PROMESSES

Tim Keller est un pasteur particulier. Après des études théologiques et un poste pastoral dans une petite ville américaine, il a fondé en 1989 l’église Redeemer (Rédempteur) à New York, qui a connu une croissance extraordinaire, amenant au salut des milliers de personnes, en particulier de jeunes urbains déchristianisés. Il est le fondateur avec Donald Carson de The Gospel Coalition, mouvement interconfessionnel, visant à promouvoir une évangélisation profondément biblique (voir le site remarquablement riche : www.thegospelcoalition.org).

Dans « La raison est pour Dieu », « la foi à l’heure du scepticisme », Tim Keller reprend les principales questions qui lui ont été posées par les jeunes Neworkais au cours de 20 ans de ministère :

-« il est impossible qu’il n’existe qu’une seule vraie religion.»

-« Comment un Dieu bon pourrait-il permettre la souffrance ? »

-« Comment un Dieu aimant peut-il envoyer des gens en enfer ? »

À chacune de ces questions, Tim Keller apporte une réponse biblique argumentée, étayée de citations en prise avec la culture contemporaine.

C’est donc à la fois un remarquable ouvrage d’apologétique qui peut être facilement donné à une personne en recherche (pour peu qu’elle ne recule pas devant la réflexion) et une analyse utile à tout chrétien pour comprendre le mode de pensée postmoderne.


Introduction

Sujet passionnant, important pour la vie de nos églises, et difficile à traiter! Il existe sur cette question des sensibilités, des approches différentes. J’en suis bien conscient. Chacune de nos églises rencontre cette question de l’unité chrétienne dans ses rapports avec d’autres églises et mouvements qui existent dans sa région, sa ville ou son village. Les situations varient beaucoup d’un endroit à l’autre. Comment traiter les problèmes de collaborations, de relations inter-ecclésiastiques? Quels principes suivre? «Que dit l’Ecriture» au sujet de l’unité chrétienne?

I. La recherche de l’unité

De nos jours, le mouvement oecuménique fait de la recherche de l’unité son combat. Son but est de regrouper sous sa bannière tous ceux qui se réclament du christianisme, et d’aboutir à une organisation qui, en manifestant l’unité des croyants, apporterait enfin un exaucement à la prière de notre Seigneur: «Que tous soient un».

L’objectif qui consiste à unir les chrétiens est louable. Il y a derrière l’ocuménisme une belle pensée, imprégnée d’amour chrétien. L’idéal ne paraît manquer ni d’élévation, ni de fondement sur le plan biblique. De plus, il semble correspondre à un vrai besoin. Après deux guerres mondiales et devant la multiplicité des conflits qui ensanglantent la planète, comment ne pas désirer que l’ocuménisme réussisse sur le plan religieux ce que l’on aimerait voir réussir sur le plan politique par le moyen des Nations Unies? Cela éviterait déjà certaines guerres dont le prétexte avoué est religieux! Il faut l’unité, c’est évident! Il faut encourager la compréhension mutuelle, l’ amour fraternel. Et qui d’autre que les chrétiens devrait donner l’exemple de l’unité, la rechercher, la vivre, en être les artisans? Si nous reconnaissons l’inspiration et l’autorité des Saintes Ecritures, une telle recherche s’inscrit au cour de notre vie chrétienne, au centre de notre programme d’ église locale. ..car, d’ une manière générale:

1.1 L’Ecriture est «pour» l’unité

La Bible nous parle des bonheurs de la communion fraternelle, de la joie d’adorer Dieu et de le servir ensemble. Voici, oh! qu’i! est agréable, qu’il est doux pour des frères de demeurer ensemble! (Ps 133: 1). Le Nouveau Testament exprime à bien des reprises et de bien des manières, de la description à l’ exhortation en passant par le récit, le bonheur et le devoir de la communion fraternelle. C’est une réalité du premier jour: il nous est dit que les premiers convertis persévéraient dans l’enseignement des apôtres, dans la communion fraternelle, dans la fraction du pain et dans les prières… Tous ceux qui croyaient étaient dans le même lieu et ils avaient tout en commun (Act 2:42-44). Ils étaient chaque jour tous ensemble assidus au temple.. .(Act 2:46). Les apôtres, de leur côté, insistent régulièrement sur l’importance d’un amour fraternel sincère; aimez-vous ardemment les uns les autres, de tout votre cour, écrivait Pierre (1 Pi 1 :22).

Certes, ces textes s’inscrivent dans le cadre d’églises locales. Mais cette communion ne doit elle pas être recherchée et manifestée aussi entre tous les chrétiens? Le Christ n’a-t-il pas dit: Que tous soient un? Les images que le Seigneur nous donne de son Eglise militent clairement en faveur de l’unité des croyants:

-l’Eglise est le corps de Christ... les membres qui le composent sont très différents les uns des autres, ils n’ont ni les mêmes fonctions ni les mêmes capacités, mais ils forment ensemble une unité qui manifeste la même vie. Leur diversité fait la richesse du corps. Aussi: Qu’il n ‘y ait pas de division dans le corps.. (1 Cor 12:25). Comme le corps est un et a plusieurs membres, et comme tous les membres du corps, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps, ainsi en est-il de Christ. (1 Cor 12: 12). Christ est la tête; l’Eglise est son corps (Col 1.18). Quelle unité que celle-là, puisqu’elle a pour auteur le seul Esprit!

-l’Eglise est la «maison» de Dieu. En lui vous êtes aussi édifiés pour être une habitation de Dieu en Esprit. (Eph 2:22). Cette «maison» spirituelle unit les pierres vivantes autour de la même pierre vivante: le Christ, et pour une même vocation: être le temple de Dieu. Son unité provient aussi de ce qu’elle est édifiée par son unique architecte: le Seigneur Jésus, qui a dit: Je bâtirai mon EGLISE… (Mat 16:18). «Mon> EGLISE, au singulier. Au-delà des églises locales dont le Nouveau Testament nous parle abondamment, il y a cette EGLISE -en lettres majuscules -qui rassemblera un jour tous les élus de Dieu de tous les temps, une grande foule, que personne ne pourra compter, de toute nation, de toute tribu, de tout peuple et de toute langue (Apoc 7.9).

-l’Eglise est l’épouse de Christ. Il l’aime, Il l’a rachetée, Il s’est livré pour elle et Il la prépare, la sanctifie, la purifie, pour le jour du banquet des noces de l’Agneau. (Eph 5.25-33, Apoc 19.7-9).

-l’Eglise est le troupeau du Seigneur. Le Christ déclare à son sujet : il y aura un seul troupeau et un seul berger (Jn 10.16).Toutes ces images décrivent, chacune à sa manière, l’unité de l’EGLISE. Cette unité nous est aussi proposée, à maintes reprises et de diverses façons, comme un objectif à atteindre: être UN en Christ (GaI 3.28), nous efforcer de conserver l’unité de l’esprit par le lien de la paix… (Eph 4:3), marcher d’un même pas (PhiI3.15), être tous animés des mêmes pensées et des mêmes sentiments, pleins d’amour fraternel, de compassion, d’ humilité. ( I Pi 3:8; PhiI2.1-5). Sous ces exhortations apostoliques, on ne peut que reconnaître le commandement que Christ nous a laisséeacute; de nous aimer les uns les autres (ln 13.34; 15.12, etc.). Ce qui nous amène à considérer aussi que:

1.2 L’Ecriture est «contre» les divisions

Voici quelques textes très significatifs: Je vous exhorte, frères, par le nom de notre Seigneur Jésus-Christ, à tenir tous un même langage, et à ne point avoir de divisions parmi vous, mais à être parfaitement unis dans un même esprit et dans un même sentiment Christ est-il divisé? (I Cor 1.10, 13). Je vous exhorte à prendre garde à ceux qui causent des divisions et des scandales, au préjudice de l’enseignement que vous avez reçu. Eloignez-vous d’eux, (Rom 16:17). Les oeuvres de la chair, ce sont… les inimitiés, les querelles… les disputes, les divisions, les sectes… (GaI 5:20). Eloigne de toi… celui qui provoque des divisions. (Tit 3:10)… etc.

Quelle fermeté à l’égard des diviseurs! L’unité des croyants doit être traitée avec le plus grand sérieux; il faut l’aimer, la chérir. Elle a du prix aux yeux du Seigneur. Il est grave de la blesser. Ce n’est qu’en donnant tout son poids au fait que l’Ecriture est «pour> l’unité et «contre» les divisions que l’on peut tenter d’ aborder le sujet de l’unité chrétienne, de sa définition et de ses limites. Tels sont les principes fondamentaux que nous devons garder à l’esprit au moment d’examiner la situation actuelle du monde chrétien.

2. Les bienfaits et les inconvénients de l’unité

Devant les divisions du christianisme et le triste spectacle de morcellement que donnent les diverses familles de la chrétienté depuis longtemps, que penser? On peut voir là, avec beaucoup d’autres, un scandale, un mauvais témoignage, une trahison de l’intention divine, une cause évidente, enfin, du rejet de la foi par beaucoup d’hommes. D’une certaine manière, nous partageons cette opinion. Le livre des Actes nous montre que l’unité des chrétiens et les progrès de l’Evangile sont intimement liés; que l’unité et la croissance de l’Eglise vont souvent de pair (Act 2.44-47; 4.32-33; 5.12,14; 9.31 ).Nous connaissons les bienfaits qui découlent de manifestations tangibles de l’unité entre croyants: à l’extérieur, l’amour qui unit les chrétiens constitue un témoignage éloquent en faveur de l’Evangile de Jésus-Christ; et, à l’intérieur, que d’occasions d’apprendre et d’être encouragés, enrichis par les connaissances, les talents et les expériences d’autres frères et sours !

Il est vrai que ces contacts peuvent se révéler «embarrassants», mais pas forcément pour de mauvaises raisons. Ces fraternelles «confrontations» peuvent nous aider à discerner ce qui, dans nos propres conceptions, est «vérité» et ce qui n’est peut-être que «tradition». Nous pouvons être plus ou moins prisonniers de notre histoire, de nos habitudes ou de nos expériences personnelles. Fréquenter d’autres chrétiens nous oblige à réfléchir dans des domaines où nous prenons peut-être pour des convictions «bibliques» des opinions toutes faites que nous respectons sans trop savoir pourquoi. Nos manières de penser et d’agir se trouvent ainsi testées. Il faut accueillir sereinement ce genre de difficulté. A vouloir l’éviter , on courrait le risque de rater en même temps une occasion de progresser, de repenser notre foi et notre pratique. Les mises en commun peuvent être réciproquement stimulantes.

2.1 Autrefois

Les églises primitives différaient beaucoup les unes des autres, comme on le voit sans peine pour Corinthe et Ephèse. Il y avait de l’une à l’autre des différences de styles, d’organisations, de sensibilité. Les contextes culturels, religieux, sociaux, politiques, raciaux ne pouvaient manquer d’influencer des églises dont les membres avaient des origines tellement diverses et qui vivaient elles-mêmes dans des milieux très différents. Aussi l’unité entre les églises ne voulait surtout pas dire «uniformité» ! Aucune église n’était une sorte de copie conforme, de clone, d’une église modèle, qui aurait pu être celle de Jérusalem ou celle d’ Antioche de Syrie.

Bien des indices, dans les Actes et les épîtres, montrent que ces églises entretenaient des contacts assez fréquents, contacts qui n’allaient d’ailleurs pas sans problèmes. Il n’y avait pas que les gens «bien sous tous rapports» qui voyageaient. Ces contacts amenaient du bon et du moins bon; parfois du franchement mauvais! Mais les églises ne cherchaient pas à vivre en milieu aseptisé ou dans une sorte de quarantaine (inversée) pour éviter les contagions. Une telle crainte aurait été un signe de mauvaise santé. Elles acceptaient donc les risques de l’unité des croyants et des relations fraternelles avec d’autres églises. Elles étaient cependant attentives à éprouver les esprits, à dénoncer les faux frères, à combattre l’erreur doctrinale. Et s’ il leur arrivait d’y manquer, les apôtres et les bergers des églises devaient être prêts à assumer cette responsabilité. C’était leur rôle, leur désagréable, mais incontournable devoir. Le Nouveau Testament ne voile pas cette réalité: il en donne de nombreux exemples et énonce les principes qui doivent inspirer les chrétiens devant des situations de ce genre.

Il y avait donc une unité réelle entre les églises primitives. Les apôtres maintenaient les contacts avec elles et entre elles. Ils les conduisaient à louer Dieu pour les progrès de l’ouvre, ou à intercéder en faveur d’églises en difficulté. L’entraide répondait aux besoins, dès qu’ils étaient connus, avec autant de spontanéité que d’efficacité (cf. Act 11.29-30; 2Cor8. 9). Une telle unité n’avait donc rien d’artificiel: elle n’était pas de façade ou d’institution. Elle n’avait pas entraîné la création d’une grande organisation religieuse; elle en ignorait les hiérarchies, voire la bureaucratie, et n’en utilisait pas les moyens. Ce n’était du reste pas les seuls apôtres ou leurs représentants qui, en visitant les églises, entretenaient leurs relations: d’autres chrétiens aussi jouaient ce rôle, en dehors de toute mission officielle, lorsqu’ ils quittaient une ville pour s’établir dans une autre, ou lorsque, de passage, ils recevaient ici ou là, l’hospitalité (Héb 13,2). Cette unité n’avait qu’une origine: l’amour profond des églises pour le Christ et leur volonté de le servir quoi qu’ il en coûte. En Son nom, ils poursuivaient partout les mêmes objectifs; ils annonçaient le même message du salut par grâce, par le moyen de la foi; ils avaient la même conception générale de l’Eglise, la même approche de la vie chrétienne, la même joie de servir à l’avancement du Royaume de Dieu dans l’attente du retour de Christ.

Une grande vigilance s’exerçait pour que ce cap soit maintenu, malgré les différences inévitables de sensibilité entre les églises. L’unité était là, dans les cours, et elle rejaillissait vers l’extérieur, bien visible pour le monde environnant qui trouva un surnom éloquent pour les disciples du Christ: on les appela «chrétiens».[note]ma note ici[/note]

Si le Seigneur veut l’unité, c’est donc pour notre bien: c’est pour qu’un témoignage soit rendu à la louange de Sa grâce; c’est aussi en vue d’un enrichissement spirituel réciproque; et c’est encore pour qu’ensemble nous puissions faire ce qu’il nous serait difficile d’accomplir séparément (comme quand les églises de Macédoine et de Grèce unissent leurs efforts pour apporter une aide aux églises de Judée dans l’ épreuve). Pour toutes ces raisons (et pour quelques autres encore), on ne peut que désirer l’unité… ardemment! Mais comment s’ orienter dans la situation actuelle que sa confusion et sa complexité rendent si déconcertante ?

2.2 Aujourd’hui

Il est difficile de transposer la situation de l’Eglise primitive dans notre contexte actuel. Tant de choses ont changé. Il n’y a plus d’un côté: le judaïsme et le paganisme, et d’un autre côté: les églises locales, persécutées, au milieu d’un monde hostile. Sans doute le monde a-t-il beaucoup évolué depuis 20 siècles en ce qui concerne le style de vie et les formes extérieures; mais, sur le fond, dans le domaine spirituel, il est resté tout autant opposé à l’ Evangile. ..il préfère toujours les ténèbres à la lumière. Le christianisme, quant à lui, a beaucoup changé, non seulement dans ses formes, mais aussi dans son fond. La scène religieuse offre un spectacle extrêmement complexe, avec une quasi infinité de nuances légères ou d’oppositions caractérisées sur les questions doctrinales et pratiques entre ceux qui se réclament de l’héritage chrétien.

Dans ce contexte-là, une question se pose: les divisions que l’on constate aujourd’hui, au sein du christianisme, sont-elles toutes scandaleuses et constituent-elles autant de trahisons de l’intention divine? Certainement pas. Le Nouveau Testament le montre clairement: l’unité dont il parle avec tant de chaleur n’est ni une unité à n’ importe quel prix, ni l’unité n’importe comment, sur n’importe quelles bases et avec n’importe qui. D’une certaine manière, on peut résumer son enseignement en disant que toute unité n’est pas forcément unité de l’Esprit et que toute division n’est pas forcément coupable. Il faut «examiner toute chose et retenir ce qui est bon» (1 Thes 5.21). Nous trouvons dans le texte inspiré des indications susceptibles de guider cet examen et d’éclairer notre route, même dans le brouillard qui recouvre actuellement notre paysage religieux.

Il est nécessaire ici de distinguer, même s’ils sont conjoints et solidaires, deux aspects de l’unité chrétienne: l’aspect «spirituel», qui est déjà une réalité pour ceux qui sont «en Christ», et l’aspect «visible», humainement organisé, qui est à manifester concrètement, avec les objectifs que nous proposent les Ecritures. C’ est ce qui se fait au sein des églises locales où le spirituel et le visible se rejoignent de manière heureuse, dans une organisation qui s’inspire des principes enseignés dans le Nouveau Testament. C’est encore ce que l’on retrouve quand des Eglises, ayant la même Confession de Foi, s’unissent dans le cadre d’Associations pour dire et faire ensemble, devant le monde, ce qu’ elles ne pourraient pas dire et faire séparément.

Mais il y a un autre niveau de «visibilité» qui peut être recherché, me semble- t-il, pour une pleine manifestation de l’unité spirituelle, même s’il est plus difficile à atteindre. C’ est celui qui rassemble des chrétiens membres de dénominations diverses dans un témoignage commun devant le monde. Il serait vain d’en nier l’importance. Cet appel à réaliser de manière concrète l’unité des chrétiens est, dans l’idéal, le projet oecuménique; c’est aussi le projet (moins ambitieux, mais plus concret) des diverses collaborations inter-ecclésiastiques qui se proposent à nous, sur Ie plan local ou régional. Jusqu’où faut-il aller dans ces manifestations tangibles d’unité? Dans quel cadre les situer? Ces questions ne sont pas simples.

D’ailleurs, chaque fois qu’il s’agit de fixer un cadre ou des limites à ne pas dépasser, les difficultés sont grandes… cela a quelque chose d’arbitraire: tracer une ligne, c’ est toujours définir deux côtés, distincts et séparés; c’est, du même coup, délimiter deux «camps» L’appartenance à l’un ou l’autre de ces camps entraîne ou manifeste une réelle séparation, produite par la différence des options religieuses. Remarquons cependant qu’une séparation de ce genre peut atteindre des amis sans pour autant détruire leur amitié.

L’ oecuménisme, sous ses formes diverses (locales, nationales ou internationales), est-il une sorte de passage obligé pour un témoignage chrétien efficace face au monde? Rien n’est moins sûr! Certains semblent croire qu’il faudrait être tous ensemble dans un même grand navire oecuménique pour aller à la pêche et avoir du succès! Mais l’efficacité de la méthode est loin d’être prouvée! Le professeur CarI Witloof (cité par H. Blocher) a fait cette remarque qui ne manque pas de pertinence: «Les grands transatlantiques sont-ils réellement plus efficaces que les petits bateaux quand il s’agit d’aller à la pêche?» Bonne question! Dans la pratique, on le constate: l’unité visible, la plus large possible, n’est pas toujours garante d’un témoignage efficace et vrai.

Il est vrai que nos contemporains rejettent l’Evangile, et que l’influence que celui-ci peut avoir dans le monde semble diminuer. Mais il ne suffit pas, pour expliquer ces faits, d’invoquer l’absence d’unité du peuple de Dieu. Il faut tenir compte aussi du contexte dans lequel se fait l’évangélisation: il se caractérise, sur un plan général, par l’indifférence spirituelle des hommes ou leur franche hostilité à l’Evangile, le matérialisme et ses puissants attraits, et, sur le plan religieux, par le fait que, depuis des siècles, les églises «chrétiennes» obscurcissent, défigurent le message de l’Evangile et maintiennent, en quelque sorte, « la vérité captive »…, sans parler des sectes multiples qui ajoutent à la confusion. Et l’on ne peut, malheureusement, passer sous silence, chez beaucoup de chrétiens «évangéliques», la froideur spirituelle, un manque de zèle et de consécration, ou bien, parfois, un zèle sans intelligence, un message déséquilibré, tronqué ou caricatural qui fait office de repoussoir… ou de «miroir aux alouettes!» Tout cela nuit à la crédibilité du message du salut et rend les églises locales fort peu convaincantes aux yeux de ceux qui cherchent le vrai chemin. N’ oublions pas enfin l’adversaire, le menteur, l’accusateur des frères, le grand falsificateur, qui déploie, à l’intérieur comme à l’extérieur des églises, une action d’une redoutable efficacité pour que cette situation spirituelle déplorable se maintienne ou s’aggrave… si possible!

Quelques textes bibliques peuvent nous aider à retrouver le cadre dans lequel l’unité des enfants de Dieu peut et doit se manifester. Ils contiennent des réponses précises aux questions que nous nous posons.

3. L’étendue et les limites de l’unité chrétienne

3.1 Jean 17

Examinons très brièvement l’un des textes les plus cités pour exhorter les enfants de Dieu à réaliser leur unité: Jn 17, et plus particulièrement les versets 20 et 21: Ce n’est pas pour eux (les disciples) seulement que je prie, mais encore pour ceux qui croiront en moi par leur parole, afin que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et comme je suis en toi, afin qu’eux aussi soient un en nous, pour que le monde croie que tu m’as envoyé .

Que tous soient un: parole on ne peut plus claire et d’ autant plus précieuse quand on considère que Jésus l’ a prononcée dans une prière adressée à Son Père céleste, à la veille de la crucifixion, alors qu’Il se préparait à donner sa vie pour «ses brebis». Le poids des mots devient alors considérable. Le bon berger plaide en pensant à son troupeau présent et à venir.

Le Seigneur veut l’unité de «tous»! Mais que recouvre ce «TOUS»?:
v.2 Ce sont ceux que le Père lui a donnés, à qui il accorde la vie éternelle.
v.3 Ils connaissent le seul vrai Dieu et celui qu’Il a envoyé, Jésus-Christ.
v.6 Ils sont tirés du milieu du monde… et ils ont gardé Sa parole.
v .8 Leur foi est précise: les paroles que tu m’as données… ils les ont reçues, et ils ont vraiment connu que je suis sorti de toi, et ils ont cru que tu m ‘as envoyé.
v.10 En eux Christ est glorifié.
v.11 Ils ne sont pas du monde, comme Christ n’est pas du monde, et ils ont besoin d’être gardés par le Père pour qu’ils soient un comme le Père et Jésus sont un.
v.12 Ce sont ceux que Christ garde et qui sont sauvés… Lorsque j’étais avec eux dans le monde, je les gardais en ton nom. J’ai gardé ceux que tu m’as donnés, et aucun d’eux ne s’est perdu, sinon le fils de perdition, afin que l’Ecriture fût accomplie.
v .13 S’ils peuvent goûter la joie parfaite de Christ… ils n’en sont pas moins:
v.14 haïs par le monde, parce qu’ils ont reçu la Parole de Dieu et qu’ils ne sont pas du monde.
v.17 Leur vie se vit dans un rapport étroit avec la vérité qui sanctifie. Sanctifie-les par ta vérité: ta parole est la vérité.
v .18 Ils ont à remplir dans le monde une mission semblable à celle de Christ: Comme tu m’as envoyé dans le monde, je les ai aussi envoyés dans le monde. …pour proclamer la Bonne Nouvelle, appeler les hommes à la repentance… Ces versets nous aident à cerner l’identité de ceux qui sont inclus dans le «tous». Le Seigneur n’envisage pas ici, de toute évidence, l’unité de différentes confessions religieuses, de différentes églises ou dénominations, mais tout simplement et merveilleusement, l’union de tous ses disciples; ils ont reçu la vie éternelle; ils exercent une foi personnelle; ils sont engagés dans le chemin de l’obéissance à la Parole de Dieu, de la sanctification et du service. Leur union est semblable à celle du Père et du Fils; elle est un témoignage à la gloire de Christ et à l’ amour de Dieu pour eux. Sans doute, leur union va-t-elle se concrétiser dans l’appartenance à des familles spirituelles locales, mais ce qui les unit d’abord, c’est ce qu’ils sont en Christ… le reste n’étant que conséquences pratiques inévitables, en accord avec le plan de Dieu pour tous ses rachetés.

Jésus dit: Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, afin qu’ils soient un comme nous sommes un, moi en eux, et toi en moi, afin qu’ils soient parfaitement un, et que le monde connaisse que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé. (Jn 1722-23). Le Père exauce toujours les prières du Fils (Jn 11.42). Cette unité spirituelle EST! Elle n’est donc pas à faire; elle est. Tous les chrétiens véritables, tous les vrais disciples, où qu’ils se trouvent et quelles que soient leurs étiquettes religieuses (qui dramatiquement et injustement les divisent parfois), sont unis en Christ, par Christ. Cette réalité, si imparfaitement visible aujourd’hui, sera glorieusement manifestée dans le ciel, quand tous les rachetés du Seigneur se retrouveront pour chanter ensemble le cantique de l’ Agneau.

L’ apôtre Paul a une compréhension semblable de l’unité. Elle est pour lui une réalité permanente, qu’il convient, non de rechercher comme si elle n’était pas encore là, ni de créer comme si elle devait être notre oeuvre, mais de maintenir. Efforcez-vous, dit-il aux Ephésiens, de conserver l’unité de l’Esprit par le lien de la paix. (4.3) Or cette exhortation se situe dans un texte d’une importance capitale et qui peut fonder, non seulement notre réflexion, mais notre action dans ce domaine.
Paul définit l’unité chrétienne véritable, en précise les composantes, les exigences, l’étendue… et par là même, les limites. Il nous dit ce qu’il faut viser, ce qui est essentiel, indispensable. Il nous donne, en quelque sorte, le dénominateur commun des chrétiens unis selon Dieu. Il est fondamental. Il est donc important pour nous de le redécouvrir en relation avec notre sujet. Nous allons le considérer en détail.

3.2 Ephésiens 4.1-6

Après avoir dit aux chrétiens d’Ephèse (v.1-3): Je vous exhorte à marcher d’une manière digne de la vocation qui vous a été adressée, en toute humilité et douceur, avec patience, vous supportant les uns les autres avec amour, vous efforçant de conserver l’unité de l’ esprit par le lien de la paix, Paul ajoute (v .4- 6): Il y a un seul corps et un seul Esprit, comme aussi vous avez été appelés à une seule espérance par votre vocation; il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous et parmi tous et en tous.

3.2.1 Il y a un seul corps et un seul Esprit

Le Seigneur Jésus avait révélé à ses disciples les diverses étapes de l’oeuvre de l’Esprit: d’abord, son action décisive au coeur de l’évangélisation: Il convaincra le monde de péché, de justice et de jugement (JnI6). En conséquence de cette oeuvre puissante, des hommes se convertiront, recevront le don du Saint-Esprit et formeront l’Eglise de Jésus-Christ, à Jérusalem, mais aussi jusqu’aux extrémités de la terre (Act I; 2). Partout, des assemblées locales naîtront, s’édifieront. Le ministère du Saint-Esprit sera alors de les conduite dans toute la vérité.

Pour les chrétiens de Corinthe, Paul résume une partie du ministère de l’Esprit en ces mots: Nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit, pour former un seul corps, soit Juifs, soit Grecs, soit esclaves, soit libres, et nous avons tous été abreuvés d’un seul Esprit. (1 Cor 12:13). Cette affirmation constitue, avec l’ensemble du ch. 12 de 1 Cor, une ébauche de la pensée à laquelle l’apôtre a donné toute sa portée dans l’épître aux Ephésiens, et notamment dans la formule que nous venons de citer (Eph 4.4: Il y a un seul corps et un seul Esprit). Les deux textes, qui s’éclairent réciproquement, déclarent ensemble que l’union des enfants de Dieu en un seul corps est réellement l’oeuvre de l’Esprit. C’est lui qui fait qu’au sein des églises locales la diversité des dons, des ministères, des personnes, forme un ensemble cohérent, uni, au service de Christ.

Cependant, cette réalité si précieuse ne doit pas nous faire oublier que l’adversaire (à Corinthe comme à Ephèse) essaie de troubler l’Eglise de Jésus- Christ, de la diviser, y compris par la contrefaçon de choses qui dépendent habituellement du ministère du Saint-Esprit au sein du corps de Christ. En 2 Cor 11.4, Paul évoque la possibilité pour les Corinthiens de recevoir un autre Esprit que celui qu’ils ont reçu, ou un autre Evangile que celui qu’ils ont embrassé. Ce n’était pas là un risque isolé… une exception. L’apôtre Jean invite ses lecteurs à éprouver les esprits. Il déclare: Bien-aimés, n’ajoutez pas foi à tout esprit; mais éprouvez les esprits, pour savoir s’ils sont de Dieu, car plusieurs faux prophètes sont venus dans le monde… (I Jn4.1-3). Pour lui, ceux auxquels il s’adressait couraient des risques qui justifiaient largement de telles mises en garde. Certains événements récents dans l’expérience des églises le démontraient: Petits enfants! la dernière heure a commencé. Vous avez appris qu’un Anti-Christ doit venir. Or, dès à présent, beaucoup d ‘anti-christs sont là. Voilà pourquoi nous savons que nous sommes entrés dans la dernière heure. Ces adversaires du Christ sont sortis de chez nous, mais, en réalité, ils n’étaient pas des nôtres. Car s’ils l’avaient été, ils seraient restés avec nous. Mais ils nous ont quittés pour qu’il apparaisse clairement que tous ne sont pas des nôtres. (1J n 2: 18-19 «Semeur» ).Paul et Jean évoquaient des situations qui avaient été (ou qui devaient être) assainies, clarifiées. Un seul corps, un seul esprit: ces deux affirmations impliquaient une nécessaire vigilance de la part des églises devant les dangers de la contrefaçon. L’Esprit de vérité ne peut pas être l’auteur de la confusion ou de l’équivoque. Le chrétien doit donc examiner les choses avec sérieux, en profondeur, dans un souci de vérité. C’est là un besoin qui se fait toujours sentir.

Nous rencontrons aujourd’hui des situations qui obligent à réfléchir et qui peuvent étonner, parfois même troubler. Ainsi, à côté d’un oecuménisme officiel, un autre oecuménisme trouve, dans l’expérience charismatique, telle qu’elle est vécue dans certains milieux, la base de manifestations d’unité qui rassemblent catholiques, protestants et évangéliques partageant cette compréhension particulière de l’oeuvre du Saint-Esprit. On peut cependant se demander jusqu’où va cette unité, et même quelle est sa nature, quand on constate que les mouvements concernés ont, sur des points essentiels, comme le salut ou l’Eglise, des perspectives doctrinales apparemment inconciliables.

Aujourd’hui encore, l’exhortation de Jean garde toute son actualité: Il faut éprouver les esprits, faire preuve de discernement, demander à Dieu de la sagesse pour ne pas mal juger un frère, mais aussi pour ne pas se laisser abuser par un faux frère, un faux prophète, une fausse doctrine, ou une fausse unité… autant de moyens que l’adversaire continue à utiliser pour mettre en péril l’édification de l’ Eglise. Les faux, les «pseudo», sont, par expérience, une arme plus efficace contre l’Eglise que les persécutions. C’ était déjà vrai au premier siècle quand les apôtres étaient encore personnellement les piliers de l’Eglise.

