PROMESSES
Quelques réflexions sur les chapitres 8 et 9 des Proverbes
« La sagesse ne crie-t-elle pas ?
L’intelligence n’élève-t-elle pas sa voix ?
C’est au sommet des hauteurs près de la route,
C’est à la croisée des chemins qu’elle se place ;
À côté des portes, à l’entrée de la ville,
À l’intérieur des portes, elle fait entendre ses cris :
Hommes, c’est à vous que je crie,
Et ma voix s’adresse aux fils de l’homme.
L’Éternel m’a acquise au commencement de ses voies,
Avant ses œuvres les plus anciennes.
J’ai été établie depuis l’éternité,
Dès le commencement, avant l’origine de la terre.
La sagesse a bâti sa maison,
Elle a taillé ses sept colonnes.
Elle a égorgé ses victimes, mêlé son vin,
Et dressé sa table.
Elle a envoyé ses servantes, elle crie
Sur le sommet des hauteurs de la ville :
Que celui qui est stupide entre ici !
Elle dit à ceux qui sont dépourvus de sens :
Venez, mangez de mon pain,
Et buvez du vin que j’ai mêlé ;
Quittez la stupidité, et vous vivrez,
Et marchez dans la voie de l’intelligence ! »
(Prov 8.1-4,22-23 ; 9.1-6)
Pendant le siècle qui vient de prendre fin, plusieurs ont accusé Dieu de mutisme, d’indifférence ou d’incohérence. Chaque nouvelle catastrophe humaine semblait les renforcer dans leur protestation. Mais comme on ne fait pas le procès de Dieu sans dresser un acte d’accusation au-dessus de tout soupçon, ces dénonciateurs ont juré que leur démarche présentait toutes les garanties d’honnêteté, d’objectivité, et d’humanisme désintéressé. Dans leur foulée, les courants anti-chrétiens, qui ont porté la mentalité contemporaine vers l’athéisme pratique qu’on lui connaît, ont régulièrement affiché une sincérité, une « authenticité » qui ont fait croire que notre époque était sur le point de s’ouvrir à de nouvelles formes de sagesse.
Or, les nouvelles sagesses, à l’examen, n’ont rien de révolutionnaire en elles-mêmes. Qu’elles viennent d’Orient ou d’Occident, elles se proposent comme toujours de rendre notre vie plus raisonnable, plus riche de sens, plus harmonieuse, ou plus épanouie. Bref, elles se présentent comme des perches de salut qu’il suffit de saisir — ou de repousser, personne n’y étant astreint. Elles comportent, comme toutes les sagesses antiques, une vision du monde (les anciens parlaient de cosmogonie, les modernes se contentent d’une analyse historique, anthropologique, ou sociologique) ; elles en tirent quelques principes directeurs, une éthique, et parfois, une orientation politique (« verte », « rose », « rouge », etc.). Elles sont souvent tentées par les généralisations métaphysiques (nouvelles formes d’ascèses, nouvelle religiosité ; sectes, tendances alternatives, Nouvel Âge). Forts de ces éléments, les nouveaux sages tentent d’extérioriser leur philosophie aussi fidèlement que possible, car leur crédibilité et leur réalisation personnelle en dépendent.
Il est vrai que les masses populaires, imprégnées de l’ambiance post-moderne ultra-permissive, se contentent d’un minimum de contraintes et de valeurs. Toutefois, hier comme aujourd’hui, la sagesse (ou son apparence) reste admirée, même au sein des mouvances les plus débridées. Comme toujours, elle se veut théoriquement fiable et pratiquement efficace. Elle a ses maîtres, ses prêtres, ses experts, ses gourous, ses lamas ; elle recherche des disciples.
Quant au présent article, il s’efforcera de dépeindre, en se fondant sur les chapitres 8 et 9 (jusqu’au v. 12) du livre des Proverbes, un tout autre visage de la sagesse : celui de la Sagesse divine, radicalement distincte de celle des hommes réputés sages.
1. Allégorie ou réalité ?
Ces versets mettent en scène la Sagesse (ou l’Intelligence) personnifiée : la Sagesse parle, invite, exprime divers avis, proclame, promet, raconte ses œuvres, met en garde, exhorte. Faut-il n’y voir qu’un procédé littéraire propre à rendre le sujet plus concret ? Ne s’agit-il que d’une allégorie destinée à réveiller les égarés et les simples ?
Le lecteur de l’Ancien Testament aurait pu le comprendre ainsi. Mais pour le croyant familier de l’Évangile, ces versets sont clairement prophétiques de la personne et de l’œuvre de Christ. Si cette interprétation se justifie, nous verrons que la notion biblique de « sagesse » renverse de fond en comble nos conceptions générales sur Dieu, sur nos relations avec lui, sur nos moyens de salut et sur les fondements d’un comportement dit de « bonne moralité ».
2. Où la rencontre-t-on ?
Il n’est pas nécessaire d’être un philosophe né, de s’user de longues années sur des bancs d’université ou de couvent, de se livrer à des rites initiatiques, de participer à des voyages intersidéraux, ou d’accéder à des états de conscience modifiée pour la rencontrer. Elle vient à nous, se tient à la croisée des chemins, bien en évidence sur les hauteurs de la ville, près des portes et des foules (8.2,3 ; 9.3).
Ces détails du texte des Proverbes annoncent le ministère spécifique du Messie, de l’Envoyé de Dieu, d’Emmanuel – Dieu parmi nous (Jean 1.1-18). « Je suis le pain de vie. » (Jean 6.35) « Je suis la lumière du monde. » (Jean 8.12a) «Je suis la résurrection et la vie. » (Jean 11.25a) « Le dernier jour, le grand jour de la fête, Jésus, se tenant debout, s’écria : Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive… » (Jean 7.37) « Je suis le chemin, la vérité, et la vie. Nul ne vient au Père que par moi. » (Jean 14.6) « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. » (Mat 11.28) Ce ministère se poursuit actuellement par l’action de la Parole écrite et du Saint-Esprit (Jean 16.12-15), et par le témoignage de l’Église (peut-être préfigurée dans le ch. 9 des Proverbes sous la forme des « servantes » de la Sagesse, v. 3a).
Du reste, la Sagesse incarnée ne se lasse pas de se faire entendre et comprendre ; elle élève la voix jusqu’à crier, de peur que les passants ne lui accordent aucun crédit (8.3,4 ; 9.3). Pour qui ne ferme pas volontairement ses oreilles, la voix de Dieu retentit de manière explicite, sans ambiguïté. À travers la Création, bien sûr (Ps 19.2-5), mais surtout par le Fils révélé dans l’Écriture : « Dieu, dans ces derniers temps, nous a parlé par le Fils … Le Fils est le reflet de sa gloire et l’empreinte de sa personne… » (Héb 1.2a et 3a) Alors que se multiplient les voix mensongères, les contrefaçons de la vérité, les séductions de tous ordres (Mat 24.4,5,11,23,24), la voix puissante et unique de la Sagesse divine continue d’affirmer sa différence, et le temps est proche où l’on pourra constater que la « bonne nouvelle du royaume » a été « prêchée dans le monde entier pour servir de témoignage à toutes les nations » (Mat 24.14a ; cf. Rom 10.16-18).
3. Qui peut la rencontrer ?
Tous les hommes qui se laissent interpeller et qualifier de « stupides », d’« insensés » (8.5 ; 9.4,6). L’entrée en matière est fort rude, mais Christ n’a jamais flatté l’homme. Sa compassion et son amour infinis l’ont au contraire amené à déclarer sans ambages qu’il était venu pour sauver des hommes en danger de mort éternelle, des pécheurs, des êtres profondément malades et corrompus. Se mettre à l’écoute de la Sagesse divine implique que l’on se reconnaisse en complet déficit de sagesse et de ressources pour l’accomplissement de notre salut : « Car puisque le monde, avec sa sagesse, n’a point connu Dieu, il a plu à Dieu dans sa sagesse de sauver les croyants par la folie de la prédication » (1 Cor 1.21). Le paradoxe doit aller jusque là !
Dans notre texte des Proverbes, tous les auditeurs de la Sagesse ne sont pas naturellement prédisposés à se reconnaître comme perdus, car certains semblent s’être entourés de toutes sortes de choses précieuses à leurs yeux (8.11), et il se peut qu’ils se soient accoutumés à rejeter ce qui provient de la source divine (8.33), ou même à s’en moquer (9.12). Mais la Sagesse plaide, et plaide encore pour les arrêter dans leur course folle, sachant qu’aucun retournement d’âme et de conscience n’est exclu.
4. Les prérogatives de la Sagesse
Parmi ses qualités, nous retenons que la Sagesse :
– est droite, juste et vraie absolument (8.6-8) ;
– est limpide pour ceux qui la reçoivent (8.9) ;
– est la science, le discernement, et l’intelligence à l’état pur (8.10-12) ;
– hait le mal et la perversité (8.13) ;
– possède la force qui mène au succès véritable et durable (8.14) ;
– est souveraine sur toute forme d’autorité humaine (8.14-16) ;
– est infiniment riche et généreuse envers ceux qui lui font confiance (8.18-21) ;
– existe de toute éternité en présence de Dieu (8.22-25), ou, comme le formulaient les Pères de l’Église, est éternellement engendrée et consubstantielle au Père ;
– a été l’instrument de la Création divine (8.27-31) ;
– est source de vie (8.35 ; 9.11) et conduit le croyant jusque dans la présence de Dieu (8.35).
Aucun homme de l’Ancien Testament, aussi sage ait-il été, n’a réuni en lui-même autant de perfections, loin s’en faut. Cette fiche signalétique de la sagesse personnifiée ne peut désigner que Jésus-Christ . En effet, toutes les qualités énumérées ci-dessus montrent à l’évidence que la Sagesse issue de Dieu est unique, incomparable, inégalable, comme ne peut l’être que le Fils unique de Dieu. Mais ce qui devrait nous bouleverser par dessus tout, c’est que toute son activité est prioritairement orientée vers l’homme misérable, et qu’elle semble brûler du désir d’attirer cet homme à Dieu, en lui conférant ses qualités mêmes avec la plus entière bonté et générosité. Comme si Dieu, à travers son Fils, n’avait pas de plus grande passion que de créer la vie (physique et spirituelle), ou de la recréer lorsque le péché la met en péril. N’est-ce pas, en condensé, toute l’œuvre de la grâce de Dieu qui apparaît ici, et tout le contraire d’une philosophie fondée sur l’autosuffisance ou sur le mérite humains ?
