PROMESSES

Une étude du texte de 1 Corinthiens 15.1-19

Différentes conceptions de l’Évangile

Plusieurs ont fait observer que dans le monde occidental, l’Église passe par une phase de fragmentation notoire. Cette division touche jusqu’à notre compréhension de l’Évangile.

a. Certains chrétiens estiment que l’Évangile est un ensemble étriqué d’enseignements concernant Jésus, sa mort et sa résurrection ; ceux qui y croient entrent dans le royaume. Ensuite, débutent pour eux la formation du disciple et le processus de transformation personnelle. Mais, pour les adeptes de cette conception de l’Évangile, ces deux œuvres n’en font pas intégralement partie. Une telle compréhension de l’Évangile est très éloignée de celle du N.T. : l’Évangile, en réalité, couvre un champ très large ; il prend le chrétien dans son passé de perdition et de séparation de Dieu, le conduit par le chemin de la conversion et de la vie de disciple jusqu’à la consommation finale, le corps de résurrection, les nouveaux cieux et la nouvelle terre. Plus généralement, l’Évangile est la bonne nouvelle à propos de ce que Dieu a fait, d’abord en Christ, et avant tout dans la mort, la résurrection, l’ascension et la session de Christ et tout ce qui découle de ce sacrifice et de cette glorification. C’est pourquoi nous le prêchons et le proclamons : c’est ce qu’il faut faire avec une bonne nouvelle !

b. Pour d’autres, l’Évangile se résume aux deux premiers commandements : aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa pensée et de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même. Ces commandements sont tellement centraux que, pour Jésus lui-même, la loi et les prophètes en dépendent (Mat 22.34-40). Mais, nous affirmons avec force, que l’Évangile ne saurait se réduire à ces deux commandements.

c. Un troisième courant de pensée assimile l’Évangile à l’enseignement éthique de Jésus contenu dans les Évangiles, en le séparant des récits de la mort et de la résurrection de Jésus. Cette approche se fonde sur deux erreurs. Premièrement, on ne peut correctement comprendre l’enseignement de Jésus, si on ne discerne pas comment il converge vers sa mort et sa résurrection. C’est l’ensemble (enseignements, mort et résurrection) qui forme l’Évangile unique de Jésus-Christ auquel les Évangiles canoniques rendent témoignage. La seconde erreur de ce courant de pensée éthique est de diriger l’attention vers l’enseignement de Jésus tout en repoussant la croix à la périphérie, réduisant la glorieuse Bonne Nouvelle à une simple religion, la joie du pardon à un simple conformisme éthique, les motivations les plus nobles d’obéissance à un simple devoir. Le résultat de cette conception est désastreux.

d. Mais la tendance la plus courante de nos jours est peut-être d’accepter l’Évangile, tout en déployant beaucoup d’énergie et de passion créatives pour développer d’autres thèmes : le mariage, le bonheur, la prospérité, l’évangélisation, les pauvres, la lutte contre l’islam, la lutte contre la sécularisation galopante, la bioéthique, les dangers à gauche, les dangers à droite… – la liste est infinie. C’est ignorer que nos auditeurs sont inévitablement attirés par ce qui nous passionne le plus. Il est peu probable que mes étudiants apprennent tout ce que je leur enseigne ; ils sont naturellement plus enclins à apprendre ce qui m’enthousiasme le plus. Si nous acceptons l’Évangile sans conviction, alors que des sujets périphériques enflamment notre passion, nous formerons une génération qui minimisera l’Évangile et manifestera du zèle pour ce qui est périphérique. Il est facile de sembler prophétique en se positionnant en marge ; la nécessité urgente est d’être prophétique à partir du point central, l’Évangile. Et, si on réfléchit sérieusement à l’Évangile et si celui-ci reste au centre de notre préoccupation et de notre vie, nous constatons qu’il aborde aussi de façon pertinente toutes les autres questions.

L’Évangile condensé en huit mots

À partir de 1 Corinthiens 15.1-19, je vais m’efforcer de résumer l’Évangile par huit mots. Paul, dans ces versets, veut s’entretenir de « l’Évangile » : « Je vous rappelle, frères, l’Évangile que je vous ai annoncé […] par lequel [l’Évangile] aussi vous êtes sauvés, si vous le retenez dans les termes où je vous l’ai annoncé » (v. 2). Ce que Paul avait annoncé passait « avant tout » ou était « de première importance » (v. 3, Semeur). C’est une façon efficace d’attirer l’attention de ses lecteurs, car ce qu’il va dire au sujet de l’Évangile en occupe la partie centrale.

1. L’Évangile est christologique

Le premier mot du résumé de Paul est « Christ » : « Je vous ai transmis, avant tout, ce que j’avais aussi reçu : Christ est mort pour nos péchés. » L’Évangile n’est pas du théisme insipide, et encore moins du panthéisme impersonnel ; il est irrémédiablement centré sur Christ. L’ensemble du N.T. et particulièrement les livres les plus importants, soulignent cette vérité : il est Christ, Emmanuel, Dieu avec nous, le roi davidique qui instaure le royaume de Dieu (Matthieu). Lui seul est le chemin, la vérité et la vie (Jean). Il n’existe aucun autre nom que Jésus pour être sauvés (Actes). Jésus est celui qui, selon le bon vouloir de Dieu, apaise la colère divine et réconcilie Juifs et non-Juifs avec son Père céleste, et, par la même occasion, les uns avec les autres (Romains, Galates, Éphésiens). Il est à la fois l’agneau et le lion, seul habilité à faire ainsi aboutir les desseins divins de jugement et de bénédiction (Apocalypse). John Stott a raison : « L’Évangile n’est pas prêché si Christ ne l’est pas. »

Cette position christologique ne se focalise pas seulement sur la personne de Christ ; elle englobe avec le même élan sa mort et sa résurrection. Dans ce que Paul considère comme de première importance, il y a le fait que « Christ est mort pour nos péchés » (15.3). Un peu plus tôt dans cette même lettre, Paul ne dit pas à ses lecteurs : « Je n’ai pas jugé bon de savoir autre chose parmi vous, sinon Jésus-Christ », mais : « Je n’ai pas jugé bon de savoir autre chose parmi vous, sinon Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié » (1 Cor 2.2). De plus, au chapitre 15, Paul lie la mort de Jésus à sa résurrection.

