PROMESSES

Voici une question souvent posée au sein des églises locales ou entre chrétiens : tous les points de « doctrine » [Nous prenons ici le mot « doctrine » au sens le plus large de « point d’enseignement biblique », qui couvre, au-delà des thèmes proprement doctrinaux, les sujets d’éthique et de comportement.] de la Bible sont-ils également importants pour les chrétiens ? Et si la réponse est négative, comment, alors, déterminer quelles sont les doctrines les plus importantes ? Sur quel(s) critère(s) baser cette hiérarchisation ? Y aurait-il des principes herméneutiques pour nous guider ?

1. Tous les points de doctrine de la Bible sont-ils également importants ?

Des textes bibliques en faveur du « oui »

Un certain nombre de textes semblent conduire à penser que toute la Bible revêt une égale importance :
• La Bible affirme sa propre inspiration dans sa totalité et ses parties : « Toute Écriture est inspirée de Dieu, et utile… » (2 Tim 3.16).
• Jésus insiste sur l’accomplissement total de toute l’Écriture, à la lettre près : « Je vous le dis en vérité : tant que le ciel et la terre ne passeront point, il ne disparaîtra pas de la loi un seul iota ou un seul trait de lettre, jusqu’à ce que tout soit arrivé. » (Mat 5.18 ; cf. 24.35)
• Les raisonnements des auteurs bibliques s’appuient parfois sur des détails « infimes » du texte : par exemple, Paul base son argumentation concernant la réalisation en Christ de la promesse faite à Abraham sur un mot au singulier (Gal 3.16).
• Plusieurs textes insistent sur l’unité des chrétiens qui partagent « une seule foi » (Éph 4.5), ou nous exhortent à avoir « une même pensée » (Phil 2.2).

Des arguments en faveur du « oui »

D’autres arguments peuvent être avancés pour considérer toutes les doctrines au même niveau : • « Sélectionner » les doctrines importantes est difficile.
• On peut facilement craindre des dérives qui conduiraient à trier dans la Bible ce qui nous convient.
• Cela risque de remettre en cause l’inspiration plénière de la Bible.

Des textes bibliques en faveur du « non »

D’autres textes bibliques orientent vers une différenciation entre les textes :
• Jésus lui-même, dans sa controverse avec les pharisiens qui lui demandaient quel est le plus grand commandement de la loi, ne se défausse pas en répondant que tous sont également importants, mais il donne les deux premiers selon lui (Mat 22.35-40).
• Paul exhorte à accueillir les personnes d’opinions différentes sur certains points, comme les prescriptions alimentaires, sans discuter leurs opinions (Rom 14.1) — même si lui-même ne s’estime pas lié par des interdits alimentaires.
• Nous trouvons des marqueurs explicites dans les textes bibliques comme : « premièrement », « avant tout », « d’abord »…

Des arguments en faveur du « non »

• La Bible reconnaît que des péchés sont plus importants que d’autres. Par analogie, les textes qui condamnent les plus sérieux ont forcément plus de poids que ceux qui relèvent les moins graves.
• Selon Jean Calvin, « tous les articles de la doctrine de Dieu n’ont pas la même valeur. Certains sont tellement nécessaires à connaître que personne ne doit en douter. D’autres sont en débat parmi les Églises, sans rompre, cependant, leur unité. » (Institution de la religion chrétienne, IV.1.12)
• Selon Henri Blocher, « lorsque des hommes de Dieu scientifiquement compétents, et qui se veulent tout à fait dociles devant l’Écriture, se trouvent en grand nombre dans les deux camps d’une controverse, nous pouvons présumer que l’objet du débat n’appartient pas au cœur absolument vital du christianisme. » (« L’unité chrétienne selon la Bible », Théologie évangélique, 9)

Conclusion

Un « non » nuancé nous semble s’imposer. S’il est fondamental de tenir ferme à l’inspiration totale et entière de toute l’Écriture, il est nécessaire de prendre en compte la hiérarchisation présente dans les textes eux-mêmes.

2. Quels principes herméneutiques permettent de hiérarchiser les doctrines ?

Des expressions explicites

Comme indiqué, les auteurs bibliques (ou Jésus qu’ils citent) n’hésitent pas à préciser les points les plus importants à leurs yeux par des formules explicites.
Relevons quelques exemples :
• « Avant tout » : « Je vous ai enseigné avant tout, comme je l’avais aussi reçu, que Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures… » (1 Cor 15.3) « Jésus se mit à dire à ses disciples : Avant tout, gardez-vous du levain des pharisiens, qui est l’hypocrisie. » (Luc 12.1) « Avant tout, ayez les uns pour les autres un ardent amour. » (1 Pi 4.8)
• « Premièrement » : « Cherchez premièrement le royaume et la justice de Dieu. » (Mat 6.33) « La sagesse d’en haut est premièrement pure, ensuite… » (Jac 3.17)• « Plus important » : « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous payez la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin, et que vous laissez ce qui est plus important dans la loi, la justice, la miséricorde et la fidélité. » (Mat 23.23)
• « Mieux » : « L’obéissance vaut mieux que les sacrifices. » (1 Sam 15.22) « Il vaut mieux se marier que de brûler. » (1 Cor 7.9)
• « Meilleur » : « [Christ] a obtenu un ministère d’autant supérieur qu’il est le médiateur d’une alliance plus excellente, qui a été établie sur de meilleures promesses. » (Héb 8.6)

Les fréquences

Un mot qui revient à une grande fréquence dans un livre biblique donné — et plus encore dans toute la Bible — a toutes les chances de concerner un sujet majeur pour notre foi. Par exemple, Dieu (ou l’Éternel) et Jésus (ou Christ) sont, de très loin, les mots les plus fréquents de chaque Testament ; or l’Écriture révèle avant tout qui est Dieu et qui est Jésus.

De même, une idée répétée dans plusieurs textes, plus encore sous la plume de différents auteurs, présente vraisemblablement une importance plus grande qu’un point traité par un seul verset. Par exemple, le « baptême pour les morts » (1 Cor 15.29), quel que soit le sens qu’on lui donne, n’aura jamais la même importance que le baptême chrétien que les Évangiles, les Actes et les Épîtres mentionnent à de multiples reprises. Soyons donc particulièrement prudents sur les doctrines évoquées dans un seul texte et qui sont parfois source inutile de tensions, voire de divisions (il suffirait de citer la couverture des femmes en 1 Cor 11 pour faire saisir l’acuité du sujet !).

Le fait que la mort de Jésus soit décrite quatre fois et que chaque évangéliste y consacre une part disproportionnée de sa biographie inspirée suffit à en indiquer l’importance cruciale. De même pour sa résurrection.

La reprise presque mot pour mot des «  Dix commandements » au début de la loi de Sinaï (Ex 20) et en tête du développement des lois du Deutéronome (Deut 5) justifie l’intérêt accordé à ce texte.

Le placement des textes

Les auteurs bibliques, sous la conduite de l’Esprit, ont agencé leurs textes avec grand soin, en particulier en utilisant la forme hébraïque importante du chiasme [ Un chiasme est une figure littéraire qui consiste à reprendre des idées de façon concentrique : A B C D C’ B’ A’. A’ correspond à A, B’ à B, etc. En général, lorsque la symétrie est impaire, la section centrale est la plus importante (D dans cet exemple), suivie des sections A et A’.] . Un texte placé au centre d’un chiasme revêtira ainsi un poids plus important.
Par exemple, 1 Timothée peut être structuré sous forme d’un chiasme qui fait ressortir comme centre les v. 14 à 16 du ch. 3. On peut donc penser que ces versets sont au cœur du message de Paul à Timothée.
D’autres structures sont également éclairantes : entre ses salutations et le début de son développement, Paul résume le message de sa lettre aux Romains dans les v. 16 et 17 du ch. 1. Les points évoqués par ces deux courts versets sont donc fondamentaux à ses yeux.

Les résumés

Les auteurs bibliques donnent parfois des « résumés » de leur doctrine. Par exemple, Paul aborde le sujet de la résurrection en indiquant : « Je vous ai enseigné avant tout, comme je l’avais aussi reçu, que Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures… » En quelques versets, il va donner aux Corinthiens une synthèse de l’Évangile (1 Cor 15.1-11). Toute doctrine y figurant aura donc un poids majeur.

Les thèmes transversaux

Certains thèmes bibliques sont comme des trames qui courent du début à la fin de la révélation divine.
Ils ont comme particularité de ne pas être circonscrits à un livre ou un auteur particulier. Le développement de ces thèmes est cohérent avec l’orientation historico-rédemptrice de l’Écriture et ils trouvent leur résolution et leur finalité en Jésus-Christ.
En voici quelques exemples : les alliances, la gloire, l’expiation, le temple, l’amour, etc.

Le contenu même des textes

Certains textes contiennent dans leur formulation même l’accent de leur importance. C’est particulièrement le cas des versets qui avertissent que, si nous n’y obéissons pas, nous ne pourrons pas être sauvés. Citons, entre autres :
• Confesser Jésus Christ, Fils de Dieu venu comme homme (1 Jean 4.1-3)
• Croire en la résurrection personnelle corporelle de Jésus Christ (1 Cor 15.12-19)
• Croire en la suffisance de l’œuvre de Christ pour le salut (Col 2.4-21)
• Accepter le salut par la foi, sans les œuvres (Act 15.8-11 ; Gal 1.6-9)
• Pardonner aux autres (Mat 18.35)
• S’engager résolument à la suite de Jésus (Mat 10.38-39)
• Renoncer aux œuvres de la chair (Gal 5.19-21)
• Etc. !
Les prédications des apôtres dans le livre des Actes sont aussi un guide intéressant : elles nous indiquent ce qui était, à leurs yeux, essentiel à la foi — en premier lieu la résurrection de Jésus, la repentance ou l’accomplissement en Christ des prophéties de l’A.T.

Conclusion

Sur les points importants, la Bible est claire : nous disposons de plusieurs textes sur le même sujet, sous la plume de différents auteurs ; le sens du texte original n’offre pas d’ambiguïté d’interprétation ; les marqueurs littéraires convergent pour souligner leur entralité.

Sur d’autres points, la Bible semble « volontairement » moins claire. Nous serons donc plus prudents et moins affirmatifs les concernant et nous éviterons d’en faire des sujets de division.

Enfin, n’oublions pas que de nombreux chrétiens ont réfléchi à ce sujet de la hiérarchisation des doctrines au cours des siècles, ont cherché à appliquer soigneusement les meilleurs principes herméneutiques pour discerner les points fondamentaux et ont rédigé des confessions de foi. Quelque imparfaites que restent ces œuvres humaines, elles peuvent aussi nous aider à clarifier les points les plus importants de la doctrine chrétienne.