A combien plus forte raison depuis, quand le péril annoncé est celui d’un temps où les hommes ne supporteront pas la saine doctrine; mais, ayant la démangeaison d’entendre des choses agréables, ils se donneront une foule de docteurs selon leurs propres désirs, détourneront l’oreille de la vérité et se tourneront vers les fables. (2 Tim 4:3-4).Que de mises en garde dans le Nouveau Testament, de la part de Jésus et des apôtres, à ce sujet. Paul avertissait les anciens d’Ephèse en leur disant: Prenez donc garde à vous- mêmes et à tout l& troupeau sur lequel le Saint-Esprit vous a établis évêques, pour paître l’Eglise du Seigneur qu’il s’est acquise par son propre sang. Je sais qu’il s’introduira parmi vous, après mon départ, des loups cruels qui n’épargneront pas le troupeau, et qu’il s’élèvera du milieu de vous des hommes qui enseigneront des choses pernicieuses, pour entraîner les dis

après eux. Veillez donc, vous souvenant que… je n’ai cessé nuit et jour d’exhorter avec larmes chacun de vous. (Act 20:27-31). Faut-il considérer aujourd’hui que ce type d’avertissement n’est plus nécessaire? que les églises évangéliques actuelles ne courent plus de dangers de cet ordre? que ce qui empêche les manifestations visibles de l’unité des croyants est bien plus grave que ce qui menace leur intégrité doctrinale, leur fidélité à l’Evangile, leur unité dans l’Esprit?

Face aux ennemis «extérieurs» (les persécuteurs de l’Eglise) et «intérieurs» du peuple de Dieu (les faux docteurs agissant du dedans) l’Evangile nous propose des traitements dont il importe de noter les différences. En ce qui concerne les ennemis extérieurs, Jésus nous propose de prier pour eux, de les bénir au lieu de les maudire, de leur faire du bien en réponse au mal qu’ils nous font, de ne pas les craindre s’ils s’en prennent à notre vie… car mieux vaut perdre sa vie que son âme! Pour les ennemis intérieurs, le Nouveau Testament nous propose de nous séparer d’eux, de les exclure de la communion, de ne rien avoir à faire avec eux, de ne plus les recevoir, de dénoncer leurs mensonges… que celui qui annonce «un autre Evangile» soit anathème, c’est à dire exclu.

Dans ce siècle de confusion généralisée, face aux turbulences religieuses, face à la multiplication des sectes, il est important de faire preuve de vigilance. Les vents de doctrines soufflent dans toutes les directions. Les risques de se laisser emporter existent bel et bien. Alors, quand l’Ecriture parle d’un seul corps et d’un seul esprit, il est nécessaire d’éprouver les bases sur lesquelles nous nous fondons en matière, précisément, de «corps» et «d’esprit».

3.2.2 une seule espérance

Le chrétien est quelqu’un qui regarde en avant: Dieu vous a appelés à une seule espérance lorsqu’il vous a/ait venir à lui (Semeur). Cela ne signifie pas qu’il doit oublier le passé. Bien au contraire! Comment pourrait-il cesser de regarder à la croix? Là, Jésus est mort pour ses péchés; là, il a reçu, avec le pardon, la grâce d’une vie nouvelle. Ce souvenir, il doit le cultiver en participant régulièrement au repas du Seigneur. C’est, du reste, dans ce mémorial même qu’il trouvera le plus fort encouragement à regarder aussi en avant: car celui qui est mort est aussi celui qui vient. Le plein héritage qu’il a acquis pour les siens n’est pas encore là; il reste à venir: le meilleur est pour la fin (Rom 8:17-18; 2 Cor4:17-18)! Lorsque cela sera manifesté, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est. (1 In 3:1-3). L’Apocalypse nous donne une idée de ce qui attend les rachetés du Seigneur. Merveilleux !

L’espérance est inscrite partout dans la Bible: Nous attendons, selon sa promesse, de nouveaux cieux et une nouvelle terre, où la justice habitera. (2 Pi 3:13). C’est une espérance vivifiante, source de consolation dans l’épreuve, de courage dans le service. Elle motive une vie sainte, dans l’ attente de ce jour où nous comparaîtrons devant le Maître pour rendre compte de la gestion de nos vies (2 Cor 5.10, Mat 25.13s). Notre unité se nourrit aussi de cette seule espérance: celle du triomphe de l’Agneau, le triomphe de l’amour et de la justice.

Mais cette seule espérance ne peut pas se confondre avec des espoirs qui ne se fondent que sur les capacités humaines et n’ont d’autre visée que notre condition terrestre. Elle exclut l’illusion d’atteindre par le combat politique, l’action sociale, le progrès scientifique, un âge d’or où l’homme, parvenu à sa maturité, aurait résolu tous ses problèmes. Elle exclut toute théologie de la libération qui prônerait au nom du Christ l’utilisation de la violence et verrait dans la lutte pour une libération politico-sociale la traduction pure et simple du message de l’Evangile. On ne voit pas, en effet, que telle ait été l’attitude de Jésus, ni la visée de son enseignement. Il n’instruit pas contre Zachée le procès politique que d’autres ne manqueraient pas de lui faire -puisqu’il s’est mis au service de la puissance occupante et qu’il en tire d’intéressants profits. Il le traite en ami et fait de lui un homme nouveau pour le plus grand bien de tous. Il résout ainsi le vrai problème: celui du péché dans le coeur d’un homme perdu que Jésus est venu chercher et sauver (Luc 19.10). Qu’aurait gagné Jéricho à la condamnation de Zachée?

Paul dit: une seule espérance. C’est celle que l’Evangile apporte à un monde perdu, la même qu’exprime parfaitement ln 3.16: afin qu’ils ne périssent pas, mais qu’ils aient la vie éternelle. On ne peut expliquer vraiment aux hommes la nécessité du salut et les conduire à la seule espérance sans leur parler de la réalité de la perdition, des deux seuls chemins, des deux seules destinations possibles: le ciel ou l’enfer.

Ce vieil Evangile n’ est pas forcément populaire. Cependant, sans ces vérités fondamentales, la signification de l’espérance chrétienne ne peut être véritablement saisie. Dans le monde, dit Paul, nous étions sans espérance (Eph 2.12). En Christ, nous avons reçu une espérance qui ne trompe pas (Rom 5.5). Veillons à présenter fidèlement cette seule espérance; veillons à nous mettre, ou à rester, en situation de pouvoir l’annoncer clairement. Il s’agit, selon Col 1.23, de demeurer fondés et inébranlables dans la foi, sans nous détourner de l’espérance de l’Evangile Voilà donc bien un des critères de l’unité. Néeacute;gliger d’annoncer la seule espérance, l’annoncer sans la rattacher à la réalité de la perdition, lui substituer une autre espérance, c’est attenter à l’unité. Car celle-ci est fondée sur la seule espérance.

3.2.3. Il y a un seul Seigneur

Le chrétien est attaché à Christ seul Seigneur; il est en Christ. L’oeuvre de l’Esprit est de nous conduire à Jésus, de nous le faire connaître et aimer; c’est lui qui applique aux croyants les mérites et les bienfaits qui découlent de son oeuvre rédemptrice. Notre unité ne se fait pas d’ abord autour de la vérité révélée dans les Ecritures, mais bien autour d’une personne qui est le chemin, la vérité et la vie. Ce n’est pas seulement: «je sais ce que je crois», mais c’est: «Je sais en qui j’ai cru.»! D’ailleurs, Eph 4 dit: un seul Seigneur, avant de dire: une seule foi.

Un seul Seigneur, chef suprême de l’Eglise. C’est Lui dont le monde a besoin. Il n’y a pas d’autre nom par lequel nous puissions être sauvés… Il n’y a de salut en aucun autre. (Act 4.12). Il est le seul médiateur entre Dieu et les hommes (1 Tim 2.5). Notre évangélisation ne peut être que christocentrique. Tout passe par Lui. Il est le seul Sauveur et le seul Seigneur. Il est aussi le modèle, l’ami, le seul bon berger. Il est l’indispensable avocat, le fidèle intercesseur. Il est question de venir à Lui, de Le suivre, de L’aimer, de demeurer en Lui, d’être Ses témoins (Mat 11.28; Mc 8.34; Jn 14.15; 15.4; Act 1.8). Notre vocation de chrétien se résume aussi dans cette image: Vous êtes une lettre de Christ… lue et connue de tous (2 Cor 3.2-3).

D’autres textes soulignent encore ce caractère christocentrique de l’évangile. Ainsi Paul affirme que, pour lui: vivre, c’est Christ (Phill.21), que le connaître est son seul vrai trésor (PhiI3.8-10). On sent bien que pour Paul, recevoir l’approbation de Christ est son but, sa joie, sa récompense. Notre unité se manifeste et se fortifie quand, ensemble, nous regardons à Jésus dont notre foi dépend du commencement à la fin. (Héb 12.2).

La proclamation de l’Evangile ne va pas sans celle de la seigneurie de Christ, de Son autorité souveraine, Et cette seigneurie concerne avant tout les chrétiens auxquels le Seigneur dit: Si vous m’aimez, gardez mes commandements (Jn 14.15)… Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande. (Jn 15.14). Notre volonté de faire réellement ce qu’Il nous dit, d’obéir à Ses commandements, doit se manifester dans tous les domaines de nos vies de disciples de Christ, y compris dans notre manière de vouloir et de rechercher l’unité. Le lien est direct entre un seul Seigneur et une seule foi.

3.2.4 une seule foi

C’est là un point dont J’importance est évidente quand il s’agit de définir l’unité chrétienne et ses limites. La seule foi dont parle Paul peut être envisagée sous deux aspects. Sous son aspect subjectif, la foi est l’acte d’un sujet, la confiance qu’éprouve le chrétien envers le Christ, sa personne, son oeuvre, ses promesses. L’aspect objectif concerne le contenu de la foi, ce que l’on croit, et qui peut s’énoncer comme un ensemble de vérités, la saine doctrine transmise par les apôtres et formulée dans la Bible, résumée dans un credo ou une confession de foi. Ces deux aspects sont inséparables dans la réalité de la vie. Mais il n’ est pas inutile de les distinguer pour la commodité de l’exposé. Le premier a été abordé dans notre point précédent. Nous traitons ici du second.

Dire que les premiers chrétiens persévéraient dans la doctrine des apôtres (Act 2.42), c’est laisser entendre qu’ils recevaient un enseignement précis auquel ils étaient attachés. Dans son discours d’adieu aux anciens d’Ephèse (Act 20), Paul rappelle qu’il leur a enseigné tout le conseil de Dieu, sans en rien cacher. Ailleurs, il décrit les chrétiens de Rome en ces termes: Grâces soient rendues à Dieu de ce que, après avoir été esclaves du péché, vous avez obéi de coeur à la règle de doctrine dans laquelle vous avez été instruits. (Rom 6.17).

Paul met en garde ses lecteurs: L’Esprit dit expressément que, dans les derniers temps, quelques-uns abandonneront la foi, pour s’attacher à des esprits séducteurs et à des doctrines de démons, par l’hypocrisie de faux docteurs… (I Tim 4:1-2). Il ajoute dans sa deuxième lettre à Timothée: qu’il viendra un temps où les hommes ne supporteront pas la saine doctrine… ils détourneront l’oreille de la vérité et se tourneront vers les fables. (2 Tim 4:3- 4). Il paraît évident que pour pouvoir abandonner la foi ou pour détourner l’oreille de la vérité, il faut avoir adhéré à J’une et à l’autre auparavant!

Dans le même ordre d’idées, Pierre écrit: Il y a eu parmi le peuple de faux prophètes, et il y aura de même parmi vous de faux docteurs qui introduiront des sectes pernicieuses, et qui, reniant le maître qui les a rachetés, attireront sur eux une ruine soudaine. Plusieurs les suivront dans leurs dissolutions et la voie de la vérité sera calomniée à cause d’eux. (2 Pi 2.1-2). Eph 4.11-14, affirme que J’exercice des ministères dans l’Eglise a pour but d’amener les croyants à l’unité de la foi, pour qu’ils ne soient pas flottants et emportés à tout vent de doctrine, mais que professant la vérité dans l’amour.. ils grandissent dans celui qui est le chef Christ.

Il n’est pas étonnant, alors que dans la dernière épître du Nouveau Testament, les croyants soient exhortés à combattre pour la foi qui a été transmise aux saints une fois pour toutes. (Jude 3) et à s’édifier sur leur très sainte foi attendant la miséricorde de notre Seigneur Jésus-Christ pour la vie éternelle (Jude 20-21)

Une seule foi! Aucun doute, cette parole n’arien d’une affirmation isolée ou d’une préoccupation secondaire. Il y a, pour lui, comme pour les autres auteurs des lettres du Nouveau Testament, vérité et erreur, vraie et fausse doctrine; l’unité des croyants ne peut se réaliser au détriment de la foi transmise a saints une fois pour toutes. Paul lui-même nous présente du reste une conséquence pratique: le différend qui l’a opposé à Pierre. Fallait-il qu’il ferme les yeux sur l’attitude répréhensible de Pierre qui laissait entendre, plus par ses actes que par ses paroles, qu’il n’y avait pas de véritable unité entre chrétiens d’origine juive et chrétiens d’origine païenne ? Une fausse unité (entre chrétiens juifs) mettait en péril la véritable unité spirituelle entre chrétiens de nations… les implications pratiques et doctrinales &eaeacute;taient considérables. Pierre et ceux qui suivaient son exemple, ne marchaient pas droit selon la vérité de l’Evangile (Ga12:ll-l4), Paul a donc affronté ce problème, car l’Eglise de Jésus-Christ était en péril. En elle se manifestaient déjà les prmières atteintes d’un mal qui s’appelle aujourd’hui le pluralisme doctrinal, à savoir la tentative de faire cohabiter dans l’Eglise des convictions contraires l’une à l’autre sur point de doctrine fondamental.

Le pluralisme doctrinal a connu, dans notre XXe siècle, un prodigieux développement. Il a de quoi plaire, puisqu’il prône la tolérance et plaide pour la paix, entre croyants tout au moins, quand la paix est un bien si rare autour nous. Un raisonnement simple sous-tend cette approche: «Je sais ce que je crois et je sais que l’autre croit tout autre chose que moi; mais cela ne fait rien. Le contenu de ma foi et de la sienne est, somme toute, secondaire; ce qui compte c’est d’ être unis! » … On accepte sur cette base une grande diversité en matière de convictions religieuses. Personne ne doit être exclu…

Cette diversité n’a cependant rien à voir avec celle qui, selon les Ecritures, se manifeste dans l’unité entre les membres du corps de Christ. Il s’agit, réalité, d’oppositions, de contradictions flagrantes sur des points fondamentaux d la foi. On veut que cohabitent ceux qui nient la divinité de Christ et ceux qui l’affirment, ceux qui contestent la résurrection corporelle de Christ et ceux qui trouvent en elles leur raison d’espérer, ceux qui disent que tous les hommes seront sauvés et ceux qui acceptent l’enseignement de l’Ecriture qui dit contraire, ceux qui croient que la Bible contient des vérités (et passablement d’erreurs) et ceux qui la reconnaissent comme «seule et infaillible règle de foi et de vie chrétienne», ceux qui affirment que le salut est une expérience politico-sociale et ceux qui le reçoivent comme une libération spirituelle du péché et de ses conséquences, en vue de la vie éternelle… etc.

Entre ces deux pôles d’ affirmations contradictoires se déploie tout l’éventail des convictions religieuses. Or, pour beaucoup de responsables religieux actuels, l’unité doit se vivre dans cette diversité. Les contradictions ne doivent pas être regardées comme un obstacle à l’unité visible de ceux qui, de près ou de loin, se réclament du christianisme. Cela conduit à une forme d’union dans l’ équivoque la plus totale sur le plan du contenu de la foi. A voir ce type d’unité entre des personnes qui annoncent «des évangiles» si différents sur tant de sujets vitaux, les incroyants ou les gens religieux non-convertis peuvent penser que le contenu de la foi n’a pas grande importance: erreur d’une évidente gravité, puisque c’est justement la connaissance de la vérité qui libère et sanctifie, selon les paroles du Seigneur Jésus lui-même (cf. In 8.32; 17 .17). J’ai le sentiment qu’aujourd’hui, dans les milieux religieux, on ne craint pas vraiment les risques d’un autre évangile... pas plus que les Corinthiens autrefois: Si quelqu’un vient vous prêcher un autre Jésus que celui que nous avons prêché, ou si vous recevez un autre Esprit que celui que vous avez reçu, ou un autre Evangile que celui que vous avez embrassé, vous le supportez fort bien. (2 Cor 11.4). Aujourd’hui, il n’est pas simple de vouloir s’attacher à une seule foi. Celui qui ose prétendre le faire suscite l’étonnement, s’attire la moquerie, parfois même des critiques sévères, car ceux qui réclament haut et fort «la tolérance» en matière doctrinale en manquent eux-mêmes souvent à l’égard de ceux qui demandent des bases doctrinales précises comme préalable à l’expression visible de l’unité entre églises.

Du temps de Paul, il n’était déjà pas facile de vivre l’unité sur des bases solides et claires. Il écrivait aux Galates: Je m’étonne que vous vous détourniez si promptement de celui qui vous a appelés par la grâce de Christ, pour passer à un autre Evangile (GaI 1.6). Avec fermeté, il ajoutait: Non pas qu’il y ait un autre évangile, mais il y a des gens qui vous troublent, et qui veulent renverser l’évangile de Christ. Mais, quand nous-mêmes, quand un ange du ciel annoncerait un autre évangile que celui que nous vous avons prêché, qu’il soit anathème! (Gall. 7 -8).

Dans sa lettre aux Romains, Paul avertissait: Je vous exhorte, frères, à prendre garde à ceux qui causent des divisions et des scandales, au préjudice de l’enseignement que vous avez reçu. Eloignez-vous d’eux (Rom 16.17). Les risques de dérapage doctrinal sont réels. L’ apôtre Jean écrivait: Quiconque va plus loin et ne demeure pas dans la doctrine de Christ n’a point Dieu; celui qui demeure dans cette doctrine a le Père et le Fils. Si quelqu’un vient à vous et n’apporte pas cette doctrine, ne le recevez pas dans votre maison et ne lui dites pas; Salut! car celui qui lui dit: Salut! participe à ses mauvaises oeuvres (2 Jn 9-11).

Il est donc des séparations, douloureuses, mais nécessaires, qui préservent l’unité véritable des croyants. On ne mélange pas ténèbres et lumière, justice et iniquité, fidèle et infidèle, Dieu et les idoles, mensonge et vérité, Christ et Bélial, l’Eglise et le monde. C’est pourquoi, sortez du milieu d’eux, et séparez- vous, dit le Seigneur; ne touchez pas à ce qui est impur, et je vous accueillerai. Je serai pour vous un père, et vous serez pour moi des fils et des filles, dit le Seigneur tout-puissant (2 Co. 6.14 à 7.1 ). Ces derniers versets créent un malaise. Chacun comprend assez bien ce qu’ils veulent dire, mais au sein d’un christianisme aux mille «chapelles», comment exercer le discernement pour préserver l’unité véritable et pratiquer les nécessaires séparations devant les déviations doctrinales de notre temps? Car il est certain que les difficultés rencontrées par les églises du premier siècle se retrouvent aujourd’hui. Plusieurs textes indiquent même que la question de la fidélité doctrinale sera l’un des problèmes majeurs des églises des derniers temps. Que fait-on alors avec cette affirmation de Paul: une seule foi?

D’une certaine manière, le Seigneur Jésus rencontre chez nous les mêmes réserves qu’il trouvait chez ses auditeurs devant les «duretés» de l’évangile, devant ses affirmations tranchées qui dérangent. On se souvient de l’accueil accordé à son discours sur le pain de vie: Plusieurs de ses disciples, après l’avoir entendu, dirent: Cette parole est dure; qui peut l’écouter? (Jn 6.60)… et, un peu plus loin, de la douloureuse question qu’il pose aux douze: Et vous, ne voulez-vous pas aussi vous en aller? (Jn 6:67). Quand Jésus dit (Mat 12:30): Celui qui n’est pas avec moi est contre moi, et celui qui n’assemble pas avec moi disperse… quand il déclare qu’il y a deux chemins, deux portes, deux destinations, il souligne, en fait, qu’il faut faire le choix du chemin «resserré» de cette seule foi qui sauve. L’unité passe nécessairement par la porte étroite, par le chemin étroit. Il faut donc être unis, s’entendre sur l’essentiel; c’est une nécessité. Le pluralisme doctrinal, tel que le conçoivent nos contemporains, est exclu. Jésus n’a pas dit: «Croyez ce que vous voulez, mais soyez unis!» Il nous demande d’amener en son nom à l’obéissance de la foi tous les paiens (Rom 1.5), et de rechercher dans l’Eglise l’unité de la foi (Eph 4.13), ce qui peut paraître bien étroit.

Mais quel critère retenir pour cette seule foi afin de vivre aujourd’hui l’unité chrétienne? La réponse n’est pas facile. Viser l’unité des «évangéliques» semble être un bon objectif dans la mesure où ces derniers devraient avoir en commun une foi authentiquement biblique. Il faut reconnaître cependant que l’appellation «évangélique» n’est pas une «appellation d’origine contrôlée» ! Pour être honnête: c’est une appellation que nul ne contrôle. Dans toutes les branches du christianisme on rencontre des personnes qui se disent (ou que d’autres considèrent comme) «évangéliques». Si cela signifie qu’il y a, entre elles, des points communs, cela n’exclut pas la possibilité de différences doctrinales importantes.

L’étiquette «évangélique» recouvre en fait, dans la pratique, un véritable pluralisme doctrinal au sens où nous l’avons défini. Elle s’applique en effet aussi bien à des personnes qui désignent du même mot «résurrection» , les unes une résurrection corporelle, qui concerne la personnalité de Jésus dans toutes ses dimensions, les autres une résurrection «spirituelle», dont la réalité se situerait au niveau de l’ expérience faite par les disciples de la présence de Jésus dans leur souvenir. On le voit bien: les mots n’ ont pas toujours le même sens, et c’est vrai aussi du mot: «évangélique».

Une seule foi : s’entendre sur l’essentiel… Oui! Mais, quand on a dit cela, qu’a-t-on réglé? Une parole de sagesse -qui sonne bien -a été avancée pour éclairer cette voie de l’entente sur l’essentiel: «Sur le primordial: unité. Sur le secondaire: liberté. En tout: charité!» Comment ne pas être d’accord avec cette approche si conforme à l’esprit de l’évangile? Cependant, il faut encore s’entendre sur la définition du primordial et du secondaire. Il est difficile de trancher. L’accord va-t-il se faire sur le plus petit dénominateur commun qui permette l’alliance la plus large, ou sur tous les détails, quitte à réduire l’unité… à une seule personne?

Dans le Nouveau Testament, un texte évoque la possibilité que certains désaccords existent dans l’Eglise sans que pour autant son unité soit mise en péril: Nous tous donc qui sommes parfaits, ayons cette même pensée; et si vous êtes en quelque point d’un autre avis, Dieu vous éclairera aussi là-dessus. Seulement, au point où nous sommes parvenus, marchons d’un même pas (Phil 3:15-16). Eph 4 propose l’unité de la foi comme un objectif à viser pour l’Eglise, mais il est évident qu’il demeure en partie inaccessible, car il y aura toujours, entre les membres du corps local (et à plus forte raison, entre membres de communautés ou dénominations différentes), certains désaccords inévitables dans les convictions doctrinales.

L’ apôtre Pierre évoque cette difficulté, quand il dit que dans les écrits de Paul, il y a des points difficiles à comprendre, dont les personnes ignorantes et mal affermies tordent le sens, comme celui des autres Ecritures, pour leur propre ruine. (2 Pi. 3.16) L’unité de la foi n’était donc pas un objectif facile pour l’Eglise primitive. Mais ce que dit Pierre montre bien que cette difficulté ne doit pas nous décourager dans la recherche de l’unité de la foi. Toute autre attitude, consciente ou non, conduit à la ruine, dit-il. Vous donc, bien-aimés, qui êtes avertis, mettez-vous sur vos gardes, de peur qu’entraînés par l’égarement des impies, vous ne veniez à déchoir de votre fermeté. (2 Pi 3.17).Si l’accord ne peut pas se faire sur tout, sur quels points est-il indispensable? Quelles sont les doctrines sur lesquelles doit se faire l’unité? La réponse n’est pas simple. Dans une étude sur le thème de l’unité, présentée lors du Congrès de Lausanne 1974, le professeur Henri Blocher a proposé cinq critères qui devraient nous aider à distinguer entre le primordial et le secondaire, critères dont l’application exige, de son point de vue, la reconnaissance préalable de l’entière autorité et de la parfaite inspiration des Saintes Ecritures. Voici ces cinq critères:

I. Le critère biblique. Quand on discute d’une interprétation, d’une doctrine biblique, «la place qu’occupe un sujet dans la Bible, et surtout le Nouveau Testament, est un indice du poids que Jésus et ses apôtres lui donnaient. Bien entendu, l’importance d’une doctrine ne se mesure pas au seul nombre de versets qui l’ exposent, mais même ce critère rudimentaire peut nous aider. La doctrine de l’expiation est partout dans l’Ecriture, comme le sang dans le corps, disait Vinet; elle est sûrement d’un tout autre rang que la prescription du voile pour les femmes, quelle que soit l’interprétation qu’on en donne, puisqu’on ne la trouve qu’en un seul passage» (1 Cor II).

Il. Le critère théologique. «Plus les conséquences sont nettes et plus elles sont directes pour le coeur de la vérité évangélique, plus le point prendra de l’importance. Il y a des doctrines stratégiques. Si on y touche, tout s’écroule; et d’autres, périphériques: une divergence à leur sujet laisse intact le reste de l’édifice» (3). On peut appliquer ce critère, par exemple, à la doctrine de la résurrection de Christ: Si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est donc vaine, et votrefoi aussi est vaine. (1 Cor 15.14), ou à celle de la justification par la foi, sans les oeuvres de la loi, sinon vous êtes séparés de Christ, vous tous qui cherchez la justification dans la loi; vous êtes déchus de la grâce (Gal5:4- 6). Par contre, il est possible de proposer diverses interprétations quant à la durée du mot «jour» dans Gen 1, sans remettre en cause le fait que la création est, en tout point, l’oeuvre prodigieuse du Dieu créateur.

III. Le critère pratique. «Il faut considérer de même les conséquences non théologiques mais pratiques. Quels sont les enjeux pour l’organisation de l’Eglise, la vie spirituelle, les méthodes et le message d’évangélisation? (Pour bien en juger, il nous faut observer, mais cela ne suffit pas: certaines différences pratiques paraissent liées à un point de doctrine, alors qu’en réalité d’autres facteurs, cachés, les déterminent (sociologiques, personnels, etc. ). La question du baptême des enfants, qui n’est pas centrale théologiquement, a des conséquences pratiques assez considérables». (4)

IV. Le critère historique. «Pour nous délivrer de l’étroitesse de nos horizons personnels, aucun secours ne nous est plus précieux que celui de nos frères et pères en la foi. Ils n’ont pas été infaillibles, mais nous devons respecter, apprécier la sagesse que Dieu leur a donnée, et en profiter. Nous risquons toujours de donner prise à l’ironie de Paul: Est-ce de chez vous que la Parole de Dieu est partie? Ou est-ce à vous seuls qu’elle est parvenue? (1 Cor 14.36). Ainsi nous voyons que tout au long de l’histoire de l’Eglise, jusqu’au XIXe siècle, les chrétiens n’ont pas pensé juste de se diviser à propos du millenium. La plus ancienne déclaration prémillénariste, après le temps apostolique, celle de Justin Martyr (vers 150), souligne que beaucoup d’autres chrétiens pensent autrement, qui appartiennent à la foi pure et pieuse. Serait-il sage d’être plus intolérant que lui? Il a été suivi dans son attitude fraternelle par la plupart des générations chrétiennes. Il en va très différemment de la doctrine de l’eucharistie, pour laquelle on s’est divisé -à tort ou à raison, le fait pèse son poids». (5)

V. Le critère contemporain. «Dieu a donné à sa Parole une clarté telle que l’essentiel du message ne peut pas échapper au lecteur respectueux et de bon sens. Lorsque des hommes de Dieu, scientifiquement compétents, et qui se veulent tout à fait dociles devant l’Ecriture, se trouvent en grand nombre dans les deux camps d’une controverse, nous pouvons présumer que l’objet du débat n’appartient pas au coeur absolument vital du christianisme. Ainsi de la doctrine de l’ état intermédiaire, que nous croyons biblique: elle est contestée par certains théologiens évangéliques, ce qui laisse supposer qu’elle est secondaire.» (6)

‘l’els sont les cinq critères qui peuvent nous aider à distinguer entre le primordial et le secondaire, afin d’arriver à l’unité de la foi sur les doctrines fondamentales, tout en reconnaissant la possibilité de divergences sur des points de détail, sur des doctrines qui ne seraient pas «stratégiques». (…)

Il est certainement utile de passer au crible des cinq critères précédents les questions de foi sur lesquelles il s’agit de bâtir l’union ou de justifier une désunion. C’est un exercice à mener avec soin, car le contenu de notre foi est primordial à tous les niveaux de notre vie. L’ adversaire essaie toujours de discréditer la Parole de Dieu. Semer le doute, faire défaillir la foi, voilà bien sa tactique, et l’abandon de la saine doctrine est l’un des objectifs qu’il recherche en ce qui nous concerne. Depuis Eden, ce problème est malheureusement d’ une brûlante actualité.

3.2.5 Un seul baptême

On peut s ‘ étonner de rencontrer le baptême dans cette liste de points d’ union donnée par Eph 4. Ce sujet n’a évidemment pas la même envergure que les autres affirmations contenues dans ces mêmes versets: un seul Seigneur, une seule foi, un seul Dieu..

 

La Parole de Dieu est inspirée, et ce n’est pas par erreur que cette affirmation se trouve là. L ‘histoire s’est chargée de nous en montrer l’importance. La façon de comprendre le baptême et de le pratiquer conduit à au moins deux types d’Eglises, deux types de chrétiens, deux façons de recevoir le Saint-Esprit et d’envisager le salut… Il ne s’agit donc pas d’un point secondaire mais d’une question cruciale. C’est autour de cette question que se définissent l’Eglise, sa nature, sa composition, son message même. Le Seigneur Jésus a institué le baptême pour les disciples, pour ceux qui, de manière personnelle, mettaient leur foi en Christ pour le pardon de leurs péchés (Mat 28.18-20; Act 2.38-42). Telle a été la pratique des disciples qui ont suivi de près l’exemple et les commandements du Maître.

Le baptême devait être une porte d’entrée visible dans l’Eglise. Il devait être comme une frontière, le lieu où l’on passe du monde dans la communauté des rachetés. Il devait être le symbole de la régénération, le signe extérieur d’une adhésion intérieure, de cour et d’esprit, au Christ, Seigneur et Sauveur. Pour le nouveau converti, ce devait être une marque d’ obéissance à son Maître, car le premier des commandements du Seigneur qui le concernait, une fois qu’il avait compris le salut, c’était justement de se faire baptiser pour témoigner de sa repentance et de sa foi en Jésus.

Très tôt, l’adversaire s’est attaqué au baptême, à sa signification originelle, à la façon de le pratiquer. Il a tout fait pour que, peu à peu, en l’espace de deux ou trois siècles, le symbole de la régénération passe pour le moyen par lequel le Saint-Esprit opère cette régénération. L’acte du baptême devenait efficace en lui-même, il devenait un sacrement que seuls des hommes revêtus d’une autorité particulière pouvaient administrer. Cela changeait, bien sûr, la nature du baptême, mais aussi celle de l’Eglise.

Le baptême «symbole», confession de la foi du baptisé, n’est pas en lui-même indispensable au salut (le brigand repentant a pu s’en passer); il est de l’ordre du témoignage, de la mise en pratique de l’évangile en obéissance à un commandement du Seigneur. Il est le geste par lequel le chrétien s’affirme comme disciple et est reconnu comme tel par ses frères. Mais, du jour où on en fait un sacrement, il devient indispensable pour tous. (…)

Ainsi, l’unité des croyants ne peut s’envisager sans ces trois mots: un seul baptême. Mais quand il s’agit d’appliquer ce principe aux relations inter- ecclésiastiques, on sent bien le problème. Baptême des croyants et baptême des enfants sont deux pratiques radicalement différentes, pour ne pas dire oppo- sées. Si nous sommes convaincus que le baptême biblique est le baptême par immersion des croyants, comment travailler sereinement avec des pédo-baptistes, dans un contexte où, pour évangéliser ensemble, il faudrait justement taire un élément important du message évangélique? Selon le livre des Actes, le message de l’évangile a pour but, non seulement d’orienter tout de suite le nouveau converti vers l’obéissance du baptême (Act 2.38,41 -voir aussi l’eunuque éthiopien, Saul de Tarse, Corneille, Lydie, etc), mais encore de lui faire découvrir le type d’Eglise dans laquelle il pourra persévérer dans la doctrine des apôtres, dans la communion fraternelle, dans la fraction du pain et dans les prières. (Act 2.42). Point d’évangélisation biblique sans un but ecclésiologique clair.

