PROMESSES
Il avait été si beau le règne de David, le roi selon le cœur de Dieu. Celui de Salomon, le bien-aimé de l’Éternel, avait été magnifique. Sa richesse, sa gloire, l’étendue de sa domination avaient été telles qu’il avait représenté celui du « Roi sur Sion » auquel Dieu donnera les nations pour héritage et pour sa possession, les bouts de la terre (cf. Ps 2)
Mais ce royaume avait perdu rapidement sa splendeur. Des forces idolâtres obscures l’avaient miné de l’intérieur. Salomon avait fini comme un bateau qui sombre, et son royaume avait été déchiré à l’image du manteau du prophète Akhija (1 Rois 11.30). Il y avait eu désormais deux royaumes : au nord, les dix tribus appelées Israël ; puis, au sud, Juda et Benjamin.
Le royaume du nord, privé de l’accès au temple de Jérusalem et gouverné par l’idolâtre Jéroboam, allait être entraîné en deux siècles et demi, sous le gouvernement de rois impies, par une suite de désordres, de guerres civiles, d’invasions étrangères vers une mort certaine. Elle est toute proche quand Ésaïe arrive ; il en sera l’annonciateur et le témoin douloureux.
Juda, petit royaume, tapi sur ses collines arides, autour de Jérusalem, avait connu un moins sombre parcours. Quelques rois pieux avaient été dignes de leur illustre ancêtre, le roi selon le cœur de Dieu. Leur piété avait momentanément endigué l’idolâtrie accrochée au cœur du peuple élu. Mais d’autres avaient compromis ce que leur prédécesseur avait fait. Aussi, quand le prophète Ésaïe arriva, Juda marchait vers son déclin.
Ésaïe était né durant le règne d’Ozias ; il prophétisa sous trois autres rois de Juda : Jotham, Achaz et Ézéchias.
Quels rapports eut donc Ésaïe avec ces quatre rois de Juda ?
Du long règne d’Ozias, Ésaïe n’a retenu que peu de choses. Sauf qu’il date comme un événement fondamental sa rencontre avec Dieu et son appel prophétique, en l’année de la mort de ce roi (6.1).
Il avait pu être impressionné par la sainteté de Dieu, châtiant de lèpre le vieux roi rebelle. Il l’est bien davantage devant le Seigneur sur son trône (ch. 6). Comme Moïse « au buisson », il apprend aussi la grâce qui purifie le pécheur. Dès lors, il est disponible pour Dieu : « Me voici, envoie-moi » et Dieu l’envoie vers ce peuple.
Ses contacts avec Jotham, Ésaïe ne les rapporte pas, si même il en eut.
Il note sommairement ceux qu’il eut avec Achaz (ch. 7). Ils reflètent la patience de Dieu envers ce roi impie.
Par contre, Ésaïe s’étend longuement sur ses rapports avec le pieux roi Ézéchias. Même si les scribes ont fait d’autres récits de sa vie dans le livre des Rois de Juda et celui des Chroniques, il la transcrit une troisième fois (ch. 36-39). Il aime relater la confiance en Dieu de ce roi (ch. 36). Il se souvient du jour où des envoyés du roi sont arrivés chez lui, « couverts de sacs » avec ce billet : « Ce jour est un jour d’angoisse » et son appel terminal : « Fais donc monter une prière pour le reste qui subsiste encore. » (37.4). C’est que l’Assyrie est déjà sous les murailles…
L’ombre du jugement qui descendait sur le cadran d’Achaz a reculé momentanément quand le prophète et le roi, unis dans la même détresse et la même foi, « crièrent au ciel » (2 Chr 32.20).
Si Ésaïe relate le récit de la grande délivrance de Dieu sur les Assyriens, comme aussi de la guérison du roi survenue la même année, il ne peut taire le récit peu glorieux de la visite de l’ambassade du roi de Babylone (ch. 39).
Quels rapports eut Ésaïe avec son peuple ?
Outre ses rapports avec ces quatre rois, Ésaïe pose d’emblée, tel un médecin, le diagnostic sévère sur l’état moral du peuple : « La tête entière est malade, et tout le cœur est souffrant. De la plante du pied jusqu’à la tête, rien n’est en bon état : ce ne sont que blessures, contusions et plaies vives, qui n’ont été ni pansées, ni bandées, ni adoucies par l’huile. » (1.5-6)
Il dénonce courageusement la rébellion, la violence, les iniquités, l’idolâtrie du peuple qui a abandonné Dieu : « Quoi donc ! la cité fidèle est devenue une prostituée ! Elle était remplie d’équité, la justice y habitait, et maintenant il y a des assassins ! » (1.21) ; « leur pays est rempli d’idoles… » (2.8) ; « comme Sodome, ils publient leur crime, sans dissimuler » (3.9) ; « toutes les bouches profèrent des infamies » (9.17)…
Par moment, les paroles du prophète deviennent terribles : « Malheur à leur âme car ils ont fait venir du mal sur eux-mêmes » (3.10, Darby) ; les « malheurs » se succèdent (ch. 5, 10, 17, 24, 28, 29…), et jusqu’au bout de sa prophétie.
Le prophète avertit que les jours du royaume du nord sont comptés (7.8) et que l’ennemi terrible est le roi d’Assyrie (8.5). Mais Juda doit savoir que cet ennemi sera « la verge » de la colère de Dieu contre lui (10.5,12).
Le prophète annonce finalement l’exil à Babylone (39.6-7) et le jugement des nations pécheresses : Babylone (ch. 13) ; l’Assyrie et la Philistie (ch. 14) ; Moab (ch. 15) ; Damas (ch. 17)…
Ces terribles jugements sont-ils donc inéluctables ? N’y a-t-il aucun espoir pour le peuple élu ?
Ésaïe, comme tous les prophètes, invite à la repentance, au retour à Dieu : « Lavez-vous, purifiez-vous, ôtez de devant mes yeux la méchanceté de vos actions ; cessez de faire le mal. Apprenez à faire le bien, recherchez la justice, protégez l’opprimé ; faites droit à l’orphelin, défendez la veuve. » (1.16-17).
Plus qu’aucun prophète, Ésaïe ne cesse d’assurer ceux qui se confient en Dieu de son salut, de son pardon, de son amour : « À part moi il n’y a point de sauveur » (43.11 ; 45.21) ; « C’est moi, moi qui efface tes transgressions pour l’amour de moi, et je ne me souviendrai plus de tes péchés » (43.25) ; « Ne crains rien car je te rachète,… tu es à moi… je t’aime… » (43.2-4)
Les accents du prophète peuvent être pathétiques pour parler de la fidélité de Dieu dans la rédemption de son peuple (54.1-10) et ses appels individuels anticipent l’évangile : « Vous tous qui avez soif, venez aux eaux, même celui qui n’a pas d’argent ! Venez, achetez et mangez, venez, achetez du vin et du lait, sans argent, sans rien payer ! » (55.1-3)
Pour le peuple de Juda, le prophète annonce le retour de l’exil (51.11 ; 56.8). Il nomme même celui que Dieu emploiera pour le favoriser : « Ainsi parle l’Éternel à son oint, à Cyrus… » (45.1).
L’attente du Messie
Est-ce tout ?… Ce serait trop peu. Le prophète n’aurait pas dit l’essentiel ! Car plus que tout autre, il annonce l’arrivée merveilleuse du Messie, ce Messie depuis si longtemps promis — et attendu !
« Ésaïe parla de lui » (Jean 12.41) :
– Il est « un fils » enfanté par « la vierge » et son nom est « Emmanuel » (Dieu avec les hommes) (7.14 cité en Mat 1.23-24).
– Il est une « grande lumière » qui surgit en Galilée (9.1-2 cité en Mat 4.13-16).
– Il est celui sur qui est l’Esprit du Seigneur « pour apporter de bonnes nouvelles » (61.1-2 cité en Luc 4.17-19).
– Il est le Serviteur du plaisir de Dieu, humble au service de l’homme (42.1-4 cité en Mat 12.18).
– Il est « le salut de Dieu jusqu’au bout de la terre » (49.6 cité en Actes 13.47).
– Il est le serviteur dépendant et souffrant (50.4-7), qui se charge de nos souffrances et de nos douleurs (53.4 cité en Mat 8.17), par les meurtrissures duquel nous sommes guéris (53.5 cité en 1 Pi 2.24).
– Il est l’agneau muet qui va à la mort (53.7 cité en Actes 8), qui n’a commis aucune violence dans la bouche duquel il n’y a aucune fraude (53.9 cité en 1 Pi 2.22).
– Il est victorieux et a « une part avec les grands » car il ressuscite (53.12 et 55.3 cité en Actes 13.34).
– Son règne est celui de la justice, de la fidélité et de la paix. Il est « une bannière pour les peuples ; les nations se tourneront vers lui, et la gloire sera sa demeure. » (11.1-10 cité en Rom 15.11).
Et l’on pourrait multiplier les citations. Qu’il est difficile de résumer tout ce qu’a dit le prophète Ésaïe, tant il a été abondant pour « parler de lui » !
Quelques années après ces merveilleuses prophéties, sur le « cadran d’Achaz » l’ombre va descendre inexorablement vers une nuit effrayante. Les Chaldéens détruiront tout… tout, sauf la petite flamme de l’espérance, que les prophéties d’Ésaïe ont allumée dans le cœur de quelques fidèles du peuple élu.
Ils iront en exil à Babylone, un petit nombre seulement reviendra ; l’état moral du peuple déclinera encore… mais jamais cette flamme ne s’éteindra. De génération en génération, les paroles du prophète la soutiendront (cf. Act 13.27). L’espérance sera encore là dans le cœur de ceux « qui attendent la délivrance », quand, dans le secret d’un petit village de Galilée, les paroles merveilleuses d’Ésaïe se réaliseront enfin : « La vierge concevra… » ! Le Messie sera là
Le temps d’Ésaïe et le nôtre
Le temps de la prophétie d’Ésaïe n’est pas sans ressemblance avec le nôtre. Comme alors, des forces obscures corrompent nos sociétés occidentales : « la débauche, l’impureté, le dérèglement, l’idolâtrie, la magie, les rivalités, les querelles, les jalousies, les animosités, les disputes, les divisions, les sectes, l’envie, l’ivrognerie, les excès de table » (Gal 5.19-21).
Aussi clairement et courageusement qu’Ésaïe, les prophètes du N.T. dénoncent ces dérives. Dans les églises même auxquelles ils écrivent, leurs avertissements sont aussi solennels que ceux d’Ésaïe : « Ne vous y trompez pas : ni les débauchés, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les homosexuels, ni les voleurs, ni les cupides, ni les ivrognes, ni les outrageux, ni les ravisseurs, n’hériteront le royaume de Dieu. » (1 Cor 6.9) ; « Parce que tu es tiède, je vais te vomir de ma bouche » (Apoc 3.16 ; voir aussi 2 Pierre 2 et l’Épître de Jude). Mais comme Ésaïe, ils appellent le peuple de Dieu à la repentance, et l’invitation « repends-toi » résonne à l’adresse de cinq églises (Apoc 2 et 3). Ils appellent aussi à une vie de sainteté : « Ne convoitons pas, ne soyons pas idolâtres, ne commettons pas la fornication » (cf. 1 Cor 10.6-10).
Est-ce tout ? Eux non plus n’auraient pas dit l’essentiel.
Comme Ésaïe, les prophètes du N.T. annoncent l’espérance, la venue d’un Seigneur glorieux qui va établir son règne sur la terre, et qui aura pour cela préalablement pris son Église à lui. L’espérance jalonne toutes leurs lettres.
Y aura-t-il, même dans le peuple de Dieu d’aujourd’hui, des Achaz qui seront insensibles à cette merveilleuse promesse ?
Alors que tout va encore s’assombrir, soyons plutôt « ceux qui l’attendent », ceux dans le cœur desquels comme autrefois, la petite flamme de l’Espérance ne périt pas, mais que la voix des derniers prophètes ranime encore.
Il est bienfaisant de partager ensemble nos expériences de la bonté du Seigneur au travers des épreuves de la vie, source de maturation en Christ pour ses rachetés. Ce verset contient cinq promesses :
« L’Éternel sera toujours ton guide » : Dans les circonstances les plus inextricables de la vie, il est celui qui la dirige. Dans son amour et sa souveraine grâce, notre Dieu juste gère parfaitement toute situation pour notre bien. Apprenons à lui faire confiance.
