PROMESSES
Le plan général du livre
Le livre de Job a un plan simple à établir. Un épilogue en prose (42.7-17) répond à un prologue en prose également (1.1-2.13), encadrant une longue partie centrale en vers (3.1-42.6).
Trois cycles de dialogues entre Job et ses trois amis couvrent la majorité de la partie centrale (3-26)[note]Le 3e cycle ne comprend pas de discours de Tsophar. Certains ont cru devoir l’introduire avant 27.13, mais il s’agit d’une pure conjecture.[/note] . Job prend d’abord la parole[note]« Après cela, Job ouvrit la bouche et maudit le jour de sa naissance. » (3.1)[/note] pour prononcer une lamentation, avant que ses « amis » entament leurs cycles de reproches auxquels Job répond pied à pied.
Suivent deux discours de Job introduits par la formule : « Job prit de nouveau la parole sous forme sentencieuse et dit : … » (27.1 ; 29.1) jusqu’à ce qu’on trouve la mention : « Fin des paroles de Job. » (31.40b)
Un quatrième ami, Elihu, prend alors la parole et prononce un long discours ponctué par trois adresses à Job (33.1, 31 ; 37.14) et une pause (36.1), délimitant ainsi cinq sections.
Enfin Dieu prend la parole à deux reprises, : « L’Éternel répondit à Job du milieu de la tempête et dit : » (38.1 ; 40.1) ; chaque discours divin est suivi par une courte réponse de Job.
Le livre peut ainsi se répartir ainsi en 7 parties :
A. Prologue : les épreuves de Job…………………………….. 1.1-2.13
B. Lamentation de Job……………………………………………. 3
C. 3 cycles de dialogues entre Job et ses 3 amis ………….4-26
D. Monologue de Job ……………………………………………….27-31
C’. Discours d’Elihu …………………………………………………32-37
B’. Réponse de Dieu du milieu de la tempête ……………..38-42.6
A’. Épilogue …………………………………………………………….42.7-17
Une structure en chiasme apparaît ainsi naturellement, avec l’épilogue (A’) qui répond au prologue (A) et le discours d’Élihu (C’) qui répond aux dialogues entre Job et ses amis (C). Nous reviendrons après sur la correspondance entre la lamentation initiale de Job (B) et la réponse de l’Éternel (B’). Le monologue final de Job occupe ainsi la partie centrale (D) : c’est dans ces chapitres que Job reprend et résume (si l’on peut dire, car la partie est longue !) ses griefs contre Dieu et la justification de sa bonne conduite en face des accusations de ses amis.
La correspondance entre le prologue et l’épilogue
Ces deux parties se répondent non seulement par leur style (en prose), mais de façon extraordinairement précise dans leur déroulé :
Prologue
.a. Introduction : la vie juste de Job (1.1)
..b. Les enfants de Job : 7 fils et 3 filles (1.2)
…c. Les troupeaux de Job : 7 000 brebis, 3 000 chameaux, 500 paires de bœufs, 500 ânesses (1.3)
….d. Le festin : les enfants (frères et sœurs) de Job font un festin (1.4-5)
…..e. Les afflictions de Job commencent (1.6-2.10)
……f. Les 3 amis de Job, dont le nom est donné, viennent vers Job pour le consoler (2.11)
…….g. Les 3 amis sont silencieux 7 jours et 7 nuits (2.12-13)
Épilogue
…….g. Les 3 amis sont repris par Dieu et doivent offrir 7 taureaux et 7 béliers (42.7-8)
……f. Les 3 amis, dont le nom est donné, viennent vers Job pour qu’il intercède pour eux (42.9)
…..e. Les afflictions de Job sont finies (42.10)
….d. Le festin : les frères et sœurs de Job font un repas avec lui (42.11)
…c. Les troupeaux de Job : 14 000 brebis, 6 000 chameaux, 1 000 paires de bœufs, 1 000 ânesses (42.12)
..b. Les enfants de Job : 7 fils et 3 filles (42.13-15)
.a. Conclusion : la vie longue de Job (42.16-17)