Nigel BEYNON et Andrew SACH
CREUSER L’ÉCRITURE
Éditions CLÉ, 2016, 176 p.

Très pédagogique et très clair :
la meilleure ressource pour une première approche.
Alfred KUEN
COMMENT INTERPRÉTER LA BIBLE
Éditions Emmaüs, 2005, 326 p.
Un grand classique sur le sujet,
avec des sections par type littéraire de qualité.
D.A. CARSON
ERREURS D’EXÉGÈSE
Publications chrétiennes, 2012, 169 p.

Ouvrage plus exigeant qui passe en revue
les erreurs les plus répandues dans l’interprétation
avec de nombreux exemples : de quoi se remettre en
question !
Matthieu SANDERS
INTRODUCTION À L’HERMÉNEUTIQUE BIBLIQUE
EDIFAC, 2015, 256 p.

Le cours de référence de la faculté de Vaux-
sur-Seine, avec une mise en contexte très pertinente.

Satan cite la Bible, mais il ne l’interprète pas correctement. Dans la scène tristement célèbre de Matthieu 4, Satan utilise les Écritures pour tenter Jésus pour qu’il saute du haut du pinacle du temple : « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : “Il donnera des ordres à ses anges à ton sujet ; et ils te porteront sur les mains, de peur que ton pied ne heurte contre une pierre.” » (Mat 4.6 ; cf. Ps 91.11-12).
Il n’est pas surprenant que Jésus ne tombe pas dans le piège. Oui, Satan a cité un Psaume qui promet que Dieu fournira des anges pour aider son serviteur. Mais Jésus a répondu par un verset biblique choisi avec soin : « Il est aussi écrit : Tu ne tenteras point le Seigneur, ton Dieu. » (Mat 4.7 ; cf. Deut 6.16).
Dans cette histoire, Jésus et Satan citent tous deux la Bible. La différence ? L’interprétation correcte. Au milieu de louanges à Dieu pour sa majesté et son amour, le Psaume 91 mentionne que Dieu mettra des anges à disposition de ceux qui se confient en lui. Le psalmiste n’affirme nulle part que le peuple de Dieu devrait se jeter du haut d’un gratte-ciel pour voir si Dieu est vraiment sincère. S’il s’était jeté du haut du temple, Jésus aurait mis Dieu à l’épreuve ; ç’aurait été un acte téméraire d’orgueil, et non un acte d’humilité dépendante.
Nous ne pouvons pas nous contenter d’accumuler des versets bibliques et de construire des affirmations bibliques sur la base d’une poignée de textes isolés de leur contexte biblique immédiat et plus large.
Nous devons interpréter la Bible correctement.

Le problème de la sélection des versets

Satan nous montre que citer des expressions et des phrases bibliques qui semblent bien adaptées sur le moment, mais hors de leur contexte, peut être un jeu dangereux. Il est évident que Satan était mal intentionné, mais même s’il avait cité innocemment le verset, le type d’application qu’il suggérait aurait été inapproprié.
La mauvaise sélection des versets est un problème très ancien et a été la source de multiples hérésies tout au long de l’histoire de l’Église.
• Marcion a séparé le Nouveau Testament de l’Ancien parce qu’il percevait un décalage entre le « Dieu en colère de l’Ancien Testament » et le gentil Jésus.
• Arius a nié la divinité de Jésus parce que Proverbes 8 et d’autres passages semblaient soutenir sa subordination au Père.
• Fausto Socin a utilisé un ensemble de passages épars de l’Écriture pour nier le péché originel et la préexistence de Jésus.

Dans tous les cas, l’hérésie était au rendez-vous.
En effet, on peut citer abondamment la Bible et pourtant l’enseigner de manière erronée.

Parmi les exemples modernes, citons les posts Instagram qui citent Philippiens 4.13 [« Je puis tout par celui qui me fortifie. »] et les tasses à café où est imprimé Jérémie 29.11 [« Car je connais les projets que j’ai formés sur vous, dit l’Éternel, projets de paix et non de malheur, afin de vous donner un avenir et de l’espérance. »]. Dans les deux cas, ces versets semblent promettre une bénédiction matérielle, physique ou même éternelle de la part de Dieu. Cependant, dans les deux cas, le contexte du passage révèle que ces versets sont la promesse de ressources au milieu de la souffrance. Sélectionner ces versets peut sembler innocent à certains, mais c’est aussi la racine du dangereux évangile de la prospérité qui s’est infiltré dans l’Église mondiale.
Depuis le ministère de Jésus jusqu’à notre monde d’aujourd’hui, la sélection de versets a été un fléau pour l’Église et a entraîné d’innombrables conséquences négatives.

Deux clés de l’interprétation biblique

Nous pouvons résumer le meilleur de l’interprétation biblique à chaque époque de l’histoire de l’Église en deux convictions clés : l’une est théologique et l’autre est canonique.

1. La Bible est avant tout un livre théologique cohérent

L’Église a toujours supposé que la Bible est la révélation de Dieu et que, par conséquent, elle constitue une histoire unifiée et non contradictoire.
Dans sa lutte contre des hérésies comme celle de Marcion, Irénée a affirmé que l’unité de Dieu impliquait l’unité de sa révélation. Alors que Marcion a creusé un fossé entre les deux Testaments parce qu’il ne pouvait pas les réconcilier, Irénée a soutenu que nous devrions interpréter les passages les plus difficiles de l’Écriture par les passages les plus clairs.
Plutôt que de supposer une contradiction ou de s’accrocher à quelques versets seulement pour construire une théologie erronée ou biaisée, Irénée enseignait que la Bible était comme une belle mosaïque dans laquelle chaque pièce s’emboîtait — d’une manière ou d’une autre — parce que le Dieu qui ne se contredit pas avait ordonné toute création, y compris l’Écriture, d’une manière non contradictoire. Bien sûr, il est possible dans certains cas d’établir des affirmations doctrinales claires sur la base d’un verset ou d’un passage, mais nous devrions toujours nous assurer que cette affirmation ne contredit pas d’autres parties de l’Écriture.

2. La Bible est un canon — un ensemble de 66 livres qui servent de règle ou de mesure à notre théologie

Ce point découle du premier. Une façon simple de voir l’histoire unifiée de la Bible est de remarquer qu’elle est entièrement autoréférentielle. Il est rare que l’on lise longtemps la Bible sans tomber sur une citation ou une allusion à une autre partie de l’Écriture. Qu’il s’agisse des références à l’intérieur de la Loi de Moïse à la création ou à l’exode, ou des références constantes des auteurs du Nouveau Testament à l’Ancien, la Bible oblige ses lecteurs à la considérer comme une histoire unifiée. Si tel est le cas, alors les auteurs bibliques divinement inspirés nous enseignent eux-mêmes à interpréter la Bible comme un tout. Sélectionner des versets bibliques pour prouver ses hypothèses théologiques personnelles, c’est aller à l’encontre du sens même de l’Écriture.

Interpréter la Bible pour adorer et pour vivre

Nous adorons Dieu correctement lorsque nous lisons sa Parole correctement. Matthieu 4 suffit pour montrer que sélectionner des versets bibliques peut être même satanique. La plupart des gens n’utilisent pas la Bible de manière malveillante comme l’a fait Satan, mais cette scène est néanmoins instructive pour nous.
Jésus nous a donné l’exemple d’une interprétation correcte à ce moment-là. Lorsqu’il a été confronté au Psaume 91, il a soumis la lecture de Satan à une grille d’interprétation avant de supposer qu’elle était correcte. Le Psaume 91 pris isolément pourrait indiquer que Dieu envoie toujours des anges pour aider les siens dans tous les cas de figure. Cependant, lorsque ce Psaume est mis en relation canonique avec Deutéronome 6, sa signification et son application sont clarifiées. Dieu pourvoira à nos besoins, mais ses ressources ne sont pas un jeu à manipuler ou à tordre.

Nous ne sommes pas le Fils parfait de Dieu, le Verbe lui-même. Mais il est néanmoins notre exemple lorsqu’il s’agit de comprendre l’Écriture. C’est lui qui a rappelé aux lecteurs de la Bible de son temps que la Bible est une histoire unifiée centrée sur lui (Jean 5 ; Luc 24). Par la puissance de l’Esprit, nous sommes capables de comprendre cette révélation divine afin de pouvoir adorer et vivre de façon juste en obéissant à sa Parole (1 Cor 2).

Laissons Jésus être notre divin maître afin que, instruits par Dieu, nous puissions dire avec les apôtres : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. » (Jean 6.68)


Les personnes qui étudient la Bible aiment parler du « texte original grec ». Les prédicateurs aussi. Certains semblent même mettre un point d’honneur à intégrer du grec dans leurs prédications le plus souvent possible.

Bien entendu, il n’y a rien de mal à vouloir savoir des choses sur la langue par laquelle Dieu a parlé dans le N.T. Mais cela n’est pas sans dangers parce que la plupart des chrétiens ne connaissent pas du tout le grec, ou (ce qui est à peu près la même chose) en savent juste assez pour être capables de faire des recherches sur des mots grecs individuels. Imaginez comment un locuteur étranger massacrerait votre langue maternelle si tout ce qu’il faisait était de chercher des mots individuels dans le dictionnaire.
Cette pratique est jonchée de ce que D.A. Carson a appelé des « erreurs d’exégèse » [ NDLR : Nous recommandons chaudement la lecture et l’étude du livre de D.A. Carson, Erreurs d’exégèse, Impact, 2012]. Ce petit article est ma manière à moi de résumer quelques-unes des leçons de Carson, afin de nous aider à apprendre comment nous dispenser du grec dans l’étude de la Bible.