Comment accréditer, par une collaboration entre églises de multitudes et églises de professants, une doctrine du baptême (et donc de l’Eglise) coupable d’avoir donné, des siècles durant, l’illusion du christianisme à des millions de gens? Seule la vérité libère. Il faut donc rester en situation de pouvoir annoncer tout le conseil de Dieu …y compris sur cette question du baptême des croyants.

3.2.6 un seul Dieu et Père de tous, au-dessus de tous, parmi tous, en tous.

Par ces mots, Paul conduit enfin ses lecteurs à ce qui est au coeur de l’unité des croyants; elle se fonde sur cette vérité: Dieu est au centre de tout, Il est l’auteur, la source et la cause première. Toute la Bible est théocentrique. Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu le serviras lui seul! (Mat 4.10)

Ce n’est pas quelque chose qui plaît aux hommes. Orgueilleux et égocentriques depuis la chute, ils se veulent autonomes, maîtres de leurs destinées, de leurs choix, sans devoir rendre compte à quiconque. Ils ne veulent pas d’une autorité divine souveraine dans leur vie. Cette attitude-là marque encore l’homme, même après qu’il s’est converti, quand il se tourne vers Dieu pour recevoir le pardon de ses péchés et la grâce d’une vie nouvelle. Même en présence des commandements clairs du Seigneur, il est capable de discuter, de tergiverser, d’hésiter à obéir.

La souveraineté de Dieu n’est pas la doctrine favorite du croyant moyen. Il est pourtant capable de chanter avec enthousiasme que Christ est Seigneur; il est aussi capable de reconnaître que tel ordre du Seigneur est clair. ..et que, théoriquement, ce serait bien de pouvoir lui obéir sans réserve… mais, pratiquement, pour toutes sortes de raisons, il va se permettre de minimiser cet ordre divin, de le rendre facultatif, pour lui obéir à sa convenance. Pour expliquer son «oui, mais» (qui est une manière polie de dire «non» ), il invoquera des questions de commodité, d’ efficacité, de politique. Il peut encore avoir des motivations cachées comme celles de ces gens qui troublaient les Galates en les éloignant du pur Evangile; en fait, nous révèle Paul, ils ne voulaient pas être persécutés pour la croix de Christ (GaI 6.12-13). Ils refusaient de porter l’ opprobre de Christ. Ils voulaient pouvoir se dire «chrétiens» sans trop se mettre en porte à faux avec les judaïsants.

Aujourd’hui comme hier: La crainte des hommes tend un piège (Pr 29:25). Il est vrai que personne n’aime affronter le jugement des autres à cause d’un différend «doctrinal» .Pourquoi mettre en péeacute;ril sur de si délicates questions des amitiés auxquelles on tient? Chacun est tenté de mettre sa lumière un peu sous le boisseau pour éviter ces ennuis face à la majorité «qui pense que». C’est ainsi que ce que Dieu affirme ou commande est «relativisé». Comme Pierre, nous répondons à l’ordre précis qu’Il donne par un retentissant ou discret: Non, Seigneur (Act 10.14). «Non», et «Seigneur»: deux mots qui ne devraient jamais se suivre dans la bouche ou le cour d’un enfant de Dieu. Cependant, il faut bien l’avouer: l’autorité de Dieu et Sa souveraineté gênent. Si la réponse à la question: Que dit l’Ecriture ? est dérangeante, on cherchera ailleurs des raisons de faire autrement. Aucun d’entre nous n’est à l’abri de ce type d’attitude… de reniement. Si Pierre et Barnabas se sont laissé piéger (Gal 2.11- 13), c’est qu’il faut vraiment veiller et nous encourager les uns les autres dans cette attitude de vigilance.

L’important, c’est donc de voir en Dieu, Père (au-dessus de tous), Fils (parmi tous) et Saint-Esprit (en tous), l’unique souverain, l’unique voix autorisée, l’unique roi, l’unique chef suprême de nos vies et de l’Eglise. L ‘important, c’est de vouloir scrupuleusement, et avec joie, se soumettre à Sa voix, le glorifier Lui et le servir Lui seul. Vous êtes heureux si vous savez ces choses, pourvu que vous les pratiquiez (Jn 13.17). Faites tout pour la gloire de Dieu (1 Cor 10:31).

Dans notre monde, le syncrétisme a ses adeptes; on accrédite l’idée qu’on peut mettre un signe «égal» entre le Dieu de la Bible et les autres divinités que les hommes adorent sous divers noms, en divers lieux. Au sein même du christianisme, des voix s’élèvent pour dire que plusieurs chemins mènent au salut, que les différences de «foi» ne sont finalement pas très importantes, pourvu que l’on soit sincère et que l’on aime son prochain. On est loin du Dieu exclusif, unique, que l’Ecriture proclame, et que le premier commandement nous demande d’adorer, sans partager, de quelque manière que ce soit, Sa gloire avec un autre. Notre unité se fait autour de ce seul Dieu, unique et trinitaire, que nous devons aimer de tout notre cour, de toute notre force, de toute notre âme et de toute notre pensée (Deut 6.5, Mat 22.37). Le craindre, c’est le commencement de la sagesse (Pr 1.7, 10). Une sagesse qui conduisait David à dire: Seigneur, tu es la chance de ma vie… Tu tiens mon destin entre tes mains; c’est un sort qui m’enchante, un privilège qui me ravit! (Ps 16:5-6). Mais il disait aussi: Je serre ta parole dans mon cour, afin de ne pas pécher contre toi (Ps 119.11). Prétendre Lui appartenir et Le suivre est chose sérieuse. Il a droit au meilleur de nous-mêmes, individuellement et collectivement dans son Eglise. Et ce qu’il demande de ses intendants, c’est que chacun soit trouvé fidèle (1 Cor 4: 1-2), et qu’il s’efforce de (se) présenter devant Dieu comme un homme éprouvé un ouvrier qui n’a point à rougir, qui dispense droitement la parole de la vérité (2 Ti. 2: 15).

4. Conclusion

4.1 Une tentation à éviter

Ce chemin de l’unité dans la fidélité peut paraître bien étroit. Le Seigneur Jésus ne l’a pas présenté autrement! Nous pourrions être tentés de l’élargir un peu, pour moins d’inconfort et plus de rentabilité dans les contacts, pour avoir peut-être «meilleure presse». Il faut pourtant résister à cette tentation, et l’histoire nous donne bien des raisons de le faire.

Robert Dubarry décrivait, par une phrase brève mais vraie, ce qui s’est passé quand les chrétiens sont entrés dans le jeu de l’élargissement progressif du chemin étroit: «Le christianisme se fit ainsi temporel, puis arrangeant, puis intellectuel, puis mondain.» (8) Au bout du compte, après quelques siècles, que restait-il de l’évangile au sein du christianisme officiel? Et même après la Réforme, qu’est-il advenu des grandes églises protestantes qui, tout en ayant retrouvé certaines vérités oubliées ou méprisées pendant des siècles, n’ ont pas rompu avec le baptême des enfants et l’ecclésiologie multitudiniste? Elles sont, le plus souvent, retombées dans les pièges du formalisme, du traditionalisme, d’un christianisme d’étiquette, bien loin de celui que décrit le NT. Il y a, cependant, dans ces Eglises, de véritables enfants de Dieu en Jésus-Christ, dont l’amour pour Dieu, la foi et la persévérance sont exemplaires. Cependant, il est regrettable que leur présence dans ces églises accrédite l’idée que l’on peut vivre une vie chrétienne normale dans un environnement ecclésial contraire, de plusieurs manières, aux vérités de l’évangile.

4.2 Un combat à mener

A côté du Catholicisme ou du Protestantisme, l’autre christianisme des églises professantes qui se voulaient indépendantes de l’Etat et fidèles à l’Ecriture quoi qu’il en coûte, a dû lutter pour survivre, car ses adversaires religieux n’hésitaient pas à recourir au bras séculier pour faire taire, physiquement s’il le fallait, la voix de ceux qui aspiraient à un vrai retour aux sources de l’ évangile.

Longtemps, les chrétiens évangéliques n’ont guère eu à connaître que la politique du bâton. On préfère de nos jours leur tendre la carotte. On espère ainsi inciter ces «frères séparés» à trouver le chemin du bercail, celui d’un christianisme unifié, pacifié, dans lequel on évitera surtout de sortir la Bible pour parler vérité et saine doctrine. Une vaste entreprise de récupération est en cours. qui trouve des alliés au sein même du «camp évangélique professant». Les dangers viennent, depuis toujours, de l’extérieur mais aussi de l’intérieur, et ce dernier «angle d’attaque» de notre adversaire est de loin, le plus redoutable. L’apôtre Paul n’ a-t-il pas dit: il s’élèvera au milieu de vous des hommes qui enseigneront des choses pernicieuses, pour entraîner les disciples après eux. Veillez donc (Act 20.29-31)?

Si nous prenons l’Ecriture au sérieux, il est évident que cela va limiter, restreindre, nos possibilités de manifester concrètement l’unité entre croyants au sein d’ un christianisme où le pluralisme doctrinal est de rigueur. Il faut fixer des frontières, des limites à ne pas franchir, si nous voulons éviter de perdre notre identité évangélique, notre message, le sens de notre mission dans ce monde.

Ce n’est pas parce que la scène religieuse est confuse, difficile à cerner, avec la «valse des étiquettes» évangéliques, qu’il faut renoncer à clarifier, dans un souci de fidélité à Dieu et à sa Parole, ce, qui peut et doit l’être: que ce soit le contenu de notre foi, les objectifs qui peuvent être visés ensemble, et les moyens à mettre en oeuvre pour les atteindre. Cependant, dans ce qui me semble être un bon combat, il faut rester prudent, examiner toute chose et retenir ce qui est bon. La recherche de l’unité ne peut se réduire à une approche du style: «tout, ou rien!». C’est vrai que l’exercice est périlleux, et les dangers qu’ il comporte pourraient nous rendre prudents à l’excès. L’isolationnisme qui en résulterait serait grave. Le repliement sur soi est aussi une tentation à laquelle il faut résister.

4.3 Une recherche à poursuivre

La recherche de l’unité doit donc rester au coeur de nos préoccupations… malgré les difficultés d’une telle démarche. S’il est grave de manquer de jugement concernant les faux prophètes et les risques qu’ils font courir à 1 ‘EGLISE, il serait aussi grave de juger trop sévèrement ou injustement des frères pour la seule raison qu’ils ne voient pas les choses exactement comme nous dans cette délicate question de l’unité à vivre et à concrétiser. Il faut aussi reconnaître qu’il y a différents niveaux dans les signes extérieurs d’unité. Cela peut aller de contacts ponctuels ou épisodiques entre personnes issues de milieux religieux très différents jusqu’à des collaborations étroites entre églises en vue d’un témoignage commun devant le monde. Par exemple:

1. Il est possible d’organiser des rencontres assez «larges» (à l’échelle d’une ville ou d’une région) dont le but est de favoriser le respect mutuel entre responsables d’églises, de faire circuler des informations utiles à chacun, ou encore de réfléchir ensemble à des problèmes de société ou à des problèmes théologiques. Confronter paisiblement, mais en toute clarté, les positions et apprendre à mieux connaître la pensée des autres, leur manière de comprendre et d’interpréter les Ecritures, est certainement utile pour les uns comme pour les autres, même si cela peut se révéler «dérangeant» .Ces rencontres devraient être informelles, sans parrainage particulier, pour leur éviter toute «récupération» intempestive par les «anti» ou les «pro» de l’oecuménisme (ou d’autres «ismes» plus ou moins populaires!).

2. Dans le cadre des Groupes Bibliques Universitaires (ou d’autres mouvements semblables) des chrétiens d’origines diverses peuvent témoigner d’une certaine communion entre eux en organisant des moments de prière et des études bibliques sur leurs lieux de travail, afin de promouvoir dans ces contextes particuliers le témoignage chrétien, la lecture de la Bible et l’ appel au salut en Christ par la foi seule. Mais il est évident qu’un travail plus complet doit se faire en dehors de ce cadre particulier pour amener les personnes intéressées à une meilleure connaissance de la vérité, y compris sur la question ecclésiologique.

3. Des croyants, attachés à l’inspiration et à l’autorité des Saintes Ecritures, peuvent s’unir pour en rendre témoignage devant le monde (religieux ou non), même s’ils ne partagent pas la même ecclésiologie, par exemple. Cela s’ est déjà fait de manière semble-t-il profitable.

Il y a probablement d’autres pistes à suivre, avec sagesse, afin de saisir des occasions où, en toute clarté et sur des sujets précis, bien définis à l’avance, des chrétiens engagés, mais ne partageant pas les mêmes convictions sur l’ecclésiologie ou sur d’autres points de doctrines, peuvent se retrouver utilement et donner un certain témoignage de leur unité en Christ, de leur attachement à l’Ecriture Sainte. Ainsi pourrons-nous explorer et exploiter quelques possibilités de rendre compte, avec douceur et respect, de l’ espérance qui est en nous (1 Pi. 3.15) et de professer la vérité dans l’amour (Eph 4.15)

4.4 Une unité à promouvoir

Il faut cependant encourager un autre niveau de l’ unité entre croyants, ce que l’on pourrait appeler un oecuménisme véritablement évangélique. Il s’agit de promouvoir une collaboration étroite entre églises professantes unies sur l’essentiel de la foi chrétienne (évangélique). Les objectifs d’une telle «unité» seraient, tout à la fois, de manifester aux yeux du monde la communion réelle qui règne entre elles, et d’évangéliser ensemble au cour de notre société. Il est alors évident que, dans ce contexte-là, l’accord le plus large doit être recherché à la lumière d’un texte comme celui d’Eph 4.

On ne peut obéir ensemble à l’ordre du Seigneur (Mat 28.18-20): Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit, sans être d’accord sur les doctrines du Salut et de l’Eglise.

Nous devrions, entre évangéliques membres d’églises de professants, manifester notre unité face au monde (qu’il soit religieux ou non) en obéissant à cet ordre de mission dans son entier, comme l’apôtre Pierre l’a fait le jour de la Pentecôte (Act 2). La repentance, la conversion, la réception du Saint-Esprit, l’immersion de ceux qui ont reçu la Bonne Nouvelle du Salut en Christ, leur introduction dans l’Eglise, leur formation spirituelle par l’enseignement de la doctrine des apôtres, faisaient partie de l’ ABC de la prédication (et de l’action ) apostolique. Il devrait en être de même aujourd’hui, que ce soit au niveau d’une éacute;glise locale engagée dans le témoignage chrétien ou au niveau de plusieurs églises locales collaborant dans une action commune d’évangélisation.

C’est sans complexe, et de manière déterminée, que nous devons rendre compte de notre position sur ces questions vitales pour l’ avenir de nos églises. Car nous ne devons pas perdre de vue que si l’EGLISE de Jésus-Christ est immortelle, les églises locales, quant à elles, ne le sont pas; leur chandelier peut leur être enlevé par le Seigneur en personne (Apoc 2.5). Les appels à veiller, ou même à se repentir -d’un manque d’amour (Apoc 2.4-5), ou d’une attitude laxiste dans des questions de doctrine ou de discipline (Apoc 2.14-16,20; 3.2- 3, 19) -ne sont pas superflus. La vie et l’avenir des églises locales en dépendent.

Ainsi, ces questions sur le thème de «l’unité chrétienne, ce qu’elle est et ses limites», doivent faire l’objet d’une réflexion d’autant plus sérieuse que l’un des drames actuels du monde évangélique, c’est l’union apparente de ceux qui ne partagent pas la même foi sur les choses essentielles, et la désunion apparente de ceux qui auraient toutes les raisons d: être ensemble s ‘ ils donnaient la priorité, dans le choix de leurs alliances, à leur accord sur l’essentiel. Cette situation est grave; c’est un succès pour l’adversaire.

Certaines divisions au sein du peuple de Dieu sont véritablement coupables, parce qu’elles s’appuient sur des différences de sensibilité personnelle ou d’interprétations sur des su jets difficiles et controversés. Mais certaines unions, que le souci du nombre a fondées sur l’équivoque au détriment du respect de la vérité, le sont sans doute autant.

Que Dieu nous aide alors à bâtir, entre professants, une véritable unité, qui honore le Seigneur et rend témoignage devant le monde de Sa venue et de l’efficacité de Sa grâce. Qu’Il nous préserve de divisions, ou d’alliances, qui feraient le jeu de l’ adversaire en affaiblissant notre capacité de proclamer «tout le conseil de Dieu, sans en rien cacher», en vue du salut de beaucoup.

Qu’ à Dieu soit la gloire, dans l’Eglise et en Jésus-Christ, dans toutes les générations, aux siècles des siècles! Amen! (Eph.3.21).

D.M.

Notes:
1 The nature of biblical unity, p. 380 à 392 du livre «Let the earth hear his voice». (Recueil des études et conférences présentées lors du Congrès de Lausanne pour l’évangélisation du monde, en 1974). Les citations qui suivent sont tirées de la version française de cette étude distribuée aux congressistes francophones.

2 Ibid., p. 387. 3 Ibid., p. 387 4 Ibid., p. 388 5 Ibid. p. 388. 6 Ibid., p. 388.
7 Vocabulaire de Théologie Biblique, de Xavier LEON-DUFOUR, Editions du Cerf; p.114


« …ayant connu Dieu, ils ne l’ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont point rendu grâces; mais ils se sont égarés dans leurs pensées… « 
Epître de Paul aux Romains, 1.21

Le chrétien a parfois tendance à fustiger la raison. Assimilée à la présomption intellectuelle, voire à l’orgueil, cette faculté lui apparaît comme l’alliée du péché et du malheur.


Chrétien ou non, mon lecteur s’attend pourtant à ce que l’article qu’il entame soit substantiel, clairement structuré et logique. Dans sa vie privée, ce même lecteur s’efforce sûrement de donner aux diverses entreprises dont il se sent responsable le même caractère d’ordre, de maîtrise et de clarté.


La raison serait donc tantôt nécessaire, et tantôt haïssable. Tout dépend, comme on dit, du « contexte ». Mais alors, comment cerner le contexte qui permet l’épanouissement de la raison, et définir celui qui la rend délinquante ? Le chrétien évangélique, se fondant sur une déclaration biblique comme celle qui figure en exergue, répondra fort justement que la raison de l’homme « naturel » est dépravée, marquée par la Chute, incapable de conduire l’homme vers le bonheur et de lui ouvrir les portes du salut. Il ajoutera que le chrétien authentique échappe à cette fatalité, car ]ésus-Christ habite en lui, la Bible lui sert de boussole, et le Saint-Esprit illumine sa raison défaillante.


Pratiquement, les choses ne sont pourtant pas vécues ainsi en permanence. Un grand nombre de non-croyants parviennent à faire fonctionner leurs facultés mentales pour le bien commun de l’humanité, et les chrétiens n’ont pas toujours brillé par leur sagesse, ni par leur profondeur intellectuelle, ni même par leur bon sens.


La réalité de la vie quotidienne (qu’elle soit rébarbative ou motivante) impose que tous, croyants, athées, sceptiques, ou agnostiques, se comportent de manière aussi « raisonnable » que possible, sous peine d’être vite disqualifiés. Par ailleurs, il arrive à tous de se trouver pris en flagrant délit de déraison, ou d’inconséquence, comme si le Raisonnable (la « sagesse ») ne mûrissait qu’en contrepartie d’un certains nombre d’égarements. Alors, est-ce la raison qui engendre la folie, ou la folie qui finit par imposer la raison? Et au râtelier des dons de la Providence, quelle place assigner à la raison ?


Il m’apparaît qu’une réponse rationnelle à ces questions est singulièrement ardue – je veux parler d’une réponse qui soit à la fois acceptable par des chrétiens convaincus, et utile à des non-croyants. Je crois pouvoir résumer cette difficulté en quelques mots: l’Occident a pris l’habitude de croire en la souveraineté de la raison, et en même temps de la nier. Il ne sait au juste ce qu’elle est, mais il la vénère, parfois en maugréant. Malgré les « leçons de l’histoire », il ne peut s’empêcher de la brandir comme la marque de son génie propre. Il espère en elle, mais s’en méfie.


Si nous parvenons à rappeler quelques-uns des épisodes déconcertants des relations de l’Occident avec sa fille préférée, la raison, nous serons mieux disposés à entendre les paroles catégoriques de l’apôtre lorsqu’il évoque une humanité « égarée dans ses pensées ». Et mieux préparés à rechercher ensemble à quelles conditions l’esprit humain retrouvera sa santé, son équilibre, sa vraie noblesse – et la raison sa place.


1 Au berceau de la fée


Commençons par une évidence: la raison est une faculté universellement distribuée. Selon Descartes, le « bon sens » ( ou « puissance de bien juger ») est même la chose du monde la mieux partagée. De ce fait, ni l’ingéniosité, ni l’esprit d’analyse, ni celui de synthèse, ni la capacité de déduction, ou de formalisation, ni aucune autre opération de l’esprit ne peut se présenter comme une spécialité du bastion occidental. Le rationalisme est indissolublement lié à l’histoire européenne, mais l’exercice de la « raison », en tant que faculté de juger et d’agir par raisonnement, et non par simples évocations associatives et par instinct, n’est sûrement pas l’apanage des seuls penseurs grecs et de leurs successeurs. Les mathématiques, l’astronomie et les sciences appliquées (architecture, navigation, urbanisme, science militaire, etc.) leur furent bien antérieures. Et à la lecture des recueils de littérature sapientiale de l’Antiquité égyptienne, akkadienne, hébraïque, et des autres peuples du Croissant fertile, on retrouvera tous les types de raisonnements mentionnés ci-dessus.


Toutefois, on ne peut avancer que les sciences et les sagesses pré-helléniques étaient rationalistes dans leur essence. En effet, elles reposaient toutes sur des présupposés de nature religieuse, sur des idées reçues et sur des représentations arbitraires. Ce ne fut que très progressivement que les philosophes grecs eux-mêmes apprirent à se dégager de ces supports hérités des vieilles cosmologies et des traditions. On peut discerner, dans l’apparition de nouvelles religions, le prélude à cette forme d’émancipation spirituelle. Citons pour mémoire le zoroastrisme, ou mazdéisme (du nom du dieu perse Ahura Mazda), qui enseignait dès le 6e siècle avant J.-C. l’opposition radicale entre le Bien et le Mal. Il préconisait la lutte contre les puissances mauvaises (emmenées par le dieu Ahriman), et croyait l’être humain capable d’en triompher, pourvu que ce dernier se laissât conduire par les forces divines de la Lumière et du Bien (gouvernées par Ahura Mazda). Ce manichéisme primitif n’ouvre-t-il pas la porte à une pensée rationaliste embryonnaire ? A tout le moins, ce mouvement traduit une exigence croissante de clarté (clarté dont, en Grèce, Zeus, Apollon, Athéna seront les représentants mythologiques favoris), et une détermination à se débarrasser de tout ce qui maintient l’homme dans l’ignorance et dans l’esclavage moral.


Alors que le polythéisme tend vers un nivellement des notions de vrai et de faux, de bien et de mal, de spirituel et de matériel, de transcendance et d’immanence la recherche de clarté va tendre vers la distinction des opposés (même lorsqu’ils sont perçus comme complémentaires, comme chez Héraclite), vers la séparation, vers la différenciation, et vers le rejet de l’arbitraire. L’outil de cette recherche sera le discours dialectique (selon Platon, l’art « de demander et rendre raison », La République, 533 c). Bientôt, le rationalisme élaboré des philosophes antiques va devenir leur dénominateur commun. Platon comme Aristote, les épicuriens comme les stoïciens, les pyrrhoniens comme les sceptiques, tous parviennent à leurs positions particulières (et parfois contradictoires!) en passant leurs présupposés au crible du « logos », du discours organisé autour de symboles médiateurs. But de l’opération: comprendre l’expérience humaine (la nature des sensations, des traditions, des institutions, des structures sociales, etc.) et le monde en général (les événements, la nature) pour vivre le mieux possible, et le plus justement, le plus sensément.


Il vaut la peine de noter ici que l’aspiration à la clarté ne se développe pas seulement dans le cadre des écoles philosophiques. Cet idéal connaît également la voie mystique, exprimée par les religions à mystères, spécialement par les cultes orphiques. C’est peut-être là le creuset des tendances gnostiques, si vivaces au début du christianisme et de nos jours.


Mais que la connaissance du monde soit l’aboutissement d’un processus dialectique concerté, ou d’une expérience mystique d’illumination de l’oil intérieur., les partisans des deux tendances se rejoignent dans la même croyance implicite en la supériorité de l’esprit (et de la forme) sur la matière, de l’âme sur le corps. Il est du ressort d’un homme « éclairé » de décrire la nature du réel, ou à défaut, de décrire les obstacles qui nous en séparent. La raison est à même de situer l’homme dans le monde, et suffit à l’élaboration d’une morale comme d’une métaphysique (certains philosophes sceptiques font exception).


Dans la joie et l’exaltation de cette espérance, l’Occident salue alors la naissance de la bonne fée qui l’élève au-dessus des ténèbres de la barbarie. On peut sourire des premiers balbutiements de l’enfant prodige, et des vestiges de superstition qui encombrent son berceau, mais cette « venue au monde » n’est-elle pas aussi le témoignage d’une exigence radicale de plénitude spirituelle?


Même prévenu à l’encontre de l’attitude rationaliste, on ne peut nier la grandeur d’un Socrate (pour ne citer que cet exemple) qui, au moment où son ami Criton lui propose de le faire échapper au supplice et à une mort injuste, répond en substance: « Tu sais que je n’obéis jamais qu’à la raison. Or, que dit-elle? Qu’entre les opinions des hommes, il ne faut avoir égard qu’àagrave; celle des hommes sensés, et non à celles de la foule. Cela est surtout nécessaire quand il s’agit des choses les plus importantes, du juste et de l’injuste, du bien et du mal. Or la raison démontre qu’il ne faut jamais être injuste ni faire le mal. C’est de ce principe que notre discussion doit partir, pour décider si je peux sortir d’ici sans l’assentiment des Athéniens » (voir Le Criton, de Platon). Une telle rigueur éthique assortie d’une telle démonstration pratique de sérénité face à la mort méritent l’estime. On ne peut s’empêcher de rapprocher le prince des philosophes de ceux dont parle l’apôtre Paul lorsqu’il écrit:


« Quand les païens qui n’ont point la loi [révélée dans l’Ecriture], font naturellement
ce que prescrit la loi, ils sont, eux qui n’ont point la loi, une loi pour eux-
mêmes; ils montrent que l’ouvre de la loi est écrite dans leur cour, leur conscience
en rendant témoignage, et leurs pensées s’ accusant ou se défendant tour à tour »
(Rom
2. 14,15; quant à cette manière de « dialogue juridique intérieur », voir le texte
de Platon, Le Théétète, 189 e). Mais quoi qu’il en soit des hautes exigences
morales et des actes admirables d’un Socrate, de tels exemples ne sauraient être
produits pour défendre la puissance salvatrice de la raison. Tout au plus peuvent-ils
démontrer que l’homme, être moral autant qu’intellectuel et religieux, trouve
un certain apaisement à l’idée de sa propre justice. Il y a pourtant un mon-
de d’opposition entre l’auto-satisfaction morale et la possession réelle de la
parfaite justice.
C’est ce que feront éclater au grand jour la vie et le
message de ]ésus-Christ.

2 Servante de la Théologie


D’un point de vue strictement rationaliste, l’irruption du christianisme dans l’histoire constitue une catastrophe majeure. Alors que le philosophe se flatte de pouvoir évoluer bien au-dessus des miasmes de la crédulité et de la superficialité populaires, le christianisme naissant va proclamer la faillite du processus dialectique et humilier la raison. La nouvelle « secte », violemment combattue et persécutée, propage des thèses autant inacceptables pour les chefs religieux et politiques que pour les philosophes eux-mêmes. Surtout, elle prétend que son fondateur, un certain Juif nommé Jésus de Nazareth, a vécu en homme parfaitement sage et irréprochable, sans avoir été disciple d’aucun des grands maîtres de la philosophie. Plus énorme encore: on affirme que cet homme était Fils de Dieu, Dieu incarné, Dieu en personne, venu sur terre dans le but exprès de sauver l’humanité, et tout cela sans le recours à la philosophie. On attribue à cet être extraordinaire des pouvoirs surnaturels, et l’on rappelle sans cesse que le point culminant de sa mission a été sa crucifixion, parce que, expliquent ses partisans, cette mort injuste du seul juste de l’histoire a valeur de sacrifice expiatoire pour toutes les mauvaises actions des hommes, et qu’elle nous garantit une paix éternelle avec Dieu. On s’empresse d’ajouter que ce Jésus est revenu à la vie plusieurs jours après sa mise au tombeau, qu’il est monté au ciel et qu’il règne désormais de manière invisible sur tous ceux qui croient en lui, et qui attendent sa réapparition.


Le philosophe se voit donc dépouillé de son principal titre d’honneur: la connaissance du « logos », de la raison incarnée dans le langage, et assimilée par certains penseurs (les stoïciens par exemple) à la divinité suprême. On lui demande désormais de reconnaître en cet obscur Galiléen le Logos lui-même, la Sagesse éternelle, le seul Médiateur entre Dieu et les hommes, le Seul salut imaginable. Et si le philosophe se rebiffe, et demande pourquoi il faut en passer par là, on lui réplique que les philosophes comme les mystiques ont amplement prouvé la faillite de leurs systèmes respectifs. Non seulement ils se contredisent, et leurs manières de vivre sont rarement convaincantes, mais encore des chefs religieux et des hommes ouverts à un discours rationnel (Hérode, en Luc 23. 9; Pilate, en Jean 18. 33-38) comptent parmi ceux qui ont crucifié Jésus-Christ.


Pour mesurer l’onde de choc d’un tel message, considérons que l’enseignement de Christ condamne par avance toute forme d’illusion quant au potentiel de la raison humaine. Ce n’est pas la sagesse qui sort du cour humain, de son être profond, mais ce sont « les mauvaises pensées, les adultères, les débauches, les meurtres, les vols, les cupidités, les méchancetés, la fraude, le dérèglement, le regard envieux, la calomnie, l’orgueil, ta folie » (Marc 8. 21-23). Aussi fortes que soient les aspirations à la clarté, aussi profondes et ordonnées les réflexions pour comprendre et soi-même et le monde, aussi énergiques les efforts pour se dominer, le cour reste ce qu’il est, et l’esprit comme les sens penchent vers la nuit (cf. Jean 1. 5, 10, 11; 3. 19). Un tel message est philosophiquement irrecevable. Or, comme le dit l’apôtre Paul, si « Dieu a convaincu de folie la sagesse du monde », et si la sagesse de Dieu (contenue dans la double Révélation de l’Ecriture sainte et de la personne de Christ) n’a été reconnue par aucune des sommités de l’époque (cf. 1 Cor 1. 21; 2. 8; Col 2. 3, 8-10), il n’est pas possible d’embrasser la foi chrétienne sans condamner la nature dégénérée et pervertie de l’être humain tout entier, raison comprise (cf. Rom 3. 9-20 ).