« Il rassasiera ton âme dans les lieux arides » : L’intimité avec lui ne s’apprend que quand je le laisse faire. Je m’y soumets pour me laisser modeler par lui. Parfois il est obligé de nous mettre « aux arrêts » pour nous apprendre à ne nous rassasier que de lui dans le désert de nos difficultés. Cela a toujours un prix, celui de la grâce, celui de mourir avec et en lui, afin que ce ne soit « plus moi, mais Christ qui vit en moi » (Gal 2.20). Quelle merveilleuse réalité : il nous comble par sa présence et son intimité, car il est avec nous dans les lieux arides.
« Il redonnera de la vigueur à tes membres » : Quelle expérience merveilleuse d’être revigoré en lui, même dans l’épreuve. Oui, il renouvelle la force de tous ceux qui s’attendent à lui.
« Tu seras comme un jardin arrosé » : Ainsi, le chrétien éprouvé devient lui-même une bénédiction pour les autres. Pourquoi ? Parce qu’il a goûté combien l’Éternel est bon et parce que sa vie a été transformée pour ressembler au divin modèle : le Seigneur Jésus-Christ.
« Comme une source dont les eaux ne tarissent pas » : Quelle belle image ! Devenons une telle source pour nos familles, notre entourage, notre église et que tous ces cercles où il nous a placés soient des lieux où les sources d’eau vive jaillissent continuellement pour la gloire de Dieu !
Cet article est inspiré par l’introduction d’un ouvrage publié uniquement en anglais, Songs of the Servant, IVP, qui développe un commentaire profond et riche de ces quatre textes d’Ésaïe.
« Voici, un Éthiopien, un eunuque, ministre de Candace, reine d’Éthiopie, et surintendant de tous ses trésors, venu à Jérusalem pour adorer, s’en retournait, assis sur son char, et lisait le prophète Ésaïe. L’Esprit dit à Philippe : Avance, et approche-toi de ce char. Philippe accourut, et entendit l’Éthiopien qui lisait le prophète Ésaïe. Il lui dit : Comprends-tu ce que tu lis ? Il répondit : Comment le pourrais-je, si quelqu’un ne me guide ? Et il invita Philippe à monter et à s’asseoir avec lui. Le passage de l’Écriture qu’il lisait était celui-ci : “Il a été mené comme une brebis à la boucherie ; et, comme un agneau muet devant celui qui le tond, il n’a point ouvert la bouche. Dans son humiliation, son jugement a été levé. Et sa postérité, qui la dépeindra ? Car sa vie a été retranchée de la terre.” L’eunuque dit à Philippe : Je te prie, de qui le prophète parle-t-il ainsi ? Est-ce de lui-même, ou de quelqu’un d’autre ? Alors Philippe, ouvrant la bouche et commençant par ce passage, lui annonça la bonne nouvelle de Jésus. » (Act 8.27-35)
Le premier disciple d’Afrique fut amené à Christ par le moyen d’un exposé biblique. Le ministre des finances d’Éthiopie avait été déjà attiré vers le judaïsme ; à travers l’explication de Philippe, il vint à comprendre à la fois le texte ancien qu’il était en train de lire et qui était Jésus.
Et qu’était-il, ce texte ? Puisque Luc le cite longuement dans son récit des Actes, il est aisé à reconnaître : c’était le passage si connu d’Ésaïe 52.13-53.12 qui décrit un mystérieux serviteur de l’Éternel, souffrant et triomphant. Ce texte est habituellement intitulé « le 4e chant du Serviteur », car il y a au moins trois autres passages dans la seconde partie du livre d’Ésaïe duquel il a été rapproché. Le premier de ces chants (És 42.1-9) commence par la même formule que le 4e (És 52.13-53.12) : « Voici mon serviteur » (És 42.1 ; 52.13). Le 2e (49.1-13) et le 3e (50.4-11) montrent des affinités marquées de langage et de pensée avec le premier et le 4e. Ils se réfèrent sûrement tous au même personnage et il ne serait pas incorrect de dire que le « passage » au sens large sur lequel Philippe a basé sa prédication était l’ensemble des chants du Serviteur.
Leur utilisation par Philippe (ou plutôt leur utilisation par le Saint-Esprit en faisant de Philippe son instrument) n’est pas un cas isolé. Cette histoire est plus que le récit d’un touchant incident : il est aussi une illustration significative de la façon dont l’Église primitive considérait ces passages prophétiques et de la place centrale qu’ils tenaient dans la pensée et le témoignage chrétiens, à une époque où la flamme de l’Esprit commençait à se répandre.
Le Serviteur dans la prédication apostolique
Voyez les preuves que nous donne l’Église de Jérusalem peu après la Pentecôte. En l’espace de deux chapitres, Jésus est appelé le Serviteur quatre fois (Act 3.13,26 ; 4.27,30). En fait, ce titre est tellement prééminent que certains commentateurs ont dit que la christologie — la doctrine de la personne de Christ — était alors premièrement une « paidologie » (de pais, le mot grec pour serviteur). Jésus fut prêché d’abord comme le Serviteur. Pierre donne un résumé clair de l’enseignement du 4e chant dans le discours courageux qu’il adresse à la foule : « Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères, a glorifié son serviteur Jésus, que vous avez livré et renié devant Pilate, qui était d’avis qu’on le relâche. Vous avez renié le Saint et le Juste, et vous avez demandé qu’on vous accorde la grâce d’un meurtrier. Vous avez fait mourir le Prince de la vie, que Dieu a ressuscité des morts ; nous en sommes témoins. » (Act 3.13-15).
Encore abasourdis par la fantastique expérience qu’ils venaient juste de traverser à la Pentecôte, les disciples se sont reposés sur les prophéties du Serviteur comme sur une parole ferme qui annonçait par avance les faits de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus et qui révélait avec une clarté incomparable leur signification.
Quand le témoignage à Christ s’étendit aux non-juifs, le titre de « Serviteur » perdit la suprématie initiale ; nous ne le trouvons plus dans la suite des récits des Actes. Les titres « Christ », « Seigneur », « Fils de Dieu », furent utilisés à la place. Parce que ces titres étaient déjà utilisés dans le monde païen, ils étaient plus compréhensibles par des gens peu familiers de l’A.T. que le terme de « serviteur ». Le titre de « serviteur », plus qu’aucun autre, requiert une connaissance de l’arrière-plan vétéro-testamentaire pour être compris. Les écrits des apôtres, cependant, montrent que le thème du serviteur resta très important et que les chants du Serviteur jouèrent un rôle décisif dans la formation de la compréhension de Jésus par les chrétiens.
L’importance de ce thème peut être vue dans la Première Épître de Pierre, autant que dans son discours à Jérusalem. L’apôtre se base fortement sur le dernier chant du Serviteur. Pour aider ses lecteurs, dont la plupart étaient païens, il donne une interprétation de plusieurs versets, en les appliquant à la vie chrétienne : « Christ aussi a souffert pour vous, vous laissant un exemple, afin que vous suiviez ses traces, lui qui n’a point commis de péché, et dans la bouche duquel il ne s’est point trouvé de fraude ; lui qui, injurié, ne rendait point d’injures, maltraité, ne faisait point de menaces, mais s’en remettait à celui qui juge justement ; lui qui a porté lui-même nos péchés en son corps sur le bois, afin que morts aux péchés nous vivions pour la justice ; lui par les meurtrissures duquel vous avez été guéris. Car vous étiez comme des brebis errantes. Mais maintenant vous êtes retournés vers le berger et le gardien de vos âmes. » (1 Pi 2.21-25)
Paul n’est pas moins dépendant des chants d’Ésaïe que ses collègues de Jérusalem. Dès sa visite à Antioche de Pisidie au cours de son premier voyage missionnaire, il se réfère au 2e chant du Serviteur comme étant accompli par son action missionnaire (Act 13.46-47 ; cf. És 49.6). Écrivant à l’Église à Rome, il cite la complainte d’Ésaïe : « Seigneur, qui a cru à notre prédication ? » (Rom 10.16 ; cf. És 53.1). De ce texte, il tire le principe que « la foi vient de ce qu’on entend », ce qui en retour donne un puissant motif pour prêcher Christ. Il tire encore du même chant du Serviteur son principe de se concentrer sur les champs missionnaires non encore évangélisés (Rom 15.20-21 ; cf. És 52.15). Dans tous ces cas, Paul justifie son activité missionnaire — une question brûlante pour lui personnellement.
Nous entendons un écho très clair des chants du Serviteur dans deux autres passages qui marquent des développements clés dans la théologie de Paul, dans la façon dont Paul comprend l’Évangile (« mon évangile », comme il pourra l’appeler). Le premier cherche à établir le grand parallèle et le grand contraste entre les deux Adam : entre le premier Adam et Christ, qui est le nouvel Adam (Rom 5.12-21). Dans ce passage, Paul met en contraste la rébellion fatale, la désobéissance de notre premier père, avec la soumission obéissante de Christ à la volonté du Père. En Christ, les hommes, quoique pécheurs, peuvent maintenant être « constitués justes ». Cette justification, ou cet acquittement, des « beaucoup », est le fruit d’un seul acte d’obéissance d’un seul homme, Jésus Christ. Et c’est précisément le message du dernier chant du Serviteur, qui utilise même des termes identiques : le Serviteur juste « justifiera beaucoup d’hommes » (És 53.11).
Paul met aussi l’accent sur l’obéissance de Christ (et l’obéissance est la caractéristique de tout serviteur) dans la célèbre hymne de Philippiens 2.5-11, qu’il a soit écrite lui-même, soit adaptée à sa lettre. Contrairement à Adam qui a convoité l’égalité avec Dieu, Jésus-Christ est venu pour servir. Il s’est humilié jusqu’à la mort même ; il a livré sa propre vie pour servir les autres. Parce qu’il a accepté ce chemin de souffrances, il a été élevé, exalté le plus haut possible. On pourrait presque se dire qu’on est en train de lire le dernier chant du Serviteur dans une autre version, tant les deux hymnes se ressemblent.
Encore et toujours, dans le N.T., nous rencontrons des citations ou des allusions aux chants du Serviteur. L’Évangile selon Matthieu à deux reprises, indique que des passages relatifs au Serviteur ont été accomplis dans le ministère de Jésus. Le premier est cité en relation avec ses miracles de guérison, qui sont un fruit de son sacrifice (Mat 8.17 ; cf. És 53.4). La seconde citation illustre le rejet par Christ de la publicité bruyante que le peuple voulait lui faire (Mat 12.15-21 ; cf. És 42.1-4). L’Épître aux Hébreux aussi souligne l’affirmation du prophète : « Il a porté le péché de beaucoup d’hommes » (Héb 9.28 ; cf. És 53.12). Et Jean, comme Paul, rappelle la prédiction d’Ésaïe sur l’endurcissement de cœur d’Israël (Jean 12.37-38 ; cf. És 53.1).
Jean rapporte aussi la phrase magnifique par laquelle Jean-Baptiste salua Jésus : « Voici l’Agneau de Dieu » (Jean 1.29). Ce titre, « l’Agneau de Dieu », nous renvoie probablement à de nombreux « types » de Christ dans l’A.T. Mais il peut difficilement être séparé des chants du Serviteur qui comparent le Serviteur à une brebis soumise conduite à l’abattoir. L’Agneau de Dieu allait ôter (ou « prendre », les deux sens sont présents) le péché du monde ; le Serviteur allait supporter les péchés des coupables, les péchés de beaucoup. Il pourrait y avoir un jeu de mot dans le terme « Agneau », même si cette suggestion n’est pas très attestée : des érudits ont signalé que le même mot araméen talya’ peut signifier à la fois « agneau » et « serviteur ».
Cette avalanche de références bibliques devrait être suffisante pour notre démonstration : dans toutes les parties du christianisme néo-testamentaire, on trouve des passages sur le Serviteur qui sont une clef pour comprendre l’œuvre de Jésus.
Alors la question se pose : Comment cela se fait-il ? Pourquoi ces auteurs sont-ils si unanimes ? On pourrait répondre : « C’est simple, parce que c’est évident ! » Les descriptions d’Ésaïe collent si bien au Jésus historique qu’on ne peut pas faire autrement que les rapprocher.
Quand les yeux d’un aveugle sont ouverts, cependant, on doit souvent lui apprendre à voir, même ce qui semble évident. Les Évangiles montrent clairement que Pierre et les autres n’ont pas innové en appliquant les prophéties du Serviteur à Jésus. Jésus lui-même l’avait fait le premier. Pierre a juste suivi son Maître : il avait appris à voir.
