PROMESSES

Quand nous lisons l’Évangile, un constat saute aux yeux : Jésus, après un court ministère solitaire, s’est ­rapidement entouré d’une communauté de personnes appelés « disciples ». Ceux-ci ont été interpellés par son activité, son attitude et ses discours.
Une tradition assez commune dans la tradition rabbinique de l’époque consistait à suivre un maître (ici Jésus-Christ) pour s’en inspirer, comprendre et apprendre son enseignement. Les disciples ont formé la première communauté de croyants autour de Jésus et constituaient une « proto-église ». Leur expérience est riche d’enseignements car elle fait écho à de nombreuses situations de notre contexte.

Quel est le but de la communauté des disciples ?

Aujourd’hui, l’Église est aussi constituée des disciples de Jésus dont le but est de le suivre et le servir. L’appel de Jésus résonne encore aujourd’hui : « Faites de toutes les nations des disciples » (Mat 28.19-20).
Avant son départ, Jésus nous a laissé cet impératif qui donne le coup d’envoi de l’ère de l’Église et son essence, sa grande mission. Quel vaste programme ! L’objectif pourrait nous paraître colossal, voire inatteignable… Néanmoins Jésus, le chef de l’équipe, est là tous les jours pour nous accompagner dans cette grande mission par l’envoi de l’Esprit saint (Act 2).
Le but des communautés chrétiennes est donc précis : faire grandir la communauté des disciples avec la méthode que Jésus nous a laissée. Cette optique peut guider les églises dans leurs choix, leur orientation et le règlement d’éventuels litiges.
L’enjeu pour les communautés est d’arriver à reproduire fidèlement ce processus en l’ajustant en permanence aux différentes situations, époques et cultures.

Qu’est-ce qu’un disciple de Jésus ?

Pour entrer dans ce mouvement de multiplication des disciples, précisons ce qu’était un disciple dans la culture au début du christianisme.
Le disciple suit son maître pour l’observer et reproduire son exemple. Pour cela il s’imprègne de sa personnalité, de ses caractères, de son enseignement. Son objectif est de « revêtir » le Maître, en vivant près de lui. L’idée est de vivre continuellement avec le « Rabbi », afin d’être des rabbis en devenir dans tous les domaines de notre vie.
Les premiers croyants étaient appelés des « disciples » avant d’être appelés « chrétiens »1 pour la première fois en Actes 11.26. Le processus d’identification au modèle était donc déjà bien visible en eux ! Les disciples suivent le Seigneur coûte que coûte et ressemblent au Maître, partageant les mêmes épreuves et les mêmes souffrances en poursuivant sa tâche.

Comment motiver à être disciple ?

Une communauté chrétienne doit stimuler ses membres à suivre le Maître. Cette motivation ne découle pas d’une auto-stimulation de notre volonté à la manière de la « méthode Coué ». Ce n’est pas non plus par des sermons insistants du type : « Engagez-vous ! » que nous allons amener les auditeurs à suivre Jésus-Christ en qualité de disciples ; il semblerait même que ces pressions aboutissent à l’effet contraire.
Mais alors comment Jésus a-t-il fait pour engager au moins onze personnes à le suivre et à continuer son œuvre ? Il vivait de manière visible et exemplaire au milieu de sa communauté, en continu. Il a enseigné et engagé ses amis dans l’œuvre de Dieu par de nombreux travaux pratiques, au risque de les voir parfois échouer. Il les a disciplinés avec douceur mais aussi parfois avec vigueur – toujours cependant avec un amour tangible. Il les a finalement envoyés au dehors des frontières d’Israël prêcher la bonne nouvelle alors qu’ils ne semblaient pas assez « matures » pour reproduire ce qu’il avait fait avec eux. Il s’agit premièrement de rendre visible Jésus pour qu’il interpelle des auditeurs. Il transforme à son image ceux qui le contemplent (2 Cor 3.18). Jésus-Christ doit donc être au centre de la vie de la communauté : des prédications, de l’hymnologie, des temps de relations informelles, etc. Le secret du progrès dans la vie chrétienne est de marcher en sincérité avec un Christ ressuscité. Comme le disciple est toujours susceptible de se tenir à distance du chef de l’Église, par paresse, par culpabilité, par tristesse, etc., il est primordial qu’il soit nourri continuellement au sein de la communauté de l’enthousiasme de l’évangile, de la grâce et de la joie de Jésus. L’ennemi cherche sans cesse à dissoudre l’unité des communautés et à isoler la brebis fragile.de relations informelles, etc. Le secret du progrès dans la vie chrétienne est de marcher en sincérité avec un Christ ressuscité. Comme le disciple est toujours susceptible de se tenir à distance du chef de l’Église, par paresse, par culpabilité, par tristesse, etc., il est primordial qu’il soit nourri continuellement au sein de la communauté de l’enthousiasme de l’évangile, de la grâce et de la joie de Jésus. L’ennemi cherche sans cesse à dissoudre l’unité des communautés et à isoler la brebis fragile.
Pour faciliter la réception de son enseignement par ses disciples, Jésus a développé une atmosphère de confiance et de proximité propice aux confidences. Un exemple : ses adieux en Jean 13 à 17 au cours desquels Jean se penche sur la poitrine de Jésus et obtient des confidences au sujet de Judas ; pendant ce moment, ses disciples prennent la cène pour la première fois et osent poser à Jésus des questions très importantes.
Il est donc regrettable que la pudeur spirituelle et l’individualisme dominent parfois chez les croyants. Il est aussi triste de voir des croyants s’isoler
à la suite de blessures ou d’incompréhensions, ou par « amour pour le siècle présent » (2 Tim 4.10). Suscitons des conditions ou des moments qui permettent des relations profondes au sein de la communauté, afin que les membres puissent s’encourager et partager les exploits du Maître dans leur vie en matière de sanctification, d’évangélisation, de providence, etc.

Quel enseignement donner ?

Le cœur du discipulat est la personne de Jésus. L’enseignement vise donc à transformer l’apprenti pour qu’il ressemble de plus en plus à Jésus.
L’enseignement cherche à nous faire découvrir ce que l’on est devenu en tant que nouvelle création en Jésus. Prendre conscience de notre nouvelle identité rejaillira indubitablement dans un comportement, des attitudes, une pratique, qui se calqueront sur Christ.
Dans l’enseignement biblique, montrons comment le plan de Dieu, centré sur Jésus, parcourt l’ensemble des Écritures. Cette bibliothèque divine est l’outil pédagogique de Dieu pour se faire connaître de l’humanité. Trop souvent, des croyants connaissent des histoires de la Bible par cœur, comme un patchwork, mais n’ont pas charpenté leur pensée par une vue d’ensemble. Si nous ne comprenons pas le fil rouge du plan de Dieu, nous ne pourrons pas le communiquer et cela empêchera la multiplication des disciples.
L’enseignement de la Bible s’intègre aussi dans les expériences vécues collectivement par la communauté. L’apprentissage est ainsi ancré dans le concret. Par exemple, c’est en voyant le temple que les disciples interrogent Jésus sur son devenir (Marc 13).

Quels sont les travaux pratiques ?

Dans les Évangiles, la moitié du temps, les disciples étaient envoyés en mission pour accomplir ce que Jésus avait lui-même fait. De même, les disciples sont souvent sollicités pour participer au ministère de Jésus, par exemple lors de la multiplication des pains. Ces sollicitations ont très souvent une portée d’enseignement.
Ce mode de transmission doit inspirer la pédagogie de nos communautés. Elles sont en réalité des pépinières de projets évangéliques dans lesquelles la vie du groupe se développe par la progression spirituelle des disciples et leur accroissement en nombre, et cela malgré leurs imperfections et leurs erreurs.
Chacun des disciples d’aujourd’hui est envoyé chaque semaine vers le monde, dans ses activités, son voisinage, sa famille pour annoncer la bonne nouvelle de Dieu, tout comme les premiers disciples. Nous devons nous sentir accompagnés du soutien et de la solidarité du groupe pour annoncer le nom de Jésus et lui être fidèles. Nous pouvons en effet facilement perdre du temps en enfantillages, par esprit de compétition, par convoitise… tout comme les premiers disciples !

Pourquoi faire un bilan ?

Les débriefings de Jésus sont aussi à imiter. Ces moments permettent de tirer tout le profit des expériences vécues. Ils font progresser les apprentis vers des niveaux de maturité supérieurs, en donnant un enseignement sur mesure où la théorie rejoint la pratique.
Finalement il semblerait qu’apprendre de nos échecs soit une partie importante de notre formation. Par exemple, Pierre a beaucoup progressé après son reniement de Jésus (Luc 22.31-32).
Les communautés doivent stimuler des projets de rayonnement collectifs mais aussi individuels, les suivre, puis en faire le bilan afin que les membres soient équipés pour être efficaces dans leur service.

Pour conclure

L’exemple que Jésus nous a laissé avec ses disciples est un modèle pour que notre vie communautaire se développe. Tous les éléments de l’Évangile ne peuvent qu’attiser ce feu pour qu’il progresse jusqu’aux extrémités de la terre. Le bouillonnement de la communauté autour de l’Évangile ne pourra alors que se répandre. Une Église fidèle, féconde et servant son Maître, c’est ce que Dieu veut voir dans nos rassemblements.

 

  1. Littéralement christianos, c’est-à-dire « partisan du Christ » 

La pandémie de coronavirus : un élément nouveau ?

Pour la plupart des chrétiens d’aujourd’hui, la pandémie qui nous a touchés depuis début 2020 est un événement inédit. Certains y voient un signe de la fin du monde, une ultime invitation de Dieu à mettre sa vie en règle avant qu’il ne soit trop tard. Mais est-ce bien comme cela qu’il faut comprendre les événements actuels ? Une étude succincte de l’histoire de l’Église met en évidence le fait que les épidémies et autres fléaux ont bien souvent rythmé le quotidien des frères et sœurs qui nous ont précédés.
En effet, aussi loin que l’histoire a été documentée, nous trouvons la trace de maladies, pestes, épidémies de malaria qui ont affecté la société et profondément redéfini la vie des gens. Pour se limiter à l’ère chrétienne, déjà sous l’empire romain, pendant le règne de Marc Aurèle en 166, on fait état d’un fléau qui a touché le monde entier 2. Du XIVe au XVIIIe siècle, l’Europe, l’Empire ottoman, l’Afrique du nord ont été régulièrement touchés par des fléaux successifs et souvent importants : par exemple, la peste noire qui a touché le nord de l’Italie, Paris, Londres, ou Istanbul 3. Plus récemment, on se souvient de la grippe espagnole de 1918 avec ses 100 millions de victimes dans le monde et des différentes épidémies de polio, Ébola4, grippes de la deuxième moitié du XXe siècle. Ces fléaux continuent jusqu’à aujourd’hui !
Ces exemples parmi tant d’autres, montrent une continuité de maux touchant le monde, et nous permettent de prendre du recul par rapport à la pandémie actuelle. Si l’on en croit l’histoire, et ce malgré les avancées de la médecine — médicaments, vaccinations, connaissances des virus et bactéries — nous nous devons de relativiser et de voir dans la pandémie de coronavirus un événement prévisible, bien que difficile. Ce qui est surprenant n’est pas le fait de souffrir de la situation actuelle, mais qu’elle ne soit pas survenue plus tôt.
Dans la pratique également, les consignes actuelles de lutte contre la pandémie — gestes barrières, distanciation sociale, quarantaine, restriction dans les déplacements et les rassemblements religieux, annulation d’événements, désinfection en profondeur, confinement excepté pour les travailleurs essentiels (métiers de la santé) — étaient déjà mis en place pendant les fléaux de l’histoire5 . L’Ecclésiaste le déclamait : « Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Si l’on dit à propos de quelque chose : ‘’regarde ceci, c’est nouveau’’, en réalité cela existait déjà dans les siècles précédents » (Ecc 1.9b-10, version Segond 21).
Enfin, des écrits sur les fléaux de l’histoire, nous pouvons également retenir ce désir de laisser une trace, un témoignage qui servira aux générations futures. Les croyants de l’Église écrivaient pour faire part de leur expérience à ceux qui subiraient une nouvelle épidémie, transmettant la sagesse et les outils développés pour adopter la bonne approche, la bonne façon de réagir en temps dramatiques. Voici quelques enseignements tirés de l’histoire qui sont certainement utiles pour la pandémie actuelle.

La réponse de l’Église face aux fléaux

Au tout début de l’Église, alors qu’elle n’était pas encore reconnue dans l’Empire romain, des pandémies sont venues s’ajouter à une situation de persécution sévère durant laquelle les martyres étaient courants, et parfois à un contexte de guerre, comme ce fut le cas lors du fléau qui a touché Carthage en 250-2606 . En ces temps troublés, l’évêque Cyprien encourageait les chrétiens à offrir une aide désintéressée à leurs voisins, chrétiens ou non, à prendre soin des malades, et à enterrer les morts. Le malheur atteignait toute la famille humaine, chrétiens et non-chrétiens, de la même manière, à la seule différence que les chrétiens pouvaient voir leur foi se renforcer alors que les non-croyants se lamentaient sur ce qui avait été perdu. L’Église était alors appelée à une attitude de sacrifice tout en sachant que Dieu était souverain, donc qu’on ne pouvait pas le blâmer pour ce qui arrivait. Les fléaux n’étaient pas une punition ou une rétribution. À la suite de cette réponse des premiers chrétiens, les églises ont commencé à créer des structures d’accueil pour les pauvres et les malades, lieux où l’on donnait de la nourriture, des habits, des soins médicaux et du réconfort à ceux qui allaient mourir. Cette éthique chrétienne tournée vers l’autre était nouvelle et beaucoup de gens sont venus à la foi grâce à cet exemple.
Lors des épidémies de peste noire du XIVe siècle, la réponse de l’Église fut différente. Les chrétiens n’étaient plus persécutés et n’avaient plus l’alternative de mourir soit martyrs soit victimes d’épidémies. Au contraire, l’Église était bien établie, confortablement installée 7; beaucoup de chrétiens, clergé y compris, ont réagi sur la base de leur propre intérêt plutôt que par amour du prochain, choisissant de fuir pour sauver leur vie au lieu de porter assistance aux nécessiteux. L’Église a alors cherché un sens à donner aux fléaux et a déclaré que le péché en était la cause et que Dieu envoyait la peste comme jugement. Les croyants en venaient alors à blâmer Dieu pour leurs souffrances. Cette réponse des chrétiens a contribué à affaiblir l’autorité de l’Église plutôt que de la renforcer. Elle est une des raisons qui a permis à la Réforme de se déclencher peu de temps après.
Aujourd’hui, l’Église d’Occident n’est ni dans une situation de persécution sévère, ni dans une situation de pouvoir et de force. Quel sera donc le sens donné à la pandémie que l’on vit actuellement ? Un message motivé par l’amour du prochain et le don de soi, ou au contraire un message qui donnera l’impression d’un recentrement sur soi, d’une indifférence aux autres et même d’une hostilité générée par la peur et la fatigue d’une situation qui dure8 ? Les fléaux forcent en effet la société et l’Église à s’examiner et à faire face à certaines vérités qui sont difficiles à entendre : des réformes à entreprendre, des mauvaises habitudes à modifier, une profonde repentance. C’est une occasion de pouvoir le faire durant la pandémie que l’on vit.

Temps de crise, temps d’entreprise

Chercher la face de Dieu, se remettre en question fut la réponse de l’Église, sous forme de journées de prière et de jeûne, pour plaider devant le Seigneur. Cela fut également la réponse individuelle de nombre de serviteurs de Dieu dans des temps incertains. Lors de l’épidémie de grippe espagnole de 1918, alors confiné, Hugh Edward Alexander, le fondateur de l’École Biblique de Genève (IBG aujourd’hui), a consolidé sa vision de démarrer un institut biblique de langue française qui forme toujours des missionnaires et des pasteurs pour l’évangélisation du monde. C’est lors de cette même épidémie, au début du XXe siècle, que l’Afrique a vu émerger nombre de mouvements d’église locaux qui ont modifié le panorama religieux africain, indépendamment de l’Europe et qui ont permis l’expansion de la foi chrétienne sur ce continent jusqu’à aujourd’hui9 .
Quelles réformes nos églises sont-elles appelées à adopter, que les générations futures identifieront comme ayant émergé de la pandémie de coronavirus des années 2020 ? Certains parlent d’un retour aux églises dans la simplicité, type églises de maison, axées sur le relationnel et le discipulat. Dans tous les cas, le grand mandat que Jésus a donné à ses disciples avant de remonter au ciel (Act 1.8) demeure et nous pouvons avoir confiance qu’il dirigera son Église en toutes situations, coronavirus inclus, vers l’accomplissement de cette mission et vers la sanctification de l’Église en vue de son retour. À nous de continuer la marche par la foi.

  1. Kyle Harper, Pandemics Now and Then, History Today, 70, no. 7 (Juillet 2020): p. 90–93.
  2. Dean Phillip Bell, Learning from Disasters Past: The Case of an Early Seventeenth-Century Plague in Northern Italy and Beyond, Jewish Social Studies, 26, n° 1 (Automne 2020), p. 55–66.
  3. Notamment la grippe aviaire, la grippe H1N1
  4. Ibid, p. 59, 62.
  5. Catherine Gunsalus González, Christians Responses to Plagues: A Glimpse at the History, Journal for Preachers, 44, no. 1 (Hiver 2020) : pp. 15–21.
  6. Ibid., p. 17-18
  7. Yuval Levin, “A Mirror of the Plague: Pandemics Ancient and Modern and the Lessons They Teach”, Commentary, 149, n° 5 (mai 2020), p. 18–22.
  8. Philip Jenkins, Plagues Remake Religious Landscapes, Christian Century, 137, no. 12 (Juin 2020) : pp. 44–45.

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La Première Épître aux Corinthiens est adressée à une église locale bien identifiée de la Grèce antique mais aussi à « tous ceux qui invoquent en quelque lieu que ce soit le nom de notre Seigneur Jésus-Christ » (1.2). Tout au cours de la lettre, Paul a soin de rappeler aux Corinthiens qu’il leur donne le même enseignement qu’aux autres églises (7.17 ; 11.16 ; 14.33 ; 16.1). Les liens entre les églises locales sont importants et l’apôtre indique au moins trois moyens pour les entretenir :
1. La solidarité financière : Paul enjoint aux Corinthiens d’effectuer des collectes en faveur des croyants de Jérusalem qui seront envoyées avec des représentants de plusieurs églises (16.1-4). Aujourd’hui encore, une église qui connaît un besoin financier spécifique est heureuse de pouvoir compter sur la solidarité d’autres églises.
2. Les visites intentionnelles : Paul employait l’essentiel de son temps à visiter les églises. Mais il n’était pas le seul : il annonce une possible visite de son proche collaborateur, Timothée (16.10) ; il a discuté avec Apollos d’un voyage de ce dernier à Corinthe, où il avait déjà œuvré (16.12). Il est important qu’une église locale ne tourne pas « en circuit fermé » mais invite régulièrement des serviteurs pour présenter un message biblique. Ces visites permettent d’entendre de nouvelles voix, ouvrent à de nouvelles approches des textes et contribuent à l’harmonie et à la diversité du corps de Christ.
3. Les déplacements : Des frères de Corinthe sont venus voir Paul (1.11 ; 16.17), peut-être en profitant d’un voyage professionnel. Les mouvements de personnes entre églises, contraints ou volontaires, sont aussi des occasions de brassages enrichissants, ouvrant la voie à des visites familiales ou amicales.
Recherchons ainsi toutes les occasions pour contribuer à resserrer les liens entre églises locales.

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Définition de l’abus

Le terme « abus » vient du latin abusus qui signifie « mauvais usage ». Il désigne le mauvais emploi, l’emploi excessif de quelque chose. Dans le domaine social, cette notion rejoint celle de l’injustice.
L’abus spirituel a été défini ainsi : « C’est le mauvais traitement infligé à une personne ayant besoin d’aide, d’encouragement et de soutien — traitement qui, au contraire, contribuera à affaiblir ou détruire sa vie spirituelle.10 »
C’est intéressant, mais cette définition est trop centrée sur l’expérience de l’individu abusé. Certaines personnes sont des hypersensibles qui sont trop facilement blessées ! Le sentiment d’être maltraité ne légitime pas forcément la qualification d’abus.
Je dirais donc qu’un abus est avant tout un péché commis sur autrui, notamment par un responsable d’Église. C’est l’Écriture qui doit définir ce qu’est ce péché, qu’il soit intentionnel ou pas, et c’est par ce biais que doit être évalué l’abuseur.
L’abus spirituel, au-delà de sa laideur intrinsèque, démotive et déresponsabilise ceux et celles qui en sont victimes. Bien souvent, cette perte de zèle s’accompagne d’une vraie tristesse, d’une dévalorisation de soi.

Le cadre spirituel général dans une Église

Le cadre suivant présente les éléments d’un code de conduite susceptible d’éviter une situation d’abus spirituel.

L’autorité est en Dieu seul

Dieu œuvre à tout réunir sous un seul chef, le Christ (Éph 1.9-10), qui est le chef suprême de l’Église (Éph 1.22 ; Col 1.18).
Ainsi, toute autorité humaine n’est que délégation et ceux qui la reçoivent en rendront compte à Dieu. Une telle délégation présuppose un cadre, des tâches spécifiques et des limites (cf. Mat 28.18-20 ; Héb 13.17). Prétendre posséder une autorité « de la part du Seigneur » pour parler à d’autres en dehors de ce cadre peut être une forme d’abus spirituel.