1. L’usage l’emporte sur l’étymologie : éviter l’erreur de racine

Quand j’étais lycéen et scolarisé à domicile, j’ai suivi un cours d’étymologie. L’étymologie traite des « racines » des mots, c’est-à-dire à l’origine des mots dans la nuit des temps. C’est un sujet précieux à étudier et rien de ce que je vais dire dans cet article n’a pour objectif de sous-entendre le contraire.
Néanmoins, la situation devient problématique lorsque les gens pensent à tort que l’étymologie d’un mot leur révèle « ce qu’il signifie réellement ».
Dans mon anglais maternel, nous pouvons voir facilement à quel point cette idée est erronée.
Par exemple, le mot anglais nice (« agréable » en français) vient de la racine latine nescius, signifiant « ignorant ». Mais si vous dites à quelqu’un qu’il est « nice », seul un imbécile répondrait en disant : « Oh, je vois ce que tu penses vraiment ! Tu dis que je suis ignorant ! Toi et tes insultes latines déguisées ! »
Personne ne le fait dans sa langue maternelle, mais de nombreux chrétiens font exactement cela lorsqu’ils étudient la Bible. Ils cherchent les mots grecs dans leur concordance), trouvent la racine grecque originelle et en concluent qu’ils ont trouvé le sens « réel » du mot. C’est ce que Carson appelle « l’erreur de racine » [ NdT : en anglais, D.A. Carson fait un jeu de mot intraduisible, l’expression « root fallacy  » pouvant signifier à la fois « erreur de racine » et « erreur fondamentale »].
Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : les racines et l’étymologie sont de bonnes choses.
Elles peuvent parfois vous fournir une histoire intéressante sur la raison pour laquelle un mot particulier a fini par être utilisé pour décrire une chose particulière. Elles peuvent même vous aider à gagner le concours national d’orthographe. Mais elles ne vous dévoileront jamais le « vrai sens » d’un mot, parce que la signification d’un mot n’est pas déterminée par son étymologie, mais par son usage. La question n’est pas : « D’où vient ce mot ? » mais : « Qu’est-ce que l’auteur ou le l’orateur a voulu dire en l’utilisant ? » […]

Si vous voulez savoir ce que signifie un mot aujourd’hui, vous devez découvrir comment on s’en sert aujourd’hui. C’est ce qu’un dictionnaire récent vous apprendra. Pour les étudiants de la Bible, vous trouverez aussi cela dans un bon glossaire. L’un des meilleurs outils en anglais pour étudier la Bible de nos jours est le Complete Expository Dictionary of Old and New Testament Words de William Mounce.
Cet ouvrage contient également une partie très utile intitulée « Comment étudier des mots », qui vous mettra en garde contre certains des pièges dont je vous parle.

2. Les spécialistes sont nécessaires : éviter le culte de l’amateur

En matière d’étude de la Bible, de nombreux chrétiens semblent penser que connaître le grec est comme une recette miracle qui révélerait tous les secrets du sens de la Bible. C’est ce que je pensais par le passé et je me suis mis à étudier le grec. La principale chose que j’ai apprise au cours de mes premières semaines de cours était que presque tout ce que je croyais savoir sur cette langue n’était qu’un tissu d’âneries. Il s’avère que l’agape et le philos ne sont pas réellement des formes différentes d’amour, et que l’Évangile n’est pas vraiment la « dynamite » de Dieu. À bien des égards, la langue grecque est beaucoup plus banale que je ne le pensais. Elle apporte des solutions à certaines questions mais en génère aussi d’autres.
Je ne suis pas en train d’essayer de décourager quiconque d’étudier le grec. J’encouragerais plutôt autant de chrétiens que possible à l’apprendre. Mais la réalité est que la plupart des croyants n’en ont pas le temps ou la capacité. La bonne nouvelle est que Dieu n’a jamais voulu que tout (ou même la plupart de) son peuple ait besoin d’apprendre le grec pour comprendre sa Parole. Il existe une heureuse répartition des tâches. Dieu est miséricordieux : certaines personnes deviennent des experts en grec et en hébreu afin que nous autres ne soyons pas tous obligés de le devenir.
Comme l’a récemment observé Robert Plummer : « Dans l’histoire du christianisme, il n’y a jamais eu aussi peu besoin d’étudier les mots qu’aujourd’hui.
Avec la multiplicité d’excellentes traductions de la Bible existant actuellement, les lecteurs de la Bible ont à leur disposition le fruit des méticuleuses recherches des spécialistes. » Et comme le disait le théologien baptiste du XIX e siècle John Dagg :« Les traductions sont suffisantes pour ceux qui n’ont pas accès à l’original inspiré. […] Dieu a estimé qu’il était plus sage et préférable de laisser les membres du Christ expérimenter la nécessité d’une sympathie et d’une dépendance mutuelles, plutôt que de donner tous les dons à chaque individu. Afin d’atteindre l’objectif de sa bienveillance, il a accordé les connaissances nécessaires à la traduction de sa parole à un nombre suffisant d’hommes fidèles. Et la moins précise des traductions dont le peuple peut bénéficier est pleine de vérité divine et capable de rendre sage à salut. »
Si Dagg a raison, et je pense que c’est le cas, alors le réflexe qui va dans le sens de : « Je ne veux pas dépendre des spécialistes » peut être une forme cachée d’orgueil. C’est peut-être la main qui dit au pied : « Je n’ai pas besoin de toi. » Je n’essaie pas de présenter les traducteurs comme une catégorie sacerdotale infaillible. Je veux simplement dire que Dieu ne s’attend pas à ce que nous devenions tous des spécialistes en linguistique et qu’il a donc voulu une répartition des tâches. Il ne faudrait pas remplacer le culte de l’expert par le culte de l’amateur. Nous dépendons des spécialistes, que cela nous plaise ou non.

L’orgueil s’irritera contre cette réalité, et la paranoïa inventera des théories conspirationnistes. Mais en attendant que nous devenions omniscients, omnipotents et omnicompétents, rien ne pourra y changer.

3. Le contexte avant tout : éviter l’erreur de surcharger le sens

L’humilité accueillera cela comme une bonne nouvelle et sera soulagée de voir comment Dieu répartit les tâches. La vérité est malheureusement que beaucoup de chrétiens passent trop de temps à faire des recherches sur les mots en grec et à en tirer des conclusions erronées parce qu’ils ne comprennent pas vraiment le fonctionnement de cette langue (ils en savent souvent juste assez pour être dangereux). Mais pour ceux qui pensent qu’ils ne peuvent pas du tout comprendre la Bible à moins de savoir lire le grec, la bonne nouvelle est que neuf fois sur dix vous comprendrez mieux ce qu’un mot signifie en le lisant simplement dans son contexte.
Voici ce que je veux dire par « le lire dans son contexte » : ne pas se concentrer sur un seul mot.
Lisez la phrase en entier. Ensuite, lisez le paragraphe en entier. La plupart des mots n’ont pas du tout de « sens littéral ». Ils ont plutôt toute une gamme de significations possibles (le terme technique est « champ sémantique »). C’est pourquoi un dictionnaire répertorie généralement plusieurs options possibles. Ce n’est que lorsqu’un mot est utilisé dans un contexte donné que le sens exact apparaît. Mieux vous connaissez une langue et moins vous consacrerez de temps à vous concentrer sur les mots individuels.

Le contexte permet en général de restreindre les significations possibles à une seule (à l’exception de ces choses merveilleuses que l’on appelle des « jeux de mots »). Par exemple, si vous voulez savoir ce que Jean veut dire par le mot « péché » dans 1 Jean 3.4, au lieu de vous concentrer sur le mot péché et de faire une étude approfondie du mot hamartia pour essayer de connaître le sens « réel » de hamartia en fonction de sa racine, lisez toute la phrase : « Le péché, c’est la violation de la loi ». Puis lisez le contexte direct : « Quiconque commet le péché, commet aussi une violation de la loi, et le péché, c’est la violation de la loi. Or, vous le savez, lui (le Seigneur) est apparu pour ôter les péchés ; et il n’y a pas de péché en lui. »
Je ne dis pas que l’étude des mots grecs est quelque chose de mauvais ou de totalement inutile (après tout, le grec n’est pas notre langue maternelle). Mais si vous ne le faites pas correctement, cela vous donnera simplement l’illusion de savoir quelque chose alors que ce n’est clairement pas le cas. La plupart du temps, vous feriez mieux de faire simplement une comparaison entre plusieurs traductions solides. Après tout, les gens qui ont traduit ces versions de la Bible comprennent mieux le grec que vous ou moi ne le ferons jamais. Donc ne rejetez pas leur expertise. Et pendant que vous lisez, faites bien attention au contexte. Un gramme de bonne analyse contextuelle vaut bien un kilo d’étude de mots grecs mal faite.
Alors, prenez vos Bibles dans votre langue et lisez attentivement. Lorsque vous effectuez l’étude des mots, évitez l’erreur de racine, profitez de l’expertise des spécialistes et souvenez-vous que le contexte passe avant tout. Bref, lisez, relisez et relisez à nouveau. Ce n’est pas une méthode d’étude très « glamour » et elle ne vous donnera probablement pas l’impression d’être (ou de paraître) très intelligent, mais elle donnera des résultats beaucoup plus fiables.


Dans cet article, je me concentrerai sur un problème simple, auquel tout lecteur sérieux de la Bible est confronté : Quels textes de la Bible sont des injonctions contraignantes pour nous, et quels textes ne le sont pas ?

Prenons quelques exemples. « Se saluer par un saint baiser » : les Français le font, mais en général, pas les Américains. N’obéissent-ils donc pas à la Bible ? Jésus dit à ses disciples qu’ils doivent se laver les pieds les uns aux autres (Jean 13.14), mais la plupart d’entre nous ne l’ont jamais fait. Pourquoi « désobéissons-nous » à cette simple injonction, alors que nous obéissons à sa demande concernant la cène du Seigneur (« Faites ceci en mémoire de moi ») ? L’injonction faite aux femmes de garder le silence dans l’église est-elle absolue (1 Cor 14.33-36) et si ce n’est pas le cas, pourquoi ? Jésus dit à Nicodème qu’il doit naître de nouveau s’il veut entrer dans le royaume ; il dit au jeune homme riche qu’il doit vendre tout ce qu’il possède et le donner aux pauvres. Pourquoi faisons-nous de la première exigence une obligation absolue pour tous, alors que nous esquivons la seconde ?
Ce qui suit n’est pas une recette complète pour répondre à toutes les questions d’interprétation difficiles, mais quelques lignes directrices préliminaires pour résoudre ces questions, qui ne sont pas classées par ordre d’importance.

1. Cherchez aussi consciencieusement que possible l’équilibre de l’Écriture et évitez de succomber aux oppositions historiques et théologiques.

Historiquement, de nombreux baptistes réformés en Angleterre entre le milieu du XVIII e siècle et le milieu du XX e ont tellement insisté sur la grâce souveraine de Dieu dans l’élection qu’ils se sont sentis mal à l’aise avec les déclarations générales de l’Évangile. Comment dire aux incroyants de se repentir et de croire à l’Évangile, puisqu’ils sont morts dans leurs offenses et leurs péchés, et qu’ils ne peuvent en aucun cas faire partie des élus ? Ils devraient plutôt être poussés à s’examiner eux-mêmes pour voir s’ils ont en eux les premiers signes de l’action de l’Esprit, une conviction de péché, un sentiment de honte. Cette façon de voir n’est a priori pas très biblique, mais de nombreuses Églises ont pensé que c’était la marque de la fidélité. L’équilibre de l’Écriture a été perdu. Un élément de la vérité biblique a été élevé à une position qui lui permet d’annuler ou de prendre le pas sur un autre élément de la vérité biblique.
En fait, « l’équilibre de l’Écriture » n’est pas facile à maintenir, en partie parce qu’il y a différents types d’équilibres dans l’Écriture. Par exemple, il y a l’équilibre des diverses responsabilités qui nous incombent (prier, être fiable au travail, être un conjoint et un parent bibliquement fidèle, évangéliser un voisin, etc.). Il y a aussi l’équilibre de vérités que nous ne pouvons pas encore réconcilier, mais que nous pouvons facilement déformer si nous n’écoutons pas attentivement le texte. Dans chaque cas, un type d’équilibre biblique légèrement différent entre en jeu, mais il reste indispensable de rechercher l’équilibre biblique.