Le Serviteur dans la compréhension de Jésus sur lui-même
Jésus fut le premier à voir que le Serviteur n’était autre que lui-même. C’est en faisant référence à la fonction et la personnalité du Serviteur qu’il a interprété sa propre messianité. La christologie de Jésus — la façon dont, comme Messie, il a vu sa propre personne et sa mission — a été résumée ainsi : Jésus a rejeté l’attente habituelle, matérialiste, du Messie ; sa vision était plutôt un mélange équilibré du concept messianique avec deux autres personnages décrits dans les pages de l’A.T.1
Le premier est le Fils de l’homme que Daniel vit en vision (Dan 7.13-14) : il y eut un être céleste, entrant dans la présence de l’Ancien des jours, le Dieu éternel lui-même, à qui le pouvoir royal, un pouvoir incorruptible, fut donné, c’est-à-dire la domination sans fin, contrairement à celle d’un roi terrestre.
L’autre figure était le Serviteur souffrant d’Ésaïe. Jésus comprit que le Christ, le Fils de l’homme et le Serviteur étaient une seule et même personne, lui-même. Beaucoup de ses contemporains juifs attendaient un Messie simplement humain, un autre David, un héros qui pourrait délivrer Israël de son joug politique sous les Romains. Jésus vit que le véritable Messie n’était pas seulement le Fils de David, comme le Messie royal devait l’être, mais aussi le Seigneur de David (Mat 22.41-45). Le chemin du triomphe pour ce Messie, par lequel son royaume éternel pourrait être établi, ne passait pas par des exploits militaires ; il vaincrait ses ennemis, comme Ésaïe l’avait prévu, en se livrant lui-même à une mort expiatoire.
Plus d’une fois au cours de son ministère, Jésus fit allusion aux chants du Serviteur. Une fois, Jacques et Jean réclamèrent le privilège de s’asseoir de chaque côté de Jésus quand il viendrait dans sa gloire. Jésus les reprit et ajouta, de manière significative, que le chemin vers la gloire dans son royaume est à l’opposé total de ce qu’il est dans ce monde : pour les dominateurs humains, l’exercice de l’autorité veut dire écraser les autres, mais le premier parmi ceux qui suivent Jésus doit être serviteur de tous. Alors vient la phrase décisive : « Le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie comme la rançon de beaucoup. » (Marc 10.45) C’est un résumé du dernier chant du Serviteur, avec, encore, ce mot caractéristique : « beaucoup ».
Pendant le dernier repas, Jésus trouva une autre occasion de rappeler un passage sur le Serviteur. Notre Seigneur avait averti ses disciples des ténèbres qui allaient bientôt tomber sur eux. Il avait utilisé un langage figuré qu’ils ne comprirent pas. Alors il leur dit aussi clairement que possible : « Il faut que cette parole qui est écrite s’accomplisse en moi : “Il a été mis au nombre des malfaiteurs.” Et ce qui me concerne est sur le point d’arriver. » (Luc 22.37 ; cf. És 53.12) La façon dont Jésus cite ce texte est des plus intéressante. Il révèle pourquoi Jésus a si souvent utilisé cette expression : « Il faut » De façon répétée, depuis que Pierre l’a confessé comme le Christ à Césarée de Philippes, Jésus dit à ses disciples peu clairvoyants que le Fils de l’homme doit être livré aux mains des hommes, souffrir, mourir puis ressusciter. Pourquoi Jésus dit-il « doit » ? Certains textes répondent : parce que l’Écriture l’indiquait. Mais quelle Écriture, plus précisément ? D’ordinaire, cela ne nous est pas dit. Seulement ici, cela est révélé : c’était dans les chants du Serviteur que Jésus a trouvé ce chemin.
Assurément, d’autres passages de l’A.T. peuvent être pris comme des prophéties de la croix ; cependant aucun n’a la clarté et la précision des chants du Serviteur. Si l’on met de côté un nombre indéfini de « types », plusieurs Psaumes (par ex. : 22, 69) indiquent de façon poignante à l’avance ce qu’allaient être les souffrances du Messie ; mais ils sont indirectement messianiques (car certaines phrases ne sont applicables qu’au roi de l’A.T. ou au fidèle souffrant). Seul Zacharie est presque aussi clair qu’Ésaïe : rappelez-vous le berger rejeté, le compagnon de l’Éternel contre lequel l’épée doit se réveiller ; celui qui a été percé ; la fontaine ouverte pour le péché et l’impureté (Zach 11 ; 13.7 ; 12.10 ; 13.1). Les prophéties de Zacharie, cependant, ne sont pas faciles à comprendre par tout le monde. Zacharie lui-même rappelle les chants d’Ésaïe dans sa vision du jour absolu et définitif des expiations, où l’Éternel ôtera « l’iniquité de ce pays, en un jour » (Zach 3.9) : dans cette vision, celui qui doit venir reçoit un double titre : « mon serviteur, le germe » (Zach 3.8). Ce titre réunit le Serviteur souffrant des chants et le Fils de David promis par Jérémie (Jér 23.5).
Ainsi nous sommes renvoyés aux chants du Serviteur. À travers eux, notre Sauveur a trouvé les lignes directrices de sa mission. Sur quel terrain saint nous nous trouvons quand nous étudions ces chants ! Qu’il est émouvant d’imaginer Jésus méditer sur ses passages, sachant que c’était la volonté du Père et le chemin pour lui !
- Il nous est difficile de concevoir comment Jésus a pu « apprendre », puisque, en tant que Fils, l’omniscience de Dieu était sienne de toute éternité. Et pourtant, cette vérité est révélée dans la Bible : Bien qu’il soit le Fils, il a dû apprendre (cf. Héb 5.8). Peut-être a-t-il décidé, comme il a laissé de côté sa gloire, de ne pas faire usage de sa divine omniscience. C’est un sujet difficile. En aucun cas, nous devons prendre garde de ne rien retrancher de la réalité de l’humanité de Christ : Il est venu comme l’un de nous. Comme nous confessons à juste titre l’absolue divinité de Christ, nous pouvons oublier plus facilement qu’il est venu en chair, un homme sous la discipline de l’apprentissage. Il ne lisait pas les Écritures seulement pour les appliquer à d’autres. Comme homme, il avait besoin d’elles : elles étaient pour lui la voix du Père – et particulièrement dans ces mots d’Ésaïe, une voix claire et précise – si terriblement claire et précise.
Dieu à travers trois versets
Les chapitres 40 à 48 d’Ésaïe présentent Dieu de façon multiple. Voici trois versets brièvement commentés qui éclairent chacun un aspect de la divinité. Ils illustrent une lecture possible du livre d’Ésaïe : trouver une application personnelle utile à un texte, sans forcément se lancer dans une étude complète du livre et de sa structure.
« À qui voulez-vous comparer Dieu ? Et quelle image ferez-vous son égale ? » (És 40.18)
Ésaïe 40.12 à 31 présente Dieu comme le créateur universel, capable de transcender toutes les échelles. Il est à la fois à la mesure de l’immensité de sa création — il mesure l’océan dans le creux de sa main et mesure les cieux en écartant les doigts (40.12) ! — et à la mesure de l’humanité à qui il redonne des forces lorsqu’elle est fatiguée (40.29).
Entre ces deux extrémités, le prophète Ésaïe nous invite à réfléchir : « À qui voulez-vous comparer Dieu ? Et quelle image ferez-vous son égale ? » Il s’agit en premier lieu de démontrer l’infinie supériorité du seul vrai et unique Dieu par rapport aux idoles. Mais cette question déstabilise un peu l’esprit humain qui tend à approcher ce qu’il a de la peine à percevoir à l’aide de comparaisons. Non, Dieu ne se compare pas, ne se représente pas… bien plus que cela, d’une certaine manière, il se donne à connaître par révélation de lui-même. La comparaison reste bien sûr un moyen que Dieu utilise pour se faire connaître (par des anthropomorphismes, par exemple) mais dans les limites qu’il détermine lui-même.
« C’est moi, moi qui efface tes transgressions à cause de moi-même, et je ne me souviendrai pas de tes péchés. » (És 43.25, Darby)
Ésaïe développe progressivement le thème de la rédemption au cours de son livre. L’état misérable du peuple est décrit dès le premier chapitre, ainsi que le réquisitoire divin correspondant. C’est aussi dans le premier chapitre que l’on trouve les premières lueurs d’espoir données par Dieu lui-même : « Venez et plaidons ! dit l’Éternel. Si vos péchés sont comme le cramoisi, ils deviendront blancs comme la neige ; s’ils sont rouges comme la pourpre, ils deviendront comme la laine. » (1.18). Le péché est réellement grave mais n’est pas sans solution.
Au chapitre 6, Ésaïe lui-même réalise son insuffisance lorsqu’il voit le Seigneur dans toute sa gloire (6.5). Le charbon ardent pris de dessus l’autel et appliqué sur sa bouche par l’un des séraphins efface le péché de celui que l’Eternel envoie en mission juste après. La rédemption passe par un sacrifice.
Après sa maladie, le roi Ézéchias témoigne de la guérison que Dieu lui accorde : « Voici, au lieu de la paix j’avais amertume sur amertume ; mais toi, tu as aimé mon âme, la retirant de la fosse de destruction, car tu as jeté tous mes péchés derrière ton dos. » (38.17, Darby). Avoir ses péchés effacés est aussi fort que d’être délivré d’une maladie qui mène à une mort certaine.
Aux chapitres 43 et 44, l’accent est mis sur la qualité incomparable du Dieu qui est seul capable d’effacer les péchés (43.25 ; 44.22) et sur l’efficacité de son pardon. Le pardon de Dieu est aussi fort que l’obligation que l’on efface (Col 2.14) ou que l’offense que l’on oublie — « je ne me souviendrai pas de tes péchés » — et trouve sa source en Dieu lui-même — « à cause de moi-même ».
Pour terminer, Ésaïe 53 ouvre une percée magnifique sur le serviteur de l’Eternel, l’artisan de son salut : « C’est pourquoi je lui donnerai sa part avec les grands ; il partagera le butin avec les puissants, parce qu’il s’est livré lui-même à la mort, et qu’il a été mis au nombre des malfaiteurs, parce qu’il a porté les péchés de beaucoup d’hommes, et qu’il a intercédé pour les coupables. » (53.12). C’est le point culminant.
Mais le livre ne s’arrête pas là. Il va jusqu’à évoquer les nouveaux cieux et la nouvelle terre (65.17 ; 66.22) : en plus de la grâce du salut, Dieu ajoute la gloire à venir !
« Jusqu’à votre vieillesse je suis le Même, et jusqu’aux cheveux blancs, je vous porterai. Moi, je l’ai fait ; moi, je porterai, et moi, je chargerai sur moi, et je délivrerai. » (46.4, Darby)
Dieu est transcendant en ce qu’il est distinct de toutes ses créatures et de toute sa création ; il n’est pas limité au cadre du créé mais le dépasse. En même temps, Dieu est immanent immuable ; cela devient même un de ses titres : il est « le Même »en étant présent et en agissant en tout lieu au sein de sa création.
Ésaïe 46.4 illustre ce dernier caractère de Dieu d’une manière particulièrement touchante. Dieu est fidèle dans sa relation avec nous quel que soit notre âge (il ne fait pas de « jeunisme » !) — « Jusqu’à votre vieillesse je suis le Même » — et manifeste une telle sollicitude à l’égard de sa créature que le soulagement qu’il apporte peut aller jusqu’à notre prise en charge totale si c’est nécessaire : « je vous porterai ».
Le Dieu intrinsèquement incomparable (40.18) est celui qui nous a sauvés (43.25) et qui s’occupera de nous jusqu’à la fin (46.4).
La grandeur de Dieu (6.1)
« L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône très élevé, et les pans de sa robe remplissaient le temple. »
Nous sommes à la fin du règne prospère et long de 52 ans du roi Ozias. Sous ce roi fidèle, Juda devint un État économiquement et militairement fort, avec un port sur la mer Rouge, des citadelles et des villes fortifiées. Mais Ozias voulut s’adjuger les prérogatives d’un sacrificateur en offrant des parfums sur l’autel. Frappé de la lèpre, il ne guérit pas de cette maladie (2 Rois 15.3-5 ; 2 Chr 26.16-21). À la mort d’Ozias, l’Assyrie était en pleine croissance sous Tiglath-Piléser, dont le royaume allait emmener les 10 tribus d’Israël en captivité.
