PROMESSES

Un ministre de la reine d’Éthiopie est venu à Jérusalem pour adorer Dieu. Il repart avec une partie de la révélation de Dieu et se met à la lire attentivement et même à haute voix dès le début du long trajet de retour : il craint Dieu, il le recherche avec soin. Pourtant le texte lui paraît incompréhensible, hermétique.
Un ange envoie Philippe dans la direction de l’Éthiopien, l’Esprit lui dit de s’approcher de son char. Philippe observe cet homme absorbé dans sa lecture laborieuse et comprend sa mission  : être l’instrument de Dieu pour rendre le texte compréhensible, grâce à un peu… d’herméneutique.
«  Comprends-tu ce que tu lis  ? Il répondit  : Comment le pourrais-je, si quelqu’un ne me guide ?
Et il invita Philippe à monter et à s’asseoir avec lui […]. Philippe, ouvrant la bouche et commençant par ce passage, lui annonça la bonne nouvelle de Jésus. » (Act 8.30,31,35)

La Parole de Dieu est à la fois claire et obscure :
• «  Ta parole est une lampe à mes pieds, et une lumière sur mon sentier » (Ps 119.105) : La Parole est assez claire pour me faire comprendre où sont mes pieds, c’est-à-dire ma situation personnelle actuelle  ; elle éclaire aussi mon sentier  en me montrant la direction à suivre, les personnes avec qui je voyage, les dangers à éviter et les belles choses à voir. La lecture personnelle de la Bible permet de comprendre l’essentiel : qui est Dieu, comment il nous voit, ses attentes et ses offres, ses encouragements et ses avertissements.
• « Il y a des points difficiles à comprendre, dont les personnes ignorantes et mal affermies tordent le sens » (2 Pi 3.16) : Dieu est infiniment grand  ! Cette grandeur dépasse souvent nos capacités de compréhension (1  Cor 13.12). C’est pourquoi nous avons besoin de l’étudier, de bien appliquer des règles d’interprétation (l’herméneutique) et d’accepter de recevoir l’aide de personnes douées par Dieu pour nous aider… comme Philippe pour l’Éthiopien.


Quand je lis la Bible avec des pauvres ou des gens habitués à la drogue ou engagés dans une vie criminelle, ils me disent qu’ils évitent la Bible parce qu’ils pensent y trouver leur sentence. Ils regardent Dieu comme un policier ou comme un juge céleste, et la Bible comme un code de lois et de sentences. Ce mauvais postulat sous-jacent doit être ciblé par une bonne nouvelle précise et inspirée. Notre façon d’interpréter la Bible est toujours affectée par notre contexte et le contexte des gens avec qui nous lisons. Plus nous en sommes conscients, mieux nous pouvons naviguer dans ces eaux complexes.

Si l’on a à cœur de partager la Parole de Dieu avec d’autres, il est mportant de choisir des textes bibliques qui abordent les vraies questions qu’ils se posent pour qu’elle ait son influence libératrice.
Auparavant, étudions d’abord le texte pour nous-mêmes. Voici quelques étapes d’une étude soigneuse d’un texte biblique :
• Demander l’inspiration du Saint Esprit pour illuminer la lecture et l’étude.
• Choisir une bonne traduction de la Bible.
• Déterminer où le texte commence et se termine en fonction des détails du texte (changement de thème, de situation, etc.).
• Lire le texte sélectionné, et le diviser en parties plus courtes.
• Lire les sections qui précèdent et suivent le texte choisi pour comprendre le récit à la lumière de son contexte littéraire immédiat.
• Essayer de lire le récit plus global des chapitres entourant le passage sélectionné, en se demandant comment le texte s’insère dans le contexte plus large de ce livre de la Bible.
• Considérer la place de ce texte dans son « contexte canonique » au sein de la Bible tout entière pour comprendre comment il s’insère dans le récit global du plan de Dieu.
• Comparer différentes traductions de la Bible pour repérer les différences importantes.
• Établir la structure du texte en tenant compte des détails littéraires.
• Prendre en considération la signification des mots et leur emploi par ailleurs dans le livre ou dans la Bible.
• Discerner sur quels versets ou expressions du texte se concentrer et quel est son point central.
• Repérer les difficultés du texte et les questions que nous nous posons.
• Identifier les messages libérateurs qui ressortent ou découlent du texte. La Bible est avant tout une « bonne nouvelle » !
• Consulter les commentaires seulement après avoir fait notre propre recherche.
• Résumer nos découvertes.

Nous pourrons ensuite partager ce trésor avec d’autres :
• en dirigeant des études bibliques interactives,
• en adaptant notre façon de nous exprimer à leurs données culturelles, leurs préjugés et leur niveau d’éducation,
• en repérant les points d’ancrage entre le texte biblique, nous-mêmes et ceux avec qui nous lisons la Bible,
• en restant ouverts aux interruptions ou aux révélations de type prophétique, aux pensées spontanées.
La lecture de la Bible aura alors une action libératrice. Dans son ministère, Jésus combinait l’enseignement et la prédication avec la guérison, le plaidoyer, les gestes d’inclusion et la libération spirituelle. L’action libératrice du Saint-Esprit par la Parole est toujours accessible !

 


1. Le dilemme de l’interprète

L’humain est « fait à l’image de Dieu » (Jac 3.9) ; il possède une intelligence et une conscience. Mais il s’est éloigné de Dieu depuis qu’il a choisi de lui désobéir pour écouter le diable. Conséquence de ce choix : « Le dieu de ce siècle a aveuglé l’intelligence [des incrédules], afin qu’ils ne voient pas briller la splendeur de l’Évangile de la gloire de Christ, qui est l’image de Dieu. » (2 Cor 4.4) Certes, la Parole garde sa puissance propre : « la Parole de Dieu est vivante et efficace, plus tranchante qu’une épée à deux tranchants […] elle juge les sentiments et les pensées du cœur. » (Héb 4.12) Mais l’incrédule ne peut pas la comprendre dans son ensemble et dans sa profondeur. Pour en être un interprète valable, il doit devenir un être renouvelé.

L’homme nouveau : apte à comprendre la pensée de Dieu

L’être humain renouvelé bénéficie de l’aide du Saint-Esprit, selon la promesse de Jésus : « Quand le consolateur sera venu, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans toute la vérité ; car il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il aura entendu, et il vous annoncera les choses à venir. Il me glorifiera, parce qu’il prendra de ce qui est à moi, et vous l’annoncera. » (Jean 16.13-14) Paul explique à ses amis de Corinthe : « Personne ne connaît les choses de Dieu, si ce n’est l’Esprit de Dieu. Or nous, nous n’avons pas reçu l’esprit du monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, afin que nous connaissions les choses que Dieu nous a données par sa grâce. » (1 Cor 2.11-12)

Le croyant est donc délivré du pouvoir aveuglant des ténèbres ; le renouvellement de son intelligence le transforme (Rom 12.2) ; le Saint-Esprit le conduit dans la vérité (Jean 16.13-14) ; Dieu donne des enseignants à l’Église pour expliquer sa Parole, des pasteurs et des prophètes (Éph 4.11) pour l’appliquer à des situations particulières.
Toutes ces ressources communes le rendent apte à comprendre les Écritures. En théorie, elles devraient même aboutir à une interprétation commune de chaque partie de la Bible ! Alors pourquoi autant d’interprétations différentes des mêmes textes ?

L’homme nouveau : en devenir

« Naître de nouveau », « être régénéré », « avoir la vie éternelle » (Jean 3.3 ; 1 Pi 1.23 ; Jean 10.28) : ces expressions désignent l’aspect immédiat de l’œuvre de Dieu en nous. Cela est comparable avec une naturalisation : à un moment précis, le citoyen d’un pays X devient citoyen d’un pays Y. D’un jour à l’autre, il acquiert tous les droits et devoirs accordés par le pays Y à tous ses citoyens ; c’est une transformation instantanée, radicale, incontestable, définitive. Mais ce nouveau citoyen ne change pas de langue et de culture instantanément. Il est déjà un citoyen de Y ; il n’est pas encore pleinement intégré dans la société. Il doit beaucoup apprendre pour se sentir à l’aise et en sécurité, pour s’intégrer, maîtriser les codes de communication, les usages, l’humour. De même la transformation du nouveau converti est immédiate pour son statut d’enfant de Dieu, mais progressive dans sa mise en place.

Le croyant acquiert le salut dès le jour de sa conversion, mais c’est un nouveau-né spirituel. Il lui reste à grandir, à « mettre en œuvre son salut avec crainte et tremblement » (Phil 2.12) ; il est un disciple, autrement dit il commence un apprentissage. Il est débarrassé de la dictature de la nature humaine ; mais la grande mise à jour de son intelligence ne sera jamais achevée sur la terre.

Chacun garde donc des traces de sa nature humaine pécheresse. Ces traces varient d’un individu à l’autre, d’une communauté à l’autre, elles ont une grande influence sur nos raisonnements, nos analyses, nos décisions et nos choix. Elles biaisent ses capacités d’interprétation. L’action illuminatrice de l’Esprit en nous pour nous aider à comprendre la Parole de Dieu est souvent [parfois ?] entravée (cf. Éph 4.30 ; 1 Th 5.19). Nous peinons à saisir la pensée de Dieu par manque de spiritualité (cf. 1 Cor 3.1-3 ; Héb 5.11b-14).

2. Les parasites de l’interprète

Les traducteurs respectueux de la Bible maîtrisent bien les langues originales, se familiarisent avec le contexte historique et social, travaillent en équipe interculturelle, procèdent à de nombreux contrôles. Ils minimisent ainsi le risque d’erreur.

Le lecteur de la Bible est quant à lui davantage exposé aux risques d’erreur d’interprétation lorsqu’il cherche à comprendre le sens du texte au moment de sa rédaction et aujourd’hui. Cette personne ne dispose ni des moyens ni du temps pour explorer et vérifier toutes les pistes. Son interprétation du texte résultera donc d’un processus rapide et simplifié. Par ailleurs, elle va inconsciemment laisser des mécanismes psychologiques automatiques influencer ou orienter ses analyses et commentaires.
Ces mécanismes sont maintenant appelés « biais cognitifs » car ils biaisent la construction de nos connaissances. Citons quelques-uns d’entre eux qui affectent notre manière d’interpréter la Bible.