Pour autant, le christianisme ne va pas exclure la raison, pas plus qu’il ne va déprécier le corps ou ignorer les sentiments. La foi entraîne le croyant dans un processus de complète régénération: devenu « une nouvelle créature » par la venue en lui du Saint Esprit, et sous son contrôle, le chrétien est invité à mettre toutes ses facultés au service de son Seigneur divin (cf. 2 Cor 5. 17; 1 Thess 5. 23). La raison retrouve donc sa place, et prend part au grand renouveau. Elle devient capable de saisir l’essentiel et de s’y conformer, tout en rejetant les pseudo-sagesses. D’où des recommandations comme celle-ci: « Je vous exhorte /… / à offrir vos corps comme un sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu, ce qui sera de votre part un culte raisonnable (grec: tèn logikèn latreian). Ne vous conformez pas au siècle présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait » (Rom 12. 1,2 ). N’est-ce pas, d’une certaine manière, la sublimation du rêve rationaliste ?


Lorsqu’au 4e siècle le christianisme devient la religion officielle de l’Empire romain, les beaux jours de la philosophie autonome semblent compromis. L’exercice de la raison n’est plus soutenable que dans le cadre d’une réflexion modelée par la pensée biblique, les anciens moules de la religion polythéiste ont été supplantés par le paradigme trinitaire, et toutes les institutions subissent peu ou prou la marque du consensus chrétien. Dans la mesure où, selon Augustin, la philosophie demeure l’ancilla theologiae, la servante de la théologie, on tolère qu’elle fournisse un certain bagage conceptuel et un support logique.


On pourrait craindre, d’un point de vue rationaliste, que la pensée philosophique «indépendante» ne soit en train de s’acheminer vers une période de stagnation, voire de régression. Pourtant, c’est de cette première période de l’ère chrétienne que date une vision du monde qui a fertilisé toute l’histoire de la pensée occidentale, et dont nous sommes encore tributaires. Celle-ci comprend une recherche de l’absolu centrée sur la Révélation du Dieu unique, l’abandon de la notion de destin (le fatum latin), la désacralisation de la nature (c’est à dire le rejet de l’animisme et du panthéisme), la conviction que l’univers obéit à des lois stables et intelligibles. Le corps est revalorisé (quoique non idolâtré). L’individu prime sur le collectif. L’histoire a désormais un début, une fin, et un sens. L’égalité des êtres humains est posée.


Enfin, un dernier facteur contribue à perpétuer une certaine tradition philosophique: la bataille contre les hérésies, à laquelle l’Eglise est contrainte. De conciles en traités d’apologétique, de défenses en réfutations, les Pères de l’Eglise auront à faire à forte partie, et trouveront tout naturellement l’occasion d’affûter leurs armes dialectiques et rhétoriques. Sans forcément tomber dans un discours purement philosophique, ils seront entraînés dans des controverses où les influences platoniciennes, aristotéliciennes, gnostiques ou païennes les amèneront à utiliser par moments une terminologie proche de celle des pollueurs du message évangélique.


3 La servante devient gouvernante


Christianise-t-on un empire? Constantin-le-Grand (305-337), par son édit de 313, et plus tard Théodose (379-395), premier empereur à imposer le christianisme et à proscrire le paganisme, ont cru l’entreprise possible. Un survol du Moyen Age, traditionnellement compris entre l’an 476 (chute de l’Empire romain) et l’an 1492 (découverte de l’Amérique), devrait pourtant nous rendre sceptiques à cet égard.


Le triomphe public et politique du christianisme au 4e siècle entraîne un mieux vivre généralisé et d’authentiques progrès sociaux. Mais on le sait, la pensée « homogénéisée » n’est qu’une façade. D’une part, les masses ne sont que partiellement et superficiellement acquises à la cause de l’Evangile: la mentalité païenne couve sous la cendre. D’autre part, les controverses théologiques incessantes ne laissent guère l’Eglise se reposer sur ses lauriers, et plusieurs conciles dits « ocuméniques » sont nécessaires pour éradiquer les hérésies et pour asseoir les fondements de la doctrine chrétienne (Nicée en 325, Constantinople en 381, Ephèse en 431, Chalcédoine en 451). Malheureusement, et même chez les Pères de l’Eglise les plus respectables, certaines résurgences de la philosophie antique (platonisme) et des structures politico-religieuses romaines pèsent parfois lourdement sur l’orientation du « clergé » naissant. Le système catholique romain, terreau de nombreuses déviations, est en train de se former. L’Eglise se mondanise.


Les spasmes de l’Empire sur son déclin, puis le schisme de ce même Empire et les invasions barbares, vont permettre l’émergence de nouveaux pouvoirs et d’un nouvel ordre européen. Seigneurs et riches propriétaires ruraux se partageront les terres jusqu’aux premières tentatives de reconstruction d’un nouvel Empire romain d’Occident, sous l’impulsion de Charlemagne (800). Profitant des recherches des érudits du 5e au 8e siècle (Bède, Boèce, Cassiodore, Isidore de Séville), et en s’appuyant sur les ordres monastiques (sur l’Anglo-saxon Alcuin en particulier), il favorise le développement d’une nouvelle culture. De son côté, la papauté va sans cesse ferrailler contre les successeurs de Charlemagne (et plus tard contre les empereurs allemands) pour imposer sa loi et sa vision sécularisée du pouvoir religieux. Elle y parviendra dès le 11e siècle. Dans son sillage, la théologie, sous diverses influences, comme celles des Arabes Avicenne et Averroès, ou du Juif Maïmonide, va évoluer dans le sens d’une remise à l’honneur de la pensée d’ Aristote (bien que ce ne soit pas là le seul trait distinctif de cette dogmatique). Thomas d’Aquin (1225-1274) en sera le principal instrument. Par ailleurs, on assiste en Occident à une renaissance du rationalisme par le canal de penseurs ou de théologiens comme P. Abélard, P. Lombard, A. le Grand, R. Lulle. Certains d’entre eux sont contestés par l’Eglise, ou parfois par des anti-rationalistes tels Duns Scot, mort en 1308, ou R. Bacon, 1214-1294, un des « pères » de la méthode expérimentale. Le front rationaliste est loin d’être uni, mais on sent que la philosophie ne se cantonne plus dans son rôle de servante de la théologie, elle prétend désormais jouer le rôle de gouvernante.


Citons ici P. Courthial, auteur que nous ne suivons pas dans toutes ses conclusions, mais dont nous apprécions plusieurs analyses pertinentes (voir Le jour des Petits Recommencements, Ed. L’Âge d’Homme, Lausanne, 1996, pages 189, 190): «Thomas d’Aquin va magistralement (hélas !) construire un système à deux niveaux:


– THEOLOGIE appuyée sur la Révélation christique, biblique (2e niveau)
– PHILOSOPHIE naturelle, incorporant la pensée d’Aristote (ler niveau).


D’où une double dialectique:
– en philosophie, celle du motif FORME-MATIERE;
– en théologie, celle, plus complexe et générale, du motif NATURE-GRÂCE.


Comme la nature (et donc aussi l’intelligence) a été blessée par la Chute, la Révélation doit reprendre, redire, les vérités naturelles plus ou moins perdues et oubliées (celle de la création divine, celle du décalogue, par exemple).


Mais si Thomas d’Aquin reprend la vision augustinienne de la théologie comme Reine des sciences, et de la philosophie comme servante de la théologie, il s’appuie néanmoins sur une philosophie, et même sur une théologie, naturelles qui prétendent ne tirer autorité que de la seule lumière de la raison.

La philosophie thomiste se fonde ainsi sur une métaphysique aristotélicienne de l’Etre et prétend pouvoir résoudre d’une manière autonome (par rapport au Seigneur et à sa Parole) les trois problèmes fondamentaux de la philosophie: [nous abrégeons]
1. celui de la relation et de la liaison mutuelles des divers aspects de l’expérience,
2. celui de l’unité radicale du moi pensant
3. celui de l’origine du sens de toute la création. »

En fait, les apports réellement neufs du christianisme sur plusieurs points essentiels sont comme gommés par l’autonomie accordée ici à la raison naturelle. Sous prétexte que Dieu a créé l’homme raisonnable et libre, et qu’il l’a chargé de gérer la Création, Thomas d’ Aquin rend à la philosophie une indépendance très large, et favorise la prééminence de la scolastique (celle que Courthial nomme «la scolastique synthétique envahissante», dont les ramifications s’étendent jusqu’à notre époque; op. cit.p.188). Dans ce système, il n’est plus déraisonnable de professer que l’achèvement du salut est entre les mains de l’homme, auquel est réservé la tâche de dégager, du sein de la multiplicité et du désordre apparent de la matière, les formes qui le conduiront à la connaissance de la Forme pure, Dieu. La porte de l’humanisme est désormais plus qu’entrouverte, et les exaltations anthropocentristes de la Renaissance ne vont pas tarder à s’y engouffrer.

4 Pandore au foyer

Selon l’auteur grec Hésiode, la première femme avait été richement dotée par les dieux : beauté, charme, habileté manuelle; mais elle avait aussi reçu des talents redoutables: ruse, fourberie, parole séduisante et art de tromper, ainsi qu’une jarre remplie de tous les maux imaginables. Or Zeus avait destiné la charmante créature à servir de châtiment pour les hommes, coupables d’avoir accepté le feu dérobé par Prométhée. On sait ce qu’il advint: Pandore ouvrit la jarre et le malheur envahit l’humanité.

L’esprit de libre entreprise et de conquête, l’attirance pour la beauté, l’amour de la vie, la curiosité intellectuelle, et surtout la glorification de l’humain, sont autant de termes qui caractérisent la mentalité de la Renaissance. Cette ivresse d’autonomie et d’indépendance, cette soif de connaissances, contribuent fortement à promouvoir la pensée rationaliste, tout en favorisant de nouvelles formes esthétiques (quête idéaliste du Beau et de l’Harmonieux), la survalorisation de l’individu et de son énergie créatrice (la virtù), le retour aux valeurs païennes de l’Antiquité (néoplatonisme), le développement de la méthode expérimentale, des sciences et des techniques.

Ce bouillonnant melting-pot n’est pas sans danger. Un monde qui obéit à la devise de Rabelais: « Fay ce que vouldras » (« fais ce que tu auras déterminé », cf. Gargantua, chap. 57) peut donner l’impression qu’il a enfin réalisé la synthèse entre la liberté chrétienne (le « tout m’est permis » de l’apôtre Paul) et l’épanouissement total de la nature humaine auxquels aspirent les Marcile Ficin, les Pic de la Mirandole, les Valla, et autres Léonard de Vinci. En réalité, c’est la vanité et l’égocentrisme qui revendiquent la préséance. Le christianisme est alibi. Et là où la raison avait projeté de gouverner, c’est souvent le cortège de toutes les passions, de toutes les fantaisies qui déboule, affublé à l’occasion des oripeaux des vieilles traditions ésotériques (cabale, alchimie). Rien d’étonnant donc que la Renaissance soit destinée à s’étouffer de ses propres excès, car la Raison n’est ni maîtresse d’elle-même, ni indépendante des sens. Elle ne peut enfanter de vérité universelle et intemporelle (même les concepts dits « scientifiques » doivent être revus et corrigés). Pire encore, elle est capable de se mettre au service des causes les plus inavouables, et de fortifier les despotes (Machiavel et son illustre ouvrage, Le Prince, dédié à Laurent le Magnifique en 1513, en est le meilleur exemple). En bref, plus la raison s’émancipe et tend à s’affranchir de la Révélation biblique, plus l’arbitraire menace. C’est Pandore qui ouvre sa cruche.

5 A la croisée des chemins

Ce que nous venons de rappeler en termes trop succincts pour prétendre au parfait équilibre sonne durement. J’entends vos objections: Quoi! la Renaissance, cette aube magnifique de l’esprit européen, vaudrait-elle moins qu’une époque d’obscurité? N’avions-nous pas pour principe de dater la « modernité » à partir de là? La Renaissance n’a-t-elle pas marqué la « promotion de l’Occident, à l’époque où la civilisation de l’Europe a de façon décisive distancé les civilisations parallèles » (J. Delumeau) ? Cette nouvelle atmosphère culturelle n’a-t-elle pas contribué au surgissement de tant de génies: Dante, Marlowe, Shakespeare, Cervantès, dont les oeuvres semblent tellement plus fortes que les traités de scolastique ? Et les premiers fondateurs de l’esprit scientifique moderne: Francis Bacon (1561-1626), Nicolas Copernic (1473-1543), ]érôme Cardan (1501-1576), ]uan Luis Vives (1492-1540), Paracelse (1493- 1541), et bien d’autres, n’ont-ils pas fait avancer l’histoire par leur rupture d’avec le monde de la scolastique aristotélicienne, voire des autorités ecclésiastiques ?

De telles questions méritent une mise au point.

1. Nous croyons que la Renaissance a contribué de manière décisive à secouer les institutions et les paradigmes hérités d’une hégémonie religieuse souvent imméritée. Sur bien des chapitres, les emprunts à la logique et à la physique aristotéliciennes avait mené l’Eglise à des positions absurdes, et sans justification biblique. Il était donc normal et bienvenu que l’on en revienne à une pensée moins encombrée de pr&eaceacute;supposés et de fausses catégories, et plus objective.

2. Le « libre examen » cher aux humanistes ne nous apparaît pas comme malsain.
Si ce droit nouvellement revendiqué a conduit les uns ou les autres à des procès
avec l’autorité ecclésiastique ou judiciaire, nous ne saurions le déplorer, si
ce n’est pour regretter les traitements arbitraires auxquels ils furent soumis.

3. L’effervescence provoquée par la découverte de mondes nouveaux (au propre et au figuré), la créativité qu’elle a engendrée dans tous les domaines, l’attente de temps meilleurs qui habitait bien des esprits (souvenons-nous de l’Utopie, de Thomas More), tous ces éléments ne nous apparaissent pas, en eux-mêmes, comme des signes de dégénérescence, quoiqu’ils ne garantissent pas non plus le progrès spirituel et moral. Ils expriment le plus souvent un légitime besoin de changement et d’en avant.

4. Enfin, il faut admettre que les excès de l’humanisme de la Renaissance sont en partie la conséquence des conceptions religieuses impérialistes de l’Eglise. En cherchant à imposer la théocratie au monde, Rome finit par favoriser le despotisme humain en son sein, et à le justifier à l’extérieur. En effet, la conception catholique romaine du « Royaume de Dieu » entraîne la création d’une caste de dirigeants, de privilégiés, d’une nomenklatura culturelle et économique, que l’exercice du pouvoir finira immanquablement par corrompre, dans ses doctrines et dans ses mours. Or, en ce qui regarde le clergé officiel, l’époque de la Renaissance est riche en souvenirs et en démonstrations d’abus de pouvoir, d’inconduite et de collusion avec les forces de Mammon, et l’on comprend que les meilleurs esprits de ce temps aient cherché à se distancer d’un tel système.

D’une certaine manière, le phénomène que nous avons décrit comme une aspiration à la clarté et à la liberté en parlant de la Grèce ancienne se reproduit à la Renaissance. A cette différence, de taille, que les hommes de la Renaissance reviennent au passé pour bâtir l’avenir. De cette prospection enthousiaste de leurs racines {bibliques ou païennes) vont naître de nombreux courants de pensée qui, en se combinant ou en s’opposant, vont modeler la culture occidentale actuelle. Nous en retiendrons quatre:

La théologie réformée « classique », qui prône une mise sous tutelle de la raison.
Le rationalisme, qui maintient la primauté de la raison.
L’empirisme, qui affirme la primauté de l’expérience.
Le mysticisme, qui vise à l’union avec le divin à travers le sentiment.

6 Sous tutelle


Sans revenir sur les causes de la Réforme et sur toutes les thèses défendues par les « protestants », il est utile de rappeler ici que la plupart d’entre eux étaient à l’origine des catholiques très au clair sur la doctrine et les mours du clergé. De plus, ils possédaient une solide érudition classique, et les philosophes grecs et latins leur étaient aussi familiers que les thèses humanistes du quattrocento. Le «libre examen» les prédisposaient sans doute à mieux cerner certaines questions, à comparer, à soupeser, d’un point de vue orthodoxe, mais aussi en changeant de perspective, en prenant un certain recul. On s’étonne donc que ces rescapés du grand brassage de la Renaissance et de l’école scolastique thomiste soient arrivés aux mêmes conclusions sur les dogmes essentiels, à savoir le statut unique de la Révélation biblique, l’ouvre médiatrice et expiatoire de ]ésus-Christ, la nature humaine, le rôle capital de la grâce et de la foi dans l’ouvre du salut. Toutefois, nous souvenant des premiers conciles et des positions professées par l’Eglise primitive, nous constatons que le message des Réformateurs n’est pas neuf. C’est seulement l’exhumation de vérités injustement ensevelies. Tirées soudainement de l’oubli, à une époque où le pardon s’achète et où l’Eglise croule sous les superstitions, elles brillent d’un éclat incomparable.


L’une de ces vérités, c’est la dépravation totale de l’homme sans Dieu. Le péché originel n’a laissé aucune de ses facultés intacte. Par conséquent, l’observation du monde, son étude attentive, les spéculations de la raison, la méditation des notions de Beau ou de Bien, la pratique de rites ou de règles de comportement, aucune de ces choses n’amène à Dieu ni à aucun salut réel. Reprenant les termes de l’Ecriture, et spécialement de l’Evangile de Jean et de l’épître aux Romains, les Réformateurs insistent sur le fait que si la révélation générale de Dieu dans la nature, dans la conscience ou dans la raison suffisait pour s’élever par degrés jusqu’à la possession du salut parfait, les hommes n’auraient pas rejeté et crucifié la Vérité incarnée, le Logos de Dieu. Ils l’auraient au contraire accueilli. L’attitude innée de l’homme à l’égard de Dieu n’est pas celle de la soumission, mais celle du rejet et de l’insoumission (cf. Jean 1. 5, 10,11; 3. 19; Rom 1. 18-21; 3. 9- 23). Le salut n’est pas simple affaire de connaissance, car ceux qui avaient la connaissance la plus exacte et la plus complète de la nature et de la volonté de Dieu ne lui ont pas été fidèles. Non, le salut est affaire de profonde repentance, d’abdication devant le Dieu souverain et trois fois saint, d’humble acceptation de la grâce, et du don du Saint Esprit. À moins que Dieu, de sa propre initiative, ne nous délivre, « nous sommes contraints de servir Satan », dit Luther en réponse aux thèses exprimées par Erasme dans sa Diatribe sur le libre arbitre (1524).


Etayons ce point en citant encore le même texte de Luther (Traité du serf arbitre, p.323): « Puisque l’Ecriture marque partout l’antithèse de Christ et de ce qui n’est pas de Christ, disant que tout ce qui est sans Christ est soumis à Satan, à l’impiété, à l’erreur, aux ténèbres, au péché, à la mort et à la colère de Dieu, tous les passages qui parlent de Christ témoignent contre le libre arbitre. Or ces passages sont en nombre infini; ils sont dans toute l’Ecriture. »


Notons qu’il ne saurait être question, dans la pensée réformée, de condamner la raison naturelle infirme pour la remplacer par une faculté naturelle apparemment moins abîmée par le péché. Ni la conscience morale, ni la volonté, ni ce que Pascal appellera plus tard le cour, ni les sentiments, aussi nobles fussent-ils, n’offrent en eux-mêmes le moyen de la réconciliation avec Dieu. Toutefois, l’ouvre de la Parole de Dieu dans la vie du croyant, l’activité du Saint Esprit et la puissance purificatrice de Christ en lui le transforment graduellement à l’image du Seigneur (2 Cor 3. 17, 18; Rom 8. 28-30). A la raison comme aux facultés de l’être tout entier s’ouvre un champ d’expression infiniment riche, pour autant que le disciple se mette à la tâche (à l’instar des inlassables Réformateurs). D’où cette exhortation de Paul aux Philippiens: « Au reste, frères, que tout ce qui est vrai, tout ce qui est honorable, tout ce qui est juste, tout ce qui est pur, tout ce qui est aimable, tout ce qui mérite l’approbation, ce qui est vertueux et digne de louange, soit l’objet de vos pensées » (Phil 4. 8).


Dans la mesure où les héritiers de la Réforme sauront maintenir la raison sous cette tutelle, elle se révélera hautement bénéfique au développement culturel et moral des régions favorables à l’Evangile biblique. Mais dès l’instant où les chrétiens s’éloigneront de la Révélation normative de Dieu, se mettant à douter de l’inspiration de l’Ecriture, ou à lui adjoindre d’autres sources de « vérité », à en relativiser le message, ils commenceront à se placer au-dessus d’elle, et se livreront à nouveau aux velléités de leur raison naturelle. Il faut donc, pour que la raison du chrétien fonctionne sainement, une constante acceptation des décrets de la Parole, et une constante réflexion sur les tenants et les aboutissants de celle-ci, sans négliger une mise en pratique de ses enseignements (cf. Ps 1; Ps 119; Jean 16. 12-15; 17. 13-26). C’est ainsi qu’une vraie relation personnelle avec Christ lui-même pourra se développer, pleine de joie et de confiance, et s’épanouir en un témoignage constructif au cour de la société civile.


7 L’idole patchwork

Les querelles philosophiques et religieuses de la Renaissance, puis de la Réforme, laissent présager quelle sera l’évolution de la pensée occidentale dans les siècles suivants. Le rationalisme moderne provient du mélange en patchwork d’influences diverses:
– le paradigme introduit par la dichotomie nature/grâce (Thomas d’Aquin)
– le leitmotiv des humanistes de la Renaissance: «l’homme est la mesure de toutes choses»
– l’héritage des nominalistes (rationalistes scolastiques) du Moyen Age (Roscelin, fin du 11e siècle; Guillaume d’Occam, 14e siècle)
– l’héritage des conceptualistes (Abélard, 12e siècle), et leurs tentatives de réconcilier le rationalisme (tendance nominaliste) et l’empirisme (tendance réaliste)
– un certain nombre de valeurs et de concepts empruntés au christianisme primitif (notions de liberté, de cohérence du monde, de finalité de l’histoire, de responsabilité, d’individualité etc…).

Avec le temps, le rationalisme moderne imposera des concepts qui infiltreront toute la pensée occidentale. Parmi ceux-ci:

a. 1 ‘homme est responsable de donner un fondement et un sens à son existence; l’homme honnête et sage s’efforcera de suivre des principes mûrement établis, particulièrement dans les situations qui risquent de le détourner de son devoir ou du bien public (R. Descartes, 1596-1650; E. Kant, 1724-1804)

b. l’homme peut parfaitement analyser tous les phénomènes religieux et les comprendre par sa raison (P. Bayle, 1647-1706; Malebranche, 1638-1715; A. Renan, 1823-1892; et d’une manière générale, toute la critique biblique libérale)

c. l’homme peut éventuellement tirer quelque profit de la lecture de la Bible, comme de l’étude de n’importe quelle religion, mais il lui appartient de ne retenir que ce qui lui semble raisonnable (déisme et syncrétisme des Lumières et des Encyclopédistes; culte de la Raison et de l’Etre Suprême des Révolutionnaires français, années 1790)

d. l’homme possède en lui-même suffisamment de discernement et de sens critique pour orienter ses investigations dans le sens d’une meilleure connaissance de soi et du monde, et d’une amélioration de sa nature (positivisme d’A. Comte, 1798-1857; philosophies du Progrès)

e. l’homme ne se réalise pleinement que par son travail et par l’accroissement de son bien-être (J. Locke, 1632-1704, dans ses Traités du gouvernement civil; capitalisme libéral, économisme)

f. l’homme, être social, ne peut se réaliser totalement que dans une société libre et équitable; l’histoire se construit rationnellement et inéluctablement dans le sens de cette réalisation (matérialisme dialectique, socialisme, communisme; Hegel, 1770-1831; Marx, 1818-1883; Lénine, 1870-1924)

g. l’homme se rendra maître de la nature par la science, et assurera ainsi sa survie, sa sécurité et sa prospérité (scientisme, technicisme).

Entre la fin de la Renaissance et le 20e siècle, ces présupposés seront modulés d’innombrables manières, mais les options de base resteront bien présentes. Remarquons d’emblée que certains articles énoncés ci-dessus sont complémentaires, mais que d’autres sont antinomiques. Et comme nous le rappellerons maintenant, ils sont tous, pris isolément, fortement remis en question par les partisans des tendances radicales de l’empirisme et du mysticisme.


8 La Raison chahutée


Les nouveaux absolus du rationalisme, leur éloignement du Dieu de la Bible et de la notion de salut enseignée par l’Ecriture, les impasses historiques et les naufrages idéologiques dont notre histoire occidentale est jalonnée, tout cela peut expliquer qu’en dépit du succès des philosophies rationalistes, des voix ne cessent de s’insurger contre leurs partis pris réducteurs. Au Culte de la Raison succèdent souvent des comportements irrationnels, et là où semblaient triompher des principes, des lois, des «impératifs catégoriques», et toute une armada de symboles verbaux et de représentations mentales, c’est l’humain le plus élémentaire et le plus instinctif qui prend un malin plaisir à rappeler son existence.


C’est ainsi que les courants empiriste et pragmatiste, ou encore le sensualisme, vont sans cesse faire valoir leurs droits, dans la ligne de Locke, Hume, Condillac, Husserl, Scheler, Heidegger, et de tant d’autres. Ils avanceront l’idée que l’homme est capable de déduire tous les grands principes de la raison (et d’un comportement raisonné) à partir de l’expérience et (ou) de la sensation brute. L’ironie de telles positions, c’est que pratiquement tous ces penseurs défendront leurs thèses, et construiront leurs systèmes, d’une manière rigoureusement rationnelle! Les formes contemporaines de l’existentialisme (qui est aussi un humanisme, comme l’a déclaré J.-P. Sartre) vont dans ce sens. En refusant de reconnaître la réalité d’une essence humaine (c’est à dire d’une nature humaine préétablie et universelle), et en affirmant que l’homme n’est pas, mais qu’il devient ce qu’il se fait, les existentialistes marchent à la fois dans les traces du rationalisme hégélien, et dans celles des pragmatistes les moins favorables au rationalisme. Du reste, notre siècle offre d’autres exemples de rationalismes bizarrement mâtinés d’empirisme, tel l’«empirisme logique», ou néopositivisme, de R. Carnap (1891-1970), selon lequel tout peut être connu scientifiquement pourvu que l’on renonce à parvenir à la détermination illusoire d’une nature des choses qui serait cachée sous les phénomènes.


On peut essayer d’expliquer la confrontation rationalistes/empiristes de différentes façons. L’une d’entre elles est la mise en évidence de certains déraillements du rationalisme. Par exemple, le rationalisme s’est souvent permis d’appliquer des modèles logico-mathématiques à des objets qui ne pouvaient se laisser saisir par de tels instruments. Ou il s’est cru autorisé à utiliser ces mêmes modèles pour statuer sur l’essence des choses, de Dieu, de la nature, etc. A force de spéculer sur ce qui ne le regardait pas, le rationalisme s’est souvent discrédité. Nous croyons pour notre part que l’origine de tous les déraillements est essentiellement à l’endroit où l’apôtre Paul l’avait localisée: les humains ont délibérément tourné le dos à la Révélation de Dieu (présente dans la nature, mais aussi dans le Logos incarné et dans le Logos de L’Ecriture ) .De ce fait, « ils se sont égarés dans leurs pensées, et leur cour sans intelligence a été plongé dans les ténèbres» (Rom 1. 21).


Quant à l‘approche mystique, elle a ses représentants à toutes les époques (nous avions mentionné la gnose antique, remise au goût du jour par les dévots du Nouvel Age). Rappelons quelques noms: Saint Jean de la Croix (16e siècle), Maître Eckhart (14e siècle), Jacob Bôhme (16e siècle), Sainte Thérèse d’Avila (16e siècle), et l’écho qu’ils ont produit chez des penseurs comme Bergson ou Simone Weil. Chrétienne ou non, cette approche diffère de l’approche rationaliste en ce qu’elle cherche à se fondre dans un « Autre » tout différent et supérieur, alors que le rationaliste recentre tout sur le sujet pensant. Mais l’histoire en général a prouvé l’insuffisance d’une telle attitude, susceptible d’élans sublimes, mais aussi des pires déviances idéologiques, sectaires ou obscurantistes. Or, les grandes remises en question de l’esprit cartésien, les grands doutes au sujet de la toute-puissance de la science, la méfiance actuelle à l’égard de l’ordre, des structures, et des institutions, participent de cette quête mystique d’un absolu directement sensible et accessible, d’un bonheur de nature purement expérimentale et religieuse. Les hippies et Mai 68 se sont coulés dans ce mouvement, et la mode toujours plus prisée des religions orientales, de l’ésotérisme, de l’irrationalisme, et des disciplines du « bien-être » indique où souffle le vent. Pour une plus ample étude de ces tendances, nous recommanderons deux ouvrages. Le premier, d’un penseur chrétien bien connu: Francis Schaeffer, et son classique Démission de la Raison (Ed. de La Maison de la Bible, Genève, CH); le second d’une philosophe contemporaine de bon sens: Dominique Terré-Fornacciari, Les Sirènes de l’Irrationnel (Albin Michel, Paris, 1991).


9 Il faut savoir raison garder


Le monde moderne ne peut se passer d’un recours intense et quotidien à la raison pratique. Renoncer aux outils logiques, aux concepts éminemment subtils de la science, ou tout simplement à tous nos choix quotidiens fondés sur des décisions rationnelles, projetterait la terre dans le chaos.


Mais comme nous l’avons souligné dans notre introduction, il règne dans les esprits une forme sourde de rejet et d’irritation à l’égard de cette puissante idole. Elle n’a manifestement pas rempli toutes ses promesses, ni satisfait tous les besoins.


Cependant, le monde moderne sait qu’il serait mal avisé de sombrer sans restriction dans des systèmes fondés sur les seuls critères du pragmatisme ou sur les chimères du mysticisme. Il semble tenir à conserver quelques valeurs morales, et quelques garde-fous, malgré son attirance pour l’utilitarisme, pour l’hédonisme, et pour le pluralisme. Bref, il assure ses arrières.


Le seul chemin hors de l’ambiguïté et de la perte totale d’un sens cohérent ne passe pas, pour nos sociétés déchristianisées, par l’abandon de la raison, mais par le constat raisonnable dont parlait Pascal: que la raison avoue son insuffisance, reconnaisse qu’elle ne parvient jamais à l’essentiel, à Dieu, au salut, et encore moins à la vraie paix et à la vraie sécurité.


Comme l’enfant prodigue, il faut que la raison s’humilie, et revienne au Père, car « toute grâce excellente et tout don parfait descendent d’en haut, du Père des lumières, chez lequel il n’y a ni changement ni ombre de variation » (Jac 1. 17). Alors seulement, sous le regard du Père, dans sa présence, et avec l’assurance de son amour miséricordieux, la raison comme les sens, l’esprit et le cour, apprendront à coexister en harmonie, et à vivre pour de bon.


Article paru dans Compassion no 66, jan-mars 1995 (avec autorisation)
Version originale publiée par Mainstream Magazine, Angleterre

Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre: je ne suis pas venu apporter la paix mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle- fille et la belle-mère et l’homme aura pour ennemi les gens de sa maison. Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi, et celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi: celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas, n’est pas digne de moi (Mat 10.34-38).

Dorénavant le mot division est un mot que nous entendrons de plus en plus. Certains voudraient nous faire croire que toutes les divisions qui surviennent au sein de l’Eglise sont l’œuvre du diable. Mais est-ce bien vrai? D’autres attendent qu’une division surgisse mais pour de mauvaises raisons. La confusion règne!

Le «réveil» de Toronto a déjà provoqué bien des divisions. Les gens prennent position pour ou contre avec une ferveur sans précédent. Dans 1’histoire récente de l’Eglise, aucune controverse n’a eu un tel effet. Qu’arrive-t-il donc?

Une ligne de démarcation est tracée

Dieu est en
train d’entreprendre une oeuvre de séparation! Des lignes de démarcation sont en cours de traçage. Chaque chrétien charismatique ou non, réveillé ou endormi, expérimenté ou nouveau converti, est sommé par le Saint-Esprit de prendre position d’un côté ou de l’autre.