En d’autres termes, il ne suffit pas de monter en épingle la fête de Noël et d’atténuer Vendredi Saint et Pâques. En déclarant que l’Évangile est christologique comme un fait d’importance primordiale, il est clair que nous ne considérons pas Christ comme un homme quelconque, ni même comme le Dieu-homme qui vient nous aider, une sorte d’agent d’assurance – un « très brave Dieu-homme » qui, quand on fait des erreurs, vient réparer. L’Évangile est christologique dans un sens beaucoup plus fort : Jésus est le Messie promis qui est mort et ressuscité.

2. L’Évangile est théologique

C’est une façon raccourcie d’affirmer deux choses :

a. Comme 1 Corinthiens 15 le répète constamment, Dieu a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts (v. 15). D’une façon plus générale, le N.T. insiste sur le fait que Dieu a envoyé son Fils dans le monde, et que le Fils a obéi en allant jusqu’à la croix, parce que c’était la volonté de son Père. Il est vain de vouloir opposer la mission du Fils au dessein souverain du Père. Si l’Évangile est foncièrement christologique, il n’en est pas moins foncièrement théologique.

b. Le texte ne dit pas simplement que Christ est mort et qu’il est ressuscité ; il précise que c’est « pour nos péchés ». La croix et la résurrection sont des événements et historiques et théologiques.

Nous ne pouvons saisir la force de cette affirmation que si nous nous rappelons comment le péché et la mort sont liés à Dieu dans l’Écriture. Ces derniers temps, il est courant de résumer l’histoire biblique ainsi : « Depuis la chute, Dieu s’efforce d’inverser les effets du péché. Il prend des mesures pour en limiter les dégâts ; il appelle une nouvelle nation, les Israélites, pour communiquer son enseignement et sa grâce aux autres peuples ; il promet d’envoyer un jour le roi davidique annoncé pour triompher du péché et de la mort et de leurs misérables effets. C’est ce que Jésus accomplit : il vainc la mort, inaugure un royaume de justice et appelle ses disciples à vivre selon cette justice dans la perspective de l’aboutissement futur. » Une grande partie de cette présentation historique linéaire du salut est évidemment vraie. Mais elle est tellement réductrice qu’elle introduit une distorsion majeure. Elle fusionne la rébellion humaine, la colère de Dieu et tous les désastres qui leur sont liés en un seul bloc, celui de la dégradation de la vie humaine, mais en dépersonnalisant le courroux divin. Elle omet de dire que depuis le commencement, le péché est une offense contre Dieu. C’est le Seigneur qui, dès le début, prononce la sentence de mort (Gen 2–3). Ce n’est pas à proprement parler une surprise puisque Dieu est la source de toute vie ; si donc ceux qui portent son image lui crachent au visage, tiennent absolument à suivre leurs propres voies et devenir leurs propres idoles, ils se coupent de leur Créateur, de celui qui donne la vie. Que reste-t-il alors, sinon la mort ?

Par ailleurs, lorsque nous péchons sous quelque forme que ce soit, c’est invariablement Dieu que nous offensons le plus. L’expérience de David le prouve clairement : après avoir péché en séduisant Bath-Chéba et en faisant mourir son mari, le roi, profondément contrit, s’adresse à Dieu : « J’ai péché contre toi, contre toi seul, et j’ai fait le mal à tes yeux. » (Ps 51.6) D’un certain point de vue, c’est faux. Après tout, David a également péché contre Bath-Chéba. Il a terriblement fauté contre son mari. Il a péché contre l’officier en le corrompant, il a péché contre sa propre famille, contre le bébé dans le sein de Bath-Chéba, contre la nation dans son ensemble qui attendait que son roi agisse avec intégrité. En fait, il est difficile d’imaginer une seule personne contre laquelle David n’aurait pas péché ! Or le roi déclare : « J’ai péché contre toi seul. » Dans le sens le plus profond, c’est parfaitement vrai. Ce qui fait que le péché est péché, ce qui le rend si abject, ce qui lui confère son caractère si horriblement abominable, c’est qu’il est dirigé contre Dieu. Chaque fois que nous péchons, c’est Dieu qui est le plus offensé. C’est pourquoi nous devons implorer son pardon, sinon que nous reste-t-il ?

Le Dieu que la Bible décrit comme décidé à intervenir et à sauver est aussi le Dieu présenté comme rempli de colère à cause de notre idolâtrie persistante. Il intervient autant en tant que Sauveur qu’en tant que Juge au-dessus de nous, un Juge offensé animé d’une terrible jalousie. Seule la grâce de Dieu nous sauve à la fois des péchés et de leur conséquence autrement inévitable, à savoir la colère à venir (Mat 7.23 ; Act 17.31 ; 24.25 ; Rom 1.18 ; 1 Thes 1.10).

Le lien entre les thèmes – Dieu, péché, colère, mort, jugement – est ce qui rend les paroles simples de 1 Corinthiens 15.3 si profondément théologiques : c’est un thème « de première importance » que « Jésus est mort pour nos péchés » (cf. Rom 4.25 ; Gal 1.4 ; 1 Pi 3.18).

Comme le dit Paul ici, par cet Évangile « vous êtes sauvés » (v. 2). Être sauvé des péchés, ce n’est pas seulement être délivré de leur pouvoir asservissant, mais également de leurs conséquences, lesquelles sont intimement liées à la sentence solennelle de Dieu, à sa sainte colère.