2. Reconnaissez que la nature antithétique de certaines parties de la Bible, est un artifice rhétorique et non un absolu.

C’est le contexte qui doit décider si tel est le cas.
C’est vrai en particulier dans les enseignements de Jésus.
Bien sûr, il y a des antithèses absolues dans l’Écriture qui ne doivent en aucun cas être édulcorées. Par exemple, les oppositions entre les malédictions et les bénédictions de Deutéronome 27-28 : la conduite qui attire les malédictions de Dieu et celle qui gagne son approbation sont en claire opposition.
Mais lorsque Jésus insiste sur le fait que pour devenir son disciple, on doit haïr ses parents (Luc 14.26), nous ne devons pas penser que Jésus approuve la haine entre les membres de la famille. L’enjeu est de prendre conscience que les exigences de Jésus sont plus urgentes et plus contraignantes que les relations humaines les plus précieuses et les plus chères (comme le montre clairement le parallèle de Mat 10.37).
Parfois, l’antithèse apparaît en comparant deux passages éloignés l’un de l’autre. D’une part, selon Jésus, la prière de ses disciples ne doit pas ressembler au bavardage des païens qui pensent être entendus à cause de leurs nombreuses paroles (Mat 6.7). D’autre part, Jésus peut aussi raconter une parabole dont la leçon est que ses disciples doivent prier avec persévérance et ne jamais se lasser (Luc 18.1-8). Pourtant, si nous imaginons que ces deux injonctions s’opposent, nous démontrons non seulement notre ignorance du style de prédication de Jésus, mais aussi notre insensibilité à ses exigences pastorales. La première est vitale pour ceux qui pensent séduire Dieu par leurs interminables prières ; la seconde est vitale pour ceux dont la vie de prière se limite à quelques phrases vite marmonnées.

3. Gardez-vous d’absolutiser ce qui n’est dit ou ordonné qu’une seule fois.

Non pas que Dieu doive dire les choses plus d’une fois pour qu’elles soient vraies ou contraignantes.
Mais plutôt parce que si quelque chose n’est dit qu’une seule fois, il est facile de mal la comprendre ou de l’appliquer à mauvais escient. Lorsqu’une vérité est répétée à plusieurs reprises et dans des contextes légèrement différents, le lecteur saisit mieux le sens et l’enjeu.
Ce principe sous-tend l’une des raisons pour lesquelles la plupart des chrétiens ne considèrent pas le commandement du Christ de se laver les pieds les uns aux autres comme une troisième ordonnance. Le baptême et la cène sont assurément évoqués plus d’une fois, et il y a de nombreuses preuves que l’Église primitive les observait tous les deux, mais on ne peut pas en dire autant du lavage des pieds.

4. Examinez soigneusement la justification biblique de toute parole ou de tout commandement.

Je ne veux pas dire que, si vous ne pouvez pas discerner la justification, vous devriez ignorer le commandement. Il s’agit d’affirmer que Dieu n’est ni arbitraire ni capricieux et qu’il fournit généralement des raisons et des structures de pensée derrière les vérités qu’il révèle et les exigences qu’il formule. Essayer de découvrir cette logique aide à comprendre ce qui constitue l’essence de ce que Dieu dit, et ce qui en est l’expression culturelle particulière.
Avant de donner quelques exemples, il est important de reconnaître que toute l’Écriture est liée à la culture. Une interprétation prudente et pieuse n’implique pas qu’il faille dépouiller ces formes culturelles pour découvrir la vérité absolue sous-jacente, car c’est impossible : nous ne pouvons jamais échapper à notre finitude. Il s’agit de comprendre ces formes culturelles et, par la grâce de Dieu, de découvrir la vérité que Dieu a révélée à travers elles.
Ainsi, lorsque Dieu ordonne aux gens de déchirer leurs vêtements et de revêtir le sac et la cendre, ces actions précises sont-elles à ce point constitutives de l’essence de la repentance qu’il n’y ait pas de véritable repentance sans elles ? Il n’y a pas de théologie du sac et de la cendre ; il y a une théologie de la repentance qui exige à la fois un chagrin radical et un changement profond.
Si ce raisonnement est juste, il a une incidence à la fois sur le lavage des pieds. Bien que cet acte n’apparaisse qu’une seule fois dans le N.T. comme un acte commandé par le Seigneur, l’acte lui-même est théologiquement lié, en Jean 13, au besoin urgent d’humilité du peuple de Dieu et à la croix.

5. Observez attentivement que l’universalité formelle des proverbes n’est que rarement absolue.

Si les proverbes sont traités comme des lois ou des jurisprudences, des erreurs majeures d’interprétation — et d’application pastorale — s’ensuivront inévitablement. Comparons ces deux paroles de Jésus : (a) « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi, et celui qui n’assemble pas avec moi disperse » (Mat 12.30) et (b) «  Qui n’est pas contre nous est pour nous. » (Marc 9.40) Ces affirmations ne sont pas contradictoires si elles sont un avertissement pour la première à des personnes indifférentes, et pour la seconde aux disciples à propos de personnes dont le zèle dépasse la connaissance. Mais les deux déclarations sont certainement difficiles à concilier si chacune est prise de manière absolue, sans réfléchir à ces questions.
Prenons par exemple deux proverbes adjacents : « Ne réponds pas à l’insensé selon sa folie […] Réponds à l’insensé selon sa folie […] » (Prov 26.4-5) S’il s’agit de lois ou d’exemples de jurisprudence, la contradiction est inévitable. D’un autre côté, la seconde ligne de chaque proverbe fournit une justification suffisante pour nous faire entrevoir ce que nous aurions dû voir de toute façon : les proverbes ne sont pas des lois. Ils sont une sagesse distillée, souvent exprimée sous forme d’aphorismes piquants qui demandent réflexion ou qui décrivent des effets dans la société en général (mais pas nécessairement chez chaque individu), ou qui demandent de réfléchir à la manière dont ils s’appliquent et au moment où ils s’appliquent.

6. L’application de certains thèmes doit être traitée avec un soin particulier du fait de la distance historique.

Certains thèmes sont délicats — non seulement en raison de leur complexité intrinsèque, mais aussi à cause des changements dans les structures sociales entre les temps bibliques et notre époque.
« Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures ; car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu. » (Rom 13.1) Une difficulté nouvelle pour appliquer ce texte se fait jour lorsqu’on vit dans une démocratie. En théorie au moins, une démocratie permet de s’opposer à un gouvernement sans violence ni effusion de sang.
Quelles sont précisément les responsabilités du chrétien dans ce cas (quel que soit votre point de vue sur la signification de Romains 13 dans son propre contexte) ?
En d’autres termes, nous vivons dans de nouvelles structures sociales, qui dépassent tout ce que Paul aurait pu imaginer ; elles ne renversent pas ce qu’il a dit, mais elles peuvent nous forcer à introduire des considérations que Paul n’a pas prévues pour appliquer de façon valable et réfléchie ses propos.
Il est très réconfortant, et épistémologiquement important, de se rappeler que Dieu les avait prévues, mais cela ne réduit pas les responsabilités herméneutiques qui sont les nôtres.

7. Déterminez non seulement comment les symboles, les coutumes, les métaphores et les modèles fonctionnent dans les Écritures, mais aussi à quoi ils sont liés.

Est-il acceptable de célébrer la cène avec des ignames et du lait de chèvre dans une église de village en Papouasie ? Et si nous utilisons du pain et du vin, ne sommes-nous pas en train d’insinuer subtilement que seule la nourriture des étrangers blancs est acceptable pour Dieu ?
C’est un problème non seulement ecclésiastique, mais aussi linguistique auquel les traducteurs de la Bible sont confrontés en permanence. Comment traduire « pain » et « vin » ? En effet, ces éléments sont liés à d’autres éléments de la Bible et il est presque impossible de les démêler. Après avoir remplacé « pain » par, disons, « ignames » afin d’éviter tout impérialisme culturel, que faire des liens entre la cène et la Pâque, où seul du pain sans levain devait être mangé : pouvons-nous parler d’« ignames sans levain » ?! Qu’en est-il du lien entre le pain, la manne et Jésus (Jean 6) ? Jésus (je le dis avec respect) va-t-il devenir l’igname de Dieu ?
Ainsi, ce qui commence comme un effort charitable de communication interculturelle conduit à des problèmes d’interprétation majeurs. En outre, les traductions de la Bible ont une durée de vie beaucoup plus longue que ne le pensent généralement les traducteurs. Cinquante ans plus tard, une fois que la tribu s’est familiarisée avec les cultures au-delà de ses forêts et qu’il semble préférable de revenir à un plus grand degré de littéralisme dans une révision, essayez de remplacer « ignames » par « pain » et voyez quel genre de querelles ecclésiastiques éclateront.
Dieu ne nous a pas donné une révélation culturellement neutre. Ce qu’il a révélé par des mots est nécessairement lié à des lieux et à des cultures spécifiques. Toutes les autres cultures doivent faire un effort pour comprendre ce que Dieu voulait dire lorsqu’il a dit certaines choses dans une langue particulière, à un moment et en un lieu précis. Pour une expression, un élément analogue peut être la meilleure façon de la rendre ; pour d’autres expressions, en particulier celles qui sont profondément liées à d’autres éléments de l’histoire de la Bible, il est préférable de rendre les choses plus littéralement, et d’inclure éventuellement une note explicative.