De part et d’autre les chrétiens ont de fortes convictions. Chaque groupe prétend avoir la bénédiction de Dieu et être dans Sa volonté. Chaque partie accuse l’autre de tromper et de persécuter la véritable Eglise. L’examen des prétentions des uns et des autres ne peut conduire qu’à la confusion; mais comme nous allons le voir, certaines lignes directrices incontestables nous permettront de prendre la bonne décision.

La situation présente n’est toutefois pas facile à comprendre. Spécialement quand on veut nous empêcher de réfléchir et d’analyser.

Le prédicateur d’ Afrique du Sud Rodney Howard Browne qui est à l’origine de cette «vague de rire» exhorte couramment ceux qui le suivent par ces paroles: «Laissez votre raison de côté et entrez dans le domaine du surnaturel.» Comme si les deux étaient exclusifs.

Dans l’assemblée de Toronto Airport au Canada (le principal centre de cette vague de rire actuelle) on entend ce genre de prophétie: «Je crierai de Sion, dit Dieu. Je rugirai du rugissement de la victoire! Vous dépouillerez le camp de l’ennemi! Je viens! Je suis un homme de guerre!… Ne faites pas attention à ceux qui vous disent: Soyez raisonnables! Soyez rationnels! Tout cela n’est pas logique! Je vous le dis, l’homme naturel ne reçoit pas les choses de l’Esprit de Dieu, car elles sont une folie pour lui. Permettez-moi de vous parler et d’agir au travers de vous».

Dans ces milieux, la logique est présentée comme étant en conflit avec la volonté de Dieu et la Parole écrite comme un obstacle plutôt qu’une aide. Que reste-t-il donc? Uniquement le facteur émotionnel! Mais lorsqu’un chrétien se confie dans ses sentiments et ses expériences plutôt que dans la Parole de Dieu, il commet une erreur dont l’origine remonte au Jardin d’Eden.

Une obsession démesurée de l’expérience

Certains leaders de ce mouvement prétendent avec insistances être semblables aux chrétiens de Bérée qui sondaient les Ecritures. Ce qu’ils avancent n’a toutefois rien d’une démarche biblique cohérente ou d’une théologie confirmée. Il ne s’agit que de textes isolés qui citent des bruits d’animaux ainsi que d’autres sortes de manifestations physiques, comme si le phénomène de Toronto ne se résumait qu’à cela.

L’argument majeur des promoteurs du phénomène de Toronto est le suivant: «Prouvons à nos opposants que les manifestations sont authentiques, et alors tout ira bien». Il s’agit là d’une vue bien limitée et pour le moins superficielle.

Comme un magicien qui fait des tours de passe-passe, Satan cherche lui aussi à concentrer notre attention sur le bruit et sur le tapage. Pendant ce temps-là, il agit par derrière en trafiquant les doctrines de l’Eglise.

Si nous n’y prenons pas garde, l’expérience elle-même captera toute notre attention, et nous en perdrons de vue son but ultime. N’oublions pas que l’histoire ne s’écrit pas par hasard. Dieu a Son plan mais Satan a son complot et il oeuvre fiévreusement en vue d’atteindre un but précis.

Le complot de Satan

Voici brièvement le complot de Satan:
-son but: dominer
-son problème: les différences d’opinions des chrétiens
-sa solution: l’épuration

Succinctement, on peut dire que depuis des années, l’objectif de toutes ces nouvelles églises charismatiques a été la conversion de la plus grande partie possible de la population mondiale, afin d’établir le royaume de Dieu sur la terre avant le retour de Christ. Cette effusion spirituelle actuelle de Toronto n’a rien changé. Bien au contraire ! Pour qu’un tel dessein puisse être réalisé, il faut que ces églises reçoivent toujours plus de «puissance».

Voici deux déclarations relevées au cours d’une réunion qui s’est tenue le 14 octobre 1994 dans l’assemblée d’Airport Vineyard à Toronto:

«Je vais déclarer la chose suivante et e vais la dire publiquement. Le Seigneur a montré à plusieurs prédicateurs qu’il allait engranger un milliard d’âmes en un court laps de temps. Un milliard d’âmes vont entrer dans le royaume de Dieu» (Wes Campbell).

«Oh! Seigneur, nous Te remercions pour cette merveilleuse
vague du Saint-Esprit. Nous Te remercions pour cela, car Tu déverses
Ton Esprit pour que nous ayons la puissance d’être des témoins,
pour pouvoir atteindre les 5,6 milliards de gens qui peuplent la terre. La majorité d’entre eux n’ont jamais entendu parler de Ton nom Seigneur Dieu. Ce ne sont pas les manifestations qui importent, mais c’est la puissance du Saint-Esprit pour gagner le monde entier afin que toute la terre soit remplie de la gloire de Dieu. Il faut que tous les royaumes de ce monde deviennent les royaumes de notre Dieu, et que la terre entière puisse être remplie de Ta gloire puissante» (Bob Weiner).

On parle déjà d’une «nouvelle vague» à venir. Ce serait un temps de repentance, de sainteté et de plus grande unit&eacueacute; dans toutes les églises et qui conduirait au réveil mondial tant attendu.

Séduisant n’est-ce pas? L’idée de manger le fruit de l’arbre de la connaissance de Dieu dans le Jardin d’Eden l’était certainement aussi ! (Gen 3.1-6).

Menaces destinées aux chrétiens soi-disant rebelles

Un problème se pose à ceux qui croient que seule une Eglise Mondiale indivisible, harmonieuse et parfaitement réglée est en mesure d’accomplir l’évangélisation du monde. Ce problème est tout simplement celui-ci: tous les chrétiens ne sont pas d’accord avec le programme!

Cette maudite petite bande de chrétiens rebelles, disent-ils, est une épine dans leur pied. Ils ne cessent d’insister sur le fait qu’il faut examiner les nouvelles révélations et les prophéties données à la lumière de la Parole de Dieu. Ils continuent à dire que le salut des nations ne pourra pas se faire avant le retour du Seigneur Jésus.

Ils croient toujours en l’enlèvement et dans le millénium et dis cernent la réalité de la grande tribulation dans les derniers temps annoncés dans les Ecritures. Ils considèrent l’harmonie, l’unité et la restauration mondiale comme une utopie. En dépit de toutes les attaques lancées contre leurs enseignements et malgré l’insistance de leaders charismatiques pour que ces chrétiens rebelles adoptent un changement radical dans leur façon de voir les choses, certains d’entre eux persistent dans leurs «hérésies» .

C’est ainsi qu’un nouveau mouvement se met en place dans beaucoup d’églises charismatiques. Profitant du sentiment de culpabilité déjà répandu dans certains cœurs, une campagne de cure d’âmes et de confession, dont le but est d’éliminer les indécis, va être mise en oeuvre. Ce n’est plus le moment de tergiverser! Celui qui est trop faible pour se déterminer sera mis à l’index! Tous ceux qui demeurent dans des églises contaminées vont bientôt être cernés, sommés de confesser leurs doutes et menac&eacueacute;s du jugement de Dieu.

Faites bien attention au très subtil changement de doctrine de ce mouvement comme le montre la «prophétie» douteuse suivante, donnée à Toronto: «Quand des jours de puissance et de révélation arriveront, quand de nombreux miracles se produiront autour de toi, que des signes et des prodiges se réaliseront, qu’il y aura de grandes effusions de joie et que beaucoup de bonnes choses te seront accordées, le Seigneur te dira: Choisis, choisis, choisis! Seras-tu comme Job, qui disait: Accepterais- je le bien de la part de Dieu et non le mal? Es-tu prêt à accepter le bien et le mal? Je suis en train de te dire que tu dois te saisir de tout ce que tu peux tant que tu le peux, et prendre tout ce que tu peux tant que tu peux l’avoir, car des jours viennent, dit le Seigneur, où une grande division surviendra dans l’Eglise. Un homme aura pour ennemis les gens de sa maison. Tes parents te critiqueront, ils parleront mal de toi et diront que tu t’es engagé dans une secte. Vos fils et vos filles diront que leurs parents sont devenus fous. Ce sera alors la désolation au sein de la maison de Dieu».

«Je vous dis que, au milieu de vous maintenant, certains sont là uniquement pour répandre la discorde parmi les frères. Il y a des choses que le Seigneur hait, qui sont en abomination devant lui. L’une de ces choses, c’est qu’un homme vienne délibérément avec l’intention de semer la division dans son église, cherchant à détruire et à diviser. Ce qu’il a en horreur, c’est un homme qui, au nom de la vérité, abandonne l’amour et fomente la haine et qui ne comprend pas que l’amour couvre une multitude de péchés».

«Le Seigneur déclare que la parole de correction doit être prononcée dans l’amour. Le Seigneur certes est celui qui corrige, et le Seigneur aime la correction et appelle à la correction. Mais le Seigneur hait, Il HAIT la division. Et pour celui qui vient apporter la division, qui vient pour diviser l’Eglise de Christ, pour séparer Ses bras de Ses jambes, et les orteils de Ses pieds, le Seigneur dit que Sodome et Gomorrhe seront mieux traités que cet homme-là au jour du jugement».

«Mais je vous dis que la division surviendra malgré tout, et comme un levain dans l’église, elle est même déjà en train de se lever. En ce moment le Seigneur vous appelle à ne pas voir autre chose que ce que vous voyez, à accepter les miracles dont vous entendez parler et les fruits de Dieu que vous voyez, à considérer toutes ces choses comme étant de Dieu, à persévérer jusqu’à la fin pour être sauvés ou bien à vous confier dans la sagesse humaine et les raisonnements qui tuent la foi et amènent la division».

«Le Seigneur veut que vous preniez position dans votre
cœur ce soir. Il veut que vous sachiez si ces choses sont de Dieu ou non,
et Il veut que vous soyez fermes dans votre engagement, tout comme vous êtes appelés à tenir ferme dans votre confession de foi» (Stacy Campbell, épouse de Wes Campbell, octobre 1994).

Remarquez ici combien les gens de ce mouvement découragent le fait de remettre leurs doctrines et leurs expériences en question et combien ils vous font sentir que cela n’est pas chrétien. Il s’agit dans ce «réveil» d’accepter à la fois le bien et le MAL sans se poser la moindre question.

Dans ce mouvement, on considère que la vérité (le fait de considérer la doctrine biblique avec l’objectivité) est opposée à «l’amour». Chez eux, l’amour dont il est question est d’un type nouveau qui ignore l’erreur au nom de l’unité.

La soumission ou la mort

La conséquence la plus troublante
est que les opposants à ce mouvement sont réellement considérés comme étant en dehors de la foi et condamnés à mourir! Dieu est supposé menacer ceux qui ne se soumettent pas à cette puissance et le sort qui leur est réservé est identique à celui de Sodome et Gomorrhe: une destruction totale! Jésus a prononcé ces paroles à l’encontre de ceux qui le rejetaient comme Sauveur et Messie (Mat 10.14-15). Devons-nous dorénavant supposer que le fait de rejeter le phénomène observé à Toronto s’apparente à un rejet de Dieu Lui-même qui conduit
à la mort?

La lecture du dernier paragraphe de cette «prophétie» donne certes cette impression. On contraint les gens à tenir ferme dans leur approbation de ce qui se passe à Toronto, comme ils sont censés tenir ferme dans leur "confession de foi" en Jésus-Christ. Dans leurs esprits les deux choses sont liées.
Ce raisonnement est extrêmement dangereux!

Le phénomène de Toronto est en train de rapidement devenir un test de loyauté et de conformité doctrinale. Le prédicateur charismatique américain bien connu aux USA Kenneth Copeland par exemple, a suggéré que ceux qui résistent à
cette action de Dieu pourraient bien tomber sur place et mourir!

«Un de ces jours, disait-il à quelqu’un, vous pourriez
très bien être en train de discuter avec des gens leur demandant comment cela s’est passé a l’église dimanche dernier. Ils répondraient alors: Oh! C’était formidable! La gloire de Dieu était si forte que dix infirmes, trente sourds et sept cas de cancer ont été guéris et le frère «grande bouche» et la soeur «querelle» sont morts» (Magazine «VoiceofVictory» d’octobre 1994).

Selon Copeland, les chrétiens ont un choix vital à faire. Il déclare: «Lorsque le feu de Dieu commence à brûler et que les flots de l’Esprit se mettent à couler, le chrétien n’a qu’une alternative: soit il se soumet à l’Esprit et se repent de sa «résistance» à cette «action de l’Esprit», soit il refuse d’y entrer et est violemment emporté».

Quel est donc ce péché qui mettrait les chrétiens en danger de mort? Selon lui ce serait le simple fait de résister à «1’action de Dieu» ! D’après Copeland ceux qui s’unissent dans cette «puissance de réveil» ont l’occasion de «vivre des instants merveilleux» .Lorsqu’il raconte l’histoire d’Ananias et Saphira, Copeland déclare que les chrétiens qui étaient là «vécurent un tel moment de gloire que, même quand Ananias tomba raide mort en face du prédicateur, les chrétiens continuèrent
tout simplement d’adorer».

En réalité le péché d’Ananias ne fut ni de manquer de soumission à l’égard de ses aînés, ni d’éteindre l’Esprit. Mais, il avait menti au Saint-Esprit (Act 5.2-6). Et il retint une partie du prix, sa femme le sachant; puis il apporta le reste et le déposa aux pieds des apôtres. Pierre lui dit: Ananias pourquoi Satan a-t-il rempli ton cœur au point que tu mentes au Saint-Esprit et que tu aies retenu une partie du prix du champ?.. Ce n’est pas à des hommes que tu as menti mais à Dieu. Ananias, entendant ces paroles, tomba et expira. Une grande crainte saisit tous les auditeurs. Les jeunes gens s’étant levés l’enveloppèrent, l’emportèrent, et l’ ensevelirent. Il n’y a pas dans ce récit grand chose de comparable avec ce qui se passe dans les réunions du style de celles qui se déroulent à Toronto
Copeland enseigne néanmoins à partir de ce passage que ceux qui résistent à l’effusion des derniers jours sont en danger de mort. Le message est des plus clairs: la soumission ou
la mort!

Il y a déjà quelques temps que ce message à l’encontre des opposants existe. Il est apparu notamment dans les prophéties et les enseignements des Prophètes de Kansas City. Ceux-ci sont en effet en relation avec des gens qui prêchent la fausse doctrine des «manifested sons» (sorte d’élite chrétienne extrémiste qui se prend pour le sauveur du monde et qui enseigne que la Chrétienté en tant que dénomination est comparable à Babylone, que seuls les saints parfaits de leur nouvel ordre émergeront à la fin des temps comme des élus de Dieu, tandis que Babylone sera vaincue et mourra dans Tribulation
qui doit survenir).

Il y a cependant un fait inévitable. C’est que toute doctrine qui met en avant une certaine élite et qui présente ses membres comme des Sauveurs du Monde aura forcément des opposants.

Le fanatisme

Toute solution humaine aux problèmes du monde
engendre le fanatisme puis la violence. Bien que nous ayons tendance à approuver
les croyances de ceux que l’on a appelés les Puritains (en Angleterre),
on ne peut néanmoins oublier que la guerre religieuse de Cromwell
causa des milliers de victimes. Bien qu’il soit évident que la lutte qui s’est déroulée en Irlande dépasse le cadre religieux, peut-on toutefois approuver le meurtre au nom de la défense de la foi? Peut-on de nos jours justifier de quelque façon que ce soit une guerre sainte? Une cause, si noble soit-elle, peut-elle en elle-même légitimer le fait
de prendre les armes pour la défendre?

Voilà des questions auxquelles il se pourrait bien que nous ayons à répondre bientôt, en particulier si nous sommes confrontés à certains événements qui, ébranlant le monde, requerront une réponse ferme de la part de l’Eglise.

Le péché d’opposition

Les leaders de ce «mouvement
de la vague de rire» préparent activement l’Eglise afin que celle-ci soit apte à remplir sa mission durant les temps de la fin. Ils font appel à l’unité, à la sainteté et à la soumission à Dieu. Tout cela semble avoir une bonne apparence. Mais quelle est la réelle signification de ces mots pour eux? Et quelles seront les victimes de cette sorte de prédication?

Il y aura certainement, parmi eux, des repentances sincères; je n’en ai pas le moindre doute. Mais ce que nous voyons ressemble fortement à une nouvelle définition des notions de repentance et de sainteté et ceux qui refusent ce «réveil» seront montrés du doigt comme s’ils étaient des pécheurs.

Nous voyons déjà une certaine dureté s’installer au milieu d’eux. A Toronto, malgré les directives officielles qui exhortent à l’amour et à l’humilité, la façon dont sont traités les opposants n’a rien à voir avec la douceur de Christ. Cette anomalie est pour le moins déconcertante car s’il s’agissait véritablement d’un authentique réveil comme ils le prétendent, alors l’œuvre du Saint-Esprit produirait des changements dans la nature de ceux qui sont touchés par Sa puissance. Dans un réveil, les fruits de l’Esprit sont manifestes: ce sont l’amour, la bienveillance, la patience, la bonté et le contrôle de soi. Au lieu de cela, un grand nombre de ceux qui sont atteints par la "bénédiction" deviennent agressifs, arrogants et tellement imbus d’eux-mêmes qu’ils ne peuvent tolérer la moindre opposition. C’est bien la preuve que quelque chose ne va pas!

«L’ amour» dont on dit qu’il est le principal fruit
du réveil de Toronto n’est pas là lorsqu’il s’agit de le manifester à l’égard des membres d’autres églises, et encore moins à l’égard des opposants! Leur amour semble se résumer uniquement à un sentiment passionnel à l’égard de Dieu. C’est presque un état d’extase dénué de tout contenu mora1. Cette heureuse condition est sans nul doute très agréable pour ceux qui y participent, mais si elle ne conduit pas à la manifestation d’un amour semblable à celui du Christ, quel résultat durable peut-elle bien avoir?

Ceux qui entretiennent des doutes au sujet de ce réveil sont accusés d’être des entêtés et des pharisiens légalistes; ceux qui éprouvent les esprits (pour voir s’ils sont de Dieu) sont accusés comme résistant au Saint-Esprit; et ceux qui questionnent les responsable du mouvement sont accusés de «rébellion».

La soumission

Deux catégories d’exigences sont généralement
imposées dans ce mouvement: l’acceptation sans réflexion de la puissance spirituelle et l’acceptation aveugle d’autres chrétiens sans considération de doctrine.

La première attitude rejette d’emblée toute éventualité de séduction spirituelle, ce qui est totalement contraire aux Ecritures. La Bible nous exhorte ainsi: Examinez toutes choses; retenez ce qui est bon (I Thes 5.21).

La seconde attitude accepte le compromis avec l’erreur, ce qui est contraire à l’enseignement des Ecriture: Eloignez-vous de tout frère qui vit dans le désordre et non selon les instructions que vous avez reçues de nous (2 Thes 3.6).

Avant toute autre chose, notre soumission à la Parole de Dieu doit être prioritaire. Néanmoins cette réalité est en train d’être complètement mise de côté. On suggère au contraire que les chrétiens vraiment obéissants doivent expérimenter des choses «pour Dieu» sans se demander si elles sont insensées, sans fondement ou génératrices de désordre. On exige même de toute personne qui n’a pas donné satisfaction à ce test ultime de soumission qu’elle se repente!

Il est malheureusement si facile d’inciter les chrétiens sincères à s’engager dans ce genre de sottise. Généralement ce sont les chrétiens qui ont une certaine maturité et qui ont un authentique désir d’obéir à Dieu et de Le servir, que le diable poussera le plus à faire des extravagances. Des siècles de pratique ont convaincu le diable qu’il est bien plus facile de faire dévier les chrétiens par un excès d’obéissance que par une manque d’obéissance.

Une fausse unité

Dans ces milieux, on assiste en outre à une
pression dont l’objectif est l’unité. Il s’agit cependant d’une union
qui ne concerne que ceux qui acceptent les doctrines et pratiques du nouveau
mouvement.

Copeland insinue que la désunion est cause de jugement
et de mort au sein du Corps de Christ, et qu’elle est une entrave à l’effusion de la puissance de réveil. Il dit que «la repentance est obligatoire pour quiconque souhaite faire partie de ce mouvement de Dieu». Il appuie son raisonnement par le récit de la Pentecôte. Selon lui, l’Esprit de Dieu était dans l’impossibilité de descendre sur les disciples tant qu’ils ne se repentaient pas de leur manque d’unité. Il déclare qu’il y avait parmi eux des désaccords mais «qu’à un moment donné ils renoncèrent à leurs différents… et se mirent d’accord entre eux. Et quel en fut le résultat? Le Dieu Tout-Puissant fit Son entrée, et répandit Sa gloire parmi eux».

Copeland déclare aussi que Dieu veut déverser une puissance de Pentecôte plus grande encore: «Nous sommes sur le point de parvenir à la source jaillissante, que toutes les générations précédentes ont langui d’avoir. Que signifie cela pour vous et moi?» demande-t-il. «Si nous bannissons le péché de nos vies, et si nous nous accordons avec nos frères et sœurs, alors en ce jour de gloire, Dieu réalisera des prodiges au milieu de nous. Nous n’aurons pas à nous faire de souci quand la gloire de Dieu nous tuera en frappant notre chair».

Quant aux serviteurs de Dieu qui s’opposent à ce que ce phénomène éclate dans leur église, ils disent d’eux qu’ils font partie du «Old Order» (de l’ancien système), qu’ils seront balayés, qu’ils perdront leur ministère et seront mis de côté. Voilà quelle était la pensée d’une prophétie donnée par le prédicateur américain Rick Joyner, et citée dans le magazine «The Harvest» dans lequel ce-lui-ci a prédit une nouvelle effusion de l’Esprit.

Dans le chapitre intitulé «Otons les barrières et les façades qui nous séparent de Dieu et des autres» Rick Joyner écrit sur ceux qui persévèrent dans «des oeuvres ou vérités individuelles», en marge du Corps unifié des derniers temps: «Ils seront «déchus» du ministère, et la démonstration sera telle qu’une sainte et pure crainte de Dieu s’emparera du Corps de Christ. Cela contribuera à ce que l’Eglise s’achemine vers une authentique adoration spirituelle et une unité fondée sur l’adoration&raraquo;.

Aujourd’hui même, six ans après la publication de
ces paroles, nous constatons effectivement, dans les réunions qui se déroulent à Toronto, l’existence d’une nouvelle unité fondée sur l’adoration. Ces paroles s’accompliront-elles aussi en ce qui concerne le sort des serviteurs de Dieu qui insisteront toujours sur une unité basée sur la Vérité?

Dans une prophétie largement répandue, Marc Dupont, pasteur assistant dans l’assemblée d’Airport Vineyard à Toronto, a déclaré qu’il avait le pressentiment «d’un danger extrême à l’encontre des serviteurs de Dieu qui continuent à résister au Saint-Esprit». Dieu est supposé avoir fait la promesse d’une intensification dans les domaines de l’évangélisation, de l’intercession et de la puissance et en même temps, «ce feu purificateur va s’accroître, pour atteindre en particulier les leaders actuels». Il y aura une division très nette entre ceux qui «obéissent» et ceux qui «p&egegrave;chent», et ces derniers devront «abandonner le ministère, faute de quoi ils attireront le jugement de Dieu sur eux-mêmes et sur leurs églises»

Parlant des flots d’eaux vives qui se répandent de Toronto, Dupont déclare que tous ceux qui s’opposeront au Saint-Esprit «seront réduits en poussière» et il ajoute: «Il n’y aura plus aucune véritable unité au sein des églises tant que celles-ci ne répondront pas à l’appel prophétique du Père».

La division est nécessaire

Si la repentance signifie ne
plus s’appuyer sur la Parole de Dieu; si la sainteté doit s’exprimer
par des bruits d’animaux pour Jésus; si l’unité implique ne pas corriger les fausses doctrines: alors le repentance, la sainteté et l’unité ne sont certes PAS AUSSI BONNES que ce qu’ils disent.

Nous avons besoin de comprendre que la division n’est pas toujours l’œuvre du diable. Jésus savait bien que les gens seraient toujours divisés à cause de la vérité: Pensez-vous que je sois venu apporter la paix sur la terre ? Non, vous dis-je, mais la division (Luc 12.51).

L’apôtre Paul disait que la division met en lumière les différences qu’il y a entre la véritable Eglise et les faux docteurs: Et d’abord, j’apprends que, lorsque vous vous réunissez en assemblée, il y a parmi vous des divisions, et je le crois en partie. Car il faut qu’il y ait aussi des sectes parmi vous, afin que ceux qui sont approuvés soient reconnus comme tels au milieu de vous (1 Cor 11.18- 19). Ils sont sortis du milieu de nous, mais ils n’étaient pas des nôtres," car s’ils eussent été des nôtres, ils seraient demeurés avec nous, mais cela est arrivé afin qu’il fût manifeste que tous ne sont pas des nôtres (Jean 2.19).

L’apôtre Paul ne prêchait assurément pas la tolérance à l’égard des hérésies, et il ne demeurait certainement pas dans la communion avec les faux docteurs. Il avait encore moins l’intention de se repentir de son opposition à leurs enseignements.

Tenir ferme

Si ceux qui ont été formés pour être
des défenseurs de la vérité biblique ne prennent pas
clairement position, le mal se propagera inéluctablement. C’est une situation qui n’avantagera personne d’autre que le diable et
qui reflète davantage la caractéristique d’une secte plutôt
que du christianisme.

En vérité, on peut faire des comparaisons
tout à fait stupéfiantes entre ce qui passe actuellement dans ce mouvement et les activités d’une secte. En premier lieu, il faut citer l’attraction pour les défoulements émotionnels, les liens d’amitié, une cause commune, des expériences spi- rituelles puissantes, et le désir avide de trouver quelque chose «qui marche».

Comme dans ce mouvement on demande aux chrétiens d’assister à toutes les réunions, il devient vite insupportable de résister à cette pression qui a pour objet de vous intégrer au groupe. L’individualisme est sévèrement censuré. On enseigne aux participants qu’ils doivent se méfier de quiconque tenterait de les dissuader; il est suggéré que tous ceux qui sont extérieurs au mouvement sont «ignorants» et «dans l’erreur» .

Le raisonnement, la réflexion et l’étude des opinions contraires sont exclues, tandis que sont encouragées l’activité frénétique, la surexcitation et les soirées tardives. Les enseignements apportés sont présentés comme indiscutables, et toute personne qui y résiste est accusée d’être une «source de rébellion». Le groupe est encouragé à persécuter ces individus jusqu’à ce que ceux-ci capitulent.

D’un autre côté, ceux qui adoptent ces enseignements sont incités à se considérer comme spirituellement supérieurs aux autres. Ils ont alors tendance à se sentir comme des gens spéciaux et tout à fait importants dans le cadre du programme du mouvement.

Vient ensuite la cure d’âme, pendant laquelle on encourage à confesser ouvertement le moindre doute. Le bénéfice de cette pratique est double. D’une part, elle permet aux leaders d’identifier ceux qui sont encore indécis; d’autre part, elle a pour effet de remplir les initiés de la crainte d’être exclus ou rejetés (ou même punis).

Il est en outre insinué, quand ce n’est pas explicitement annoncé, que toute rébellion aura des «conséquences fâcheuses», que ce soit pour les opposants ou pour l’assemblée tout entière. Naturellement, celui qui s’est révolté se sentira pleinement responsable.

Les enseignements fondamentaux les plus étranges ne seront présentés que lorsque ce processus d’endoctrinement aura fait son effet sur l’esprit et les croyances des nouveaux membres. Ceux-ci sont alors devenus trop assoupis, trop ébranlés, trop craintifs et trop soumis pour les rejeter.

Alors que beaucoup penseront que leurs églises n’ont rien en commun avec une secte, d’autres (spécialement les victimes du phénomène de Toronto) pourront facilement se reconnaître dans ce qui est décrit précédemment.

Comment savoir si ce mouvement vient de Dieu?

Le but de toute
secte est de propager de nouveaux enseignements. Ce ne sont pas les EXPERIENCES
qui sont prioritaires, mais la DOCTRINE.

Il nous faut donc véritablement
nous inquiéter de la vague spirituelle qui vient de l’église Vineyard de Toronto, et des églises du mouvement Vineyard (le vignoble) en général dans le monde, d’autant plus qu’elles acceptent sans réaction les doctrines erronées des prophètes de Kansas City, et des deux hommes qui sont à l’origine de ce mouvement de la vague du rire: Benny Hinn et Rodney Howard Browne. Nous devrions tout particulièrement être alarmés du fait que la majorité des églises qui acceptent le phénomène de Toronto tolèrent de graves erreurs doctrinales.

Bien que ce ne soit pas là le seul critère, car Dieu peut utiliser des hommes et des églises en dépit d’un certain degré d’erreur dans la doctrine, la question suivante doit être posée: pour quelle raison la présence de Dieu (si c’est bien d’elle dont il s’agit) ne s’est-elle pas manifestée en réprouvant les erreurs et en appelant à la repentance à l’égard des fausses doctrines? Au lieu de cela, c’est très exactement l’inverse qui est en train de se produire!

Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui demandent: comment pourrai-je savoir si ce mouvement vient de Dieu? C’est très simple! Dieu peut-il être en contradiction avec Sa propre Parole? Après avoir passé de si nombreuses années à dénoncer les fausses doctrines, Dieu déverserait-il maintenant Son Saint-Esprit sur ces mêmes fausses doctrines, les revêtant ainsi de puissance pour être prêchées? Va-t-il maintenant oindre la bouche de ceux qui prêchent l’erreur? Absolument pas; cela est tout à fait impensable.

D’un autre côté, puisqu’un système de contrefaçon religieux doit apparaître dans ces derniers temps et que la Bible prédit l’apparition de fausses doctrines et de faux christs dotés d’une puissance miraculeuse similaire, au point, s’il était possible, de séduire même les élus, ne serait-il pas objectif de supposer que cela puisse se produire par l’intermédiaire d’un réveil contrefait tel que celui dont nous parlons ici?

Les tests du revivaliste Jonathan Edwards

Allons plus loin et
appliquons un autre test. Beaucoup ont certainement pu constater que ce nouveau mouvement se réfère à tort aux méthodes du revivaliste Jonathan Edwards, et qu’il revendique des liens avec le Grand Réveil de 1740.

Le revivaliste Edwards était lui, très prudent à l’égard des manifestations inhabituelles. Dans son livre «Les sentiments religieux», il énumère douze expressions qui peuvent être considérées comme des signes de spiritualité ou non.

Parmi ces douze signes se trouvent les manifestations physiques, l’amour, la joie, le zèle, la louange, la confiance, la liberté d’expression et la ferveur .

Sa liste de preuves atteste que des manifestions viennent réellement de Dieu si elles glorifient Dieu seul. Elles doivent aussi tendre à la perfection morale, à l’humilité, à une transformation de l’être, à la bonté et à l’amour envers les autres, au renoncement à soi-même et à une vie qui se conforme entièrement aux enseignements de l’Ecriture.

Dans un autre ouvrage, il énumère cinq fruits essentiels produits par un authentique réveil:
-Jésus est élevé et honoré
-Les chrétiens sont moins centrés sur eux-mêmes
-Une plus grande faim de la Parole de Dieu
-L’amour de la vérité devient capital
-L’amour des autres est évident.
Nous avons déjà vu à quel point la vérité et l’amour selon Christ ont été déformés par ce nouveau mouvement. Prenons par exemple les trois premiers point ci-dessus:

1. Jésus est-il vraiment honoré?

On entend beaucoup
parler de Jésus dans ce mouvement, mais en réalité quand ce peuple s’approche de moi, il m’honore de la bouche et des lèvres; mais son cœur est éloigné de moi (Es 29.13).

Dans ce mouvement, c’est au Saint-Esprit seul que l’on prête attention; pourtant la Parole de Dieu nous dit bien que celui-ci ne vient pas en son propre nom. On appelle aussi le Saint-Esprit. on l’invoque et lui commande même de «venir» .Certains vont jusqu’à Lui attribuer une volonté propre, en dehors de la Parole écrite de Dieu, parce que, disent-ils, «l’Esprit est souverain, et il peut faire ce qu’il veut».