Biais liés à la personne

• L’aversion à la perte  : je rejette une interprétation contraire à celle que j’ai défendue, du seul fait qu’elle remet en cause mon statut et ma crédibilité ; cela concerne particulièrement les sujets à charge émotionnelle élevée ou à valeur identitaire. C’était le cas des pharisiens qui refusaient les enseignements de Jésus car ils remettaient en cause leur place d’autorité.
• L’aversion au doute : je préfère affirmer une interprétation faiblement argumentée plutôt que me reconnaître en incapacité d’en fournir une.
• L’illusion du savoir : je surestime ma maîtrise d’un sujet ou je n’analyse pas spécifiquement une situation parce que je me contente de transposer une autre situation connue qui lui ressemble.
• L’insensibilité à des situations non vécues : je vais interpréter en fonction de mon vécu personnel seulement. Ainsi un jeune Européen imagine mal la détresse provoquée par une famine (Ruth 1.1) ou par une guerre (1 Sam 17.11).
• Le biais de croyance : le jugement sur la logique d’un argument est biaisé par la croyance en la vérité ou la fausseté de la conclusion, ou par les conséquences de cette conclusion. Par exemple, je vais rejeter tel argument pourtant logiquement fondé parce qu’il m’obligerait à changer une habitude que je veux conserver.

Biais liés au groupe

• L’attachement inconditionnel à un leader, à un enseignant ou à un groupe d’élite : tout ce que le leader ou le groupe dit est impossible à remettre en cause et seule son interprétation est recevable.
• Le biais de groupe : c’est la tendance à appuyer les idées du groupe auquel on appartient ou du leader auquel on se réfère, pour être bien intégré et valorisé. On refusera de remettre en cause une interprétation douteuse tenue par notre église locale car cela pourrait conduire à être marginalisé ou rejeté par elle.
• Le biais culturel  : interpréter et juger des événements du passé à travers le filtre de nos références culturelles ou théologiques actuelles.
Par exemple, nous croirons voir de l’humour dans un texte biblique alors que les contemporains de l’auteur avaient probablement un humour différent du nôtre.
• L’effet de vérité illusoire  : j’accepte une interprétation du simple fait que je l’ai déjà lue ou entendue, sans la vérifier soigneusement.
• L’effet de répétition  : une interprétation entendue souvent et depuis longtemps paraît plus fiable qu’une autre plus récente.

Biais liés à la façon de lire la Bible

• Le biais de confirmation : c’est une attention particulière pour les textes qui appuient l’idée qu’on a déjà et une tendance à ne pas s’arrêter sur ceux qui semblent s’écarter de cette idée. Cela est proche des biais de statu quo (résistance de principe au changement, qui perturbe et menace) et de confirmation d’hypothèse (au cours d’une recherche, on privilégie les informations qui confortent l’hypothèse de départ).
• L’attachement à un code typologique rigide : par exemple, la mer est systématiquement interprétée comme désignant le monde, le levain comme représentant le péché — sans tenir compte du contexte et de la diversité des images bibliques.
• Le biais de l’unité biblique : on va extrapoler des transpositions de l’A.T. au N.T. sans tenir compte de la progression de la révélation et de la novation de la nouvelle alliance, en abusant de l’argument de l’unité de la Bible.
• Le biais rétrospectif : on juge des comportements ou des événements après coup, quand on connaît la fin de l’histoire. Par exemple, les interventions de Pierre dans les Évangiles vont être systématiquement interprétées de façon négative, sous prétexte qu’il a ensuite renié Jésus.
• La primauté donnée à l’émotion : je fais une lecture uniquement émotionnelle de la Parole, donc très superficielle et partielle : je retiens « ce qui me touche aujourd’hui », un mot, une expression.

3. Un cadre indispensable pour une bonne interprétation

En résumé, bien interpréter la Bible suppose :
• Une prière d’humilité demandant l’aide du Saint-Esprit.
• Une conviction ferme de l’inspiration divine de l’Écriture et donc de son autorité (2 Tim 3.16).
• Un examen honnête de soi-même (2 Cor 13.5) et le désir de se laisser examiner par Dieu (Ps 139.23-24) pour dépister autant que possible les « biais » qui faussent nos perceptions et analyses.
• Une vraie ouverture pour étudier et évaluer des interprétations différentes des miennes.
• Un peu de formation à l’herméneutique !


Voici une question souvent posée au sein des églises locales ou entre chrétiens : tous les points de « doctrine » [Nous prenons ici le mot « doctrine » au sens le plus large de « point d’enseignement biblique », qui couvre, au-delà des thèmes proprement doctrinaux, les sujets d’éthique et de comportement.] de la Bible sont-ils également importants pour les chrétiens ? Et si la réponse est négative, comment, alors, déterminer quelles sont les doctrines les plus importantes ? Sur quel(s) critère(s) baser cette hiérarchisation ? Y aurait-il des principes herméneutiques pour nous guider ?

1. Tous les points de doctrine de la Bible sont-ils également importants ?

Des textes bibliques en faveur du « oui »

Un certain nombre de textes semblent conduire à penser que toute la Bible revêt une égale importance :
• La Bible affirme sa propre inspiration dans sa totalité et ses parties : « Toute Écriture est inspirée de Dieu, et utile… » (2 Tim 3.16).
• Jésus insiste sur l’accomplissement total de toute l’Écriture, à la lettre près : « Je vous le dis en vérité : tant que le ciel et la terre ne passeront point, il ne disparaîtra pas de la loi un seul iota ou un seul trait de lettre, jusqu’à ce que tout soit arrivé. » (Mat 5.18 ; cf. 24.35)
• Les raisonnements des auteurs bibliques s’appuient parfois sur des détails « infimes » du texte : par exemple, Paul base son argumentation concernant la réalisation en Christ de la promesse faite à Abraham sur un mot au singulier (Gal 3.16).
• Plusieurs textes insistent sur l’unité des chrétiens qui partagent « une seule foi » (Éph 4.5), ou nous exhortent à avoir « une même pensée » (Phil 2.2).

Des arguments en faveur du « oui »

D’autres arguments peuvent être avancés pour considérer toutes les doctrines au même niveau : • « Sélectionner » les doctrines importantes est difficile.
• On peut facilement craindre des dérives qui conduiraient à trier dans la Bible ce qui nous convient.
• Cela risque de remettre en cause l’inspiration plénière de la Bible.

Des textes bibliques en faveur du « non »

D’autres textes bibliques orientent vers une différenciation entre les textes :
• Jésus lui-même, dans sa controverse avec les pharisiens qui lui demandaient quel est le plus grand commandement de la loi, ne se défausse pas en répondant que tous sont également importants, mais il donne les deux premiers selon lui (Mat 22.35-40).
• Paul exhorte à accueillir les personnes d’opinions différentes sur certains points, comme les prescriptions alimentaires, sans discuter leurs opinions (Rom 14.1) — même si lui-même ne s’estime pas lié par des interdits alimentaires.
• Nous trouvons des marqueurs explicites dans les textes bibliques comme : « premièrement », « avant tout », « d’abord »…

Des arguments en faveur du « non »

• La Bible reconnaît que des péchés sont plus importants que d’autres. Par analogie, les textes qui condamnent les plus sérieux ont forcément plus de poids que ceux qui relèvent les moins graves.
• Selon Jean Calvin, « tous les articles de la doctrine de Dieu n’ont pas la même valeur. Certains sont tellement nécessaires à connaître que personne ne doit en douter. D’autres sont en débat parmi les Églises, sans rompre, cependant, leur unité. » (Institution de la religion chrétienne, IV.1.12)
• Selon Henri Blocher, « lorsque des hommes de Dieu scientifiquement compétents, et qui se veulent tout à fait dociles devant l’Écriture, se trouvent en grand nombre dans les deux camps d’une controverse, nous pouvons présumer que l’objet du débat n’appartient pas au cœur absolument vital du christianisme. » (« L’unité chrétienne selon la Bible », Théologie évangélique, 9)

Conclusion

Un « non » nuancé nous semble s’imposer. S’il est fondamental de tenir ferme à l’inspiration totale et entière de toute l’Écriture, il est nécessaire de prendre en compte la hiérarchisation présente dans les textes eux-mêmes.

2. Quels principes herméneutiques permettent de hiérarchiser les doctrines ?

Des expressions explicites

Comme indiqué, les auteurs bibliques (ou Jésus qu’ils citent) n’hésitent pas à préciser les points les plus importants à leurs yeux par des formules explicites.
Relevons quelques exemples :
• « Avant tout » : « Je vous ai enseigné avant tout, comme je l’avais aussi reçu, que Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures… » (1 Cor 15.3) « Jésus se mit à dire à ses disciples : Avant tout, gardez-vous du levain des pharisiens, qui est l’hypocrisie. » (Luc 12.1) « Avant tout, ayez les uns pour les autres un ardent amour. » (1 Pi 4.8)
• « Premièrement » : « Cherchez premièrement le royaume et la justice de Dieu. » (Mat 6.33) « La sagesse d’en haut est premièrement pure, ensuite… » (Jac 3.17)• « Plus important » : « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous payez la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin, et que vous laissez ce qui est plus important dans la loi, la justice, la miséricorde et la fidélité. » (Mat 23.23)
• « Mieux » : « L’obéissance vaut mieux que les sacrifices. » (1 Sam 15.22) « Il vaut mieux se marier que de brûler. » (1 Cor 7.9)
• « Meilleur » : « [Christ] a obtenu un ministère d’autant supérieur qu’il est le médiateur d’une alliance plus excellente, qui a été établie sur de meilleures promesses. » (Héb 8.6)

Les fréquences

Un mot qui revient à une grande fréquence dans un livre biblique donné — et plus encore dans toute la Bible — a toutes les chances de concerner un sujet majeur pour notre foi. Par exemple, Dieu (ou l’Éternel) et Jésus (ou Christ) sont, de très loin, les mots les plus fréquents de chaque Testament ; or l’Écriture révèle avant tout qui est Dieu et qui est Jésus.