Le responsable a une obligation de moyens

La manière dont un responsable se comporte est plus importante que le résultat de son service. Il a une exigence de moyens mais pas de résultat — il ne doit pas changer sa manière de faire (douceur, enseignement) pour tenter d’obtenir un meilleur résultat (en utilisant, par exemple, la manipulation ou la menace).
Des comportements dénoncés ou encouragés dans l’Écriture forment un socle utile pour comprendre ce que peut être l’abus spirituel :
 Jésus dénonce l’hypocrisie des religieux : ils préfèrent leurs propres traditions à l’autorité de l’Écriture (Mat 15.1-9) ; ils disent mais ne font pas, exigent beaucoup des autres, cherchent à être admirés, exigent d’être appelés par leur titre, profitent financièrement des gens vulnérables, ne savent pas distinguer le secondaire de l’essentiel, notamment « le droit, la miséricorde et la fidélité », et sont incapables de reconnaître leur corruption intérieure (Mat 23).
 Paul demande au serviteur de Dieu de ne pas avoir de querelles, et de montrer de la bienveillance envers tous, y compris les adversaires qu’il doit reprendre avec douceur ; il compte sur l’œuvre de Dieu qui est toujours à l’origine de toute repentance authentique (2 Tim 2.24-26).
 Pierre exhorte les anciens à s’occuper de l’Église de bon cœur, sans aigreur, sans chercher à profiter de cette charge, sans menacer ou dominer, sans revendiquer leur statut, mais en étant surtout un exemple pour ceux que Dieu lui confie, en manifestant un esprit humble qui attend du Seigneur l’ultime approbation de son travail (1 Pi 5.1-5).
 Pierre, Jean, Jude et Paul mettent aussi l’accent sur la protection de l’Église face aux loups et aux diviseurs (1 Jean 4.1 ; 2 Cor 11.14 ; Tite 1.10 ; 3.10-11 ; Jude 1.4,18 ; cf. Apoc 2.18).
 1 Corinthiens 13 met en avant la prévalence de l’amour dans l’exercice des dons spirituels. Pierre fait de même (1 Pi 4.7-11). Aucun talent (enseignement, exhortation, conseil, etc.) n’a de valeur en l’absence d’amour.
L’exercice du ministère sans bienveillance ni paix est une forme d’abus spirituel.

Les chrétiens ont une exigence de soumission réciproque

Le N.T. contient aussi beaucoup d’exhortations sur la qualité relationnelle qui doit régner dans l’église :
• Toute l’Église doit vivre sous le principe d’une soumission mutuelle (Éph 5.21). Dans un certain sens, nous sommes chacun à la fois en position de leadership et en position de suiveur, y compris les pasteurs.
• Matthieu 18.15-20 place chaque disciple devant l’obligation d’être le gardien de son frère, quitte à demander l’arbitrage de la communauté. Et s’il n’écoute pas, d’être entouré de gens qui pourront arbitrer lorsqu’un avis adverse est exprimé. Galates 6.1-5 exhorte chacun à exercer de la douceur lorsqu’un frère défaille.
• Les relations dans l’église doivent être empreintes de douceur et viser l’unité (Phil 2 ; Col 3-4 ; Éph 4-6, etc.)
L’ambiance et la santé d’une église dépendent de la contribution de tous, et non de la seule expression du leadership de ses responsables.

Les chrétiens ont un devoir de respect envers les responsables

La Bible enseigne le principe du respect des responsables : « Obéissez à vos conducteurs et soyez-leur soumis. Car ils veillent au bien de vos âmes, dont ils devront rendre compte. Faites-en sorte qu’ils puissent le faire avec joie et non en gémissant, ce qui ne serait pas à votre avantage » (Héb 13.17 version Segond 21). Le choix de respecter et de suivre les responsables est propre au disciple (personne ne lui impose cette attitude).
Cette attitude est reprise dans plusieurs passages du N.T. (1 Thes 5.12-13 ; 2 Thes 3.14 ; 1 Cor 16.16 ; 1 Pi 5.5). Un comportement d’opposition et de rejet, de non-remise en cause de soi, est une forme d’abus spirituel inverse, envers les responsables.
En résumé, il y a bien dans les Églises des hommes et des femmes censés conduire les assemblées. Ceux-ci doivent s’acquitter de cette tâche avec bienveillance, conscients qu’ils ne font que servir ceux que Christ a rachetés. Ils devront rendre compte de leur service (Héb 13.17). Les membres des Églises doivent encourager ce service, tout en restant attentifs à ne pas se laisser entraîner par des attitudes ou des comportements coupables de responsables abusifs. Ensemble, l’Église porte la responsabilité de l’édification mutuelle, portée par l’Esprit Saint (cf. 1 Cor 12.7 ; 1 Pi 4.10-11).

Synthèse sur les abus spirituels

La pastorale de notre union d’Églises a conclu qu’il y a abus spirituel lorsqu’une personne (notamment un responsable) agit contrairement aux principes bibliques évoqués (particulièrement si c’est répétitif), notamment par un comportement :
• sans maturité spirituelle (c’est-à-dire sans un esprit de paix, de conciliation, de douceur, de patience et de vérité, etc.) ;
• ou sans exemplarité minimale (elle est empêtrée dans les comportements qu’elle dénonce) ;
• en exerçant une pression psychologique inacceptable (que ce soit par menaces, harcèlements, ton de la voix, contexte inapproprié, etc.) ;
• sur un groupe ou sur une personne (rencontre individuelle ou de groupe) ;
• en détruisant l’autonomie humaine, psychologique et spirituelle d’une personne ou d’un groupe (sans faciliter une prise de conscience de l’intéressé ou une discussion collective) ;
• en sorte que les décisions ou orientations d’une personne ou d’un groupe sont verrouillées (sans discussion ni avancements possibles en dehors des directives de l’abuseur) ;
• et ne viennent pas du cœur de l’individu ou du groupe concerné.
Il n’y a pas abus spirituel, lorsqu’une personne (même un responsable) rappelle les vérités morales ou théologiques de la Bible :
• avec respect et douceur ;
• jusqu’à demander la repentance et le changement ;
• même si cela aboutit à une discipline d’Église (cf. Mat 18) ;
• en restant toujours ouvert à être repris par d’autres (et notamment par d’autres responsables).

Le service du responsable doit donc s’exercer :
1. par l’exemple,
2. avec amour et douceur,
3. dans l’humilité,
4. en étant fidèle à la Bible,
5. en évitant les conflits,
6. en protégeant l’Église des « loups »,
7. en comptant sur Dieu.

Le comportement d’un chrétien doit être bienveillant, viser l’unité et l’encouragement réciproque. Il doit faciliter le ministère des responsables par une attitude constructive et respectueuse.
Pour prévenir les abus spirituels, il est nécessaire de créer une culture d’Église spirituellement équilibrée :
• Une ambiance de grâce : prédication, conseil, dialogue doivent exprimer que Christ est le seul héros de la Bible, et que le pécheur trouve un secours réel auprès de lui. Que personne n’est exempt de la difficulté du péché, et des luttes qu’elle génère.
• Une recherche sincère de sainteté : l’Église doit également être un groupe où l’on est encouragé à dépasser la médiocrité ambiante.
• Un environnement de transparence pour partager avec simplicité ses fardeaux ou ses manquements au sein de petits groupes qui se respectent suffisamment pour maintenir la confidentialité.
• Une culture d’encouragement réciproque : apprendre à donner et à recevoir des conseils. Apprendre à juger de l’intérêt d’en donner ou non, ou d’écouter ou non tel conseil !

 

 

  1. David Johnson, Jeff Van Vonderen, Le pouvoir subtil de l’abus spirituel, Emeth Éditions, 1998.

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C’était une journée difficile à l’église11 . Ce qui était censé être une expérience de culte bénie et enrichissante ressemblait plutôt à un coup de poing dans l’estomac.
Que s’était-il passé ? Ceux qui étaient en position d’autorité s’étaient comportés en tyrans égoïstes.
Ils ressemblaient en fait aux fils du sacrificateur Éli, décrits comme « des hommes pervers » (ou : vauriens), qui « ne connaissaient pas l’Éternel » (1 Sam 2.12 )12. Les versets 13 à 17 montrent comment ils abusaient sans scrupule de leur rôle de prêtre. Quand un adorateur allait offrir un sacrifice, ils envoyaient leurs serviteurs prendre les meilleurs morceaux pour leur consommation personnelle. Pourtant ces prêtres ne manquaient pas de nourriture : la poitrine et la jambe droite de l’animal leur étaient déjà réservées (Lév 7.28-36). Si quelqu’un avait l’audace de rappeler à leurs serviteurs que l’Éternel devait être honoré en premier, les fils d’Éli menaçaient d’employer la force (v. 16). En résumé, « ces jeunes gens se rendaient coupables d’un très grand péché devant l’Éternel, parce qu’ils traitaient avec mépris les offrandes faites à l’Éternel » (v. 17).
Oui, c’était une journée difficile à l’église. En fait, les responsables n’avaient aucun respect pour la gloire de Dieu et pour le bien du peuple. Ils étaient uniquement préoccupés d’eux-mêmes. Cette tendance à l’abus d’autorité et à la recherche de l’intérêt personnel est progressive et subtile. Par conséquent, il s’avère utile de relever quelques caractéristiques des pasteurs tyranniques afin de les identifier.

1. Ils s’approprient la gloire due à Dieu

Certains pasteurs semblent beaucoup plus impressionnés par eux-mêmes et par leur intelligence que par la sagesse de Dieu. Observons comment ils utilisent la Parole de Dieu. Est-ce qu’ils la prêchent, ou bien en font-ils juste une « perche à selfie » pour eux-mêmes ? Si glorifier Dieu est le but de toute la vie, c’est certainement encore davantage le but de tout ministère. Dans leur service, certains font pourtant preuve d’un zèle comparable à celui des constructeurs de la tour de Babel, en travaillant dur pour se faire un nom ; ils perdent ainsi de vue l’essentiel. La gloire revient à Jésus, et non à nous-mêmes. Souvenons-nous : « Il faut que lui croisse, et que moi je diminue » (Jean 3 .30). Ce n’est pas l’inverse.

2. Ils utilisent le ministère pour se servir eux-mêmes, et non pas Dieu et les autres

Les fils d’Éli considéraient le peuple comme étant à leur service et non comme des personnes qu’ils devaient servir. De même, dès qu’un pasteur commence à estimer que les gens et le ministère sont à son service au lieu de penser qu’il est, lui, au service des membres de son église, il est en danger. On oublie parfois que le mot « ministère » signifie « service ». Toute notre vie doit être un service. Paul dit que ceux qui dirigent doivent se considérer comme des serviteurs. Jésus demande à tous ceux qui le suivent d’être des serviteurs (en particulier à ceux qui sont à la tête et qui peuvent être tentés de se laisser servir. Après tout, c’est ainsi qu’il a vécu et qu’il s’en est allé (Marc 10.43-45). Les pasteurs veillent à ne pas s’estimer supérieurs au troupeau et à ne pas s’en tenir à distance. Ils sont au service de Dieu et des siens.

3. Ils n’hésitent pas imposer leurs méthodes

D’où venait cette idée de se promener fourchette en main pour se servir dans animaux offerts en sacrifice par les gens du peuple ? Certainement pas de la Bible. Moïse n’a jamais recommandé ou permis une chose pareille. Mais il est possible qu’ils aient réussi à impressionner les gens avec une explication de leur invention ou bien seulement avec un ton ou un style autoritaire pour justifier leur « innovation » liturgique. Le seul problème avec cette façon d’innover, c’est qu’elle ne correspond pas toujours à ce que Dieu demande. Cela vaut aussi pour notre époque : nous sommes souvent rapides pour inventer quelque chose qui nous arrange, beaucoup plus lents à nous remettre en question. Il est plus facile et rapide de se lancer dans quelque chose qui ressemble à une bonne idée, plutôt que de se demander si la Parole de Dieu encourage ou non ce que nous initions. Les occidentaux du XXIe siècle ont tendance à faire une belle place à l’innovation dans la mesure où elle augmente leur influence. Mais si une telle innovation nous détournait de ce que nous sommes censés être et faire ? L’innovation n’est pas toujours mauvaise, mais elle n’est pas nécessairement positive non plus. Par conséquent, nous devrions être prudents envers l’innovation. Il se peut que la recherche de nouveauté mette nos églises — et nous-mêmes — en difficulté. Restons proches de la révélation biblique.

4. Ils exercent une autorité oppressante

À qui ces hommes rendaient-ils compte ? Éli fermait les yeux sur la situation. Le peuple ne pouvait pas faire grand-chose. Il en résultait que la domination tyrannique de ces hommes s’était imposée au peuple avec une autorité oppressante. Malheureusement, ce type de situation se produit encore aujourd’hui dans des églises. Plutôt que de voir leur autorité fondée sur la Parole et restreinte à cette seule Parole, certains pasteurs pensent qu’ils sont investis d’une autorité personnelle et universelle ; ils n’ont pas de comptes à rendre, pas de conseils à entendre. Ce type de leadership est à l’opposé de ce que la Parole enseigne, il s’arroge une autorité absolue, parfois même sur les aspects les plus intimes de la vie des gens, là où le pasteur n’a pas à s’ingérer. Souvent, un tel pasteur utilisera certains versets de la Parole pour reprendre ses fidèles, sans pour autant s’y soumettre lui-même. Cette hypocrisie exaspère les croyants ; la vie d’église devient un fardeau, elle n’apporte plus de joie. Ce type d’intimidation n’a rien de commun avec le modèle de roi serviteur que Jésus montrait par son exemple (Marc 10).

5. Ils montrent peu de respect pour le sérieux du ministère

Les fils d’Éli couchaient avec des femmes dans le temple et volaient des portions des sacrifices : manifestement ils avaient perdu conscience de l’honneur dû à Dieu dans leur ministère. Le ministère concerne en effet deux des buts les plus importants au monde : la gloire de Dieu et le bien spirituel des personnes. Si nous perdons cela de vue, alors le ministère perd son sens et sa valeur. Tout ce qu’un pasteur accomplit doit être jugé à l’aune de la gloire que cela apporte, ou non, à Dieu. En outre, nous devons nous rappeler que ce que les gens font de la Parole de Dieu a des conséquences éternelles. Nous pouvons soit les aider, soit les entraver. Notre impact dépend de ce que nous prêchons, mais aussi de notre façon de vivre et de diriger l’église. Le ministère n’est donc jamais à prendre à la légère.

6. Ils oublient l’œuvre du Seigneur

Au fond, le vrai problème des fils d’Éli, c’était qu’ils avaient perdu conscience de la valeur des sacrifices et de la sainteté de Dieu ; ils ne s’en souciaient même pas.
Si un pasteur perd de vue qu’il est un grand pécheur et que Jésus est un grand Sauveur, il est dans une impasse. Le pasteur-intimidateur a oublié la Parole de Dieu et la valeur de Dieu. Il n’est pas étonnant qu’il ait peu de considération pour le peuple de Dieu.
Qu’il ne soit jamais dit de nous que nous avons ignoré l’œuvre du Seigneur et que nous avons méprisé le sang de l’alliance. C’est à cause de nous qu’il a dû y avoir la croix et le sang du Calvaire. L’Agneau de Dieu a été mis à mort pour nous. Que Dieu nous préserve de nous sentir à l’aise, de minimiser, de relativiser ou d’obscurcir la grandeur de la gloire de la croix de la croix. Par la grâce de Dieu et pour le bien de son Église, que les pasteurs n’oublient jamais l’œuvre de la croix.

  1. À proprement parler, le texte de 1 Samuel 2 ne concerne pas l’Église. Toutefois, l’AT contient des exemples qui peuvent être utiles à l’Église d’aujourd’hui. (NDLR)
  2. Version Segond

Écrit par


« Les Églises évangéliques de professants[1], qui se réclament à la fois des Réformateurs et des anabaptistes[2], se sentent parfois les enfants de parents divorcés. »[3]Nos pères ont partagé les doctrines fondamentales de la révélation biblique, mais leurs divergences ont été irréconciliables. Faut-il « réformer » ou « restituer » l’Église pour la gloire de Dieu ?

Notre héritage spirituel est complexe, parsemé d’épisodes douloureux. Aujourd’hui encore, les croyants oscillent entre des projets d’union et les tendances séparatistes. Comment éviter les pièges inhérents à chacune de ces orientations ?

Comme le souligne très justement le professeur Marc Lienhard[4], les débats à l’intérieur des mouvements anabaptistes rejoignent les tensions actuelles de nos Églises : « C’est aussi bien la question des rapports, entre vie communautaire et liberté individuelle que celle de l’herméneutique : comment lire et vivre les exigences du Sermon sur la montagne sans tomber dans un littéralisme qui pourrait être le contraire de l’amour ? »

Une Réforme inaboutie sur le plan ecclésiastique

Les aspirations profondes de la Réforme

Captif des seules paroles de Dieu et confronté à l’intransigeance de l’institution catholique, Luther formule une ecclésiologie alternative qui triomphe de l’excommunication romaine. Le fondement de l’Église ne consiste pas en la continuité d’un appareil hiérarchique, mais en la fidélité à l’Écriture. L’Église ne juge pas la Bible, elle est seconde par rapport au message transmis.

À l’instar du jeune Luther, les Réformateurs veulent recréer le modèle de l’Église primitive, sans égard pour le passé catholique, puisque Rome s’est manifestement éloignée de l’enseignement des Écritures. C’est par la Bible seule qu’il faut combattre les erreurs de doctrine. La Réforme est le retour au caractère normatif de la Bible. Va-t-elle réussir à changer l’Église ?

Les Églises magistérielles[5] et leurs limites

Au XVIe siècle, l’Église catholique est une institution fortement liée à la société et à l’État ; les Réformateurs, malgré leurs aspirations, n’ont pas réussi à rompre définitivement avec les formes religieuses et sociologiques de l’Église romaine. Sous la pression des événements et l’oppression des autorités, les Réformateurs ont abandonné leur plan initial. Au lieu de fonder une communauté évangélique, la Réforme a dégénéré en un mouvement politico-religieux, le lien entre les deux étant si fortement ancré dans les mentalités. La collaboration entre le pouvoir temporel et l’autorité ecclésiastique s’est faite au détriment du message révélé (cf. Marc 7.9).

Partout s’impose le principe de la nation-Église ; puisque tous sont baptisés, tous donc font partie de l’Église qui devient multitudiniste. Il faut saluer les constats lucides et douloureux de Luther: « Parmi mille (paroissiens) on trouve à peine un vrai chrétien. » « Nous ne sommes presque que des païens portant le nom de chrétiens. »  « Je préférerais que les paysans, les bourgeois et la noblesse qui, à présent, abusent de l’Évangile, soient encore sous la papauté, ils ne sont pour l’Évangile qu’obstacle, honte et dommage. » Selon Emil Brunner, « la prétention de Calvin d’avoir reconstitué l’Ekklesia du Nouveau Testament n’est pas fondée. Très vite on assiste à une purification de l’Église et non à son recommencement ».[6]

La « restitution » ou comment retrouver l’Église du Nouveau Testament

Le siècle est ouvert aux innovations bibliques. Oui, il faut réformer l’Église, mais à quel rythme, jusqu’où peut-on aller ?

Plusieurs collaborateurs de Luther et de Zwingli désirent aller plus loin et rejettent la symbiose entre l’Église et l’État. Pour eux, l’Église n’est pas l’ensemble de la nation. L’Église de multitude est déchue et ils s’en détournent par crainte d’être contaminés par le « monde » et la tradition humaine. Ils rompent avec le corpus christianum pour revenir au modèle biblique, le corpus Christi qui a existé jusqu’au IVe siècle. On peut opposer la reformatio des uns à la restitutio des autres.

L’une des caractéristiques de certains mouvements est leur insistance sur la conversion personnelle et réelle. Dans ces assemblées de rachetés, la nouvelle naissance de chaque chrétien par le Saint-Esprit se traduit extérieurement par le baptême conscient et par les fruits d’une vie régénérée au quotidien. Ils veulent transplanter les caractéristiques du christianisme primitif directement dans la réalité contemporaine. C’est la naissance au XVIe siècle de l’Église de professants.

Les débordements de l’anabaptisme révolutionnaire et messianique

Le mouvement de « restitution » de l’Église primitive a émergé quasi simultanément du nord de l’Europe jusqu’au sud des Alpes, et de l’Alsace jusqu’en Moravie.

Cette réalité bigarrée ne forme pas, loin s’en faut, un ensemble homogène : il n’y a pas d’unité profonde car les divergences ont plus de poids que les convergences. Il se répartit en de nombreuses tendances : on y trouve certes des « rebaptiseurs » mais aussi des spiritualistes, des illuminés, des révolutionnaires ou encore des antitrinitaires[7]. Et les frontières sont poreuses.

Beaucoup s’abreuvent aux courants mystiques catholiques des siècles précédents[8]. L’idéal pour restituer l’Église pure se fonde sur plusieurs modèles bibliques : la restauration de l’Israël des patriarches (A.T.), le retour à l’Église primitive (Les Actes des Apôtres, les Épîtres) ou l’instauration du millénium (Apocalypse). Luther les exècre tous et Calvin n’a que profond mépris pour cette « vermine ».

Les troubles de Wittenberg : les prophètes de Zwickau, Karlstadt et les Enthousiastes

En Saxe, Nicholas Storch joue un rôle dévastateur. Il prétend que Dieu lui parle par des visions et des rêves. Survient l’apparition de l’archange Gabriel qui lui demande de prendre la tête de l’« Église des Élus ». Il nomme douze apôtres et soixante-douze disciples pour lutter contre l’Église catholique corrompue. Tous, y compris les Réformateurs, sont alors persuadés de vivre les temps de la fin, mais ces visionnaires annoncent que le retour du Christ est imminent.

À Wittenberg, là où la Réforme a commencé, alors que Luther est retenu à la Wartbourg, leurs prophéties et leurs connaissances bibliques impressionnent vivement les principaux collaborateurs du Réformateur.

Andreas Bodenstein, dit Karlstadt, collègue et ami de Luther, se propulse hardiment à la pointe du mouvement de réforme radicale à Wittenberg. Le mariage des prêtres est rendu obligatoire. Il faut supprimer tout ce qui est contraire à la foi (la messe comprise comme un sacrifice, etc.) avant que la Parole n’ait convaincu les fidèles. Il conteste le baptême des nourrissons, doute de la présence réelle du Christ dans la cène et se lance dans une série d’épisodes iconoclastes. Il attribue à l’Écriture une importance secondaire et insiste sur le rôle de l’Esprit qui transforme et « déifie » graduellement et intérieurement le croyant.

En mars 1522, Luther quitte précipitamment la Wartbourg pour expulser ces Schwärmer (Enthousiastes) qui préfèrent les mouvements intérieurs de l’Esprit à l’autorité de l’Écriture et qui veulent établir des communautés de laïcs libres. L’illuminisme piétiste de Karlstadt nuira énormément aux innovations bibliques et à la formation d’Églises de professants. Luther sera dorénavant très réactif face à toute évolution qui lui rappellera Karlstadt et les prophètes de Zwickau.

