il est difficile d’établir ce que serait une guerre juste.
• Une troisième perspective, entre les deux, se limite au soutien logistique. Dans cette perspective le chrétien pourrait manifester son soutien à un État en guerre, mais uniquement dans des positions de non-combattant. Il pourrait s’impliquer en tant que médecin, chauffeur, infirmier ou logisticien, sans accepter une position où il prendrait une arme pour participer aux combats.
• Au II e siècle de notre ère, les pères de l’Église recommandaient aux gens qui se convertissaient de ne pas devenir des soldats, mais on laissait aux soldats qui devenaient chrétiens la possibilité de rester dans leur profession. Là encore, c’était une position de compromis. Souvent les réflexions éthiques ne sont pas toujours très tranchées car on navigue dans un monde déchu où le bien et le mal ne sont pas toujours si clairs.
Avec le temps, j’ai développé une perspective que je qualifierais de « consentante ». Elle « rend à César ce qui est à César » et « à Dieu ce qui est à Dieu ».
Dans mon appel, je vais militer pour le royaume de Dieu, c’est-à-dire proclamer l’Évangile, vivre la vie chrétienne du mieux possible, prier pour la liberté de culte, etc. ; en parallèle, je consens à participer au royaume de ce monde et je consens à un certain nombre d’activités, y compris combattante. Je suis prêt à un certain nombre d’engagements jusqu’aux limites de ma conscience ; Actes 5.29 nous dit que nous devons obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes, et à un moment donné, si les ordres qui me sont donnés sont des ordres qui violent ma conscience (par exemple tuer des civils, ou se venger sur eux), je ne le ferai pas ; j’espère avoir le courage à ce moment-là de le refuser, quitte à en subir les conséquences qui pourraient aller jusqu’à une exécution ou un emprisonnement. Voilà comment je verrais les choses :
1. Laissons à Dieu le soin de diriger les présidents et les rois, sachant qu’il jugera et condamnera les dictateurs de ce monde.
2. Prions que Dieu accorde en tout lieu la liberté de prêcher et de croire. Dans notre pays, et dans tous les pays du monde, notamment les pays encore fermés à l’Évangile.
3. Consentons aux décisions prises par nos autorités pour les suivre jusqu’au combat, poursuivant un engagement mesuré et respectueux des populations.
4. Refusons tout acte militaire ou policier outrancier contraire à l’éthique chrétienne (torture, racisme, viol, etc.). Consentons que ce refus de soumission entraîne une condamnation pour insubordination.
5. Participons activement, en tant qu’Église, à tout acte de justice (protection des faibles, opprimés, étrangers, etc.).
6. Accueillons dans l’Église tout croyant, même avec des avis différents, même « ennemi occupant ».
7. Prêchons l’Évangile à tous, pour permettre au plus grand nombre d’accéder à l’éternité de paix que Dieu va instaurer.
Chaque lecteur est encouragé à se positionner personnellement. Restons aussi prudents vis-à-vis de ceux qui ont pris une décision différente de la nôtre, car il n’y a sans doute pas de réponse absolue possible à cette question.


« Je ne peux pas croire au Dieu de la Bible parce qu’il a ordonné un génocide. »
Le récit de la conquête de Canaan en choque plus d’un, au point d’être un obstacle à la foi. Même parmi les chrétiens, beaucoup sont frappés par la dimension tragique de ces récits.