3. L’Évangile est biblique

« Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures ; il a été enseveli, il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures. » (1 Cor 15.3-4) Paul ne dit pas à quels textes précis de l’Écriture il fait référence. Peut-être pensait-il à des textes comme le Psaume 16 et Ésaïe 53, que Pierre a utilisés le jour de la Pentecôte, ou au Psaume 2 que lui-même cite à Antioche de Pisidie. Plus haut, Paul dit que « Christ, notre Pâque, a été immolé » (1 Cor 5.7). L’auteur de la lettre aux Hébreux soulignera élégamment comment certains éléments des Écritures de l’A.T., passés au crible de l’histoire du salut, annoncent l’obsolescence de l’Ancienne Alliance et son remplacement par la nouvelle avec son meilleur tabernacle, son meilleur sacerdoce et son meilleur sacrifice.

L’apôtre ancre ainsi l’Évangile dans les Écritures, ce que, bien entendu, nous appelons l’A.T., et dans le témoignage des apôtres, notre N.T.

4. L’Évangile est apostolique

Certes, Paul insiste avec bonheur sur le fait qu’il y avait plus de cinq cents témoins oculaires de la résurrection du Seigneur Jésus. Néanmoins, il attire plusieurs fois l’attention sur les autres apôtres : Jésus « a été vu par Céphas, puis par les douze » (v. 5) ; « ensuite, il a été vu par Jacques, puis par tous les apôtres… il s’est fait voir à moi… le moindre des apôtres » (v. 7-9). Notez bien ensuite la séquence des pronoms personnels au verset 11 : « Ainsi donc, que ce soit moi, que ce soient eux, voilà ce que nous prêchons, et c’est ce que vous avez cru. » La succession des pronoms (moi, eux, nous, vous) devient un puissant moyen de relier le témoignage et l’enseignement des apôtres à la foi de tous les chrétiens des siècles suivants.

5. L’Évangile est historique

a. 1 Corinthiens 15 mentionne l’ensevelissement et la résurrection de Jésus. L’ensevelissement atteste la mort de Jésus puisque (normalement !) nous n’enterrons que les morts ; et les apparitions témoignent de sa résurrection. Sa mort et sa résurrection sont liées historiquement. Celui qui a été crucifié est aussi celui qui est ressuscité ; son corps qui sortit du tombeau possédait les marques des plaies du corps qui y avait été déposé, comme Thomas voulut s’en assurer. La résurrection eut lieu le troisième jour, elle est datée par rapport au décès.

Toute approche, que ce soit en théologie ou dans l’évangélisation, qui tente d’opposer la mort de Jésus à sa résurrection est insensée. Il se peut qu’on ait occasionnellement besoin de souligner davantage l’une que l’autre pour combattre certaines idées fausses ou répondre à certains besoins particuliers, mais il est impossible de sacrifier l’une à l’autre, de séparer l’une de l’autre.

b. Notre accès aux événements de la mort, de l’ensevelissement et de la résurrection de Jésus est le même que pour tout autre événement historique : par le témoignage et les écrits de tous ceux qui étaient présents. C’est pourquoi Paul énumère ces témoins, et indique que beaucoup d’entre eux étaient encore en vie au moment où il écrivait sa lettre ; on pouvait les consulter et s’assurer de la véracité et de la fiabilité des propos de l’apôtre. Par la grâce de Dieu, la Bible est, entre autres choses, un compte-rendu écrit de ces premiers témoins.

c. Contrairement aux autres religions, les affirmations chrétiennes centrales sont irréductiblement historiques, contrairement au bouddhisme, à l’hindouisme et même à l’islam.

Jésus est la seule révélation possible de Dieu, entrée dans l’Histoire par l’incarnation (1 Jean 1.1-2). Pour l’apôtre Paul, nier la résurrection historique de Christ aurait des conséquences tragiques : « Si Christ n’est pas ressuscité, votre foi est vaine » (1 Cor 15.17). En d’autres termes, ce qui valide la foi est la véracité de son objet ; dans ce cas, c’est la résurrection de Jésus. Si Jésus n’est pas ressuscité, vous pouvez croire, mais votre foi n’en est pas moins vaine et vous êtes parmi « les plus malheureux de tous les hommes » (v. 19).

d. Dans la pensée moderne, le mot « historique » ne s’applique souvent qu’aux événements ayant des causes et des effets entièrement situés dans une séquence d’événements ordinaire, « naturelle ». La résurrection de Jésus n’est donc pas « historique », car cette définition du mot « historique » exclut le miraculeux, l’intervention spectaculaire de la puissance divine. Il vaut infiniment mieux considérer comme historique tout événement qui se produit dans le continuum espace-temps – qu’il résulte de causes ordinaires ou surnaturelles.

Dans ce sens, la résurrection est historique : elle se situe dans l’Histoire, même si elle a pour cause le pouvoir spectaculaire de Dieu qui a ressuscité l’homme Christ Jésus d’entre les morts et lui a donné un corps de résurrection qui présentait une authentique continuité avec celui qui fut déposé dans le tombeau. On pouvait voir, toucher, manipuler ce corps de résurrection ; Jésus, dans ce corps pouvait manger de la nourriture ordinaire. Toutefois, il pouvait également apparaître soudainement dans une pièce verrouillée, un corps que Paul a du mal à décrire, l’appelant finalement corps spirituel ou corps céleste (v. 35-44).

6. L’Évangile est personnel

La mort et la résurrection de Jésus ne sont pas seulement des événements historiques ; l’Évangile n’est pas simplement théologique au sens où il touche à un certain nombre de concepts théologiques. Il indique la voie du salut individuel et personnel. « Je vous rappelle, frères, l’Évangile que je vous ai annoncé, que vous avez reçu, dans lequel vous demeurez fermes, et par lequel aussi vous êtes sauvés » (1 Cor 15.1-2). Un Évangile historique qui ne serait ni personnel ni puissant serait une antiquité ; un Évangile théologique qui n’est pas reçu par la foi et ne transforme pas la vie est pure abstraction.