En explorant le texte des Proverbes plus avant, on peut même discerner que l’œuvre de la Croix et de la mort expiatoire de Christ apparaissent comme en filigrane. Le début du chapitre 9 (v. 2-5) fait allusion à des « victimes » qui ont été rendues nécessaires en vue du grand banquet de la Sagesse. Le « pain » et le « vin » ont également été préparés. Ce langage renvoie au récit de la Pâque et au culte lévitique, dont la signification ultime culmine dans l’offrande du corps de notre Seigneur et dans l’aspersion de son sang. Ces actes fondateurs de notre salut inaugurent non une nouvelle philosophie, mais une nouvelle relation entre l’homme et Dieu.
5. Réalité nouvelle
Pour qui répond favorablement à l’invitation de la Sagesse, une nouvelle sphère spirituelle devient accessible. Ayant désormais l’assurance de l’approbation de Dieu (8.35), se sachant aimé de Dieu (8.17), recevant quotidiennement les instructions justes, droites et bonnes de son Père céleste (8.6-10) ainsi que ses bénédictions (8.21 ; 9.11), le « fils de la Sagesse » peut se dire heureux et comblé (8.32,34). Le voilà rendu capable de vivre de manière réellement sage, et de tirer parti des préceptes, des conseils, des trésors de la Parole du Père.
À moins que son ancienne mentalité et manière de vivre ne le rattrapent… Car pour être juste, il faut admettre que les enfants de Dieu, censés vivre de Christ et selon sa Parole, ne se comportent pas automatiquement en enfants sages. Notre texte des Proverbes en laisse transparaître quelque chose, lorsqu’il signale que le sage a parfois besoin d’être repris (9.8b), et que la sagesse reçue ne dispense pas de l’écoute soigneuse et quotidienne de la voix de notre divin maître (8.32-34).
Quel est le plus grand danger de dérapage sur notre route de chrétiens ? Chaque lecteur le sait sûrement, comme je le sais : c’est le retour de notre très naturelle, instinctive et détestable « arrogance », de notre « orgueil » et de nos faux raisonnements (cf. 8.13), car alors nous nous croyons sages et supérieurs en nous-mêmes. Le triste exemple de Satan devrait nous revenir beaucoup plus vite en mémoire.
Et quelle est notre plus grande sécurité sur cette route ? N’est-ce pas d’expérimenter que notre Sauveur s’occupe de notre progression, et se réjouit de nos progrès (cf. 9.9) ? Si nous nous égarons, ou si nous nous targuons d’une sagesse personnelle au-dessus de la moyenne, le Seigneur est contraint de nous rappeler notre « stupidité » originelle. Mais si nous nous repentons, il se plaît ensuite à nous pardonner, à nous relever, à nous assister dans notre marche, que nous voulons conforme à sa parfaite volonté.
Deux encouragements de l’Écriture termineront ce bref commentaire :
– « Si quelqu’un d’entre vous manque de sagesse, qu’il la demande à Dieu, qui donne à tous simplement et sans reproche, et elle lui sera donnée. » (Jac 1.5)
– « À celui qui peut vous affermir selon mon Évangile et la prédication de Jésus-Christ, conformément à la révélation du mystère caché pendant des siècles, … à Dieu seul sage soit la gloire aux siècles des siècles, par Jésus-Christ ! Amen ! » (Rom 16.25,27)
« L’homme naît pour souffrir, comme l’étincelle pour voler » (Job 5.7)
… mais que de cris, que de questions, que de soupirs s’envolent vers le Ciel lorsque la souffrance fait parler l’homme : « Comment Dieu peut-il soutenir le spectacle de ses créatures décimées par des fléaux en tous genres ? Pourquoi la corruption, l’oppression des plus pauvres, la violence semblent-elles prospérer? Jusqu’à quand les ravages des sadiques, des pervers, des pédophiles, et des marchands de sexe ? » Autant d’expressions souvent légitimes du scandale de l’interminable souffrance humaine.
Mais ce n’est là que la pointe de l’iceberg. L’essentiel du drame reste enveloppé d’un épais mystère. Cerner les causes, la nature, les symptômes de la souffrance en termes exacts est sûrement la plus aléatoire des entreprises. Ne suis-je pas prêt, selon les circonstances, à relativiser la souffrance des autres, à estimer certaines souffrances méritées, et d’autres injustes ; certaines dérisoires, mais d’autres intolérables ? Me voilà amené à établir des catalogues, à justifier certains maux, et à en dénoncer d’autres. Me voilà à la place de Dieu…mais aussi renvoyé à mes propres incohérences, à mon indifférence, voire à ma cruauté. Bref, à mon incompétence en la matière.
Or la Révélation divine ne me propose rien de moins qu’un regard neuf sur ce chapitre. Elle m’ouvre une porte sur l’origine de la souffrance, qu’il faut relier à l’entrée du péché dans le monde. Elle me prévient contre les faux diagnostiques, contre les amalgames dangereusement simplificateurs (cf. Jean 9.1-3). Elle trace le plan divin d’éradication définitive de toute forme de souffrance. Enfin, elle me dévoile la souffrance de Dieu, le vrai sens des souffrances de Christ, auxquelles la majorité des hommes ne prêtent aucune attention, ou alors une attention suspecte et morbide (c’est le cas du dernier film de Mel Gibson sur la Passion de Jésus). Dans la juste compréhension du combat de Dieu contre tout ce qui m’afflige (même les plus petits coups de blues) réside ma paix, et en germe, la force d’entrer à mon tour dans ce combat avec, en ligne de mire, la victoire sur toute forme de mal.
« C’est un peuple qui a sa demeure à part, et qui ne fait point partie des nations » (Nom 23.9b)
Minuscule sur la carte du Moyen-Orient, le peuple d’Israël est pourtant plus encombrant que bien des grandes nations. Depuis le 11 septembre 2001, aucun politicien ni aucun économiste n’ignorent que les passions qui se déchaînent autour de « la Terre sainte » peuvent frapper en tous lieux, des Etats-Unis en Extrême-orient. Les tentatives de remodelage géopolitique de la région ont des effets indirects puissants sur tous les marchés et dans toutes les grandes capitales de la planète. Une procession de négociateurs assermentés s’attellent avec acharnement à la résolution du « casse-tête israélo-arabe ». Quant aux chrétiens de tous bords, on les entend émettre jugements et avis à foison, plus ou moins pro-israéliens ou pro-palestiniens selon les tendances.
Parce que la singularité d’Israël dérange, notre attitude à l’égard de ce peuple est facilement marquée par le parti-pris, et ne se cantonne que rarement dans l’indifférence. Nous sentons que nos relations avec la nation juive ne sont pas de nature politique ou historique seulement. Une lointaine filiation spirituelle nous rapproche, lumineuse et orageuse à la fois. Et dans nos contrées, dont les chefs religieux se réclament officiellement du plus grand Juif de l’histoire, les vieux démons de l’anti-sémitisme refusent de mourir.
Le monde dit « chrétien » a écrit bien des pages noires en cherchant à imposer à l’entité juive ses décrets et ses « feuilles de route ». Nous interrogerons donc en priorité des textes juifs pour tenter de répondre à la question : «Quel plan de route Dieu réserve-t-il à Israël dans le temps actuel ?» Ce thème eschatologique déjà crucial lors de la rédaction des écrits du Nouveau Testament englobe toute l’ère de l’Eglise, et au delà.
Nous n’avons pas la prétention, dans le cadre d’un court article, d’achever une telle enquête. Nous tenterons cependant, pour éviter l’arbitraire, de nous focaliser sur des passages qui traitent notre thème de manière frontale et globale. Et comme l’épître de Paul aux Romains offre un saisissant exposé de la doctrine chrétienne – et le plus systématique, il est logique de penser que les trois chapitres ( 9 à 11) qui s’y trouvent consacrés à la problématique d’Israël constituent également des préliminaires obligés.
1. Enthousiasme et dépression.
Comment comprendre que l’apôtre Paul, après la magistrale ascension qui l’amène au chapitre 8 de son épître aux Romains, sombre subitement dans une forme de dépression morale et spirituelle : « J’éprouve une grande tristesse, et j’ai dans le cœur un chagrin continuel » (9.2) ?
Dans toute la première partie de sa lettre, Paul a pris le temps d’établir fermement les doctrines de la culpabilité universelle, de la toute-suffisance de l’Evangile, du salut par la foi, de la sanctification personnelle. A l’issue de ce parcours, le chapitre 8 constitue une sorte de sommet théologique, où l’apôtre exulte au spectacle de tous les privilèges du croyant : ne sommes-nous pas, en Jésus-Christ, tout à la fois pardonnés, justifiés, libérés de l’esclavage du péché, remplis d’une vie impérissable, adoptés par Dieu comme ses fils, animés par l’Esprit, promis à la rédemption de nos corps et à la gloire, conduits pas à pas, protégés, prédestinés à devenir semblables à l’image de Christ ? Et l’apôtre de conclure par cette note de triomphe : « nous sommes plus que vainqueurs », car rien « ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur » (8.35-39).
C’est à ce point précis que se produit l’effondrement. Et quel est donc l’enchaînement de pensées qui désarçonne l’apôtre ? Le voici : les privilèges dont il vient de se réjouir sont accordés universellement à tous les « païens » qui placent leur foi en Jésus-Christ. Plus rien ne peut les séparer de l’amour de Dieu. Mais quant à ses « parents selon la chair », les Israélites, ils sont encore effectivement privés de la sécurité des croyants, car dans leur majorité, ils ne reçoivent pas l’Evangile. Or, aux Israélites « appartiennent l’adoption, la gloire, les alliances, la loi, le culte, les promesses, et les patriarches, et (de cette nation) est issu, selon la chair, le Christ, qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni éternellement. Amen! » (Rom 9.3-5). Israël a-t-il donc été dépouillé de son héritage ?