En effet, la lecture du commandement divin dans le Pentateuque et de la narration de la conquête dans le livre de Josué donne l’impression d’une extermination des nations cananéennes.
• Deutéronome 7.1-2 : « Lorsque l’Éternel, ton Dieu, t’aura fait entrer dans le pays […] qu’il chassera devant toi beaucoup de nations […] tu les dévoueras par interdit […] et tu ne leur feras point grâce. »
• Josué 10.40 : « Josué battit tout le pays, la montagne, le midi, la vallée et les coteaux, et il en battit tous les rois ; il ne laissa échapper personne, et il dévoua par interdit tout ce qui respirait, comme l’avait ordonné l’Éternel, le Dieu d’Israël. »
Les expressions utilisées pour décrire la manière dont les Israélites devraient traiter les Cananéens sont dures à entendre : exterminer (Ex 23.23), chasser (Ex 23.28-31), livrer (Deut 7.2), détruire (Deut 12.30)… Elles sont encore plus poignantes lorsqu’il est précisé qu’ils les détruisirent entièrement « hommes et femmes, enfants et vieillards, jusqu’aux bœufs, aux brebis et aux ânes », ne laissant aucun rescapé (Jos 6.21 ; 11.11,14 ; cf. également Deut 2.34 et 3.6).
Ces expressions conduisent nos consciences modernes à rapidement accuser deux acteurs des événements décrits : le Dieu « d’amour » qui aurait commandé le massacre sanglant des Cananéens, et les Israélites qui auraient exterminé les Cananéens. L’accusation est-elle justifiée ?
Peut-on parler de génocide ?
Avant de répondre à ces questions, il convient de prendre le temps d’analyser l’ensemble des informations bibliques afin de disposer d’une photographie complète de la situation. Nous relevons ici cinq points à prendre en considération. Ils concernent d’une part la relation entre Dieu et les Cananéens, et d’autre part l’intervention israélite sous le commandement de Josué.

A. La relation entre Dieu et les Cananéen

Que s’est-il passé entre Dieu et les Cananéens ? Y-a-t-il une spécificité cananéenne ?
En Exode 33.12 à 34.9, Moïse demande à voir la face de Dieu. Ce dernier se révèle à lui en proclamant son nom : « L’Éternel, l’Éternel, Dieu, miséricordieux et compatissant, lent à la colère, riche en bonté et en fidélité, […] qui pardonne l’iniquité, la rébellion et le péché, mais qui ne tient point le coupable pour innocent… » Dieu choisit donc de se révéler sous ses caractères qui marquent sa relation avec l’homme.
Notons deux principaux traits : sa grande patience, motivée par sa miséricorde, et sa justice.

1. Dieu a été patient envers les Cananéens

Cette patience a duré au moins 400 ans [note] Ce décompte démarre à la déclaration de Dieu à Abraham (Gen 15.16). Il ne tient pas compte de toute la période qui la précède.[/note] . Lorsque Dieu promit à Abraham de lui donner le pays de Canaan, il lui précisa que le délai de réalisation de la promesse serait très long parce que « l’iniquité des Amoréens [note]Les Amoréens : terme générique pour désigner les habitants de Canaan.[/note] n’est pas encore à son comble » (Gen 15.16). Pendant cette période de patience, nous pouvons penser que les Cananéens ne sont pas restés sans avertissements, car Dieu prévient toujours avant de juger (cf. le cas de Ninive avec Jonas). Les déclarations de Rahab, habitante de Jéricho, vont dans ce sens : « Nous avons appris comment, à votre sortie d’Égypte, l’Éternel a mis à sec devant vous les eaux de la mer Rouge […] C’est l’Éternel, votre Dieu, qui est Dieu en haut dans les cieux et en bas sur la terre » (Jos 2.10 11).