C’est donc en ce temps troublé, rempli à la fois de la prospérité passée et de la crainte de l’avenir, qu’Ésaïe a cette vision. On ne peut savoir si Ésaïe était dans le temple ou non. Sa vision inclut le temple et un trône très élevé. Cette vision est surprenante : comment Dieu, qui est omniprésent, peut-il être vu sur un trône ? Ésaïe lui-même dit : « Ainsi parle l’Éternel : Le ciel est mon trône et la terre mon marchepied. Quelle maison pourriez-vous me bâtir, et quel lieu serait celui de mon repos ? » (66.1) Dieu communique au prophète sa présence de façon particulière, pour qu’il puisse le voir dans une situation compréhensible. Daniel 7.9 nous montre également le trône de Dieu, tout comme Ézéchiel 1, ainsi qu’Apocalypse 4. C’est devant son trône que les nations survivantes à la tribulation seront jugées (Mat 25.31). C’est encore devant un grand trône blanc que tous les pécheurs de tous les temps entendront leur jugement (Apoc 21).
Ainsi Dieu veut que nous comprenions sa grandeur, l’immense grandeur de l’Éternel. Au point que ce sont les extrémités même de son manteau qui remplissent le Temple — et qu’il s’agisse du temple de Jérusalem ou du temple céleste ne change pas vraiment l’idée.
Ésaïe rapporte fréquemment la grandeur du Seigneur :
– Parfois en opposition avec l’orgueil des hommes : « Les regards arrogants de l’être humain seront abaissés, et l’orgueil des hommes sera courbé : l’Éternel seul sera élevé ce jour-là. Car l’Éternel des armées a fixé un jour contre tout ce qui est hautain et orgueilleux, contre ce qui s’élève et qui sera abaissé. » (2.11-12)
– Ailleurs par rapport à sa domination sur la création : « Éternel des armées, Dieu d’Israël, qui sièges sur les chérubins ! C’est toi qui es le seul Dieu pour tous les royaumes de la terre, c’est toi qui as fait les cieux et la terre. » (37.16)
Les hommes prennent possession des royaumes, et se prennent pour des grands. Tiglath-Piléser croyait être le maître de l’époque. Louis XIV voulait que Notre Dame de Paris soit sombre le jour de ses funérailles, et qu’une seule bougie, posée sur sa sépulture, éclaire doucement l’église. L’évêque est rentré, a soufflé la bougie, et s’est exclamé : « Dieu seul est grand ! » Un jour, l’antichrist viendra et réussira à imposer une paix artificielle sur terre et se croira grand. Dieu seul est grand !
La sainteté de Dieu (6.2-4)
« Des séraphins se tenaient au-dessus de lui ; ils avaient chacun six ailes ; deux dont ils se couvraient la face, deux dont ils se couvraient les pieds, et deux dont ils se servaient pour voler. Ils criaient l’un à l’autre, et disaient : Saint, saint, saint est l’Éternel des armées ! toute la terre est pleine de sa gloire ! Les portes furent ébranlées dans leurs fondements par la voix qui retentissait, et la maison se remplit de fumée. »
Les anges sont des êtres que Jésus a créés (Col 1.16), mais dont les caractéristiques sont distinctes des humains. Ils ont été les spectateurs ébahis de la création (Job 38.7). Leur nombre est fixe car ils ne se reproduisent pas (Mat 22.30) mais on serait incapable de les compter tellement ils sont nombreux (Héb 12.22).
Certaines classes d’anges sont désignées avec des responsabilités particulières, comme les chérubins, qui semblent assignés à la protection de la sainteté de Dieu (Gen 3.24 ; Ex 25.20).
Ici nous est présentée une autre classe d’anges, les séraphins. C’est le seul endroit de la Bible où ils sont mentionnés. Détaillons-les :
a. Leur nom veut dire « flamboyant » ou « brûlant », peut être pour indiquer leur luminosité, peut-être pour indiquer leur ministère, puisqu’ils cautérisent la plaie du péché. Ils ont des points communs avec les quatre êtres vivants d’Apocalypse 4.6-8 et la vision des animaux d’Ézéchiel 1. Selon les Juifs et les targums1, ils seraient une catégorie d’anges exerçant un ministère en rapport avec la sainteté divine et la purification du péché.
b. Ils volent au-dessus du temple, au-dessus du Seigneur, et ils chantent la sainteté de Dieu. Non seulement, ils la chantent, mais en plus ils la manifestent :
• deux de leurs ailes voilent leur visage — comme pour indiquer qu’ils ne peuvent voir la sainteté de Dieu tellement elle est rayonnante ;
• deux de leurs ailes leur couvrent les pieds — comme signe d’humilité (cf. Ex 3.5).
Si des anges élus, justes et parfaits, se couvrent devant Dieu, que devrait-il être de nous !
c. Ils crient l’un à l’autre, un chant antiphoné2, louant Dieu eux-mêmes. Ils proclament la sainteté de l’Éternel : « saint, saint, saint ».
Lorsque nous pensons au terme « saint » ou « sainteté », nous pensons souvent à l’idée d’obéissance aux commandements : ne pas mentir, ni convoiter, ne pas commettre d’adultère… C’est évidemment associé au concept de sainteté, mais quelque part, ce n’est pas l’idée principale. Dieu n’obéit pas à ses propres commandements — il les incarne ! Ils sont plutôt une conséquence d’un concept unique à Dieu. Le mot « saint » signifie proprement « séparé, mis à part » :
– Est « saint » ce qui est détaché d’un usage ordinaire, « profane » (Lév 10.10).
– Est « saint » ce qui, sur le plan moral, est absolument séparé du mal (És 17.7).
– Appliqué à Dieu, ce mot exprime son absolue majesté qui le sépare de toute créature, sa dignité souveraine, sa perfection inaltérable. Dans le cantique des séraphins, la triple répétition du mot saint est destinée à exprimer, mieux que ne le ferait la simple affirmation, le caractère absolu de cet attribut divin3. Dieu est absolument distinct de tout ce qu’il a créé. Il est « autre », en-dehors, transcendant. Il est non souillé, non contaminé, séparé ; donc, bien entendu, il est séparé de tout vice, de tout mal, de tout péché.
d. Ils chantent également la gloire du Seigneur. Le mot « gloire » inclut l’idée d’abondance, de poids ; c’est la richesse de l’honneur et de la dignité personnelle de l’Éternel des armées. Quel poids de gloire et de splendeur est associé à sa seigneurie !
Et Dieu qui se cache généralement à nos sens paraît ici dans une gloire époustouflante. Tout tremble à la voix de l’ange. La fumée (v. 4), symbole de la présence de Dieu dans le temple, rappelle la présence de Dieu sur le mont Sinaï. Elle rappelle aussi l’encens symbolisant les prières du peuple. Quel spectacle saisissant ! Tout tremble, même les objets, dans la présence du Créateur. Et Ésaïe tremble également…
La sanctification opérée par Dieu (6.5-7)
La prise de conscience d’Ésaïe
« Alors je dis : Malheur à moi ! Je suis perdu, car je suis un homme dont les lèvres sont impures, j’habite au milieu d’un peuple dont les lèvres sont impures, et mes yeux ont vu le Roi, l’Éternel des armées. »
Face à cette vision de Dieu, Ésaïe est effrayé. Il n’est pas le seul ! Jacob (Gen 28.17), Gédéon (Jug 6.22), Manoah (Jug 13.22), Ézéchiel (Éz 1.28), Zacharie (Luc 1.12), Pierre (Luc 5.8-9), Jean (Apoc 1.17), éprouvèrent cette frayeur quand ils se virent en face de quelque manifestation directe de l’être divin.
Lorsqu’Ésaïe voit la gloire de Dieu, il prononce sur lui-même un jugement prophétique absolu : « Malheur ». C’est à l’opposé des béatitudes ; c’est l’annonce d’une destruction complète ! Ses lèvres sont sales — les organes mêmes de son service pour Dieu en tant que prophète ! C’est comme si un pianiste disait de ses mains qu’elles sont gangrénées, ou comme si un diamantaire de sa vue qu’elle est floue…
Personne ne peut chanter le moindre chant de louange naturellement. Il faut réaliser la gravité du péché, et l’immensité de la grâce. Aucune personne consciente de son péché ne peut faire la fière devant Dieu. Par exemple, quand Pierre vit la pêche miraculeuse, il « tomba aux genoux de Jésus et dit : Seigneur, éloigne–toi de moi parce que je suis un homme pécheur. » (Luc 5.8) La sainteté de Dieu n’est pas une mince affaire. Dieu s’est toujours séparé du mal et les hommes ont dû subir à maintes reprises son juste jugement4.
Chaque génération connaît ses déséquilibres. Il est probable que notre génération a mis l’accent sur l’immanence de Dieu — c’est-à-dire sur sa proximité — et sur les qualités « agréables » de Dieu : amour, bonté bienveillance… Dieu est-il également saint dans nos cœurs ? « Il est évident que le diable n’a pas besoin de faire de nous des athées pour gagner. Il a juste besoin d’ôter cette idée de la sainteté de Dieu de nos pupitres, de nos livres, de nos séminaires, de nos consciences, et très rapidement nous ferons de nous-mêmes des athées.5»
L’expiation d’Ésaïe
« Mais l’un des séraphins vola vers moi, (tenant) à la main une braise qu’il avait prise sur l’autel avec des pincettes. Il en toucha ma bouche et dit : Ceci a touché tes lèvres ; ta faute est enlevée, et ton péché est expié. »
Ésaïe est « défait » par l’événement. Il ressent son indignité. La bonne nouvelle, c’est que notre Dieu est proche de ceux qui sont humbles, humiliés (És 57.15). Remarquez bien que Dieu ne dit pas à Ésaïe : « Va laver tes lèvres », ou bien : « Efforce-toi de dire des choses justes pour compenser les choses sales que tu as faites. » Quelque chose d’extérieur à lui-même vient le toucher et le sanctifie. Il est purifié là même où il se savait impur. Des braises de l’autel, où étaient consumés des sacrifices, touchent ses lèvres.
La faute est enlevée, le péché expié. Tout ce que Dieu touche est sanctifié. Il faut tout d’abord qu’il nous touche d’une conviction de péché, puis il fait de nous des saints (Rom 3.24 ; 1 Cor 1.2).
C’est le miracle du salut. L’homme ou la femme qui comprend que son péché est grave, qu’il ou elle ne peut rien faire pour être pardonné(e) — cette personne peut recevoir une grâce complète, un pardon parfait, en s’appuyant avec confiance sur l’œuvre de Jésus à la croix (Col 1.14 ; Éph 2.8-9).
La mission de Dieu (6.8-13)
« J’entendis la voix du Seigneur, disant : Qui enverrai-je et qui marchera pour nous ? Je répondis : Me voici, envoie-moi. Il dit alors : Va, tu diras à ce peuple : Écoutez toujours, et ne comprenez rien ! Regardez toujours, mais n’en apprenez rien ! Rends insensible le cœur de ce peuple, endurcis ses oreilles, et bouche-lui les yeux, de peur qu’il ne voie de ses yeux, n’entende de ses oreilles, ne comprenne avec son cœur, qu’il ne se convertisse et ne soit guéri. Je dis : Jusques à quand, Seigneur ? Et il répondit : Jusqu’à ce que la dévastation ait privé les villes d’habitants et les maisons d’êtres humains, que le sol dévasté soit une désolation ; jusqu’à ce que l’Éternel ait éloigné les êtres humains et que le pays soit tout à fait abandonné, et s’il y reste encore un dixième des habitants, il repassera par l’incendie. Mais, comme le térébinthe et le chêne conservent leur souche quand ils sont abattus, sa souche donnera une sainte descendance6. »
Sans détailler cette partie, remarquons qu’elle indique la conséquence logique d’avoir compris la sainteté de Dieu, d’avoir réalisé son péché, d’avoir été purifié : se mettre au service de Dieu. Il y a un lien vital entre connaître Dieu et témoigner pour Dieu. On ne parle que de ce que l’on connaît. Être témoin de Christ, ne peut venir qu’après être devenu disciple de Christ.
Notons au passage le pluriel (« nous ») : il évoque la majesté suprême et complète du Seigneur.
Bien entendu, l’appel au ministère d’Ésaïe est particulier : « Écoutez, mais ne comprenez pas ! ». Mais à quoi bon prêcher si personne n’écoute ? La gloire de Dieu nous demande de prêcher quel que soit le résultat : pas seulement pour permettre aux élus d’être sauvés, mais aussi pour que celui qui rejette Christ puisse le faire en connaissance de cause. Dieu est glorifié par la prédication et l’obéissance, pas par le résultat.
Une dernière remarque : avez-vous remarqué comment est décrite la souche qui demeure ? « Sa souche donnera une sainte descendance. » Encore une fois cet adjectif « saint », qui vise ici Jésus, la « racine de David » et ceux qui croient à sa suite.