Thomas Müntzer ou la théocratie révolutionnaire

En 1520, pour pallier la pénurie en ministres, Luther nomme Müntzer pasteur de Zwickau. L’ancien prêtre rallié à la Réforme est un homme exalté et violent. À son tour, il se proclame prophète de Dieu et s’applique le verset de Luc 4.18 : « L’Esprit du Seigneur est sur moi. » Selon lui, tous les croyants peuvent entendre la voix de Dieu, par des songes ou des visions, sans lire ou écouter la Bible.

Il veut séparer les élus des impies (le bon grain de l’ivraie) pour établir une théocratie radicale et égalitaire. Il pille les couvents et détruit les châteaux, au bénéfice du « petit peuple si misérable ». Il faut user du glaive contre les ennemis de l’Évangile. Son lien avec l’anabaptisme semble bien ténu : il a critiqué le baptême des enfants mais n’a jamais pratiqué le baptême des adultes.

À partir de 1524, une grande insurrection rurale, conduite par ces prophètes, pousse les revendications beaucoup plus loin. On espère rénover la vie sociale et politique selon un modèle biblique. Toute l’Allemagne est sillonnée par des bandes de paysans en furie, partout le sang coule. La répression des princes est terrible. Les hordes paysannes sont taillées en pièces, Müntzer est cruellement torturé et finit décapité. C’est l’échec du mouvement communal et révolutionnaire de la guerre des paysans (1525).

Melchior Hoffmann : visions et prophéties apocalyptiques

Toujours en manque de pasteurs, Luther recommande Melchior Hoffmann comme prédicateur laïc. Fourreur-pelletier, ayant de solides connaissances bibliques et lecteur des mystiques, Hoffmann voyage beaucoup pour des raisons professionnelles. Partout il répand la Réforme par ses sermons enflammés poussant à la destruction des images, des statues et des reliques. Il établit des Églises dans les pays baltes et scandinaves, en Rhénanie et aux Pays-Bas.

À la suite de visions, il se prend bientôt pour le « Nouvel Élie ». Il est à l’origine de l’anabaptisme spiritualiste dans le nord de l’Europe qui exalte la « parole intérieure », le messianisme, les prophéties. Il prédit la fin du monde pour 1533 et désigne Strasbourg comme la « Nouvelle Jérusalem » où il sera à la tête des 144 000 élus, marqués par l’Esprit.

Les spéculations du « mauvais génie » de l’anabaptisme serviront de support idéologique à divers groupes apocalyptiques, les Melchiorites. Hoffmann est un pacifiste convaincu, mais ses disciples n’hésiteront pas à recourir à l’épée pour conquérir le Royaume.

Le « Royaume de Dieu à Münster »

En 1533, Bernard Rothmann introduit la Réforme à Münster, en Allemagne. Puis il se convertit à l’anabaptisme hoffmannien, refusant dès lors le baptême des enfants. En 1534, la ville passe sous le contrôle des émigrés anabaptistes illuminés, chassés des Pays-Bas ou d’autres régions en Allemagne.

Jan Matthijs est l’un des ardents partisans de Hoffmann. Jeune boulanger d’Harlem, il réussit, par son charisme et ses visions sur l’imminence de la parousie, à entraîner des convertis en Westphalie. Certes, Hoffmann s’est trompé de date et de lieu (Strasbourg), mais le Christ reviendra pour régner à Münster, la future « Jérusalem céleste » ! En attendant, ils forment la sainte armée qui l’aidera à détruire les impies. La propriété et l’argent sont supprimés au profit d’une totale communauté des biens.

Après sa mort lors d’un combat sous les murs de la cité en 1534, c’est son successeur Jean de Leyde qui se proclame « Roi de justice de la nouvelle Sion ». Tyrannique, il instaure une théocratie fondée sur une lecture de l’A.T. et inspirée également par le millénarisme de Thomas Müntzer. Il veut anéantir le monde pécheur par les armes et institue la polygamie. Le scandale est retentissant. Le long siège de Münster par les troupes du prince-évêque et des princes protestants se termine dans un affreux bain de sang.

Fruits amers

Les anabaptistes sont détestés des catholiques et des protestants. La cause anabaptiste sera discréditée durant des siècles, la mémoire collective européenne retiendra l’effondrement du « Royaume anabaptiste de Münster ». Bien sûr, les catholiques imputent cette évolution dramatique à Luther.

Après ces événements, Luther, consterné, juge nécessaire l’intervention de l’autorité civile. Les princes territoriaux réforment leurs États et gouvernent l’Église de multitude comme des « évêques suprêmes ». Menacé par le catholicisme et débordé par l’illuminisme, Luther en est venu à rétablir la plupart des erreurs qu’il avait lui-même combattues. Les Réformateurs ont été empêchés de constituer la « vraie » Église avec de « vrais » chrétiens. C’est sans doute le grand drame de la Réforme.

Dans cette actualité chahutée et confuse, les Réformateurs se désolidarisent avec vigueur des anabaptistes séditieux et novateurs et attaquent maintes fois des arguments théologiques présumés. Refuser le baptême des enfants sous le prétexte qu’on ne naît pas chrétien mais qu’on le devient par la conversion à Jésus-Christ est un credo jugé révolutionnaire. Le « rebaptême » est un délit puni de mort. Désormais le refus de la Confession de foi dans une ville est assimilé à un geste de désobéissance civile. À partir de 1530, Luther approuve la mise à mort de tous ceux qui contredisent sa doctrine, conducteurs et fidèles anabaptistes.

Les protestants sont ainsi responsables (avec les catholiques) du martyre d’innombrables enfants de Dieu, abusivement amalgamés avec les illuminés violents et les extrémistes de tout poil.

III. L’émergence de l’anabaptisme pacifique

Un anabaptisme pacifique perce dans les années 1520-1530, avant et parallèlement à ces courants violents. Ses ennemis insinuent qu’il n’est qu’un repli stratégique imposé par les échecs et les scandales de l’anabaptisme guerrier. Selon eux, ces fanatiques « assagis » resteraient redoutables. D’où la poursuite des persécutions.

Le baptême des enfants symbolise la mainmise des États et des Églises sur la vie privée et publique du peuple. Le baptême des adultes a un caractère singulièrement « moderne » au XVIe siècle. S’y rattache cette quête radicale : Comment vivre sa foi hors du monde et libre du pouvoir temporel ?

Malgré un fond doctrinal biblique commun, les divisions internes de l’anabaptisme pacifique sont nombreuses. Pour faire simple, on peut distinguer trois grands mouvements : les « Frères suisses », les houttériens et les mennonites.

Les « Frères suisses » et les Allemands du sud

À Zurich, les autorités civiles maintiennent l’Église d’État, réformée par Zwingli, dans la rigoureuse dépendance du magistrat.

Trois amis de Zwingli (Grebel, Mantz et Blaurock) pressent le Réformateur de s’engager dans la voie d’une réforme plus radicale. Mais Zwingli a peur que le Conseil de Zürich réprime les innovations et redoute aussi qu’enseigner la nullité du baptême des enfants vide en fait l’Église dans laquelle il a commencé d’accomplir son œuvre de Réforme. La pensée du Réformateur évolue vers une Église plus proche des institutions de l’A.T. que du N.T.

Alors que Zwingli et ses collègues célèbrent encore la messe jusqu’au jour de Pâques1525, les Frères se réunissent en maints endroits pour l’étude de la Bible, la prière et la célébration de la cène entre eux. Le « serviteur » est choisi dans l’assemblée et prêche en langue vulgaire. Les dissidents officialisent la naissance de la première Église indépendante de l’État et le pluralisme religieux. Le conflit avec le Conseil de Zürich devient inévitable car la base même de la civilisation chrétienne est remise en cause.

Dans le choc frontal entre le protestantisme de choix (sans l’aide de l’autorité) et le protestantisme de masse, à Zurich, la violence est du côté des Réformateurs. Mantz meurt martyr, noyé, supplice réservé à tous les anabaptistes obstinés : « Par l’eau il a péché, par l’eau il doit être puni. »

Les Frères doivent fuir les poursuites et la persécution. Peu à peu tous les chefs anabaptistes de la première heure vont disparaître, torturés, brûlés ou noyés. Cette vague déferlante de persécutions sanglantes renforce aux yeux des victimes la nécessité de la séparation entre un monde puissant, agressif et violent et l’Église persécutée, humble et pacifique. Au prix d’un durcissement doctrinal.

Michaël Sattler contribue à organiser les communautés de confessants. En participant activement à la première définition systématique de la doctrine anabaptiste (la Confession de Schleitheim de 1527). L’Église y est décrite comme une communauté volontaire, unie pour suivre le Christ, strictement séparée de la société et du monde déchu. Pour certains Réformateurs, ce repli radical au sein d’une communauté locale s’apparente à un retour au monachisme. L’intransigeance des anabaptistes fait vite polémique. Leur désintérêt pour le maintien de l’ordre politique et social passe aux yeux des autorités pour de l’anarchie et rappelle fâcheusement certaines aspirations de la guerre des paysans. Il faut sévir. En 1527, Sattler est torturé et brûlé et sa femme noyée.

Les Frères mettent l’accent sur le baptême et la discipline au sein de l’Église. Les baptisés doivent se soumettre à des règles strictes pour conserver une éthique rigoureuse. La pureté des croyances et des pratiques est nécessaire pour pouvoir rompre et manger le même pain et boire de la même coupe. Les Frères prônent la séparation complète du monde, y compris des institutions politiques et des Églises magistérielles protestantes qui « sont des vaines abominations devant Dieu ». Leurs interdits incluent le refus de prendre les armes (réaction à la révolte des paysans), la non-violence et le refus de tout serment. Un chrétien ne saurait être magistrat ni occuper un emploi civil.

La ferme volonté d’être conforme en tous points au Christ, l’obéissance littérale à la Bible et la discipline sans amour favorisent le légalisme. Le rigorisme conduit à l’oppression. On a tendance à juger les actes extérieurs par rapport au code imposé. Le moralisme risque de prendre le pas sur la foi vivante.

Le sectarisme des Frères ne doit pas être détaché du contexte de diabolisation générale et de persécution inouïe qui les frappent alors. Mais le poids des événements dramatiques n’explique pas tout. Les convictions extrêmes des anabaptistes suisses et alémaniques reposent aussi sur l’attente imminente du jugement de Dieu et de la fin des temps. Le salut est dans une vie communautaire exclusive. Cet aspect radical va enfermer les anabaptistes dans un repli social jusqu’au ghetto.

Le communautarisme rédempteur

Les houttériens (ou houttérites) ont beaucoup de points communs avec les « Frères suisses », mais les circonstances et la forte personnalité de leurs chefs vont produire une lecture nouvelle des textes fondateurs. Hans Hut est un proche ami de Thomas Müntzer. À la suite de la fin désastreuse de l’insurrection paysanne, il renonce à la violence et rejoint l’enseignement des Suisses mais il garde sa tournure mystique et apocalyptique. Pour échapper aux persécutions religieuses, plusieurs centaines d’anabaptistes germanophones et non-violents trouvent refuge en Moravie (actuelle République tchèque), où ils sont tolérés par certains nobles.

Leur dénuement est tel qu’ils en viennent à partager leurs maigres biens, suivant l’exemple des premiers chrétiens (Act 2.42-47 ; 4.34-35). Les houttériens évoluent vers une mise en commun de la propriété et de la production constante et obligatoire. Leur « communauté des biens » implique une vie quotidienne commune (y compris repas et éducation des enfants) dans des fermes collectives ou phalanstères. Ils pensent rétablir un état paradisiaque utopique en détruisant chez chaque fidèle le désir égoïste de posséder.

Dévier les règles de la colonie revient à pécher contre Dieu lui-même et mène à la damnation. La parole des Anciens est assimilée à celle de Dieu, elle ne souffre aucune désobéissance. Cette pratique constitue en fait un nouveau cléricalisme, les croyants ne pouvant plus lire ni comprendre la Bible tout seuls. La vie communautaire prend une vertu rédemptrice et remplace l’œuvre unique du Christ.

Ce mode de vie particulier, leur prosélytisme et leur prospérité économique suscitent inévitablement la jalousie et d’autres persécutions. Ils doivent émigrer en Hongrie, en Roumanie, en Russie tzariste, aux États-Unis puis au Canada.

De la réorganisation de l’anabaptisme aux mennonites

Les autorités policières et religieuses font partout la chasse aux chefs anabaptistes. Des faux-frères et des erreurs doctrinales s’introduisent dans les assemblées, semant la confusion et les disputes. Le zèle se refroidit et l’on fréquente moins les réunions… À ce malaise s’ajoute très souvent une vive opposition entre Anciens et les rivalités entre les divers groupes.

Plusieurs hommes remarquables se lèvent alors : Scharnschlageret Marpeck protègent leurs Assemblées de la contagion du spiritualisme d’Hoffmann. Ils se heurtent également au littéralisme rigide et à la tendance légaliste des Suisses où le « faire » l’emporte sur l’acte de foi. Selon les deux amis, la discipline est nécessaire, mais elle doit être pratiquée dans un esprit de miséricorde pour l’amélioration et non pour la destruction. Marpeck avertit les houttériens que la foi est une décision personnelle et que la charité ne peut être imposée.

Après 1530, la plupart des dirigeants instruits de la première génération anabaptiste ont été exécutés, les communautés sont épuisées, les prédicateurs rares et souvent sans formation. Une sérieuse réorganisation du mouvement s’impose. Menno Simons en sera l’artisan.

Ancien prêtre d’Utrecht, converti en 1535, Menno, en plein scandale de Münster, écrit un traité contre les visions et les violences de Jean de Leyde, exhortant les Münstérites à revenir à l’enseignement du Christ. Ses livres sont largement distribués et lus ; partout ils contribuent à rétablir la cohésion des groupes anabaptistes en leur redonnant des bases dogmatiques exemptes de tout enthousiasme mystique, millénariste ou révolutionnaire. Son enseignement s’inscrit dans l’orthodoxie biblique.

Il regroupe les communautés locales sous la direction d’Anciens régionaux qu’il essaie de former avec clairvoyance. Leur influence s’étend sur les Pays-Bas, l’Allemagne du nord et la vallée du Rhin, et même en Suisse. Les Anciens les mieux formés, sorte de surintendants, se réunissent régulièrement pour traiter ensemble des difficultés. Mais l’importance accordée aux Anciens, réglant les problèmes entre eux par-dessus la tête de leurs communautés et imposant leurs vues par le moyen de l’excommunication stricte, ouvre hélas la voie à la cléricalisation.

Menno Simons veut éviter à l’anabaptisme de devenir semblable aux grandes Églises si tolérantes au péché. Il rejoint l’intransigeance du premier anabaptisme pacifique en mettant sur pied une discipline sévère : il défend une stricte séparation du pécheur d’avec l’assemblée et la famille. Celle-ci doit cesser toute relation avec l’excommunié et ne plus partager les repas avec lui ; les rapports entre époux sont interdits. Et les Frères ne peuvent plus avoir de contacts professionnels ou économiques avec le fautif… La discipline et l’organisation risquent de remplacer l’œuvre de l’Esprit.

Des divergences de vue sur l’application trop stricte de l’excommunication  provoquent une scission au sein des assemblées en 1557. Peu avant sa mort en 1561, Menno Simons revient à des positions plus modérées et se reproche son intransigeance.

Peu à peu, l’ensemble de l’anabaptisme pacifique prend le nom de mennonisme (à l’exception des amish et des houttériens), par reconnaissance pour les qualités et l’œuvre de leur fondateur.

[1] On distingue les églises de « professants » (pour en faire partie, il est nécessaire de faire une confession de foi personnelle) des églises de « multitude » (pour en faire partie, il suffit d’être né dans une famille qui s’y rattache, voire d’être né dans un territoire dont c’est l’église nationale). (NDLR)

[2] Le terme d’ « anabaptiste » est formé à partir du grec ana signifiant « de nouveau » : les personnes ayant été baptisées bébé doivent se faire baptiser à nouveau une fois converties. L’appellation « anabaptiste » centre l’attention sur le seul baptême, en négligeant le reste de l’enseignement et de la doctrine de ces groupes.

[3]Cette constatation est empruntée à Jacques Blandenier,Martin Luther et Jean Calvin. Contrastes et ressemblances, Dossier Vivre 2, Éditions Je Sème et Excelsis. 2008, p. 9.

[4]Dans sa préface de l’ouvrage de Neal Blough,Christologie anabaptiste. Pilgram Marpeck et l’humanité du Christ, p. 14.

[5]George Williams est à l’origine du terme de « Réforme magistérielle » qu’il oppose à celui de « Réforme radicale ». Les Églises magistérielles sont les courants protestants restés volontairement dépendants des pouvoirs politiques (les « magistrats »).

[6] Emil Brunner,Le malentendu de l’Église, Éditions H. Messeiller, Neuchâtel, 1956, p. 128.

[7] Personnes qui nient le dogme de la Trinité.

[8]Maître Eckart (1260-1328), Suso (1295-1366), Tauler (v. 1300-1361), mouvement des Frères de la vie commune aux Pays-Bas, etc.


Introduction

Sujet passionnant, important pour la vie de nos églises, et difficile à traiter! Il existe sur cette question des sensibilités, des approches différentes. J’en suis bien conscient. Chacune de nos églises rencontre cette question de l’unité chrétienne dans ses rapports avec d’autres églises et mouvements qui existent dans sa région, sa ville ou son village. Les situations varient beaucoup d’un endroit à l’autre. Comment traiter les problèmes de collaborations, de relations inter-ecclésiastiques? Quels principes suivre? «Que dit l’Ecriture» au sujet de l’unité chrétienne?

I. La recherche de l’unité

De nos jours, le mouvement oecuménique fait de la recherche de l’unité son combat. Son but est de regrouper sous sa bannière tous ceux qui se réclament du christianisme, et d’aboutir à une organisation qui, en manifestant l’unité des croyants, apporterait enfin un exaucement à la prière de notre Seigneur: «Que tous soient un».

L’objectif qui consiste à unir les chrétiens est louable. Il y a derrière l’ocuménisme une belle pensée, imprégnée d’amour chrétien. L’idéal ne paraît manquer ni d’élévation, ni de fondement sur le plan biblique. De plus, il semble correspondre à un vrai besoin. Après deux guerres mondiales et devant la multiplicité des conflits qui ensanglantent la planète, comment ne pas désirer que l’ocuménisme réussisse sur le plan religieux ce que l’on aimerait voir réussir sur le plan politique par le moyen des Nations Unies? Cela éviterait déjà certaines guerres dont le prétexte avoué est religieux! Il faut l’unité, c’est évident! Il faut encourager la compréhension mutuelle, l’ amour fraternel. Et qui d’autre que les chrétiens devrait donner l’exemple de l’unité, la rechercher, la vivre, en être les artisans? Si nous reconnaissons l’inspiration et l’autorité des Saintes Ecritures, une telle recherche s’inscrit au cour de notre vie chrétienne, au centre de notre programme d’ église locale. ..car, d’ une manière générale:

1.1 L’Ecriture est «pour» l’unité

La Bible nous parle des bonheurs de la communion fraternelle, de la joie d’adorer Dieu et de le servir ensemble. Voici, oh! qu’i! est agréable, qu’il est doux pour des frères de demeurer ensemble! (Ps 133: 1). Le Nouveau Testament exprime à bien des reprises et de bien des manières, de la description à l’ exhortation en passant par le récit, le bonheur et le devoir de la communion fraternelle. C’est une réalité du premier jour: il nous est dit que les premiers convertis persévéraient dans l’enseignement des apôtres, dans la communion fraternelle, dans la fraction du pain et dans les prières… Tous ceux qui croyaient étaient dans le même lieu et ils avaient tout en commun (Act 2:42-44). Ils étaient chaque jour tous ensemble assidus au temple.. .(Act 2:46). Les apôtres, de leur côté, insistent régulièrement sur l’importance d’un amour fraternel sincère; aimez-vous ardemment les uns les autres, de tout votre cour, écrivait Pierre (1 Pi 1 :22).

Certes, ces textes s’inscrivent dans le cadre d’églises locales. Mais cette communion ne doit elle pas être recherchée et manifestée aussi entre tous les chrétiens? Le Christ n’a-t-il pas dit: Que tous soient un? Les images que le Seigneur nous donne de son Eglise militent clairement en faveur de l’unité des croyants:

-l’Eglise est le corps de Christ... les membres qui le composent sont très différents les uns des autres, ils n’ont ni les mêmes fonctions ni les mêmes capacités, mais ils forment ensemble une unité qui manifeste la même vie. Leur diversité fait la richesse du corps. Aussi: Qu’il n ‘y ait pas de division dans le corps.. (1 Cor 12:25). Comme le corps est un et a plusieurs membres, et comme tous les membres du corps, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps, ainsi en est-il de Christ. (1 Cor 12: 12). Christ est la tête; l’Eglise est son corps (Col 1.18). Quelle unité que celle-là, puisqu’elle a pour auteur le seul Esprit!

-l’Eglise est la «maison» de Dieu. En lui vous êtes aussi édifiés pour être une habitation de Dieu en Esprit. (Eph 2:22). Cette «maison» spirituelle unit les pierres vivantes autour de la même pierre vivante: le Christ, et pour une même vocation: être le temple de Dieu. Son unité provient aussi de ce qu’elle est édifiée par son unique architecte: le Seigneur Jésus, qui a dit: Je bâtirai mon EGLISE… (Mat 16:18). «Mon> EGLISE, au singulier. Au-delà des églises locales dont le Nouveau Testament nous parle abondamment, il y a cette EGLISE -en lettres majuscules -qui rassemblera un jour tous les élus de Dieu de tous les temps, une grande foule, que personne ne pourra compter, de toute nation, de toute tribu, de tout peuple et de toute langue (Apoc 7.9).

-l’Eglise est l’épouse de Christ. Il l’aime, Il l’a rachetée, Il s’est livré pour elle et Il la prépare, la sanctifie, la purifie, pour le jour du banquet des noces de l’Agneau. (Eph 5.25-33, Apoc 19.7-9).