C’est Dieu qui jugeait les Cananéens

Le motif du jugement était clair : « toutes les abominations qu’ils font pour leurs dieux » (Deut 20.18). Rappelons que les sacrifices d’enfants et l’immoralité sexuelle étaient très présents dans le culte cananéen [note]Ces pratiques sont aussi attestées par des découvertes archéologiques.[/note] . Les Israélites devaient donc démolir leurs autels, briser leurs statues, abattre leurs idoles et brûler leurs images taillées (Deut 7.5). Le commandement divin d’extermination n’était donc pas formulé sur une base raciale, mais sur la base du comportement immoral des Cananéens. D’ailleurs, les Israélites couraient le même risque de jugement s’ils commettaient les mêmes abominations, selon Deut 7.4 : « … tes fils, qui serviraient d’autres dieux, et la colère de l’Éternel s’embraserait contre vous : il te détruirait promptement. » Comme pour Sodome et Gomorrhe, Dieu ne pouvait plus supporter les iniquités pratiquées par les Cananéens.
Le juge était Dieu lui-même. Le texte biblique montre que les batailles sont menées par l’épée de l’Éternel lui-même : « Comme Josué était près de Jéricho […] voici un homme se tenait debout devant lui, son épée nue dans la main […] Je suis le chef de l’armée de l’Éternel, j’arrive maintenant » (Jos 5.13 14).
En revanche, le moyen de jugement visible sur le champ de bataille était l’épée des Israélites. Ils ne devaient laisser aucun survivant sur le champ de bataille, parce que les Cananéens étaient « frappés d’anathème » ou « dévoués par l’interdit ». Ces expressions traduisent le terme herem qui désigne une chose entièrement consacrée à l’Éternel (Lév 27.28). S’il s’agit d’une personne, celle-ci doit être mise à mort. Autrement dit, la vie des Cananéens revenait au Créateur. Josué a donc conduit les Israélites dans l’obéissance au commandement divin — ce que le texte biblique tient à souligner : « Josué exécuta les ordres de l’Éternel à Moïse, […] il ne négligea rien de tout ce que l’Éternel avait ordonné à Moïse. » (Jos 11.15) Il ne s’agit donc pas d’une conquête accomplie par haine contre les Cananéens.
Notre conscience peut être choquée par la violence des événements. Mais, sans rentrer dans les détails, on constate à travers l’histoire biblique que la violence humaine est présente lors de l’exécution de jugements divins. Le Fils de Dieu lui-même n’y a pas échappé. En effet, lorsque la colère de Dieu s’est déversée sur lui à notre place, toute la cruauté de la crucifixion des Romains s’est manifestée. Devons-nous en déduire pour autant que Dieu est violent ?
En conclusion, nous pouvons dire que Dieu n’a pas agi de manière spécifique avec les Cananéens : il n’y a pas d’exception cananéenne, mais une jurisprudence cananéenne. Comme Dieu a été patient avec eux, il est patient envers tous les hommes ; comme il les a détruits en jugement, il fera de même pour tous les impies (cf. 2 Pi 3.7-9).
L’accusera-t-on alors de génocide ? Cela n’a pas de sens… L’exercice de la justice reste la prérogative de Dieu.

B. L’intervention israélite sous le commandement de Josué

Les Israélites ont-ils profité de l’occasion pour commettre des actes coupables envers les Cananéens ?
Nous avons remarqué ci-avant que le texte biblique souligne l’obéissance de Josué aux commandements divins. Il a respecté scrupuleusement le cadre prescrit par Dieu lui-même ; et ce cadre, c’est la guerre.

3. Les Israélites ont conquis le pays selon les règles de la guerre

Dieu avait clairement précisé les règles de guerre que le peuple devait suivre. Il devait demander la paix avant d’attaquer une ville. « Quand tu approcheras d’une ville pour lui faire la guerre, tu l’inviteras à la paix. » (Deut 20.10, Darby) Si la ville était hostile, la guerre était justifiée. S’il s’agissait d’une ville en dehors de Canaan, seuls les hommes adultes devaient être tués. S’il s’agissait d’une ville située dans le pays, elle devait être entièrement détruite en application de l’anathème.
Il ne devait donc pas y avoir de prisonniers de guerre, ni de butins dans ces villes, comme évoqué précédemment.
Moïse a observé ce commandement pour la conquête des territoires à l’est du Jourdain en prenant soin de demander la paix (Deut. 2.26-30).
Nous n’avons pas de précisions concernant une demande de paix lors de la première campagne militaire menée par Josué (Jéricho, Aï et Béthel).
Mais les six jours de tour de la ville de Jéricho ne peuvent-ils pas être considérés comme autant d’offres implicites de paix ? Concernant les deux autres campagnes militaires, la déclaration de guerre provenait des Cananéens eux-mêmes. Les Israélites se sont retrouvés en guerre, soit à cause de leur alliance avec les Gabaonites, soit pour répondre à une agression directe. Le texte précise que « l’Éternel permit que ces peuples s’obstinent à faire la guerre contre Israël, afin qu’Israël […] les détruise » (Jos 11.20). De plus, « Israël ne brûla aucune des villes qui étaient demeurées tranquilles sur leurs collines, excepté Hatsor » (Jos 11.13, Darby).
Dans ce contexte, il est intéressant de noter le cas des Gabaonites. Ces derniers ont réussi à négocier la paix par ruse. Ils ont été asservis aux Israélites conformément au commandement divin.