Quelques pensées pour vivre ce message
1. Personne n’échappera à la sainteté de Dieu
La Bible est unanime pour décrire le jugement de tous les pécheurs (2 Thes 1.9-10 ; 1 Pi 4.17). Paul met en garde à la fois les Corinthiens et les Galates : « Examinez-vous vous-mêmes, pour voir si vous êtes dans la foi » (2 Cor 13.5) ; « Les œuvres de la chair sont évidentes […] Je vous préviens comme je l’ai déjà fait : ceux qui se livrent à de telles pratiques n’hériteront pas du royaume de Dieu. » (Gal 5.19-21)
Avez-vous fait la paix avec Dieu ? Avez-vous cessé de prétendre lui plaire par vos propres forces ? L’essence du salut et de l’Évangile, c’est d’avoir confiance que Christ a tout accompli, pour que je sois sauvé ; ne pas croire qu’on est suffisamment saint par soi-même ; croire qu’on ne peut rien faire pour plaire à Dieu ; croire que l’on ne peut que se confier dans le pardon de Christ acquis à la croix.
Lorsque Dieu sifflera la fin du monde, où serez-vous ? Est-ce que votre vie témoigne de la grâce du Christ ? Du pardon de Christ ? Et de la présence de l’Esprit en vous ? Comprenez bien que je ne parle pas ici de perfection comme preuve du salut. La lutte contre le péché, l’expérience de la défaite parfois, font partie de la vie chrétienne. Mais elles vont avec la contrition face au péché, une lutte ardente, l’amour pour Christ…
2. Recevons la sainteté que Dieu nous offre
Curieusement, la Bible parle des chrétiens comme des « saints » (Éph 1.1 ; Phil 4.21). Lorsqu’une personne se convertit, elle est justifiée, c’est-à-dire que Dieu la déclare entièrement juste. Elle est sainte dans sa position devant Dieu : il la regarde au travers du sang de Christ (Col 2.14). Christ a été fait pour elle « sanctification » (1 Cor 1.30).
3. Cultivons la sainteté que Dieu nous demande
En plus de cette sanctification de position, il y a la sanctification progressive. Ceux qui sont déjà saints aux yeux de Dieu sont encouragés à poursuivre une sainteté dans leur vie pratique (Héb 12.14 ; 1 Thes 4.3) : « Puisque celui qui vous a appelés est saint, vous aussi soyez saints dans toute votre conduite, selon qu’il est écrit : Soyez saints, car je suis saint ! » (1 Pi 1.15).
La sainteté de l’Eternel doit nous encourager à la repentance régulière (Héb 10.22 ; Jac 4.8). Dieu accomplit parfois des délivrances spectaculaires dans nos vies : des dépendances sont brisées, des amertumes sont ôtées, des démons sont expulsés. Parfois le chemin est plus long, et nous devons apprendre, en comptant sur l’Esprit, et sur la Parole de Dieu : à ôter de mauvaises habitudes, à renouveler nos pensées par la vérité de la Parole, à adopter une nouvelle façon de vivre… Pour cela, Dieu nous aide par sa Parole mémorisée, par l’assiduité à l’église, par des amitiés chrétiennes…
4. Admirons la sainteté de Christ
La sainteté de Jésus se voit maintes fois dans les Évangiles. C’est bouleversant :
– Au désert, Jésus est tenté par le diable. Celui-ci lui propose de transformer juste une pierre en pain pour atténuer la faim. Vous vous souvenez de sa réponse ? Il y a quelque chose de plus qui rassasie… (Luc 4).
– À table chez le pharisien, une femme prostituée vient embrasser ses pieds en pleurant. Loin d’être souillé par ce contact, il renvoie cette femme pardonnée. Il y a en Christ une séparation absolue de tout ce qui est impur.
– À Gethsémané, sa sainteté se voit encore dans son rejet de son propre désir d’échapper à la croix.
Combien le Christ est admirable ! Il est notre exemple (Héb 12.1-3) ! Adorons le Seigneur de sainteté et tirons de lui l’exemple et l’encouragement dont nous avons tant besoin.
1Les targums sont des traductions araméennes du texte biblique de l’A.T., dans un style de para-phrase, faites par les Juifs au cours des siècles pour pallier l’ignorance des Juifs qui avaient oublié l’hébreu.
2Un chant antiphoné est repris alternativement par l’une et l’autre partie d’un chœur.
3Le chiffre trois symbolise généralement dans la Bible la plénitude, la perfection, en particulier en relation avec Dieu.
4Voir par exemple : Adam et Ève (Gen 3.24), Nadab et Abihu (Lév 10.2) ; Achan (Jos 7) ; Ananias et Saphira (Act 5), etc.
5Steve DeNeff, Whatever Became of Holiness, p. 23.
6Version dite « à la Colombe ».
Le récit de l’appel du prophète Ésaïe (ch. 6) se situe après une première collection de messages (ch. 1 à 5). A priori, on ne comprend pas pourquoi le livre commence par cinq chapitres d’oracles qui sont prononcés chronologiquement après cet appel.
Une simple lecture n’apporte pas de réponse. Elle suscite plutôt de nouvelles interrogations : reproches, avertissements, sanctions, promesses de pardon, visions d’avenir, s’entremêlent dans un désordre apparent. En réalité, l’auteur multiplie les parallélismes thématiques, comme en témoigne l’analyse structurelle en forme de chiasme :
A Ch. 1. Oracles contre Juda et Jérusalem
La vigne : v. 8
“Malheur… ” : v. 4, 24
« C’est pourquoi » : v. 24 (un des rares mots déductifs en hébreu, suivi de l’annonce de jugements)
B Ch. 2.1-5. Oracle sur le mont Sion
« … en des jours qui suivent ceux-là » (litt.) : v. 2
C Ch. 2.6 à 3.12. Humiliation de l’homme hautain
Plus de chef, alors « Sois notre chef ! » (NBS) : 3. 6
D Ch. 3. 13-15. Dieu juge
C’ Ch. 3.16 à 4.1. Humiliation des femmes hautaines
Plus de mari, alors « Sois notre mari » (litt. « Fais-nous porter ton nom ») : 4. 1
B’ Ch. 4.2-6. Oracle sur le mont Sion
« En ce jour-là » : v. 2
A’ Ch. 5. Oracles contre Juda et Jérusalem
Parabole de la vigne : v. 1 à 7
« Malheur » (6 fois) : v. 8, 11, 18, 20, 21, 22
« C’est pourquoi » : v. 13, 14, 24, 25 (suivi de l’annonce de jugements)
Dans ces chapitres, Ésaïe utilise la forme littéraire du procès : « Plaidons ensemble » (1.18), « l’Éternel se tient là pour plaider et il est debout pour juger les peuples » (3.13) ou encore : « jugez entre moi et ma vigne » (5.3).
Au centre du chiasme, l’Éternel, présenté comme le Juge suprême (D : 3.13-15), dresse deux réquisitoires contre son peuple (1.4-24 en A et 5.8-23 en A’), dans lesquels il dénonce les crimes de nature religieuse (culte formaliste, pratiques superstitieuses) et ceux d’ordre politique et social (injustices, corruption, violence). Le chapitre 5 reprend et détaille les reproches formulés au chapitre premier. Les Judéens idolâtres et immoraux ont oublié « Dieu et le prochain ».
Le prophète n’en reste pas là. Il annonce le jugement inéluctable des responsables orgueilleux (C : 2.6 à 3.12) et des dames hautaines (C’ : 3.16 à 4.1). Les premiers seront privés de chefs à un moment crucial de l’histoire nationale. Le nombre d’hommes morts à la guerre contraint les secondes à accepter le déshonneur de rester célibataires ou d’accepter un mariage au rabais.
Après avoir dénoncé la rébellion, l’hypocrisie et l’injustice, Ésaïe dévoile la destinée glorieuse d’un Israël purifié, lumière des nations (B : 2.1-5 et B’ : 4.2-4). Promis à un avenir aussi béni, Israël peut-il continuer à mépriser sa vocation ? Comment ce peuple qui, par sa cruauté et son oppression envers les faibles, est comparé à Sodome et Gomorrhe (1.10), sera-t-il habilité un jour à annoncer le droit (2.4) ? Comment cette nation idolâtre sera-t-elle qualifiée pour proclamer la suprématie universelle du culte rendu à l’Éternel, symbolisée ici par le mont Sion plus élevé que les montagnes alentour (2.2) ? Comment les nations pourront-elles affluer à Jérusalem pour écouter la Loi ?
La réponse est « suggérée » en B’ : 4.2-6. Ésaïe annonce le salut à venir en la personne du « germe » (c’est-à-dire le Messie). Le prophète entrevoit le « jour » où, après l’exil et un nouvel exode (cf. 11.11), ce qui restera de la communauté de Jérusalem purifiée, se rassemblera en Sion et rendra culte à l’Éternel (4.5). Dans ce même verset, la nuée et la colonne de feu, témoins de la présence de Dieu au milieu de son peuple, rappellent Moïse conduisant le peuple hors d’Égypte pour qu’il célèbre, lui aussi, une fête à l’Éternel. Le prophète semble annoncer, comme l’auteur de l’Épître aux Hébreux (ch. 12), la mise de côté de la montagne du Sinaï (la Loi et ses insuffisances) au profit du mont Sion (la grâce et les exigences divines satisfaites) — le jugement et la condamnation d’un côté, le salut et la consolation de l’autre.
Ainsi, les cinq premiers chapitres d’Ésaïe, loin d’être sans objet précis, présentent les deux grands thèmes du livre qui s’entremêlent : jugement et consolation. Les Judéens étaient persuadés que les jugements annoncés par le prophète étaient incompatibles avec les promesses divines. Dès les premiers chapitres, Ésaïe les détrompe en mettant en évidence la tension qui existe entre les promesses divines et les obstacles qui s’opposent à leur accomplissement. Comment concilier la volonté souveraine de Dieu, maître de l’histoire, avec « la liberté de l’homme en sa nature récalcitrante1» ? Comment faire comprendre au peuple que son éloignement de Dieu n’empêchera pas, malgré les vicissitudes politiques de l’exil, la réalisation du dessein divin à travers une trajectoire parfois bien compliquée ? C’est le « germe » (ou « rejeton » 53.2), sorti de la lignée de David, le « serviteur » souffrant, qui remplira parfaitement cette mission : « le libérateur viendra de Sion » (Rom. 11.26 ; citation d’Ésaïe 59.20) et «… je t’établirai pour traiter alliance avec le peuple, pour être la lumière des nations… » (42.6). Ainsi, bien des siècles à l’avance, Ésaïe entrevoit « l’économie du salut2 » dont les bénédictions ne sont plus réservées aux Juifs et dont le centre n’est plus la Loi, mais le Christ.
1R. Alter, L’art du récit biblique, Lessius, Bruxelles, 1999, p. 50
2« L’économie du salut » est une expression formulée dès le IIe siècle par Irénée, évêque de Lyon. Elle désigne la compréhension de l’histoire du salut dans les différentes étapes rapportées par l’Écriture.
Le livre du prophète Ésaïe est parfois appelé « l’évangile de l’Ancien Testament », car, plus que tout autre livre de l’A.T., il annonce la bonne nouvelle du salut apporté par le Messie promis au monde entier1.
Pourtant, avant d’annoncer de bonnes nouvelles, Ésaïe est obligé de prononcer des malheurs sur le peuple, pour qu’il prenne conscience de sa situation morale. C’est ainsi que nous trouvons deux collections de six malheurs collectifs (5.8-25 et ch. 28 à 33).
Malheurs sur le prophète
Pour pouvoir exercer son ministère de prophète et annoncer au peuple les malheurs qui allaient fondre sur lui, Ésaïe doit premièrement être prêt à dire : « Malheur à moi ! »
La première collection est suivie d’un premier « Malheur à moi ! » (6.5). Ésaïe doit reconnaître devant un Dieu saint son état de perdition (« Je suis perdu… ») et recevoir de ce même Dieu la guérison (« Ton iniquité est enlevée… »).
La seconde collection est précédée d’un second « Ma maigreur, ma maigreur ! Malheur à moi ! » (24.16, litt.) Ésaïe doit faire sienne l’indigence spirituelle de son peuple. C’est l’attitude exactement inverse de l’église à Laodicée qui se vante : « Je suis riche, je me suis enrichi, et je n’ai besoin de rien. » (Apoc 3.17). Ézéchiel annonce que Dieu, le parfait berger, va détruire les brebis grasses et vigoureuses (images des mauvais bergers d’Israël) qui usent de violence et de dureté envers les autres brebis, sans pour autant ressentir leurs propres besoins spirituels (Éz 34.16,4).
Il y a donc deux conditions indispensables à l’exercice de quelque ministère que ce soit : l’expérience personnelle du salut et l’humiliation face à la totale insuffisance devant Dieu. Alors la puissance de Dieu peut s’accomplir au travers même de la faiblesse — admise et reconnue — du serviteur (2 Cor 12.9 ; 13.9).