Tout le débat des chapitres 9 à 11 s’attache à sonder cette énigme humaine et théologique. En scrutant la pensée de Dieu pour tenter d’y lire le mystère du destin d’Israël, Paul va nous entraîner à une juste perception de la « question juive ».
2. Rétrospective
« Je voudrais moi-même être anathème et séparé de Christ pour mes frères…les Israélites » (9.3a,4a) : que le grand apôtre en arrive à souhaiter l’impossible devrait nous étonner à plus d’un titre. Paul ne se résigne pas au sort actuel des Juifs : il se met à leur place, il cherche à les sortir de l’impasse, il se laisse blesser à vif. Or, une telle empathie n’est absolument pas naturelle :
– Premièrement, Paul a été, avant sa conversion, un parfait combattant pour la défense d’un judaïsme pur et dur. Il a persécuté les chrétiens. Il est bien placé pour savoir qu’en suivant ce chemin, c’est Jésus lui-même qu’il persécutait. Maintenant qu’il est chrétien, doit-il prendre le parti de son ancienne religion ?
– Deuxièmement, pendant les trois voyages missionnaires qu’il a effectués avant de rédiger son épître aux Romains (il envoie celle-ci depuis Corinthe, alors que son 3ème voyage n’est pas terminé), Paul s’est continuellement heurté à une résistance opiniâtre de la part des Juifs, qui sont allés jusqu’à le lapider pour se débarrasser de lui. Pourquoi ne pas en conclure que ce peuple est prévenu contre l’Evangile de manière incurable ?
– Troisièmement, Paul est le grand apôtre des païens, le fondateur, l’organisateur, le visionnaire inspiré des jeunes églises en dehors du territoire d’Israël. Nul mieux que lui n’a œuvré à l’affermissement du Corps de Christ, nul n’en a mieux révélé la dimension divine. Pourquoi donc se lamenterait-il sur ceux qui, parmi les Juifs, ne veulent rien de cette glorieuse construction à l’honneur de Dieu ?
Logiquement, Dieu ne peut honorer son Fils Jésus-Christ, et simultanément bénir ceux qui le rejettent. Pourtant, la souffrance de Paul est là, non seulement réelle et intense, mais produite par le Saint-Esprit (Act 9.1). Comment échapper à cette déchirure ? Nous savons, par la fin du livre des Actes, que la réponse à ce dilemme n’est jamais reçue dans la facilité (cf Act 28.17-29). Mais une première évidence se dégage de tous les éléments que nous venons d’énumérer : au vu de ses expériences personnelles, l’apôtre Paul aurait été le candidat le mieux choisi pour décréter qu’Israël n’avait plus aucun avenir en tant que « peuple élu » ; que Dieu s’était choisi un peuple nouveau, l’Eglise, pour le remplacer ; et qu’il fallait se montrer sans pitié envers les Juifs incrédules.
Or, c’est tout le contraire qu’il exprime : Paul gémit sur l’état de sa nation, et nous révèle ce qu’une conscience éclairée par le Saint-Esprit et par les Ecritures (9.1-5) doit ressentir au sujet d’Israël. C’est de cette attitude que nous voulons tirer exemple.
3. Israël dans le plan de Dieu
Après la Pentecôte, les premiers messages d’évangélisation s’adressaient aux « hommes juifs », aux « hommes israélites », aux « chefs du peuple et anciens d’Israël », et des milliers d’entre eux saisirent la grâce de Dieu. Ce fut le début de l’Eglise. Mais la majorité d’Israël ne se laissa pas convaincre, et s’exclut volontairement de la bénédiction. Paul, alors qu’il était encore Saul le persécuteur, se rangeait du côté de cette majorité lorsqu’il entendit Etienne, sur le point de mourir martyr, s’adresser aux chefs du sanhédrin : « Hommes au cou raide, incirconcis de cœur et d’oreilles ! Vous vous opposez toujours au Saint-Esprit…vous qui avez reçu la loi d’après des commandements d’anges, et qui ne l’avez point gardée ! » (Act 7.51-53). Mais Paul, l’apôtre, se souvenait sûrement des dernières paroles d’Etienne agonisant : « Seigneur, ne leur impute pas ce péché ! ». Sévérité à l’égard du péché, miséricorde à l’égard du pécheur : Christ avait tracé la voie, ses disciples lui emboîtaient le pas, et Paul retenait la leçon. Comment allait-il l’appliquer à l’Israël de l’ère nouvelle qui commençait ?
Dans les chapitres 9 à 11 des Romains, l’apôtre, éclairé par l’Esprit, est amené à considérer ce que comporte le programme de Dieu en faveur de son peuple égaré. En voici les points essentiels :
a) Rien ne permet de penser que les prérogatives d’Israël, résumées plus haut (Rom 9.4,5), aient été définitivement transférées à d’autres.
Tout d’abord, l’apôtre maintient le présent en parlant des choses qui appartiennent de droit à Israël (9.4).Paul affirmera la même vérité à la fin de son développement : « En ce qui concerne l’élection, ils sont aimés à cause de leurs pères. Les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables » (10.28b,29).
L’Ancien Testament désignait clairement la cause de l’élection d’Israël : « C’est à tes pères seulement que l’Eternel s’est attaché pour les aimer ; et, après eux, c’est leur postérité, c’est vous qu’il a choisis d’entre tous les peuples… » (Deut 10.15). Cet Amour divin à la recherche de l’amour humain incluait nécessairement la miséricorde, car ce peuple ne méritait aucun traitement de faveur, ni n’allait se montrer particulièrement soumis: « Ainsi donc, cela (= l’élection d’Israël) ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde » (cf 9.6-18, en particulier v. 11 et 16). Une grande confusion règne actuellement dans les cercles chrétiens (et musulmans !) parce que l’on oublie que l’alliance de Dieu avec Abraham puis avec les patriarches était fondée sur la pure grâce de Dieu, et était accompagnée de plusieurs promesses inconditionnelles. Celles-ci esquissaient le plan général de Dieu pour l’humanité, mais aussi le plan de Dieu pour l’avenir spirituel, national, et territorial des descendants de Jacob (rebaptisé « Israël » par Dieu). Relisons, si nécessaire, Gen 12.2 ; 15.7-21 ; 17.8 ; 18.17-19 ; 26.3-5 ; 28.10-15 ; Ex 32.13. La concrétisation finale de ces promesses est réitérée par les prophètes ultérieurs, car ni l’Alliance mosaïque, ni la Nouvelle alliance ne les ont annulées . Contre vents et marées, elles s’accompliront à la lettre (cf Jér 31.1-4,31-37 ; 33.14-22 et al.). Les lignes que J.N. Darby a consacrées aux promesses inconditionnelles de Dieu restent une référence classique sur ce point (voir la préface de sa traduction de la Bible).
b) Les Juifs convertis, même en petit nombre, sont le signe de la pérennité des promesses faites aux patriarches.
« Quand le nombre des fils d’Israël serait comme le sable de la mer, un reste seulement sera sauvé » (9.27 ). Paul cite l’Ancien Testament pour rappeler la doctrine du « reste » d’Israël, qu’on peut résumer ainsi : Dieu ne revient jamais sur ses promesses, même si l’incrédulité, la révolte et la désobéissance de son peuple empêchent que tous ne parviennent au salut. Dieu s’est réservé un certain nombre de « réchappés » qui, à l’exemple de Noé ou des 7000 hommes fidèles du temps d’Elie (cf 11.1-6), permettent à la grâce de Dieu de se déverser. L’apôtre Paul lui-même (et d’autres missionnaires de la première heure, comme Apollos, cf Act 18.24) sont la démonstration vivante de cette doctrine qui traverse toute la Bible. D’où la déclaration péremptoire de l’apôtre : « Je dis donc : Dieu a-t-il rejeté son peuple ? Loin de là ! Car moi aussi je suis Israélite, de la postérité d’Abraham, de la tribu de Benjamin. Dieu n’a pas rejeté son peuple qu’il a connu d’avance » (11.1-2a).
c) Les Juifs et les non-Juifs qui cherchent à se justifier par leurs œuvres tombent sous la condamnation de la Loi, mais ceux qui croient en Christ héritent des bénédictions réservées aux vrais croyants.
L’Eglise est le rassemblement de tous les rachetés, Juifs et non-Juifs. Tous entrent dans la même réalité spirituelle : « Il n’y a donc aucune différence… entre le Juif et le Grec, puisqu’ils ont tous le même Seigneur, qui est riche pour tous ceux qui l’invoquent. Car quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé » (10.12). Dieu ne fait donc aucun favoritisme, ni ne se détourne de quiconque s’approche de lui par la foi. Nul Juif ne peut prétendre au salut du fait de sa seule appartenance à la nation juive ou parce qu’il s’astreint à des observances légales (cf 9.6 « tous ceux qui descendent d’Israël ne sont pas Israël », et les développements subséquents en Gal 2.15-16 ; 3.15-29), mais aucun chrétien non-Juif ne peut ignorer qu’il est, par nature, sous la même condamnation que les Israélites rebelles, « car Dieu a renfermé tous les hommes dans la désobéissance pour faire miséricorde à tous » (11.32).
d) Le destin de l’Eglise et celui d’Israël continuent, dans le temps présent, d’être étroitement associés.