8. Limitez les comparaisons et les analogies en observant les contextes proches et lointains.

Les comparaisons et les analogies sont toujours autolimitées d’une manière ou d’une autre. Sinon, il ne s’agirait pas de comparaisons et d’analogies, mais de deux choses identiques. Ce qui rend possible une comparaison ou une analogie, c’est que deux choses différentes se ressemblent à certains égards. Il est toujours crucial de découvrir les plans sur lesquels les parallèles opèrent — ce qui est généralement précisé par le contexte — et de refuser toute généralisation.
Un disciple doit ressembler à son maître ; nous devons imiter Paul, comme Paul imite le Christ. Sur quels points ? Devons-nous marcher sur l’eau ? nettoyer le temple local avec un fouet ? fournir miraculeusement de la nourriture à des milliers de personnes à partir du repas d’un petit garçon ?
Devrions-nous être crucifiés ? Observons que la plupart des injonctions des Évangiles à suivre Jésus ou à faire ce qu’il fait sont liées à son abnégation : par exemple, de même qu’il est haï, nous devons nous attendre à être haïs (Jean 15.18) ; comme il va à la croix, nous devons prendre notre croix et le suivre (Mat 10.38 ; 16.24). Ainsi, la réponse à la question « Devrions-nous être crucifiés ? » est certainement oui et non : non, pas littéralement, diront la plupart d’entre nous, et pourtant cela ne justifie pas d’échapper complètement à l’exigence de prendre notre croix et de le suivre. Dans ce cas, la réponse est donc « oui », mais pas littéralement.

9. De nombreux mandats sont limités pastoralement par l’occasion ou les personnes auxquelles ils s’adressent.

L’Écriture offre de nombreux exemples de l’importance du contexte pastoral. Paul peut dire qu’il est bon pour un homme de ne pas toucher une femme (1 Cor 7.1). Mais, poursuit-il, il y a aussi de bonnes raisons de se marier, et il conclut finalement que le célibat et le mariage sont des dons de Dieu (1 Cor 7.7). Il n’est pas nécessaire de lire entre les lignes pour comprendre que l’église de Corinthe comprenait des personnes portées à l’ascétisme et d’autres en danger de promiscuité sexuelle (cf. 1 Cor 6.12-20). L’argument « Oui, mais » de Paul est empreint d’une sensibilité pastorale, qu’il déploie plus d’une fois dans cette lettre. En d’autres termes, il existe des limites pastorales à la ligne de conduite préconisée, limites rendues évidentes par le contexte.
Face à une doctrine complexe, les éléments particuliers sur lesquels il faut insister à un moment donné seront déterminés, en partie, par un diagnostic pastoral des problèmes prédominants du moment.

10. Faites toujours attention à la manière dont vous utilisez les récits.

Les récits sont évocateurs, suscitent l’empathie, sont faciles à mémoriser. Mais si l’on n’y prend garde, ils sont plus facilement mal interprétés que les textes doctrinaux.
En fait, les récits individuels doivent être interprétés non seulement dans le cadre du livre dans lequel ils sont insérés mais aussi dans celui du canon.
Prenons, par exemple, le récit des premières années de Joseph en Égypte (Gen 39). On peut en tirer d’excellentes leçons sur la manière de résister à la tentation. Mais  Une lecture attentive des premiers et derniers versets du chapitre montre également que l’un des points importants du récit est que Dieu est avec Joseph et le  bénit même au milieu des circonstances les plus épouvantables : ni la présence de Dieu, ni sa bénédiction ne se limitent à des moments de vie heureux. Lisez ensuite  le chapitre dans le contexte du récit précédent : Juda devient alors le faire-valoir de Joseph. L’un est tenté dans des circonstances de confort et d’abondance, et succombe à l’inceste ; l’autre est tenté dans des circonstances d’esclavage et d’injustice, et conserve son intégrité. Lisez maintenant le même chapitre dans le contexte du livre de la Genèse. L’intégrité de Joseph est liée à la manière dont Dieu soulage providentiellement de la famine non seulement des milliers de personnes, mais aussi en particulier le peuple de l’alliance de Dieu. Élargissez maintenant l’horizon pour embrasser l’ensemble du canon : soudain, la fidélité de Joseph dans les petites affaires fait partie de la sagesse providentielle qui préserve le peuple de Dieu, et conduit finalement au lointain fils (!) de Juda, David, et à son fils encore plus lointain, Jésus.
Ainsi, Genèse 39 va bien au-delà d’un récit moralisateur de résistance face à la tentation. La perspective acquise en élargissant les contextes révèle des dizaines de connexions et de significations supplémentaires que les lecteurs réfléchis (et les prédicateurs) ne devraient pas ignorer.

11. Rappelez-vous que vous êtes, vous aussi, culturellement et théologiquement situés.

Il ne s’agit pas simplement de considérer que chaque partie de la Bible est culturellement située ; les lecteurs attentifs reconnaîtront qu’ils sont eux aussi situés dans  une culture spécifique, imprégnés du langage, des hypothèses et des perspectives de leur temps. D’où l’importance d’une lecture méditative, autocritique, humble,  honnête, pour découvrir où la Parole remet en question les perspectives et les valeurs de notre époque et de notre lieu.
Les exemples sont légion. Les interprétations bibliques avancées par les féministes évangéliques sont-elles influencées par l’accent mis actuellement sur la libération  des femmes, ou bien les interprétations des exégètes plus traditionnels sont- elles biaisées par leur dépendance involontaire à des hypothèses patriarcales ? Ignorons-nous certains proverbes sur la pauvreté simplement parce que la plupart d’entre nous vivent dans une relative richesse ?
Reconnaissons honnêtement nos préjugés et acceptons progressivement de les réformer et de les remettre en question lorsque nous percevons que la Parole de Dieu nous emmène dans une direction tout à fait différente. À mesure que notre culture devient de plus en plus séculière, le besoin de ce type de lecture se fait de plus en plus pressant.

12. Admettez franchement que de nombreuses décisions d’interprétation s’inscrivent dans un système théologique plus vaste, que nous devons en principe accepter de modifier si nous voulons que la Bible ait le dernier mot.

Il s’agit bien sûr d’un sous-ensemble du point précédent, mais il mérite d’être traité séparément.
Certains chrétiens donnent l’impression que si l’on apprend le grec et l’hébreu et que l’on maîtrise l’herméneutique de base, on peut oublier la théologie historique et la théologie systématique : il suffit de faire son exégèse et l’on obtiendra la vérité directement de la Parole de Dieu. Mais bien sûr, tout n’est pas si simple. Inévitablement, votre exégèse dépendra de votre tradition ecclésiastique et de votre système théologique.
Les systèmes ne sont pas intrinsèquement mauvais. Ils ont pour fonction de rendre l’interprétation un peu plus facile et un peu plus réaliste : grâce à eux, il n’est pas nécessaire de chaque fois revenir aux bases. Si la tradition est largement orthodoxe, le système permet de s’éloigner des interprétations hétérodoxes. Mais un système peut être si étroitement rigide qu’il ne se laisse pas corriger par l’Écriture, ni même renverser par l’Écriture. En outre, de nombreux points d’interprétation litigieuse sont imbriqués dans d’autres : pour changer d’avis sur un détail, il faudrait changer d’avis sur des structures de base, ce qui est inévitablement beaucoup plus difficile. C’est également la raison pour laquelle un réformé pieux et un baptiste pieux ne parviendront pas à déterminer ce que dit l’Écriture au sujet, par exemple, du baptême, simplement en sortant quelques dictionnaires et en travaillant ensemble sur quelques textes pendant une demi-journée. Ce qui est en jeu, pour l’un comme pour l’autre, c’est la manière dont ces questions sont imbriquées dans un grand nombre d’autres points, qui sont eux-mêmes liés à toute une structure théologique.
Si l’on s’en tenait là, les postmodernistes auraient raison : l’interprète déterminerait toujours le sens.
Mais si les croyants sont a priori ouverts à changer d’avis (c’est-à-dire de système !), et s’ils acceptent humblement de tout soumettre, y compris leur système, à l’épreuve de l’Écriture, et s’ils sont disposés à entrer dans une discussion courtoise avec des frères et des sœurs d’un avis différent mais eux aussi désireux de laisser l’Écriture avoir l’autorité finale, alors les systèmes peuvent être modifiés, abandonnés, réformés.


« Car le Fils de Dieu, Jésus-Christ, qui a été prêché par nous au milieu de vous, par moi, par Silvain, et par Timothée, n’a pas été oui et non, mais en lui, il n’y a que oui. » (2 Cor 1.19)

En lisant la Bible attentivement, il peut arriver d’être frappé par un texte qui nous semble contredire un autre passage. Selon nos présupposés sur la nature des Écritures, deux options se présentent alors à nous :
• Si l’on pense que la Bible peut contenir des erreurs, on s’empressera de pointer du doigt l’incohérence du texte. Cette attitude face à la révélation nous vient principalement de la « haute critique », c’est-à-dire des théologiens libéraux et rationalistes qui se sont multipliés au XIX e siècle.
• Si l’on croit que la Bible est une révélation complète d’un Dieu qui ne se contredit pas, on va alors essayer de trouver des explications possibles à cette contradiction apparente. De nombreux théologiens érudits ont heureusement gardé cette démarche de foi, et pu trouver des raisons permettant d’expliquer la grande majorité de ces difficultés. C’est notamment le cas de l’équipe de théologiens réunie par Frédéric Godet pour rédiger sa Bible Annotée (terminée en 1900). Ce commentaire répond à bien des problématiques soulevées par les libéraux. Plus récemment, l’Encyclopédie des difficultés bibliques d’Alfred Kuen a répondu aussi à beaucoup de ces incohérences supposées.

Nous croyons que la Bible est fiable dans chacune de ses parties et que ses auteurs inspirés ne se sont pas contredits (cf. verset d’en-tête).
Lorsque nous rencontrons une contradiction apparente, quelles questions se poser pour réussir à résoudre cette tension ?

1. Le contexte immédiat du chapitre éclaire-t-il cette difficulté ?

Par respect pour le travail d’un auteur, il ne faudrait pas penser qu’il dit tout et son contraire à la moindre incompréhension. Par exemple, en Jean 1.11, il est écrit que personne n’a accueilli la lumière, mais c’est une généralité tout de suite nuancée par Jean 1.12 qui reconnaît qu’une minorité l’a acceptée.
De la même manière, Jean dit que Jésus baptisait en Jean 3.22, mais précise en Jean 4.2 que c’était en fait ses disciples qui baptisaient. Ils le faisaient pour le compte de Jésus, d’où le raccourci de langage utilisé au chapitre précédent.

2. L’objectif de l’auteur et son auditoire nous aident-ils ?

Romains 4.1-8 et Jacques 2.14-26 semblent à première vue irréconciliables sur la place de la foi et des œuvres pour le chrétien. La difficulté est résolue par l’analyse de l’objectif des auteurs en fonction de leur auditoire respectif. Les mêmes mots, utilisés par les deux auteurs dans des contextes différents, n’ont donc pas le même  sens. Paul méprise les œuvres (mortes) sans la foi. Il cherche à décourager ceux qui se croient justifiés par leurs bonnes œuvres. Jacques méprise la foi (morte) sans les œuvres. Il tente de réveiller les pseudo-croyants laxistes. Paul et Jacques sont d’accord pour dire que nos propres œuvres de justice (ou œuvres de la loi) ne nous sauvent pas. C’est la foi vivante et agissante seule qui sauve. Les œuvres doivent découler de notre foi et sont un signe de notre réelle transformation, mais ne nous font pas mériter le ciel.