7. L’Évangile est universel

Dans la suite de 1 Corinthiens 15, Paul démontre que Christ est le nouvel Adam (v. 22, 47-50). La nouvelle humanité en lui comprend des gens de toute langue, de toute tribu, de tout peuple et de toute nation. Dans ce sens, l’Évangile est universel. Il ne l’est pas au sens où il transformerait et sauverait tout le monde sans exception, car ceux dont l’existence se rattache exclusivement au premier Adam ne sont pas inclus dans le second Adam. Mais, cet Évangile est merveilleusement universel dans l’étendue de son appel. Il ne comporte aucune trace de racisme.

8. L’Évangile est eschatologique

Certains des bienfaits que les chrétiens reçoivent aujourd’hui sont des bénédictions essentiellement eschatologiques, qui appartiennent à la fin, même si elles anticipent ce temps et sont déjà nôtres. Dieu déclare déjà maintenant justifié le peuple qu’il a acquis par le sang de son Fils et régénéré par son Esprit : le verdict final de la fin des temps a déjà été prononcé sur le peuple de Christ en raison de ce que Jésus a accompli.

L’Évangile est aussi eschatologique dans un autre sens. Il ne suffit pas de se contenter des bénédictions dont les chrétiens bénéficient dans le temps présent : il y en a bien davantage à venir ! Paul l’évoque à la fin du chapitre (v. 50-54) : l’Évangile nous prépare pour les nouveaux cieux et la nouvelle terre dans un corps de résurrection.

Cinq propositions simples

1. Cet Évangile est normalement diffusé par la proclamation

Cet Évangile, répète Paul, je vous l’ai « annoncé » (15.1,2), « prêché » (15.11). Examinez chaque référence au mot « Évangile » et vous verrez combien de fois cette bonne nouvelle de Jésus-Christ a été répandue par la proclamation, par la prédication (cf. 1.21). La bonne nouvelle doit être annoncée, proclamée, expliquée ; Dieu lui-même visite et revisite les êtres humains par sa Parole.

2. Cet Évangile se reçoit efficacement par une foi authentique et persévérante

Paul écrit : « Voilà ce que nous prêchons, et c’est ce que vous avez cru » (15.11). Au début de ce chapitre, il dit aux Corinthiens : « Je vous rappelle, frères, l’Évangile… par lequel aussi vous êtes sauvés, si vous le retenez dans les termes où je vous l’ai annoncé ; autrement, vous auriez cru en vain » (v. 1-2). Autrement dit, il fallait que leur foi dans la parole que Paul prêchait soit de nature persévérante (voir aussi Col 1.22-23).

3. Cet Évangile se dévoile à celui qui s’humilie

Lorsqu’il est bien compris et reçu dans une foi persévérante, les gens y répondent comme l’apôtre l’a fait. Le Christ ressuscité lui est apparu à lui en dernier (15.8). Mais loin d’être une source d’orgueil, la dernière apparition du ressuscité fait naître chez Paul le sentiment de son indignité : « Car je suis, moi, le moindre des apôtres, je ne mérite pas d’être appelé apôtre, parce que j’ai persécuté l’Église de Dieu. Par la grâce de Dieu je suis ce que je suis » (15.9-10). Même si, à la suite de sa conversion, Paul peut affirmer avoir travaillé plus dur que les autres apôtres, il ajoute que cela ne fut possible que parce que la grâce de Dieu agissait avec lui.

Humilité, gratitude, dépendance de Christ, contrition, telles sont les attitudes caractéristiques de celui qui s’est vraiment converti, la matrice dans laquelle les chrétiens font l’expérience de la joie et de l’amour. Lorsque l’Évangile fait son œuvre, l’expression « chrétien orgueilleux » est une contradiction dans les termes ; elle est impensable car l’Évangile ne se fait vraiment connaître qu’à celui qui s’humilie personnellement.

4. Cet Évangile se présente comme la confession centrale de toute l’Église

Paul rappelle plusieurs fois à ses destinataires que l’église de Corinthe n’est pas la seule église ; bien d’autres églises partagent les mêmes doctrines et les mêmes pratiques si bien que l’indépendance des Corinthiens, loin d’être une vertu, prouve tout simplement qu’ils sont sur une mauvaise voie (cf. 4.17 ; 7.17 ; 11.16 ; 14.34). Même si l’on ne trouve pas de formule explicite semblable en 1 Corinthiens 15, l’apôtre fait fréquemment allusion à ce qu’il prêche partout, et non seulement à Corinthe. Les tournures neutres, « si l’on prêche » (v. 12), donnent l’impression qu’il s’agit du contenu habituel, non d’une prédication propre à l’église de Corinthe.

Certes, ce que « toute l’Église » ou « toutes les églises » font n’est pas forcément juste. Interrogez Athanase ou Luther. Il faut tout passer au crible de l’Écriture. De plus, il faut malheureusement reconnaître qu’une sorte de traditionalisme se perpétue dans l’Église ; elle préserve la forme au détriment de l’authenticité et de la puissance. Il ne semble cependant pas que ce fut le cas à Corinthe. Corinthe se pose en église qui prône des innovations continuelles qui, parfois, vont à l’encontre des pratiques et des doctrines d’autres églises en mettant tranquillement de côté les instructions de l’apôtre. Méfions-nous des églises qui se vantent d’être différentes de celles qui les ont précédées.