Pressentant les risques de dérives anti-juives, l’apôtre écrit clairement pour prévenir l’arrogance et l’orgueil des païens convertis. Il utilise la fameuse métaphore de l’olivier franc (le tronc et les branches d’origine, la nation d’Israël) sur lequel Dieu a consenti à greffer un olivier sauvage (les païens convertis), de manière à rappeler aux « sauvages » qu’ils n’existent, et ne deviennent convenables aux yeux de Dieu, que parce que portés par le tronc qui les relie aux « racines nourricières » (11.16-24). Un non-Juif qui devient chrétien ne doit jamais perdre de vue qu’avant de se convertir, il était coupé de toute relation vitale avec Dieu (cf 9.24-26 ; comparez avec Eph 2.12 : « « Vous étiez en ce temps là sans Christ, privés du droit de cité en Israël, étrangers aux alliances de la promesse, sans espérance et sans Dieu dans le monde »). D’où ces avertissements aux non-Juifs croyants : « Ne t’abandonne pas à l’orgueil » (10.20) ; « Ne vous regardez point comme sages » (11.25).
Après avoir longuement, dès le premier chapitre de sa lettre, établi la parfaite souveraineté de Dieu, sa sagesse et sa justice, l’apôtre nous confie un « mystère » : ce qui arrive au peuple juif, son « amoindrissement » (11.12), son « endurcissement » (9.18) par rapport à l’Evangile, sa « mise à l’écart » (11.15), sa « chute » (11.12) dans la « désobéissance » (11.31), toutes ces terribles réalités présentes, ne sont pas destinées à perdurer éternellement. Elles subsistent tant que le nombre des non-Juifs que Dieu désire attirer à lui n’est pas encore complet : « une partie d’Israël est tombée dans l’endurcissement, jusqu’à ce que la totalité des païens soit entrée » (11.25). Leur éclipse spirituelle actuelle est donc synonyme de salut, d’enrichissement, de miséricorde et de réconciliation avec Dieu pour le reste du monde (11.11,12,15,30).
Lorsque ce temps d’exil prendra fin, alors Israël retrouvera sa place sur sa terre, et dans le plan éternel de Dieu. Temps de conversion et de salut pour tout le « reste » d’Israël présent sur terre à ce moment (11.12,25,26), glorieuse résurrection nationale (11.15), dont le monde entier profitera, et qui coïncidera avec l’événement majeur de toute l’histoire d’Israël : l’avènement du Messie, enfin reconnu par ses frères de race, et qui viendra libérer son peuple terrestre, le purifier de tout péché, et parachever son alliance éternelle (11.26,27).
Ajoutons qu’une étude attentive des passages de l’Ancien Testament cités par l’apôtre Paul dans les chapitres 8 à 11 des Romains nous permettrait d’aborder d’autres questions eschatologiques d’importance. Elles concernent à la fois l’Eglise, le monde et Israël, à savoir : les tribulations d’Israël et du monde à la fin des temps, le retour de Christ en gloire, son règne de mille ans sur la terre, les fonctions de l’Eglise et d’Israël pendant ce règne, et les caractéristiques de la terre restaurée. Mais dans le cadre limité de notre article, nous voulons seulement souligner la convergence finale des destins de l’Eglise et d’Israël, afin que chacun garde sa juste place devant Dieu.
e) Le destin d’Israël au cours des deux millénaires précédents, si solennel à bien des égards, devrait résonner comme un signal d’alarme aux oreilles de l’Occident post-chrétien.
De même que le statut de « peuple élu » n’a jamais signifié que le peuple d’Israël bénéficiait d’une forme d’impunité auprès de Dieu, les nations christianisées qui renient ouvertement, systématiquement, et follement la foi biblique, ne doivent pas s’attendre à autre chose qu’à la manifestation de la sévérité du Dieu qu’elles bafouent. Divinement inspiré, l’apôtre avertit l’Eglise des temps à venir : « Considère donc la bonté et la sévérité de Dieu : sévérité envers ceux qui sont tombés, et bonté de Dieu envers toi, si tu demeures ferme dans cette bonté ; autrement, tu seras aussi retranché » (11.22). Nous assistons malgré nous tous les jours à l’invasion catastrophique de l’apostasie, de l’immoralité, de l’incrédulité et de la méchanceté sous toutes leurs formes. Déjà se profilent les grands jugements de la fin qu’ont annoncés les prophètes, Jésus lui-même, et les apôtres – dont Paul, Pierre et Jean.
4. Destination finale
Paul était fort affligé par l’état de « ses parents selon la chair ». Dieu lui a remémoré son plan de route pour Israël. Paul a retrouvé confiance et courage. Au lieu de sombrer dans la dépression, il intercède en faveur des Juifs: « Frères, le vœu de mon cœur et ma prière pour eux, c’est qu’ils soient sauvés » (10.1 ). Malgré les zones d’ombre qui subsistent, une louange monte de son cœur : « O profondeur de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont insondables, et ses voies incompréhensibles !… C’est de lui, par lui, et pour lui que sont toutes choses. A lui la gloire dans tous les siècles ! Amen ! » (11.33,36).
Avons-nous, nous aussi, un cœur pour Israël ? Comprenons-nous que son histoire et la nôtre sont indissolublement liées, sans se confondre ni s’exclure l’une l’autre ? Aspirons-nous au moment où les rachetés de l’Eglise et ceux de l’Israël terrestre se tiendront prêts, devant le Roi des rois, à entrer dans la gloire de son Règne et de l’Eternité ?
Puissions-nous, dans notre étude de l’eschatologie, ne pas rester en deçà, ni aller au delà de ce qui est écrit. C’est déjà pleinement suffisant.
Supposons que Lemuel Gulliver1 tienne à compléter sa connaissance du monde. Il traverse les siècles… et le voilà qui aborde aux rives de notre opulent Occident.
Après un premier choc culturel, il découvre que certaines pratiques n’ont pas disparu : les hommes et les femmes se sentent toujours poussés à se plaire, à nouer des relations, à conclure des sortes d’alliances. On célèbre encore des mariages, les plus courageux fondent des familles.
Il veut y voir plus clair : « Qu’est ce qu’un mariage ? Qu’est-ce qu’une famille ? »
Son enquête l’amène vers quelques indigènes: certains semblent satisfaits de leur mariage, d’une jolie petite famille, et d’un bonheur qu’ils espèrent durable. D’autres lui confessent qu’ils ne croient ni au mariage, ni à la famille, car ce genre d’engagements serait source de tensions, de frustrations et même de névroses. Qui croire ?
Sentant naître son désarroi, Gulliver constate que la production de nouveaux spécimens humains ne jouit pas d’une pleine considération. Bien que de vertigineuses inventions soient mises en œuvre pour fabriquer des poupons à tout prix, et pour soigner les plus mal portants, d’autres procédés très efficaces sont appliqués pour en détruire des millions avant leur naissance. Le tout « légalement », le rassure-t-on.
Par ailleurs, les bébés autorisés à vivre et à parvenir à maturité ne savent pas tous d’où ils viennent, parce que leurs « parents » ne sont pas forcément les mêmes qu’au jour de leur naissance. De surcroît, ces rescapés devenus grands ignorent où ils vont, parce que leurs gardiens ne le leur ont jamais révélé. Logiquement, parents et enfants se sentent de moins en moins responsables de qui que ce soit, dans ce « nouveau monde » sans frontières.
Gulliver est donc perplexe. D’un côté, il est impressionné par l’infinie variété d’associations, de partenariats, d’ententes non contraignantes et provisoires que sont devenus mariages et familles – presque un parfum de liberté ! D’un autre côté, il s’étonne qu’une telle liberté puisse engendrer autant de déceptions, de déchirements, de dérives psychiques et morales.
Il en déduit fort naturellement que ses hôtes ont oublié ce qu’est un vrai mariage, ce que vaut une famille, et ce à quoi riment les enfants. Et comme les meilleurs spécialistes du comportement humain (qu’on salue des titres d’anthropologues, de psychanalystes, de sociologues ou d’historiens) ne sont pas d’accord entre eux sur ces questions, Gulliver, qui n’a pas tout à fait exclu que ce monde ait eu un Créateur, cherche à apprendre s’il existe quelque trace du plan divin pour ses créatures, et quelques éclaircissements au sujet des très flagrants dysfonctionnements qui agitent son entourage.
Il a bien voulu inclure la lecture de ce journal dans son programme, car les auteurs de ses articles se sont posé les mêmes questions que lui2.
1. Ses premiers voyages sont recensés dans Les voyages de Gulliver de J. Swift dont le texte original parut en 1726 dans « Gulliver’s Travels »
2. Nous recommandons également à Gulliver la lecture du no 220 de La Revue réformée (mars 2002, Aix-en-Provence), tout entier centré sur la question : « Les bouleversements de la famille : agonie ou mutation ? »
Jésus a souvent été choqué par la manière dont ses contemporains comprenaient les Ecritures. Pas étonnant que sa lecture à Lui les ait à son tour déconcertés.
Voici du reste le principal reproche qu’il adresse aux théologiens de son temps :
"Vous sondez les Ecritures, parce que vous pensez avoir en elles la vie éternelle: ce sont elles qui rendent témoignage de moi. Et vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie!" (Jean 5.39,40).
De quelle manière ces Ecritures rendent-elles témoignage de l’œuvre et de la personne de Christ, et pourquoi est-il si difficile de venir à lui pour avoir la vie ?
Jésus s’est entretenu de cette question avec un « docteur de la loi » qui l’avait abordé.
A. Au cœur du problème
A celui qui voulait apprendre quel était "le plus grand commandement de la loi", Jésus répondit en s’appuyant sur deux versets de l’Ancien Testament seulement (Mat 22.39,40):
"Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta pensée. C’est le premier et le plus grand commandement.
Et voici le second, qui lui est semblable: Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
De ces deux commandements dépendent toute la loi et les prophètes."
Il y a beaucoup dans cette réponse.
1. "Tu aimeras le Seigneur" : la Bible est un livre qui s’intéresse essentiellement aux relations entre l’homme et Dieu. L’existence de l’homme ne peut se comprendre sans l’existence de Dieu, car l’homme a été créé pour aimer Dieu. Toutefois, Dieu est Seigneur, à la fois Créateur et Maître de ses créatures. L’amour de l’homme envers Dieu, et son bonheur, commencent d’abord par l’acceptation de cette souveraineté, de cette radicale transcendance.