Le livre de Job s’achève donc par une espèce de « retour à la case départ » — en mieux même puisque le Seigneur accorde à Job de retrouver sa richesse initiale (mais multipliée exactement par deux) et exactement le même nombre d’enfants (mais avec des filles encore plus jolies). C’est presque trop beau pour être vrai. Si la vie de tous les malheureux qui se retrouvent si bien dans les propos parfois désespérés de Job finissait en « happy end », on le saurait !Pourtant la symétrie entre la conclusion et l’introduction montre de façon prophétique à chacun de ceux qui souffrent aujourd’hui que la souffrance et le mal ne se perpétueront pas à toujours. Ce que Job a connu à la fin de sa vie de façon matérielle, tous les croyants qui passent par l’épreuve le connaîtront de façon certaine quand, dans les nouveaux cieux et la nouvelle terre, il n’y aura plus « ni deuil, ni cri, ni peine » (Apoc 21.4). L’aboutissement ne sera pas seulement une longue vie bien remplie, mais la vie éternelle. Le nombre d’années de vie supplémentaires de Job le suggère peut-être : 140 se décompose en 2 x 7 x 10 : une double (2) plénitude (7) pour l’homme (10). Alors, pour reprendre le propos de Paul, « nos légères afflictions du moment présent produiront pour nous, au-delà de toute mesure, un poids éternel de gloire » (2 Cor 4.17).
La correspondance entre la lamentation de Job et la réponse de Dieu
Loin d’être un artifice pour arriver à un plan intellectuellement satisfaisant, la correspondance entre le chapitre 3 et les chapitres 38 à 41 est frappante.
Le chapitre 3 comprend deux parties : tout d’abord, Job formule une suite de souhaits — de malédictions plutôt — sur le jour de sa naissance introduits par « que » (3.2-10). Il enchaîne ensuite sur des « pourquoi » (3.11-23) sur la raison de sa naissance et, plus généralement, de celle des souffrants, avant une brève conclusion sur sa situation présente (3.24-26).
C’est presque point par point, en reprenant les mots même utilisés par Job, que l’Éternel va répondre à son fidèle. « Les paroles de Dieu préparent le terrain au rétablissement de Job en le forçant à retirer la malédiction qui pèse sur les débats depuis le chapitre 3. Job a prononcé une malédiction sur son “jour” et il a invoqué ceux qui savent réveiller le léviathan. Dieu somme Job d’assumer le rôle de dieu et de voir quelle autorité il serait capable d’exercer au cours d’une journée — ou sur tout autre aspect du cosmos (38.12 et suiv.). Job avoue son impuissance (40.3-5). Ensuite, Dieu réveille le léviathan et demande à Job s’il est prêt à l’affronter (41.1 et suiv.). Encore une fois, Job admet son impuissance (42.1-6). » [note] A.Cooper, « Narrative Theory and the Book of Job”, Studies in Religion 11 (1982), p. 39-43, cité par D.A. Dorsey, The Literary Structure of the Old Testament: A Commentary on Genesis–Malachi, p. 170). Le présent article doit largement à ce dernier ouvrage.[/note]
Un commentateur a calculé que plus de 60 mots différents employés par Job dans le ch. 3 se retrouvent dans le discours divin des ch. 38 à 41, souvent à plusieurs reprises. Au total, les correspondances seraient supérieures à 140.
En voici trois, parmi les plus caractéristiques — outre le léviathan :
Job souhaite « que les étoiles de son crépuscule s’obscurcissent, que [la nuit] attende en vain la lumière, et qu’elle ne voie point les paupières de l’aurore ! » (3.9). Dieu évoque la création où « les étoiles du matin éclataient en chants d’allégresse » (38.8), puis il va nommer plusieurs constellations d’étoiles (38.31-32).
Job se sent sans force (3.17) et Dieu lui parle de la force qu’il a mise dans sa création, que ce soit pour le buffle (39.14), le cheval (39.24) ou le béhémoth (40.11).