-l’Eglise est le troupeau du Seigneur. Le Christ déclare à son sujet : il y aura un seul troupeau et un seul berger (Jn 10.16).Toutes ces images décrivent, chacune à sa manière, l’unité de l’EGLISE. Cette unité nous est aussi proposée, à maintes reprises et de diverses façons, comme un objectif à atteindre: être UN en Christ (GaI 3.28), nous efforcer de conserver l’unité de l’esprit par le lien de la paix… (Eph 4:3), marcher d’un même pas (PhiI3.15), être tous animés des mêmes pensées et des mêmes sentiments, pleins d’amour fraternel, de compassion, d’ humilité. ( I Pi 3:8; PhiI2.1-5). Sous ces exhortations apostoliques, on ne peut que reconnaître le commandement que Christ nous a laisséeacute; de nous aimer les uns les autres (ln 13.34; 15.12, etc.). Ce qui nous amène à considérer aussi que:

1.2 L’Ecriture est «contre» les divisions

Voici quelques textes très significatifs: Je vous exhorte, frères, par le nom de notre Seigneur Jésus-Christ, à tenir tous un même langage, et à ne point avoir de divisions parmi vous, mais à être parfaitement unis dans un même esprit et dans un même sentiment Christ est-il divisé? (I Cor 1.10, 13). Je vous exhorte à prendre garde à ceux qui causent des divisions et des scandales, au préjudice de l’enseignement que vous avez reçu. Eloignez-vous d’eux, (Rom 16:17). Les oeuvres de la chair, ce sont… les inimitiés, les querelles… les disputes, les divisions, les sectes… (GaI 5:20). Eloigne de toi… celui qui provoque des divisions. (Tit 3:10)… etc.

Quelle fermeté à l’égard des diviseurs! L’unité des croyants doit être traitée avec le plus grand sérieux; il faut l’aimer, la chérir. Elle a du prix aux yeux du Seigneur. Il est grave de la blesser. Ce n’est qu’en donnant tout son poids au fait que l’Ecriture est «pour> l’unité et «contre» les divisions que l’on peut tenter d’ aborder le sujet de l’unité chrétienne, de sa définition et de ses limites. Tels sont les principes fondamentaux que nous devons garder à l’esprit au moment d’examiner la situation actuelle du monde chrétien.

2. Les bienfaits et les inconvénients de l’unité

Devant les divisions du christianisme et le triste spectacle de morcellement que donnent les diverses familles de la chrétienté depuis longtemps, que penser? On peut voir là, avec beaucoup d’autres, un scandale, un mauvais témoignage, une trahison de l’intention divine, une cause évidente, enfin, du rejet de la foi par beaucoup d’hommes. D’une certaine manière, nous partageons cette opinion. Le livre des Actes nous montre que l’unité des chrétiens et les progrès de l’Evangile sont intimement liés; que l’unité et la croissance de l’Eglise vont souvent de pair (Act 2.44-47; 4.32-33; 5.12,14; 9.31 ).Nous connaissons les bienfaits qui découlent de manifestations tangibles de l’unité entre croyants: à l’extérieur, l’amour qui unit les chrétiens constitue un témoignage éloquent en faveur de l’Evangile de Jésus-Christ; et, à l’intérieur, que d’occasions d’apprendre et d’être encouragés, enrichis par les connaissances, les talents et les expériences d’autres frères et sours !

Il est vrai que ces contacts peuvent se révéler «embarrassants», mais pas forcément pour de mauvaises raisons. Ces fraternelles «confrontations» peuvent nous aider à discerner ce qui, dans nos propres conceptions, est «vérité» et ce qui n’est peut-être que «tradition». Nous pouvons être plus ou moins prisonniers de notre histoire, de nos habitudes ou de nos expériences personnelles. Fréquenter d’autres chrétiens nous oblige à réfléchir dans des domaines où nous prenons peut-être pour des convictions «bibliques» des opinions toutes faites que nous respectons sans trop savoir pourquoi. Nos manières de penser et d’agir se trouvent ainsi testées. Il faut accueillir sereinement ce genre de difficulté. A vouloir l’éviter , on courrait le risque de rater en même temps une occasion de progresser, de repenser notre foi et notre pratique. Les mises en commun peuvent être réciproquement stimulantes.

2.1 Autrefois

Les églises primitives différaient beaucoup les unes des autres, comme on le voit sans peine pour Corinthe et Ephèse. Il y avait de l’une à l’autre des différences de styles, d’organisations, de sensibilité. Les contextes culturels, religieux, sociaux, politiques, raciaux ne pouvaient manquer d’influencer des églises dont les membres avaient des origines tellement diverses et qui vivaient elles-mêmes dans des milieux très différents. Aussi l’unité entre les églises ne voulait surtout pas dire «uniformité» ! Aucune église n’était une sorte de copie conforme, de clone, d’une église modèle, qui aurait pu être celle de Jérusalem ou celle d’ Antioche de Syrie.

Bien des indices, dans les Actes et les épîtres, montrent que ces églises entretenaient des contacts assez fréquents, contacts qui n’allaient d’ailleurs pas sans problèmes. Il n’y avait pas que les gens «bien sous tous rapports» qui voyageaient. Ces contacts amenaient du bon et du moins bon; parfois du franchement mauvais! Mais les églises ne cherchaient pas à vivre en milieu aseptisé ou dans une sorte de quarantaine (inversée) pour éviter les contagions. Une telle crainte aurait été un signe de mauvaise santé. Elles acceptaient donc les risques de l’unité des croyants et des relations fraternelles avec d’autres églises. Elles étaient cependant attentives à éprouver les esprits, à dénoncer les faux frères, à combattre l’erreur doctrinale. Et s’ il leur arrivait d’y manquer, les apôtres et les bergers des églises devaient être prêts à assumer cette responsabilité. C’était leur rôle, leur désagréable, mais incontournable devoir. Le Nouveau Testament ne voile pas cette réalité: il en donne de nombreux exemples et énonce les principes qui doivent inspirer les chrétiens devant des situations de ce genre.

Il y avait donc une unité réelle entre les églises primitives. Les apôtres maintenaient les contacts avec elles et entre elles. Ils les conduisaient à louer Dieu pour les progrès de l’ouvre, ou à intercéder en faveur d’églises en difficulté. L’entraide répondait aux besoins, dès qu’ils étaient connus, avec autant de spontanéité que d’efficacité (cf. Act 11.29-30; 2Cor8. 9). Une telle unité n’avait donc rien d’artificiel: elle n’était pas de façade ou d’institution. Elle n’avait pas entraîné la création d’une grande organisation religieuse; elle en ignorait les hiérarchies, voire la bureaucratie, et n’en utilisait pas les moyens. Ce n’était du reste pas les seuls apôtres ou leurs représentants qui, en visitant les églises, entretenaient leurs relations: d’autres chrétiens aussi jouaient ce rôle, en dehors de toute mission officielle, lorsqu’ ils quittaient une ville pour s’établir dans une autre, ou lorsque, de passage, ils recevaient ici ou là, l’hospitalité (Héb 13,2). Cette unité n’avait qu’une origine: l’amour profond des églises pour le Christ et leur volonté de le servir quoi qu’ il en coûte. En Son nom, ils poursuivaient partout les mêmes objectifs; ils annonçaient le même message du salut par grâce, par le moyen de la foi; ils avaient la même conception générale de l’Eglise, la même approche de la vie chrétienne, la même joie de servir à l’avancement du Royaume de Dieu dans l’attente du retour de Christ.

Une grande vigilance s’exerçait pour que ce cap soit maintenu, malgré les différences inévitables de sensibilité entre les églises. L’unité était là, dans les cours, et elle rejaillissait vers l’extérieur, bien visible pour le monde environnant qui trouva un surnom éloquent pour les disciples du Christ: on les appela «chrétiens».13

Si le Seigneur veut l’unité, c’est donc pour notre bien: c’est pour qu’un témoignage soit rendu à la louange de Sa grâce; c’est aussi en vue d’un enrichissement spirituel réciproque; et c’est encore pour qu’ensemble nous puissions faire ce qu’il nous serait difficile d’accomplir séparément (comme quand les églises de Macédoine et de Grèce unissent leurs efforts pour apporter une aide aux églises de Judée dans l’ épreuve). Pour toutes ces raisons (et pour quelques autres encore), on ne peut que désirer l’unité… ardemment! Mais comment s’ orienter dans la situation actuelle que sa confusion et sa complexité rendent si déconcertante ?

2.2 Aujourd’hui

Il est difficile de transposer la situation de l’Eglise primitive dans notre contexte actuel. Tant de choses ont changé. Il n’y a plus d’un côté: le judaïsme et le paganisme, et d’un autre côté: les églises locales, persécutées, au milieu d’un monde hostile. Sans doute le monde a-t-il beaucoup évolué depuis 20 siècles en ce qui concerne le style de vie et les formes extérieures; mais, sur le fond, dans le domaine spirituel, il est resté tout autant opposé à l’ Evangile. ..il préfère toujours les ténèbres à la lumière. Le christianisme, quant à lui, a beaucoup changé, non seulement dans ses formes, mais aussi dans son fond. La scène religieuse offre un spectacle extrêmement complexe, avec une quasi infinité de nuances légères ou d’oppositions caractérisées sur les questions doctrinales et pratiques entre ceux qui se réclament de l’héritage chrétien.

Dans ce contexte-là, une question se pose: les divisions que l’on constate aujourd’hui, au sein du christianisme, sont-elles toutes scandaleuses et constituent-elles autant de trahisons de l’intention divine? Certainement pas. Le Nouveau Testament le montre clairement: l’unité dont il parle avec tant de chaleur n’est ni une unité à n’ importe quel prix, ni l’unité n’importe comment, sur n’importe quelles bases et avec n’importe qui. D’une certaine manière, on peut résumer son enseignement en disant que toute unité n’est pas forcément unité de l’Esprit et que toute division n’est pas forcément coupable. Il faut «examiner toute chose et retenir ce qui est bon» (1 Thes 5.21). Nous trouvons dans le texte inspiré des indications susceptibles de guider cet examen et d’éclairer notre route, même dans le brouillard qui recouvre actuellement notre paysage religieux.

Il est nécessaire ici de distinguer, même s’ils sont conjoints et solidaires, deux aspects de l’unité chrétienne: l’aspect «spirituel», qui est déjà une réalité pour ceux qui sont «en Christ», et l’aspect «visible», humainement organisé, qui est à manifester concrètement, avec les objectifs que nous proposent les Ecritures. C’ est ce qui se fait au sein des églises locales où le spirituel et le visible se rejoignent de manière heureuse, dans une organisation qui s’inspire des principes enseignés dans le Nouveau Testament. C’est encore ce que l’on retrouve quand des Eglises, ayant la même Confession de Foi, s’unissent dans le cadre d’Associations pour dire et faire ensemble, devant le monde, ce qu’ elles ne pourraient pas dire et faire séparément.

Mais il y a un autre niveau de «visibilité» qui peut être recherché, me semble- t-il, pour une pleine manifestation de l’unité spirituelle, même s’il est plus difficile à atteindre. C’ est celui qui rassemble des chrétiens membres de dénominations diverses dans un témoignage commun devant le monde. Il serait vain d’en nier l’importance. Cet appel à réaliser de manière concrète l’unité des chrétiens est, dans l’idéal, le projet oecuménique; c’est aussi le projet (moins ambitieux, mais plus concret) des diverses collaborations inter-ecclésiastiques qui se proposent à nous, sur Ie plan local ou régional. Jusqu’où faut-il aller dans ces manifestations tangibles d’unité? Dans quel cadre les situer? Ces questions ne sont pas simples.

D’ailleurs, chaque fois qu’il s’agit de fixer un cadre ou des limites à ne pas dépasser, les difficultés sont grandes… cela a quelque chose d’arbitraire: tracer une ligne, c’ est toujours définir deux côtés, distincts et séparés; c’est, du même coup, délimiter deux «camps» L’appartenance à l’un ou l’autre de ces camps entraîne ou manifeste une réelle séparation, produite par la différence des options religieuses. Remarquons cependant qu’une séparation de ce genre peut atteindre des amis sans pour autant détruire leur amitié.

L’ oecuménisme, sous ses formes diverses (locales, nationales ou internationales), est-il une sorte de passage obligé pour un témoignage chrétien efficace face au monde? Rien n’est moins sûr! Certains semblent croire qu’il faudrait être tous ensemble dans un même grand navire oecuménique pour aller à la pêche et avoir du succès! Mais l’efficacité de la méthode est loin d’être prouvée! Le professeur CarI Witloof (cité par H. Blocher) a fait cette remarque qui ne manque pas de pertinence: «Les grands transatlantiques sont-ils réellement plus efficaces que les petits bateaux quand il s’agit d’aller à la pêche?» Bonne question! Dans la pratique, on le constate: l’unité visible, la plus large possible, n’est pas toujours garante d’un témoignage efficace et vrai.

Il est vrai que nos contemporains rejettent l’Evangile, et que l’influence que celui-ci peut avoir dans le monde semble diminuer. Mais il ne suffit pas, pour expliquer ces faits, d’invoquer l’absence d’unité du peuple de Dieu. Il faut tenir compte aussi du contexte dans lequel se fait l’évangélisation: il se caractérise, sur un plan général, par l’indifférence spirituelle des hommes ou leur franche hostilité à l’Evangile, le matérialisme et ses puissants attraits, et, sur le plan religieux, par le fait que, depuis des siècles, les églises «chrétiennes» obscurcissent, défigurent le message de l’Evangile et maintiennent, en quelque sorte, « la vérité captive »…, sans parler des sectes multiples qui ajoutent à la confusion. Et l’on ne peut, malheureusement, passer sous silence, chez beaucoup de chrétiens «évangéliques», la froideur spirituelle, un manque de zèle et de consécration, ou bien, parfois, un zèle sans intelligence, un message déséquilibré, tronqué ou caricatural qui fait office de repoussoir… ou de «miroir aux alouettes!» Tout cela nuit à la crédibilité du message du salut et rend les églises locales fort peu convaincantes aux yeux de ceux qui cherchent le vrai chemin. N’ oublions pas enfin l’adversaire, le menteur, l’accusateur des frères, le grand falsificateur, qui déploie, à l’intérieur comme à l’extérieur des églises, une action d’une redoutable efficacité pour que cette situation spirituelle déplorable se maintienne ou s’aggrave… si possible!

Quelques textes bibliques peuvent nous aider à retrouver le cadre dans lequel l’unité des enfants de Dieu peut et doit se manifester. Ils contiennent des réponses précises aux questions que nous nous posons.

3. L’étendue et les limites de l’unité chrétienne

3.1 Jean 17

Examinons très brièvement l’un des textes les plus cités pour exhorter les enfants de Dieu à réaliser leur unité: Jn 17, et plus particulièrement les versets 20 et 21: Ce n’est pas pour eux (les disciples) seulement que je prie, mais encore pour ceux qui croiront en moi par leur parole, afin que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et comme je suis en toi, afin qu’eux aussi soient un en nous, pour que le monde croie que tu m’as envoyé .

Que tous soient un: parole on ne peut plus claire et d’ autant plus précieuse quand on considère que Jésus l’ a prononcée dans une prière adressée à Son Père céleste, à la veille de la crucifixion, alors qu’Il se préparait à donner sa vie pour «ses brebis». Le poids des mots devient alors considérable. Le bon berger plaide en pensant à son troupeau présent et à venir.

Le Seigneur veut l’unité de «tous»! Mais que recouvre ce «TOUS»?:
v.2 Ce sont ceux que le Père lui a donnés, à qui il accorde la vie éternelle.
v.3 Ils connaissent le seul vrai Dieu et celui qu’Il a envoyé, Jésus-Christ.
v.6 Ils sont tirés du milieu du monde… et ils ont gardé Sa parole.
v .8 Leur foi est précise: les paroles que tu m’as données… ils les ont reçues, et ils ont vraiment connu que je suis sorti de toi, et ils ont cru que tu m ‘as envoyé.
v.10 En eux Christ est glorifié.
v.11 Ils ne sont pas du monde, comme Christ n’est pas du monde, et ils ont besoin d’être gardés par le Père pour qu’ils soient un comme le Père et Jésus sont un.
v.12 Ce sont ceux que Christ garde et qui sont sauvés… Lorsque j’étais avec eux dans le monde, je les gardais en ton nom. J’ai gardé ceux que tu m’as donnés, et aucun d’eux ne s’est perdu, sinon le fils de perdition, afin que l’Ecriture fût accomplie.
v .13 S’ils peuvent goûter la joie parfaite de Christ… ils n’en sont pas moins:
v.14 haïs par le monde, parce qu’ils ont reçu la Parole de Dieu et qu’ils ne sont pas du monde.
v.17 Leur vie se vit dans un rapport étroit avec la vérité qui sanctifie. Sanctifie-les par ta vérité: ta parole est la vérité.
v .18 Ils ont à remplir dans le monde une mission semblable à celle de Christ: Comme tu m’as envoyé dans le monde, je les ai aussi envoyés dans le monde. …pour proclamer la Bonne Nouvelle, appeler les hommes à la repentance… Ces versets nous aident à cerner l’identité de ceux qui sont inclus dans le «tous». Le Seigneur n’envisage pas ici, de toute évidence, l’unité de différentes confessions religieuses, de différentes églises ou dénominations, mais tout simplement et merveilleusement, l’union de tous ses disciples; ils ont reçu la vie éternelle; ils exercent une foi personnelle; ils sont engagés dans le chemin de l’obéissance à la Parole de Dieu, de la sanctification et du service. Leur union est semblable à celle du Père et du Fils; elle est un témoignage à la gloire de Christ et à l’ amour de Dieu pour eux. Sans doute, leur union va-t-elle se concrétiser dans l’appartenance à des familles spirituelles locales, mais ce qui les unit d’abord, c’est ce qu’ils sont en Christ… le reste n’étant que conséquences pratiques inévitables, en accord avec le plan de Dieu pour tous ses rachetés.

Jésus dit: Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, afin qu’ils soient un comme nous sommes un, moi en eux, et toi en moi, afin qu’ils soient parfaitement un, et que le monde connaisse que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé. (Jn 1722-23). Le Père exauce toujours les prières du Fils (Jn 11.42). Cette unité spirituelle EST! Elle n’est donc pas à faire; elle est. Tous les chrétiens véritables, tous les vrais disciples, où qu’ils se trouvent et quelles que soient leurs étiquettes religieuses (qui dramatiquement et injustement les divisent parfois), sont unis en Christ, par Christ. Cette réalité, si imparfaitement visible aujourd’hui, sera glorieusement manifestée dans le ciel, quand tous les rachetés du Seigneur se retrouveront pour chanter ensemble le cantique de l’ Agneau.

L’ apôtre Paul a une compréhension semblable de l’unité. Elle est pour lui une réalité permanente, qu’il convient, non de rechercher comme si elle n’était pas encore là, ni de créer comme si elle devait être notre oeuvre, mais de maintenir. Efforcez-vous, dit-il aux Ephésiens, de conserver l’unité de l’Esprit par le lien de la paix. (4.3) Or cette exhortation se situe dans un texte d’une importance capitale et qui peut fonder, non seulement notre réflexion, mais notre action dans ce domaine.
Paul définit l’unité chrétienne véritable, en précise les composantes, les exigences, l’étendue… et par là même, les limites. Il nous dit ce qu’il faut viser, ce qui est essentiel, indispensable. Il nous donne, en quelque sorte, le dénominateur commun des chrétiens unis selon Dieu. Il est fondamental. Il est donc important pour nous de le redécouvrir en relation avec notre sujet. Nous allons le considérer en détail.

3.2 Ephésiens 4.1-6

Après avoir dit aux chrétiens d’Ephèse (v.1-3): Je vous exhorte à marcher d’une manière digne de la vocation qui vous a été adressée, en toute humilité et douceur, avec patience, vous supportant les uns les autres avec amour, vous efforçant de conserver l’unité de l’ esprit par le lien de la paix, Paul ajoute (v .4- 6): Il y a un seul corps et un seul Esprit, comme aussi vous avez été appelés à une seule espérance par votre vocation; il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous et parmi tous et en tous.

3.2.1 Il y a un seul corps et un seul Esprit

Le Seigneur Jésus avait révélé à ses disciples les diverses étapes de l’oeuvre de l’Esprit: d’abord, son action décisive au coeur de l’évangélisation: Il convaincra le monde de péché, de justice et de jugement (JnI6). En conséquence de cette oeuvre puissante, des hommes se convertiront, recevront le don du Saint-Esprit et formeront l’Eglise de Jésus-Christ, à Jérusalem, mais aussi jusqu’aux extrémités de la terre (Act I; 2). Partout, des assemblées locales naîtront, s’édifieront. Le ministère du Saint-Esprit sera alors de les conduite dans toute la vérité.

Pour les chrétiens de Corinthe, Paul résume une partie du ministère de l’Esprit en ces mots: Nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit, pour former un seul corps, soit Juifs, soit Grecs, soit esclaves, soit libres, et nous avons tous été abreuvés d’un seul Esprit. (1 Cor 12:13). Cette affirmation constitue, avec l’ensemble du ch. 12 de 1 Cor, une ébauche de la pensée à laquelle l’apôtre a donné toute sa portée dans l’épître aux Ephésiens, et notamment dans la formule que nous venons de citer (Eph 4.4: Il y a un seul corps et un seul Esprit). Les deux textes, qui s’éclairent réciproquement, déclarent ensemble que l’union des enfants de Dieu en un seul corps est réellement l’oeuvre de l’Esprit. C’est lui qui fait qu’au sein des églises locales la diversité des dons, des ministères, des personnes, forme un ensemble cohérent, uni, au service de Christ.