2. "…le Seigneur, ton Dieu" : l’homme est destiné à une relation privilégiée, exclusive, intime et personnelle avec son Seigneur. Aussi la Bible ambitionne, pour ses destinataires, bien au delà de l’initiation à une forme particulière de sagesse, de l’adoption d’un code éthique, de l’apprentissage de nouveaux modèles de pensée, de la pratique d’une ascèse quelconque. Elle les replace devant leur centre de gravité par excellence, et leur plus grand trésor: le Dieu éternel.
3. "… de tout ton cœur" : un lien d’amour avec le Dieu de l’Univers ne peut se limiter à une coexistence pacifique ou à une relation d’affaires. Le cœur tout entier est requis, et doit rester mobilisé en permanence pour Dieu. Le cœur, c’est-à-dire le quartier général de mon individu, ce poste de commandement qui décide de mes engagements, de mes choix de vie, de la mise à disposition de tout mon être… le cœur sans lequel tout acte n’est que gesticulation, trompe-l’œil, ou camouflage.
4. "… de toute ton âme" : bien que les termes de cœur et d’âme soient parfois interchangeables dans l’Ecriture, le contexte indique qu’ici l’âme doit être comprise comme une entité distincte du cœur. Il n’est pas déraisonnable de penser que Jésus parle de l’âme comme du grand clavier du corps et des sens, des sentiments, des émotions, et des mouvements caractéristiques de notre tempérament. Dieu ne compte pas seulement sur la soumission de notre volonté, sur un attachement loyal et résolu, mais aussi sur des âmes qui vibrent pour lui, sur des vis-à-vis passionnés par lui.
5. "… et de toute ta pensée": plus de doute, notre relation avec Dieu est réellement destinée à envahir tout le champ du vécu. Elle inclut la totalité de notre être. Elle est "holistique" au plus haut degré. Par conséquent, si notre relation avec Dieu n’est fondée que sur la volonté et sur les émotions, elle se trouvera tôt ou tard prise en défaut. Il y manquera la composante structurante de la pensée, il y manquera la cohérence, la clairvoyance, et cette intelligence réflexive qui nous distingue de l’animal. La soumission à Dieu, notre amour pour lui, n’entraînent pas la régression et la cessation de l’effort intellectuel. C’est le contraire qui doit se produire.
6. "Tu aimeras ton prochain comme toi-même": le message biblique serait à coup sûr irrecevable s’il minimisait l’importance vitale des relations entre humains. Un Dieu tout entier occupé au bien-être de ses créatures pourrait-il négliger de leur enseigner comment se comporter les unes à l’égard des autres? Notre amour envers Dieu peut certes se concrétiser dans la foi, dans la prière, dans l’exercice d’une activité pratique, mais peut-il faire l’économie de notre responsabilité envers nos frères humains? Notre amour pour Dieu et pour notre prochain s’authentifient l’un par l’autre.
"De ces deux commandements dépendent toute la loi et les prophètes":
des deux "lois" rappelées par Jésus découlent tous les enseignements fondamentaux de l’Ancien Testament ("la loi et les prophètes", comme en Rom 3. 21, désignent toute la Révélation vétéro- testamentaire). D’une manière magistralement panoramique, Jésus dévoile l’unité du message biblique, son origine divine, son objectif premier, et ses implications dans tout ce qui touche à notre sphère abusivement appelée privée. Marc, dans son Evangile (12. 32,33), rapporte que le docteur de la loi qui vient de recevoir cette réponse est touché au vif: "Bien, maître, tu as dit avec vérité que Dieu est unique, et qu’il n’y en a point d’autre que lui, et que l’aimer de tout son cœur, de toute sa pensée, de toute sa force (notez qu’ici l’"âme" est remplacée par la "force"), et aimer son prochain comme soi-même, c’est plus que tous les holocaustes et tous les sacrifices" (notez encore: Jésus n’a pas évoqué les holocaustes et les sacrifices, mais le docteur a déjà compris que quelque chose clochait dans la religion purement formaliste et légaliste de la majorité des Juifs de son temps).
B. Un "brave homme" mal dans sa peau
En fin d’entretien, Jésus, "voyant qu’il avait répondu avec intelligence", déclare à son interlocuteur: "Tu n’es pas loin du royaume de Dieu" (Marc 12.34). Cette marque d’approbation de la part de Jésus a de quoi surprendre, dans le contexte de ces chapitres, car le Seigneur va réserver ses plus sévères critiques aux scribes, aux pharisiens, et aux docteurs de la loi. En quoi ce scribe-là s’est-il rapproché d’une juste compréhension de l’Ecriture?
Cet homme se distingue par une honnêteté intellectuelle et morale nettement au-dessus de celle de ses pairs. Plus transparent qu’eux, il laisse entrevoir, derrière ses "questions-pièges", un malaise spirituel. D’emblée il a demandé, dans le récit parallèle de Luc: "Maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle?" (10.25) Sachant que seul Dieu peut octroyer la vie éternelle, reconnaissant implicitement l’excellence de la loi, ce grand érudit se trouve probablement confronté, jour après jour, au plus cruel constat: il est incapable de pratiquer ce qu’il souhaite pratiquer pour plaire à Dieu. Il est par conséquent à l’extérieur du royaume de Dieu. Dieu n’est pas encore son seul suzerain. Ce scribe n’a pas la vie éternelle.
Luc nous offre un indice supplémentaire de l’échec de cet homme. Lorsque Jésus fait mine de clore la discussion en lui recommandant: " Tu as bien répondu: fais cela, et tu vivras" (10.28), ce dernier cherche immédiatement à se justifier en prétextant qu’il n’est pas si aisé de savoir qui est ce prochain qu’il doit aimer comme lui-même. Et Jésus de rebondir en lui racontant l’histoire du "bon Samaritain".
Le malheur du scribe est de ne pas aimer Dieu au point d’aimer son prochain, et de trop s’aimer lui-même pour s’éprendre de Dieu. En ce sens, il est représentatif de toute notre race; le diagnostique biblique est péremptoire à ce sujet: "Vous étiez autrefois éloignés de Dieu et ennemis (de Dieu) par vos pensées et par vos mauvaises œuvres", rappelle l’apôtre Paul aux chrétiens de Colosses (1.21 a); "Vous étiez morts par vos offenses" (2.13 a).
Mais la Bible serait fort énigmatique, ou même totalement désespérante, si elle se limitait à la narration de rencontres comme celle de ce scribe et de Jésus. En explorant l’ensemble du message évangélique, il est possible d’envisager la solution que Jésus a préparée pour tous les scribes de tous les temps.
C. Illusions indésirables.
Pour accéder à la vie éternelle, voici deux illusions que notre scribe aurait dû jeter aux orties.
1ère illusion: le salut est une affaire de connaissance
Le scribe cherche le chemin de la vie éternelle en tâchant d’accroître ses connaissances sur le sujet. Cet intellectuel présuppose donc que la connaissance sauve.
Grave méprise : cette thèse ne fait que perpétuer les mensonges du Serpent en Eden (Gen 3.5,6). Souvenons-nous que nos premiers parents, faits à l’image de Dieu, vivaient à l’origine dans une communion lumineuse avec leur Créateur, et l’un avec l’autre. Pour avoir voulu accéder à une connaissance supérieure, les malheureux, au prix d’une désobéissance insensée, ont provoqué une rupture de communion avec leur divin Maître. L’esprit humain, dès cet instant, est devenu esclave de lui-même et de Satan : la gestion de la « connaissance du bien et du mal » se dérobe à son contrôle.
Voilà donc ce que nous devons reconnaître en préambule à tout espoir de salut : notre condition terrestre, nos relations avec Dieu et avec nos semblables, sont marquées par le péché (et entre autres, par les faux raisonnements), par le mal et par la mort. Parce que nos cœurs, nos âmes et nos pensées sont perméables aux suggestions et aux séductions du Diable, et se portent naturellement vers le mal, aucune connaissance, même "biblique", ne peut nous dépêtrer de nos sables mouvants. Notre bonne volonté, nos bonnes intentions, nos bons sentiments, voire nos élans sublimes, nos intuitions géniales ont beau être appelés à la rescousse, c’est en vain. Aucune connaissance n’est en mesure, à elle seule, d’arrêter notre descente vers la mort éternelle, vers la séparation définitive d’avec Dieu. Pas même la connaissance des deux plus importants commandements divins.
2ème illusion: le salut est une affaire d’actes justes
Comme des millions d’Israélites avant et après lui, notre scribe s’était efforcé de respecter la loi de Dieu. Résultat : ni lui, ni aucun de ses coreligionnaires n’ont été en mesure d’obéir ne serait-ce qu’aux deux premiers commandements. Malgré la providence divine, les délivrances, les moyens de grâce et de pardon, malgré la patience de Dieu, les faveurs imméritées, et tout le cortège des prophètes, des messagers divins, des signes et des miracles, le peuple d’Israël, microcosme de l’humanité, n’a pu se sauver par les œuvres de la loi.
Mais pourquoi les écrivains sacrés ont-ils rempli tant de pages sur ce thème? Pourquoi comptabiliser ces interminables suites de transgressions, de trahisons et d’infidélités? N’est-ce pas parce qu’il est fort ardu de nous persuader de l’absolue perversion de notre nature, et de l’absolue nécessité d’un Sauveur divin. Or il nous est vital de nous laisser convaincre, "car tous ceux qui s’attachent aux œuvres de la loi sont sous la malédiction; car il est écrit: Maudit est quiconque n’observe pas tout ce qui est écrit dans le livre de la loi, et ne le met pas en pratique" (Gal 3.10). A lire les âpres débats entre Christ et ses opposants, l’orgueil et la volonté de l’homme renâclent devant cette logique-là.
D. Réalités nouvelles
En amenant son interlocuteur dans les impasses historiques et théologiques dont nous venons de parler, Jésus ouvrait la voie à de nouvelles réalités. En voici deux qui, sûrement, constituent l’épine dorsale de l’Evangile (c’est-à-dire du message biblique complété par la Révélation néo-testamentaire), et qui peuvent nous le rendre entièrement profitable.