5. Cet Évangile progresse hardiment sous le règne contesté et la victoire inévitable de Jésus le roi

De ce côté-ci de la mort et de la résurrection de Jésus, celui-ci est l’agent exclusif de la souveraineté de Dieu : tout pouvoir lui a été donné (Mat 28.20) ; il a reçu « le nom qui est au-dessus de tout nom » (Phil 2. 9-11). Ici, Christ doit régner « jusqu’à ce qu’il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds » (15.25). Cela présuppose que son règne est contesté, mais qu’il progresse, au fur et à mesure que Jésus bâtit son Église par l’Évangile (Mat 16.18). Un jour, le dernier ennemi, la mort, sera anéanti, et le règne provisoire de Christ prendra fin. Dieu sera tout en tous (15.28).

Il est temps de faire le point…

Ce résumé de l’Évangile – huit mots pour le définir et cinq propositions pour le clarifier, tous pris dans un seul chapitre du N.T. – débouche sur un résultat surprenant : la nature cognitive de l’Évangile qu’il faut comprendre, croire et à quoi il faut obéir.

Mais cet Évangile ne reste jamais une simple question de connaissances et de savoir, comme le démontre toute cette Épître. Un christianisme qui ne produit pas des croyants patients et bons, mais des gens particulièrement jaloux, fiers et vantards, impitoyables, qui se mettent facilement en colère et gardent le souvenir des torts subis, n’est pas un christianisme du tout. Paul a jugé nécessaire de souligner les effets de l’Évangile dans tous les domaines de la vie des Corinthiens (cf. le reste de cette Épître). Faisons de même aujourd’hui.

Où est l’épanouissement humain qui jaillit de l’Évangile de la grâce ? Où sont ces porteurs de l’image divine, heureux d’être justifiés devant Dieu sur la base de ce que Christ a accompli, puissamment régénérés pour répondre par la foi, l’obéissance, la joie et la gratitude ? Les conventions et les attentes du monde sont subtiles et asservissantes. Il faut que l’Évangile se traduise dans la vie des croyants et soit mis en évidence dans la vie de l’Église pour entraîner leur affranchissement des chaînes de l’idolâtrie, trop subtile pour être nommée et trop enivrante pour s’en défaire, en dehors du message puissant de la croix. Prêchons, enseignons et traduisons dans nos églises le glorieux Évangile de notre précieux Rédempteur.

« Ainsi, mes frères bien-aimés, soyez fermes, inébranlables, progressez toujours dans l’œuvre du Seigneur, sachant que votre travail n’est pas vain dans le Seigneur. » (15.58)

Écrit par


LA MISSION DE L’ÉGLISE

Au cours des dernières décennies, au sein de la chrétienté, certains ont beaucoup insisté sur la mission de l’Église, au point de dire : « l’Église, c’est la mission », ou « l’être-même de l’Église consiste en sa mission ». Cette thèse, bien que sympathique au premier abord comme elle met l’accent sur l’ordre missionnaire, est cependant fortement critiquée en raison de cette façon de confondre l’Église et la mission. L’Église a une mission, et c’est un point d’importance primordiale, mais on ne peut pas dire que l’Église est la mission.

Le piège est que, si « l’Église est la mission », nous mettons l’accent sur la tâche que nous avons à accomplir. Nous oublions alors que c’est l’œuvre de Dieu en notre faveur qui compte premièrement. L’Église est le fruit de ce que nous n’avons pas fait, mais que Dieu a accompli en Jésus-Christ.

Il faut donc considérer l’Église comme le résultat de l’œuvre de Dieu, c’est-à-dire son peuple racheté. Et dire ensuite que ce « résultat » de l’œuvre de Dieu, que nous sommes, reçoit de lui un mandat, un ordre ou une mission à accomplir. Cette mission de l’Église est d’ailleurs une grâce supplémentaire, car, ainsi, Dieu nous associe à son œuvre. La première mission a été celle de Dieu : Dieu le Fils, puis Dieu le Saint-Esprit a été envoyé, et c’est ainsi que nous sommes devenus le peuple de Dieu. La mission de l’Église est seconde, lorsque Dieu nous accorde d’œuvrer à notre tour avec l’aide de son Esprit pour réaliser ses plans.

Lorsque nous parlons de « mission », nous entendons toute la tâche qui nous est confiée, sans forcément impliquer un déplacement local ou lointain, qui conduirait à traverser les mers. Chacun est « envoyé » là où il vit : au bureau, dans l’école qu’il fréquente.

On peut distinguer deux volets principaux de la mission de l’Église dans le monde. Ils sont bien résumés par les deux images que le Seigneur utilise dans les paroles du Sermon sur la Montagne (Mat 5.13-16) : « Vous êtes le sel de la terre » ; « Vous êtes la lumière du monde. »

1. Vous êtes le sel de la terre

Comment comprendre cette image ? Pour nous, le sel évoque sans doute essentiellement le condiment ajouté aux aliments et qui donne soif. Mais ce n’est sans doute pas ce rôle du sel qui est en cause dans la parole de Jésus. Que le sel donne soif n’est indiqué nulle part dans la Bible, et le rôle d’assaisonnement n’est en cause qu’une ou deux fois seulement. Le sel avait pour rôle principal la conservation des aliments pour éviter leur pourrissement.

« Vous êtes le sel de la terre » veut dire : « Vous êtes mêlés à la pâte de ce monde humain pour en freiner le processus de corruption. Vous êtes là pour que le monde ne grouille pas trop vite de tous les vers démoniaques qui corrompent la masse humaine, pour qu’il subsiste encore un reste de vie à peu près saine pendant le temps où le plan de Dieu se déroule. C’est vous qui, sur la terre, devez empêcher la progression du mal, et devez promouvoir le bien. » 

Les chrétiens sont dans la cité terrestre, dans la société qui elle-même n’est pas chrétienne, en mission en faveur du bien, comme continuant la guerre de Dieu contre le mal. En Jérémie 29, le prophète parle au nom de Dieu aux exilés de son peuple qui sont en Babylonie et dit au verset 7 : « Recherchez la paix de la ville où je vous ai exilés et intercédez pour elle auprès du Seigneur, car votre paix dépendra de la sienne. » Ce mot paix (shalom) suggère aussi la prospérité, la bonne santé. La situation des chrétiens, dans le monde aujourd’hui, est assez semblable. En effet, ce verset ne s’adresse pas à Israël dans son pays, avec un état spécialement construit par le Seigneur. Il est donné aux Judéens, membres du peuple de Dieu, au cœur d’une société païenne. Or, nous sommes le peuple de Dieu dans une société païenne, et le Seigneur nous dit : « Recherchez la paix, la prospérité de cette société même. » C’est le rôle de « sel de la terre ».