Malheurs sur le peuple
Chacune des deux collections de six malheurs collectifs traite des mêmes sujets : dans la première série, la raison de la malédiction est simplement exposée, tandis que dans la deuxième série ces mêmes raisons sont développées et surtout, Dieu indique le remède au malheur — ou plutôt celui qui est le remède au mal.
1. L’orgueil
« Malheur à ceux qui ajoutent maison à maison, et qui joignent champ à champ, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’espace, et qu’ils habitent seuls au milieu du pays ! » (5.8)
« Malheur à la couronne superbe des ivrognes d’Éphraïm, à la fleur fanée, qui fait l’éclat de sa parure, sur la cime de la fertile vallée de ceux qui s’enivrent ! » (28.1)
L’orgueil humain se montre dans sa frénésie à posséder ou à jouir sans modération des biens terrestres. Pourtant, toutes ses richesses se faneront un jour et il n’en restera rien. Les assurances illusoires de l’homme (28.15) ne seront pas une protection au jour du jugement.
L’édifice construit par l’orgueil de l’homme tombe et est remplacé par celui que Dieu construit : « Voici, j’ai mis pour fondement en Sion une pierre, une pierre éprouvée, une pierre angulaire de prix, solidement posée. » (28.16a) C’est sur Christ que nous sommes invités à bâtir notre vie, en acceptant d’abord le salut qu’il nous offre (1 Pi 2.6-7), puis en contribuant à l’édification collective du peuple de Dieu (1 Cor 3.11-15). Alors plus de crainte du jugement ! « Celui qui la prendra pour appui n’aura point hâte de fuir. » (28.16b)
2. La religion humaine
« Malheur à ceux qui de bon matin courent après les boissons enivrantes, et qui bien avant dans la nuit sont échauffés par le vin ! La harpe et le luth, le tambourin, la flûte et le vin animent leurs festins ; mais ils ne prennent point garde à l’œuvre de l’Éternel, et ils ne voient point le travail de ses mains. » (5.11-12)
« Malheur à Ariel, à Ariel, cité dont David fit sa demeure ! Ajoutez année à année, laissez les fêtes accomplir leur cycle. » (29.1)
Le peuple du temps d’Ésaïe continuait dans ses pratiques religieuses (les fêtes, qui dégénéraient en festins orgiaques), tout en s’abandonnant à un péché moral et social éhonté. L’homme veut toujours faire des œuvres pour satisfaire Dieu ; il pense même pouvoir compenser par elles son inconduite. « Quand ce peuple s’approche de moi, il m’honore de la bouche et des lèvres ; mais son cœur est éloigné de moi, et la crainte qu’il a de moi n’est qu’un précepte de tradition humaine. » (29.13, repris par Jésus en Mat 15.8-9 et Marc 7.6-7). Mais Dieu en Christ a mis un terme à cette religion de façade : « C’est pourquoi je frapperai encore ce peuple par des prodiges et des miracles ; et la sagesse de ses sages périra, et l’intelligence de ses hommes intelligents disparaîtra. » (29.14, cité par Paul en 1 Cor 1.19). Notre foi n’est pas un ensemble de rites ou une pure spéculation intellectuelle : elle est une personne, Christ crucifié, qui est la puissance et la sagesse de Dieu (1 Cor 1.23-24).
3. L’hypocrisie
« Malheur à ceux qui tirent l’iniquité avec les cordes du vice, et le péché comme avec les traits d’un char, et qui disent : Qu’il hâte, qu’il accélère son œuvre, afin que nous la voyions ! Que le décret du Saint d’Israël arrive et s’exécute, afin que nous le connaissions ! » (5.18-19)
« Malheur à ceux qui cachent leurs desseins pour les dérober à l’Éternel, qui font leurs œuvres dans les ténèbres, et qui disent : Qui nous voit et qui nous connaît ? » (29.15)
Quelle duplicité chez ces Israélites qui semblent s’intéresser à la pensée de Dieu, alors qu’ils n’en font qu’à leur tête ! Pour contrer cette hypocrisie, une seule ressource : la Parole de Dieu. « En ce jour-là, les sourds entendront les paroles du livre ; et, délivrés de l’obscurité et des ténèbres, les yeux des aveugles verront. » (29.18) Suis-je sourd et aveugle quant à ce que je suis réellement devant Dieu ? le « livre » me fera entendre et voir ; la Parole de Dieu, miroir de l’âme, me débarrassera de mes faux habits de piété et me sanctifiera de mon hypocrisie (cf. Jac 1.22-24 ; Jean 17.17).
4. La rébellion
« Malheur à ceux qui appellent le mal bien, et le bien mal, qui changent les ténèbres en lumière, et la lumière en ténèbres, qui changent l’amertume en douceur, et la douceur en amertume ! » (5.20)
« Malheur, dit l’Éternel, aux enfants rebelles, qui prennent des résolutions sans moi, et qui font des alliances sans ma volonté, pour accumuler péché sur péché ! » (30.1)
Fondamentalement, le péché consiste à agir sans tenir compte de la volonté de Dieu. C’est à cause de cette attitude d’indépendance (« sans moi »), que le malheur est entré dans le monde lors de la chute en Éden. Une confusion morale totale s’en est suivie, renversant les normes du bien et du mal. Alors Dieu permet que les rebelles que nous sommes par nature (Rom 2.8-9) connaissent l’angoisse et la détresse (30.20) et crient à lui. Et lui qui désire faire grâce se lève pour user de miséricorde (30.18-19). Et au lieu d’agir indépendamment, le rebelle retourné à son Dieu : – le laisse agir : « C’est dans la tranquillité et le repos que sera votre salut, c’est dans le calme et la confiance que sera votre force » (30.15) ; – et lui indiquer le chemin : « Tes oreilles entendront derrière toi la voix qui dira : Voici le chemin, marchez-y ! » (30.21)
5. La confiance en l’homme
« Malheur à ceux qui sont sages à leurs yeux, et qui se croient intelligents ! » (5.21)
« Malheur à ceux qui descendent en Égypte pour avoir du secours, qui s’appuient sur des chevaux, et se fient à la multitude des chars et à la force des cavaliers, mais qui ne regardent pas vers le Saint d’Israël, et ne recherchent pas l’Éternel ! » (31.1)
Face à la redoutable menace du nord (assyrienne puis babylonienne), le peuple de Juda a eu très souvent la tentation de s’appuyer sur l’Égypte, l’autre grande puissance de l’époque : il se croyait politiquement sage et intelligent. Mais Dieu lui reproche de préférer un appui visible mais peu sûr — un secours purement charnel et humain (31.3) — à sa protection à lui. En opposition à la confiance en l’homme (la « descente » en Égypte), l’Éternel va descendre, lui aussi (31.4). Il se compare lui-même à un lion qui vient combattre.
Nous savons que le lion de la tribu de Juda (Apoc 5.5) est descendu et qu’il a vaincu un ennemi, le diable, dont l’Assyrien d’autrefois n’était qu’une image. Dès lors, Dieu peut dire à tout homme : « Revenez à celui dont on s’est profondément détourné » (31.7) pour être sauvé, épargné, délivré, protégé (31.6). En lui notre confiance est bien placée (cf. Ps 118.7-9).
6. La destruction
« Malheur à ceux qui ont de la bravoure pour boire du vin, et de la vaillance pour mêler des liqueurs fortes ; qui justifient le coupable pour un présent, et enlèvent aux innocents leurs droits ! » (5.22-23)
« Malheur à toi qui ravages, et qui n’as pas été ravagé ! qui pilles, et qu’on n’a pas encore pillé ! Quand tu auras fini de ravager, tu seras ravagé ; quand tu auras achevé de piller, on te pillera. » (33.1)
À l’œuvre destructrice de Satan, enrôlant des hommes pour oppresser les innocents, piller et ravager, Dieu oppose celui qui est la « sûreté » de nos jours (33.6). Dieu a préparé pour ceux qui trouvent en lui leur sécurité un « séjour tranquille », une « tente qui ne sera plus transportée » (33.20). L’oppression sera remplacée par la domination parfaitement équilibrée de celui qui est à la fois juge, législateur et roi (33.22), le « roi dans sa magnificence » (33.17) ! C’est bien lui qui est le remède unique et ultime à tous les malheurs humains.
1L’expression « bonne(s) nouvelle(s) » se trouve au moins 4 fois dans le livre (40.9 ; 41.27 ; 52.7 ; 61.1).
Vue générale des chapitres 7 à 12
Trois principales sections se détachent dans ces six chapitres :
– 1. de 7.1 à 9.7 : Emmanuel ;
– 2. de 9.8 à la fin du ch.10 : l’Assyrie, instrument de la colère divine ;
– 3. ch. 11 et 12 : le règne du Messie.
1. Emmanuel (7.1-9.7)
Le chapitre 7 s’ouvre par un des rares passages narratifs du livre d’Ésaïe. À la période prospère du règne d’Ozias ont succédé des jours difficiles pour le petit royaume de Juda, assailli par ses voisins : 2 Chroniques 28 montre qu’une première campagne contre les Syriens et le roi d’Israël (le royaume du nord, dont la capitale est Samarie) s’est soldée par une cuisante défaite. Ces deux royaumes coalisés comptent donner le coup fatal à Juda et installer au pouvoir un de leurs affidés (le fils de Tabéel).
Tandis que le roi Achaz inspecte l’approvisionnement en eau de Jérusalem, en prévision d’un siège, Ésaïe lui apporte un message de la part de Dieu :
– D’abord un encouragement : les deux voisins hostiles n’accompliront pas leur projet, ils ne sont que deux tisons fumants et près de s’éteindre (7.4). En effet, quelques années plus tard, l’intervention assyrienne a anéanti le royaume de Damas et écrasé Samarie (2 Rois 15.29;16.9).
– Ensuite une exhortation à faire confiance à Dieu. Et pour ranimer la foi d’Achaz, un signe lui est proposé. Mais Achaz, que la Bible nous décrit par ailleurs comme un roi impie et idolâtre, feignant la piété, refuse l’offre divine. Peut-être avait-il déjà pris la décision de faire appel à l’Assyrie, au lieu de se confier en Dieu.
La réponse du prophète est en deux parties : Dieu lui-même donnera un signe, celui d’Emmanuel, mais enverra aussi un fléau inédit, l’invasion assyrienne. L’expédient choisi par Achaz face à la menace immédiate d’Israël et de la Syrie allait se retourner contre lui et son royaume, comme un tsunami qui emporte tout sur son passage (8.7-8).
On voit dans cette prophétie d’Emmanuel, comme très souvent dans ce livre, une continuité entre le futur immédiat et l’horizon messianique : le prophète glisse de l’un à l’autre au cours d’un même passage, dans une perspective divine qui dépasse notre vision du temps.
En effet, le signe d’Emmanuel n’est pas facile à comprendre : certes, son accomplissement principal — c’est-à-dire la venue du Messie — est clairement expliqué à la fois par le chapitre 9 (« un enfant nous est né… ») et par la citation de Matthieu 1 qui insiste sur la naissance virginale de Jésus-Christ. Mais les v. 15 et 16 indiquent tout aussi clairement un accomplissement à très court terme, dans les années qui ont suivi le message à Achaz. L’explication la plus convaincante est de voir en Maher-Schalal-Chasch-Baz le premier Emmanuel : un enfant né de celle qu’Ésaïe allait épouser en secondes noces (« la prophétesse », 8.3) et qui était encore jeune fille au moment où Ésaïe a prononcé cet oracle devant Achaz.
Plusieurs éléments plaident en faveur de cette explication : d’abord le parallèle évident entre les v. 14 à 16 du ch. 7 et les v. 3 et 4 du ch. 8. Ensuite des témoins sont présents pour attester du mariage du prophète tout autant que de l’inscription « Maher-Schalal-Chasch-Baz » sur une grande plaque, qui pouvait être lisible de tous. Enfin, si l’enfant du ch. 8 porte un nom différent d’Emmanuel, on peut remarquer que notre Seigneur lui-même n’a jamais été appelé Emmanuel : « Tu lui donneras le nom de Jésus » dit l’ange à Joseph en Matthieu 1.21, dans le passage même qui cite Ésaïe 7.
Ainsi, le signe d’Emmanuel a été pour Achaz et les contemporains d’Ésaïe cet enfant dont le nom surprenant (qui signifie litt. « vite au butin, en hâte au pillage ») avait été inscrit avant sa naissance sur un grand panneau à la vue de tous.