De même, une idée répétée dans plusieurs textes, plus encore sous la plume de différents auteurs, présente vraisemblablement une importance plus grande qu’un point traité par un seul verset. Par exemple, le « baptême pour les morts » (1 Cor 15.29), quel que soit le sens qu’on lui donne, n’aura jamais la même importance que le baptême chrétien que les Évangiles, les Actes et les Épîtres mentionnent à de multiples reprises. Soyons donc particulièrement prudents sur les doctrines évoquées dans un seul texte et qui sont parfois source inutile de tensions, voire de divisions (il suffirait de citer la couverture des femmes en 1 Cor 11 pour faire saisir l’acuité du sujet !).

Le fait que la mort de Jésus soit décrite quatre fois et que chaque évangéliste y consacre une part disproportionnée de sa biographie inspirée suffit à en indiquer l’importance cruciale. De même pour sa résurrection.

La reprise presque mot pour mot des «  Dix commandements » au début de la loi de Sinaï (Ex 20) et en tête du développement des lois du Deutéronome (Deut 5) justifie l’intérêt accordé à ce texte.

Le placement des textes

Les auteurs bibliques, sous la conduite de l’Esprit, ont agencé leurs textes avec grand soin, en particulier en utilisant la forme hébraïque importante du chiasme [ Un chiasme est une figure littéraire qui consiste à reprendre des idées de façon concentrique : A B C D C’ B’ A’. A’ correspond à A, B’ à B, etc. En général, lorsque la symétrie est impaire, la section centrale est la plus importante (D dans cet exemple), suivie des sections A et A’.] . Un texte placé au centre d’un chiasme revêtira ainsi un poids plus important.
Par exemple, 1 Timothée peut être structuré sous forme d’un chiasme qui fait ressortir comme centre les v. 14 à 16 du ch. 3. On peut donc penser que ces versets sont au cœur du message de Paul à Timothée.
D’autres structures sont également éclairantes : entre ses salutations et le début de son développement, Paul résume le message de sa lettre aux Romains dans les v. 16 et 17 du ch. 1. Les points évoqués par ces deux courts versets sont donc fondamentaux à ses yeux.

Les résumés

Les auteurs bibliques donnent parfois des « résumés » de leur doctrine. Par exemple, Paul aborde le sujet de la résurrection en indiquant : « Je vous ai enseigné avant tout, comme je l’avais aussi reçu, que Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures… » En quelques versets, il va donner aux Corinthiens une synthèse de l’Évangile (1 Cor 15.1-11). Toute doctrine y figurant aura donc un poids majeur.

Les thèmes transversaux

Certains thèmes bibliques sont comme des trames qui courent du début à la fin de la révélation divine.
Ils ont comme particularité de ne pas être circonscrits à un livre ou un auteur particulier. Le développement de ces thèmes est cohérent avec l’orientation historico-rédemptrice de l’Écriture et ils trouvent leur résolution et leur finalité en Jésus-Christ.
En voici quelques exemples : les alliances, la gloire, l’expiation, le temple, l’amour, etc.

Le contenu même des textes

Certains textes contiennent dans leur formulation même l’accent de leur importance. C’est particulièrement le cas des versets qui avertissent que, si nous n’y obéissons pas, nous ne pourrons pas être sauvés. Citons, entre autres :
• Confesser Jésus Christ, Fils de Dieu venu comme homme (1 Jean 4.1-3)
• Croire en la résurrection personnelle corporelle de Jésus Christ (1 Cor 15.12-19)
• Croire en la suffisance de l’œuvre de Christ pour le salut (Col 2.4-21)
• Accepter le salut par la foi, sans les œuvres (Act 15.8-11 ; Gal 1.6-9)
• Pardonner aux autres (Mat 18.35)
• S’engager résolument à la suite de Jésus (Mat 10.38-39)
• Renoncer aux œuvres de la chair (Gal 5.19-21)
• Etc. !
Les prédications des apôtres dans le livre des Actes sont aussi un guide intéressant : elles nous indiquent ce qui était, à leurs yeux, essentiel à la foi — en premier lieu la résurrection de Jésus, la repentance ou l’accomplissement en Christ des prophéties de l’A.T.

Conclusion

Sur les points importants, la Bible est claire : nous disposons de plusieurs textes sur le même sujet, sous la plume de différents auteurs ; le sens du texte original n’offre pas d’ambiguïté d’interprétation ; les marqueurs littéraires convergent pour souligner leur entralité.

Sur d’autres points, la Bible semble « volontairement » moins claire. Nous serons donc plus prudents et moins affirmatifs les concernant et nous éviterons d’en faire des sujets de division.

Enfin, n’oublions pas que de nombreux chrétiens ont réfléchi à ce sujet de la hiérarchisation des doctrines au cours des siècles, ont cherché à appliquer soigneusement les meilleurs principes herméneutiques pour discerner les points fondamentaux et ont rédigé des confessions de foi. Quelque imparfaites que restent ces œuvres humaines, elles peuvent aussi nous aider à clarifier les points les plus importants de la doctrine chrétienne.


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Satan cite la Bible, mais il ne l’interprète pas correctement. Dans la scène tristement célèbre de Matthieu 4, Satan utilise les Écritures pour tenter Jésus pour qu’il saute du haut du pinacle du temple : « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : “Il donnera des ordres à ses anges à ton sujet ; et ils te porteront sur les mains, de peur que ton pied ne heurte contre une pierre.” » (Mat 4.6 ; cf. Ps 91.11-12).
Il n’est pas surprenant que Jésus ne tombe pas dans le piège. Oui, Satan a cité un Psaume qui promet que Dieu fournira des anges pour aider son serviteur. Mais Jésus a répondu par un verset biblique choisi avec soin : « Il est aussi écrit : Tu ne tenteras point le Seigneur, ton Dieu. » (Mat 4.7 ; cf. Deut 6.16).
Dans cette histoire, Jésus et Satan citent tous deux la Bible. La différence ? L’interprétation correcte. Au milieu de louanges à Dieu pour sa majesté et son amour, le Psaume 91 mentionne que Dieu mettra des anges à disposition de ceux qui se confient en lui. Le psalmiste n’affirme nulle part que le peuple de Dieu devrait se jeter du haut d’un gratte-ciel pour voir si Dieu est vraiment sincère. S’il s’était jeté du haut du temple, Jésus aurait mis Dieu à l’épreuve ; ç’aurait été un acte téméraire d’orgueil, et non un acte d’humilité dépendante.
Nous ne pouvons pas nous contenter d’accumuler des versets bibliques et de construire des affirmations bibliques sur la base d’une poignée de textes isolés de leur contexte biblique immédiat et plus large.
Nous devons interpréter la Bible correctement.

Le problème de la sélection des versets

Satan nous montre que citer des expressions et des phrases bibliques qui semblent bien adaptées sur le moment, mais hors de leur contexte, peut être un jeu dangereux. Il est évident que Satan était mal intentionné, mais même s’il avait cité innocemment le verset, le type d’application qu’il suggérait aurait été inapproprié.
La mauvaise sélection des versets est un problème très ancien et a été la source de multiples hérésies tout au long de l’histoire de l’Église.
• Marcion a séparé le Nouveau Testament de l’Ancien parce qu’il percevait un décalage entre le « Dieu en colère de l’Ancien Testament » et le gentil Jésus.
• Arius a nié la divinité de Jésus parce que Proverbes 8 et d’autres passages semblaient soutenir sa subordination au Père.
• Fausto Socin a utilisé un ensemble de passages épars de l’Écriture pour nier le péché originel et la préexistence de Jésus.

Dans tous les cas, l’hérésie était au rendez-vous.
En effet, on peut citer abondamment la Bible et pourtant l’enseigner de manière erronée.

Parmi les exemples modernes, citons les posts Instagram qui citent Philippiens 4.13 [« Je puis tout par celui qui me fortifie. »] et les tasses à café où est imprimé Jérémie 29.11 [« Car je connais les projets que j’ai formés sur vous, dit l’Éternel, projets de paix et non de malheur, afin de vous donner un avenir et de l’espérance. »]. Dans les deux cas, ces versets semblent promettre une bénédiction matérielle, physique ou même éternelle de la part de Dieu. Cependant, dans les deux cas, le contexte du passage révèle que ces versets sont la promesse de ressources au milieu de la souffrance. Sélectionner ces versets peut sembler innocent à certains, mais c’est aussi la racine du dangereux évangile de la prospérité qui s’est infiltré dans l’Église mondiale.
Depuis le ministère de Jésus jusqu’à notre monde d’aujourd’hui, la sélection de versets a été un fléau pour l’Église et a entraîné d’innombrables conséquences négatives.

Deux clés de l’interprétation biblique

Nous pouvons résumer le meilleur de l’interprétation biblique à chaque époque de l’histoire de l’Église en deux convictions clés : l’une est théologique et l’autre est canonique.

1. La Bible est avant tout un livre théologique cohérent

L’Église a toujours supposé que la Bible est la révélation de Dieu et que, par conséquent, elle constitue une histoire unifiée et non contradictoire.
Dans sa lutte contre des hérésies comme celle de Marcion, Irénée a affirmé que l’unité de Dieu impliquait l’unité de sa révélation. Alors que Marcion a creusé un fossé entre les deux Testaments parce qu’il ne pouvait pas les réconcilier, Irénée a soutenu que nous devrions interpréter les passages les plus difficiles de l’Écriture par les passages les plus clairs.
Plutôt que de supposer une contradiction ou de s’accrocher à quelques versets seulement pour construire une théologie erronée ou biaisée, Irénée enseignait que la Bible était comme une belle mosaïque dans laquelle chaque pièce s’emboîtait — d’une manière ou d’une autre — parce que le Dieu qui ne se contredit pas avait ordonné toute création, y compris l’Écriture, d’une manière non contradictoire. Bien sûr, il est possible dans certains cas d’établir des affirmations doctrinales claires sur la base d’un verset ou d’un passage, mais nous devrions toujours nous assurer que cette affirmation ne contredit pas d’autres parties de l’Écriture.