1. Dieu accomplit à notre place ce qui nous est impossible
"Lorsque nous étions sans force, Christ, au temps marqué, est mort pour des impies" (Rom 5.6).
"Dieu prouve son amour envers nous, en ce que, lorsque nous étions encore des pécheurs,
Christ est mort pour nous" (Rom 5.8).
– Accéder à la vie éternelle par l’observation sans faille de tous les commandements de Dieu,
– offrir un sacrifice parfait et définitif en vue du pardon de tous les pécheurs de tous les temps,
– ouvrir toute grande la porte de la réconciliation avec Dieu, par la repentance et par la foi en Christ,
– attirer tous les hommes à Dieu,
– et préparer une place dans le Ciel à tous les disciples de Christ, pour qu’ils demeurent à toujours
avec Lui,
… voilà quelques œuvres impossibles à l’homme, mais accomplies par le Fils de l’homme en notre faveur.
"Car Dieu était en Christ, réconciliant le monde avec lui-même, en n’imputant point aux hommes leurs offenses…" (2 Cor 5.19 a).
" Qui peut donc être sauvé? Jésus les regarda et leur dit: Aux hommes cela est impossible, mais à Dieu tout est possible" (Mat 19.25, 26).
Que cette possibilité provienne précisément de l’Offensé et du Juge montre l’étendue de son amour, et l’impensable abnégation du Sauveur du monde. Quel poids immense et insupportable serait tombé des épaules du scribe s’il avait compris cela!
2. Dieu nous rend capables de l’impossible
Jésus-Christ n’a pas accompli l’œuvre de leur salut pour transformer les croyants en timides contemplatifs. Les deux premiers commandements sont une montagne infranchissable pour l’homme naturel. Mais Dieu fait de ses enfants, les croyants, de nouvelles créatures capables de choses nouvelles. Il leur envoie sa Parole et son Esprit pour nourrir leur cœur, leur âme et leurs pensées. Il met en eux un esprit nouveau. Il leur insuffle une nouvelle raison de vivre et de se réjouir. Il leur ouvre le chemin de l’espérance et de la victoire sur le péché. Il les rend capables d’aimer leur prochain. Il les envoie comme témoins de sa résurrection. Il leur fait des dons spirituels et les incorpore à l’Eglise, qui est "la colonne et l’appui de la vérité" (1 Tim 3.15 b).
Ceux de ses enfants qui collaborent à ce programme peuvent témoigner: "C’est Dieu qui agit en nous…c’est lui qui produit en nous le vouloir et le faire" (cf. Col 1.29; Phil 2.13). Ce que la loi est impuissante à donner, la foi en Christ nous l’accorde avec abondance. Ainsi pouvons-nous être rendus capables de toute bonne œuvre pour l’accomplissement de la volonté de Dieu; ainsi Dieu peut-il faire en nous ce qui lui est agréable (cf. Héb 13.21). Jour après jour, selon les plans de Dieu, nos cœurs, nos âmes et nos pensées sont modelés par l’Ecriture, afin que nous devenions des hommes et des femmes de Dieu accomplis (cf. 2 Tim 3.16,17). Et lorsque nous traînons les pieds, sommes infidèles, ou péchons, Dieu nous soumet à une discipline qui finit par produire "un fruit paisible de justice" (Héb 12.11 b).
Conclusion: la leçon de théologie que Jésus offre à son docteur de la loi nous introduit au cœur de la Révélation divine. Elle éclaire l’Ancien Testament, et prépare le Nouveau. Elle nous fait découvrir que la Bible, lue sous l’angle de la Chute et de la Rédemption de l’homme, retrace l’histoire d’un sauvetage réellement déconcertant. On parle dans ce livre d’une créature naufragée qui ne veut pas se laisser sauver, ou prétend se sauver toute seule. On y entend Dieu condamner ces folles tentatives, mais tout engager pour arracher l’hommes à ses illusions mortelles. On y voit le Fils de Dieu quitter la gloire, et offrir sa vie en rançon pour le salut de ses ennemis. Et enfin, on y apprend la possibilité d’une recréation spirituelle si parfaite qu’elle permet aux esclaves du péché de devenir des serviteurs et des servantes de l’Eternel.
Ce plaisant condensé du credo de l’indécis ne devrait pas être celui du chrétien . «Que votre oui soit oui, et que votre non soit non, afin que vous ne tombiez pas sous le jugement» ( Jac 5. 12). De même que nous avons dit «oui» au Seigneur lorsqu’il nous a appelés à la repentance, au salut et à la vie éternelle, nous devons apprendre à dire «oui» à sa volonté pour nous aujourd’hui. A parler à notre prochain selon la vérité. A refuser la duplicité. A aimer les choses claires et nettes, à fuir les compromis et les magouilles. «Que tout ce qui est vrai, tout ce qui est honorable, tout ce qui est juste, tout ce qui est pur, tout ce qui est aimable, tout ce qui mérite l’approbation, ce qui est vertueux et digne de louange, soit l’objet de vos pensées» (Phil 4. 8 ).
Aux dernières nouvelles, j’apprends que dans notre monde où tous les chemins sont déclarés praticables, on peut désormais opter pour la «logique floue» – le «fuzzy thinking» du professeur américain Bart Kosko. Combinant l’héritage scientiste occidental d’une part, et les concepts orientaux du ying et du yang d’autre part, ce courant s’applique (dans la ligne du tristement célèbre Nietzsche et de son «Par-delà le bien et le mal») à «transcender» les notions de vrai et de faux. Argument invoqué par les partisans de ce flou philosophique : nos critères de jugement sont parfois très incertains, nous ne pouvons pas toujours déterminer si oui ou non telle position est défendable, mais nous agissons quand même, la vie nous force à assumer des choix en demi-teintes, et ces derniers peuvent se révéler judicieux. Vive donc l’incertitude!
Quant à nous qui appartenons à Christ, réveillons-nous plutôt à nos privilèges ! Notre plate-forme d’action est autrement plus précieuse et précise que les pauvres «rudiments» des penseurs à la mode. Nous disposons en tout temps de la Révélation complète et parfaite de notre Dieu. Pourquoi participer au triomphe du relativisme, à la dictature de l’instinct et de la subjectivité, à l’imposition d’une nouvelle idéologie matérialiste et humaniste ? Sommes-nous réduits à remplacer les claires directives de la Parole de Dieu par les à-peu-près de notre culture à la dérive ?
Laissons cette Parole nous instruire – ce numéro de Promesses est là pour nous y encourager. En la lisant attentivement, nous découvrirons que l’esprit de confusion qui prévaut aujourd’hui n’est pas un phénomène franchement nouveau. A l’Eglise de Corinthe où se trouvaient beaucoup de croyants, et beaucoup de tendances contradictoires, de désordres, et d’enseignements erronés, l’apôtre Paul a montré le chemin du retour à la santé spirituelle. En rappelant d’abord aux croyants que le Saint-Esprit qui habite en eux est l’arbitre suprême : «Nous n’avons pas reçu l’esprit du monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, afin que nous connaissions les choses que Dieu nous a données par sa grâce… L’homme spirituel juge de tout…» (1 Cor 2. 12, 15a). Pour diriger nos vies, nos familles ; pour inspirer nos rapports avec les hommes sans Dieu, comme nos relations avec nos frères et sœurs dans la foi ; pour nous amener à une saine utilisation de nos dons spirituels, Dieu ne nous livre pas à nos propres estimations, forcément approximatives et tendancieuses. Il nous donne sa Parole et son Esprit. Et si nous ressemblons aux Corinthiens d’autrefois, cette recommandation de l’apôtre garde toute sa valeur: «Frères, ne soyez pas des enfants sous le rapport du jugement (c’est-à-dire dans votre capacité à distinguer le vrai du faux, le juste de l’injuste, le spirituel du profane) ; mais pour la méchanceté, soyez des enfants, et, à l’égard du jugement, soyez des hommes faits » (1 Cor 14 . 20). Que le Seigneur nous donne de nous enraciner en Christ, « car pour ce qui concerne les promesses de Dieu, c’est en lui qu’est le OUI » (2 Cor 1. 20).
« Qu’importe le flacon, disait Musset, pourvu qu’on ait l’ivresse.» Cette maxime rend bien compte de la mentalité contemporaine. Toute pensée organisée, toute doctrine clairement structurée sont assimilées à des «flacons», à des emballages, à des étiquettes sans importance. Y prendre garde n’est plus de mise, et confinerait à l’étroitesse d’esprit, voire à l’intégrisme. Ce qui est devenu le «contenu», la «substance», c’est désormais l’effet ressenti, l’«ivresse» du moment, le plaisir ou le soulagement éprouvés. Quant aux «flacons», on peut toujours les remplacer, les recycler, ou les oublier…
Que dénotent cette légèreté, cette préférence marquée pour les voies faciles, pour les gratifications instantanées, pour les modes «alternatives»? Que signifie ce dédain à l’égard de toute vérité normative (et en particulier à l’égard de la Révélation biblique) ? Que prépare cette grande foire des sensations et de l’irrationnel?
Dans un article1 consacré au petit sorcier Harry Potter, nouvelle coqueluche littéraire de la jeunesse, un spécialiste tente d’expliquer le succès phénoménal des ouvrages de J.K. Rowling en déclarant: «La sorcellerie, le merveilleux, tout ce qui fait appel à l’irrationnel y est présent. C’est une fantasmagorie séduisante puisqu’elle permet au lecteur de sortir du principe de réalité au nom du principe de plaisir.» Mais pourquoi ce besoin accru de fuite dans des mondes parallèles, dans des chimères à coloration et orientation occultes? Un autre auteur répond: «Parce que nous vivons dans une société anxiogène (qui engendre l’angoisse), de vache folle et de catastrophes naturelles, où Halloween et ses dérivés sont une manière de conjurer la peur de la mort.» Cette réflexion n’est pas sans intérêt.