Il en sera de même des siècles plus tard, lors de la naissance miraculeuse de cet autre enfant, né de femme mais conçu du Saint-Esprit, annoncé en même temps par Ésaïe (9.6). Qui d’autre que Christ pouvait porter les noms de « Dieu puissant » et « Père éternel » ?
Inséré dans le message prophétique d’Emmanuel, les v. 11 à 20 du ch. 8 sont un message personnel à Ésaïe, qui, avec ses enfants et ceux qui craignent l’Éternel (les « disciples », 8.16), se démarquent de leurs concitoyens.
2. L’Assyrie, instrument de la colère divine (9.8-10.34)
Après la vision de la venue du Messie, la Parole divine revient à la situation présente dans quatre strophes adressées au royaume de Samarie qui font écho aux six malheurs prononcés sur Juda au ch. 5. Ce peuple persiste dans son orgueil inconscient malgré un premier jugement de Dieu ; il est tout entier aveugle et perverti, dévoré par le feu de la discorde et rempli d’injustice envers les petits. « Pour tout cela, sa colère ne s’est pas détournée, et sa main est encore étendue. » (9.12,17,21 ; 10.4, Darby)
L’instrument de cette colère divine, l’Assyrie, est aussitôt présenté, mais sera châtié à son tour en raison de son arrogance (10.5-34).
3. Le règne du Messie (11.1-12.6)
Le ch. 11 s’ouvre alors sur celui qui est « la racine et la postérité de David » (Apoc 22.16, Darby). Tout différent des hommes orgueilleux dont l’ambition a causé la ruine du peuple, le prophète le rattache à Isaï, et non pas à David, comme pour souligner son humble origine et ôter toute prétention à la maison de David qui, en la personne d’Achaz, a montré son infidélité.
Le règne du Messie est décrit sur une terre où toute violence a disparu, dans un tableau évoqué de nouveau au ch. 65 : celui de la nouvelle création, toute entière pleine de la connaissance de l’Éternel.
Israël à nouveau rassemblé, comme Israël délivré de l’Égypte, entonne alors le cantique du ch. 12 : « Jah, Jéhovah est ma force et mon cantique, il a été mon salut. » (12.2, Darby) Ce cantique d’Israël racheté, qui rappelle celui chanté autrefois sur le rivage de la mer Rouge, est la conclusion et le point d’orgue de la première partie du livre où ont été abordés, en une majestueuse introduction, les thèmes principaux de la prophétie d’Ésaïe.
Foi et courte vue
Le récit du ch. 7 est d’abord une épreuve de foi. Dans la situation critique qu’il vivait, il était naturel pour Achaz de mobiliser toutes les ressources à sa disposition, et d’user d’un moyen qui pouvait paraître imparable : faire appel à la grande puissance de l’époque, l’Assyrie, devant laquelle ses ennemis du moment ne pourraient résister.
À tout problème on est tenté de trouver une solution humaine, en reléguant Dieu au second plan : pourvu qu’il fasse réussir le moyen que j’ai trouvé et que la sagesse humaine préconise ! Mais nos solutions ne sont pas toujours celles de Dieu. Le choix de faire confiance à Dieu, de donner plus de crédit à Celui qui est invisible qu’aux éléments tangibles qui nous entourent, n’est jamais un choix facile : c’est pourtant la seule manière de « subsister » (7.9).
Dans l’histoire d’Achaz, le choix de l’Assyrie, s’il a semblé judicieux à première vue, s’est avéré lourd de conséquences. Se tourner vers le monde, et faire appel aux ressources qu’il propose, c’est s’exposer à être submergé par lui. David, qui contrairement à Achaz était un homme de foi, s’est aussi laissé prendre à ce piège : pour échapper à Saül, il est allé se réfugier chez les Philistins en faisant croire qu’il était des leurs ; puis, de compromission en dissimulation, il s’est retrouvé entraîné dans la guerre, près de combattre contre son propre peuple (1 Sam 27-30).
Ce récit nous montre aussi une décision prise sous la pression des événements. L’urgence nous fait souvent croire qu’une action doit être entreprise au plus vite, parce que le temps est contre nous ; peut-être jugeons-nous aussi avec légèreté qu’il sera toujours temps de « corriger le tir », si notre choix initial n’est pas bon. Mais le temps de Dieu n’est pas toujours le nôtre.
Le contraste est instructif entre d’un côté Achaz et la majorité des hommes de Juda, agités comme les arbres par le vent, paniqués par les rumeurs d’un complot imminent (8.12), et de l’autre ceux qui s’attendent à Dieu comme Ésaïe. « Je m’attendrai à l’Éternel, … je l’attendrai » (8.17, Darby), ou « Je me confierai en lui », comme est cité ce verset dans Hébreux 2.13. Cette même Épître, en plusieurs endroits, nous montre le lien étroit entre patience et confiance (Héb 6.12,15 ; 11.13,39). La confiance en Dieu nous permet d’échapper à la pression de l’immédiat, en sachant que notre Dieu, lui, a notre avenir en ses mains.
Crainte de Dieu
Ce ne sont pas les événements menaçants, réels ou imaginaires, l’actualité brûlante, que les croyants doivent redouter. Bien plutôt, c’est notre Dieu que nous devons craindre, comme lui même l’enjoint à Ésaïe « avec toute la force de son autorité » (8.11, Seg21). Le « sanctifier » (8.13) — c’est-à-dire lui donner, dans notre vie et dans notre cœur, la place qui lui revient — est la seule source de sérénité pour ceux qui lui appartiennent. On raconte que John Wesley, embarqué pour l’Amérique, s’est converti en voyant le calme inébranlable de frères moraves rassemblés pour rendre culte alors que leur navire était pris dans une effroyable tempête.
L’apôtre Pierre cite ce passage, en montrant que les croyants, même soumis à l’hostilité de ceux qui les entourent, ne doivent pas davantage craindre les hommes, mais désarmer leur méchanceté par une conduite irréprochable (1 Pi 3.13-16).
Craindre Dieu, ce n’est pas avoir peur de lui ; c’est le respecter et avoir conscience de sa grandeur et de sa sainteté. Bien loin d’être une simple affirmation abstraite, le craindre nous amène à diriger notre vie en fonction de ce qui lui plaît. Nous sommes alors assurés de trouver auprès de lui refuge et sécurité, comme dans un sanctuaire (8.14), avec la conviction qu’il tient notre destin dans ses mains, et qu’il est avec nous en toute circonstance.
Emmanuel
Le sens de ce nom d’Emmanuel, « Dieu avec nous », répété trois fois dans les chapitres 7 et 8, condense d’une certaine manière toute la révélation biblique : celle du Dieu Tout-Puissant, par nature en dehors et au delà de toute création, qui resterait éternellement lointain et inaccessible à l’homme, s’il ne s’intéressait à lui. Un Dieu qui s’approche de l’homme, qui intervient activement en sa faveur et qui veut se faire connaître à lui.
Cette proximité voulue par l’Éternel, et vécue par de nombreux croyants de l’A.T., est devenue totale par l’incarnation. Jésus, Dieu fait homme, est véritablement « Dieu avec nous » : plus encore qu’une expérience vécue par ceux qui l’invoquent, c’est une personne, venue comme un enfant, que Dieu nous a donnée. Un homme parmi les hommes, qui a vécu ce que nous vivons, pour partager jusqu’à la mort notre humanité.
Mais si, pour ceux qui croient, Emmanuel (comme Maher-Schalal-Chasch-Baz) est l’assurance d’être délivrés, pour ceux qui n’ont pas placé leur confiance en l’Éternel, il est « une pierre d’achoppement, un rocher de scandale… un filet et un piège » (8.14).
Le signe d’Emmanuel introduit ainsi une alternative dans la bouche d’Ésaïe. Ne pas se confier en Dieu, ce n’est pas seulement se priver de la bénédiction d’Emmanuel, c’est être condamné à l’échec et à l’obscurité. Il est frappant de voir comme notre société occidentale qui a laissé de côté toute idée de Dieu, est envahie de pratiques occultes, exactement telles que les décrit Ésaïe. La révélation divine ne peut venir que de la parole inspirée (8.19-20), la lumière ne peut briller qu’en Jésus-Christ (8.21-9.7).
L’affirmation « Dieu est avec nous » n’est pas non plus un blanc-seing à des hommes incrédules, et le prophète s’attache à ce que nul ne la prenne avec légèreté.
Maher-Schalal-Chasch-Baz a annoncé à la fois la délivrance et la dévastation, la destruction des ennemis de Jérusalem et l’invasion assyrienne. Schear-Jaschub, le nom du premier fils d’Ésaïe, montre lui aussi clairement ces deux côtés du message prophétique : « un reste reviendra » est une promesse, celle d’un vrai retour à Dieu, mais aussi une menace, celle d’être consumé par la colère du Dieu saint, comme le montre 10.22 : « un reste seulement reviendra ».
On ne peut invoquer la protection de Dieu tout en rejetant son autorité et en méprisant ses exigences. Les soldats d’Hitler aussi avaient, gravé sur leur ceinture, ces mêmes mots : « Gott mit uns » (« Dieu avec nous ») ! Mais Dieu n’est jamais l’otage de ce qu’il a promis. Il est également bon et fidèle à ses promesses, juste et sévère envers le mal : « Considère donc la bonté et la sévérité de Dieu… » (Rom 11.22)
Cependant, pour ceux qui le craignent, cette sévérité n’est pas une source de terreur : elle leur fait mesurer, en Jésus, la grandeur de son amour qui attire ceux qui reviennent à lui, et chantent alors avec son peuple : « Je te loue, ô Éternel ! Car tu as été irrité contre moi, ta colère s’est détournée, et tu m’as consolé. » (12.1)
« Ces crises qui nous harcèlent », tel était le titre de notre précédent numéro. L’histoire est jalonnée de crises. Parmi toutes celles-ci, arrêtons-nous sur une période sombre de l’histoire du peuple d’Israël.
Vers l’an 700 avant Jésus-Christ, le peuple d’Israël est divisé en deux royaumes. Au nord, le royaume d’Israël où les rois se sont succédés depuis le schisme et n’ont guère brillé par leur actes au regard de Dieu. Au sud, le royaume de Juda où une partie des rois ont honoré l’Éternel. Le résultat de cette période trouble de l’histoire fût la déportation du royaume du nord vers l’Assyrie. À ce moment, le royaume de Juda est gouverné par le roi Achaz. Face à la menace assyrienne au nord, le petit royaume de Juda est tenté de s’allier à l’autre grande puissance de l’époque, l’Égypte. Dans ce contexte, Dieu envoie son prophète Ésaïe pour porter son message au peuple de Juda. Malgré la déchéance rampante de ce royaume, Ésaïe, par le message qu’il transmet, dénonce le péché du peuple et laisse entrevoir une issue glorieuse à la crise et aux malheurs par lesquels passe le royaume. Un petit enfant naîtra quelques centaines d’années plus tard à Bethléhem. Il sera appelé « Admirable conseiller, Dieu puissant, Père éternel, Prince de paix ».
Le livre d’Ésaïe, ce monument de la Bible, est bien plus qu’un livre prophétique, c’est un évangile — on le nomme à bien juste raison « l’évangile de l’Ancien Testament ».
Bien des siècles et des crises sont passés ; ce livre nous est parvenu intact par la grâce divine. Son message poignant reste d’actualité. Il nous invite à réfléchir à la relation qui nous lie à Dieu dans un monde en proie à la détresse, à l’angoisse et aux incertitudes. Laissons-nous donc conduire et édifier par ce livre, message du Dieu créateur à une humanité en crise.
La gloire à venir Ésaïe 58 à 66
La dernière section d’Ésaïe couvre les chapitres 58 à 66 de son livre1. Depuis le début du ch. 40, le prophète s’adresse par anticipation au reste du peuple juif déporté à Babylone, d’où il va ensuite remonter. Mais, au-delà de ces destinataires directs, tous les croyants sont visés par ces textes, comme le montre l’abondance des citations que les auteurs du N.T. font de ces chapitres2.
– Dans les ch. 40 à 48, face à la triple tentation de l’idolâtrie, du découragement et de la tentation, le prophète développe la grandeur du Dieu unique.
– Dans les ch. 49 à 57, grâce à l’œuvre du Serviteur souffrant, Ésaïe montre comment Dieu pourra pardonner à son peuple et ouvrir une large porte de salut à quiconque veut bien venir.
– Cependant une question importante reste à régler, celle de la justice : l’homme a été démontré injuste en pratique (ch. 1 à 39) ; seul Dieu peut le rendre juste par les souffrances de son Serviteur (ch. 40 à 57) ; mais quel est le lien entre cette justice de position et la justice pratique et comment ce lien permettra-t-il d’aboutir au dessein final de Dieu pour l’humanité ? Tel est le sujet de ces derniers chapitres (58 à 66).