Cependant, cette réalité si précieuse ne doit pas nous faire oublier que l’adversaire (à Corinthe comme à Ephèse) essaie de troubler l’Eglise de Jésus- Christ, de la diviser, y compris par la contrefaçon de choses qui dépendent habituellement du ministère du Saint-Esprit au sein du corps de Christ. En 2 Cor 11.4, Paul évoque la possibilité pour les Corinthiens de recevoir un autre Esprit que celui qu’ils ont reçu, ou un autre Evangile que celui qu’ils ont embrassé. Ce n’était pas là un risque isolé… une exception. L’apôtre Jean invite ses lecteurs à éprouver les esprits. Il déclare: Bien-aimés, n’ajoutez pas foi à tout esprit; mais éprouvez les esprits, pour savoir s’ils sont de Dieu, car plusieurs faux prophètes sont venus dans le monde… (I Jn4.1-3). Pour lui, ceux auxquels il s’adressait couraient des risques qui justifiaient largement de telles mises en garde. Certains événements récents dans l’expérience des églises le démontraient: Petits enfants! la dernière heure a commencé. Vous avez appris qu’un Anti-Christ doit venir. Or, dès à présent, beaucoup d ‘anti-christs sont là. Voilà pourquoi nous savons que nous sommes entrés dans la dernière heure. Ces adversaires du Christ sont sortis de chez nous, mais, en réalité, ils n’étaient pas des nôtres. Car s’ils l’avaient été, ils seraient restés avec nous. Mais ils nous ont quittés pour qu’il apparaisse clairement que tous ne sont pas des nôtres. (1J n 2: 18-19 «Semeur» ).Paul et Jean évoquaient des situations qui avaient été (ou qui devaient être) assainies, clarifiées. Un seul corps, un seul esprit: ces deux affirmations impliquaient une nécessaire vigilance de la part des églises devant les dangers de la contrefaçon. L’Esprit de vérité ne peut pas être l’auteur de la confusion ou de l’équivoque. Le chrétien doit donc examiner les choses avec sérieux, en profondeur, dans un souci de vérité. C’est là un besoin qui se fait toujours sentir.

Nous rencontrons aujourd’hui des situations qui obligent à réfléchir et qui peuvent étonner, parfois même troubler. Ainsi, à côté d’un oecuménisme officiel, un autre oecuménisme trouve, dans l’expérience charismatique, telle qu’elle est vécue dans certains milieux, la base de manifestations d’unité qui rassemblent catholiques, protestants et évangéliques partageant cette compréhension particulière de l’oeuvre du Saint-Esprit. On peut cependant se demander jusqu’où va cette unité, et même quelle est sa nature, quand on constate que les mouvements concernés ont, sur des points essentiels, comme le salut ou l’Eglise, des perspectives doctrinales apparemment inconciliables.

Aujourd’hui encore, l’exhortation de Jean garde toute son actualité: Il faut éprouver les esprits, faire preuve de discernement, demander à Dieu de la sagesse pour ne pas mal juger un frère, mais aussi pour ne pas se laisser abuser par un faux frère, un faux prophète, une fausse doctrine, ou une fausse unité… autant de moyens que l’adversaire continue à utiliser pour mettre en péril l’édification de l’ Eglise. Les faux, les «pseudo», sont, par expérience, une arme plus efficace contre l’Eglise que les persécutions. C’ était déjà vrai au premier siècle quand les apôtres étaient encore personnellement les piliers de l’Eglise.

A combien plus forte raison depuis, quand le péril annoncé est celui d’un temps où les hommes ne supporteront pas la saine doctrine; mais, ayant la démangeaison d’entendre des choses agréables, ils se donneront une foule de docteurs selon leurs propres désirs, détourneront l’oreille de la vérité et se tourneront vers les fables. (2 Tim 4:3-4).Que de mises en garde dans le Nouveau Testament, de la part de Jésus et des apôtres, à ce sujet. Paul avertissait les anciens d’Ephèse en leur disant: Prenez donc garde à vous- mêmes et à tout l& troupeau sur lequel le Saint-Esprit vous a établis évêques, pour paître l’Eglise du Seigneur qu’il s’est acquise par son propre sang. Je sais qu’il s’introduira parmi vous, après mon départ, des loups cruels qui n’épargneront pas le troupeau, et qu’il s’élèvera du milieu de vous des hommes qui enseigneront des choses pernicieuses, pour entraîner les dis

après eux. Veillez donc, vous souvenant que… je n’ai cessé nuit et jour d’exhorter avec larmes chacun de vous. (Act 20:27-31). Faut-il considérer aujourd’hui que ce type d’avertissement n’est plus nécessaire? que les églises évangéliques actuelles ne courent plus de dangers de cet ordre? que ce qui empêche les manifestations visibles de l’unité des croyants est bien plus grave que ce qui menace leur intégrité doctrinale, leur fidélité à l’Evangile, leur unité dans l’Esprit?

Face aux ennemis «extérieurs» (les persécuteurs de l’Eglise) et «intérieurs» du peuple de Dieu (les faux docteurs agissant du dedans) l’Evangile nous propose des traitements dont il importe de noter les différences. En ce qui concerne les ennemis extérieurs, Jésus nous propose de prier pour eux, de les bénir au lieu de les maudire, de leur faire du bien en réponse au mal qu’ils nous font, de ne pas les craindre s’ils s’en prennent à notre vie… car mieux vaut perdre sa vie que son âme! Pour les ennemis intérieurs, le Nouveau Testament nous propose de nous séparer d’eux, de les exclure de la communion, de ne rien avoir à faire avec eux, de ne plus les recevoir, de dénoncer leurs mensonges… que celui qui annonce «un autre Evangile» soit anathème, c’est à dire exclu.

Dans ce siècle de confusion généralisée, face aux turbulences religieuses, face à la multiplication des sectes, il est important de faire preuve de vigilance. Les vents de doctrines soufflent dans toutes les directions. Les risques de se laisser emporter existent bel et bien. Alors, quand l’Ecriture parle d’un seul corps et d’un seul esprit, il est nécessaire d’éprouver les bases sur lesquelles nous nous fondons en matière, précisément, de «corps» et «d’esprit».

3.2.2 une seule espérance

Le chrétien est quelqu’un qui regarde en avant: Dieu vous a appelés à une seule espérance lorsqu’il vous a/ait venir à lui (Semeur). Cela ne signifie pas qu’il doit oublier le passé. Bien au contraire! Comment pourrait-il cesser de regarder à la croix? Là, Jésus est mort pour ses péchés; là, il a reçu, avec le pardon, la grâce d’une vie nouvelle. Ce souvenir, il doit le cultiver en participant régulièrement au repas du Seigneur. C’est, du reste, dans ce mémorial même qu’il trouvera le plus fort encouragement à regarder aussi en avant: car celui qui est mort est aussi celui qui vient. Le plein héritage qu’il a acquis pour les siens n’est pas encore là; il reste à venir: le meilleur est pour la fin (Rom 8:17-18; 2 Cor4:17-18)! Lorsque cela sera manifesté, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est. (1 In 3:1-3). L’Apocalypse nous donne une idée de ce qui attend les rachetés du Seigneur. Merveilleux !

L’espérance est inscrite partout dans la Bible: Nous attendons, selon sa promesse, de nouveaux cieux et une nouvelle terre, où la justice habitera. (2 Pi 3:13). C’est une espérance vivifiante, source de consolation dans l’épreuve, de courage dans le service. Elle motive une vie sainte, dans l’ attente de ce jour où nous comparaîtrons devant le Maître pour rendre compte de la gestion de nos vies (2 Cor 5.10, Mat 25.13s). Notre unité se nourrit aussi de cette seule espérance: celle du triomphe de l’Agneau, le triomphe de l’amour et de la justice.

Mais cette seule espérance ne peut pas se confondre avec des espoirs qui ne se fondent que sur les capacités humaines et n’ont d’autre visée que notre condition terrestre. Elle exclut l’illusion d’atteindre par le combat politique, l’action sociale, le progrès scientifique, un âge d’or où l’homme, parvenu à sa maturité, aurait résolu tous ses problèmes. Elle exclut toute théologie de la libération qui prônerait au nom du Christ l’utilisation de la violence et verrait dans la lutte pour une libération politico-sociale la traduction pure et simple du message de l’Evangile. On ne voit pas, en effet, que telle ait été l’attitude de Jésus, ni la visée de son enseignement. Il n’instruit pas contre Zachée le procès politique que d’autres ne manqueraient pas de lui faire -puisqu’il s’est mis au service de la puissance occupante et qu’il en tire d’intéressants profits. Il le traite en ami et fait de lui un homme nouveau pour le plus grand bien de tous. Il résout ainsi le vrai problème: celui du péché dans le coeur d’un homme perdu que Jésus est venu chercher et sauver (Luc 19.10). Qu’aurait gagné Jéricho à la condamnation de Zachée?

Paul dit: une seule espérance. C’est celle que l’Evangile apporte à un monde perdu, la même qu’exprime parfaitement ln 3.16: afin qu’ils ne périssent pas, mais qu’ils aient la vie éternelle. On ne peut expliquer vraiment aux hommes la nécessité du salut et les conduire à la seule espérance sans leur parler de la réalité de la perdition, des deux seuls chemins, des deux seules destinations possibles: le ciel ou l’enfer.

Ce vieil Evangile n’ est pas forcément populaire. Cependant, sans ces vérités fondamentales, la signification de l’espérance chrétienne ne peut être véritablement saisie. Dans le monde, dit Paul, nous étions sans espérance (Eph 2.12). En Christ, nous avons reçu une espérance qui ne trompe pas (Rom 5.5). Veillons à présenter fidèlement cette seule espérance; veillons à nous mettre, ou à rester, en situation de pouvoir l’annoncer clairement. Il s’agit, selon Col 1.23, de demeurer fondés et inébranlables dans la foi, sans nous détourner de l’espérance de l’Evangile Voilà donc bien un des critères de l’unité. Néeacute;gliger d’annoncer la seule espérance, l’annoncer sans la rattacher à la réalité de la perdition, lui substituer une autre espérance, c’est attenter à l’unité. Car celle-ci est fondée sur la seule espérance.

3.2.3. Il y a un seul Seigneur

Le chrétien est attaché à Christ seul Seigneur; il est en Christ. L’oeuvre de l’Esprit est de nous conduire à Jésus, de nous le faire connaître et aimer; c’est lui qui applique aux croyants les mérites et les bienfaits qui découlent de son oeuvre rédemptrice. Notre unité ne se fait pas d’ abord autour de la vérité révélée dans les Ecritures, mais bien autour d’une personne qui est le chemin, la vérité et la vie. Ce n’est pas seulement: «je sais ce que je crois», mais c’est: «Je sais en qui j’ai cru.»! D’ailleurs, Eph 4 dit: un seul Seigneur, avant de dire: une seule foi.

Un seul Seigneur, chef suprême de l’Eglise. C’est Lui dont le monde a besoin. Il n’y a pas d’autre nom par lequel nous puissions être sauvés… Il n’y a de salut en aucun autre. (Act 4.12). Il est le seul médiateur entre Dieu et les hommes (1 Tim 2.5). Notre évangélisation ne peut être que christocentrique. Tout passe par Lui. Il est le seul Sauveur et le seul Seigneur. Il est aussi le modèle, l’ami, le seul bon berger. Il est l’indispensable avocat, le fidèle intercesseur. Il est question de venir à Lui, de Le suivre, de L’aimer, de demeurer en Lui, d’être Ses témoins (Mat 11.28; Mc 8.34; Jn 14.15; 15.4; Act 1.8). Notre vocation de chrétien se résume aussi dans cette image: Vous êtes une lettre de Christ… lue et connue de tous (2 Cor 3.2-3).

D’autres textes soulignent encore ce caractère christocentrique de l’évangile. Ainsi Paul affirme que, pour lui: vivre, c’est Christ (Phill.21), que le connaître est son seul vrai trésor (PhiI3.8-10). On sent bien que pour Paul, recevoir l’approbation de Christ est son but, sa joie, sa récompense. Notre unité se manifeste et se fortifie quand, ensemble, nous regardons à Jésus dont notre foi dépend du commencement à la fin. (Héb 12.2).

La proclamation de l’Evangile ne va pas sans celle de la seigneurie de Christ, de Son autorité souveraine, Et cette seigneurie concerne avant tout les chrétiens auxquels le Seigneur dit: Si vous m’aimez, gardez mes commandements (Jn 14.15)… Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande. (Jn 15.14). Notre volonté de faire réellement ce qu’Il nous dit, d’obéir à Ses commandements, doit se manifester dans tous les domaines de nos vies de disciples de Christ, y compris dans notre manière de vouloir et de rechercher l’unité. Le lien est direct entre un seul Seigneur et une seule foi.

3.2.4 une seule foi

C’est là un point dont J’importance est évidente quand il s’agit de définir l’unité chrétienne et ses limites. La seule foi dont parle Paul peut être envisagée sous deux aspects. Sous son aspect subjectif, la foi est l’acte d’un sujet, la confiance qu’éprouve le chrétien envers le Christ, sa personne, son oeuvre, ses promesses. L’aspect objectif concerne le contenu de la foi, ce que l’on croit, et qui peut s’énoncer comme un ensemble de vérités, la saine doctrine transmise par les apôtres et formulée dans la Bible, résumée dans un credo ou une confession de foi. Ces deux aspects sont inséparables dans la réalité de la vie. Mais il n’ est pas inutile de les distinguer pour la commodité de l’exposé. Le premier a été abordé dans notre point précédent. Nous traitons ici du second.

Dire que les premiers chrétiens persévéraient dans la doctrine des apôtres (Act 2.42), c’est laisser entendre qu’ils recevaient un enseignement précis auquel ils étaient attachés. Dans son discours d’adieu aux anciens d’Ephèse (Act 20), Paul rappelle qu’il leur a enseigné tout le conseil de Dieu, sans en rien cacher. Ailleurs, il décrit les chrétiens de Rome en ces termes: Grâces soient rendues à Dieu de ce que, après avoir été esclaves du péché, vous avez obéi de coeur à la règle de doctrine dans laquelle vous avez été instruits. (Rom 6.17).

Paul met en garde ses lecteurs: L’Esprit dit expressément que, dans les derniers temps, quelques-uns abandonneront la foi, pour s’attacher à des esprits séducteurs et à des doctrines de démons, par l’hypocrisie de faux docteurs… (I Tim 4:1-2). Il ajoute dans sa deuxième lettre à Timothée: qu’il viendra un temps où les hommes ne supporteront pas la saine doctrine… ils détourneront l’oreille de la vérité et se tourneront vers les fables. (2 Tim 4:3- 4). Il paraît évident que pour pouvoir abandonner la foi ou pour détourner l’oreille de la vérité, il faut avoir adhéré à J’une et à l’autre auparavant!

Dans le même ordre d’idées, Pierre écrit: Il y a eu parmi le peuple de faux prophètes, et il y aura de même parmi vous de faux docteurs qui introduiront des sectes pernicieuses, et qui, reniant le maître qui les a rachetés, attireront sur eux une ruine soudaine. Plusieurs les suivront dans leurs dissolutions et la voie de la vérité sera calomniée à cause d’eux. (2 Pi 2.1-2). Eph 4.11-14, affirme que J’exercice des ministères dans l’Eglise a pour but d’amener les croyants à l’unité de la foi, pour qu’ils ne soient pas flottants et emportés à tout vent de doctrine, mais que professant la vérité dans l’amour.. ils grandissent dans celui qui est le chef Christ.

Il n’est pas étonnant, alors que dans la dernière épître du Nouveau Testament, les croyants soient exhortés à combattre pour la foi qui a été transmise aux saints une fois pour toutes. (Jude 3) et à s’édifier sur leur très sainte foi attendant la miséricorde de notre Seigneur Jésus-Christ pour la vie éternelle (Jude 20-21)

Une seule foi! Aucun doute, cette parole n’arien d’une affirmation isolée ou d’une préoccupation secondaire. Il y a, pour lui, comme pour les autres auteurs des lettres du Nouveau Testament, vérité et erreur, vraie et fausse doctrine; l’unité des croyants ne peut se réaliser au détriment de la foi transmise a saints une fois pour toutes. Paul lui-même nous présente du reste une conséquence pratique: le différend qui l’a opposé à Pierre. Fallait-il qu’il ferme les yeux sur l’attitude répréhensible de Pierre qui laissait entendre, plus par ses actes que par ses paroles, qu’il n’y avait pas de véritable unité entre chrétiens d’origine juive et chrétiens d’origine païenne ? Une fausse unité (entre chrétiens juifs) mettait en péril la véritable unité spirituelle entre chrétiens de nations… les implications pratiques et doctrinales &eaeacute;taient considérables. Pierre et ceux qui suivaient son exemple, ne marchaient pas droit selon la vérité de l’Evangile (Ga12:ll-l4), Paul a donc affronté ce problème, car l’Eglise de Jésus-Christ était en péril. En elle se manifestaient déjà les prmières atteintes d’un mal qui s’appelle aujourd’hui le pluralisme doctrinal, à savoir la tentative de faire cohabiter dans l’Eglise des convictions contraires l’une à l’autre sur point de doctrine fondamental.

Le pluralisme doctrinal a connu, dans notre XXe siècle, un prodigieux développement. Il a de quoi plaire, puisqu’il prône la tolérance et plaide pour la paix, entre croyants tout au moins, quand la paix est un bien si rare autour nous. Un raisonnement simple sous-tend cette approche: «Je sais ce que je crois et je sais que l’autre croit tout autre chose que moi; mais cela ne fait rien. Le contenu de ma foi et de la sienne est, somme toute, secondaire; ce qui compte c’est d’ être unis! » … On accepte sur cette base une grande diversité en matière de convictions religieuses. Personne ne doit être exclu…

Cette diversité n’a cependant rien à voir avec celle qui, selon les Ecritures, se manifeste dans l’unité entre les membres du corps de Christ. Il s’agit, réalité, d’oppositions, de contradictions flagrantes sur des points fondamentaux d la foi. On veut que cohabitent ceux qui nient la divinité de Christ et ceux qui l’affirment, ceux qui contestent la résurrection corporelle de Christ et ceux qui trouvent en elles leur raison d’espérer, ceux qui disent que tous les hommes seront sauvés et ceux qui acceptent l’enseignement de l’Ecriture qui dit contraire, ceux qui croient que la Bible contient des vérités (et passablement d’erreurs) et ceux qui la reconnaissent comme «seule et infaillible règle de foi et de vie chrétienne», ceux qui affirment que le salut est une expérience politico-sociale et ceux qui le reçoivent comme une libération spirituelle du péché et de ses conséquences, en vue de la vie éternelle… etc.

Entre ces deux pôles d’ affirmations contradictoires se déploie tout l’éventail des convictions religieuses. Or, pour beaucoup de responsables religieux actuels, l’unité doit se vivre dans cette diversité. Les contradictions ne doivent pas être regardées comme un obstacle à l’unité visible de ceux qui, de près ou de loin, se réclament du christianisme. Cela conduit à une forme d’union dans l’ équivoque la plus totale sur le plan du contenu de la foi. A voir ce type d’unité entre des personnes qui annoncent «des évangiles» si différents sur tant de sujets vitaux, les incroyants ou les gens religieux non-convertis peuvent penser que le contenu de la foi n’a pas grande importance: erreur d’une évidente gravité, puisque c’est justement la connaissance de la vérité qui libère et sanctifie, selon les paroles du Seigneur Jésus lui-même (cf. In 8.32; 17 .17). J’ai le sentiment qu’aujourd’hui, dans les milieux religieux, on ne craint pas vraiment les risques d’un autre évangile... pas plus que les Corinthiens autrefois: Si quelqu’un vient vous prêcher un autre Jésus que celui que nous avons prêché, ou si vous recevez un autre Esprit que celui que vous avez reçu, ou un autre Evangile que celui que vous avez embrassé, vous le supportez fort bien. (2 Cor 11.4). Aujourd’hui, il n’est pas simple de vouloir s’attacher à une seule foi. Celui qui ose prétendre le faire suscite l’étonnement, s’attire la moquerie, parfois même des critiques sévères, car ceux qui réclament haut et fort «la tolérance» en matière doctrinale en manquent eux-mêmes souvent à l’égard de ceux qui demandent des bases doctrinales précises comme préalable à l’expression visible de l’unité entre églises.

Du temps de Paul, il n’était déjà pas facile de vivre l’unité sur des bases solides et claires. Il écrivait aux Galates: Je m’étonne que vous vous détourniez si promptement de celui qui vous a appelés par la grâce de Christ, pour passer à un autre Evangile (GaI 1.6). Avec fermeté, il ajoutait: Non pas qu’il y ait un autre évangile, mais il y a des gens qui vous troublent, et qui veulent renverser l’évangile de Christ. Mais, quand nous-mêmes, quand un ange du ciel annoncerait un autre évangile que celui que nous vous avons prêché, qu’il soit anathème! (Gall. 7 -8).

Dans sa lettre aux Romains, Paul avertissait: Je vous exhorte, frères, à prendre garde à ceux qui causent des divisions et des scandales, au préjudice de l’enseignement que vous avez reçu. Eloignez-vous d’eux (Rom 16.17). Les risques de dérapage doctrinal sont réels. L’ apôtre Jean écrivait: Quiconque va plus loin et ne demeure pas dans la doctrine de Christ n’a point Dieu; celui qui demeure dans cette doctrine a le Père et le Fils. Si quelqu’un vient à vous et n’apporte pas cette doctrine, ne le recevez pas dans votre maison et ne lui dites pas; Salut! car celui qui lui dit: Salut! participe à ses mauvaises oeuvres (2 Jn 9-11).

Il est donc des séparations, douloureuses, mais nécessaires, qui préservent l’unité véritable des croyants. On ne mélange pas ténèbres et lumière, justice et iniquité, fidèle et infidèle, Dieu et les idoles, mensonge et vérité, Christ et Bélial, l’Eglise et le monde. C’est pourquoi, sortez du milieu d’eux, et séparez- vous, dit le Seigneur; ne touchez pas à ce qui est impur, et je vous accueillerai. Je serai pour vous un père, et vous serez pour moi des fils et des filles, dit le Seigneur tout-puissant (2 Co. 6.14 à 7.1 ). Ces derniers versets créent un malaise. Chacun comprend assez bien ce qu’ils veulent dire, mais au sein d’un christianisme aux mille «chapelles», comment exercer le discernement pour préserver l’unité véritable et pratiquer les nécessaires séparations devant les déviations doctrinales de notre temps? Car il est certain que les difficultés rencontrées par les églises du premier siècle se retrouvent aujourd’hui. Plusieurs textes indiquent même que la question de la fidélité doctrinale sera l’un des problèmes majeurs des églises des derniers temps. Que fait-on alors avec cette affirmation de Paul: une seule foi?