En effet, l’«ivresse» et l’étourdissement recherchés par nos contemporains ne révèlent pas seulement une soif immodérée de sensations agréables, mais trahissent de profondes angoisses et des cris restés sans écho. Peut-il en être autrement dans un monde qui s’est massivement détourné du seul Sauveur et Seigneur des hommes, de la seule Source d’eau vive: Jésus-Christ?
Mais pour ceux qui ont soif de vérité, d’authenticité, d’amour vrai et éternel, la satisfaction passe par la redécouverte du Dieu Créateur (lisez à ce sujet l’article de F. Horton), par une foi bien orientée et sainement exercée (les textes de J.-P. Schneider et de D. Arnold y sont consacrés, mais aussi le touchant témoignage de P. Bigler-Andres), et par une manière de vivre respectueuse du plan de Dieu, dans le cadre de la famille comme dans le cadre plus large de la société (voyez l’étude de J.-M. Berthoud). Vous constaterez, une fois encore, que Révélation biblique et vie pratique font bon ménage, et que notre Dieu a réponse aux plus hautes exigences, pour autant que nous acceptions de lui rester soumis. Oui, ceux qui sont en paix avec Dieu, et en communion avec son Fils, n’ont rien à envier à ceux qui se félicitent de vivre selon leurs caprices ou selon les «ivresses» du monde. Laissons le roi David résumer notre propos:
Plusieurs disent: Qui nous fera voir le bonheur ?
Fais lever sur nous la lumière de ta face, ô Eternel!
Tu mets dans mon cour plus de joie qu’ils n’en ont
Quand abondent leur froment et leur moût.
Je me couche et je m’endors en paix,
Car toi seul, ô Eternel! tu me donnes la sécurité dans ma demeure. Ps 4. 7-9
1 Journal Construire, no 47, 21 novembre 2000
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Un projet pour les années 2000
Information à tous nos lecteurs
Des temps qui précéderont sa seconde venue, le Seigneur déclare: « Ce qui arriva du temps de Noé arrivera de même à l’avènement du Fils de l’homme. (les hommes) ne se doutèrent de rien, jusqu’à ce que le déluge vienne et les emporte tous » (Mat 24. 37,39).
Combien sont ceux qui, aujourd’hui, ont soigneusement réglé leur temps sur l’horloge de Dieu ? Il y a bien des raisons pour prendre au sérieux les avertissements de la Parole, et les « signes des temps » sont de plus en plus parlants. En considérant la profonde inconscience qui règne dans les cours à propos des échéances divines, nous ne pouvons qu’admettre la justesse des prévisions de l’Ecriture. « Quand les hommes diront: Paix et sûreté! Alors une ruine soudaine les surprendra, comme les douleurs de l’enfantement surprennent la femme enceinte, et ils n’échapperont point » (1 Thess 5. 3).
Faut-il en rester là ?
Si les chrétiens vigilants ont le privilège de savoir en quels temps ils vivent (Rom 13.11-14) et de se préparer à accueillir le « Roi des rois », ne devraient-ils pas, comme Noé, servir de signes parmi leurs congénères, dans l’espoir d’en sauver quelques-uns ?
C’est dans cette espérance que la rédaction de Promesses a l’intention d’aborder le nouveau millénaire, et elle vous propose la publication d’une douzaine d’articles regroupés sous le titre qui figure dans l’en-tête de cette page.
Comment l’idée en a-t-elle germé ?
A la suite de la publication des articles de J-P. Graber sur la Crise (Promesses 121 de juin 97) et d’H. Lüscher sur la Vision chrétienne du monde (Promesses 127 de décembre 98), il a paru souhaitable d’éditer une analyse plus approfondie des divers aspects de la culture dans laquelle nous baignons, et de confronter ces derniers au message biblique.
Pourquoi cette démarche ?
D’abord parce que le monde occidental impressionne bien souvant par la richesse de son histoire, par les multiples cultures qu’il a réussi à intégrer, par sa capacité d’adaptation, par les réalisations étonnantes de sa science et de son industrie, par sa combativité et par son esprit d’entreprise (pour ne pas dire de conquête); de plus, on lui doit l’idée et l’expérience de la démocratie, des systèmes de protection sociale et médicale, des instances de défense des droits de l’homme, idées qui sont reconnues comme facteurs de développement et de progrès bien au-delà des frontières de l’Occident.
Ensuite, parce que toutes les qualités énumérées ci-dessus ne peuvent, en elles-mêmes, sauver le monde du dénouement annoncé par le Seigneur. Il faut que le monde sache que notre culture, aussi colossale qu’elle paraisse, ne connaît pas le chemin de son salut, ni même de sa survie. Les signes de pourrissement et de désagrégation sont innombrables, et les méga-fusions ne changeront rien à l’affaire.
Mais il faut que nos contemporains sachent aussi pourquoi le bât blesse, pourquoi le colosse est fêlé, et sur le point de se désintégrer (selon le programme dévoilé au prophète Daniel (Dan 2.31-45). Il vaut donc la peine de le leur expliquer, selon l’éclairage qu’en donne l’histoire de l’Occident, mais surtout selon la Parole de Dieu.
Nous ne convaincrons peut-être pas ceux qui veulent croire à tout prix au Nouvel Ordre mondial, et à l’avènement du Nouvel Age. Mais il y a sûrement, parmi ceux que nous côtoyons, des hommes et des femmes ébranlés par les circonstances de la vie, des gens que l’Esprit de Dieu a déjà travaillés, et qui doutent de la solidité du monde qui les entoure, qui aspirent à un salut réel, complet, qui languissent après une authentique connaissance et expérience de la vérité. Qui sont lassés d’eux-mêmes, et de remèdes de pacotille.
Or, pour que l’Eglise remplisse encore sa mission de sentinelle, de colonne et d’appui de la Vérité, il faut qu’elle aussi sache distinguer les illusions de la réalité… et trop souvent elle se laisse emporter par les chimères de l’ennemi. C’est donc pour la santé de la famille chrétienne que nous voulons également travailler.
Pour les perdus, et pour vous qui voulez les aider à passer des ténèbres à la lumière, à devenir enfants de Dieu, pour eux et pour vous, nous espérons que cette série d’articles sera bienfaisante. Priez pour les auteurs de ces textes, car il est indispensable qu’ils soient guidés et secourus parle Seigneur pour mener à bien cet important projet. Merci de votre soutien, et le cas échéant, de vos critiques constructives.
Un peu ralentir… faire une pause… décrocher… oublier le stress, les délais, le rythme implacable de la vie moderne… s’arrêter, souffler, prendre du recul. Se ressourcer, se retrouver. Combien d’entre nous, combien de millions d’individus surmenés ne rêvent-ils pas d’une telle halte – et s’inquiètent d’organiser des vacances d’été plus reposantes que les précédentes?
Quelqu’un a dit que le propre de l’intelligence, c’est la capacité de s’arrêter. En effet, réfléchir demande une attention, une concentration, qui ne peuvent se manifester sans une mobilisation volontaire de tout l’être, sans une immobilisation de tout ce qui, en nous, souhaiterait s’éparpiller vers d’autres centres d’intérêt.
Dans cette perspective, s’arrêter devient une noble expérience, prélude à un regroupement de notre moi écartelé, à une meilleure conduite de notre vie. Pourtant, tout arrêt n’est pas forcément salutaire. La Bible nous enseigne à établir ici quelques distinctions.
L’apôtre Paul a été contraint de demander aux croyants de Galatie: « Vous couriez bien: qui vous a arrêtés pour vous empêcher d’obéir à la vérité? Cette influence ne vient pas de celui qui vous appelle » (Gal 5. 7,8 ). Il fait écho à une autre question, posée antérieurement: « O Galates dépourvus de sens! Qui vous a fascinés, vous, aux yeux de qui Jésus-Christ a été peint comme crucifié? » (Gal 3. 1 )
L’histoire de l’Eglise a été infestée par l’activité des faux prophètes, par l’intrusion des fausses doctrines, par la puissance paralysante de l’esprit du monde. Ces poisons mortels ont éloigné bien des croyants de la simplicité de l’Evangile, et les ont arrêtés dans leur marche avec le Seigneur. Ne risquons-nous pas nous aussi, si nous nous laissons prendre, de nous retrouver bloqués dans quelque désert stérile? Mais qu’adviendra-t-il si ceux qu’on devrait voir marcher, courir, combattre aux côtés du divin Maître pour propager l’Evangile sont neutralisés et disqualifiés? Au moins ceci: le Diable s’en frottera les mains.
Existe-t-il un remède à cette immobilité peu enviable?
Sûrement, car le Seigneur n’est jamais à court de moyens. Il peut transformer notre errance en un temps d’arrêt salutaire, en une occasion de réflexion, de retour à la Parole, de rafraîchissement spirituel. Dieu n’a-t-il pas opéré des ouvres décisives dans la vie de ses enfants alors que ces derniers se trouvaient comme provisoirement hors jeu? Songeons à Jacob lors de la nuit de Peniel, à Moïse devant le buisson ardent, à Elie au torrent de Kerith, au peuple d’Israël tout entier, que Dieu a si souvent attiré au désert pour parler à son creur (Osée 2. 16ss), aux disciples d’Emmaüs (Luc 24. 13-35 ), à Paul en Arabie (Gal. 17 ), à Jean à Patmos (Apoc 1. 9-20 ), pour n’en citer que quelques-uns.
Si donc nos arrêts, ceux que nous nous réservons ou ceux qui nous sont imposés, sont visités par le Seigneur, ils deviendront du temps gagné. A nous qui peut-être ressentons la fatigue physique ou la lassitude morale, à nous qui souffrons de sécheresse spirituelle, le Bon Berger réserve une bienfaisante mise à l’écart. Laissons-nous seulement inspirer par l’exemple de Marie qui avait choisi de s’arrêter aux pieds du Seigneur pour l’écouter, au lieu de se noyer dans l’activisme de sa sour Marthe (Luc 10. 38-42 ).