Parallèlement, Jésus est considéré comme un serviteur, comme un copain qui d&eacueacute;sire s’amuser avec nous, pouffer de rire avec ses camarades. Un homme a raconté qu’il avait eu une vision dans laquelle Jésus s’avançait vers lui avec un grand sourire; cela l’avait tellement fait rire qu’il en était tombé à la renverse. (A quoi cela sert-il?)

2. Les chrétiens renoncent-ils à eux-mêmes?

Tous les témoignages recueillis prouvent que ce qui importe, c’est ce que l’on ressent, ce sont les besoins personnels, et le bénéfice que l’on pourra INDIVIDUELLEMENT retirer de ;cette expérience. Essayer de dire à quelqu’un de ce mouvement qu’il devrait cesser de retourner vers cette quête permanente de drogue spirituelle équivaut à arracher son jouer préféré à un enfant. Pour les gens de ce mouvement, ce n’est pas la logique qui compte, mais les sentiments, les besoins personnels, les désirs sensuels, et le frisson des expériences spirituelles; c’est ce qui inspire leur nouveau zèle et leur nouvelle ferveur.

3. Où est l’amour pour la Parole de Dieu?

Le phénomène
de Toronto n’est pas transmis par une saine prédication biblique, mais
par l’intermédiaire de rencontres et de témoignages. Il y a très peu d’enseignement, et lorsqu’il yen a, il ne s’agit que de métaphores et de symboles tirés de l’Ancien Testament. Certaines réunions sont presque entièrement fondées sur des anecdotes. Wes Campbell, qui se réjouit d’avoir trouvé la puissance à Toronto, a déclaré: «Nous venions juste de regagner notre église et j’ ai commencé à prêcher cela. Je leur ai raconté toutes les histoires que j’avais entendues. Je leur ai raconté toutes les histoires que j’ai pu obtenir. J’ai demandé que l’on m’envoie d’autres histoires par fax. Vous ne le croiriez pas!… J’ai commencé à raconter des histoires, et des histoires, et encore des histoires, comment la gloire de Dieu a touché des gens, et vous ne le croiriez pas. Ces gens ont commencé à s’ouvrir. En trois ou quatre semaines ils avaient la foi, et nous avons alors connu la plus grande effusion de toute l’histoire de notre église».

«A Phnom Penh (Cambodge), ils ont à peine commencé à raconter
ce qui se passait à Toronto que la puissance de l’Esprit a commencé à balayer l’église… En Inde, dès qu’ils ont raconté les récits de ce qui se passait, la puissance de l’Esprit s’est répandue. Ils n’avaient pourtant jamais rien lu à ce sujet; ils ont simplement entendu un récit».

En considérant tous ces récits, il semble bien que pas un seul des cinq tests d’Edwards ne puisse s’applique à ce qui se passe aujourd’hui. Cela devrait interpeller ceux qui se réfèrent à lui pour authentifier ces choses. Se peut-il donc qu’un réveil qui a un fondement si branlant soit véritablement de Dieu?

T.T

Or, tout ce qui a été écrit d’avance l’a été pour notre instruction, afin que, par la patience, et par la consolation que donnent les Écritures, nous possédions l’espérance.
Romains 15.4.


Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom

Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sans papier ou cendre
J’écris ton nom (…)

Liberté !

En 1944, Paul Eluard composa un long poème en forme de litanie dont les avions alliés lâchèrent des milliers d’exemplaires au-dessus des zones occupées par les Allemands. Cette ode à la liberté souleva l’enthousiasme et fit renaître l’espoir. Ses vers… libres initiaux figurent dans l’en-tête, traduisant l’aspiration des hommes à l’égard d’une liberté quasi idolâtrée.

La soif d’être libre est de fait universelle et vieille comme le monde… humanisé. De tout temps et en tout lieu, les hommes se sont éprouvés comme contraints, limités, dépendants. Ils se battent volontiers pour conquérir leur indépendance, préeacute;server leur autonomie, jouir sans entraves, s’exprimer comme ils le veulent en supprimant la censure, agir à leur guise…

Tentons en quelques pages d’accompagner l’homme dans ces combats, en cherchant chaque fois à préciser les enjeux, à évaluer les issues. Après quoi nous nous mettrons à l’écoute de la Parole Révélée, où il est aussi question de liberté, mais en un sens radicalement différent, qu’il conviendra de dégager.

L’Homme libéré… de quoi?

des contraintes, des limites,
des dépendances.

I – Libéré des contraintes

Celles-ci peuvent être extrinsèques, avoir leur source en dehors de soi; ou intrinsèques, et provenir alors de l’intérieur de soi.

A. La religion comme pouvoir

Armée par le bras séculier, a longtemps contribué à enserrer les consciences dans l’étau d’une pensée unique. En France, c’est la révolution de 1789 et le Concordat qui ont sonné le glas du régime «un roi, une loi, une foi», offrant enfin aux Huguenots du Désert un statut social et la possibilité de croire autrement que les catholiques majoritaires. De ce point de vue, la laïcité est un facteur de libération. Jean-Paul Willaime, directeur du Centre de Sociologie du Protestantisme de Strasbourg, la définit comme «résultat d’un processus historique qui a vu les diverses sphères de la vie sociale (juridique, politique, médicale, scolaire, etc. ) s’émanciper progressivement de toute tutelle religieuse pour se développer de façon autonome ».

– Actuellement, nombreux sont encore les régimes où pouvoirs religieux et politique sont confondus, exposant à la persécution ceux dont la foi n’est pas celle reconnue officiellement. Ainsi pour plusieurs pays musulmans.

Toutefois, l’affranchissement du joug religieux peut n’être finalement qu’un simple transfert de sacralité et n’avoir donc de libérateur que le nom. N’a-t-on pas vu la religion de l’Etre Suprême remplacer le christianisme et les temples de la Raison faire… office de chapelle, dans une atmosphère de terreur plutôt que de sérénité? Quant aux ouvrages auxquels recourent les enseignants républicains de nos écoles laïques, ne contiennentils pas quelques messages à peine subliminaux qui relèvent de l’idéologie davantage que de la démarche scientifique, en particulier en biologie, où les (hypo)thèses évolutionnistes deviennent subrepticement des faits incontournables et indiscutables à gober comme tels?

Par ailleurs, la vision matérialiste athée inspirée de Marx et Lénine et mise en œuvre par un Etat totalitaire a conduit des myriades de dissidents au Goulag, à l’hôpital psychiatrique, à la mort et à l’exil, tels V Georghiu, Soljenitsyne, Sakharov, Rostropovitch, les étudiants de la place Tien Amnen etc. Quant aux contraintes socio-économiques imposées par un libéralisme débridé, érigé en un système de libre concurrence inspiré par les thèses de la survie des plus aptes et de la sélection des plus entreprenants, elles ne sont pas moins aliénantes, aboutissant à l’émergence d’un Quart-Monde des exclus, tant en Europe qu’aux USA, où s’avivent les tensions entre des chômeurs amers et des travailleurs «surbookés». A sa manière sèche et outrancière, Lénine dénonce lucidement le caractère fallacieux de la liberté en société capitaliste: «une liberté pour les propriétaires d’esclaves» que sont les patrons d’entreprises.

B. La nature comme menace

Dont les caprices ont décimé tant de générations via les famines et les épidémies, et continuent de tuer par toutes sortes de catastrophes, séismes, inondations, tempêtes, etc. Au fil des âges, les progrès dans la connaissance et dans la technique, i.e. dans la capacité à prévoir et à infléchir les phénomènes naturels, ont conduit l’homme d’une passivité pétrie de stoïcisme et de fatalisme démobilisateur à des interventions de plus en plus systématiques et efficaces. Modifier et maîtriser l’environnement, voilà une autre voie d’émancipation. Ainsi, face à de menaçants cumulo-nimbus en passe de décharger leurs grêlons sur sa vigne, le viticulteur contemporain songera-t-il à lâcher quelques bombes pour disperser les nuages, tandis que son ancêtre se serait peut-être agenouillé pour prier, ou aurait levé le poing pour maudire le sort contraire tout en pleurant sa vendange perdue. Si les songes inspirés par Dieu à Joseph, ainsi que son sens de l’organisation, ont jadis évité à l’Egypte les affres de la famine, les exploitants modernes sont davantage intéressés par la capacité de résister au gel ou aux insecticides que confèrent les manipulations génétiques des plantes alimentaires ou ornementales.

Toutefois, la manipulation du génome sans précaution suffisante, la modification de l’environnement sans discernement et l’exploitation sans vergogne des ressources naturelles peuvent conduire à des catastrophes comme l’extension du désert sahélien ou la déchirure de la couche protectrice d’ozone: effet boomerang d’une liberté prise à trop bon marché…

C. A la fois extrinsèque et intrinsèque, mal subies mais susceptibles d’être provoquées, la douleur peut être si intense et la souffrance si atroce, qu’elles emmurent dans le silence d’un corps rétracté, dans la solitude de l’incommunicable. Les grandes douleurs sont muettes, dit-on à juste titre. Fort heureusement, d’énormes progrès ont eu lieu dans leur maîtrise. La morphine – à ne plus considérer comme une forme laïque de l’extrême- onction (mort fine) – soulage désormais la majorité des cancéreux sans les transformer en drogués, les libérant du même coup pour pouvoir alors véritablement communiquer avec leur entourage lui-même rasséréné.

Cependant, maîtriser le symptôme tout en maintenant la capacité du soigné à percevoir et à ressentir les affects, – condition de sa liberté véritable – reste un exercice difficile. En outre, nombre de souffrances psychologiques et morales liées aux vicissitudes de l’existence font l’objet de traitements par anxiolytiques, au point que la France détient le record mondial de consommation de tranquillisants, et que nombre de Français ne peuvent plus se passer de benzodiazépines pour s’endormir ou éviter l’angoisse. Quelle est cette libération visà- vis d’une souffrance existentielle qui se transforme en dépendance à l’égard d’un médicament ? …

D. Reste la contrainte interne, dont on peut parler en catégories et en termes divers: la conscience morale, instance d’évaluation de nos actes et pensées, l’inconscient qui déterminerait nos choix au point de réduire quasiment à néant l’espace de liberté de l’homme selon Freud, les passions et pulsions qui s’opposeraient à la raison et que les stoïciens se faisaient forts de maîtriser pour parvenir à l’ataraxie, sorte de bonheur intime, état idéal de détachement serein vis-à-vis des contingences externes et de contrôle parfait à l’égard de la souffrance et des pulsions. Nécessitant une force d’âme peu commune, ce genre d’approche ne concerne au mieux que de très rares sages, et n’est guère à la mode de nos jours, où l’on parlerait plus volontiers d’homme coincé que d’homme libéré face à un Épictète réincarné! L’heure est en effet davantage à «s’éclater», à «retrouver ses sensations», et à vivre sa passion jusqu’au bout.

Ainsi la libération sexuelle invite-telle à réaliser ses fantasmes sans crainte de la faute, dans toutes les positions, avec tous les partenaires, dans toutes les occasions qui se présentent ou qu’on provoque. «Jouir sans entrave » tel est le credo à peine modulé par l’émergence de l’épidémie du sida, qui conduit désormais à «sortir couvert » si l’on veut durer… Quant à l’entrave que constituait jadis le risque de grossesse, elle est désormais abolie grâce à la possibilité technique de dissocier fécondité et sexualité. Ne pas avoir d’enfant quand on n’en veut pas, premier pas dans la libération de la femme et dans la maîtrise de la procréation, est en effet parfaitement accessible par tous les moyens contraceptifs et contragestifs voire par IVG, forme de… libération de l’embryon vis-à-vis des amarres maternelles, mais pas dans le sens de sa (sur)vie, malheureusement.

Toutefois, s’il n’y a plus culpabilité dans l’acte sexuel libre moderne, il y a par contre un souci de normalité qui conduit à l’anxiété ou à la déprime si l’on n’arrive pas au plaisir attendu, et l’orgasme tend même à devenir obligatoire! Avec la «tyrannie du plaisir», on passe de la libération sexuelle à l’injonction de jouir, ce qui est une nouvelle forme d’aliénation.

II – Libéré des limites

Celles des lois, qu’il s’agisse des lois juridiques conçues pour baliser l’espace d’une vie communautaire de bonne qualité (nous y reviendrons), ou bien des lois biologiques dont la connaissance par l’outil scientifique et la maîtrise par l’outil technique sont autant de voies pour libérer l’être humain des déterminismes qui le conditionnent.

A. Reculer les limites du savoir sur la vie et sur la nature

La connaissance a toujours été considérée comme facteur d’émancipation. Socrate encourage à se «connaître soimême » et, en se présentant comme celui qui ne sait rien et en a conscience, indique qu’il en sait davantage que ceux qui ignorent leur ignorance. Pour Platon, toute connaissance est en réalité re-connaissance, car accès par dévoilement à une vérité intemporelle, déjà là mais cachée et à découvrir, ou oubliée et à rappeler. Pour Descartes, connaître les lois naturelles permet à l’homme de se rendre comme «maître et possesseur de la nature» en les utilisant judicieusement. Francis Bacon, promoteur de la méthode inductive et expérimentale, exprime un point de vue proche en une formule paradoxale et admirable de concision: «On ne commande à la nature qu’en lui obéissant ». Avis semblable de Spinoza, pour qui la liberté réside dans la connaissance rationnelle de l’ordre du monde et dont l’éthique propose une soumission à la nature.

Mais toute connaissance est-elle libérante? Toute vérité est-elle facteur d’épanouissement ? Savoir grâce au diagnostic anténatal que l’enfant attendu est mongolien conduit maintenant soit à sa mort par IVG, soit à la culpabilisation ou à la souffrance aggravée de parents qui auront décidé de le mettre au monde malgré les fortes pressions d’une société devenue intolérante au handicap… et aux handicapés. Drôle de liberté…

Au total, une information peut être délivrance ou intoxication: les journalistes le savent, les QG des armées également.

B. Reculer les limites du pouvoir sur la nature et sur la vie

Pour la mentalité moderne, connaître le monde et ses lois ne suffit plus. Il faut le transformer, refuser toute soumission à l’ordre naturel, reculer sans cesse les limites du savoir et du possible pour maîtriser toujours mieux la nature.

Limites corporelles, que le sportif tente d’abolir en se dopant, au risque d’y perdre la santé, voire la vie, forme ultime d’aliénation.

Limites temporelles de la vie humaine, que l’on cherche à repousser, tant au début qu’à la fin. C’est ainsi que dans les services de réanimation pédiatrique, l’on parvient à maintenir en vie des bébés de plus en plus prématurés, mais au prix parfois de séquelles lourdes à gérer pour tous. Et cet acharnement thérapeutique appliqué aux adultes, avec les souffrances qui peuvent marquer une vie artificiellement prolongée, a fortiori si le consentement de la personne concernée n’a pas été requis, n’est pas pour rien dans les revendications de plus en plus fréquentes et pressantes pour «mourir dans la dignité»: entre la crainte de vivre plus, mais mal, et celle de vivre moins, mais sans l’avoir forcément voulu (euthanasie involontaire), où est le gain de liberté offert par certaines avancées thérapeutiques?

Ambiguïté de la délivrance, qui est certes l’action de rendre libre, mais désigne aussi la dernière phase de l’accouchement (quand le placenta, ou délivre, est libéré) et qu’enfin l’on évoque devant la dépouille d’un malade parti dans des conditions très difficiles. Délivrance reçue? Ou offerte? Débouchant sur la vie? Ou sur la mort ? Soulageant le défunt ? Ou ceux qui l’accompagnent ?

C. S’arrêter pour réfléchir aux limites ?

Au lieu d’affranchir, on voit bien que le progrès technique puisse aliéner. Un moratoire serait logique face aux nouvelles technologies comme le clonage reproductif. Il s’avère impraticable en dépit des déclarations de bonnes intentions, politiques ou autres. En effet, il y aura toujours quelque part dans le monde une équipe ou un chercheur pour poursuivre des travaux contestés par ailleurs, que ce soit par appât du gain stimulé par des firmes intéressées, quête de gloire, passion du métier, ou goût immodéré du risque. Bref, comme l’a souvent dénoncé Jacques Ellul, la technoscience fonctionne désormais en univers autonome, en vase quasiclos par rapport à la société, en sorte que le rapport de l’homme à son outil s’est inversé: au lieu d’en rester le maître, il en est devenu l’esclave.

Par ailleurs, Jean Bernard, alors président du Comité Consultatif National d’Ethique, expliquait volontiers que la meilleure solution pour régler un problème moral posé par un progrès biotechnologique, c’était… un nouveau progrès biotechnologique! Bel exemple de fuite en avant, paradoxe d’une entreprise de libération par la technoscience qui se retourne contre ses promoteurs pour les asservir un peu plus.

Enfin, il faut s’arrêter sur l’acte même de connaître, qui apparaît comme de moins en moins anodin. Déjà en physique, Heisenberg (principe d’incertitude) rapportait aux interférences inévitables entre l’observateur et l’objet observé l’impossibilité de mesurer simultanément la vitesse et la position des particules élémentaires. Georges Canguilhem, à la fois philosophe et médecin, indique de façon imagée que les routes empruntées par les chercheurs en biologie bougent ellesmêmes sous leurs pas. Michael Polanyi, chimiste et épistémologue d’origine hongroise, élargit la perspective dans son ouvrage majeur «personal knowledge» paru en 1958, mettant en lumière l’engagement personnel et implicite inhérent à tout acte de connaissance, y compris scientifique, posant ainsi à nouveaux frais le problème de l’objectivité du savoir humain.

Au total, l’acte de connaître, loin d’être neutre, rejaillit à la fois sur le sujet connaissant et sur l’objet de sa quête, engageant ainsi la liberté et la responsabilité du chercheur. Il persiste toujours un peu de croire dans le savoir, même le plus scientifique.

III – Libéré des dépendances

Chacun aspire à être et à rester autonome, i.e. à ne dépendre de rien ni de personne.

A. L’addiction est le terme technique utilisé par les soignants pour désigner la relation de dépendance qui lie le toxicomane à sa drogue. Ceux qui en ont la charge savent bien que, tant qu’un «junkie» ne fait pas par luimême la démarche de demander de l’aide, l’espoir de le voir s’affranchir de son habitude est quasi nul. De même, l’alcoolique qui jure ses grands dieux qu’à partir de maintenant c’est fini et qu’il va y arriver tout seul n’est probablement pas près encore de quitter la spirale infernale qui le mène à sa perte. Notre pays est en train d’ouvrir peu à peu les yeux sur les conséquences catastrophiques du tabagisme: pour autant, cette prise de conscience nécessaire et salutaire n’épargnera pas au fumeur invétéré affirmant pouvoir s’arrêter de suite par la vertu de sa seule volonté la cruelle désillusion d’une rechute marquée par une consommation encore plus effrénée et compulsive qu’auparavant.

Dans un ouvrage traduit sous le titre «L’illusion de la liberté», le pasteur et psychologue américain W. Lenters, fort d’une expérience d’une dizaine d’années dans un centre de désintoxication, écrit d’emblée: «Tout homme souffre de la dépendance d’une manière ou d’une autre, au plus profond de lui-même. Nul n’y échappe. Nous sommes tous en manque et soupirons ardemment après la liberté». Affirmation pessimiste? Ou constat réaliste? Toujours est-il qu’il élargit bien audelà des cigarettes, du vin et de la «coke» la liste des comportements susceptibles de se muer en autant de dépendances: relation amoureuse glissant en passion fusionnelle, pratique religieuse dégénérant en rite obsessionnel, activité professionnelle dévorante, etc.

«Je n’ai pas le temps»: signe de réussite ? ou aveu d’incapacité à maîtriser une activité dont on est devenu l’esclave?

B. Le refus de la dépendance, s’agissant de fin de vie, peut prendre l’allure d’une revendication d’autonomie débouchant sur une demande d&#8217#8217;euthanasie, voire de suicide assisté. Le 12/01/1999, les 132 signataires d’un «appel pour la désobéissance civique» paru dans le journal France Soir écrivaient: «Nous considérons que la liberté de choisir l’heure de sa mort est un droit imprescriptible de la personne, inhérent à la déclaration des droits de l’homme. A plus forte raison ce droit est-il acquis au malade incurable ou qui endure des souffrances que lui seul est habilité à juger tolérables ou intolérables. Nous estimons légitime, même si cela est illégal, d’aider une personne à accomplir sa volonté de mourir…»

Sans aller jusqu’à cette prise de position spectaculaire, l’expérience hospitalière quotidienne prouve l’enracinement du refus de la dépendance: plutôt que d’appeler le personnel pourtant dévoué et disponible, de nombreux patients fatigués préfèrent se lever seuls et se débrouiller par eux même. Leur chute éventuelle se solde alors souvent par une fracture qui peut accélérer leur grabatisation et définitivement compromettre leur autonomie.

L’Homme libéré… de qui?

De l’Autre, de l’autre, de lui-même.

I – Dès l’antiquité, le Destin

a pesé sur la vie et sur la liberté des hommes: symbolisé chez les Grecs par la vie tragique d’Œdipe, il évoque une puissance aveugle qui est censée déterminer absolument (i.e. quelles que soient les conditions) la vie des êtres et le cours de l’univers. Les latins l’ont nommé fatum, racine étymologique d’une fatalité que l’on invoque encore de nos jours pour rendre compte d’un accident inexplicable ou d’un mal incurable. Dans une lecture sans doute trop hâtive et superficielle, on a parfois réduit la doctrine calviniste de la prédestination à un avatar théologique de ce que les Musulmans, de leur côté, expriment par la formule «mektoub» (c’est écrit). Les philosophes en parlent en termes de nécessité, à commencer par les stoïciens, qui l’assimilent à une providence naturelle. Mais beaucoup d’autres l’ont combattu au nom de la liberté, invitant l’homme à sortir de sa passivité, de son fatalisme, pour enfin prendre son… destin à bras-le-corps au lieu de le subir. Tels les existentialistes, nous y reviendrons.

En médecine, la communication d’un pronostic fatal précisant sans précaution le temps qui reste à vivre sur des bases statistiques, réactualise un Destin qui plonge les familles et les malades dans les affres d’une mort ou d’un handicap insurmontables, barrant désormais l’horizon, paralysant toute initiative, interdisant tout projet. Dans l’attente de la réalisation du verdict, toute vie s’arrête dans toutes les têtes. Terrible vérité qui, contrairement à l’Evangile de Jean (8.32), enferme les êtres au lieu de les affranchir.

Qu’elle s’applique au Destin, aux mythes divers, au Dieu de la Bible ou à ceux des païens, la croyance en tant que telle a été et reste dénoncée comme aliénante, et donc combattue au nom de la liberté dans tous les domaines de la culture. Ce processus d’émancipation vis-à-vis de toute Ordre croyante, à l’égard de toute autorité de type religieux, constitue la sécularisation.

.Malheureusement, un monde sécularisé est aussi un «monde désenchanté », pour reprendre l’expression du philosophe Marcel Gauchet. L’être humain est libre, certes, mais comme l’est un électron non apparié, livré à l’anarchie d’un mouvement chaotique. Tout devient incertain, les valeurs vacillent, le sens s’estompe, les repères s’effacent: tel est le prix de cette libération…

II – L’homme libéré d’autrui

Sur les murs de la Sorbonne, en 1968, on a pu lire d’abord, «Il est interdit d’interdire», slogan anarchiste et portant en lui-même sa propre contradiction puis, écrit par une main différente juste à côté: «Ta liberté s’arrête là où commence la mienne». Ces deux graffitis contiennent les termes de notre problème. En effet, l’homme étant «un loup pour l’homme» selon la formule célèbre du philosophe anglais Hobbes, il faut bien la tierce instance de la loi pour protéger l’autre des débordements de mon libre arbitre, i.e. de ma propension à faire ce qui me plait.

Et réciproquement. Sans quoi la violence règne et empêche toute vie en société! Mais si la loi garantit ma sécurité et mes droits via l’Etat qui la promulgue et la fait respecter, elle limite du même coup ma propre liberté, consacrant le fait que l’autre m’empêche bel et bien d’agir à ma guise. D’où le cri de Sartre: «L’enfer c’est les autres». Ainsi, pas de liberté sans loi, qui est à la fois condition et limite de ma liberté.

Cependant, une loi peut être inique, immorale, scélérate et donc aliénante. Et combien s’estiment libres de faire tout ce que la loi n’interdit pas, même si cela nuit à autrui, tout en servant leurs intérêts: liberté dévoyée qui se contente, voire se targue d’être irréprochable au regard de la loi, mais qui ne l’est pas du point de vue de l’&eacuteacute;thique ou de la morale.

Reste à savoir où est la source de la loi. Soit en Dieu, dans un cadre hétéronome désormais périmé, sécularisation oblige. Soit en l’homme libéré, en l’occurrence autonome.

Ainsi, produisant ses propres lois, l’homme se libère certes de la loi divine, mais y gagne-t-il au change? Un simple regard rétrospectif sur l’histoire des deux derniers siècles, avec entre autres les deux guerres mondiales et le génocide hitlérien, laisse perplexe quant aux progrès accomplis…

III – L’homme libéré de lui-même

Notre volonté est-elle libre? Descartes répond qu’oui, la considérant comme infinie, en contraste avec notre entendement humain qui est limité. Pour Kant, «la liberté est une propriété de la volonté de tous les êtres raisonnables.» Nietzsche soutient au contraire que non: en effet, ce que nous appelons volonté n’est qu’une manifestation de notre instinct. Or, suivre son instinct, ce n’est pas prouver sa liberté, mais démontrer sa soumission à l’instinct.

Les psychanalystes en rajoutent une couche, en affichant leur pessimisme quant à la capacité de l’homme d’agir librement. Que l’obstacle s’appelle «l’inconscient» tout court pour Freud, ou qu’il prenne la forme d’un destin baptisé «inconscient collectif» par C.G Jung, il est toujours intrinsèque, et le verdict est le même: sa liberté n’est qu’une illusion, et notre soi-disant libre-arbitre n’est en prise qu’avec nos motivations conscientes. La cure psychanalytique ne fonctionne que comme un miroir révélant au patient sa présomption de liberté et son manque fondamental, déterminé qu’il est par ses désirs, ses pulsions et son histoire. Elle rend au mieux l’homme plus lucide sur luimême.

– Parallèlement et paradoxalement, le rapport à soi s’est infléchi, passant de la méfiance (Pascal est allé jusqu’à écrire que «le moi est haïssable ») au «souci de soi» (érigé en éthique chez M. Foucault) et à l’estime de soi, actuellement très à la mode, tant il est vrai qu’il faut être «bien dans sa peau «, à l’aise et «souple dans ses baskets» plutôt que «raide dans ses bottes»…

Les stoïciens opposent l’intérieur de soi comme espace de liberté et l’extérieur de soi comme domaine du non-libre, rassemblant le corps, les biens, la famille, les amis, la renommée, le pouvoir, toutes choses qui tendent à nous rendre esclaves et dont il convient de se détacher. La liberté risque alors de se réduire à un déni du monde et d’autrui, à un repli de la conscience sur ellemême, à un confinement dans «le lieu vide de son intériorité» (Hegel).

A l’opposé de cette vision qui distingue les choses qui dépendent de nous et celles qui n’en dépendent pas, les existentialistes considèrent que tout dépend de nous. Pour A. Camus, la meilleure façon de démontrer sa liberté est de se révolter, i.e. d’aller à l’encontre des influences extrinsèques. Et pour J.-P. Sartre, c’est par l’action que je prouve ma liberté, en refusant toute détermination et toute transcendance. Je suis seul responsable de ma vie: ni mon entourage familial, amical ou autre, ni Dieu, ni la nature ne décide de ma destinée. Le seul fait d’exister et de prendre conscience de mes responsabilités est la preuve que je suis libre.

Mais si tout dépend de nous, quelle charge représente alors cette liberté qui se mue paradoxalement en boulet à traîner! Et si nous ne l’assumons pas, nous ne sommes que «des salauds», coupables de lâcheté et de «mauvaise foi». Sartre lui-même en a conscience, qui décrit cet homme comme «condamné à être libre, portant le poids du monde tout entier sur ses épaules», sans moyen pour se dépasser ou pour se disculper, enchaîné qu’il est à sa condition «d’existant né par hasard et sans raison, vivant par faiblesse et mourant par rencontre ». Sombre perspective, qui en a conduit plus d’un au suicide par revendication libertaire ou par désespoir…

Au terme de ce parcours, non exhaustif, dressons un bref bilan

Bien que les points de vue soient loin d’être unanimes, quasiment tous s’accordent à penser que la liberté, soit comme Graal à conquérir, soit comme trésor à défendre, est un combat permanent. «La liberté appartient à ceux qui l’ont conquise», selon A. Malraux, qui a aussi écrit: «Je sais mal ce qu’est la liberté, mais je sais ce qu’est la libération». Pathétique lucidité qui amène, après les questions «libéré de quoi et de qui ? » à vite évoquer celles-ci: libéré pour qui ? Pour quoi? Pourquoi ?

A en croire P. Valery, la liberté est un «mot qui a fait tous les métiers». De fait, au fil de l’histoire, de la sécularisation des mentalités, de la relativisation des valeurs, le concept devient flou et son contenu s’estompe. Chacun se trouve finalement devant l’obligation d’en définir le sens, la nécessité d&##8217;en construire la signification, en bricolant plus ou moins adroitement un patchwork alimenté au bric-à-brac que nous propose désormais un monde désenchanté et sans perspective. D’où l’individualisme forcené, l’augmentation de fréquence des dépressions qui expriment «la fatigue d’être soi» bien analysée par le sociologue A. Ehrenberg, et l’explosion des sectes qui proposent du sens à bon marché dans un secteur où la concurrence est… libre.

En bref, une liberté pour soi, et pour rien

Pour décrire le cheminement de la pensée humaine, M. Heidegger utilise l’image du chemin des bûcherons: dans la forêt, il existe des sentiers qui ne mènent nulle part. Ils sont frayés par les bûcherons qui y coupent leur bois. Quand on les emprunte, on ne débouche sur rien d’autre que sur des clairières d’où surgit la lumière du ciel. Ainsi, le nulle part n’est pas rien: c’est le lieu et le moment où le vertical vient croiser et éclairer l’horizontal de l’existence. C’est le moment, le lieu de la liberté. Pour Heidegger, la pensée libre va donc nulle part: cul-de-sac dans l’ordre de l’horizontalité, ouverture vers une perspective verticale…

C’est celle que nous offre la Parole de Dieu, révélée dans les Ecritures Saintes inspirées par le Saint-Esprit, faite chair en Jésus-Christ, Son Fils mort pour nous à la croisée de deux pièces de bois, et ressuscité pour notre justification. Il est temps d’y plonger nos regards, de saisir l’occasion d’y rencontrer Quelqu’un qui propose une autre vision de l’homme libéré et qui critique à maints égards celles que nous avons passées en revue.

Au commencement était la liberté: Genèse 1, 2 & 3

I – Liberté conquise ou liberté perdue

Le texte met en scène le premier couple créé, finalement chassé du jardin d’Eden après avoir enfreint l’interdit Divin, le seul: celui de consommer du fruit de l’arbre de la connaissance, planté au centre, comme celui de la vie. D’emblée, la Bible rév&eeacute;lée pose à tous le problème de la liberté. La dimension universelle de ce qui est rapporté ici est attestée par le fait que tous finalement s’y réfèrent, croyants ou non. Mais pour en faire deux lectures radicalement opposées !