D’une certaine manière, le Seigneur Jésus rencontre chez nous les mêmes réserves qu’il trouvait chez ses auditeurs devant les «duretés» de l’évangile, devant ses affirmations tranchées qui dérangent. On se souvient de l’accueil accordé à son discours sur le pain de vie: Plusieurs de ses disciples, après l’avoir entendu, dirent: Cette parole est dure; qui peut l’écouter? (Jn 6.60)… et, un peu plus loin, de la douloureuse question qu’il pose aux douze: Et vous, ne voulez-vous pas aussi vous en aller? (Jn 6:67). Quand Jésus dit (Mat 12:30): Celui qui n’est pas avec moi est contre moi, et celui qui n’assemble pas avec moi disperse… quand il déclare qu’il y a deux chemins, deux portes, deux destinations, il souligne, en fait, qu’il faut faire le choix du chemin «resserré» de cette seule foi qui sauve. L’unité passe nécessairement par la porte étroite, par le chemin étroit. Il faut donc être unis, s’entendre sur l’essentiel; c’est une nécessité. Le pluralisme doctrinal, tel que le conçoivent nos contemporains, est exclu. Jésus n’a pas dit: «Croyez ce que vous voulez, mais soyez unis!» Il nous demande d’amener en son nom à l’obéissance de la foi tous les paiens (Rom 1.5), et de rechercher dans l’Eglise l’unité de la foi (Eph 4.13), ce qui peut paraître bien étroit.

Mais quel critère retenir pour cette seule foi afin de vivre aujourd’hui l’unité chrétienne? La réponse n’est pas facile. Viser l’unité des «évangéliques» semble être un bon objectif dans la mesure où ces derniers devraient avoir en commun une foi authentiquement biblique. Il faut reconnaître cependant que l’appellation «évangélique» n’est pas une «appellation d’origine contrôlée» ! Pour être honnête: c’est une appellation que nul ne contrôle. Dans toutes les branches du christianisme on rencontre des personnes qui se disent (ou que d’autres considèrent comme) «évangéliques». Si cela signifie qu’il y a, entre elles, des points communs, cela n’exclut pas la possibilité de différences doctrinales importantes.

L’étiquette «évangélique» recouvre en fait, dans la pratique, un véritable pluralisme doctrinal au sens où nous l’avons défini. Elle s’applique en effet aussi bien à des personnes qui désignent du même mot «résurrection» , les unes une résurrection corporelle, qui concerne la personnalité de Jésus dans toutes ses dimensions, les autres une résurrection «spirituelle», dont la réalité se situerait au niveau de l’ expérience faite par les disciples de la présence de Jésus dans leur souvenir. On le voit bien: les mots n’ ont pas toujours le même sens, et c’est vrai aussi du mot: «évangélique».

Une seule foi : s’entendre sur l’essentiel… Oui! Mais, quand on a dit cela, qu’a-t-on réglé? Une parole de sagesse -qui sonne bien -a été avancée pour éclairer cette voie de l’entente sur l’essentiel: «Sur le primordial: unité. Sur le secondaire: liberté. En tout: charité!» Comment ne pas être d’accord avec cette approche si conforme à l’esprit de l’évangile? Cependant, il faut encore s’entendre sur la définition du primordial et du secondaire. Il est difficile de trancher. L’accord va-t-il se faire sur le plus petit dénominateur commun qui permette l’alliance la plus large, ou sur tous les détails, quitte à réduire l’unité… à une seule personne?

Dans le Nouveau Testament, un texte évoque la possibilité que certains désaccords existent dans l’Eglise sans que pour autant son unité soit mise en péril: Nous tous donc qui sommes parfaits, ayons cette même pensée; et si vous êtes en quelque point d’un autre avis, Dieu vous éclairera aussi là-dessus. Seulement, au point où nous sommes parvenus, marchons d’un même pas (Phil 3:15-16). Eph 4 propose l’unité de la foi comme un objectif à viser pour l’Eglise, mais il est évident qu’il demeure en partie inaccessible, car il y aura toujours, entre les membres du corps local (et à plus forte raison, entre membres de communautés ou dénominations différentes), certains désaccords inévitables dans les convictions doctrinales.

L’ apôtre Pierre évoque cette difficulté, quand il dit que dans les écrits de Paul, il y a des points difficiles à comprendre, dont les personnes ignorantes et mal affermies tordent le sens, comme celui des autres Ecritures, pour leur propre ruine. (2 Pi. 3.16) L’unité de la foi n’était donc pas un objectif facile pour l’Eglise primitive. Mais ce que dit Pierre montre bien que cette difficulté ne doit pas nous décourager dans la recherche de l’unité de la foi. Toute autre attitude, consciente ou non, conduit à la ruine, dit-il. Vous donc, bien-aimés, qui êtes avertis, mettez-vous sur vos gardes, de peur qu’entraînés par l’égarement des impies, vous ne veniez à déchoir de votre fermeté. (2 Pi 3.17).Si l’accord ne peut pas se faire sur tout, sur quels points est-il indispensable? Quelles sont les doctrines sur lesquelles doit se faire l’unité? La réponse n’est pas simple. Dans une étude sur le thème de l’unité, présentée lors du Congrès de Lausanne 1974, le professeur Henri Blocher a proposé cinq critères qui devraient nous aider à distinguer entre le primordial et le secondaire, critères dont l’application exige, de son point de vue, la reconnaissance préalable de l’entière autorité et de la parfaite inspiration des Saintes Ecritures. Voici ces cinq critères:

I. Le critère biblique. Quand on discute d’une interprétation, d’une doctrine biblique, «la place qu’occupe un sujet dans la Bible, et surtout le Nouveau Testament, est un indice du poids que Jésus et ses apôtres lui donnaient. Bien entendu, l’importance d’une doctrine ne se mesure pas au seul nombre de versets qui l’ exposent, mais même ce critère rudimentaire peut nous aider. La doctrine de l’expiation est partout dans l’Ecriture, comme le sang dans le corps, disait Vinet; elle est sûrement d’un tout autre rang que la prescription du voile pour les femmes, quelle que soit l’interprétation qu’on en donne, puisqu’on ne la trouve qu’en un seul passage» (1 Cor II).

Il. Le critère théologique. «Plus les conséquences sont nettes et plus elles sont directes pour le coeur de la vérité évangélique, plus le point prendra de l’importance. Il y a des doctrines stratégiques. Si on y touche, tout s’écroule; et d’autres, périphériques: une divergence à leur sujet laisse intact le reste de l’édifice» (3). On peut appliquer ce critère, par exemple, à la doctrine de la résurrection de Christ: Si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est donc vaine, et votrefoi aussi est vaine. (1 Cor 15.14), ou à celle de la justification par la foi, sans les oeuvres de la loi, sinon vous êtes séparés de Christ, vous tous qui cherchez la justification dans la loi; vous êtes déchus de la grâce (Gal5:4- 6). Par contre, il est possible de proposer diverses interprétations quant à la durée du mot «jour» dans Gen 1, sans remettre en cause le fait que la création est, en tout point, l’oeuvre prodigieuse du Dieu créateur.

III. Le critère pratique. «Il faut considérer de même les conséquences non théologiques mais pratiques. Quels sont les enjeux pour l’organisation de l’Eglise, la vie spirituelle, les méthodes et le message d’évangélisation? (Pour bien en juger, il nous faut observer, mais cela ne suffit pas: certaines différences pratiques paraissent liées à un point de doctrine, alors qu’en réalité d’autres facteurs, cachés, les déterminent (sociologiques, personnels, etc. ). La question du baptême des enfants, qui n’est pas centrale théologiquement, a des conséquences pratiques assez considérables». (4)

IV. Le critère historique. «Pour nous délivrer de l’étroitesse de nos horizons personnels, aucun secours ne nous est plus précieux que celui de nos frères et pères en la foi. Ils n’ont pas été infaillibles, mais nous devons respecter, apprécier la sagesse que Dieu leur a donnée, et en profiter. Nous risquons toujours de donner prise à l’ironie de Paul: Est-ce de chez vous que la Parole de Dieu est partie? Ou est-ce à vous seuls qu’elle est parvenue? (1 Cor 14.36). Ainsi nous voyons que tout au long de l’histoire de l’Eglise, jusqu’au XIXe siècle, les chrétiens n’ont pas pensé juste de se diviser à propos du millenium. La plus ancienne déclaration prémillénariste, après le temps apostolique, celle de Justin Martyr (vers 150), souligne que beaucoup d’autres chrétiens pensent autrement, qui appartiennent à la foi pure et pieuse. Serait-il sage d’être plus intolérant que lui? Il a été suivi dans son attitude fraternelle par la plupart des générations chrétiennes. Il en va très différemment de la doctrine de l’eucharistie, pour laquelle on s’est divisé -à tort ou à raison, le fait pèse son poids». (5)

V. Le critère contemporain. «Dieu a donné à sa Parole une clarté telle que l’essentiel du message ne peut pas échapper au lecteur respectueux et de bon sens. Lorsque des hommes de Dieu, scientifiquement compétents, et qui se veulent tout à fait dociles devant l’Ecriture, se trouvent en grand nombre dans les deux camps d’une controverse, nous pouvons présumer que l’objet du débat n’appartient pas au coeur absolument vital du christianisme. Ainsi de la doctrine de l’ état intermédiaire, que nous croyons biblique: elle est contestée par certains théologiens évangéliques, ce qui laisse supposer qu’elle est secondaire.» (6)

‘l’els sont les cinq critères qui peuvent nous aider à distinguer entre le primordial et le secondaire, afin d’arriver à l’unité de la foi sur les doctrines fondamentales, tout en reconnaissant la possibilité de divergences sur des points de détail, sur des doctrines qui ne seraient pas «stratégiques». (…)

Il est certainement utile de passer au crible des cinq critères précédents les questions de foi sur lesquelles il s’agit de bâtir l’union ou de justifier une désunion. C’est un exercice à mener avec soin, car le contenu de notre foi est primordial à tous les niveaux de notre vie. L’ adversaire essaie toujours de discréditer la Parole de Dieu. Semer le doute, faire défaillir la foi, voilà bien sa tactique, et l’abandon de la saine doctrine est l’un des objectifs qu’il recherche en ce qui nous concerne. Depuis Eden, ce problème est malheureusement d’ une brûlante actualité.

3.2.5 Un seul baptême

On peut s ‘ étonner de rencontrer le baptême dans cette liste de points d’ union donnée par Eph 4. Ce sujet n’a évidemment pas la même envergure que les autres affirmations contenues dans ces mêmes versets: un seul Seigneur, une seule foi, un seul Dieu..

 

La Parole de Dieu est inspirée, et ce n’est pas par erreur que cette affirmation se trouve là. L ‘histoire s’est chargée de nous en montrer l’importance. La façon de comprendre le baptême et de le pratiquer conduit à au moins deux types d’Eglises, deux types de chrétiens, deux façons de recevoir le Saint-Esprit et d’envisager le salut… Il ne s’agit donc pas d’un point secondaire mais d’une question cruciale. C’est autour de cette question que se définissent l’Eglise, sa nature, sa composition, son message même. Le Seigneur Jésus a institué le baptême pour les disciples, pour ceux qui, de manière personnelle, mettaient leur foi en Christ pour le pardon de leurs péchés (Mat 28.18-20; Act 2.38-42). Telle a été la pratique des disciples qui ont suivi de près l’exemple et les commandements du Maître.

Le baptême devait être une porte d’entrée visible dans l’Eglise. Il devait être comme une frontière, le lieu où l’on passe du monde dans la communauté des rachetés. Il devait être le symbole de la régénération, le signe extérieur d’une adhésion intérieure, de cour et d’esprit, au Christ, Seigneur et Sauveur. Pour le nouveau converti, ce devait être une marque d’ obéissance à son Maître, car le premier des commandements du Seigneur qui le concernait, une fois qu’il avait compris le salut, c’était justement de se faire baptiser pour témoigner de sa repentance et de sa foi en Jésus.

Très tôt, l’adversaire s’est attaqué au baptême, à sa signification originelle, à la façon de le pratiquer. Il a tout fait pour que, peu à peu, en l’espace de deux ou trois siècles, le symbole de la régénération passe pour le moyen par lequel le Saint-Esprit opère cette régénération. L’acte du baptême devenait efficace en lui-même, il devenait un sacrement que seuls des hommes revêtus d’une autorité particulière pouvaient administrer. Cela changeait, bien sûr, la nature du baptême, mais aussi celle de l’Eglise.

Le baptême «symbole», confession de la foi du baptisé, n’est pas en lui-même indispensable au salut (le brigand repentant a pu s’en passer); il est de l’ordre du témoignage, de la mise en pratique de l’évangile en obéissance à un commandement du Seigneur. Il est le geste par lequel le chrétien s’affirme comme disciple et est reconnu comme tel par ses frères. Mais, du jour où on en fait un sacrement, il devient indispensable pour tous. (…)

Ainsi, l’unité des croyants ne peut s’envisager sans ces trois mots: un seul baptême. Mais quand il s’agit d’appliquer ce principe aux relations inter- ecclésiastiques, on sent bien le problème. Baptême des croyants et baptême des enfants sont deux pratiques radicalement différentes, pour ne pas dire oppo- sées. Si nous sommes convaincus que le baptême biblique est le baptême par immersion des croyants, comment travailler sereinement avec des pédo-baptistes, dans un contexte où, pour évangéliser ensemble, il faudrait justement taire un élément important du message évangélique? Selon le livre des Actes, le message de l’évangile a pour but, non seulement d’orienter tout de suite le nouveau converti vers l’obéissance du baptême (Act 2.38,41 -voir aussi l’eunuque éthiopien, Saul de Tarse, Corneille, Lydie, etc), mais encore de lui faire découvrir le type d’Eglise dans laquelle il pourra persévérer dans la doctrine des apôtres, dans la communion fraternelle, dans la fraction du pain et dans les prières. (Act 2.42). Point d’évangélisation biblique sans un but ecclésiologique clair.

Comment accréditer, par une collaboration entre églises de multitudes et églises de professants, une doctrine du baptême (et donc de l’Eglise) coupable d’avoir donné, des siècles durant, l’illusion du christianisme à des millions de gens? Seule la vérité libère. Il faut donc rester en situation de pouvoir annoncer tout le conseil de Dieu …y compris sur cette question du baptême des croyants.

3.2.6 un seul Dieu et Père de tous, au-dessus de tous, parmi tous, en tous.

Par ces mots, Paul conduit enfin ses lecteurs à ce qui est au coeur de l’unité des croyants; elle se fonde sur cette vérité: Dieu est au centre de tout, Il est l’auteur, la source et la cause première. Toute la Bible est théocentrique. Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu le serviras lui seul! (Mat 4.10)

Ce n’est pas quelque chose qui plaît aux hommes. Orgueilleux et égocentriques depuis la chute, ils se veulent autonomes, maîtres de leurs destinées, de leurs choix, sans devoir rendre compte à quiconque. Ils ne veulent pas d’une autorité divine souveraine dans leur vie. Cette attitude-là marque encore l’homme, même après qu’il s’est converti, quand il se tourne vers Dieu pour recevoir le pardon de ses péchés et la grâce d’une vie nouvelle. Même en présence des commandements clairs du Seigneur, il est capable de discuter, de tergiverser, d’hésiter à obéir.

La souveraineté de Dieu n’est pas la doctrine favorite du croyant moyen. Il est pourtant capable de chanter avec enthousiasme que Christ est Seigneur; il est aussi capable de reconnaître que tel ordre du Seigneur est clair. ..et que, théoriquement, ce serait bien de pouvoir lui obéir sans réserve… mais, pratiquement, pour toutes sortes de raisons, il va se permettre de minimiser cet ordre divin, de le rendre facultatif, pour lui obéir à sa convenance. Pour expliquer son «oui, mais» (qui est une manière polie de dire «non» ), il invoquera des questions de commodité, d’ efficacité, de politique. Il peut encore avoir des motivations cachées comme celles de ces gens qui troublaient les Galates en les éloignant du pur Evangile; en fait, nous révèle Paul, ils ne voulaient pas être persécutés pour la croix de Christ (GaI 6.12-13). Ils refusaient de porter l’ opprobre de Christ. Ils voulaient pouvoir se dire «chrétiens» sans trop se mettre en porte à faux avec les judaïsants.

Aujourd’hui comme hier: La crainte des hommes tend un piège (Pr 29:25). Il est vrai que personne n’aime affronter le jugement des autres à cause d’un différend «doctrinal» .Pourquoi mettre en péeacute;ril sur de si délicates questions des amitiés auxquelles on tient? Chacun est tenté de mettre sa lumière un peu sous le boisseau pour éviter ces ennuis face à la majorité «qui pense que». C’est ainsi que ce que Dieu affirme ou commande est «relativisé». Comme Pierre, nous répondons à l’ordre précis qu’Il donne par un retentissant ou discret: Non, Seigneur (Act 10.14). «Non», et «Seigneur»: deux mots qui ne devraient jamais se suivre dans la bouche ou le cour d’un enfant de Dieu. Cependant, il faut bien l’avouer: l’autorité de Dieu et Sa souveraineté gênent. Si la réponse à la question: Que dit l’Ecriture ? est dérangeante, on cherchera ailleurs des raisons de faire autrement. Aucun d’entre nous n’est à l’abri de ce type d’attitude… de reniement. Si Pierre et Barnabas se sont laissé piéger (Gal 2.11- 13), c’est qu’il faut vraiment veiller et nous encourager les uns les autres dans cette attitude de vigilance.

L’important, c’est donc de voir en Dieu, Père (au-dessus de tous), Fils (parmi tous) et Saint-Esprit (en tous), l’unique souverain, l’unique voix autorisée, l’unique roi, l’unique chef suprême de nos vies et de l’Eglise. L ‘important, c’est de vouloir scrupuleusement, et avec joie, se soumettre à Sa voix, le glorifier Lui et le servir Lui seul. Vous êtes heureux si vous savez ces choses, pourvu que vous les pratiquiez (Jn 13.17). Faites tout pour la gloire de Dieu (1 Cor 10:31).

Dans notre monde, le syncrétisme a ses adeptes; on accrédite l’idée qu’on peut mettre un signe «égal» entre le Dieu de la Bible et les autres divinités que les hommes adorent sous divers noms, en divers lieux. Au sein même du christianisme, des voix s’élèvent pour dire que plusieurs chemins mènent au salut, que les différences de «foi» ne sont finalement pas très importantes, pourvu que l’on soit sincère et que l’on aime son prochain. On est loin du Dieu exclusif, unique, que l’Ecriture proclame, et que le premier commandement nous demande d’adorer, sans partager, de quelque manière que ce soit, Sa gloire avec un autre. Notre unité se fait autour de ce seul Dieu, unique et trinitaire, que nous devons aimer de tout notre cour, de toute notre force, de toute notre âme et de toute notre pensée (Deut 6.5, Mat 22.37). Le craindre, c’est le commencement de la sagesse (Pr 1.7, 10). Une sagesse qui conduisait David à dire: Seigneur, tu es la chance de ma vie… Tu tiens mon destin entre tes mains; c’est un sort qui m’enchante, un privilège qui me ravit! (Ps 16:5-6). Mais il disait aussi: Je serre ta parole dans mon cour, afin de ne pas pécher contre toi (Ps 119.11). Prétendre Lui appartenir et Le suivre est chose sérieuse. Il a droit au meilleur de nous-mêmes, individuellement et collectivement dans son Eglise. Et ce qu’il demande de ses intendants, c’est que chacun soit trouvé fidèle (1 Cor 4: 1-2), et qu’il s’efforce de (se) présenter devant Dieu comme un homme éprouvé un ouvrier qui n’a point à rougir, qui dispense droitement la parole de la vérité (2 Ti. 2: 15).

4. Conclusion

4.1 Une tentation à éviter

Ce chemin de l’unité dans la fidélité peut paraître bien étroit. Le Seigneur Jésus ne l’a pas présenté autrement! Nous pourrions être tentés de l’élargir un peu, pour moins d’inconfort et plus de rentabilité dans les contacts, pour avoir peut-être «meilleure presse». Il faut pourtant résister à cette tentation, et l’histoire nous donne bien des raisons de le faire.

Robert Dubarry décrivait, par une phrase brève mais vraie, ce qui s’est passé quand les chrétiens sont entrés dans le jeu de l’élargissement progressif du chemin étroit: «Le christianisme se fit ainsi temporel, puis arrangeant, puis intellectuel, puis mondain.» (8) Au bout du compte, après quelques siècles, que restait-il de l’évangile au sein du christianisme officiel? Et même après la Réforme, qu’est-il advenu des grandes églises protestantes qui, tout en ayant retrouvé certaines vérités oubliées ou méprisées pendant des siècles, n’ ont pas rompu avec le baptême des enfants et l’ecclésiologie multitudiniste? Elles sont, le plus souvent, retombées dans les pièges du formalisme, du traditionalisme, d’un christianisme d’étiquette, bien loin de celui que décrit le NT. Il y a, cependant, dans ces Eglises, de véritables enfants de Dieu en Jésus-Christ, dont l’amour pour Dieu, la foi et la persévérance sont exemplaires. Cependant, il est regrettable que leur présence dans ces églises accrédite l’idée que l’on peut vivre une vie chrétienne normale dans un environnement ecclésial contraire, de plusieurs manières, aux vérités de l’évangile.

4.2 Un combat à mener

A côté du Catholicisme ou du Protestantisme, l’autre christianisme des églises professantes qui se voulaient indépendantes de l’Etat et fidèles à l’Ecriture quoi qu’il en coûte, a dû lutter pour survivre, car ses adversaires religieux n’hésitaient pas à recourir au bras séculier pour faire taire, physiquement s’il le fallait, la voix de ceux qui aspiraient à un vrai retour aux sources de l’ évangile.

Longtemps, les chrétiens évangéliques n’ont guère eu à connaître que la politique du bâton. On préfère de nos jours leur tendre la carotte. On espère ainsi inciter ces «frères séparés» à trouver le chemin du bercail, celui d’un christianisme unifié, pacifié, dans lequel on évitera surtout de sortir la Bible pour parler vérité et saine doctrine. Une vaste entreprise de récupération est en cours. qui trouve des alliés au sein même du «camp évangélique professant». Les dangers viennent, depuis toujours, de l’extérieur mais aussi de l’intérieur, et ce dernier «angle d’attaque» de notre adversaire est de loin, le plus redoutable. L’apôtre Paul n’ a-t-il pas dit: il s’élèvera au milieu de vous des hommes qui enseigneront des choses pernicieuses, pour entraîner les disciples après eux. Veillez donc (Act 20.29-31)?