Job se recroqueville dans ses peurs : « Ce que je crains, c’est ce qui m’arrive ; ce que je redoute, c’est ce qui m’atteint » (3.25), tandis que Dieu lui oppose l’audace du cheval : « Il se rit de la crainte, il n’a pas peur. » (39.25)
Oui, Dieu a vraiment répondu à Job en lui apparaissant et en lui ouvrant une autre perspective, ô combien plus grande, celle de ses desseins glorieux (38.2). Job l’a bien compris et conclut : « Je reconnais que tu peux tout, et que rien ne s’oppose à tes pensées. — Quel est celui qui a la folie d’obscurcir mes desseins ? — Oui, j’ai parlé, sans les comprendre. » (42.2-3).
Le cœur du livre : le discours sur la sagesse (ch. 28)
Le plan général du livre donné ci-dessus place au centre le monologue de Job des chapitres 27 à 31, avec ses deux parties, 27-28 et 29-31. Or de nombreux commentateurs ont relevé la singularité du chapitre 28, magnifique discours sur la sagesse. Il est donc possible de l’isoler du chapitre 27 et de diviser le monologue en trois sections, dont le chapitre 28 serait le centre — et, de facto, le centre de tout le livre. Le sommet qu’est le chapitre 28 qualifie le livre de Job comme faisant partie des « écrits de sagesse ». Plus qu’une narration historique[note]Même si nous retenons pour notre part l’historicité du personnage de Job.[/note] , il s’agit d’une réflexion de sagesse, à l’instar des Proverbes ou de l’Ecclésiaste. Et le livre de Job doit être lu et interprété à cette lumière. La sagesse « doit être comprise comme ce qui donne ordre et cohérence »[note]John H. Walton, Job, NIVAC, p. 294. Nous recommandons tout le développement de cet auteur sur le ch. 28 qui est très pénétrante.[/note] à la création de Dieu ; aussi n’est-il pas étonnant que ce soit en dépeignant quelques traits de sa création que Dieu s’adresse finalement à Job.
Un indice corrobore la mise en évidence du chapitre 28 comme centre du livre. Ce chapitre se termine par ce propos que Job met dans la bouche de Dieu : « Voici, la crainte du Seigneur, c’est la sagesse ; s’éloigner du mal, c’est l’intelligence. » Cette maxime fait directement écho au premier verset du livre : Job « craignait Dieu, et se détournait du mal » (1.1b). Mais il a fallu que Job passe par des expériences ô combien douloureuses pour percevoir vraiment ce qu’est la sagesse divine et faire complètement confiance à un Dieu dont la sagesse dépasse totalement sa compréhension limitée — « des merveilles qui me dépassent et que je ne conçois pas » (42.3b), conclut Job.
Plan détaillé
A. Prologue : les épreuves de Job 1.1-2.13
B. Lamentation de Job
C. 3 cycles de dialogues entre Job et ses 3 amis 4-26
Cycle 1 4-14
Éliphaz 4-5
Réponse de Job 6-7
Bildad 8
Réponse de Job 9-10
Tsophar 11
Réponse de Job 12-14
Cycle 2 15-21
Éliphaz 15
Réponse de Job 16-17
Bildad 18
Réponse de Job 19
Tsophar 20
Réponse de Job 21
Cycle 3 22-26
Éliphaz 22
Réponse de Job 23-24
Bildad 25
Réponse de Job 26
D. Monologues de Job 27-31
1er monologue 27
Discours sur la sagesse 28
2nd monologue 29-31
C’. Discours d’Élihu 32-37
B’. Réponse de Dieu du milieu de la tempête 38-42.6
1re réponse de Dieu 38-39.35
1re réponse de Job 39.36-38
2nde réponse de Dieu 40-41
2nde réponse de Job 42.1-6
A’. Épilogue : les bénédictions de Job 42.7-17
- Edité par Prohin Joël
Introduction
Le livre de Job présente le thème délicat de « la souffrance du juste »[note]Jules-Marcel NICOLE, Le livre de Job, tome 1, Edifac, CEB, 1986, p. 31.[/note] , qui nous conduit à nous interroger sur la compatibilité entre de telles épreuves et l’existence d’un Dieu souverain et bon. Dans « L’Autre Dieu »[note]Marion MULLER-COLLARD, L’Autre Dieu. La plainte, la menace et la grâce, Albin Michel, 2017. Voir à ce sujet Gérard PELLA, Yvon KULL, L’autre Dieu ? Recension critique à deux voix, Hokhma 115 (2019), Chroniques de livres, p. 107-115.[/note] , Marion Muller-Collard décrit comment le livre de Job l’a aidée dans un temps particulièrement difficile. Elle dépeint notamment un Dieu qui « ne se porte pas garant de sa sécurité » [note]Ibid., p. 112.[/note], un Dieu qui n’est pas « le Gardien »[note]Ibid., p. 86.[/note] de l’enclos dans lequel nous vivons.