3. Un autre passage biblique donne-t-il une précision utile ?

Cette question doit nous pousser à utiliser un principe d’interprétation très important qui est parfois appelé « l’analogie de la foi ». Cela consiste simplement à confronter le texte difficile à d’autres passages bibliques, potentiellement plus clairs.
Ainsi, pour finir de clarifier l’exemple précédent, la tension entre la place de la foi et les œuvres est clairement résolue en Éphésiens 2.8-10 : « Car c’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu.
Ce n’est point par les œuvres, afin que personne ne se glorifie. Car nous sommes son ouvrage, ayant été créés en Jésus-Christ pour de bonnes œuvres, que Dieu a préparées d’avance, afin que nous les pratiquions. »

4. Le style de l’auteur apporte- t-il un éclairage particulier ?

Le style de Jean est connu pour être très contrasté, avec un vocabulaire limité et très imagé ; les nuances se font donc en conservant la vue d’ensemble. Attention donc au « cherry picking » (« picorage ») qui consiste à présenter des faits (ou certains versets sélectionnés) qui donnent du crédit à une opinion en passant sous silence les cas qui la contredisent.

5. Le genre littéraire nous donne-t-il une information utile ?

Par exemple, on ne peut pas donner à une parabole autant de poids qu’à un enseignement didactique.
Une parabole vise souvent une idée principale ; l’extrapolation de l’image sur d’autres thèmes peut induire en erreur. C’est le cas pour la parabole de l’économe infidèle en Luc 16.1-9 où l’on pourrait croire que Jésus donne en exemple la tromperie du serviteur. Or ce n’est pas sur ce point que Jésus dirige nos regards dans la « morale » finale qu’il donne à la parabole. Il nous incite à dépenser l’argent que Dieu nous a confié de manière sage pour l’investir dans le royaume éternel.
De même, les proverbes sont des vérités générales qui doivent faire réfléchir le lecteur. Mais cette vérité doit être appliquée avec sagesse au contexte de la situation pratique. Cela permet d’expliquer des contradictions apparentes comme celle de la réponse à donner à « l’insensé » (versets 4 et 5 de Proverbes 26).

6. Une traduction plus précise peut-elle éclaircir le sens ?

Selon 1 Jean 1.8, celui qui dit qu’il « n’a pas de péché » (traduction littérale) est un menteur. 1 Jean 3.9 déclare : celui qui est de Dieu ne « pratique pas le péché » (traduction littérale). Ce vocabulaire traduit une différence entre la pratique assumée du péché et la chute occasionnelle possible du chrétien.
Certaines versions donneront donc l’impression d’une contradiction, alors qu’elle est résolue par une traduction plus littérale.

7. La place au sein de la révélation progressive peut-elle aider ?

Les auteurs bibliques assument le fait que la révélation divine soit progressive. En particulier, les auteurs du N.T. prennent donc le temps de justifier les différences entre l’ère de la Loi, donnée par Moïse et l’ère de la grâce, venue par Jésus Christ (Jean 1.17).
Ainsi, manger du porc est interdit dans l’A.T. (Lév 11) mais clairement autorisé et justifié par les apôtres dans le N.T. (1 Cor 10.23). Pour autant, les commandements de l’A.T. concernant l’éthique sexuelle sont répétés dans le N.T. (1 Cor 6.9-11, etc.) : on ne peut donc pas les minimiser.

8. Y a-t-il plus de passages qui semblent dire l’inverse ?

Avec un verset isolé, on peut imaginer beaucoup d’interprétations possibles, mais avec 10 versets sur le même sujet, l’interprétation devient plus solide. Ainsi, certains affirment que Dieu voudrait avant tout notre prospérité matérielle et physique, principalement par une lecture orientée de certains passages de l’A.T. (És 3.10 ; Prov 13.25). Cependant, énormément de passages nous montrent que la prospérité physique et matérielle n’est pas la règle pour le fidèle (Ecc 9.2 ; És 57.1 ; Act 3.6 ; Phil 4.12 ; 2 Cor 8.2, etc.). Dieu promet plutôt de le soutenir au travers des souffrances (Ps 34.19 ; Rom 8.18 ; 2 Cor 1.5-7 ; 1 Pi 5.9).

9. Cette contradiction apparente est-elle due aux limites de la logique humaine ?

Jésus se décrit souvent comme le Fils de l’homme. Il assume sa pleine humanité mais aussi sa pleine divinité car il ne reprend pas ses disciples qui disent avec Thomas : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jean 20.28) Cette contradiction apparente de l’incarnation d’un Dieu infini dans les limites de l’humanité doit être acceptée avec humilité.
C’est une réalité divine qui nous dépasse et la Bible affirme avec force les deux natures de Jésus.
Pour autant, la doctrine de la trinité nous aide à percevoir que cela n’est pas purement impossible : en effet, le Père et le Saint-Esprit n’étant pas incarnés, on ne peut pas dire par exemple que Dieu soit mort à la croix, le Fils seulement est entré dans la mort.

10. Si je ne vois pas de solution évidente, d’autres commentateurs chrétiens en ont-ils trouvé une ?

Martin Luther avait parlé de la lettre de Jacques comme d’une « épître de paille » car il n’avait pas réussi à résoudre la contradiction apparente avec l’Épître aux Romains. Heureusement que d’autres théologiens n’ont pas baissé les bras ! Il faut donc garder la tête froide et se rappeler que la Bible interprète la Bible.

Conclusion

La plupart des difficultés disparaîtront en prenant le temps de se poser les bonnes questions.
S’il reste des points obscurs, ne concluons pas à l’incohérence, car notre compréhension reste limitée. Continuons de creuser ces sujets avec l’aide de Dieu. Pour le reste, appliquons ce qui est clair, il y a déjà de quoi faire !


« Et ainsi vous avez annulé la Parole de Dieu au nom de votre tradition. » (Le Seigneur Jésus, Mat 15.6, TOB)

« Les Écritures ou la tradition » ? (Se) poser une telle question revient à se demander ce qui fait autorité dans notre vie de croyant.
Les chrétiens protestants évangéliques sont censés connaître et vivre le principe du « sola scriptura » (l’Écriture seule) — qui marque la réflexion et les écrits protestants. Ainsi, par exemple, l’introduction de la « Formule de Concorde » (1577, publiée dans le Livre de Concorde en 1580) affirme : « Nous croyons, enseignons et confessons que les livres prophétiques et apostoliques de l’Ancien et du Nouveau Testament constituent la seule règle ou norme selon laquelle toutes les doctrines et tous les docteurs doivent être appréciés et jugés. »
À ce stade, le lecteur sera peut-être surpris d’apprendre que certains, au sein du protestantisme évangélique, formulent l’objection suivante : « La Loi écrite, d’accord. Et la loi orale ? » Dit autrement encore : « Est-il possible de comprendre les Écritures ou d’accomplir la Loi écrite de Dieu sans les traditions ? » — ces « traditions » pouvant être pour nous des commentaires, « les écrits de nos illustres devanciers ». En guise de réponse, voici quelques pistes de réflexion sur le rapport entre l’Écriture, la tradition et les commentaires, ainsi que quelques points de vigilance sur leur juste place.

I. L’illustration du débat juif entre « la Loi écrite » et « la loi orale »

Le même débat entre parole inspirée et commentaires agite nos amis juifs : « Dieu a-t-il aussi donné à Moïse une loi orale qui interprète la Loi écrite ? » Dans le cadre d’une discussion édifiante sur un forum juif messianique [https://messianique.forumpro.fr/t791-le-talmud-loi-orale-ou-la-torah-loi-ecrite] , une internaute relève que « le judaïsme rabbinique croit que Dieu a donné à Moïse une Loi écrite (trouvée dans la Torah, les cinq livres de Moïse). Mais il est aussi affirmé que la plupart des commandements sont exprimés succinctement, qu’il s’agit de déclarations générales, un peu comme les titres de chapitre dans un livre. On doit les interpréter. Il faut les développer et les expliquer.
Donc, selon la croyance traditionnelle, Dieu a aussi donné à Moïse une loi orale qui interprète la Loi écrite. Moïse l’a ensuite transmise à Josué, qui à son tour, l’a transmise aux 70 anciens qui dirigeaient dans sa génération, qui l’ont transmise aux prophètes des générations suivantes.
Et ainsi de suite, mais avec un grand nombre d’ajouts. C’est pourquoi les rabbins enseignent que la loi orale ne cesse de s’accroître, puisqu’à chaque génération, de nouvelles traditions se sont développées et de nouvelles situations se sont présentées qui nécessitaient de nouvelles applications de la Loi.
Au 2 e siècle apr. J.-C., la loi orale était si volumineuse et complexe qu’il fallut l’écrire pour qu’elle ne se perde pas. Elle devint la Mishnah, qui fut étendue dans les siècles suivants pour donner ce qui est maintenant connu comme le Talmud. Après cela, selon les croyances rabbiniques, ceux qui étudiaient le Talmud continuèrent à développer et transmettre la loi orale à chaque génération suivante.
Tout Juif religieux croit de tout son cœur qu’il est impossible de comprendre les Écritures ou d’accomplir la Loi de Dieu sans les traditions orales.
Le problème est que :
• Le Talmud s’arroge une autorité que les Écritures ne lui ont jamais donnée.
• Le Talmud place la voix du raisonnement terrestre sur un niveau supérieur à la voix prophétique du Ciel.
• Le Talmud contredit [parfois] la signification évidente des Écritures. »

Le chrétien fait face aux mêmes problèmes : les commentaires qu’il chérit peuvent implicitement prendre une autorité qui n’appartient qu’à la Bible.
Quand une difficulté d’interprétation se présente, le recours immédiat à un commentaire peut aussi conduire à négliger un texte biblique qui n’irait pas dans le sens de l’interprétation dudit commentaire. Tout chrétien honnête doit donc se poser la question : « Si la Bible dit une chose et mes traditions une autre, suivrai-je Dieu, ou suivrai-je les hommes ? »

II. La place des commentaires : quelques points de vigilance

Pour autant, il reste nécessaire d’interpréter la Parole de Dieu — tout en remettant les commentaires, les traditions ou les confessions de foi à leur juste place.
Un premier danger serait d’abandonner la tâche de l’interprétation biblique aux « experts », en mettant une confiance excessive dans les techniques herméneutiques et dans les procédures d’exégèse, aussi excellentes soient-elles, alors que, selon Bob Utley, professeur d’herméneutique, « la foi n’offre pas de raccourcis à une lecture responsable de la Bible [http://www.freebiblecommentary.org/pdf/fre/seminar_textbook_french.pdf] ». Les Juifs (avec leurs experts de la Loi, les scribes), les gnostiques (avec leur insistance sur un savoir secret, dont ils étaient les seuls  dépositaires) ou l’Église catholique du Moyen-Âge (avec la dichotomie clergé-laïcs) sont tous tombés dans le piège de réserver l’interprétation aux « experts ». Or personne ne peut éviter le travail d’interprétation. Chaque fois que nous écoutons quelqu’un parler, ou lorsque nous lisons des commentaires, nous interprétons ce qui est dit. « Une bonne herméneutique exige une attitude d’humilité. Cela comprend non seulement l’humilité d’apprendre des autres, mais, de façon plus significative, l’humilité de se soumettre au jugement de la Parole que l’on interprète [Ibid] . » Et ultimement d’obéir à cette Parole.