Si nous prenons l’Ecriture au sérieux, il est évident que cela va limiter, restreindre, nos possibilités de manifester concrètement l’unité entre croyants au sein d’ un christianisme où le pluralisme doctrinal est de rigueur. Il faut fixer des frontières, des limites à ne pas franchir, si nous voulons éviter de perdre notre identité évangélique, notre message, le sens de notre mission dans ce monde.

Ce n’est pas parce que la scène religieuse est confuse, difficile à cerner, avec la «valse des étiquettes» évangéliques, qu’il faut renoncer à clarifier, dans un souci de fidélité à Dieu et à sa Parole, ce, qui peut et doit l’être: que ce soit le contenu de notre foi, les objectifs qui peuvent être visés ensemble, et les moyens à mettre en oeuvre pour les atteindre. Cependant, dans ce qui me semble être un bon combat, il faut rester prudent, examiner toute chose et retenir ce qui est bon. La recherche de l’unité ne peut se réduire à une approche du style: «tout, ou rien!». C’est vrai que l’exercice est périlleux, et les dangers qu’ il comporte pourraient nous rendre prudents à l’excès. L’isolationnisme qui en résulterait serait grave. Le repliement sur soi est aussi une tentation à laquelle il faut résister.

4.3 Une recherche à poursuivre

La recherche de l’unité doit donc rester au coeur de nos préoccupations… malgré les difficultés d’une telle démarche. S’il est grave de manquer de jugement concernant les faux prophètes et les risques qu’ils font courir à 1 ‘EGLISE, il serait aussi grave de juger trop sévèrement ou injustement des frères pour la seule raison qu’ils ne voient pas les choses exactement comme nous dans cette délicate question de l’unité à vivre et à concrétiser. Il faut aussi reconnaître qu’il y a différents niveaux dans les signes extérieurs d’unité. Cela peut aller de contacts ponctuels ou épisodiques entre personnes issues de milieux religieux très différents jusqu’à des collaborations étroites entre églises en vue d’un témoignage commun devant le monde. Par exemple:

1. Il est possible d’organiser des rencontres assez «larges» (à l’échelle d’une ville ou d’une région) dont le but est de favoriser le respect mutuel entre responsables d’églises, de faire circuler des informations utiles à chacun, ou encore de réfléchir ensemble à des problèmes de société ou à des problèmes théologiques. Confronter paisiblement, mais en toute clarté, les positions et apprendre à mieux connaître la pensée des autres, leur manière de comprendre et d’interpréter les Ecritures, est certainement utile pour les uns comme pour les autres, même si cela peut se révéler «dérangeant» .Ces rencontres devraient être informelles, sans parrainage particulier, pour leur éviter toute «récupération» intempestive par les «anti» ou les «pro» de l’oecuménisme (ou d’autres «ismes» plus ou moins populaires!).

2. Dans le cadre des Groupes Bibliques Universitaires (ou d’autres mouvements semblables) des chrétiens d’origines diverses peuvent témoigner d’une certaine communion entre eux en organisant des moments de prière et des études bibliques sur leurs lieux de travail, afin de promouvoir dans ces contextes particuliers le témoignage chrétien, la lecture de la Bible et l’ appel au salut en Christ par la foi seule. Mais il est évident qu’un travail plus complet doit se faire en dehors de ce cadre particulier pour amener les personnes intéressées à une meilleure connaissance de la vérité, y compris sur la question ecclésiologique.

3. Des croyants, attachés à l’inspiration et à l’autorité des Saintes Ecritures, peuvent s’unir pour en rendre témoignage devant le monde (religieux ou non), même s’ils ne partagent pas la même ecclésiologie, par exemple. Cela s’ est déjà fait de manière semble-t-il profitable.

Il y a probablement d’autres pistes à suivre, avec sagesse, afin de saisir des occasions où, en toute clarté et sur des sujets précis, bien définis à l’avance, des chrétiens engagés, mais ne partageant pas les mêmes convictions sur l’ecclésiologie ou sur d’autres points de doctrines, peuvent se retrouver utilement et donner un certain témoignage de leur unité en Christ, de leur attachement à l’Ecriture Sainte. Ainsi pourrons-nous explorer et exploiter quelques possibilités de rendre compte, avec douceur et respect, de l’ espérance qui est en nous (1 Pi. 3.15) et de professer la vérité dans l’amour (Eph 4.15)

4.4 Une unité à promouvoir

Il faut cependant encourager un autre niveau de l’ unité entre croyants, ce que l’on pourrait appeler un oecuménisme véritablement évangélique. Il s’agit de promouvoir une collaboration étroite entre églises professantes unies sur l’essentiel de la foi chrétienne (évangélique). Les objectifs d’une telle «unité» seraient, tout à la fois, de manifester aux yeux du monde la communion réelle qui règne entre elles, et d’évangéliser ensemble au cour de notre société. Il est alors évident que, dans ce contexte-là, l’accord le plus large doit être recherché à la lumière d’un texte comme celui d’Eph 4.

On ne peut obéir ensemble à l’ordre du Seigneur (Mat 28.18-20): Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit, sans être d’accord sur les doctrines du Salut et de l’Eglise.

Nous devrions, entre évangéliques membres d’églises de professants, manifester notre unité face au monde (qu’il soit religieux ou non) en obéissant à cet ordre de mission dans son entier, comme l’apôtre Pierre l’a fait le jour de la Pentecôte (Act 2). La repentance, la conversion, la réception du Saint-Esprit, l’immersion de ceux qui ont reçu la Bonne Nouvelle du Salut en Christ, leur introduction dans l’Eglise, leur formation spirituelle par l’enseignement de la doctrine des apôtres, faisaient partie de l’ ABC de la prédication (et de l’action ) apostolique. Il devrait en être de même aujourd’hui, que ce soit au niveau d’une éacute;glise locale engagée dans le témoignage chrétien ou au niveau de plusieurs églises locales collaborant dans une action commune d’évangélisation.

C’est sans complexe, et de manière déterminée, que nous devons rendre compte de notre position sur ces questions vitales pour l’ avenir de nos églises. Car nous ne devons pas perdre de vue que si l’EGLISE de Jésus-Christ est immortelle, les églises locales, quant à elles, ne le sont pas; leur chandelier peut leur être enlevé par le Seigneur en personne (Apoc 2.5). Les appels à veiller, ou même à se repentir -d’un manque d’amour (Apoc 2.4-5), ou d’une attitude laxiste dans des questions de doctrine ou de discipline (Apoc 2.14-16,20; 3.2- 3, 19) -ne sont pas superflus. La vie et l’avenir des églises locales en dépendent.

Ainsi, ces questions sur le thème de «l’unité chrétienne, ce qu’elle est et ses limites», doivent faire l’objet d’une réflexion d’autant plus sérieuse que l’un des drames actuels du monde évangélique, c’est l’union apparente de ceux qui ne partagent pas la même foi sur les choses essentielles, et la désunion apparente de ceux qui auraient toutes les raisons d: être ensemble s ‘ ils donnaient la priorité, dans le choix de leurs alliances, à leur accord sur l’essentiel. Cette situation est grave; c’est un succès pour l’adversaire.

Certaines divisions au sein du peuple de Dieu sont véritablement coupables, parce qu’elles s’appuient sur des différences de sensibilité personnelle ou d’interprétations sur des su jets difficiles et controversés. Mais certaines unions, que le souci du nombre a fondées sur l’équivoque au détriment du respect de la vérité, le sont sans doute autant.

Que Dieu nous aide alors à bâtir, entre professants, une véritable unité, qui honore le Seigneur et rend témoignage devant le monde de Sa venue et de l’efficacité de Sa grâce. Qu’Il nous préserve de divisions, ou d’alliances, qui feraient le jeu de l’ adversaire en affaiblissant notre capacité de proclamer «tout le conseil de Dieu, sans en rien cacher», en vue du salut de beaucoup.

Qu’ à Dieu soit la gloire, dans l’Eglise et en Jésus-Christ, dans toutes les générations, aux siècles des siècles! Amen! (Eph.3.21).

D.M.

Notes:
1 The nature of biblical unity, p. 380 à 392 du livre «Let the earth hear his voice». (Recueil des études et conférences présentées lors du Congrès de Lausanne pour l’évangélisation du monde, en 1974). Les citations qui suivent sont tirées de la version française de cette étude distribuée aux congressistes francophones.

2 Ibid., p. 387. 3 Ibid., p. 387 4 Ibid., p. 388 5 Ibid. p. 388. 6 Ibid., p. 388.
7 Vocabulaire de Théologie Biblique, de Xavier LEON-DUFOUR, Editions du Cerf; p.114

  1. ma note ici

Écrit par


Deux notions de base

Pour comprendre l’église émergente il est indispensable d’assimiler les notions de modernité 1 et de postmodernité.

Qu’est-ce que la modernité ?

« La modernité n’est ni un concept sociologique, ni un concept politique, ni proprement un concept historique. C’est un mode de civilisation caractéristique, qui s’oppose au mode de la tradition […]. Liée à une crise historique et de structure, la modernité […] est repérable en Europe à partir du xvie siècle, et ne prend tout son sens qu’à partir du xixe siècle. Les manuels scolaires font succéder les Temps modernes au Moyen Âge, à la date de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb (1492) […]. Pendant les xviie et xviiie siècles, se mettent en place les fondements philosophiques et politiques de la modernité : la pensée individualiste et rationaliste moderne dont Descartes et la philosophie des Lumières sont représentatifs 2».

Qu’est-ce que la postmodernité ?

La postmodernité ne fait pas que succéder à la modernité : elle se présente surtout comme une réaction aux valeurs de la modernité. Des spécialistes pensent qu’une distinction absolue entre modernité et post-modernité (comme si le « monde ancien » faisait place à un « monde nouveau ») est artificielle voire simpliste.

Prenons un exemple tiré de chaque courant, pour mieux les définir :

Au sein de la modernité, en particulier sous l’influence de Descartes (1596-1650), l’homme dit : « Je peux tout connaître 3 ». Mais les siècles suivant suscitent le désenchantement dans tous les domaines. Les progrès techniques sont, certes, extraordinaires mais ils n’engendrent ni l’âge d’or ni l’amélioration morale de l’homme ni même la diminution de la pauvreté mondiale. Le siècle passé est le plus meurtrier de l’Histoire. Quant à la connaissance, elle augmente de façon spectaculaire mais, paradoxalement, l’ignorance grandit plus vite que la connaissance, car chaque découverte repousse les limites du savoir.

Au sein de la postmodernité, l’homme perd ses illusions. Désabusé, il se fait moins prétentieux et plus réaliste. Il confesse : « Je ne peux rien connaître », la vérité – à supposer qu’il y en ait une ! – se révèle inaccessible, insaisissable par l’homme. Il ne peut accéder qu’à des approches de la vérité. Il faut accepter que chacun puisse avoir sa perspective de la vérité, une perspective différente mais tout aussi pertinente. D’une façon quelque peu caricaturale, on pourrait dire que, dans la modernité, la vérité est absolue et connaissable alors que dans la postmodernité, la vérité est relative, indéfinissable et finalement insaisissable.

Qu’est-ce que l’église émergente ?

a. Son origine

Elle est une excroissance de l’Église, liée au processus accéléré de sécularisation de la société occidentale. La moitié de la population serait déjà atteinte par le phénomène de sécularisation, l’autre moitié se contentant d’un « christianisme de sens commun » sous la forme de code moral, ou de cadre pour les rites de naissance, de mariage et de décès 4.

La génération actuelle mesure avec difficulté le chemin parcouru par la société occidentale en un demi-siècle. Les historiens ont pourtant identifié ce « tournant de l’histoire » : « Les années 60 ont apporté un bouleversement du paysage social, technologique, économique, culturel, et religieux5  ». Sur le plan religieux, « on peut en venir à considérer ces années comme marquant une rupture aussi profonde que celle qui a été apportée par la Réforme 6 ». Plus d’une décennie après Mai 68 un constat général s’impose : Les églises sont en perte de vitesse, elles se vident et leur message paraît obsolète7 . Que faire face à une telle situation ? S’adapter ou disparaître ? L’église émergente propose de s’adapter aux évolutions de la société et d’offrir à notre génération un espace convivial, ouvert, innovant, et acceptable pour elle : « En présence de nouveaux publics 8, qui sont maintenant à des années lumière des églises classiques, il est nécessaire de construire avec eux, des propositions nouvelles, des communautés nouvelles. C’est ainsi que commence à naître une église émergente 9. »

b. Son identité

L’église émergente consiste globalement à appliquer des principes postmodernes à l’Église. Il ne s’agit pas d’un tout homogène mais d’un mouvement très large dont l’enseignement peut aller du pertinent à l’inacceptable. Nous avons là une des causes du dialogue de sourds entre les partisans de l’église émergente et ses opposants, les premiers ne voulant voir que le pertinent et les seconds se contentant de mettre en garde contre l’inacceptable.

Il n’est pas facile de définir clairement l’identité de l’église émergente. Elle peut aussi bien se trouver dans les grandes institutions comme le catholicisme, le protestantisme ou le mouvement évangélique 10, qu’en dehors d’elles comme les églises indépendantes. Simples églises de maison ou mega-churches 11, l’église émergente ne se reconnaît pas à une structure mais consiste en un « courant », un « état d’esprit », un « processus 12 ». C’est une sorte de ferment qui se répand dans les églises traditionnelles, provoquant soir leur  « évolution », soit leur scission 13.

Son intention est de guérir une Église jugée malade, par des propositions qui répondent aux attentes d’une société postmoderne : « L’église émergente, c’est une nouvelle culture chrétienne en phase avec les aspirations spirituelles des nouvelles générations 14. »

Le site Témoins 15 présente, recense et analyse « ce qui peut être appelé émergent en francophonie ». C’est une base de données incontournable pour l’étude du mouvement : « Le courant de l’église émergente […] s’inscrit tout naturellement dans le changement des comportements sociaux. En France, […] le courant de l’église émergente est encore peu visible […]. On assiste aujourd’hui à un changement majeur : le passage de la prédominance de l’institution catholique à un contexte nouveau caractérisé par l’affirmation de l’autonomie croyante et du “croire sans appartenir”. Or, c’est bien dans ce terreau que le courant de l’église émergente progresse […] car il répond à des aspirations spirituelles qui ne se reconnaissent pas dans les pratiques classiques des institutions religieuses […] Le comportement “croire sans appartenir” est désormais une réalité centrale dans le paysage religieux français […]. C’est dire combien une offre alternative, telle que celle qui est proposée par l’église émergente, aurait toute sa place. Quoiqu’il en soit, rien ne peut arrêter une germination spirituelle 16. »

c. Son évaluation

L’église émergente séduit à cause de sa recherche d’authenticité, son absence de prétention, son ouverture d’esprit, son désir de rejoindre « l’autre » là où il est. Des pistes sont proposées mais non imposées : vous pouvez les utiliser « telles quelles » ou les modifier à votre convenance pour votre vie personnelle ou celle de votre église locale.

Toutefois, chaque médaille a son revers : le fait de ne pas vouloir juger les autres conduit vite à accepter le mal. La tolérance généralisée finit par rejeter tout absolu. L’ouverture sans esprit critique conduit au pluralisme et au syncrétisme.

Sans parler de réserves concernant la place de la psychologie dans la foi chrétienne, le reproche le plus sévère que l’on puisse faire au « courant émergent » est l’abandon des enseignements clairs et fondamentaux de la Bible. Celle-ci n’est plus considérée comme Parole de Dieu et base certaine et unique de la foi 17. Le message fondamental du christianisme est ainsi édulcoré ou tronqué au point de le rendre acceptable par des pécheurs impénitents 18. Il n’est, en revanche, plus acceptable pour ceux qui restent attachés à l’Évangile de notre Seigneur Jésus-Christ 19.

Pour ne choquer ou ne repousser personne, on occulte la notion de l’homme pécheur, perdu, éloigné de Dieu encourant sa juste condamnation et son jugement éternel. La repentance, la foi en Jésus-Christ mort et ressuscité, sa « substitution pénale » sur la croix, l’obéissance à la Parole de Dieu, deviennent des notions encombrantes. En effet, elles imposent des prises de position qui s’opposent à la pensée émergente : « accepter tout ce qui unit, rejeter tout ce qui divise ». Il ne faut plus ni croire ni dire que « Jésus est le chemin et que nul ne vient au Père que par lui » : cet absolutisme choque l’église émergente, il s’oppose à la vérité plurielle, puisque chacun peut et doit avoir son propre cheminement, ses propres expériences et ses propres convictions. C’est à juste titre que Brian McLaren appelle ces disciples de l’Église émergente « un nouveau genre de chrétiens » : ils ne remplissent plus les conditions fixées par la Parole de Dieu. Un christianisme où la croix de Christ n’occupe plus la place centrale que lui donne l’Écriture 20 peut être un christianisme sympa, attrayant, innovant et dynamique, il n’est, hélas, plus un christianisme biblique.

En conclusion

Personne ne peut nier l’évolution de la société et des mentalités ni la nécessité de tenir compte de cette réalité dans le témoignage chrétien. Mais avant de la rejoindre dans ses pratiques, dans ses convictions et dans ses paradigmes, il semble urgent de se poser quelques questions :

• L’évolution de la société va-t-elle dans le bon sens ? S’approche-t-elle ou s’éloigne-t-elle des principes divins ? Quels sont les fruits déjà visibles qu’elle porte ?

• Si la « rupture » de la Réforme au xvie siècle avait ramené à la Parole de Dieu, où la « rupture » de 1968 nous amène-t-elle ? Plus près ou plus loin de la Parole de Dieu ?

• Si l’homme est au centre des préoccupations de l’église émergente, quelle est la place de Dieu et de sa Parole dans cette « église » ?

Certains chrétiens pensent que le mal n’est pas si grand qu’on le dit et que l’on peut adapter une église émergente « à la sauce locale » en ne prenant que les bonnes idées et en ignorant le reste. N’est-ce pas, d’une certaine manière, apporter une caution à l’inacceptable 21 ? Une église ne peut-elle plus exister et vivre sans être, oui ou non, émergente ? Notre référentiel est-t-il encore la Bible ou déjà « l’église émergente » ?

L’église fidèle serait-elle privée des ressources divines au point qu’il nous faille tant de « ressources humaines » ? Notre Seigneur Jésus-Christ ne bâtirait-il plus son Église ? Ne la chérirait-il plus ? Ne la guiderait-il plus par son Esprit et par sa Parole ? Un authentique réveil ne se ferait-il plus par l’action de l’Esprit de Dieu appliquant la Parole de Dieu dans les consciences et dans les cœurs ? Le xxie siècle aurait-il besoin d’un christianisme différent de celui qu’ont connu les fidèles pendant 20 siècles ? D’une autre Bible ? D’un autre Jésus ?

À mon avis, l’église émergente n’est pas une nouvelle église au sens de l’Écriture, elle n’en est souvent qu’une caricature. C’est une sorte de groupe humaniste généreusement inspiré de la morale chrétienne. Elle a déjà bien des points communs avec l’église apostate de la fin des temps et, à défaut de l’être, elle a bien des atouts pour le devenir.

1Selon S. Grenz « la modernité est née après une longue période de gestation. Peut-être pourrions-nous dire que la Renaissance (XVIe siècle) fut la grand-mère de la modernité, sa vraie mère étant l’ère des Lumières (XVIIIe siècle) » (Cité par Alfred Kuen, Les défis de la postmodernité, Emmaüs, 2002, p. 24). Certains la font commencer à la Révolution française (1789) et cesser à la chute du mur de Berlin (1989).
2Encyclopédie Universalis, s.v. « Modernité ».
3« L’esprit moderne présuppose la connaissance comme certaine, objective et bonne. Elle est accessible à l’esprit humain » (Alfred Kuen, ibid., p. 20. La Bible dit : « Au commencement, Dieu » (Genèse 1.1), tandis qu’avec les humanistes, modernes ou postmodernes, on a toujours : « Au commencement, je ».
4Hugh McLeod, Secularisation in Western Europe, 1848-1914, London, Macmillan Press, 2000.
5Henri Mendras (sociologue et historien), La Seconde Révolution Française, 1965-1984, Paris, Gallimard-Jeunesse, 1994.
6Hugh McLeod, The religious crisis of the 1960s, Oxford, Oxford University Press, 1967, publié en paperback en 2010, p. 1.
7 Grâce à Dieu, ce constat ne concerne pas de nombreuses églises évangéliques.
8Ce terme est important : l’Église n’est plus l’ensemble des personnes converties, nées de nouveau, mais un espace qui offre des prestations répondant aux besoins d’un public potentiel.
9Jean Hassenforder , « Le courant de l’église émergente, un état d’esprit, un processus », 4 décembre 2004 sur le site de Témoins. URL : http://www.temoins.com/etudes/le-courant-de-leglise-emergente.-un-etat-desprit-un-processus.html (page consultée le 24 mai 11).
10En France, ce sont principalement les églises évangéliques qui sont concernées.
11En Amérique, le courant émergent préconise plutôt la multiplication de petites églises.
12« L’église émergente, ce n’est pas un modèle, mais un état d’esprit » (Michael Moynagh, Goodbye models, hello mindset, cité par Jean Hassenforder, cf. note 9). Voir aussi http://eglise-de-demain.hautetfort.com/archive/2010/08/25/dix-ans-d-eglise-emergente.html#more.
13« Mais me direz-vous, ce nouvel activisme théologique ne va-t-il pas générer des conflits nouveaux ? N’allons-nous pas assister à toutes sortes de schismes ? Oui, c’est très possible. Mais peut-être pas ! » (Brian McLaren, Réinventer l’Église, Valence, LLB France, 2006, p. 71).
14Jean Hassenforder, art. cité note 9.
15« À partir de la culture de sciences sociales présente à Témoins, un groupe de recherche a été créé en 1998, prenant l’appellation de “Chrétiens pour la recherche et l’innovation”. Depuis dix ans, cette recherche s’est développée sur un registre international ; elle vérifie, en particulier, l’hypothèse de la perte de pertinence de nombreuses pratiques d’église face à la mutation culturelle en cours. En regard, pour remédier au déphasage, des innovations apparaissent, porteuses de fruits. Parmi ces innovations, Témoins porte une attention particulière au courant de l’église émergente. » (Site Internet Témoins, « Qui sommes-nous ? ». URL : http://www.temoins.com/presentation-de- temoins/temoins-qui-sommes-nous.html (page consultée le 24 mai 2011).
16Jean Hassenforder, « Le courant de l’Eglise émergente. Dix ans de recherches », site Témoins, 9 août 2010. URL : http://www.temoins.com/etudes/le-courant-de-l-eglise-emergente.-dix-ans-de-recherches.html (page consultée le 24 mai 2011).
17Le chrétien postmoderne « relativise son propre point de vue moderne » en comprenant que « tout ce qu’il croit à propos de la Bible et du christianisme est seulement relatif et incertain ». « La Bible ne devrait pas constituer notre unique autorité mais seulement une parmi d’autres, comme la tradition, la raison, des personnes exemplaires, des institutions qui ont gagné notre confiance, et l’expérience spirituelle »; « La Bible n’est pas l’infaillible Parole de Dieu et aucune doctrine ou théologie n’est absolue, aussi devons-nous aborder la Bible de façon moins rigoureuse » (Brian MacLaren, A New Kind of Christian, Jossey-Bass, 2001, p. 35, 54s).
18« La théologie couvre toute la gamme depuis l’orthodoxie des temps anciens jusqu’au libéralisme hétérodoxe, construite à partir du refus postmoderne de la possibilité de connaître la vérité. » (Mark Driscoll, cité par David Brown dans son blog. URL: http://www.editionsfarel.com/blog_davidbrown/index.php?2008/02/15/2-differences-entre-une-eglise-evangelique-contemporaine-et-une-eglise- emergente (page consultée le 24 mai 11).
« La prédication de la croix est une folie pour ceux qui périssent. » (1 Cor 1.18)
19« Nous vous l’avons dit précédemment, et je le répète à cette heure : si quelqu’un vous annonce un évangile s’écartant de celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème ! » (Gal 1.9 ; lire 6-10)
20« Car je [Paul] n’ai pas eu la pensée de savoir parmi vous autre chose que Jésus-Christ ,et Jésus-Christ crucifié. » (1 Cor 2.2)
21« De certains pasteurs novateurs on entend dire que ce n’est pas le message qui change, c’est juste le support. C’est très à la mode. C’est loin d’être vrai à cette époque de transition et va s’avérer absolument faux quand nous aurons atteint “l’autre côté”. » (Brian McLaren , Réinventer l’Église, p. 70).