Une dualité avec ses deux pôles affecte cette mission quant à la cité où nous nous trouvons. Car nous sommes en relation avec nos prochains de deux façons : les relations courtes et les relations longues.

Nous sommes engagés dans des relations interpersonnelles, de prochain à prochain (relations courtes). C’est par exemple, le Samaritain qui, voyant l’homme qui gît au bord de la route, s’arrête, le prend en charge, panse ses plaies et le conduit à l’auberge. L’amour du prochain s’exprime là de manière immédiate. Cette relation courte au prochain, pour laquelle nous sommes appelés à faire les œuvres qui glorifieront notre Seigneur et être ainsi sel de la terre, se prolonge dans les œuvres caritatives qui expriment la charité pour le prochain.

Mais notre relation avec ce prochain se réalise aussi dans la vie de la société entière, dans le cadre de toutes les structures qui déterminent notre façon de vivre : ce sont les relations longues, indirectes à bien des égards. Elle s’exprimera, par exemple, en favorisant une politique anti-chômage, en votant une loi en faveur des exclus.

2. Vous êtes la lumière du monde

Jésus l’a d’abord dit de lui-même : « Je suis la lumière du monde » (Jean 8.12). Recevoir cette affirmation première est, pour nous, à la fois « sainement humiliant » et soulageant. Car entendre : « Vous êtes la lumière du monde » pourrait nous enorgueillir ou à l’inverse nous écraser. Jésus est la lumière du monde et nous le sommes en lui, par lui et dans la mesure où nous le présentons.

Il s’agit là du rôle de l’évangélisation qui échoit aux chrétiens dans le monde : « Faites de toutes les nations des disciples ». C’est la mission de l’Église, des chrétiens, de communiquer la Bonne Nouvelle : Jésus a porté nos péchés qui peuvent être maintenant effacés si nous nous tournons vers lui ; il a triomphé du péché et de la mort, il est vivant aux siècles des siècles, il nous communique sa vie. Communiquer cette nouvelle avec un effort de persuasion, et l’espoir que ceux qui l’entendront mettront en Jésus leur confiance pour être sauvés pour l’éternité : voilà ce qui fait la mission de « lumière du monde ».

Cette mission de l’Église est remplie, sous divers aspects et de manière plus ou moins explicite, lors de réunions ou de simples conversations de un à un. Bien que le ministère spécial d’évangéliste (avec ses dons spéciaux) ne soit pas donné à tous (attention au « matraquage » !), elle est la mission de tous les chrétiens. Nous devons tous être « comme des flambeaux dans le monde au milieu d’une génération perverse, portant la Parole de vie » (Phil 2.15s). Comment le serons-nous, dans les ténèbres de tous les mensonges de publicité et autres propagandes ? C’est en portant la Parole de Vie. Nous sommes les témoins du Seigneur, nous qui l’avons rencontré. Nous avons reçu la Bonne Nouvelle, nous pouvons donc en faire état auprès de ceux que Dieu met sur notre route.

3. Les rapports entre « sel » et « lumière » 

Il y a une distinction irréductible entre la responsabilité comme « sel » dans la cité terrestre et celle d’évangéliser comme « lumière du monde ». Cette distinction ne doit pas être effacée, ni les deux missions confondues.

La mission d’être « sel » correspond à l’œuvre de création de Dieu et à son maintien. Dieu a construit le grand bâtiment du monde et le maintient. Il assure que ses lois continuent d’opérer en dépit des souillures et des dégâts causés par le péché des hommes. Il fait en sorte que ce monde subsiste encore. La fonction de « sel de la terre » qu’il nous attribue s’insère dans cette œuvre. Le monde est certainement soumis à l’influence du Malin, mais il reste malgré tout la création de Dieu. La fonction de sel se rapporte donc à l’œuvre de création et à son prolongement.

La fonction de « lumière du monde », quant à elle, se rapporte à la rédemption. Elle concerne l’œuvre du salut, la nouvelle création. C’est une œuvre nouvelle que Dieu accomplit par rapport à la première création et à son maintien, et le témoignage que nous donnons est rendu à cette nouveauté que Dieu opère.

Nous réduisons la mission au seul « sel de la terre » lorsque ce qui nous importe est uniquement l’expression de l’amour du prochain, par un zèle actif, direct ou indirect. C’est la tendance du christianisme social. Réciproquement, nous ne pouvons pas nous contenter de vouloir être uniquement « lumière du monde », en disant que seul compte le salut éternel, et sans nous sentir responsables d’une cité livrée à Satan. La Parole de Dieu est claire : « Recherchez la paix, la prospérité de cette cité païenne. »

L’amour du prochain nous conduit à remplir la mission sur ces deux plans. Si nous réduisons notre service du prochain au soin de ses besoins physiques et temporels, nous le frustrons de ce qui compte suprêmement. Nous lui refusons la chance de l’éternité : ce n’est pas de l’amour ! Mais il n’est pas question non plus de tout réduire à l’évangélisation : à l’exemple du bon Samaritain, si l’on aime véritablement son prochain, si l’on n’est pas simplement en train de se déculpabiliser soi-même en se disant : « Il faut que je témoigne », on va aussi prendre soin de lui dans ses besoins immédiats, selon sa souffrance. On s’intéressera alors aussi aux questions indirectes.