Le renouvellement opéré par l’Esprit de l’Éternel
Au risque de caricaturer un peu, la seconde partie d’Ésaïe offre une présentation trinitaire de Dieu :
– les ch. 40 à 48 développent la gloire du Dieu incomparable,
– les ch. 49 à 57 sont centrés sur la personne et l’œuvre du Fils, le Serviteur souffrant et glorifié,
– dans les ch. 58 à 60, Ésaïe donne par avance les principales caractéristiques de la présence de l’Esprit de Dieu dans les croyants, qui sera une caractéristique majeure des « temps de la fin ».
Plusieurs versets préfigurent les effets de sa présence, qu’il nous est facile de mettre en relation avec des textes du N.T. :
a. La présence de l’Esprit de Dieu sera personnelle : « Voici mon alliance avec eux, dit l’Éternel : Mon Esprit, qui repose sur toi, et mes paroles que j’ai mises dans ta bouche, ne se retireront point de ta bouche, […] dès maintenant et à jamais. » (59.21)
Cette présence personnelle de l’Esprit concerne en premier lieu le Messie promis et son peuple renouvelé ; toutefois nous sommes désormais associés à lui si étroitement que ce texte s’applique aussi à nous. Jésus a annoncé que la présence de l’Esprit dans les siens serait éternelle (Jean 14.16). Paul rajoute que la présence de l’Esprit est caractéristique du croyant (Rom 8.9 ; Éph 1.13)
b. L’Esprit permet de jouir des bénédictions du salut : « Comme la bête descend dans la vallée, l’Esprit de l’Éternel les a menés au repos. » (63.14)
Historiquement, ce fut la part du peuple arrivé en Canaan. Et aujourd’hui c’est notre part : par l’Esprit, nous pouvons goûter un repos bien plus large ; il nous rend libres de ne plus être asservis par le péché, le monde et le diable (Héb 4.1-10 ; Rom 8.13).
c. L’Esprit est une puissance de témoignage : « L’Esprit du Seigneur, l’Éternel, est sur moi, car l’Éternel m’a oint pour porter de bonnes nouvelles aux malheureux. » (61.1)
C’est conduits par l’Esprit que les premiers apôtres annoncèrent la bonne nouvelle à la suite de l’Oint divin (Luc 4.17-22 ; Act 1.8).
d. L’Esprit conduit dans un chemin de sainteté quotidienne : « Ils ont été rebelles, ils ont attristé son Esprit saint ; et il est devenu leur ennemi, il a combattu contre eux. Alors son peuple se souvint des anciens jours de Moïse : […] Où est celui qui mettait au milieu d’eux son Esprit saint ? » (63.10-11)
Le N.T. nous enjoindra de ne pas « attrister le Saint Esprit de Dieu » (Éph 4.30). Apprenons un peu du contre-exemple historique du peuple pour chercher à honorer cet hôte divin par notre conduite.
e. L’Esprit arme contre les ennemis : « Quand l’ennemi viendra comme un fleuve, l’Esprit de l’Éternel le mettra en fuite. » (59.19)
L’Esprit nous aide dans notre combat spirituel, en particulier en nous dirigeant pour utiliser à bon escient la Parole de Dieu (Éph 6.17-18) afin de mettre en déroute le diable et son flot de pensées pernicieuses.
Les nouveaux cieux et la nouvelle terre
Le propos final de Dieu ira jusqu’à nous amener dans la pleine possession de l’héritage dont l’Esprit est les arrhes, dans une création renouvelée. Or les deux seules mentions dans tout l’A.T. des « nouveaux cieux et la nouvelle terre » sont dans ces chapitres :
– « Je vais créer de nouveaux cieux et une nouvelle terre ; on ne se rappellera plus les choses passées, elles ne reviendront plus à l’esprit. » (65.17)
– « Comme les nouveaux cieux et la nouvelle terre que je vais créer subsisteront devant moi, dit l’Éternel, ainsi subsisteront votre postérité et votre nom. » (66.22)
Y répondent les deux mentions du N.T. :
– « Nous attendons, selon sa promesse, de nouveaux cieux et une nouvelle terre, où la justice habitera. » (2 Pi 3.13)
– « Je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre ; car le premier ciel et la première terre avaient disparu. » (Apoc 21.1)
Ésaïe envisage l’aboutissement du plan de Dieu dans un état définitif, renouvelé, caractérisé par la justice3. Comment sera cette nouvelle création ? Dans ces chapitres, il esquisse quelques détails, en pleine cohérence avec le N.T. :
– La présence de Dieu sera centrale, lumière des hommes : « Ce ne sera plus le soleil qui te servira de lumière pendant le jour, ni la lune qui t’éclairera de sa lueur ; mais l’Éternel sera ta lumière à toujours, ton Dieu sera ta gloire. » (60.19 ; cf. Apoc 21.23)
– Les conséquences du péché auront pris fin : « Les jours de ton deuil seront passés. » (60.20) « On n’y entendra plus le bruit des pleurs et le bruit des cris. » (65.19 ; cf. Apoc 21.4)
– Ceux qui ont refusé le salut subiront un jugement éternel : « Quand on sortira, on verra les cadavres des hommes qui se sont rebellés contre moi ; car leur ver ne mourra point, et leur feu ne s’éteindra point ; et ils seront pour toute chair un objet d’horreur. » (66.23-24 ; cf. Apoc 21.8)
La gloire
La « gloire » est un des mots-clefs de cette section (avec 8 mentions sur 22 dans l’ensemble du livre). Si les nouveaux cieux et la nouvelle terre sont caractérisés par la présence personnelle de Dieu, cette dernière ne peut être que glorieuse (60.19-20).
Cette gloire :
– sera à contempler : « Le temps est venu de rassembler toutes les nations et toutes les langues ; elles viendront et verront ma gloire. » (66.18)
– sera racontée par toute la terre : « Je mettrai un signe parmi elles, et j’enverrai leurs réchappés vers les nations, à Tarsis, à Pul et à Lud, qui tirent de l’arc, à Tubal et à Javan, aux îles lointaines, qui jamais n’ont entendu parler de moi, et qui n’ont pas vu ma gloire ; et ils publieront ma gloire parmi les nations. » (66.19)
Cette gloire,
– Dieu se plaît à la mettre et à la faire voir dans les siens : « Lève-toi, sois éclairée, car ta lumière arrive, et la gloire de l’Éternel se lève sur toi. Voici, les ténèbres couvrent la terre, et l’obscurité les peuples ; mais sur toi l’Éternel se lève, sur toi sa gloire apparaît. » (60.1-2)
– elle conduit alors à l’adoration et au respect : « On craindra le nom de l’Eternel depuis l’occident, et sa gloire depuis le soleil levant. » (59.19)
La joie
a. Non seulement la présence de Dieu fait resplendir sa gloire, mais elle apporte aussi la joie à ses rachetés.
– Cette joie contraste avec la situation précédente d’une terre marquée par la honte du péché et la mort : « Au lieu de votre opprobre, vous aurez une portion double ; au lieu de l’ignominie, ils seront joyeux de leur part ; ils possèderont ainsi le double dans leur pays, et leur joie sera éternelle. » (61.7) ; « …pour accorder aux affligés de Sion, pour leur donner un diadème au lieu de la cendre, une huile de joie au lieu du deuil. » (61.3)
– Elle sera liée à un cœur renouvelé et heureux : « Voici, mes serviteurs chanteront dans la joie de leur cœur. » (65.14) « Vous le verrez, et votre cœur sera dans la joie, et vos os reprendront de la vigueur comme l’herbe. » (66.14)
– Elle sera la conséquence de l’œuvre de Dieu en salut : « Je me réjouirai en l’Éternel, mon âme sera ravie d’allégresse en mon Dieu ; car il m’a revêtu des vêtements du salut. » (61.10) « Réjouissez-vous plutôt et soyez à toujours dans l’allégresse, à cause de ce que je vais créer ; car je vais créer Jérusalem pour l’allégresse, et son peuple pour la joie. » (65.18 ; cf. 60.15)
– Elle produira la louange : « Ils annonceront avec joie les louanges de l’Éternel. » (60.6, Darby)
– Elle sera liée à un service éternel : « Mes serviteurs se réjouiront. » (65.13)
b. La joie des rachetés sera à l’unisson de la joie de Dieu lui-même. Privilège extraordinaire, nous contribuerons à la joie éternelle du Dieu intrinsèquement bienheureux ! Il peut dire : « Je ferai de Jérusalem mon allégresse, et de mon peuple ma joie. » (65.19) « Comme la fiancée fait la joie de son fiancé, ainsi tu feras la joie de ton Dieu. » (62.5)
La fin de l’éthique : la justice selon Dieu
Ces chapitres abondent en considérations éthiques. Fondamentalement, l’homme ne peut pas faire valoir sa conduite. Deux constats, parmi bien d’autres :
– « Toutes nos justices sont comme un vêtement souillé. » (64.6)
– « Il n’y a personne qui invoque la justice, et personne qui plaide en jugement avec intégrité. » (59.4)
Alors Dieu doit intervenir et donner une justice autre : « Il m’a revêtu des vêtements du salut, il m’a couvert de la robe de la justice. » (61.10, Darby) Les chants du Serviteur (et le chant supplémentaire que constitue le ch. 61) indiquent par quel moyen cette justice nous a été acquise : les souffrances du Messie.
Cependant la justice imputée par Dieu (justice de position) doit avoir pour suite immédiate une justice pratique : « … afin qu’on les appelle des térébinthes de la justice » (61.3). Au lieu d’une injustice constante (59.1-15) ou d’une religion extérieure purement formelle (58.1-4), le croyant renouvelé montre sa justice intérieure par des actes justes, que Dieu apprécie beaucoup plus que des rites sans réalité : « Voici le jeûne auquel je prends plaisir : détache les chaînes de la méchanceté, […] partage ton pain avec celui qui a faim ; […] si tu vois un homme nu, couvre-le. » (58.6-7) Ce faisant, le fidèle anticipe dans un monde de ténèbres la lumière du règne glorieux de Dieu (58.8-14).
De plus, notre conduite ici a des conséquences directes dans l’avenir, dans ces nouveaux cieux et cette nouvelle terre dont la justice concrète sera une des caractéristiques premières : « Il ne se fera ni tort, ni dommage. » (65.25) Le temps viendra où Dieu dira : « Je connais leurs œuvres et leurs pensées » (66.18) — le temps où les conséquences de nos actes seront finalement établies. Quel encouragement à « pratiquer avec joie la justice » (64.4) !
* * *
Ces chapitres 58 à 66 ne sont pas les plus connus d’Ésaïe. Pourtant, à travers un kaléidoscope de tableaux divers, souvent d’une poésie saisissante, le prophète esquisse par touches différentes des perspectives qui touchent à l’éternité. Il ouvre l’espérance à tout homme humble, qui craint la parole de Dieu (66.2), d’un renouvellement universel, glorieux et joyeux, centré sur la présence même de Dieu. Animé par l’Esprit de Dieu, sur la base d’un salut acquis par le Serviteur souffrant, le croyant vit déjà dans cette attente en montrant son salut par sa justice pratique. Il vaut la peine d’écouter et de vivre le message du livre de la gloire à venir !
1Certains commentateurs considèrent que les ch. 40 à 55 forment une unité et les ch. 56 à 66 une autre. Bien que cette thèse ait quelques arguments en sa faveur, nous préférons nettement un plan des ch. 40 à 66 en trois fois neuf chapitres (40-48 ; 49-57 et 58-66), marqués par un indice textuel fort (même refrain à la fin des ch. 48 et 57).
2Voir Luc 4.18-19 ; Act 7.49-50 ; Rom 3.15-17 ; 10.20 ; 10.21 ; 11.26-27 ; 1 Cor 2.9 ; Éph 5.14, etc.
3Il est souvent délicat d’attribuer tel verset au millénium ou à l’état éternel. Ce n’est d’ailleurs pas le but d’Ésaïe qui présente des tableaux de la gloire à venir sans se préoccuper d’établir une chro-nologie ; celle-ci ne sera clairement posée que dans le dernier livre de la Bible, l’Apocalypse. Soyons moins concentrés sur la séquence des événements et cherchons davantage à suivre les auteurs bibliques dans le but propre de leur exposé du futur, qui est avant tout moral et spirituel.
Articles par sujet
abonnez vous ...
Recevez chaque trimestre l’édition imprimée de Promesses, revue de réflexion biblique trimestrielle qui paraît depuis 1967.