Les rédacteurs de Promesses vous souhaitent, à vous chers lecteurs qui disposerez bientôt d’un temps de vacances librement choisies, ou qui serez peut-être contraints à une forme de repos forcé, de mettre à profit ce temps pour Le rencontrer. Si vous avez subi des influences négatives sans en être conscients, qu’Il puisse vous le révéler. S’il y a des péchés à confesser, confessez et abandonnez-les. S’Il vous a préparé une nourriture spirituelle à assimiler, ne vous en privez pas. S’Il veut vous enseigner à marcher de manière plus étroite avec Lui, croyez que vous allez réellement progresser. Si votre premier amour a disparu, laissez-Le vous reconquérir.
Ainsi vécus, nos arrêts nous seront en bénédiction, et nous retrouverons le souffle nécessaire à notre course terrestre, qui n’est pas achevée: « Je fais une chose: oubliant ce qui est en arrière et me portant vers ce qui est en avant, je cours vers le but, pour remporter le prix de la vocation céleste de Dieu en Jésus-Christ » (Phil 3. 13b,14 ).
Du sein de l’immense troupeau des téléspectateurs qui s’accommodent, bon an, mal an, des menus de leurs chaînes préférées, il émerge parfois des originaux qui remettent en question la place et la salubrité de l’universel abreuvoir. Le dossier spécial que Promesses consacre à la télévision permettra d’entendre leurs voix.
En guise d’apéritif à la substantielle étude de Jan-Berth De Mooy, commençons par rappeler une vérité sur laquelle tout le monde s’accorde: « A l’évidence, la télévision influence désormais notre vision du monde, voire notre conception de l’Histoire. En quelques années, grâce au prodigieux développement des satellites et des équipements audiovisuels légers, elle a aboli les distances et le temps: chaque soir, dans son salon, le téléspectateur, européen, américain, japonais, est branché en direct sur la planète et se voit doté, par écran interposé, d’un prodigieux don d’ubiquité. (…) Nous habitons tous dorénavant un « village global », comme le prophétisait Marshall Mc Luhan, dans lequel chaque citoyen peut communiquer à la vitesse de la lumière et communier avec les autres terriens au même spectacle de l’actualité » (D. Simonnet, « Le monde est-il un téléfilm? » L’Express, 11 mai 1990, p. 58). Tout se passe donc, au premier abord, comme si l’être humain, en développant ses capacités d’observation du monde et ses moyens de communication, perfectionnait les outils de sa « divinisation ».
Dans cet ordre d’idées, il faut admettre que la TV n’est qu’un élément de plus d’une grande panoplie dont les constituants furent d’abord l’Image, la Musique, l’Ecriture, puis l’Imprimerie, la Photo, le Cinéma, et qui se complète de nos jours par les médias électroniques et informatiques les plus sophistiqués. Personne n’arrêtera le cours des choses – sauf Dieu bien sûr.
Pourtant, les questions posées par les esprits critiques sensibles aux dérives de l’empire télévisuel valent la peine d’être entendues. Voici quelques remarques glanées dans la presse.
Sur la valeur de la culture télévisuelle: « Mais de quelle culture s’agit-il? De par sa nature, la télévision tend à privilégier la forme sur le fond et à considérer le monde tel un gigantesque spectacle permanent. Une tendance d’autant plus affirmée qu’elle résulte directement de la contrainte commerciale et de la course à l’audience » (D. Simonnet, article cité). « La télévision influence désormais toutes nos traditions culturelles. C’est même elle qui leur donne une légitimité: elle nous dit quels films voir, quels livres lire, quels magazines acheter. Elle orchestre non seulement notre connaissance du monde, mais aussi notre connaissance des moyens de connaissance. Elle est devenue un « métamédia » qui transforme notre culture en show-business » (Neil Postman, sociologue américain, « On voit tout, on n’apprend rien », L’Express, 11 mai 1990, p. 62).
Sur la vision du monde offerte par le petit écran: « C’est une banalité que de le constater: la télévision est, par nature, un art du divertissement; elle transforme tout en spectacle, même lorsqu’elle prétend être sérieuse (…) La notion même de vérité en est bouleversée: il suffit que les images paraissent crédibles pour qu’elles soient considérées comme vraies (…) En fait, nous avons si bien accepté les règles de la télévision que nous ne nous posons même plus de questions sur le monde qu’elle nous décrit: celui-ci nous est naturel. L’insignifiant nous semble important, l’incohérence nous paraît saine. Nous sommes entrés dans une culture de la trivialité (N. Postman, art. cité).
Sur les émissions dites éducatives: « …les producteurs d’émissions culturelles et éducatives sont pris dans la même logique: s’ils veulent de l’audience, ils sont obligés de faire du spectacle (…) A la télévision, tout doit être immédiatement accessible pour tout le monde (…) Apprendre, cela exige de l’effort, de la concentration, de la persévérance, de l’esprit critique, du raisonnement… Pas de l’amusement. Le plaisir visuel n’est pas suffisant. Sauf peut-être pour s’initier aux recettes de cuisine » (N. Postman, art. cité).
Ces quelques réflexions indiquent la profondeur du mal. Toutefois, la plupart des dangers dénoncés par les esprits lucides de notre époque ne constituent pas, en général, une menace suffisante pour les inciter à brûler leur téléviseur pour mieux rêver à l’époque où, la télé n’étant pas née, tout le monde lisait sagement de bons livres… On préfère préconiser une « bonne » utilisation de la TV.
Un article intitulé: « Pouvez-vous laisser vos enfants regarder Chair de poule? » (M. Lambert, Le Nouveau Quotidien, 5 sept. 1997) se termine par la conclusion que de toute manière, les enfants ont depuis toujours apprécié les histoires qui font peur. Pour le docteur O. Bonnard, spécialiste de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à Lausanne, « s’il y a des émissions de ce type pour les enfants, c’est qu’il y a quelque chose de bon à y trouver »; pour le département Jeunesse de France 2, ces films ont un effet cathartique (purificateur), à l’instar de la tragédie grecque. Quand on connaît le contenu de ces séries morbides, on peut se demander qui va nous guider vers la « bonne » utilisation précitée.
De son côté, le Dr Raymond Abrezol, propagateur de la sophrologie en Suisse, et auteur d’un livre intitulé: « Se libérer de ses chaînes, la vie au-delà de la TV » (Ed. Jouvence, 1996), souligne: « La TV est un art de vivre, un phénomène social et culturel incontournable et envahissant. Par accoutumance progressive, elle entraîne une totale dépendance nécessitant parfois une désintoxication progressive. » Il vous propose alors de vous affranchir de la dictature télévisuelle par le moyen de 22 exercices basés sur la sophrologie, et de vous apprendre ainsi « non pas à vivre sans TV, mais avec une TV qui vous laissera le temps de lire, de vivre et d’aimer. »
René Blind et Michael Pool, dans la « Télévision buissonnière » (Ed. Jouvence, 1996), s’attachent à dénoncer les effets pervers de la TV sur le comportement et le développement de l’enfant. Ils espèrent, en terminant: « Si en refermant ce livre, vous avez changé la place de votre téléviseur, au moins dans un sens figuré, nous n’aurons pas ouvré en vain. Si votre regard s’est détourné de l’écran pour se diriger vers l’enfant, si surtout votre enfant découvre que vous êtes le maître, sinon de l’univers comme son héros préféré, du moins de la boîte à images, notre objectif sera largement atteint. »
Claude Bovay, collaborateur à l’Institut d’éthique sociale de Lausanne, donne ce conseil à propos de certains dessins animés violents et imprégnés de la religiosité du Nouvel Age, tels que Les Chevaliers du Zodiaque: « Face à une télévision qui le fascine en lui assénant des images porteuses de valeurs religieuses et éthiques pour le moins discutables, il importe de chercher la solution qui aide l’enfant à prendre ses distances, à ne pas être captivé et captif » (La Vie Protestante, 14 déc. 1990, Hebdo p. 4).
On le constate, la « bonne » utilisation de la TV ne semble pas chose aisée. Conscience critique de notre temps, Liliane Lurçat, directrice honoraire au Centre national de la recherche scientifique, France, décortique avec précision et réalisme les mécanismes qui font d’un être en devenir un otage, non seulement de la TV, mais de ceux qui en dictent les contenus, dans son ouvrage « Violence à la télé: l’enfant fasciné » (Ed. Syros Alternatives, 1989). Elle fait ce triste constat: « Les jeunes générations ont été élevées avec la télévision; elles n’ont plus aucune distance par rapport à la télévision et ne savent souvent pas la gérer, ni pour eux-mêmes, ni pour les enfants ».
A cause de voix comme celle-ci, capables de s’élever pour réclamer un assainissement des programmes TV, certains pays ont parfois adopté des critères de sélection plus sévères, ou ont consenti à des aménagements de la grille horaire moins défavorables aux enfants. Des systèmes électroniques permettent aux parents de bloquer la diffusion de certaines émissions (voir Time du 9 février 1996: « Chips ahoy », p. 42). Cependant, étant donné le flou des critères de sélection, leur disparité selon les pays, on peut douter de l’efficacité de telles mesures. Par ailleurs, l’ensemble de la population est globalement exposé à une inflation de violence gratuite, d’immoralité sans frontières, et de concepts de plus en plus ouvertement anti-chrétiens.
Au fait, et les chrétiens dans tout cela?
Affirmer qu’eux aussi, dans leur grande majorité, sont absents du débat, et qu’ils ferment les yeux sur la nature et l’inspiration véritables des choses qui leur sont montrées à domicile, n’est sûrement pas exagéré. Dans ce domaine comme dans d’autres, « les enfants de ce siècle sont plus avisés (…) que ne le sont les enfants de la lumière » (Luc 16.8), et ces derniers font preuve de moins de discipline personnelle que ceux qui « s’imposent toute espèce d’abstinences » pour obtenir des récompenses terrestres (1 Co 9.25). Mais puisque les hommes sans Dieu s’alarment des effets ravageurs de l’industrie télévisuelle, n’est-il pas temps que nous aussi, les chrétiens, cessions de faire preuve de complaisance à l’égard de ce qui ruine nos sociétés, et saisissions ce problème à bras le corps?
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