Pour résoudre la tension entre la bonté, la souveraineté de Dieu et certaines souffrances incompréhensibles, Marion Muller-Collard reconnaît un Dieu créateur mais pas souverain. Son explication répond à ses questions et donne une explication à la réalité du mal dans le monde, mais est-elle fidèle au Dieu révélé dans les Écritures ?
Comme nous allons le voir dans cet article, sa compréhension de Dieu est erronée. Nous nous proposons donc d’examiner les domaines où s’exercent la souveraineté de Dieu et les limites de cette dernière pour expliquer la réalité de la souffrance dans ce monde. Nous terminerons par quelques implications pour la vie du chrétien, souffrant ou non.
Nous considérons le texte biblique comme pleinement inspiré de Dieu. Il nous faut cependant réfléchir aux paroles des trois amis de Job : Éliphaz, Bildad et Tsophar. Leurs propos sont condamnés par Dieu (42.7)[note]NDLR : Dans l’ensemble du numéro, lorsqu’une référence ne comporte pas le nom du livre, elle est tirée du livre de Job.[/note] , même s’ils ont pu exprimer des vérités conformes à l’Écriture. Un manque d’équilibre dans leurs affirmations et une mauvaise application de ce qu’ils énoncent ne doit pas tout nous faire rejeter mais nous conduit à une certaine prudence dans l’utilisation de leurs affirmations[note]J.-M. NICOLE, op. cit., p. 71-72.[/note] . Élihu n’est pas concerné, aucun jugement n’étant émis à son encontre.
Les domaines de la souveraineté divine
1. La sagesse
« En Dieu résident la sagesse et la puissance. À lui le conseil et l’intelligence. » [note]Toutes les citations sont tirées de la Bible, Nouvelle version Segond révisée, dite à La Colombe, Alliance Biblique universelle, 1978. Cet article suit aussi l’orthographe de cette version.[/note](12.13)
Dieu est le Dieu sage pour qui aucune réflexion n’est trop élevée ou trop complexe (42.2). La sagesse ne peut être séparée de Dieu, qui peut « souverainement en disposer en vue de la réalisation de ses desseins »[note]J.-M. NICOLE, Le livre de Job, tome 2, Edifac, CEB, 1987, p. 99.[/note] . C’est lui qui montre la voie de la sagesse aux hommes (28.27-28) et qui la refuse à qui il veut, comme le montre l’exemple de l’autruche dépourvue d’intelligence selon la volonté de son créateur (39.20). Élihu souligne avec insistance que la sagesse ne peut venir que de Dieu (32.8 ; 35.11 ; 38.36). Personne ne peut lutter avec Dieu dans ce domaine ni prétendre lui donner des conseils (36.22-23).