– Les uns y voient un mythe fondateur expliquant la genèse de la conscience humaine et l’émergence de la liberté. En transgressant l’interdit divin, Adam et Eve sont devenus libres d’agir à leur guise, de se prendre en charge, de choisir entre bien et mal, de décider de leur vie par eux même et pour eux même. En somme, un équivalent judéo-chrétien du mythe de Prométhée. Tout l’exposé qui précède ne fait qu’illustrer et décliner les conséquences et applications de cette lecture, à l’échelle de l’histoire de l’Europe. Jean Brun, philosophe chrétien qui a longtemps enseigné à l’Université de Dijon, considère qu’avec la chute, l’homme est passé du régime du Verbe à celui de l’Action. Action politique, action technique par lesquelles nous cherchons encore et toujours à être sicut Deus, comme Dieu, et à mieux cacher notre «nudité », cette fragilité dont nous avons pris conscience. Action de l’ordre de l’avoir, en lieu et place du Verbe échangé, de la méditation, de l’ordre de l’Etre.

– Les autres y voient l’explication de la perte par désobéissance de la liberté qui caractérisait la créature humaine à l’origine: celle-ci était alors dotée d’une volonté parfaitement capable de choisir Dieu, de Lui obéir et de Lui plaire. Tandis qu’après ce que les théologiens, à la suite d’Augustin, nomment péché originel, l’homme est devenu incapable d’obéir à son Créateur. Et si sa volonté désormais pervertie reste libre de se détourner ou de s’éloigner de Dieu, elle n’a plus la liberté de s’en approcher. Elle est comme bloquée dans un seul sens. «Non posse non peccare»: impossible de ne pas pécher. Dans le cadre de notre relation au Dieu de la Bible, cet esclavage de la volonté est nommé serf arbitre par Luther, et ne peut être levé que par l’extraordinaire et imméritée grâce Divine opérant au cœur du croyant en réponse à sa foi, elle-même don du Saint-Esprit. Grâce tout aussi incompréhensible que le péché qu’elle efface, rendant son bénéficiaire à nouveau apte à obéir à son Créateur, i.e. véritablement libre pour de bonnes œuvres préparées d’avance (Eph 2.10). D’où la remarque de l’apôtre Paul aux Philippiens (2.13), qui pourrait paraître attentatoire à la plus élémentaire liberté humaine et conduire à une passivité fataliste, mais qui dit en fait la profondeur de la déchéance humaine et l’absolue impossibilité de nous en sortir par nous-même, ce qui est pourtant notre réflexe à tous. D’où également le constat du Psaume 127.1-2 (dont le message peut aussi bien s’appliquer à la construction de notre propre identité personnelle). Souveraineté absolue de Dieu et véritable liberté de l’homme sont deux réalités aussi profondément ancrées l’une que l’autre dans la Révélation Biblique. Il ne saurait être question d’en privilégier une aux dépens de l’autre, même si leur intégration en un système cohérent paraît inaccessible à notre entendement de créature pourtant renouvelé par l’Esprit (selon Rom 12.2).

II – Liberté de créature

Pour en parler, je ne saurais mieux faire que d’emprunter à D. Bonhoeffer un extrait d’un cours donné durant l’hiver 1932-1933 à l’Université de Berlin sur Genèse 2:

«L’arbre de la connaissance, l’arbre interdit, celui qui indique la limite de l’être humain, est situé au centre. La limite de l’être humain est située au centre de son existence, pas sur les marges. La limite que l’on cherche sur les marges de l’être humain, c’est la limite de sa nature, de sa technique, de ses possibilités. Mais la limite qui est située au centre, c’est celle de sa réalité, tout simplement celle de son être. Le fait de reconnaître la limite sur les marges englobe toujours la possibilité d’être intérieurement sans limite. Mais reconnaître la limite au centre entraîne la limitation de toute l’existence, de l’existence humaine dans n’importe quelle attitude. Là où se situe la limite – l’arbre de la connaissance – là aussi se trouve l’arbre de la vie, c’est-à-dire le Dieu source de vie en personne. Il est à la fois limite et centre de notre existence».

Ainsi, la loi de Dieu n’enferme pas dans les limites infranchissables d’une cage. Elle indique plutôt une direction, un cap à suivre. Celui de la vie (Deut. 30.15-20). Du même coup, la question de la limite comme obstacle incompatible avec une véritable liberté humaine ne se pose même pas dans la perspective biblique.

Quant à l’autonomie de l’homme créé, nul doute qu’elle existe bel et bien (en particulier dans les injonctions de Gen 1.28 et 2.15), mais elle est relative au Dieu Souverain et Créateur. Chacun sa catégorie: l’être humain émarge dans celle que les théologiens nomment «causes secondes» et, pour reprendre les distinctions des physiciens à propos de la lumière, Dieu est au rang d’une source lumineuse primitive tandis que nous sommes au niveau de sources lumineuses secondaires, Son reflet, Ses images selon Gen 1.27.

Appelés par le Christ à la liberté: Galates 4 & 5

I – Libéré des contraintes?

Sûrement pas de celle des pouvoirs politiques, ainsi qu’en peuvent témoigner nombre de chrétiens martyrs, encore de nos jours. Pas davantage de celle de la souffrance, même si une guérison miraculeuse reste toujours possible, et même si la foi offre une aide précieuse pour traverser l’épreuve de la maladie.

Quant à celles de la nature, toujours présentes évidemment, le scientifique chrétien poursuivra son effort pour les lever, mais avec le recul de quelqu’un qui a vis-à-vis des hommes, de l’univers, de la vie, de la mort et du temps un rapport calqué sur celui qu’il a à l’égard de Jésus-Christ, selon 1 Cor 3.23.

Finalement, ce sont essentiellement les contraintes intrinsèques, que Paul nomme selon les cas nature pécheresse, chair, vieil homme, etc., et dont il explicite les manifestations (Gal 5.19-21), qui sont abolies par la foi et remplacées par les fruits de l’Esprit, pourvu qu’on laisse à ces derniers le temps et l’espace pour pousser (Gal 5.24 et tout le chapitre).

Mais il est d’autres contraintes que la Bible dénonce et dont le Christ libère: «les Puissances», que J. Ellul débusque derrière l’Argent, le Système, la Religion, l’Etat, etc., sans compter les «puissances des ténèbres» évoquées par exemple dans Col 1.13.

II – Libéré de Dieu? Ou par Dieu?

Là où l’incrédule voit la foi comme une aliénation, le croyant la vit comme une libération: nous sommes quittes de l’obligation de mériter la faveur de Dieu, affranchis de la loi, du péché et de la mort, et par pure Grâce, nous passons du statut de l’esclave à celui de l’enfant adopté (Gal 4.1- 11). En outre, loin d’être livrés à nous-même dans ce nouvel espace ouvert par notre affranchissement, il nous est proposé un Guide permanent, bienveillant, personnalisé, toujours disponible mais susceptible de prendre des initiatives et des directions surprenantes: l’Esprit Saint (Gal 5.25), Lui-même libre comme un courant d’air (cf. 2 Cor 3.17).

III – Libéré non plus de l’autre, mais pour l’autre

Délivré de préoccupations égocentriques sur mon identité, ma sécurité, mon avenir spirituel, ma capacité à me changer moi-même, à m’accepter tel quel, en un mot libéré de moi-même et transformé dans mon être affectif par la présence de l’Esprit, les conditions sont du même coup réunies pour que ma servitude devienne… service, mis par amour à la disposition d’autrui (Gal 5.13- 15). Il y a là une grande différence avec les stoïciens, réputés maîtres d’eux même comme doit l’être le chrétien, mais repliés sur eux et ferm&eeacute;s au monde et aux autres, contrairement à ce qu’énonce le plus grand commandement (Luc 10.27).

Au total, les contraintes ne disparaissent pas en régime chrétien, mais elles n’ont plus la même place. Elles ne sont ni recherchées comme rédemptrices, ni combattues comme absurdes, mais assumées dans le cadre du service du prochain et consenties pour la Gloire de Dieu (cf. par exemple 2 Tim 2.3). En bref, d’un côté une libération illusoire pour soi et pour rien, de l’autre une délivrance véritable pour son semblable et pour la Gloire de Dieu, selon 1 Cor 10.31. Luther débute son traité «La liberté du chrétien» par cette formulation paradoxale: «Le chrétien est un libre seigneur de toute chose et il n’est soumis à personne. Un chrétien est un serf corvéable en toute chose et il est soumis à tout le monde». L’émancipation véritable par la foi en Christ ouvre sur un espace neuf où peut se déployer une «éthique de la liberté», qui sort des limites de ce travail. Pour les intéressés, elle est finement développée par le théologien et sociologue réformé Jacques Ellul.

Liberté de choix, choix de la liberté

Dans le sillage d’un article de philosophie politique écrit par l’Américain Isaïah Berlin et intitulé «Deux conceptions en politique», on peut distinguer:

– Une liberté négative, qui cherche à échapper à la contrainte et qui a pour seul but la destruction de ce qui empêche de faire ce qu’on veut. Elle est centrée, repliée sur soi, et procède par rupture de liens réputés asservissants sur un chemin de lutte dont elle est le point d’arrivée. Liberté dégagée. Privilège de ne pas être empêché. Libre-arbitre revendiqué comme liberté de choix. Rêve de l’esclave.

– Une liberté positive, condition de l’accomplissement personnel et qui n’a besoin de rien détruire pour se rapprocher de son but. Elle est centrée sur l’Autre, l’ouverture à l’autre, et procède par créations de liens réputés épanouissants car affectifs. Elle est point de départ, permettant donc un démarrage là où les autres s’arrêtent, butent ou s’affalent, épuisés. Liberté engagée, impliquée. Responsabilité d’être disponible. Serf arbitre reconnu, confessé et retourné par Grâce en un choix de la liberté. Vœu de l’aristocrate, enfant adoptif du Souverain Suprême qu’il peut appeler «Papa».

EN GUISE DE CONCLUSION, et pour finir en retrouvant P. Eluard, mais revu et adapté à la circonstance…
Sur toutes les pages lues
(d’un passé pardonné)
Sur toutes les pages blanches (…)
(d’un présent en Toi, d’un futur pour Toi)
J’écris ton nom Jésus-Christ.

J.C.

ELEMENTS DE BIBLIOGRAPHIE (protestante)

* La Bible, en particulier les trois premiers chapitres de la Genèse, Esaïe (40 et suivants), les écrits de Jean et les lettres de Paul aux Romains, aux Corinthiens et aux Galates
* D. Bonhoeffer «Création et chute» Ed. Les Bergers et les Mages 1999
* J. Brun «L’Europe philosophe» Ed. Stock 1988
* J. Ellul «Ethique de la liberté» Ed. Labor & Fides (3 tomes) 1973-1984
* W. Lenters «L’illusion de la liberté» Ed. Sator Alliance 1988
* M. Luther «Liberté du chrétien» in «Les Grands Ecrits Réformateurs» Ed. GF Flammarion 1992
* J. Stott «Appelés à la liberté» Ed. Emmaüs 1996


I. Introduction

Certains évangéliques sont aujourd’hui taxés de fondamentalistes. Sommes-nous donc réellement des fondamentalistes ?

Observons tout d’abord que le classement des êtres humains en fonction de leurs croyances se présente comme une tâche délicate qui réclame souplesse et discernement. Nul d’entre nous n’aime être catalogué, pour la simple raison que les étiquettes que les autres nous réservent sont généralement peu flatteuses.

Le terme « fondamentaliste » a une connotation très négative aux yeux de la population. On a peur des fondamentalistes tels qu’ils sont présentés dans les médias. Pourquoi ? Parce qu’on se défie du fanatisme, de l’intolérance et de la violence religieuse.

Dans le dictionnaire, le fondamentaliste est défini comme « un croyant extrémiste, traditionaliste, orthodoxe, conformiste et conservateur. C’est une personne qui adhère aux fondements de sa foi, du point de vue le plus orthodoxe possible. Ce mot vient du latin fundamentalis, de fundamentum ».

Certains chrétiens évangéliques sont perçus comme des fondamentalistes caractérisés par une lecture intransigeante, littérale, rigide des textes de la Bible, et par leur refus de toute relativisation de son message. Ils le manifestent, par exemple, dans leur rejet de l’œcuménisme et du dialogue interreligieux.

Les termes « évangélique » (utilisé sans nuances pour désigner toutes les tendances du mouvement évangélique) et « fondamentaliste » sont parfois synonymes. Ainsi, dans un article paru dans L’Hebdo du 15 mai 1997 en Suisse romande, le journaliste écrit : « Les évangéliques sont déjà plus de 200 000 en Suisse ! Armés d’une foi pure et dure, ils prennent la Bible à la lettre, arborent des poissons sur leurs voitures et pratiquent le culte à l’américaine, avec un ‘D.J’ pour animer les cantiques. »

Les termes employés par nos contemporains pour nous désigner, tout comme les confusions qui en découlent, nous poussent donc à clarifier la question de notre identité. En effet, il n’est pas inutile de comprendre ce que le monde pense de nous, mais il est surtout vital de savoir comment nous (nous) représentons la révélation de Dieu au travers des saintes Ecritures.

II. Le fondamentalisme dans tous ses états

Le monde qui nous entoure ne commente pas le « phénomène » fondamentaliste d’une seule voix. Pour nous comprendre et nous expliquer, les approches et les discours sont multiples, et pas toujours concordants ! Rappelons quelques pistes.

a) L’approche sociologique

Le fondamentalisme est perçu comme une réaction contre la modernité. Dans cette approche, l’homme (et ce qu’on décrit comme ses droits et ses besoins élémentaires) est l’objet et la référence ultime (ainsi que l’exige l’humanisme moderne). L’anthropologie et la sociologie relèguent la Bible et la foi chrétienne classique au rang de reliques d’un autre âge. Le fondamentalisme est donc facilement classé parmi les mouvements anti-progressistes, et non scientifiques.

b) L’approche théologique

Le fondamentalisme est perçu par les théologiens libéraux comme une menace anti-intellectuelle. Le fondamentalisme existe, selon cette définition, pour empêcher le christianisme de perdre son influence sur la société (à la limite, on l’accuse de se montrer complice de régimes politiques « de droite » très mal-aimés en Europe). Les évangéliques sont dénoncés comme des croyants simplistes qui refusent de lire la Bible d’une façon critique. A l’encontre de ce que préconise la théologie libérale, les évangéliques semblent être en conflit avec toute position qui s’attaquerait à l’historicité et à l’inspiration des textes sacrés1.

c) L’approche psychologique

Dans cette approche, le fondamentalisme exprime un besoin de sécurité face à la déstabilisation de la société, face à la perte des normes et des valeurs éthiques qui furent autrefois la base même de notre civilisation2. Le fondamentalisme serait donc une façon un peu désespérée de répondre au vide moral et sémantique de notre monde postmoderne.

d) L’approche médiatique

Finalement, dans l’approche médiatique, le fondamentalisme est perçu par les journalistes comme un mouvement de re-christianisation du monde séculier, sur le modèle des projets musulmans qui visent à ré-islamiser le monde. Ainsi les évangéliques sont assimilés à un mouvement de reconquête. Or les journalistes, dont les positions sont souvent teintées de libéralisme humaniste, se montrent volontiers horrifiés à la pensée de l’avènement d’une forme quelconque de théocratie.

III. Les fondamentalistes sur la sellette

La théologie libérale fait la différence entre le Jésus de la foi, le Jésus de la Bible et le Jésus de l’histoire. Pratiquement, ces théologiens, tout en se proclamant chrétiens, n’hésiteront pas à remettre en question l’existence historique de Jésus-Christ au 1er siècle. Ou encore s’attaqueront à des faits qui semblaient pourtant largement confirmés : « De nouvelles découvertes archéologiques remettent en cause l’existence d’un royaume unifié aux XIe et Xe siècles avant J.-C. » Conclusion de l’archéologue : le grand Israël des rois David et Salomon n’a jamais existé3. Il est donc très important que nous examinions brièvement quelles sont les critiques que les théologiens libéraux adressent aux fondamentalistes évangéliques. Ils nous reprochent…

1. De croire à l’inerrance et à l’inspiration plénière des saintes Ecritures.
2. De vouloir convaincre les autres par des méthodes d’évangélisation qui visent la conversion individuelle (accusation de prosélytisme).
3. De mettre l’accent sur le rôle primordial de la conversion, c’est-à-dire sur l’expérience personnelle de la conversion et d’une vie de piété en harmonie avec la foi.
4. D’insister sur la réalité du péché (dont les libéraux ont depuis longtemps relativisé la gravité) ; James Barr, dans son ouvrage sur les fondamentalistes, écrit que les évangéliques sont obsédés par le péché et par la culpabilité. Le fondamentalisme existe, dit-il, parce qu’il a besoin du péché pour exister4. Quoi qu’en pense cet auteur, les conséquences tragiques d’un christianisme sans contenu (et « sans péché » !) sont malheureusement démontrées par les dernières recensions qui font apparaître un recul constant du christianisme en Europe. En Suisse par exemple, les protestants ont diminué de 4 % en 10 ans, et les catholiques de 2 %5, et ce malgré l’augmentation de la population. En revanche, le nombre de musulmans a doublé en dix ans6. Du côté catholique romain, le cardinal Schwery écrit : « La société devient de plus en plus païenne »7.
5. De mettre l’accent sur l’importance de la prière personnelle. Les détracteurs du fondamentalisme proposent à la place une foi communautaire, d’orientation essentiellement liturgique. Ils désapprouvent totalement le désir de promouvoir le rétablissement de la prière dans les écoles publiques, selon les propos du sociologue Ben Barka dans son livre Les nouveaux rédempteurs8.
6. De voler la liberté de conscience de chaque être humain en matière de religion. Mais à l’examen, qui sont ceux qui, en Suisse, en France, ou en Allemagne, sont jaloux de conserver leurs privilèges de « religions d’Etat » ? Sûrement pas les évangéliques.
7. D’avoir une vision biblique de la société. On déteste nos thèses créationnistes, même modérées. Un ouvrage comme celui d’Edward J. Young, qui insiste sur une lecture littérale du récit de la création9, est jeté aux orties.
8. D’accréditer une christologie basée exclusivement sur la révélation biblique. Pour nous, il est clair que si nous mettons en doute l’historicité du Fils de Dieu, et l’inspiration plénière de la Bible, nous ne pouvons plus soutenir la thèse de la divinité de Christ. Et toute la christologie tombe d’un coup (comme l’écrit par exemple Donald MacLeod dans son ouvrage La personne du Christ10). Ce ne sont pas seulement les fondamentalistes qui sont ici pris à parti par la théologie officielle : c’est le cœur du christianisme qui est attaqué !
9. De croire en un jugement des incrédules à la fin du monde, et de parler de peines éternelles.

IV. Sommes-nous des fondamentalistes ?

Pour éviter des controverses inutiles, il serait peut-être opportun de ne pas revendiquer à tout prix le qualificatif de « fondamentalistes », tant ses connotations actuelles sont parfois éloignées de ce que nous croyons ! Mais admettons que, comme beaucoup d’évangéliques, nous sommes bien des conservateurs quant aux doctrines essentielles de la Réforme. Au reste, soyons-en persuadés : Jean Calvin ou Martin Luther seraient aujourd’hui taxés par leurs ennemis de fondamentalistes.

Le théologien J. Stott regrette, pour sa part, l’amalgame que font James Barr et ses semblables entre fondamentalisme et évangélisme. Barr met en effet dans le même sac :

– le fondamentalisme en général ;
– certains mouvements purs et durs comme les intégristes catholiques par exemple ;
– les évangéliques modérés prêts à se remettre en question.

John Stott estime que James Barr juge très mal ces derniers, et que son attitude dénote de la méchanceté, de l’incompréhension ou de l’ignorance. Il écrit : « Qu’il soit dit clairement d’emblée que l’immense majorité des chrétiens évangéliques (du moins en Europe) rejette l’étiquette ‘fondamentaliste’, car ils sont en désaccord avec les prétendus fondamentalistes sur de nombreux points importants »11. Sans nous attarder sur les différences abyssales qui nous distinguent des fondamentalistes islamistes, nous résumerons ici les thèses de J. Stott sur ce qui nous sépare des intégristes catholiques.

V. Similitudes et différences entre évangéliques conservateurs et catholiques intégristes

a. Similitudes

1. Les deux tendances ont la conviction que l’évolution de la modernité actuelle met en péril les fondements de la foi chrétienne. D’où le reproche qu’on adresse aux deux mouvements : pour éviter que la Vérité absolue ne soit altérée, vous faites preuve d’un comportement militant excessif et d’un esprit exclusif.

2. James Barr prétend que les fondamentalistes sont persuadés d’être les seuls détenteurs de la doctrine chrétienne authentique et les seuls dépositaires de la vérité, et qu’ils rejettent en conséquence tous ceux qui ne pensent pas comme eux12. Bien plus, la monopolisation du christianisme a pour résultat, selon les libéraux, la diabolisation de toute autre position. Cette critique doit être prise au sérieux et vaut la peine qu’on y réfléchisse, puisque certains évangéliques sont en effet très exclusifs dans leur façon d’exprimer leur opinion. Mais si, jusqu’à un certain point, évangéliques conservateurs et intégristes sont persuadés que la Bible est la Parole de Dieu, il n’en découle pas pour autant qu’une quelconque organisation ou association d’églises soit détentrice unique et permanente de la vérité. C’est la Parole de Dieu qui est la vérité. Et la mission de l’Eglise est de soutenir cette vérité (1 Tim 3.15).

3. Les deux courants n’acceptent pas l’œcuménisme, car s’ils le faisaient, ils devraient tolérer l’incertitude et la relativité de leurs positions doctrinales13. Donc, ni les évangéliques conservateurs, ni les catholiques intégristes n’aiment l’œcuménisme. C’est un point que nous ne pouvons pas contester, pour la plupart d’entre nous.

4. On reproche aux évangéliques conservateurs et aux intégristes d’avoir une lecture pessimiste de l’évolution sociale, éthique et politique de notre époque. Ils se voient comme les dépositaires privilégiés de l’héritage chrétien, seul espoir d’échapper à l’effondrement de l’Occident. Par leurs racines, évangéliques et intégristes s’ancrent dans les idéaux soit de la réforme, soit de la contre-réforme. Cette remarque me semble aussi juste de la part de nos adversaires libéraux.

b. Différences

1. Si les évangéliques conservateurs rejettent les structures ecclésiales autoritaires propre au système romain, les intégristes catholiques (tels les adeptes de feu l’évêque Marcel Lefebvre) prônent le retour aux institutions sacrées de l’Église, avec le Pape à leur tête. Les intégristes restent de farouches partisans de la plupart des hérésies anti-bibliques combattues autrefois au prix d’immenses sacrifices par les Réformateurs. Evangéliques et intégristes sont donc foncièrement divergents sur bien des points essentiels, et non négociables.

2.. Les évangéliques conservateurs, s’appuyant sur des fondements scripturaires clairs et intangibles, insistent sur la nécessité de la conversion personnelle et de la nouvelle naissance, conjointes à la repentance et à la foi personnelle en Jésus-Christ (cf 2 Cor 5.17). AA l’inverse, les intégristes catholiques (comme les catholiques en général) reçoivent le salut au travers du magistère de l’EEglise et de l’administration des sacrements, sans engagement complet de la conscience, de l’intelligence, de la volonté, et du cœur.

VI. Sept marques de notre identité

Les évangéliques, reconnaissons-le, sont loin de toujours parler d’une seule voix, de défendre les mêmes priorités, de faire preuve de la même rigueur, doctrinale ou pratique, de présenter le même degré de fidélité par rapport au message de l’Evangile dont ils se réclament. A défaut de pouvoir ici nous étendre sur ce qui « sépare » les évangéliques, nous terminerons notre article par une brève revue de quelques certitudes qui constituent le noyau de notre identité.

1) Nous croyons à l’inerrance et à l’autorité de l’Ecriture

Nous croyons que la Bible est la seule règle, certaine et infaillible, qui suffit pour toute connaissance en matière de salut, de foi et de conduite pratique (2 Tim 3.15-17). Nous ajoutons encore cette précision : « Puisque Dieu n’a promis nulle part que l’Ecriture serait transmise sans erreur, il faut bien affirmer que seul le texte des autographes, des documents originaux, a été inspiré, et il faut bien maintenir que la critique textuelle est nécessaire pour détecter toute altération introduite dans le texte au cours de sa transmission. La conclusion de ce travail scientifique, cependant, c’est que le texte hébreu et grec se révèle étonnamment bien conservé, si bien que nous avons tout à fait le droit d’affirmer, avec la Confession de Westminster, que Dieu y a veillé spécialement dans sa providence, et que l’autorité de l’Ecriture n’est en rien menacée si les manuscrits que nous détenons ne sont pas totalement sans erreur »14.

2) Nous croyons que l’homme a perdu sa justice originelle et sa communion avec Dieu le Créateur

Par le péché, Adam et Eve ont perdu leur justice originelle et leur communion avec Dieu (Gen 3.6-8). Ils sont devenus spirituellement morts, et promis à la mort physique, à cause de leur désobéissance à Dieu (Gen 2.17 ; Eph 2.1). Par le péché, leur nature a été corrompue, et avec eux, tous leurs descendants (Ps 51.5 ; Gen 5.3 ; Job 14.4 ; 15.14).

3) Nous croyons que Jésus-Christ est le seul médiateur entre Dieu et les hommes

Il a plu à Dieu, dans son dessein éternel, de choisir et d’établir le Seigneur Jésus, son unique Fils engendré, comme Médiateur entre lui et l’homme, comme Prophète (Act 3.22), comme Prêtre (Héb 5.5,6) et comme Roi (Ps 2.6 ; Luc 1.33). Jésus-Christ est la tête et le sauveur de son Eglise (Eph 5.23). Le Fils de Dieu est la seconde personne de la Trinité. Etant Dieu vrai et éternel de même substance que le Père, et son égal, il a assumé, quand les temps furent accomplis, la nature humaine (Jean 1.1,14 ; 1 Jean 5.20 ; Phil 2.6 ; Gal 4.4). Dans son corps, Jésus-Christ a accompli, au terme d’une vie parfaite, l’œuvre de notre rédemption par sa mort à la croix. Son sacrifice, agréé par le Père, sa résurrection et son ascension à la droite de Dieu, nous assurent un salut éternel, et tous les privilèges qui découlent d’une relation nouvelle avec Dieu (Rom 3.21-26). Il n’y a de salut en aucun autre (Act 4.12).

4) Nous croyons à la nécessité de la collaboration entre les chrétiens dans les églises que nous représentons

Les évangéliques sont ouverts à collaborer avec toutes les églises qui affirment clairement l’inspiration plénière et l’autorité des Écritures. « Nous affirmons que la Bible reçoit son autorité canonique de son inspiration par le Saint-Esprit et que le rôle de l’Eglise a été et reste de reconnaître et d’affirmer cette autorité. Nous affirmons que Christ le Seigneur a établi son Eglise sur la terre et la gouverne par sa Parole et par son Esprit. Nous affirmons que l’Eglise est apostolique si elle reçoit la doctrine des apôtres rapportée par l’Ecriture, se fonde sur elle et continue de proclamer l’Evangile apostolique. […] Nous affirmons que les marques ou ‘notes’ d’authenticité de l’église locale sont la confession et la proclamation fidèles de la Parole de Dieu, l’administration du baptême et de la cène selon la discipline biblique. Nous affirmons que, dans leur organisation comme dans leur doctrine, les églises sont soumises à la Parole du Christ. Nous affirmons qu’en plus de leur engagement dans une église locale, les chrétiens peuvent légitimement s’engager dans des organisations para-ecclésiales pour des ministères spécialisés. »15

5) Nous croyons à l’égalité devant Dieu de l’homme et de la femme, et des êtres humains en général

« Nous rejetons l’idée selon laquelle la différence des situations culturelles invalide le principe biblique de l’égalité entre l’homme et la femme, ou les exigences bibliques quant à leurs rôles respectifs dans l’église. »16 Dieu a créé l’homme et la femme à son image et il a accordé à tout être humain des droits fondamentaux, aussi bien matériels que spirituels, qui doivent être sauvegardés, maintenus et cultivés. Un principe d’équité est donc prescrit à l’humanité, et il s’applique aux personnes de conditions sociales, économiques, nationales, raciales, différentes. Nous croyons que l’individu est, en dernière instance, responsable devant Dieu de la façon dont il a fait usage de ses droits.

6) Nous croyons au caractère sacré de la vie humaine

« Nous affirmons que Dieu le Créateur est souverain sur toute vie humaine et que l’humanité est responsable, devant lui, de sa préservation et de sa protection. Nous affirmons que la vie de l’homme commence à la conception et dure jusqu’à la mort biologique. En conséquence, l’avortement (sauf lorsque la vie physique de la mère est menacée), l’infanticide, le suicide et l’euthanasie sont des formes de meurtre. »17

7) Nous croyons au retour visible et personnel de Jésus-Christ

Les évangéliques veulent vivre pleinement leur foi ici-bas, tout en attendant ardemment le retour personnel, visible, glorieux et triomphal du Seigneur Jésus-Christ. Dieu a fixé un jour où il jugera le monde, en toute justice, par Jésus-Christ (Act 17.31). Dieu a donné tout pouvoir et tout jugement à Christ (Jean 5.22,27). Tous les êtres humains qui ont vécu sur la terre comparaîtront devant Dieu pour rendre compte de leurs pensées, de leurs paroles et de leurs actes, et pour être rétribués selon ce qu’ils auront fait dans leur corps, soit en bien, soit en mal (2 Cor 5.10 ; Rom 2.16 ; 14.10,12 ; Mat 12.36,37). En fixant ce jour, Dieu va manifester la gloire de sa miséricorde par le salut éternel des élus, et celle de sa justice par le jugement des réprouvés : alors les justes iront à la vie éternelle et les incrédules seront jetés dans le feu éternel (Mat 25.21, 31-46 ; Rom 2.5,6 ; 9.22,23 ; Act 3.19 ; 2 Thes 1.7-10).

VII. Conclusion

La Bible ne parle pas des fondamentalistes, mais du fondement des apôtres et des prophètes, Jésus-Christ lui-même étant la pierre angulaire18. C’est sur ce fondement que nous devons rester établis. « L’appel à la fermeté est un cri qui s’impose aujourd’hui pour les évangéliques. »19 En tant qu’évangéliques conservateurs, nous tenons aux trois « R » :

Révélation : Dieu le Père qui se révèle par l’Ecriture,
Rédemption : Dieu le Fils qui se révèle par son incarnation et son œuvre rédemptrice à la croix,
Régénération : Dieu le Saint-Esprit qui se révèle par son opération dans le cœur.

Pourquoi faut-il insister sur le fondement ? Afin de ne pas s’égarer (Eph 4.14-16) loin du message de la croix, qui est « le fondement et le cœur » de l’Evangile (1 Cor 1.18-30). Voilà ce qui nous constitue en tant qu’entité spirituelle unique, et qui fait notre raison d’être.

Si le monde nous qualifie, avec dédain, de « fondamentalistes », n’en soyons pas surpris. C’est le témoignage qu’il nous rend, à sa manière, parce que nous croyons que seul Jésus-Christ est « le chemin, la vérité, et la vie ». Nul ne vient au Père que par lui (Jean 14.6).

SOLI DEO GLORIA !

1Le livre Vérité historique et critique biblique, nous aide à faire le point dans ce débat (PBU, Collection théologique Hokhma, 1982).
2Exemples de dérives actuelles : le concubinage remplace le mariage ; l’homosexualité se veut l’égale de la relation hétéro-sexuelle ; la famille traditionnelle est remplacée par les familles recomposées, ou monoparentales ; l’avortement est légalisé ; l’euthanasie est un acte médical parmi d’autres, une option laissée à la libre appréciation des patients.
3Le Temps, mercredi 12 juin 2002, p 37.
4J. Barr, Fundamentalism, reprint 1995, SCM Press, London, chapitre II.
5La Liberté, mercredi 23 janvier 2002, p. 3
6Nuance, octobre 2002, p. 23-24.
7La Liberté, samedi 21 décembre 2002, p 10.
8M.B. Barka, Les nouveaux rédempteurs, Labor et Fides, 1998, p 9.
9E.J. Young, Au commencement, Dieu, Kerygma, 2000 ; E.Andrews, Dieu dit… et il y eut, Europresse, 1991.
10Cf. Donald MacLeod, Collection théologie, Excelsis 1999.
11J. Stott, La foi évangélique, LLB, 2000, p 19.
12James Barr, ibid., p. 11ss.
13Barka, ibid., p 32.
14« Les trois Déclarations de Chicago », La Revue reformée, n° 197, 1998/1, Tome XLIX, p. 32.
15« Les trois Déclarations de Chicago », ibid., p 48.
16« Les trois Déclarations de Chicago », ibid., p 49.
17« Les trois Déclarations de Chicago », ibid., p 49.
18Cf Éph 2.20 ; Rom 15 :20-21 ; 1 Cor 3 :11 ; Act 4.11.
19J. Stott, ibid., p 135.