Un autre danger serait de prendre l’interprétation biblique comme une fin en soi et d’oublier que nous ne sommes pas là d’abord pour produire des interprétations mais avant tout pour approfondir notre relation au Dieu vivant révélé en Jésus-Christ. De fait, si une interprétation cherche à tout prix à défendre une idéologie ou à faire admirer l’intelligence de l’interprète, mieux vaut alors reprendre pour soi le texte dans un esprit de prière pour y rechercher une interprétation qui me conduira à mieux connaître le Seigneur et son amour.

Concluons avec Karsten Lehmkühler, professeur de théologie systématique : « Avant d’être un objet de connaissance et de recherche, la Parole est un sujet agissant. Elle examine avant d’être examinée, elle nous interprète avant d’être interprétée. Cette perspective inclut le caractère du don : la parole est avant tout une grâce, un don qui ne demande point d’œuvres de notre part. Cette efficience ne saurait dépendre de nos œuvres, … pas même de nos œuvres herméneutiques. La Bible est avant tout un sujet agissant qui nous interroge, interpelle, console ; c’est par elle que Dieu nous fait découvrir nos limites, donne naissance à la foi et nous oriente dans nos choix de vie ». [http://lesattestants.fr/wp-content/uploads/2019/02/Lehmk-Attestants-Bible.pdf]


Que de mots compliqués pour le titre d’un éditorial ! Ce numéro a pourtant pour objectif de présenter de façon simple quelques enjeux de l’interprétation de la Bible. Interpréter les Écritures implique, de façon implicite ou explicite, de mettre en œuvre des « principes d’interprétation » et ces principes sont précisément ce qu’on appelle « l’herméneutique ».
Parmi les nombreux systèmes herméneutiques, nous proposons de retenir une « herméneutique grammatico-historico-littéraire » :
• grammaticale, parce que la Bible se présente comme un texte faisant sens, qui suit les règles du langage écrit de ses originaux hébreu et grec ;
• historique, parce que chaque livre de la Bible a été rédigé à un moment précis de l’histoire et en relation avec des faits et un contexte historiques qu’il convient de comprendre pour interpréter correctement ;
• littéraire, parce que la Bible est un ouvrage littéraire aux styles variés — Dieu nous ayant parlé « de bien des manières » (Héb 1.1) — styles qu’il convient de soigneusement distinguer pour ne pas se tromper dans son interprétation.
Mais ne nous arrêtons pas à ces trois adjectifs fondamentaux, car une herméneutique fidèle se doit d’être aussi :
• christocentrique, car Christ est le point central de la Bible dont la révélation progressive conduit vers lui ;
• pratique, car la finalité de toute interprétation doit être d’orienter nos pensées et nos actions pour glorifier le Seigneur.
Que ce numéro contribue à nous faire mieux aimer et comprendre la Bible, la lettre d’amour de notre Dieu !


Le livre des Actes raconte la rencontre surprenante entre l’évangéliste Philippe et un eunuque éthiopien (Act 8.26-40). Celui-ci est assis sur son char, en train de lire le prophète Ésaïe. Philippe l’interpelle alors par cette question : « Comprends-tu ce que tu lis ? » (Act 8.30) L’eunuque éthiopien lui répond par la négative.
Pourquoi ne comprenait-il pas le texte biblique ? Peut-être à cause de la barrière de la langue, de la distance culturelle, ou simplement de la difficulté du texte d’Ésaïe 53 ? Ou peut-être était-ce parce qu’il lui manquait l’éclairage du Saint-Esprit ?
Quelles qu’en soient les raisons, l’eunuque éthiopien ne comprenait pas le texte biblique. Il avait besoin d’explications. Philippe va alors lui expliquer ce passage d’Ésaïe 53 en l’interprétant à la lumière de « la bonne nouvelle de Jésus ».
Ce petit exemple — il y en aurait bien d’autres — montre que le texte biblique a besoin d’être compris, autrement dit « interprété ». La question de l’interprétation — ou de l’herméneutique — se pose à quiconque souhaite comprendre le texte biblique.
Cet article propose une petite introduction à cette question importante : pourquoi faut-il interpréter le texte biblique ? Et surtout : comment faut-il l’interpréter ?

1. La difficulté de l’interprétation

Toute communication humaine implique une interprétation : alors même que vous êtes en train de me lire, vous êtes en train d’interpréter ce que j’ai écrit.
Bien entendu, une bonne partie de ce travail se fait inconsciemment : notre cerveau est une véritable machine à interpréter ! Mais ce travail d’interprétation est semé d’embûches.
Votre cerveau doit d’abord décoder les signes qui sont imprimés et les interpréter comme des lettres, puis des mots et des phrases. En général, cela ne pose pas de problème. Mais, si je s’aime des photes d’or t’au graphe, ou que je laisssssee quelques fautes fautes de de frappe, l’interprétation se corse.
L’interprétation de mon discours peut être également un peu plus compliquée si mon langage est soutenu, et que j’emploie des mèmes [NDLR : Un « mème » (du grec mimesis, imitation) est un concept (texte, image, vidéo) massivement repris, décliné et détourné sur Internet de manière souvent parodique, qui se répand très vite, créant ainsi le buzz.] à la syntaxe sophistiquée.
Certains mots ou certaines phrases peuvent également avoir divers sens et porter à confusion.
Si j’écris : « j’en ai marre de ce cadre ! », vous ne pouvez pas savoir si je ne supporte plus le tableau affiché dans mon séjour ; si, en grand amateur de vélo (c’est un exemple imaginaire !), je suis agacé par mon cadre de vélo qui est trop lourd ; si je suis fâché après le supérieur (le cadre) de mon entreprise ; ou encore si je ne supporte pas les limites (le cadre) qu’on m’impose. Bien entendu, le contexte de mon discours aidera à comprendre ce que je veux dire.
Autre difficulté, si le français n’est pas votre langue maternelle, l’interprétation des mots que j’écris pourra être plus complexe.
Et si je me mettais à écrire en « vieux françois » comme Calvin, cela compliquerait encore la chose.
Une difficulté supplémentaire serait que je vienne d’une culture totalement différente de la vôtre et que je m’exprime en présupposant que vous connaissez les éléments de ma culture. Prenons l’exemple de la phrase suivante : « le retournement des morts n’a jamais lieu le mardi, car c’est “fady“ de creuser la terre ce jour-là ». Les Malgaches comprendront ce que j’ai écrit (du moins, j’espère !), mais probablement pas ceux qui n’ont aucune connaissance de la culture malgache [Dans les croyances populaires malgaches, le terme « fady » se réfère à un certain nombre d’interdits ou de « tabous ». Le « retournement des morts » est une grande fête de la religion traditionnelle en l’honneur d’un ancêtre décédé dont les restes du cadavre sont sortis de la tombe, entourés d’un nouveau linceul et portés à travers le village avant d’être replacés dans la tombe] .
Le texte biblique combine à peu près toutes ces difficultés : il a été écrit il y a deux ou trois mille ans, dans des langues qui ne sont pas les nôtres, dans une culture bien différente de la nôtre, par divers auteurs humains qui ont chacun leur propre style et niveau de langage.

L’interprétation est donc un aspect essentiel pour l’étude de la Bible. Comment bien interpréter le texte biblique pour ne pas lui faire dire ce qu’il ne dit pas ?
Cette question est d’autant plus importante qu’elle porte non pas sur n’importe quel texte, mais sur la Bible, c’est-à-dire la Parole de Dieu qui fait autorité pour la foi et la vie du chrétien.

2. Le cercle herméneutique

Depuis l’Antiquité, la question de l’interprétation d’un discours a préoccupé les penseurs. Le philosophe grec Aristote lui-même nous a laissé un traité intitulé Peri hermeneias (Au sujet de l’interprétation). Toutefois, la réflexion philosophique sur l’interprétation a connu un fort renouveau dans la seconde moitié du XX e s. avec des philosophes comme l’allemand Hans Georg Gadamer ou le protestant français Paul Ricoeur, têtes de file d’un courant désigné comme celui de « la philosophie herméneutique ».
Ces philosophes ont montré comment l’interprétation est au cœur même de notre vécu. C’est en interprétant que nous construisons notre compréhension du monde et que nous développons notre réflexion.
Je ne vais pas entrer plus dans les détails sur cette réflexion, d’autant plus que la philosophie est loin d’être ma spécialité !
Toutefois, j’aimerais m’arrêter sur un des aspects importants mis en évidence par la réflexion sur l’herméneutique, ce qu’on appelle le cercle herméneutique[ Sur le sujet, voir Valérie Duval-Poujol, 10 clés pour comprendre la Bible, Empreinte temps présent, 2011, p. 11].