2. La Bible est un canon — un ensemble de 66 livres qui servent de règle ou de mesure à notre théologie

Ce point découle du premier. Une façon simple de voir l’histoire unifiée de la Bible est de remarquer qu’elle est entièrement autoréférentielle. Il est rare que l’on lise longtemps la Bible sans tomber sur une citation ou une allusion à une autre partie de l’Écriture. Qu’il s’agisse des références à l’intérieur de la Loi de Moïse à la création ou à l’exode, ou des références constantes des auteurs du Nouveau Testament à l’Ancien, la Bible oblige ses lecteurs à la considérer comme une histoire unifiée. Si tel est le cas, alors les auteurs bibliques divinement inspirés nous enseignent eux-mêmes à interpréter la Bible comme un tout. Sélectionner des versets bibliques pour prouver ses hypothèses théologiques personnelles, c’est aller à l’encontre du sens même de l’Écriture.

Interpréter la Bible pour adorer et pour vivre

Nous adorons Dieu correctement lorsque nous lisons sa Parole correctement. Matthieu 4 suffit pour montrer que sélectionner des versets bibliques peut être même satanique. La plupart des gens n’utilisent pas la Bible de manière malveillante comme l’a fait Satan, mais cette scène est néanmoins instructive pour nous.
Jésus nous a donné l’exemple d’une interprétation correcte à ce moment-là. Lorsqu’il a été confronté au Psaume 91, il a soumis la lecture de Satan à une grille d’interprétation avant de supposer qu’elle était correcte. Le Psaume 91 pris isolément pourrait indiquer que Dieu envoie toujours des anges pour aider les siens dans tous les cas de figure. Cependant, lorsque ce Psaume est mis en relation canonique avec Deutéronome 6, sa signification et son application sont clarifiées. Dieu pourvoira à nos besoins, mais ses ressources ne sont pas un jeu à manipuler ou à tordre.

Nous ne sommes pas le Fils parfait de Dieu, le Verbe lui-même. Mais il est néanmoins notre exemple lorsqu’il s’agit de comprendre l’Écriture. C’est lui qui a rappelé aux lecteurs de la Bible de son temps que la Bible est une histoire unifiée centrée sur lui (Jean 5 ; Luc 24). Par la puissance de l’Esprit, nous sommes capables de comprendre cette révélation divine afin de pouvoir adorer et vivre de façon juste en obéissant à sa Parole (1 Cor 2).

Laissons Jésus être notre divin maître afin que, instruits par Dieu, nous puissions dire avec les apôtres : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. » (Jean 6.68)


Les personnes qui étudient la Bible aiment parler du « texte original grec ». Les prédicateurs aussi. Certains semblent même mettre un point d’honneur à intégrer du grec dans leurs prédications le plus souvent possible.

Bien entendu, il n’y a rien de mal à vouloir savoir des choses sur la langue par laquelle Dieu a parlé dans le N.T. Mais cela n’est pas sans dangers parce que la plupart des chrétiens ne connaissent pas du tout le grec, ou (ce qui est à peu près la même chose) en savent juste assez pour être capables de faire des recherches sur des mots grecs individuels. Imaginez comment un locuteur étranger massacrerait votre langue maternelle si tout ce qu’il faisait était de chercher des mots individuels dans le dictionnaire.
Cette pratique est jonchée de ce que D.A. Carson a appelé des « erreurs d’exégèse » [ NDLR : Nous recommandons chaudement la lecture et l’étude du livre de D.A. Carson, Erreurs d’exégèse, Impact, 2012]. Ce petit article est ma manière à moi de résumer quelques-unes des leçons de Carson, afin de nous aider à apprendre comment nous dispenser du grec dans l’étude de la Bible.

1. L’usage l’emporte sur l’étymologie : éviter l’erreur de racine

Quand j’étais lycéen et scolarisé à domicile, j’ai suivi un cours d’étymologie. L’étymologie traite des « racines » des mots, c’est-à-dire à l’origine des mots dans la nuit des temps. C’est un sujet précieux à étudier et rien de ce que je vais dire dans cet article n’a pour objectif de sous-entendre le contraire.
Néanmoins, la situation devient problématique lorsque les gens pensent à tort que l’étymologie d’un mot leur révèle « ce qu’il signifie réellement ».
Dans mon anglais maternel, nous pouvons voir facilement à quel point cette idée est erronée.
Par exemple, le mot anglais nice (« agréable » en français) vient de la racine latine nescius, signifiant « ignorant ». Mais si vous dites à quelqu’un qu’il est « nice », seul un imbécile répondrait en disant : « Oh, je vois ce que tu penses vraiment ! Tu dis que je suis ignorant ! Toi et tes insultes latines déguisées ! »
Personne ne le fait dans sa langue maternelle, mais de nombreux chrétiens font exactement cela lorsqu’ils étudient la Bible. Ils cherchent les mots grecs dans leur concordance), trouvent la racine grecque originelle et en concluent qu’ils ont trouvé le sens « réel » du mot. C’est ce que Carson appelle « l’erreur de racine » [ NdT : en anglais, D.A. Carson fait un jeu de mot intraduisible, l’expression « root fallacy  » pouvant signifier à la fois « erreur de racine » et « erreur fondamentale »].
Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : les racines et l’étymologie sont de bonnes choses.
Elles peuvent parfois vous fournir une histoire intéressante sur la raison pour laquelle un mot particulier a fini par être utilisé pour décrire une chose particulière. Elles peuvent même vous aider à gagner le concours national d’orthographe. Mais elles ne vous dévoileront jamais le « vrai sens » d’un mot, parce que la signification d’un mot n’est pas déterminée par son étymologie, mais par son usage. La question n’est pas : « D’où vient ce mot ? » mais : « Qu’est-ce que l’auteur ou le l’orateur a voulu dire en l’utilisant ? » […]

Si vous voulez savoir ce que signifie un mot aujourd’hui, vous devez découvrir comment on s’en sert aujourd’hui. C’est ce qu’un dictionnaire récent vous apprendra. Pour les étudiants de la Bible, vous trouverez aussi cela dans un bon glossaire. L’un des meilleurs outils en anglais pour étudier la Bible de nos jours est le Complete Expository Dictionary of Old and New Testament Words de William Mounce.
Cet ouvrage contient également une partie très utile intitulée « Comment étudier des mots », qui vous mettra en garde contre certains des pièges dont je vous parle.

2. Les spécialistes sont nécessaires : éviter le culte de l’amateur

En matière d’étude de la Bible, de nombreux chrétiens semblent penser que connaître le grec est comme une recette miracle qui révélerait tous les secrets du sens de la Bible. C’est ce que je pensais par le passé et je me suis mis à étudier le grec. La principale chose que j’ai apprise au cours de mes premières semaines de cours était que presque tout ce que je croyais savoir sur cette langue n’était qu’un tissu d’âneries. Il s’avère que l’agape et le philos ne sont pas réellement des formes différentes d’amour, et que l’Évangile n’est pas vraiment la « dynamite » de Dieu. À bien des égards, la langue grecque est beaucoup plus banale que je ne le pensais. Elle apporte des solutions à certaines questions mais en génère aussi d’autres.
Je ne suis pas en train d’essayer de décourager quiconque d’étudier le grec. J’encouragerais plutôt autant de chrétiens que possible à l’apprendre. Mais la réalité est que la plupart des croyants n’en ont pas le temps ou la capacité. La bonne nouvelle est que Dieu n’a jamais voulu que tout (ou même la plupart de) son peuple ait besoin d’apprendre le grec pour comprendre sa Parole. Il existe une heureuse répartition des tâches. Dieu est miséricordieux : certaines personnes deviennent des experts en grec et en hébreu afin que nous autres ne soyons pas tous obligés de le devenir.
Comme l’a récemment observé Robert Plummer : « Dans l’histoire du christianisme, il n’y a jamais eu aussi peu besoin d’étudier les mots qu’aujourd’hui.
Avec la multiplicité d’excellentes traductions de la Bible existant actuellement, les lecteurs de la Bible ont à leur disposition le fruit des méticuleuses recherches des spécialistes. » Et comme le disait le théologien baptiste du XIX e siècle John Dagg :« Les traductions sont suffisantes pour ceux qui n’ont pas accès à l’original inspiré. […] Dieu a estimé qu’il était plus sage et préférable de laisser les membres du Christ expérimenter la nécessité d’une sympathie et d’une dépendance mutuelles, plutôt que de donner tous les dons à chaque individu. Afin d’atteindre l’objectif de sa bienveillance, il a accordé les connaissances nécessaires à la traduction de sa parole à un nombre suffisant d’hommes fidèles. Et la moins précise des traductions dont le peuple peut bénéficier est pleine de vérité divine et capable de rendre sage à salut. »
Si Dagg a raison, et je pense que c’est le cas, alors le réflexe qui va dans le sens de : « Je ne veux pas dépendre des spécialistes » peut être une forme cachée d’orgueil. C’est peut-être la main qui dit au pied : « Je n’ai pas besoin de toi. » Je n’essaie pas de présenter les traducteurs comme une catégorie sacerdotale infaillible. Je veux simplement dire que Dieu ne s’attend pas à ce que nous devenions tous des spécialistes en linguistique et qu’il a donc voulu une répartition des tâches. Il ne faudrait pas remplacer le culte de l’expert par le culte de l’amateur. Nous dépendons des spécialistes, que cela nous plaise ou non.

L’orgueil s’irritera contre cette réalité, et la paranoïa inventera des théories conspirationnistes. Mais en attendant que nous devenions omniscients, omnipotents et omnicompétents, rien ne pourra y changer.