Présenter en quelques pages la religion d’un homme sur cinq peut sembler une gageure. Le risque est grand de céder à la pression de l’actualité ou de rester tellement théorique que l’islam apparaît comme un objet, un épouvantail pour les uns, une relique d’un monde pré-industriel pour les autres.

Or l’islam est une civilisation contemporaine, avec sa composante religieuse, sa composante culturelle, et sa composante politique et historique. L’islam est la foi de ce professeur d’informatique à la pointe dans le domaine du filtrage des courriels. L’islam est la culture de ce commerçant dont les marchandises se croisent sur les cinq continents. L’islam est l’espérance politique de ce père de famille modèle, aux enfants propres et bien tenus, aimé par sa femme et respecté par tous ses voisins.

On ne peut pas rencontrer l’autre si on met en avant des idées reçues ; on ne peut pas non plus réinventer à chaque rencontre une histoire et un monde infiniment riches et complexes. A la question critique de Montesquieu: "Comment peut-on être Persan?", il faut répondre avec le Christ: "Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle." (Jean 3.16)

Les musulmans, adeptes de l’islam et membres de la communauté civilisationnelle de l’islam, sont aimés de Dieu et conviés à la foi en son Fils unique. Et Dieu les a placés sur ton chemin, cher lecteur, afin que tu sois son témoin, ici et maintenant.


L’auteur, marié et père de deux enfants, a été professeur à l’Institut Supérieur Théologique de Bunia, en République Démocratique du Congo. Il a dû fuir avec sa famille les combats inter-ethniques meurtriers qui font rage dans la région. Nous lui sommes reconnaissants pour ce message de paix et de réconciliation que l’Eglise du Christ doit proclamer et vivre au sein d’un monde en quête de paix.

Ces dernières années, les conflits dans le monde connaissent une flambée vertigineuse. Presque chaque continent est touché, et l’Afrique plus que les autres : nos pays doivent faire face à de sérieux problèmes dus aux multiples révolutions armées et guerres civiles. L’Ituri, une région située au nord-est de la République Démocratique du Congo, n’y fait pas exception. Les causes de ces conflits sont diverses, entre autres, ethniques.

Ces conflits ont des conséquences dramatiques et laissent des blessures qui font logiquement souffrir, provoquant la colère, la rancune, voire même la vengeance. Chacun cherche à faire soi-même justice. La situation que nous vivons en Ituri actuellement est telle que si une personne tue son prochain, les membres de famille de la victime cherchent alors à se venger en tuant deux personnes de la famille du meurtrier. Il est même arrivé que les habitants d’un village incendient un village appartenant aux gens d’une tribu rivale, et que pour se venger, les habitants du village sinistré incendient à leur tour plus d’un village.

L’engrenage est facile à constater. Le Docteur Fred Beam dit à ce propos : « Il ne faut pas être extraordinaire pour constater que les gens nous font du mal. C’est ce mal qui est rappelé et qui sert de germe pour la guerre et le conflit. On considère que le mal qu’on nous fait justifie nos actes de représailles. » 1

Le conflit ethnique constitue l’une des réalités africaines, et ses conséquences sont très alarmantes : la société aussi bien que l’Eglise, croyants et incroyants, sont tous négativement affectés. Quelle réponse chrétienne pertinente donner face à un tel défi ? Dans ma réflexion, je poursuis trois buts :

o faire comprendre l’étendue et les enjeux des conflits auxquels nous devons faire face ;
o montrer que ces conflits, loin d’honorer Dieu, empêchent toute forme de progrès ;
o exhorter les chrétiens à devenir actifs dans la recherche d’une solution durable plutôt que d’être pessimistes et passifs.

I. LE CONFLIT ETHNIQUE

La vie quotidienne engendre de nombreuses tensions entre individus ou groupes de personnes. Lorsque celles-ci ne sont pas acceptées, gérées et réglées, elles peuvent dégénérer en conflits violents. Certains de ces conflits sont d’ordre ethnique ou tribal.

Lorsqu’il y a conflit, la volonté de Dieu est que l’homme se repente et qu’il y ait la paix (Héb 12.14). Le seul moyen efficace pour rétablir la paix parmi les hommes reste la réconciliation. C’est dans ce contexte que Packer déclare : « L’âme humaine a été créée de sorte qu’elle ne peut trouver satisfaction et repos dans les seules choses matérielles et tangibles. Sans la réconciliation avec Dieu, sans harmonie avec le plan divin, l’homme ne peut acquérir la joie du salut et la paix avec Dieu et les hommes » 4.

Dieu veut nous confier le ministère de la réconciliation. Il fait de nous les ambassadeurs de Christ, qui supplient les hommes en tous lieux d’être réconciliés avec lui (2 Cor. 5.18). Dieu n’aime pas les conflits qui divisent la société, et encore moins ceux qui divisent la communauté chrétienne.

II. UNE REPONSE CHRETIENNE AU CONFLIT ETHNIQUE

« Vous êtes le sel de la terre … », dit le Seigneur (Mat 5.13). Une question primordiale s’impose : quel rôle l’Eglise est-elle en train de jouer pour la reconstruction des murs écroulés de l’Afrique ?

Le défi africain est plus spirituel qu’ethnique, politique ou économique. La situation de l’Afrique présente à l’Eglise en Afrique, comme à l’étranger, un défi et une opportunité. Ainsi, il est temps que l’Eglise y réponde, et d’une manière décisive, de peur que l’ennemi ne continue à gagner du terrain. Nous sommes appelés à présenter au peuple africain tout le conseil de Dieu : un message de réconciliation, d’humilité, de pardon, d’amour.

1. Un Message de réconciliation

Par « réconciliation » nous comprenons l’action de rétablir accord, harmonie et amitié entre deux personnes brouillées. Bref, c’est le retour à l’état premier, au point de départ.5

La mission principale de Jésus-Christ dans le monde était une œuvre de réconciliation avec Dieu. De même, nous devrions viser la réconciliation des perdus avec leur Sauveur, car c’est là le fondement de la stabilité aux divers échelons de la société. La Parole de Dieu est claire à ce sujet ; elle déclare : « Mieux vaut un morceau de pain sec, avec la paix, qu’une maison pleine de viandes, avec des querelles ».6 Jésus a dit : « Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu ».7

La réconciliation constitue le message central de l’Evangile de Jésus-Christ. L’apôtre Paul déclare : « Car si, lorsque nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils, à plus forte raison, étant réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie ! »8. C’est seulement sous la croix de Jésus-Christ que les Hemas peuvent être réconciliés avec les Lendus, les Lendus avec les Biras, les Nyaris avec les Lendus, les Hundes avec les Banyamulenges9, les Tutsis avec les Hutus, etc.

Voilà la tâche que le Seigneur nous a donnée. On s’en décharge trop facilement sur les autorités ou sur les organisations séculières. Aussi longtemps que l’Eglise de Christ ne s’applique pas à chercher la paix, chaque membre s’y engageant en particulier, l’unité de l’Esprit sera difficile à démontrer. Celui qui veut la paix cherchera comment apaiser toute sensibilité blessée et tout sentiment ulcéré10. Le peuple de Dieu n’a pas besoin d’être blessé. Jésus a déjà été blessé pour lui.

2. Un message d’humilité

C’est par manque d’humilité que de nombreux problèmes surgissent dans nos sociétés et se transforment en conflits. Or, la Bible nous invite à l’humilité. En Rom 12.16 nous lisons : « Ayez les mêmes sentiments les uns envers les autres. N’aspirez pas à ce qui est élevé, mais laissez-vous attirer par ce qui est humble… ».

Il n’y a point d’amour qui n’ait pour racine l’humilité. Paul dit aux Ephésiens : « Je vous exhorte donc … à marcher d’une manière digne de la vocation qui vous a été adressée, en toute humilité et douceur, avec patience, vous supportant les uns les autres avec amour ».11 Cette même exhortation est donnée aux Philippiens (cf. Phil 2.1-11).

Ainsi, nous voyons combien l’humilité nous fera supporter les faiblesses les uns et des autres. Elle conduit les chrétiens à la repentance et à l’amour. Elle empêche les disputes et la vaine gloire. L’humilité nous aide à vivre ensemble, sans être divisés. Quelle excellente réponse au conflit ethnique !

3. Un message de pardon

Le « pardon » est le fait d’accorder l’amour à celui qui nous a offensé. Il est un don d’amour gratuit, une grâce. C’est une libération sans caution : celui qui pardonne renonce à ses droits et refuse la vengeance. Il offre l’amour quand l’ennemi s’attend à la haine, il ne tient pas rigueur des fautes passées. Le pardon restaure le présent, nous guérit pour l’avenir et nous libère du passé.12

D’une part, nous sommes dans l’obligation de demander sincèrement pardon à celui que nous avons offensé. D’autre part, nous devons d’accorder le pardon à notre frère, selon l’ordonnance du Seigneur en Marc 11.25 : « Et, lorsque vous êtes debout faisant votre prière, si vous avez quelque chose contre quelqu’un, pardonnez, afin que votre Père qui est dans les cieux vous pardonne aussi vos offenses. » Une attitude de pardon est essentielle pour que notre prière soit efficace (Matt 6.12).

Lorsque Pierre demande à Jésus : « Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère, lorsqu’il péchera contre moi ? Sera-ce jusqu’à sept fois ? » Jésus réplique : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois »13. Ceci implique qu’aucune limite ne devrait être fixée dans le pardon. Dieu qui pardonne nos offenses ne tient pas compte de nombre de nos fautes : autant de fautes, autant de pardons. Paul reprend une exhortation de ce genre aux chrétiens d’Ephèse (Eph 4.32). Voilà encore une réponse pertinente face au défi des conflits ethniques.

4. Un message d’amour

L’amour est la base de toute entreprise de réconciliation. L’amour de Dieu n’est pas limité à quelques-uns, mais ce précieux don est offert au monde entier (Jean. 3.16). Nos sociétés et nos églises africaines actuelles sont en proie aux conflits ethniques à cause d’un amour orienté vers certains groupes au détriment d’autres groupes. Un tel amour est à proscrire, car il n’est pas de Dieu.

L’amour chrétien consiste à donner sa vie pour l’autre plutôt que de la lui enlever (1 Jean 3.16). Un tel amour est patient et n’entretient aucune pensée vengeresse, même lorsqu’il est maltraité. Il fait preuve de retenue, de maîtrise de soi face à la provocation.

III. CONCLUSION

Le continent africain doit faire face à de nombreux problèmes, dont celui du conflit ethnique. Or, ces défis entravent le progrès, il est donc temps de nous ‘lever et de bâtir’. En tant qu’ambassadeurs de Christ, nous sommes appelés à défendre la cause de son gouvernement : nous sommes appelés à transmettre fidèlement et dans toute sa richesse l’Evangile de notre Maître.

Dans un monde comme celui-ci, déchiré par les conflits, nous sommes conviés à proclamer un message de paix, de réconciliation, de pardon, d’humilité et d’amour manifestés en Jésus-Christ, le Prince de la Paix. La division, le tribalisme, la haine, les conflits n’ont pas de place dans le témoignage chrétien. C’est ainsi que l’Eglise aura joué son rôle fondamental : celui de transformer le monde. Elle aura réellement été le sel de la terre et la lumièredu monde.

Face à ce défi, que l’Eglise ne se laisse pas distraire ; qu’elle ne fléchisse pas, laissant l’avantage à Satan. Gloire à Dieu car nous n’ignorons pas ses desseins !

1 Fred Beam, "Combien coûte l’emprisonnement?" in Servir (Alexendra Park, Bristol, Angleterre: AIM International, Mars Avril 2001).
2 J.F. Collange, L’Intolérance et le droit de l’autre (Genève: Labor et Fides, 1992), p.75.
3 Jacques & Claire Poujol, Les Conflits : Origine, évolutions, dépassement(La Bégude de Mazenc, France: éd. Empreinte, 1989), p.13.
4 J.I. Packer, La Volonté de Dieu (Paris: éd. La Voix de l’Evangile, s.d.), p.17.
5 Fédération Protestante d’Haïti, Urgence et exigence de la réconciliation(Port-au-Prince, Haïti, 1994), pp.22-23.
6 Prov. 17.1, cp. 15.17.
7 Matt 5.9.
8 Rom 5.10.
9 Les Hemas, les Lendus, les Nyaris, les Hundes, les Banyamulenges sont des ethnies que l’on retrouve au nord-est de la République Démocratique du Congo.
10 E.A. Nida, Coutumes et cultures anthropologiques pour mission chrétienne (Neuchatel : éd de Groupes Missionnaires, 1978), p.101.
11 Éph 4.1-2.
12 F.P.H., Urgence et exigence de la réconciliation, p.29.
13 Mt. 18.21-22.


L’Eglise du XXIe siècle doit faire face à des évolutions importantes :

– sur le plan géographique, son "centre de gravité" se déplace : les pays occidentaux se déchristianisent rapidement, au profit des pays en voie de développement, où l’évangile progresse nettement ;
– sur le plan des structures, le déclin des grandes églises traditionnelles se fait au profit de groupes multiformes, plus ou moins indépendants ;
– l’optique consumériste et individualiste de notre société moderne conduit à une dilution de la notion d’engagement : on cherche l’église qui convient le mieux à sa sensibilité du moment, on veut constamment du nouveau, la notion d’autorité est remise en question…

Alors que faire, face à ces situations de plus en plus variées ? Comment aborder les questions qui se posent sur l’autorité, sur l’engagement, sur l’intégration de la nouvelle génération, sur la place de la louange, etc. ?

Promesses se propose d’examiner quelques réponses bibliques à ces enjeux actuels. Au-delà des questions de structures ou de formes auxquelles nous nous arrêtons trop souvent quand il s’agit de l’Eglise, conservons la double optique que nous présente la Bible :

l’Eglise est une, unie par le Saint Esprit à Jésus-Christ, par une unité vitale indestructible, même si cet aspect n’est, hélas, que bien peu visible.
l’Eglise, dans sa diversité, est le reflet de la "sagesse infiniment variée de Dieu" (Eph 3.10).

Ainsi il n’y a pas de solution uniformément applicable aux enjeux actuels. Trouvons, à partir des réflexions et des pistes évoquées dans ces divers articles, avec l’aide du Saint Esprit, les solutions adaptées à chaque situation locale. Et gardons la vision grandiose de l’Ecriture concernant l’Eglise : en elle et par elle, Dieu "peut faire infiniment au-delà de tout ce que nous demandons ou pensons" (Eph 3.20). A l’infinie variété des problèmes et des situations, répondent à la fois l’infini de la sagesse et de la puissance de Dieu, pour sa seule "gloire dans l’Eglise et en Jésus-Christ, dans toutes les générations, aux siècles des siècles !" (Eph 3.21).


ISLAM

II.

Paul GESCHE

On entend souvent dire que le musulman est un «croyant» et par fois que «le Dieu des musulmans et le Dieu des chrétiens est un seul et même Dieu». Qu’en est-il vraiment et comment des convictions essentielles communes peuvent-elles conduire à des piétés si différentes? A l’opposé, certains chrétiens hésitent à employer le nom arabo- musulman pour Dieu, Allah, de peur de tomber dans une confusion qui masquerait la nécessité d’une «conversion», comme on le constate parfois dans le cas du judaïsme. Allah est-il vraiment le Dieu que nous appelons «notre Père» dans nos prières?

Lorsqu’on le compare aux païens et aux athées, il est vrai que le musulman est beaucoup plus proche de nous et que nous avons beaucoup de choses en commun. Il croit en un Dieu Créateur, qui se révèle aux hommes par ses œuvres et par sa parole, transmise aux hommes par des prophètes. Dans le principe, et s’il est fidèle à sa religion, il rejette l’idolâtrie sous toutes ses formes et cherche à mener une vie de soumission à Dieu. Il a aussi le souci de parler de Dieu autour de lui, afin d’amener si possible tous les hommes à la foi et à la soumission à Dieu. Il place Dieu au centre de sa vie et au centre de la cité, il lui consacre ses enfants et une part importante de ses richesses. Il emploie beaucoup d’expressions qui montrent que Dieu est partout l’hôte silencieux de toutes ses conversations: «Dieu voulant, que Dieu te donne la paix, Dieu te le rendra… ».

Le musulman a conscience d’avoir une «foi» bien définie, fondée sur le Livre Saint de l’islam, le Coran. Dans la plupart des pays musulmans, les enfants apprennent les fondements de leur religion en même temps que les rudiments de leur langue. A l’école coranique , ils apprennent par cœur des versets du Coran et des leçons sur les divers aspects de la vie religieuse. Dans le cadre de la famille, ils reçoivent les diverses traditions en participant aux fêtes qui rythment la vie (circoncision, mariage, funérailles) et l’année (fêtes du Mouloud, du «mouton», jeûne du Ramadan). Plus tard, les jeunes gens iront à la mosquée et participeront aux rites collectifs, aux ablutions, à la prière publique; ils écouteront le prêche du vendredi et achèteront peut-être au marché les livres et tracts religieux, ou les cassettes audio ou video qui les remplacent souvent aujourd’hui.

La foi du musulman et l’expression quotidienne de sa piété sont très liées. La seconde est cependant aussi tributaire de la culture locale, qui n’est nullement homogène dans le monde musulman. La foi apparaît donc comme l’élément commun à tous les musulmans, dont l’expression découle directement du Coran, que tous les musulmans devraient en principe lire en arabe. Mais la foi n’a pas pour seul objet Dieu et sa Loi. Elle concentre et réfléchit aussi le regard porté sur soi et sur les autres. La foi musulmane influence la vision du monde et les rapports entre l’individu et la société. Si elle peut être intime, elle est surtout partagée, elle est source de communion et de cohérence. Si le Coran1 n’est pas la seule source de la Tradition, il est bien le centre de la conscience de l’islam et c’est pourquoi nous le citons ici. Sauf mention explicite, nous utiliserons les versions de Régis Blachère2 ou Denise Masson3.

Les paragraphes qui suivent sont librement adaptés d’un livre que le lecteur trouvera certainement utile pour sonder la foi et l’espérance du musulman qu’il côtoie. Ce n’est pas un livre à offrir à un musulman pour lui annoncer l’Evangile, mais c’est un ouvrage à étudier avant ou pendant que le chrétien profite de ses contacts pour parler de Jésus. Il aide à comprendre et donne aussi quelques éléments de réponse aux questions que le musulman ne manquera pas de poser. «Annoncer Christ aux musulmans» a été publié en 1990 aux Editions MENA (BP2 FR- 69520 GRIGNY) et peut être trouvé dans les librairies bibliques ou directement chez l’éditeur4.

Le CREDO musulman («IMAN»)5

Une des formulations de la «foi musulmane » peut être trouvée dans la sourate «Les Femmes», IV:136, qui l’exprime dans les termes suivants:
«O vous qui croyez!
Croyez en Dieu et en son Prophète,
Au Livre qu’il a révélé à son Prophète et au Livre qu’il a révélé auparavant.
Quiconque ne croit pas en Dieu, à ses anges et ses Livres, à ses prophètes et au Jour Dernier, se trouve dans un profond égarement.»

Nous allons reprendre chaque expression en la commentant en quelques mots:

1. DIEU («ALLAH»)

Pour l’islam, il n’y a qu’une seule divinité ou Personne divine, à l’exclusion de tout autre objet d’adoration, qu’il soit associé, engendré ou juxtaposé6. L’islam rejette ce qu’il croit comprendre de la doctrine trinitaire chrétienne, et en particulier refuse l’idée d’un «Fils engendré»7. L’islam insiste sur la transcendance absolue et la différence absolue entre Allah et ses créatures.

«Au nom d’Allah, le Bienfaiteur miséricordieux.
Dis8: Il est ALLAH, Unique, ALLAH le Seul.
Il n’a pas engendré et n’a pas été engendré9.
N’est égal à lui personne!» (sourate CXII)

Le nom divin «ALLAH» vient très probablement de Elohim (Dieu), en passant par le syriaque «Alloo»10. La formule d’introduction de la sourate ci-dessus revient comme une en-tête au commencement de chaque sourate: elle veut être l’écho de la formule sacrée des prophètes juifs : «Car ainsi parle l’Eternel…» (Ez 22.28)11.

Pour un musulman, il n’y a pas de doute: il existe un seul Dieu, qu’adorent les musulmans et que connaissent aussi les juifs et les chrétiens, mais aussi toutes les créatures de Dieu! Il existe aussi une seule religion approuvée par Dieu. Les hommes peuvent mépriser Dieu, omettre de le servir comme il l’exige, ou répandre sur son compte des mensonges par des inventions qu’ils ont forgées. Mais il n’y a qu’une façon juste de rendre un culte à Dieu: c’est l’islam, qui est la religion originelle d’Adam, la religion d’Abraham et des prophètes. Pour les musulmans, c’est la religion de Jésus aussi, quoi qu’en disent les chrétiens.

La foi en un Dieu unique est véritablement au centre de la foi musulmane. Chez les Ibadites du M’Zab algérien, la tradition voulait même qu’il n’y eût qu’une seule mosquée par ville, un seul minaret rappelant l’unicité divine. Allah ne partage son essence avec personne. Il n’a pas de vis à vis avec lequel il puisse communiquer naturellement. Il est seul comme Adam avant la création d’Eve. De ce fait, l’amour n’est pas un attribut important en islam: n’ayant pas d’égal, Dieu sera au plus miséricordieux, il sera rempli de pitié envers ses créatures qu’il a voulu fragiles. En excluant pour Dieu des relations de type père-fils (qui existent pourtant chez ses créatures) et en minimisant le rôle du diable, l’islam place à la fois Dieu et l’homme dans un univers entièrement déterminé, dans lequel l’individu et la liberté ne sont pas des valeurs en soi. Au «tu» de la Bible correspond le plus souvent le «vous» du Coran.

2. SES ANGES («malaikatuhu»)

Les musulmans croient à l’existence d’un monde invisible qui nous entoure et qui est peuplé d’anges et de démons, les «djinns», créés «de feu clair» (sourate LV:15) pour être réprouvés (sourate XXXVII:158). Les anges glorifient Allah (sourate XVI:49) et porteront son trône (sourate LXIX:17). Ils portent les ordres d’Allah et sont souvent associés à l’«Esprit»12:

«… Allah, Maître des Degrés… Les anges et l’Esprit montent vers Lui au cours d’un jour dont la durée est de cinquante mille ans» (sourate LXX:4).
«Il fait descendre les anges, avec l’Esprit [émanant] de son ordre sur qui il veut parmi ses serviteurs». (sourate XVI:2).
«La Nuit de la Destinée vaut mieux que mille mois. Les anges et l’Esprit y descendent avec la permission de leur Seigneur, pour tout ordre» (sourate XCVII:4).
Les anges ont aussi pour les musulmans la charge d’écrire dans des livres les actes bons ou mauvais des hommes:
«Croient-ils que nous n’entendons pas leurs secrets et leurs confidences? Mais si! et Nos émissaires écrivent» (sourate XLIII:80).
«[L’homme] a [des anges] attachés à ses pas, par-devant lui et par-derrière lui, qui l’observent, sur l’ordre d’Allah…» (sourate XIII:12).

Le monde surnaturel a beaucoup de sens pour le musulman. L’ambiguïté du rôle des «djinns» a permis à la religion populaire d’intégrer localement certaines pratiques animistes. En Afrique tout particulièrement, les populations musulmanes des campagnes et même celles des villes cherchent à communiquer avec des puissances occultes, à se les rendre propices par des sacrifices ou des offrandes, ou à libérer des forces par la pratique magique. La recherche de puissance est un des aspects de la quête spirituelle de la plupart des musulmans, ce qui explique le succès de certains mouvements qui mettent l’accent sur les prodiges.

Les anges et les démons ont aussi leur place dans la vision du monde biblique et les textes apocalyptiques font état des «livres» et du «livre de vie» (par ex. Apoc 20.12). Il existe pourtant des nuances importantes entre la Bible et le Coran sur ce sujet. En particulier, le Coran cite des noms d’anges inconnus dans la Bible et ne donne pas au diable («Iblis», du grec «Diabolos») un rôle très important.

3. SES APOTRES («rusuluhu»)

Le musulman croit en la mission particulière du prophète arabe Muhammad («le Loué»), ibn Abdallah (fils de «serviteur de Dieu»), envoyé aux Arabes premièrement (comme Moïse fut envoyé aux Enfants d’Israël), puis à tous les hommes avec la Dernière Révélation, la seule qui atteigne la perfection, pour enseigner à tous les hommes la religion de l’abandon et de la soumission (islam) à la volonté d’Allah.

Ses premiers discours s’apparentent à ceux de Jean-Baptiste ou des grands prophètes de l’Ancien Testament, son titre est celui des disciples «envoyés» par Jésus. Le Coran déclare:

«Nous t’avons envoyé, [Prophète!,] avec la vérité, en Annonciateur et Avertisseur. Il n’est aucune communauté chez qui ne soit passé un Avertisseur» (sourate XXXV:24).

«Nous n’avons envoyé nul apôtre sinon (chargé d’enseigner) dans l’idiome de son peuple, afin d’éclairer celui-ci…» (sourate XIV:4).

«Et il est certes une Révélation du Seigneur des Mondes descendue [du ciel] par l’Esprit fidèle, sur ton cœur, pour que tu sois parmi les Avertisseurs, en langue arabe pure et cela se trouve certes dans les écritures des Anciens…» (sourate XXVI:192-196).

Cette croyance est fondamentale dans l’islam et c’est un reflet de l’unicité divine: un seul Dieu étant auteur de la création, toutes les créatures sont potentiellement musulmanes, mais il y a des hommes qui ne le savent pas. Dieu envoie alors à chaque peuple un «Avertisseur » qui leur dit en substance: «Obéissez à Allah!» Si le peuple accepte cette sommation et abandonne ses faux dieux, il devient musulman et intègre la «maison de l’islam»! S’il résiste, Dieu le punira et lui fera la guerre jusqu’à ce qu’il cède ou jusqu’à ce qu’il soit détruit. C’est le principe de la guerre sainte, le «chemin d’Allah»!

Le mot «apôtre» a un sens différent lorsqu’il désigne Muhammad ou les disciples de Jésus. Selon la tradition musulmane, Allah dicte les paroles à Muhammad qui les répète ensuite un grand nombre de fois. La langue qu’il emploie, c’est l’arabe, une langue oubliée par l’Antiquité littéraire mais réhabilitée et sacralisée par l’islam. C’est pourquoi le Coran ne peut être traduit valablement, toute traduction n’est au mieux qu’une «tentative d’interprétation du Coran inimitable»!

Cet article est la suite de la série REGARDS SUR L’ISLAM que Paul GESCHE propose à nos lecteurs; exposés que nous apprécions pour leur objectivité et pour l’amour que notre frère porte aux âmes encore sans Christ sous le joug de l’islam.

Notes

1 Le Coran ne se présente pas sous la même forme que la Bible (nous lui consacrerons un article dans cette série). Ses chapitres sont appelés «sourates» et ses versets sont appelés «aya» (c’est à dire «signes») par les musulmans.
2 Le Coran, trad. Régis Blachère, G.P. Maisonneuve & Larose, Paris, 1972
3 Essai d’interprétation du Coran inimitable, trad. D. Masson, revue Dr Sobhi El-Saleh, Dar Al-Kitab Al- Masri d’après Ed. Gallimard, Paris, 1980
4 Prix indicatif pour la France (sans les éventuels frais de port): 12 euros.
5 Pour des raisons pratiques, cet article a dû être scindé en deux parties; la seconde paraîtra dans le prochain numéro de Promesses.
6 L’islam est né dans le contexte de l’Arabie païenne, où les nomades adoraient des divinités liées aux astres, mais aussi des pierres – appelées bétyles comme la pierre ointe par le patriarche Jacob – celles-ci étant considérées comme des réceptacles de la divinité («bayt allah» fait écho à «Béth-El»). Les païens disaient aussi que les anges étaient des «filles d’Allah».
7 Le prophète Muhammad a rencontré des Juifs et des Chrétiens. Il n’a probablement jamais tenu une Bible ou un Evangile dans ses mains. C’est par ouï-dire qu’il s’est forgé une opinion sur les croyances des Juifs et des Chrétiens. Mais il vivait malheureusement dans un environnement marqué par les hérésies et les légendes dont rendent compte les écrits apocryphes des premiers siècles. L’islam se démarque de ces deux religions, avec ambiguïté et non sans contradictions, comme si l’islam combattait davantage l’influence de cultes concurrents que des doctrines qu’il aurait comprises mais rejetées.
8 Cette déclaration d’unicité fait directement écho au «chema Israël» du judaïsme et de la Bible:
Ecoute, Israël!
Yahweh Eloheynu (l’Eternel notre Dieu),
Yahweh est Un! (Deut 6.4)
On se souvient que ce passage a été cité par Jésus en introduction au plus grand commandement (Marc 12:29). A la base, le «credo» musulman est donc très proche du credo biblique. Ceci est confirmé par la parenté entre la confession de foi musulmane (la «chahadda») et le credo paulinien (1 Tim 2.5).
9 Ce verset du Coran est représenté sur le Dôme du Rocher, qui remplace depuis le VIIe siècle sur le mont Morijah le Temple de Yahweh. Sur le lieu symbolique où «Dieu a pourvu» en fournissant l’agneau pour le sacrifice, l’islam crie vers le ciel son refus de l’Incarnation!
10 Ce nom était déjà courant en Arabie avant l’islam et le nom El était celui d’un Dieu adoré en Mésopotamie et en Canaan depuis la plus haute antiquité. La Bible a utilisé ce nom dans des sens variés, mais préfère utiliser le nom de l’Alliance Yahweh-Adonaï lorsqu’elle évoque le Dieu qui se révèle ou le Dieu qui aime son peuple. C’est dire qu’un Chrétien a certainement le droit d’utiliser le nom «Allah» , mais qu’il doit veiller à exprimer clairement ce que Dieu représente pour lui. Or sur ce dernier point, le musulman et le chrétien ont des expériences et des convictions très différentes.
11 Les épithètes de «bienfaiteur miséricordieux» (en arabe «ar-rahim ar-rahman») viennent en droite ligne de la déclaration de Dieu lui-même en Exode 34 v.6: «Yahweh, Yahweh, Dieu compatissant et qui fait grâce, lent à la colère, riche en bienveillance et en fidélité…» L’arabe se lit: «Bismillah ar-rahim arrahman »; l’hébreu se lit: «Yahweh, Yahweh, él rahôm…» Le parallélisme est frappant!
12 En réalité, celui que nous appelons l’Esprit Saint est inconnu dans l’islam, mais comme l’Esprit est mentionné dans l’Ancien Testament et dans les textes du judaïsme, les musulmans ont pris l’habitude de le confondre avec l’Ange Gabriel. L’expression «l’Esprit et les Anges» désigne donc pour eux l’Ange de la Révélation et les autres Anges. On peut rappeler que les anges et les démons étaient des personnages importants dans les cosmogonies de la Perse et de la Mésopotamie, qui ont influencé le judaïsme et l’islam. Dans la Bible, les anges sont mentionnés avec un rôle de «messager», mais une grande sobriété marque leur description et même leur évocation. L’apôtre Paul met en garde contre un «culte des anges».