La réflexion moderne (ou postmoderne) sur l’herméneutique a mis en lumière l’importance de nos présupposés ou de notre vision du monde sur l’interprétation d’un texte. Nous n’arrivons jamais « neutre » face à un passage biblique : nous l’abordons avec un certain nombre de connaissances, avec certaines facultés pour la lecture, avec aussi un vécu propre ou un arrière-plan ecclésial particulier. Tous ces éléments vont influencer notre interprétation du texte : nous allons les « projeter » sur le texte. II est donc important d’en être conscient.
Par exemple, si j’ai un vécu marqué par de nombreux problèmes de santé, je vais avoir un regard différent sur les textes qui parlent de la maladie ou la guérison que si j’ai toujours vécu en bonne santé.
Autre exemple : si je viens d’un milieu pentecôtiste, je ne lirai pas de la même manière les textes sur la Pentecôte que si je viens d’un milieu non-charismatique.
Prendre conscience de nos présupposés nous permet d’être plus lucides dans notre compréhension ou notre interprétation du texte biblique. [ NDLR : Voir à ce sujet l’article de Jean Lacombe dans le même numéro sur nos biais cognitifs.] Nous aurons ainsi plus de facilités à laisser le texte nous interpeller et nous bousculer. Car si nos présupposés influencent notre interprétation du texte, cette interprétation du texte va aussi influencer notre « perception » de la réalité. Lorsque je lis la Bible en la laissant me remettre en question, je ne vois plus les choses de la même manière : j’évolue dans ma conception du monde, dans ma compréhension de mes relations, et surtout dans ma relation à Dieu.
Mais le processus ne s’arrête pas là : il s’agit d’un « cercle herméneutique », c’est-à-dire d’un processus cyclique, d’un aller-retour constant. En effet, si le texte modifie ma vision du monde, lorsque je retourne vers le texte biblique, mes présupposés ont évolué, et cela influence ma compréhension du texte. Cette nouvelle compréhension me permet d’évoluer dans ma vision du monde, et de re-re-lire à nouveau le texte différemment… Et ainsi de suite ! C’est peut-être pour cela que l’on peut passer sa vie à lire et relire la Bible en faisant toujours de nouvelles découvertes et en étant sans cesse interpellés par de nouveaux éléments. Cela est d’autant plus vrai que la Bible n’est pas un livre comme les autres : il s’agit de la Parole de Dieu !
Tout en étant conscient de la valeur du cercle herméneutique, il ne faudrait toutefois pas en conclure que toute lecture du texte biblique est subjective et que chacun, selon son vécu, peut y trouver son propre sens. Certaines approches actuelles ont cette tendance à dire qu’il n’y a pas une bonne ou une mauvaise interprétation : à chacun sa lecture ! Lorsque Moïse, David, Paul ou Pierre ont écrit, ils avaient bien un sens particulier en tête. Ils n’ont pas juste aligné des mots au hasard pour que chacun puisse y mettre le sens qu’il veut, sous l’inspiration du Saint-Esprit.
L’intérêt de l’approche herméneutique moderne est qu’elle attire l’attention sur l’importance de nos présupposés dans notre interprétation. L’objectif n’est pas de laisser ces présupposés influencer librement notre interprétation. C’est plutôt l’inverse : si nous arrivons à prendre conscience de nos présupposés, nous devrions pouvoir mieux les mettre de côté pour discerner le sens « objectif » de la Parole de Dieu.

3. Trois étapes pour interpréter un texte biblique

Le processus d’interprétation du texte biblique est généralement divisé en deux étapes : l’exégèse et l’actualisation du texte. J’y ajouterai une étape intermédiaire.

L’exégèse consiste en une étude minutieuse du texte biblique pour essayer d’en comprendre le sens original. Au cours de cette première étape, je ne me préoccupe pas de ce que le texte me dit « à moi », mais de ce qu’il disait à ses premiers destinataires.
Je vais donc m’intéresser aux mots du texte original, à son contexte historique ou culturel, etc.
Une fois le texte compris, l’objectif est de pouvoir repérer un ou plusieurs principes universels et atemporels que l’on peut déduire du texte biblique.
Si je comprends bien le texte dans son contexte d’origine, je pourrai repérer ce qui est valable au-delà de ce contexte : le principe du texte.

Une fois ce principe mis en lumière, je pourrai ensuite réfléchir à l’application de ce texte dans mon contexte actuel. C’est là l’objectif de l’interprétation biblique ! Le but de l’étude de la Bible n’est pas de devenir un expert du Proche-Orient ancien ou du grec biblique ; l’objectif est de pouvoir appliquer la Parole de Dieu de manière juste et pertinente dans notre contexte et dans ma vie.


Une des richesses de la Bible est de contenir des genres littéraires très différents qui nous permettent d’aborder la révélation de Dieu sous des approches variées. Chaque genre a ses propres règles d’interprétation. Deux d’entre eux, largement présents dans l’A.T., sont particulièrement délicats à interpréter. Cet article vise à donner très simplement quelques principes d’interprétation pour chacun de ces genres.

Le genre narratif

Une définition

Le genre narratif recouvre des récits de faits, d’actions, de personnages, d’événements. Nous y voyons les humains agir, parfois aussi Dieu agir. Il s’agit d’une sorte de reportage, souvent sans évaluation de la situation décrite.
Le genre narratif recouvre une grande partie de la Bible. Parfois il concerne un livre tout entier (1-2 Samuel, Esther,…), ou parfois seulement certaines sections (Exode, Jonas, les Évangiles,…).

Quelques principes d’interprétation à retenir

1. Ne pas allégoriser les histoires bibliques
Allégoriser serait considérer que chaque détail du récit correspond à une interprétation spirituelle. Par exemple, j’ai entendu quelqu’un dire que l’arche de Noé représentait l’Église, malmenée par les flots du monde, mais qui, finalement, échapperait aux dangers et que le bitume dont l’arche était enduite était le Saint-Esprit ! L’allégorisation n’est rien de plus que la projection de notre imagination.

2. Ne pas moraliser les histoires bibliques
Certains messages sur David ou Abraham tirent essentiellement des leçons morales de leurs vies.
Il faut se souvenir que Jésus est le seul héros de la Bible ; tous les autres « héros » de la Bible sont des pécheurs ! Il s’agit avant tout de comprendre la manière dont Dieu travaillait avec eux pour en tirer des leçons — même si, à l’occasion, ces personnes sont explicitement présentées en exemple et qu’il est aussi possible de tirer de leurs vies quelques exhortations pour notre manière de vivre.

3. Savoir qu’une histoire n’est pas nécessairement un exemple
Un fait rapporté dans l’Écriture n’est pas forcément normatif pour ma vie. Par exemple, le vœu peu sage de Jephthé ne doit pas nous conduire à dire : il faut accomplir ses vœux même s’ils sont erronés [NDLR : Pour une autre compréhension du récit de Jephthé, voir Daniel Arnold, Le livre des Juges, Emmaüs, 2015.] .
La Bible rapporte le fait sans porter de jugement ; il faut l’apport des autres textes de l’Écriture pour juger si telle action est à imiter ou non.

4. Noter qu’un récit nous rapporte ce que Dieu a fait, mais pas nécessairement ce qu’il fera
Dieu a permis à Élie de faire descendre le feu du ciel.
Peut-il encore le faire ? Certainement ! Mais veut-il le faire systématiquement ? Absolument pas ! Dieu a fait venir le déluge et a toujours la capacité de le faire, mais il a lui-même dit qu’il ne le ferait plus jamais. On ne peut donc pas prendre un récit de l’Écriture pour l’ériger en norme.

5. Rechercher en quoi un récit contribue au but général d’un livre biblique
C’est souvent dans cette perspective que se révèle le sens d’une histoire. Par exemple, le livre d’Esther démontre comment Dieu règne à travers des hommes et des femmes bien imparfaits. Or la moralisation à outrance de la reine Esther ne rend pas justice à son personnage. De plus, ce livre se lit aussi en contraste avec la délivrance que Dieu va finalement opérer au travers d’un Sauveur qui, lui, est parfait.

Le genre prophétique

Une définition

Le genre prophétique désigne un message délivré par un prophète. Celui-ci est un messager qui « parle devant » : devant Dieu et devant les humains qu’il exhorte à respecter l’alliance que Dieu a conclue avec son peuple. Il dénonce, met en garde, avertit, condamne, console ou annonce le futur.
Le genre prophétique couvre les livres des prophètes, d’Ésaïe à Malachie, en plus de textes plus épars au sein d’autres livres.
C’est aussi un genre à propos duquel il existe une grande variété d’interprétations parmi les chrétiens.

Quelques principes d’interprétation à retenir

1. Intégrer le prophète dans la grande histoire de l’Ancien Testament 
Pour le comprendre, il est nécessaire de situer le prophète chronologiquement. Vers -2000 environ, Dieu conclut une alliance avec Abraham au travers duquel il bénira tous les peuples de la terre. Cette alliance se précise au fil des siècles et, vers -1500, Dieu donne par Moïse la loi au peuple descendant d’Abraham. Cette loi démontre le péché et l’incapacité du peuple d’Israël à y obéir. Dieu va donc continuer à se révéler et, vers -1000, un roi, David, est établi pour orienter la nation ; Dieu établit avec lui une nouvelle alliance dynastique qui pointe vers le Messie, qui sera Jésus-Christ. La désobéissance du peuple conduit à une déportation en deux temps (-722 et -586), avant un retour partiel de Juda sur sa terre.

2. Connaître le contexte historique immédiat
Le prophète parle-t-il au royaume du nord ou du sud ? Quelle est l’histoire récente du peuple ? Quel est le roi en place ? Est-il fidèle ou non ? Quelle est la menace qui guette ? Quelles sont les guerres récentes ou proches ?

3. Garder le schéma cyclique global : péché – déshonneur – rédemption – honneur
Ce schéma se répète tout au long de l’A.T. Il préfigure une libération en deux étapes : tout d’abord, dans la personne de Jésus-Christ qui résoudra le problème du péché et finalement dans le royaume éternel qui établira une société sans plus de corruption.
Les prophètes annoncent un changement intérieur personnel par le Messie et un rétablissement final qui touchera non seulement l’individu mais toute la société de ceux qui auront fait confiance à Christ et qui vivront dans une harmonie d’amour inconnue jusque-là.

4. Intégrer les réalisations successives
Une image est souvent donnée pour illustrer le genre prophétique, celle d’une vue d’une chaîne de montagnes : deux sommets semblent être proches l’un de l’autre, mais arrivé en haut du premier, on se rend compte qu’une grande vallée le sépare du second. Les prophéties sont souvent ainsi : elles annoncent une première délivrance, puis une ultime délivrance sans qu’on perçoive à la lecture qu’entre les deux peut se dérouler un grand laps de temps. L’accomplissement de ce que le prophète promet peut être en partie proche, en partie distant et en partie très distant. Il est important de ne pas limiter le texte à une seule réalisation.

5. Être conscient que l’interprétation d’une prophétie spécifique sera souvent orientée par nos options de théologique systématique
Par exemple, certains vont comprendre Ésaïe 11 comme se référant symboliquement à la période de l’Église, d’autres littéralement au règne de Christ pendant le millénium et d’autres encore comme faisant allusion à l’éternité. Cherchons avant tout à retenir l’enseignement propre de chaque section des prophètes sans vouloir immédiatement la situer dans notre schéma prophétique d’ensemble.