Nous avons ainsi le modèle de la double citoyenneté. En tant que chrétiens nous sommes d’abord citoyens de la Jérusalem céleste, et comme une « colonie » de la Jérusalem céleste sur la terre (Gal 4). Mais nous restons aussi citoyens de la cité terrestre. L’apôtre Paul a bien montré que le fait d’être citoyen du ciel n’avait pas aboli sa citoyenneté romaine, avec ses droits et ses devoirs.

Les deux volets de la mission sont donc liés l’un à l’autre. Il ne faut pas séparer le rôle de « sel » du rôle de « lumière ». Lorsque nous jouons notre rôle de sel de la terre, nous accréditons le message du témoignage à Jésus-Christ. Nous contenter de parler, ne pas prendre nos responsabilités, ou afficher une indifférence totale à la vie de ceux qui nous entourent, c’est décrédibiliser le message que nous portons et donner une image de fanatique aux idées bizarres. C’est lorsque les œuvres des chrétiens attirent l’attention par leur qualité que ceux qui nous entourent peuvent s’intéresser au témoignage qui est rendu. Les deux volets sont inéluctablement liés.

Réciproquement, cette activité dans la cité terrestre qui nous est confiée n’a de sens que par rapport au projet rédempteur de Dieu. Dieu maintient encore le vieux monde parce qu’il est le théâtre et l’objet du travail de reconstruction salutaire qu’il accomplit. Notre action de sel de la terre serait complètement dilapidée si ce n’était pas dans la perspective de la rédemption, et du salut par Jésus-Christ du plus grand nombre possible.

Y a-t-il une prééminence entre ces deux volets ? Le sujet a été assez vivement débattu. Il a même abouti à des querelles. Le débat a particulièrement animé les évangéliques qui avaient mis l’accent sur la responsabilité du chrétien dans la cité, tout en maintenant la mission de témoignage et d’évangélisation. Nous pouvons considérer que la prééminence demeure à la mission d’évangéliser. L’éternité l’emporte sur le temps. C’est le sens de la mission même de Jésus-Christ sur la terre. La mission de l’Église dans le monde est de porter la parole de la vie éternelle, et qu’un grand nombre la reçoive. Il ne faut pas que cela conduise à éliminer les autres responsabilités, mais il y a quand même une hiérarchie.

4. De quelle manière accomplir cette double mission ?

Pour notre action en faveur du prochain et dans la cité terrestre, quel modèle suivre, quelles orientations choisir, qu’essayer d’obtenir ?

Dans les relations directes personnelles : ce sont l’honnêteté, la véracité, la compassion, l’assistance. C’est facile à comprendre, mais bien plus difficile à mettre en pratique, car cela contrarie notre égoïsme spontané !

Dans les relations indirectes, c’est plus difficile, car elles mettent en jeu les structures d’un monde perverti par le péché. Il s’agira donc, souvent, de moindre mal.

La bonne volonté et les bons sentiments ne suffisent pas. Nous ne pouvons nous contenter des apparences. Le Seigneur veut nous faire grandir en sagesse et en discernement. Nous devons donc les exercer : il faudrait, par exemple, des équipes de chrétiens évangéliques avec des compétences professionnelles, scientifiques sérieuses, qui dans une optique conforme à la Bible, traitent des questions délicates et difficiles comme la fiscalité, le chômage, etc.

Il y a un modèle très intéressant pour nous guider, mais qu’il faut malheureusement transposer : c’est le modèle de l’A.T. Lorsqu’il a donné sa loi à Moïse, notre Seigneur a donné une législation, des structures, des institutions à un peuple pécheur. L’A.T. le souligne très fortement : c’est un peuple « au cou raide », rétif, dont le cœur se détournait sans cesse vers le mal. Dieu lui a donné une constitution et une législation qui certainement étaient les meilleures dans sa situation de peuple pécheur et non de peuple idéal. Cela implique des compromis : Dieu a baissé la barre. Jésus l’a clairement affirmé à propos de la question du mariage et du divorce : l’idéal de Dieu, sa volonté pour l’homme, est la monogamie jusqu’à la mort. Au commencement, Dieu a défini le mariage par la formule : « Ils seront une seule chair », une seule entité qui ne doit pas être disjointe. Mais dans la loi de Moïse, à cause de la dureté du cœur des hommes dont Dieu tient compte lorsqu’il fait une loi, Dieu a permis le divorce. Le mal pouvait être pire à refuser tout divorce (ce qui serait idéal), à cause de la dureté du cœur. Cet exemple nous montre comment comprendre la législation de l’A.T. : elle n’est pas l’idéal de Dieu, mais un modèle pour une nation faite de pécheurs. Nous pouvons en tirer des leçons pour ce qui est souhaitable au plan de la législation, de la constitution, des institutions pour notre société pécheresse. La transposition est aussi nécessaire dans cet exemple, car cette nation terrestre avait été choisie comme le peuple de Dieu. Il y avait un régime spécial pour préparer la venue de Jésus-Christ, qui a ensuite été aboli. Actuellement, ce n’est plus une nation particulière qui est le peuple de Dieu, mais le peuple de Dieu est dispersé à travers toutes les nations.

5) Distinction entre les rôles individuels et le rôle de l’Église

Selon que les chrétiens soient dispersés dans les lieux de vie les plus divers, dans leurs professions, dans les institutions d’enseignement, ils ont une mission de sel de la terre. Il s’agit toujours de la mission de l’Église, mais l’Église comme disséminée dans le monde. Les chrétiens ont chacun leur mission propre, et il y a des vocations particulières. Certains sont appelés plus spécialement à un rôle très actif dans la cité.

Cependant, il ne faudrait pas séparer radicalement la mission des chrétiens dans le monde. Elle doit être portée et instruite par l’Église qui a la responsabilité de développer dans la communauté les perspectives bibliques qui aideront ensuite chaque chrétien, là où il doit vivre, là où il est envoyé, à discerner le rôle que le Seigneur lui confie et l’action qu’il peut entreprendre.