3. Le contexte avant tout : éviter l’erreur de surcharger le sens

L’humilité accueillera cela comme une bonne nouvelle et sera soulagée de voir comment Dieu répartit les tâches. La vérité est malheureusement que beaucoup de chrétiens passent trop de temps à faire des recherches sur les mots en grec et à en tirer des conclusions erronées parce qu’ils ne comprennent pas vraiment le fonctionnement de cette langue (ils en savent souvent juste assez pour être dangereux). Mais pour ceux qui pensent qu’ils ne peuvent pas du tout comprendre la Bible à moins de savoir lire le grec, la bonne nouvelle est que neuf fois sur dix vous comprendrez mieux ce qu’un mot signifie en le lisant simplement dans son contexte.
Voici ce que je veux dire par « le lire dans son contexte » : ne pas se concentrer sur un seul mot.
Lisez la phrase en entier. Ensuite, lisez le paragraphe en entier. La plupart des mots n’ont pas du tout de « sens littéral ». Ils ont plutôt toute une gamme de significations possibles (le terme technique est « champ sémantique »). C’est pourquoi un dictionnaire répertorie généralement plusieurs options possibles. Ce n’est que lorsqu’un mot est utilisé dans un contexte donné que le sens exact apparaît. Mieux vous connaissez une langue et moins vous consacrerez de temps à vous concentrer sur les mots individuels.

Le contexte permet en général de restreindre les significations possibles à une seule (à l’exception de ces choses merveilleuses que l’on appelle des « jeux de mots »). Par exemple, si vous voulez savoir ce que Jean veut dire par le mot « péché » dans 1 Jean 3.4, au lieu de vous concentrer sur le mot péché et de faire une étude approfondie du mot hamartia pour essayer de connaître le sens « réel » de hamartia en fonction de sa racine, lisez toute la phrase : « Le péché, c’est la violation de la loi ». Puis lisez le contexte direct : « Quiconque commet le péché, commet aussi une violation de la loi, et le péché, c’est la violation de la loi. Or, vous le savez, lui (le Seigneur) est apparu pour ôter les péchés ; et il n’y a pas de péché en lui. »
Je ne dis pas que l’étude des mots grecs est quelque chose de mauvais ou de totalement inutile (après tout, le grec n’est pas notre langue maternelle). Mais si vous ne le faites pas correctement, cela vous donnera simplement l’illusion de savoir quelque chose alors que ce n’est clairement pas le cas. La plupart du temps, vous feriez mieux de faire simplement une comparaison entre plusieurs traductions solides. Après tout, les gens qui ont traduit ces versions de la Bible comprennent mieux le grec que vous ou moi ne le ferons jamais. Donc ne rejetez pas leur expertise. Et pendant que vous lisez, faites bien attention au contexte. Un gramme de bonne analyse contextuelle vaut bien un kilo d’étude de mots grecs mal faite.
Alors, prenez vos Bibles dans votre langue et lisez attentivement. Lorsque vous effectuez l’étude des mots, évitez l’erreur de racine, profitez de l’expertise des spécialistes et souvenez-vous que le contexte passe avant tout. Bref, lisez, relisez et relisez à nouveau. Ce n’est pas une méthode d’étude très « glamour » et elle ne vous donnera probablement pas l’impression d’être (ou de paraître) très intelligent, mais elle donnera des résultats beaucoup plus fiables.


Dans cet article, je me concentrerai sur un problème simple, auquel tout lecteur sérieux de la Bible est confronté : Quels textes de la Bible sont des injonctions contraignantes pour nous, et quels textes ne le sont pas ?

Prenons quelques exemples. « Se saluer par un saint baiser » : les Français le font, mais en général, pas les Américains. N’obéissent-ils donc pas à la Bible ? Jésus dit à ses disciples qu’ils doivent se laver les pieds les uns aux autres (Jean 13.14), mais la plupart d’entre nous ne l’ont jamais fait. Pourquoi « désobéissons-nous » à cette simple injonction, alors que nous obéissons à sa demande concernant la cène du Seigneur (« Faites ceci en mémoire de moi ») ? L’injonction faite aux femmes de garder le silence dans l’église est-elle absolue (1 Cor 14.33-36) et si ce n’est pas le cas, pourquoi ? Jésus dit à Nicodème qu’il doit naître de nouveau s’il veut entrer dans le royaume ; il dit au jeune homme riche qu’il doit vendre tout ce qu’il possède et le donner aux pauvres. Pourquoi faisons-nous de la première exigence une obligation absolue pour tous, alors que nous esquivons la seconde ?
Ce qui suit n’est pas une recette complète pour répondre à toutes les questions d’interprétation difficiles, mais quelques lignes directrices préliminaires pour résoudre ces questions, qui ne sont pas classées par ordre d’importance.

1. Cherchez aussi consciencieusement que possible l’équilibre de l’Écriture et évitez de succomber aux oppositions historiques et théologiques.

Historiquement, de nombreux baptistes réformés en Angleterre entre le milieu du XVIII e siècle et le milieu du XX e ont tellement insisté sur la grâce souveraine de Dieu dans l’élection qu’ils se sont sentis mal à l’aise avec les déclarations générales de l’Évangile. Comment dire aux incroyants de se repentir et de croire à l’Évangile, puisqu’ils sont morts dans leurs offenses et leurs péchés, et qu’ils ne peuvent en aucun cas faire partie des élus ? Ils devraient plutôt être poussés à s’examiner eux-mêmes pour voir s’ils ont en eux les premiers signes de l’action de l’Esprit, une conviction de péché, un sentiment de honte. Cette façon de voir n’est a priori pas très biblique, mais de nombreuses Églises ont pensé que c’était la marque de la fidélité. L’équilibre de l’Écriture a été perdu. Un élément de la vérité biblique a été élevé à une position qui lui permet d’annuler ou de prendre le pas sur un autre élément de la vérité biblique.
En fait, « l’équilibre de l’Écriture » n’est pas facile à maintenir, en partie parce qu’il y a différents types d’équilibres dans l’Écriture. Par exemple, il y a l’équilibre des diverses responsabilités qui nous incombent (prier, être fiable au travail, être un conjoint et un parent bibliquement fidèle, évangéliser un voisin, etc.). Il y a aussi l’équilibre de vérités que nous ne pouvons pas encore réconcilier, mais que nous pouvons facilement déformer si nous n’écoutons pas attentivement le texte. Dans chaque cas, un type d’équilibre biblique légèrement différent entre en jeu, mais il reste indispensable de rechercher l’équilibre biblique.

2. Reconnaissez que la nature antithétique de certaines parties de la Bible, est un artifice rhétorique et non un absolu.

C’est le contexte qui doit décider si tel est le cas.
C’est vrai en particulier dans les enseignements de Jésus.
Bien sûr, il y a des antithèses absolues dans l’Écriture qui ne doivent en aucun cas être édulcorées. Par exemple, les oppositions entre les malédictions et les bénédictions de Deutéronome 27-28 : la conduite qui attire les malédictions de Dieu et celle qui gagne son approbation sont en claire opposition.
Mais lorsque Jésus insiste sur le fait que pour devenir son disciple, on doit haïr ses parents (Luc 14.26), nous ne devons pas penser que Jésus approuve la haine entre les membres de la famille. L’enjeu est de prendre conscience que les exigences de Jésus sont plus urgentes et plus contraignantes que les relations humaines les plus précieuses et les plus chères (comme le montre clairement le parallèle de Mat 10.37).
Parfois, l’antithèse apparaît en comparant deux passages éloignés l’un de l’autre. D’une part, selon Jésus, la prière de ses disciples ne doit pas ressembler au bavardage des païens qui pensent être entendus à cause de leurs nombreuses paroles (Mat 6.7). D’autre part, Jésus peut aussi raconter une parabole dont la leçon est que ses disciples doivent prier avec persévérance et ne jamais se lasser (Luc 18.1-8). Pourtant, si nous imaginons que ces deux injonctions s’opposent, nous démontrons non seulement notre ignorance du style de prédication de Jésus, mais aussi notre insensibilité à ses exigences pastorales. La première est vitale pour ceux qui pensent séduire Dieu par leurs interminables prières ; la seconde est vitale pour ceux dont la vie de prière se limite à quelques phrases vite marmonnées.

3. Gardez-vous d’absolutiser ce qui n’est dit ou ordonné qu’une seule fois.

Non pas que Dieu doive dire les choses plus d’une fois pour qu’elles soient vraies ou contraignantes.
Mais plutôt parce que si quelque chose n’est dit qu’une seule fois, il est facile de mal la comprendre ou de l’appliquer à mauvais escient. Lorsqu’une vérité est répétée à plusieurs reprises et dans des contextes légèrement différents, le lecteur saisit mieux le sens et l’enjeu.
Ce principe sous-tend l’une des raisons pour lesquelles la plupart des chrétiens ne considèrent pas le commandement du Christ de se laver les pieds les uns aux autres comme une troisième ordonnance. Le baptême et la cène sont assurément évoqués plus d’une fois, et il y a de nombreuses preuves que l’Église primitive les observait tous les deux, mais on ne peut pas en dire autant du lavage des pieds.

4. Examinez soigneusement la justification biblique de toute parole ou de tout commandement.

Je ne veux pas dire que, si vous ne pouvez pas discerner la justification, vous devriez ignorer le commandement. Il s’agit d’affirmer que Dieu n’est ni arbitraire ni capricieux et qu’il fournit généralement des raisons et des structures de pensée derrière les vérités qu’il révèle et les exigences qu’il formule. Essayer de découvrir cette logique aide à comprendre ce qui constitue l’essence de ce que Dieu dit, et ce qui en est l’expression culturelle particulière.
Avant de donner quelques exemples, il est important de reconnaître que toute l’Écriture est liée à la culture. Une interprétation prudente et pieuse n’implique pas qu’il faille dépouiller ces formes culturelles pour découvrir la vérité absolue sous-jacente, car c’est impossible : nous ne pouvons jamais échapper à notre finitude. Il s’agit de comprendre ces formes culturelles et, par la grâce de Dieu, de découvrir la vérité que Dieu a révélée à travers elles.
Ainsi, lorsque Dieu ordonne aux gens de déchirer leurs vêtements et de revêtir le sac et la cendre, ces actions précises sont-elles à ce point constitutives de l’essence de la repentance qu’il n’y ait pas de véritable repentance sans elles ? Il n’y a pas de théologie du sac et de la cendre ; il y a une théologie de la repentance qui exige à la fois un chagrin radical et un changement profond.
Si ce raisonnement est juste, il a une incidence à la fois sur le lavage des pieds. Bien que cet acte n’apparaisse qu’une seule fois dans le N.T. comme un acte commandé par le Seigneur, l’acte lui-même est théologiquement lié, en Jean 13, au besoin urgent d’humilité du peuple de Dieu et à la croix.