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Les réveils se font rares dans le protestantisme en Occident depuis trop longtemps… Est-ce que cela nous interpelle ? Que devrions-nous en penser ?

Un réveil est nécessaire après un état de sommeil ou de lassitude. Il se manifeste par une reprise d’activité plus ou moins vigoureuse. Une équipe jugée inerte au début d’une compétition peut finalement se réveiller et gagner !

Dans le domaine spirituel, le mot « réveil » concerne les individus ou les communautés. Sous l’influence de l’Esprit, une vitalité nouvelle se produit et l’inactivité, l’indifférence et le laxisme font place à un enthousiasme porteur de projets nouveaux. Pendant les périodes de sommeil, rien ne se passe ; avec le réveil, c’est-à-dire avec la conscience vive de la présence de Dieu, le désir et la vision d’accomplir de grandes choses en son nom surgissent et stimulent l’esprit d’initiative.

Les églises constituées de personnes spirituellement mortes ne connaissent pas de vrai réveil spirituel, car il n’y a en elles aucune vie à réveiller. Elles ont simplement besoin d’une vie nouvelle. Dans un réveil, la vie, présente mais inerte, s’embrase soudainement et se concrétise par un témoignage rayonnant. Le réveil touche d’abord la vie intérieure d’une communauté croyante et peut s’étendre, par la suite, à la conversion de personnes périphériques ou à des non-croyants. C’est uniquement par le renouveau des individus et le grand nombre de ceux-ci que le réveil peut arriver à atteindre la vie d’une société, comme cela s’est produit au xviiie siècle, dans l’Europe protestante et en Amérique du Nord.

L’anti-routine

Il y a donc réveil lorsque le Saint-Esprit accomplit une œuvre extraordinaire parmi les croyants. Illuminés par la grandeur de Dieu, par sa patience et sa grâce, convaincus, comme au premier jour, de sa vérité et touchés au plus profond d’eux-mêmes par son amour, les fidèles accomplissent un service et rendent un témoignage en plein essor, lesquels rompent avec la vie ordinaire de l’Église… Le réveil, c’est l’anti-routine de l’institution ecclésiastique, c’est ce qui interrompt son ronron.

Dire d’une personne ou d’une église qu’elle a besoin d’être réveillée implique un jugement négatif sur un « vécu » présent par rapport à un idéal, à une expérience passée, ou à un modèle biblique (comme celui de la Pentecôte). Ce jugement négatif est, cependant, tempéré par la crainte des excès de zèle, voire des débordements difficiles à contrôler, qui ont parfois caractérisé les réveils du passé. Aussi la question est-elle posée : la notion de réveil est-elle biblique ? Selon les tempéraments ou les expériences personnelles, on hésitera à répondre nettement et on préférera le terme de « réforme » à celui de « réveil », comme si la Réforme n’avait pas été le plus grand réveil de l’histoire de l’Église !

Le peuple de Dieu, tout au long de l’A.T., a connu des renouveaux sous l’influence des prophètes et de leaders fidèles comme les juges. Un des textes les plus évocateurs à ce sujet est celui d’Ésaïe 63.15 à 64.11, qui rend compte des errements du peuple loin de Dieu et de sa patience. Il exprime aussi l’aspiration humaine que l’on trouve à l’origine de tout renouveau religieux :

« Ah ! Si tu déchirais les cieux et si tu descendais, les montagnes s’ébranleraient devant toi. » (És 63.19)

Le réveil biblique est lié à l’ardeur avec laquelle on l’attend. Dans le N.T., les églises de l’Apocalypse semblent avoir assez vite perdu le souffle de la Pentecôte (Apoc 2.3) et sont exhortées à retrouver leur premier état, c’est-à-dire une vie saine de l’église selon le modèle des Actes. Actes 3 décrit l’événement de la Pentecôte comme une grande conversion du peuple de Dieu et laisse supposer que des périodes de « rafraîchissement » analogues interviendront jusqu’au jour où Jésus reviendra. « Repentez-vous donc et convertissez-vous pour que vos péchés soient effacés, afin que des temps de rafraîchissement viennent de la part du Seigneur, et qu’il envoie celui qui vous a été destiné, Jésus-Christ que le ciel doit recevoir jusqu’aux temps du rétablissement de toute choses » (Act 3.19-21). Ce texte laisse entrevoir que, dans le futur et jusqu’à la fin des temps, des renouveaux se produiront, des moments où l’Évangile sera proclamé non seulement en paroles « mais avec puissance, avec l’Esprit-Saint et avec une pleine persuasion » (1 Thes 1.5) comme c’était le cas durant le ministère de l’apôtre.

Ces textes suggèrent qu’il y aura des moments où le peuple de Dieu vivra dans l’oubli et dans l’ignorance de la puissance de la vérité, qu’il y aura des temps où un retour à la prédication de la conversion sera nécessaire et où il faudra chercher à nouveau la présence du Seigneur. L’Église a connu des hauts et des bas, mais Dieu est intervenu pour la maintenir en vie. C’est à ces moments extraordinaires que sa vie est spirituellement renouvelée et qu’elle progresse dans son témoignage. Un champ a besoin d’une pluie régulière, mais un arrosage d’appoint favorise une récolte plus abondante. Les réveils sont le résultat de cette intervention de Dieu lorsqu’il inonde son peuple de bénédictions.

Attente et prière

Le réveil est la conséquence d’une attitude d’attente et de prière « par l’Esprit » c’est-à-dire une prière constante (Éph 6.18), en forme de lutte avec Dieu dans la nuit des incertitudes, comme celle de Jacob, afin de recevoir une bénédiction. Mais le surgissement du réveil ne dépend que de Dieu et de son intervention, qui est inattendue et parfois inespérée. Les endroits où les réveils se produisent, par l’ironie de Dieu, sont souvent des lieux sans prestige, inconnus. Non pas Notre-Dame de Paris, l’Abbaye de Westminster ou St-Pierre de Rome, mais Wittenberg, Cambuslang en Écosse, les vallées minières du Pays de Galles, Northampton dans la Nouvelle-Angleterre, les bourgades de la Drôme ou des Alpes, Séoul et des îles perdues en Indonésie.

Les réveils soulignent ainsi l’impuissance de l’homme seul, même s’il se pare des apparences magnifiques du formalisme religieux. S’il recherche Dieu, il peut s’attendre à de grandes choses. En conséquence, il est clair que les tentatives faites pour organiser et programmer des réveils depuis plus d’un siècle se sont fourvoyés. Entre le « réveil » et le « revivalisme » qui s’efforce d’organiser l’intervention divine par des campagnes et des statistiques, il existe une différence majeure. Le réveil est inattendu. L’homme ne peut ni le commencer ni l’arrêter : il est une manifestation de la puissance de l’Esprit. L’Église est incapable de provoquer un réveil, mais elle peut en favoriser la venue en remplissant deux conditions : l’attendre avec ardeur dans la prière et veiller à ce que l’enseignement qu’elle dispense et sa prédication honorent la croix du Christ. Cela se vérifie historiquement.

En tant que fidèles, il nous appartient donc de bien prendre la mesure de notre responsabilité individuelle et collective.

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Sur le thème controversé des églises dites « émergentes », l’ouvrage que nous présentons a été publié en 2005 dans sa forme originale1. Étant donné l’évolution actuelle de la mouvance émergente, et la radicalisation des points de vue de ses partisans les plus en vue (voir par exemple l’ouvrage de Brian McLaren A New Kind of Christianity: Ten Questions That Are Transforming the Faith, HarperOne, 2010), la pertinence des analyses et des avertissements de D.A. Carson se trouve confirmée. Les propos qui suivent ne sont qu’une brève incursion dans l’œuvre abondante et toujours bien documentée d’un auteur qui reste l’un des théologiens évangéliques éminents de notre temps.

D.A. Carson ne prétend pas décrire de manière exhaustive tout le mouvement émergent, dont les frontières sont changeantes et imprécises (p.7). Ce courant, né au début des années 1990 aux États-Unis, continue d’influencer de nombreux leaders chrétiens désemparés par notre civilisation « postmoderne » et soucieux de voir leurs églises rester en phase avec notre époque. Carson juge donc nécessaire d’aborder la question honnêtement. Parcourons quelques points importants de son ouvrage.

Portrait de l’Église émergente (p.9 et ss.)

Le terme « émergent » s’applique généralement à des églises qui ont en commun la préoccupation d’offrir un témoignage adapté à la mentalité postmoderne. Elles ont pour initiateurs des hommes qui très souvent avaient déjà pris leurs distances par rapport aux églises traditionnelles (évangéliques, fondamentalistes, conservatrices) jugées rétrogrades. Ces transformateurs de l’Église en sont venus à la conviction qu’il leur incombait d’ « émerger » de ce qu’ils ressentaient comme un ghetto doctrinal, ecclésial, social et économique. En conséquence, ils ont aussi voulu se démarquer des modèles de croissance de l’Église inspirés du marketing et du matérialisme (dans le style de la Communauté de Willow Creek ou des méga-églises des États-Unis où priment les idées de rendement et d’efficacité). Ils s’efforcent d’aborder les non-croyants en toute simplicité, sans masque. Au lieu d’apporter un Évangile bétonné dans les doctrines ou aligné sur les techniques du monde du spectacle, ils cherchent à communiquer leur foi de manière informelle, en partageant leurs expériences dans une relation d’amitié et de transparence. Ils justifient ainsi ce changement de perspective : le monde est devenu postmoderne, il ne comprend plus les catégories de la modernité héritées des Lumières. Une nouvelle approche s’impose, moins rationaliste, plus ouverte à la diversité, à la convivialité, à l’expérience subjective. Il faut renoncer à penser en termes de vérité unique et absolue, s’ouvrir aux échanges entre les multiples réalités individuelles.

Le culte « émergent » reflète cette nouvelle orientation : prédominance du relationnel et du sensoriel (cierges, encens, symboles visuels), porte ouverte au « mystère », reprise (surprenante) d’anciens rituels, témoignages et histoires partagées, prédications non didactiques, le tout dans un cadre aussi neutre et convivial que possible.

Les tenants du mouvement émergent font valoir que la Réforme a elle aussi dû rompre avec l’Église officielle de son époque pour revenir à la foi authentique. Carson fait remarquer que ce parallèle est fallacieux : les Réformés ont tout fait pour remettre à l’honneur le message biblique original parce que l’Église de leur temps le bafouait ; les partisans du mouvement émergent sont surtout motivés par le désir de rendre l’Évangile compatible avec les modes de fonctionnement de la culture ambiante.

Les Églises émergentes à l’écoute des signes des temps (p.55 et ss.)

La civilisation occidentale moderne, depuis la deuxième moitié du XXe siècle, doute de son identité, de ses propres valeurs, quand elle ne les renie pas. Diverses crises l’ont amenée à chercher de nouveaux paradigmes, une nouvelle moralité ; ses attentes l’entraînent vers des formes de spiritualité plus « exotiques », vers une sensibilité affranchie de la rigueur intellectuelle, sans parler d’autres mutations.

Selon les chrétiens émergents, à moins d’une adaptation rapide à la nouvelle donne, l’Église va perdre toute influence. L’Église serait bien avisée de prendre en compte la dimension multiculturelle de notre monde globalisé ; l’exemple de l’apôtre Paul se faisant tout à tous, et adaptant sa manière de prêcher à la culture de ses interlocuteurs doit nous inspirer dans ce sens. Prenons conscience des limites que notre culture « cartésienne » a introduites dans notre compréhension de la Parole, et cherchons à les dépasser.

Certains penseurs émergents (M. Yaconelli, G. Tomlin par ex.) estiment que des églises qui se contentent d’une vie communautaire formelle, sans joie ni piété véritables, sans relation vivante avec Dieu, sans communion profonde entre « frères » chrétiens, n’ont aucun avenir. Carson les approuve jusque là. Mais il ajoute qu’il n’est pas nécessaire de se faire « émergent » pour connaître une vie d’église dynamique, saine, biblique et convaincante (p. 68, 69).

La culture moderne vue par les églises émergentes (p.71 et ss.)

En faisant remonter les tares de la société moderne2 à l’influence des Lumières et du rationalisme, beaucoup de penseurs émergents rendent suspect ce qui, dans notre mode de vie actuel, est tributaire de la science, de la technique, de l’économie etc., c’est-à-dire de tous les domaines fondés sur un recours prioritaire à la raison. Or, selon eux, la théologie et le témoignage des chrétiens ont aussi été compromis par cet hyper-intellectualisme. D’où une dénonciation de la tendance des églises évangéliques classiques à l’absolutisme, à la rigidité doctrinale, au formalisme. Le salut de l’Église actuelle passerait donc par une déconstruction3, par une redéfinition des termes et des doctrines bibliques.

De manière perspicace, Carson démontre que le diagnostic émergent est réducteur : le monde occidental, depuis le XVIIIe siècle, n’a de loin pas toujours privilégié le rationalisme pur et dur. Les mouvements empirique, romantique, symboliste, ou existentialiste sont là pour le rappeler, tout comme les noms de D. Hume, E. Kant, F. Schleiermacher, S. Kierkergaard, F. Nietzsche, J-P. Sartre, J. Derrida, R. Rorty. Par ailleurs, la postmodernité a hérité de traits essentiels de la pensée moderne (dont le culte de l’homme autonome et libre4). De plus, les émergents sont dans l’erreur lorsqu’ils suggèrent que le mouvement évangélique des siècles précédents n’a fait que se conformer au courant absolutiste et rationaliste : les exemples de C. H. Spurgeon, de J. Wesley, de G. Whitefield, de F. Schaeffer suffiraient déjà à démontrer que des croyants évangéliques, tout en se réclamant d’une doctrine solidement appuyée sur la Parole, ont su vivre leur foi de manière fervente et authentique. Les évangéliques ont même constitué l’une des principales forces de résistance à la théologie rationaliste libérale, ennemie de tout surnaturel. Enfin, la « post-modernisation » de l’Évangile risque évidemment de le vider de sa substance, car les tendances lourdes de notre société pluraliste proscrivent tout credo clairement formulé, de portée universelle, et proclamant Jésus comme seul Sauveur, Seigneur et Médiateur entre Dieu et les hommes.

En bref, l’analyse des leaders émergents pèche par un usage excessif d’antithèses qui ne correspondent pas aux faits historiques. On ne peut opposer l’époque moderne (qui du reste commence avant les Lumières) aux temps postmodernes comme si l’on passait de la nuit au jour. Il y a eu des ombres et des lumières à toute époque, et le combat pour l’authenticité de la foi est un enjeu permanent. En recourant à des antithèses aussi radicales, les partisans de l’émergence démontrent un absolutisme et une intolérance au moins aussi virulents que les travers qu’ils dénoncent. Carson rappelle que les Lumières, qui ont emprunté certains de leurs idéaux au christianisme, ont laissé des traces positives (idéal démocratique, exigences de justice et d’équité sociale, conquêtes utiles de la science, etc.), mais il reconnaît volontiers que de mauvais fruits ont aussi germé de leur message, tant il est vrai que tout système de pensée qui s’affranchit de l’autorité de la Parole divine joue avec le feu.

La postmodernité vue par Carson et par les Églises émergentes (p.115 et ss.)

Carson reconnaît une part de vérité dans la critique adressée par la postmodernité aux excès du rationalisme. Le rêve de la Raison triomphante est une hérésie. Il faut voir en l’homme un être fini, incapable d’omniscience, souvent porté au mauvais usage de ses connaissances. L’Occidental fier de ses accomplissements se trompe en méprisant des cultures où la logique a moins de place (voir p.136-138). Cependant, notre finitude et nos égarements ne prouvent pas qu’il soit impossible de rien connaître de la réalité. Pour Carson, le relativisme moral, religieux et intellectuel du postmodernisme doit être considéré comme absurde, intenable. Ce ne sont ni la finitude de l’homme ni son péché qui doivent constituer notre horizon ultime, mais bien la souveraine sagesse et volonté de Dieu, qui veut sauver l’homme (cf. p. 138-167).

Certains auteurs émergents se fendent parfois d’une critique virulente des thèses postmodernes radicales (voir p. 169-212), comme s’ils s’évertuaient à conserver un minimum d’acquis de deux mille ans de christianisme. Ainsi se réfèrent-ils à la Tradition (sans que l’on sache exactement ce qu’ils souhaitent en garder). Ils se disent conscients des excès de l’antirationalisme. Ils prisent particulièrement certaines tranches de l’Écriture (les récits, les paraboles, les Évangiles par exemple). En pratique, ils trahissent pourtant le message de celle-ci, et gomment le témoignage de la plupart des vrais croyants des siècles passés. En voici quelques raisons :

–  les penseurs émergents accordent une place excessive à l’expérientiel, aux images subjectives, au « mystère », au détriment d’un enseignement biblique objectivement et clairement dispensé ;

en cherchant à reformuler l’Évangile en des termes qui ne fassent aucune concession au rationalisme moderne, ils se privent souvent d’une lecture simple, naturelle et constructive de la vérité révélée ;

en évitant les références à la Vérité absolue, en refusant tout prosélytisme, en se cachant que les religions non bibliques mènent à l’idolâtrie, ils noient l’enseignement biblique dans le relativisme ;

en opposant la doctrine biblique à la vie, à l’authenticité, à la liberté, aux relations humaines franches et chaleureuses, ils se coupent de la véritable source de la foi et de la meilleure motivation à entrer dans des rapports humains selon le projet de Dieu ;

en s’insurgeant contre l’exclusivisme du christianisme traditionnel, il font preuve à leur tour d’un exclusivisme farouche et intolérant à l’égard de ceux qui ne les suivent pas.

Carson termine par deux exemples qui illustrent ses critiques du mouvement émergent : le livre de Brian McLaren : A Generous Orthodoxy, et celui de Steve Chalke et Alan Mann : The Lost Message of Jesus (p.213-254). L’auteur montre à l’évidence que ces ouvrages adulés au sein de la mouvance émergente passent à côté de doctrines capitales de l’Écriture, les détournent de leur sens évident, ou même en parlent d’une manière blasphématoire. L’éthique biblique est aussi mise à mal, la pratique homosexuelle étant quasiment légitimée.

Last but not least

Fort à propos, le livre se termine par deux chapitres (p.255-318) qui apportent un riche enseignement biblique sur la question des fondements de la foi, sur la vérité et l’expérience, sur les sources de la vraie connaissance, et sur le problème du pluralisme. Au lecteur d’y puiser pour se convaincre que l’évaluation de Carson est honnêtement soutenue par la Révélation.

Recension : Claude-Alain Pfenniger

1 Becoming conversant with the Emerging Church, Zondervan, Grand Rapids, Michigan 49530, 2005. La traduction française est basée sur l’œuvre originale anglaise (Éditions Impact, Publications Chrétiennes Inc., 230, rue Lupien, Trois-Rivières (Québec) G8T 6W4, Canada, 2008).
2Au nombre de celles-ci, selon Brian McLaren : l’esclavage, le colonialisme, l’impérialisme, le communisme, le nazisme (cf. p.91).
3La déconstruction (le terme est du philosophe allemand M. Heidegger, 1889-1976) est généralement associée à certains philosophes français en vogue dans les années 1960 : M. Foucault, P. Bourdieu, J. Derrida, J. Lacan. Ceux-ci sont connus pour leurs grandes remises en question de la métaphysique, du rationalisme et de l’humanisme classiques, et leur horreur de toute vérité absolue, donc de Dieu. Il est curieux de constater que les penseurs émergents reprennent plusieurs concepts de cette école (voir p. 133 et les pages plus techniques que Carson consacre à l’épistémologie émergente et au perspectivisme), tout en se défendant d’adopter leurs conclusions athées.
4Ce qu’avançait G. Lipovetsky il y a presque 30 ans reste d’actualité : la seule valeur qui demeure est « l’individu et son droit toujours plus proclamé de s’accomplir à part ». (in L’Ère du vide, Gallimard, 1983)

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