Il peut même arriver que dans des cas extrêmes, vraiment très rares, l’Église elle-même comme corps rassemblé doive prendre position : il y a des iniquités extrêmes pour lesquelles il est juste et bon que les Églises protestent (pour certaines formes de racisme évident, face au problème de l’avortement, etc.)

6. Les signes et prodiges

La question de l’accompagnement éventuel par les « signes et prodiges » mérite l’examen, à propos de la mission de « lumière du monde ». Certains chrétiens évangéliques estiment indispensable pour l’évangélisation qu’elle soit accompagnée de miracles, comme l’était la prédication des apôtres dans le livre des Actes ou le ministère de notre Seigneur Jésus lui-même, qui guérissait un très grand nombre de malades tout en prêchant la parole.

D’autres chrétiens évangéliques sont « cessationnistes » : les miracles ont cessé, car réservés au temps des apôtres pour prouver qu’ils étaient mandatés par le Seigneur. Cette thèse n’est pas convaincante. Le Seigneur a d’ailleurs accordé à notre Église, au fil de son histoire, un certain nombre de guérisons miraculeuses !

Cependant, l’Écriture suggère une liberté du Seigneur et une adaptation aux circonstances du nombre des signes et prodiges qu’il donne. Il est donc faux de dire que l’évangélisation doit être accompagnée de signes et de prodiges, et que ce serait une exigence biblique. C’est généralement dans les temps de « fondation » que Dieu permet qu’il s’en produise un grand nombre (on le voit dans l’A.T., mais aussi à certaines époques de l’histoire de l’Église : très souvent, au moment où l’Évangile s’implante dans une région nouvelle, Dieu accorde un grand nombre de signes et de miracles). Dans les moments de fondation, les signes et prodiges « accréditent » et « montrent » la Parole de Dieu ; ensuite, c’est à l’Église d’être le signe, en accréditant à son tour le message qu’elle apporte par la qualité de sa vie et de son activité.

Il ne faut donc pas se laisser fasciner par les signes et miracles. Jésus lui-même en a souffert : il a accompli des signes et des miracles pour montrer qu’il accomplissait les prophéties, mais en même temps, il frémissait en lui-même, affligé de ce que les gens voulaient des miracles. L’apôtre Paul, dans la 1re Épître aux Corinthiens, souligne que c’est le penchant des Juifs de chercher des miracles, et il oppose à ce penchant la puissance de la Parole.

7) La pluralité religieuse

De quelle manière affronter et rencontrer ce qui est devenu la situation courante autour de nous : la pluralité religieuse ? L’islam, le bouddhisme sont très présents en France. Beaucoup de nos contemporains réclament la tolérance, affirment que plusieurs chemins mènent à Dieu et que tous doivent être accueillis, que chacun voit Dieu comme il le pense : « Il n’y a pas de vérité absolue qui soit d’un côté ou de l’autre puisque toutes les religions sont bonnes et conduisent au Seigneur. » Que faire face à cette situation que nous rencontrons aujourd’hui ?

Ne pas lâcher ce qui est clair dans le N.T. : Jésus est le chemin. Il n’y a aucun autre nom par lequel les humains puissent être sauvés. « Nul ne vient au Père que par lui. » Nous sommes sensibles à la pression de l’opinion autour de nous, alors tenons bon et résistons en nous attachant à celui qui est la vérité !

Sachons que des nuances doivent être maintenues, et ne simplifions pas à l’excès. Rappelons-nous qu’il n’est pas nécessaire d’en savoir beaucoup sur Jésus pour pouvoir être sauvé par lui ; que les croyants de l’A.T. ont été sauvés par avance, par le moyen de Jésus-Christ, sans connaître beaucoup de lui. Dieu a sa manière de faire passer sa lumière par ses œuvres, par les expressions de sa grâce dans l’histoire humaine, mais aussi par des visions et révélations particulières qu’il peut donner. Ainsi, nous ne pouvons pas affirmer que les populations reculées qui n’ont pas été atteintes par des missionnaires sont perdues pour l’éternité, car Dieu a pu user de lumières pour les sauver par Jésus-Christ, sans qu’elles en sachent beaucoup.

Il nous faut prendre les gens là où ils sont pour cheminer avec eux : cela fait partie de la dimension d’amour du prochain qui doit demeurer première dans l’évangélisation. Il ne s’agit pas de leur asséner la vérité alors qu’ils ne sont pas encore prêts à l’entendre toute, ni de leur dire d’emblée qu’ils errent complètement et sont perdus. Mieux vaut mettre en lumière ce qui est unique dans le christianisme et que l’on ne trouve nulle part ailleurs : un salut qui est accompli, avant que nous fassions quoi que ce soit, qu’il faut simplement recevoir par le oui de la foi, dans la confiance.

8. Si le sel perd sa saveur…

Que signifie l’éventualité que le sel perde sa saveur et devienne fade ? C’est une manière de souligner la différence chrétienne. Il s’agit pour nous d’être mêlés à la pâte humaine, mais différents. Nous n’avons pas à nous retirer ou à nous retrancher dans notre « ghetto évangélique », ni dans un monastère quelconque. Il ne s’agit pas, avec de bons sentiments, de faire comme ceux qui paraissent (ou sont !) généreux. Il nous faut réfléchir en fonction de la pensée biblique pour agir avec efficacité. La tendance du christianisme-social a souvent correspondu à une perte de saveur du sel, mais la séparation qui ôte les chrétiens du monde (contrairement à la prière de Jésus en Jean 17) est aussi une démission, dé-mission.

Sachons, entre les pièges de gauche et de droite, que l’accomplissement de l’ensemble de la mission de l’Église dépend, non de nos efforts, qui sont à déployer, mais de la grâce de Dieu qui nous est promise et qui œuvrera avec nous.

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