5. Observez attentivement que l’universalité formelle des proverbes n’est que rarement absolue.

Si les proverbes sont traités comme des lois ou des jurisprudences, des erreurs majeures d’interprétation — et d’application pastorale — s’ensuivront inévitablement. Comparons ces deux paroles de Jésus : (a) « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi, et celui qui n’assemble pas avec moi disperse » (Mat 12.30) et (b) «  Qui n’est pas contre nous est pour nous. » (Marc 9.40) Ces affirmations ne sont pas contradictoires si elles sont un avertissement pour la première à des personnes indifférentes, et pour la seconde aux disciples à propos de personnes dont le zèle dépasse la connaissance. Mais les deux déclarations sont certainement difficiles à concilier si chacune est prise de manière absolue, sans réfléchir à ces questions.
Prenons par exemple deux proverbes adjacents : « Ne réponds pas à l’insensé selon sa folie […] Réponds à l’insensé selon sa folie […] » (Prov 26.4-5) S’il s’agit de lois ou d’exemples de jurisprudence, la contradiction est inévitable. D’un autre côté, la seconde ligne de chaque proverbe fournit une justification suffisante pour nous faire entrevoir ce que nous aurions dû voir de toute façon : les proverbes ne sont pas des lois. Ils sont une sagesse distillée, souvent exprimée sous forme d’aphorismes piquants qui demandent réflexion ou qui décrivent des effets dans la société en général (mais pas nécessairement chez chaque individu), ou qui demandent de réfléchir à la manière dont ils s’appliquent et au moment où ils s’appliquent.

6. L’application de certains thèmes doit être traitée avec un soin particulier du fait de la distance historique.

Certains thèmes sont délicats — non seulement en raison de leur complexité intrinsèque, mais aussi à cause des changements dans les structures sociales entre les temps bibliques et notre époque.
« Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures ; car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu. » (Rom 13.1) Une difficulté nouvelle pour appliquer ce texte se fait jour lorsqu’on vit dans une démocratie. En théorie au moins, une démocratie permet de s’opposer à un gouvernement sans violence ni effusion de sang.
Quelles sont précisément les responsabilités du chrétien dans ce cas (quel que soit votre point de vue sur la signification de Romains 13 dans son propre contexte) ?
En d’autres termes, nous vivons dans de nouvelles structures sociales, qui dépassent tout ce que Paul aurait pu imaginer ; elles ne renversent pas ce qu’il a dit, mais elles peuvent nous forcer à introduire des considérations que Paul n’a pas prévues pour appliquer de façon valable et réfléchie ses propos.
Il est très réconfortant, et épistémologiquement important, de se rappeler que Dieu les avait prévues, mais cela ne réduit pas les responsabilités herméneutiques qui sont les nôtres.

7. Déterminez non seulement comment les symboles, les coutumes, les métaphores et les modèles fonctionnent dans les Écritures, mais aussi à quoi ils sont liés.

Est-il acceptable de célébrer la cène avec des ignames et du lait de chèvre dans une église de village en Papouasie ? Et si nous utilisons du pain et du vin, ne sommes-nous pas en train d’insinuer subtilement que seule la nourriture des étrangers blancs est acceptable pour Dieu ?
C’est un problème non seulement ecclésiastique, mais aussi linguistique auquel les traducteurs de la Bible sont confrontés en permanence. Comment traduire « pain » et « vin » ? En effet, ces éléments sont liés à d’autres éléments de la Bible et il est presque impossible de les démêler. Après avoir remplacé « pain » par, disons, « ignames » afin d’éviter tout impérialisme culturel, que faire des liens entre la cène et la Pâque, où seul du pain sans levain devait être mangé : pouvons-nous parler d’« ignames sans levain » ?! Qu’en est-il du lien entre le pain, la manne et Jésus (Jean 6) ? Jésus (je le dis avec respect) va-t-il devenir l’igname de Dieu ?
Ainsi, ce qui commence comme un effort charitable de communication interculturelle conduit à des problèmes d’interprétation majeurs. En outre, les traductions de la Bible ont une durée de vie beaucoup plus longue que ne le pensent généralement les traducteurs. Cinquante ans plus tard, une fois que la tribu s’est familiarisée avec les cultures au-delà de ses forêts et qu’il semble préférable de revenir à un plus grand degré de littéralisme dans une révision, essayez de remplacer « ignames » par « pain » et voyez quel genre de querelles ecclésiastiques éclateront.
Dieu ne nous a pas donné une révélation culturellement neutre. Ce qu’il a révélé par des mots est nécessairement lié à des lieux et à des cultures spécifiques. Toutes les autres cultures doivent faire un effort pour comprendre ce que Dieu voulait dire lorsqu’il a dit certaines choses dans une langue particulière, à un moment et en un lieu précis. Pour une expression, un élément analogue peut être la meilleure façon de la rendre ; pour d’autres expressions, en particulier celles qui sont profondément liées à d’autres éléments de l’histoire de la Bible, il est préférable de rendre les choses plus littéralement, et d’inclure éventuellement une note explicative.

8. Limitez les comparaisons et les analogies en observant les contextes proches et lointains.

Les comparaisons et les analogies sont toujours autolimitées d’une manière ou d’une autre. Sinon, il ne s’agirait pas de comparaisons et d’analogies, mais de deux choses identiques. Ce qui rend possible une comparaison ou une analogie, c’est que deux choses différentes se ressemblent à certains égards. Il est toujours crucial de découvrir les plans sur lesquels les parallèles opèrent — ce qui est généralement précisé par le contexte — et de refuser toute généralisation.
Un disciple doit ressembler à son maître ; nous devons imiter Paul, comme Paul imite le Christ. Sur quels points ? Devons-nous marcher sur l’eau ? nettoyer le temple local avec un fouet ? fournir miraculeusement de la nourriture à des milliers de personnes à partir du repas d’un petit garçon ?
Devrions-nous être crucifiés ? Observons que la plupart des injonctions des Évangiles à suivre Jésus ou à faire ce qu’il fait sont liées à son abnégation : par exemple, de même qu’il est haï, nous devons nous attendre à être haïs (Jean 15.18) ; comme il va à la croix, nous devons prendre notre croix et le suivre (Mat 10.38 ; 16.24). Ainsi, la réponse à la question « Devrions-nous être crucifiés ? » est certainement oui et non : non, pas littéralement, diront la plupart d’entre nous, et pourtant cela ne justifie pas d’échapper complètement à l’exigence de prendre notre croix et de le suivre. Dans ce cas, la réponse est donc « oui », mais pas littéralement.

9. De nombreux mandats sont limités pastoralement par l’occasion ou les personnes auxquelles ils s’adressent.

L’Écriture offre de nombreux exemples de l’importance du contexte pastoral. Paul peut dire qu’il est bon pour un homme de ne pas toucher une femme (1 Cor 7.1). Mais, poursuit-il, il y a aussi de bonnes raisons de se marier, et il conclut finalement que le célibat et le mariage sont des dons de Dieu (1 Cor 7.7). Il n’est pas nécessaire de lire entre les lignes pour comprendre que l’église de Corinthe comprenait des personnes portées à l’ascétisme et d’autres en danger de promiscuité sexuelle (cf. 1 Cor 6.12-20). L’argument « Oui, mais » de Paul est empreint d’une sensibilité pastorale, qu’il déploie plus d’une fois dans cette lettre. En d’autres termes, il existe des limites pastorales à la ligne de conduite préconisée, limites rendues évidentes par le contexte.
Face à une doctrine complexe, les éléments particuliers sur lesquels il faut insister à un moment donné seront déterminés, en partie, par un diagnostic pastoral des problèmes prédominants du moment.

10. Faites toujours attention à la manière dont vous utilisez les récits.

Les récits sont évocateurs, suscitent l’empathie, sont faciles à mémoriser. Mais si l’on n’y prend garde, ils sont plus facilement mal interprétés que les textes doctrinaux.
En fait, les récits individuels doivent être interprétés non seulement dans le cadre du livre dans lequel ils sont insérés mais aussi dans celui du canon.
Prenons, par exemple, le récit des premières années de Joseph en Égypte (Gen 39). On peut en tirer d’excellentes leçons sur la manière de résister à la tentation. Mais  Une lecture attentive des premiers et derniers versets du chapitre montre également que l’un des points importants du récit est que Dieu est avec Joseph et le  bénit même au milieu des circonstances les plus épouvantables : ni la présence de Dieu, ni sa bénédiction ne se limitent à des moments de vie heureux. Lisez ensuite  le chapitre dans le contexte du récit précédent : Juda devient alors le faire-valoir de Joseph. L’un est tenté dans des circonstances de confort et d’abondance, et succombe à l’inceste ; l’autre est tenté dans des circonstances d’esclavage et d’injustice, et conserve son intégrité. Lisez maintenant le même chapitre dans le contexte du livre de la Genèse. L’intégrité de Joseph est liée à la manière dont Dieu soulage providentiellement de la famine non seulement des milliers de personnes, mais aussi en particulier le peuple de l’alliance de Dieu. Élargissez maintenant l’horizon pour embrasser l’ensemble du canon : soudain, la fidélité de Joseph dans les petites affaires fait partie de la sagesse providentielle qui préserve le peuple de Dieu, et conduit finalement au lointain fils (!) de Juda, David, et à son fils encore plus lointain, Jésus.
Ainsi, Genèse 39 va bien au-delà d’un récit moralisateur de résistance face à la tentation. La perspective acquise en élargissant les contextes révèle des dizaines de connexions et de significations supplémentaires que les lecteurs réfléchis (et les prédicateurs) ne devraient pas ignorer.