4. La conquête est décrite en termes de victoires remportées

En effet, le narrateur s’attarde à rapporter la prise de villes et l’anéantissement de rois (cf. le résumé de Josué 12), plutôt que la destruction des habitants.
La conquête a donc consisté à détruire les points stratégiques que constituaient les villes [note]En réalité, seules trois villes ont été entièrement détruites et brûlées par le feu (Jéricho, Aï et Hatsor).[/note] . Ces dernières étaient les centres religieux, commerciaux, administratifs. La prise de ces villes garantissait la domination d’Israël sur le territoire. En effet, à la fin des campagnes militaires, il restait encore une grande partie à prendre en possession (« le pays qui te reste à soumettre est très grand », Jos 13.1). Chaque tribu avait la responsabilité de prendre possession des contrées qui lui étaient attribuées en partage alors que les ennemis étaient désormais affaiblis. La situation des géants Anakim est symptomatique à ce sujet : Josué les extermina avec leurs villes (Jos. 11.21), mais à Hébron, Caleb a dû déposséder les Anakim qui y étaient toujours (Jos. 14.12 ; 15.14).
Cette dernière citation semble montrer une contradiction : il détruisit entièrement, mais il en reste ! On voit donc que le style utilisé par le narrateur est hyperbolique. Lorsqu’il parle de destruction complète, il veut souligner la victoire totale obtenue par Josué. Il ne s’agit donc pas d’une formule pour décrire une éradication complète des Cananéens. D’ailleurs, ses conclusions après la description de la conquête et du partage font uniquement référence à la fin de la guerre : « Le pays se reposa de la guerre » (Jos 11.23 ; 21.44, Darby).

5. Les Israélites ont laissé vivre des Cananéens dans le pays

La cartographie du pays après la conquête est bien éloignée de celle d’un territoire peuplé uniquement d’Israélites. Cette situation est bien conforme aux annonces divines. En effet, Dieu avait expressément annoncé que la conquête serait progressive : « L’Éternel, ton Dieu, chassera peu à peu ces nations loin de ta face. » (Deut. 7.22) L’hypothèse de la présence de Cananéens en permanence dans le pays était sous-entendue par Dieu lui-même, puisqu’il avait commandé aux Israélites de ne pas s’allier à eux par mariage (Deut 7.3).
On voit aussi que dans certains cas, des échappés ont été laissés en vie : « Quand Josué et les fils d’Israël eurent achevé de leur infliger une très grande défaite, jusqu’à les détruire, il arriva que les fuyards d’entre eux échappèrent et entrèrent dans les villes fortifiées ; et tout le peuple retourna en paix au camp. » (Jos 10.20-21, Darby). On peut remarquer que dans certains cas, ils ne tuèrent que les hommes (Jos. 11.14).
En conclusion, nous pouvons dire que les Israélites n’ont pas conquis le pays dans une logique de destruction systématique des Cananéens. Leurs actes s’inscrivaient dans le cadre d’une guerre, leurs ennemis cherchant à leur faire subir le même sort.
Accuserons-nous de génocide une armée qui lance une contre-offensive ?

En synthèse

Les cinq points évoqués nous indiquent déjà qu’une lecture plus attentive du texte biblique diminue le sentiment de génocide. Le but du commandement divin était double : d’une part, juger les Cananéens qui ne se sont pas détournés de leurs abominations ; et d’autre part, préserver les Israélites de l’idolâtrie cananéenne, afin de les protéger in fine du jugement divin. On discerne alors à travers ce commandement que Dieu est à la fois juste et bon : juste, car il ne laisse pas le coupable impuni ; bon, car il veut avant tout éviter de devoir le punir.
Comment donc ne pas faire confiance à un tel Dieu ? Comment ne pas décider de se détourner de ses mauvaises voies et croire en lui ? Un exemple de jugement divin comme celui des Cananéens a aussi un rôle pédagogique ; il devrait nous inciter à nous rapprocher du Dieu « miséricordieux, lent à la colère, et grand en bonté ».