11. Rappelez-vous que vous êtes, vous aussi, culturellement et théologiquement situés.

Il ne s’agit pas simplement de considérer que chaque partie de la Bible est culturellement située ; les lecteurs attentifs reconnaîtront qu’ils sont eux aussi situés dans  une culture spécifique, imprégnés du langage, des hypothèses et des perspectives de leur temps. D’où l’importance d’une lecture méditative, autocritique, humble,  honnête, pour découvrir où la Parole remet en question les perspectives et les valeurs de notre époque et de notre lieu.
Les exemples sont légion. Les interprétations bibliques avancées par les féministes évangéliques sont-elles influencées par l’accent mis actuellement sur la libération  des femmes, ou bien les interprétations des exégètes plus traditionnels sont- elles biaisées par leur dépendance involontaire à des hypothèses patriarcales ? Ignorons-nous certains proverbes sur la pauvreté simplement parce que la plupart d’entre nous vivent dans une relative richesse ?
Reconnaissons honnêtement nos préjugés et acceptons progressivement de les réformer et de les remettre en question lorsque nous percevons que la Parole de Dieu nous emmène dans une direction tout à fait différente. À mesure que notre culture devient de plus en plus séculière, le besoin de ce type de lecture se fait de plus en plus pressant.

12. Admettez franchement que de nombreuses décisions d’interprétation s’inscrivent dans un système théologique plus vaste, que nous devons en principe accepter de modifier si nous voulons que la Bible ait le dernier mot.

Il s’agit bien sûr d’un sous-ensemble du point précédent, mais il mérite d’être traité séparément.
Certains chrétiens donnent l’impression que si l’on apprend le grec et l’hébreu et que l’on maîtrise l’herméneutique de base, on peut oublier la théologie historique et la théologie systématique : il suffit de faire son exégèse et l’on obtiendra la vérité directement de la Parole de Dieu. Mais bien sûr, tout n’est pas si simple. Inévitablement, votre exégèse dépendra de votre tradition ecclésiastique et de votre système théologique.
Les systèmes ne sont pas intrinsèquement mauvais. Ils ont pour fonction de rendre l’interprétation un peu plus facile et un peu plus réaliste : grâce à eux, il n’est pas nécessaire de chaque fois revenir aux bases. Si la tradition est largement orthodoxe, le système permet de s’éloigner des interprétations hétérodoxes. Mais un système peut être si étroitement rigide qu’il ne se laisse pas corriger par l’Écriture, ni même renverser par l’Écriture. En outre, de nombreux points d’interprétation litigieuse sont imbriqués dans d’autres : pour changer d’avis sur un détail, il faudrait changer d’avis sur des structures de base, ce qui est inévitablement beaucoup plus difficile. C’est également la raison pour laquelle un réformé pieux et un baptiste pieux ne parviendront pas à déterminer ce que dit l’Écriture au sujet, par exemple, du baptême, simplement en sortant quelques dictionnaires et en travaillant ensemble sur quelques textes pendant une demi-journée. Ce qui est en jeu, pour l’un comme pour l’autre, c’est la manière dont ces questions sont imbriquées dans un grand nombre d’autres points, qui sont eux-mêmes liés à toute une structure théologique.
Si l’on s’en tenait là, les postmodernistes auraient raison : l’interprète déterminerait toujours le sens.
Mais si les croyants sont a priori ouverts à changer d’avis (c’est-à-dire de système !), et s’ils acceptent humblement de tout soumettre, y compris leur système, à l’épreuve de l’Écriture, et s’ils sont disposés à entrer dans une discussion courtoise avec des frères et des sœurs d’un avis différent mais eux aussi désireux de laisser l’Écriture avoir l’autorité finale, alors les systèmes peuvent être modifiés, abandonnés, réformés.


« Car le Fils de Dieu, Jésus-Christ, qui a été prêché par nous au milieu de vous, par moi, par Silvain, et par Timothée, n’a pas été oui et non, mais en lui, il n’y a que oui. » (2 Cor 1.19)

En lisant la Bible attentivement, il peut arriver d’être frappé par un texte qui nous semble contredire un autre passage. Selon nos présupposés sur la nature des Écritures, deux options se présentent alors à nous :
• Si l’on pense que la Bible peut contenir des erreurs, on s’empressera de pointer du doigt l’incohérence du texte. Cette attitude face à la révélation nous vient principalement de la « haute critique », c’est-à-dire des théologiens libéraux et rationalistes qui se sont multipliés au XIX e siècle.
• Si l’on croit que la Bible est une révélation complète d’un Dieu qui ne se contredit pas, on va alors essayer de trouver des explications possibles à cette contradiction apparente. De nombreux théologiens érudits ont heureusement gardé cette démarche de foi, et pu trouver des raisons permettant d’expliquer la grande majorité de ces difficultés. C’est notamment le cas de l’équipe de théologiens réunie par Frédéric Godet pour rédiger sa Bible Annotée (terminée en 1900). Ce commentaire répond à bien des problématiques soulevées par les libéraux. Plus récemment, l’Encyclopédie des difficultés bibliques d’Alfred Kuen a répondu aussi à beaucoup de ces incohérences supposées.

Nous croyons que la Bible est fiable dans chacune de ses parties et que ses auteurs inspirés ne se sont pas contredits (cf. verset d’en-tête).
Lorsque nous rencontrons une contradiction apparente, quelles questions se poser pour réussir à résoudre cette tension ?

1. Le contexte immédiat du chapitre éclaire-t-il cette difficulté ?

Par respect pour le travail d’un auteur, il ne faudrait pas penser qu’il dit tout et son contraire à la moindre incompréhension. Par exemple, en Jean 1.11, il est écrit que personne n’a accueilli la lumière, mais c’est une généralité tout de suite nuancée par Jean 1.12 qui reconnaît qu’une minorité l’a acceptée.
De la même manière, Jean dit que Jésus baptisait en Jean 3.22, mais précise en Jean 4.2 que c’était en fait ses disciples qui baptisaient. Ils le faisaient pour le compte de Jésus, d’où le raccourci de langage utilisé au chapitre précédent.

2. L’objectif de l’auteur et son auditoire nous aident-ils ?

Romains 4.1-8 et Jacques 2.14-26 semblent à première vue irréconciliables sur la place de la foi et des œuvres pour le chrétien. La difficulté est résolue par l’analyse de l’objectif des auteurs en fonction de leur auditoire respectif. Les mêmes mots, utilisés par les deux auteurs dans des contextes différents, n’ont donc pas le même  sens. Paul méprise les œuvres (mortes) sans la foi. Il cherche à décourager ceux qui se croient justifiés par leurs bonnes œuvres. Jacques méprise la foi (morte) sans les œuvres. Il tente de réveiller les pseudo-croyants laxistes. Paul et Jacques sont d’accord pour dire que nos propres œuvres de justice (ou œuvres de la loi) ne nous sauvent pas. C’est la foi vivante et agissante seule qui sauve. Les œuvres doivent découler de notre foi et sont un signe de notre réelle transformation, mais ne nous font pas mériter le ciel.

3. Un autre passage biblique donne-t-il une précision utile ?

Cette question doit nous pousser à utiliser un principe d’interprétation très important qui est parfois appelé « l’analogie de la foi ». Cela consiste simplement à confronter le texte difficile à d’autres passages bibliques, potentiellement plus clairs.
Ainsi, pour finir de clarifier l’exemple précédent, la tension entre la place de la foi et les œuvres est clairement résolue en Éphésiens 2.8-10 : « Car c’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu.
Ce n’est point par les œuvres, afin que personne ne se glorifie. Car nous sommes son ouvrage, ayant été créés en Jésus-Christ pour de bonnes œuvres, que Dieu a préparées d’avance, afin que nous les pratiquions. »

4. Le style de l’auteur apporte- t-il un éclairage particulier ?

Le style de Jean est connu pour être très contrasté, avec un vocabulaire limité et très imagé ; les nuances se font donc en conservant la vue d’ensemble. Attention donc au « cherry picking » (« picorage ») qui consiste à présenter des faits (ou certains versets sélectionnés) qui donnent du crédit à une opinion en passant sous silence les cas qui la contredisent.

5. Le genre littéraire nous donne-t-il une information utile ?

Par exemple, on ne peut pas donner à une parabole autant de poids qu’à un enseignement didactique.
Une parabole vise souvent une idée principale ; l’extrapolation de l’image sur d’autres thèmes peut induire en erreur. C’est le cas pour la parabole de l’économe infidèle en Luc 16.1-9 où l’on pourrait croire que Jésus donne en exemple la tromperie du serviteur. Or ce n’est pas sur ce point que Jésus dirige nos regards dans la « morale » finale qu’il donne à la parabole. Il nous incite à dépenser l’argent que Dieu nous a confié de manière sage pour l’investir dans le royaume éternel.
De même, les proverbes sont des vérités générales qui doivent faire réfléchir le lecteur. Mais cette vérité doit être appliquée avec sagesse au contexte de la situation pratique. Cela permet d’expliquer des contradictions apparentes comme celle de la réponse à donner à « l’insensé » (versets 4 et 5 de Proverbes 26).

6. Une traduction plus précise peut-elle éclaircir le sens ?

Selon 1 Jean 1.8, celui qui dit qu’il « n’a pas de péché » (traduction littérale) est un menteur. 1 Jean 3.9 déclare : celui qui est de Dieu ne « pratique pas le péché » (traduction littérale). Ce vocabulaire traduit une différence entre la pratique assumée du péché et la chute occasionnelle possible du chrétien.
Certaines versions donneront donc l’impression d’une contradiction, alors qu’elle est résolue par une traduction plus littérale.

7. La place au sein de la révélation progressive peut-elle aider ?

Les auteurs bibliques assument le fait que la révélation divine soit progressive. En particulier, les auteurs du N.T. prennent donc le temps de justifier les différences entre l’ère de la Loi, donnée par Moïse et l’ère de la grâce, venue par Jésus Christ (Jean 1.17).
Ainsi, manger du porc est interdit dans l’A.T. (Lév 11) mais clairement autorisé et justifié par les apôtres dans le N.T. (1 Cor 10.23). Pour autant, les commandements de l’A.T. concernant l’éthique sexuelle sont répétés dans le N.T. (1 Cor 6.9-11, etc.) : on ne peut donc pas les minimiser.

8. Y a-t-il plus de passages qui semblent dire l’inverse ?

Avec un verset isolé, on peut imaginer beaucoup d’interprétations possibles, mais avec 10 versets sur le même sujet, l’interprétation devient plus solide. Ainsi, certains affirment que Dieu voudrait avant tout notre prospérité matérielle et physique, principalement par une lecture orientée de certains passages de l’A.T. (És 3.10 ; Prov 13.25). Cependant, énormément de passages nous montrent que la prospérité physique et matérielle n’est pas la règle pour le fidèle (Ecc 9.2 ; És 57.1 ; Act 3.6 ; Phil 4.12 ; 2 Cor 8.2, etc.). Dieu promet plutôt de le soutenir au travers des souffrances (Ps 34.19 ; Rom 8.18 ; 2 Cor 1.5-7 ; 1 Pi 5.9).

9. Cette contradiction apparente est-elle due aux limites de la logique humaine ?

Jésus se décrit souvent comme le Fils de l’homme. Il assume sa pleine humanité mais aussi sa pleine divinité car il ne reprend pas ses disciples qui disent avec Thomas : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jean 20.28) Cette contradiction apparente de l’incarnation d’un Dieu infini dans les limites de l’humanité doit être acceptée avec humilité.
C’est une réalité divine qui nous dépasse et la Bible affirme avec force les deux natures de Jésus.
Pour autant, la doctrine de la trinité nous aide à percevoir que cela n’est pas purement impossible : en effet, le Père et le Saint-Esprit n’étant pas incarnés, on ne peut pas dire par exemple que Dieu soit mort à la croix, le Fils seulement est entré dans la mort.

10. Si je ne vois pas de solution évidente, d’autres commentateurs chrétiens en ont-ils trouvé une ?

Martin Luther avait parlé de la lettre de Jacques comme d’une « épître de paille » car il n’avait pas réussi à résoudre la contradiction apparente avec l’Épître aux Romains. Heureusement que d’autres théologiens n’ont pas baissé les bras ! Il faut donc garder la tête froide et se rappeler que la Bible interprète la Bible.

Conclusion

La plupart des difficultés disparaîtront en prenant le temps de se poser les bonnes questions.
S’il reste des points obscurs, ne concluons pas à l’incohérence, car notre compréhension reste limitée. Continuons de creuser ces sujets avec l’aide de Dieu. Pour le reste, appliquons ce qui est clair, il y a déjà de quoi faire !


« Et ainsi vous avez annulé la Parole de Dieu au nom de votre tradition. » (Le Seigneur Jésus, Mat 15.6, TOB)

« Les Écritures ou la tradition » ? (Se) poser une telle question revient à se demander ce qui fait autorité dans notre vie de croyant.
Les chrétiens protestants évangéliques sont censés connaître et vivre le principe du « sola scriptura » (l’Écriture seule) — qui marque la réflexion et les écrits protestants. Ainsi, par exemple, l’introduction de la « Formule de Concorde » (1577, publiée dans le Livre de Concorde en 1580) affirme : « Nous croyons, enseignons et confessons que les livres prophétiques et apostoliques de l’Ancien et du Nouveau Testament constituent la seule règle ou norme selon laquelle toutes les doctrines et tous les docteurs doivent être appréciés et jugés. »
À ce stade, le lecteur sera peut-être surpris d’apprendre que certains, au sein du protestantisme évangélique, formulent l’objection suivante : « La Loi écrite, d’accord. Et la loi orale ? » Dit autrement encore : « Est-il possible de comprendre les Écritures ou d’accomplir la Loi écrite de Dieu sans les traditions ? » — ces « traditions » pouvant être pour nous des commentaires, « les écrits de nos illustres devanciers ». En guise de réponse, voici quelques pistes de réflexion sur le rapport entre l’Écriture, la tradition et les commentaires, ainsi que quelques points de vigilance sur leur juste place.

I. L’illustration du débat juif entre « la Loi écrite » et « la loi orale »

Le même débat entre parole inspirée et commentaires agite nos amis juifs : « Dieu a-t-il aussi donné à Moïse une loi orale qui interprète la Loi écrite ? » Dans le cadre d’une discussion édifiante sur un forum juif messianique [https://messianique.forumpro.fr/t791-le-talmud-loi-orale-ou-la-torah-loi-ecrite] , une internaute relève que « le judaïsme rabbinique croit que Dieu a donné à Moïse une Loi écrite (trouvée dans la Torah, les cinq livres de Moïse). Mais il est aussi affirmé que la plupart des commandements sont exprimés succinctement, qu’il s’agit de déclarations générales, un peu comme les titres de chapitre dans un livre. On doit les interpréter. Il faut les développer et les expliquer.
Donc, selon la croyance traditionnelle, Dieu a aussi donné à Moïse une loi orale qui interprète la Loi écrite. Moïse l’a ensuite transmise à Josué, qui à son tour, l’a transmise aux 70 anciens qui dirigeaient dans sa génération, qui l’ont transmise aux prophètes des générations suivantes.
Et ainsi de suite, mais avec un grand nombre d’ajouts. C’est pourquoi les rabbins enseignent que la loi orale ne cesse de s’accroître, puisqu’à chaque génération, de nouvelles traditions se sont développées et de nouvelles situations se sont présentées qui nécessitaient de nouvelles applications de la Loi.
Au 2 e siècle apr. J.-C., la loi orale était si volumineuse et complexe qu’il fallut l’écrire pour qu’elle ne se perde pas. Elle devint la Mishnah, qui fut étendue dans les siècles suivants pour donner ce qui est maintenant connu comme le Talmud. Après cela, selon les croyances rabbiniques, ceux qui étudiaient le Talmud continuèrent à développer et transmettre la loi orale à chaque génération suivante.
Tout Juif religieux croit de tout son cœur qu’il est impossible de comprendre les Écritures ou d’accomplir la Loi de Dieu sans les traditions orales.
Le problème est que :
• Le Talmud s’arroge une autorité que les Écritures ne lui ont jamais donnée.
• Le Talmud place la voix du raisonnement terrestre sur un niveau supérieur à la voix prophétique du Ciel.
• Le Talmud contredit [parfois] la signification évidente des Écritures. »

Le chrétien fait face aux mêmes problèmes : les commentaires qu’il chérit peuvent implicitement prendre une autorité qui n’appartient qu’à la Bible.
Quand une difficulté d’interprétation se présente, le recours immédiat à un commentaire peut aussi conduire à négliger un texte biblique qui n’irait pas dans le sens de l’interprétation dudit commentaire. Tout chrétien honnête doit donc se poser la question : « Si la Bible dit une chose et mes traditions une autre, suivrai-je Dieu, ou suivrai-je les hommes ? »

II. La place des commentaires : quelques points de vigilance

Pour autant, il reste nécessaire d’interpréter la Parole de Dieu — tout en remettant les commentaires, les traditions ou les confessions de foi à leur juste place.
Un premier danger serait d’abandonner la tâche de l’interprétation biblique aux « experts », en mettant une confiance excessive dans les techniques herméneutiques et dans les procédures d’exégèse, aussi excellentes soient-elles, alors que, selon Bob Utley, professeur d’herméneutique, « la foi n’offre pas de raccourcis à une lecture responsable de la Bible [http://www.freebiblecommentary.org/pdf/fre/seminar_textbook_french.pdf] ». Les Juifs (avec leurs experts de la Loi, les scribes), les gnostiques (avec leur insistance sur un savoir secret, dont ils étaient les seuls  dépositaires) ou l’Église catholique du Moyen-Âge (avec la dichotomie clergé-laïcs) sont tous tombés dans le piège de réserver l’interprétation aux « experts ». Or personne ne peut éviter le travail d’interprétation. Chaque fois que nous écoutons quelqu’un parler, ou lorsque nous lisons des commentaires, nous interprétons ce qui est dit. « Une bonne herméneutique exige une attitude d’humilité. Cela comprend non seulement l’humilité d’apprendre des autres, mais, de façon plus significative, l’humilité de se soumettre au jugement de la Parole que l’on interprète [Ibid] . » Et ultimement d’obéir à cette Parole.

Un autre danger serait de prendre l’interprétation biblique comme une fin en soi et d’oublier que nous ne sommes pas là d’abord pour produire des interprétations mais avant tout pour approfondir notre relation au Dieu vivant révélé en Jésus-Christ. De fait, si une interprétation cherche à tout prix à défendre une idéologie ou à faire admirer l’intelligence de l’interprète, mieux vaut alors reprendre pour soi le texte dans un esprit de prière pour y rechercher une interprétation qui me conduira à mieux connaître le Seigneur et son amour.

Concluons avec Karsten Lehmkühler, professeur de théologie systématique : « Avant d’être un objet de connaissance et de recherche, la Parole est un sujet agissant. Elle examine avant d’être examinée, elle nous interprète avant d’être interprétée. Cette perspective inclut le caractère du don : la parole est avant tout une grâce, un don qui ne demande point d’œuvres de notre part. Cette efficience ne saurait dépendre de nos œuvres, … pas même de nos œuvres herméneutiques. La Bible est avant tout un sujet agissant qui nous interroge, interpelle, console ; c’est par elle que Dieu nous fait découvrir nos limites, donne naissance à la foi et nous oriente dans nos choix de vie ». [http://lesattestants.fr/wp-content/uploads/2019/02/Lehmk-Attestants-Bible.pdf]