Éliphaz reconnaît aussi que les ruses des hommes, même des plus sages, ne peuvent rivaliser avec l’intelligence divine (Job 5.12-13). L’apôtre Paul cite l’ami de Job pour souligner l’abîme qui sépare la sagesse des hommes, la sagesse « selon ce monde » (1 Cor 3.19), et celle qui vient de Dieu et ne se trouve qu’en Dieu.
La comparaison entre l’intelligence humaine et les capacités divines est essentielle dans la compréhension du livre. Frappé par le malheur, Job désire plaider sa cause devant l’Éternel (13.3 ; 23.3-7). Les deux interventions divines conduiront Job à réviser sa position et reconnaître son incapacité à discuter avec Dieu (39.36-38 ; 42.2-3).
2. La création tout entière
La sagesse de Dieu s’exprime dans l’harmonie de sa création (39.29-30). Les chapitres 38 et 39 montrent que Dieu a tout créé : le ciel, les étoiles, la mer, ainsi que tout être vivant. Il a donné vie aux animaux d’une très grande force, ce qui révèle l’étendue de sa puissance (40.10-28). L’Éternel donne également la vie aux hommes (3.20 ; 10.8-12 ; 33.4).
La souveraineté divine sur la création était déjà connue de Job, mais les interpellations divines lui ont permis de réaliser plus profondément cette vérité : par exemple dans la limite imposée aux flots de la mer (26.12 ; 38.10-11) et la direction du mouvement des astres (9.7-9 ; 38.32-33). Dieu dirige aussi tous les phénomènes météorologiques (37.10-12) qui ne sont que des instruments entre ses mains.
La souveraineté divine s’étend aux créatures angéliques. Les « fils de Dieu » [note]J.-M. NICOLE, Le Livre de Job, tome 1, op. cit., p. 42, indique que cette appellation décrit habituellement les êtres célestes, les anges.[/note]se présentent devant Dieu comme on le fait habituellement devant un roi (1.6). De même, Satan doit solliciter l’autorisation de toucher à Job et il ne peut aller au-delà de ce que l’Éternel permet (1.11-12 ; 2.5-7).
Dieu est enfin souverain sur les êtres humains : personne ne peut s’opposer à lui (9.12), même les nations et leurs chefs lui sont soumis (12.23-25). Rien ne s’oppose à son pouvoir.
Job reconnaît ainsi que ses malheurs lui viennent de Dieu (6.4). Il confesse implicitement que les Sabéens, les Chaldéens, la tempête et même la maladie qui l’ont frappé, proviennent de Dieu (7.20 ; 9.17 ; 19.8-12 ; 30.19). Celui qui le protégeait (29.4-5) est désormais celui qui lui envoie ses malheurs.
Job ne peut blâmer Satan puisque Dieu ne lui a pas révélé l’enjeu céleste des épreuves qui lui arrivent. Toutefois, il reconnaît la souveraineté de Dieu en n’accusant ni les peuples ennemis, ni les éléments, ni même le hasard ou la malchance. C’est justement parce qu’il reconnaît la souveraineté totale de Dieu qu’il désire plaider sa cause devant lui.
3. Dieu maintient toute vie
Dieu n’est pas seulement un Dieu créateur qui aurait ensuite délaissé sa création, comme l’horloger qui conçoit un mécanisme puis le laisse continuer, selon l’image popularisée par Voltaire. Dieu exerce activement sa souveraineté sur l’ensemble de sa création. Job reconnaît que nos circonstances favorables et défavorables nous viennent de Dieu (2.10).
Dieu ne crée pas seulement la vie ; il la maintient activement par son action (12.10 ; 27.3) et prolonge ou abrège la vie de qui il veut (24.22 ; 34.14-15). Nous sommes donc bien loin de la vision d’un Dieu lointain qui se serait retiré de sa création et n’interagirait pas avec elle. Le livre de Job affirme déjà que toute vie dépend à chaque instant de la volonté divine, comme le soulignent les auteurs néotestamentaires (Col 1.17 ; Héb 1.3).
4. Dieu, juge souverain de sa création
Le Dieu sage, créateur et souverain est aussi celui qui peut légitimement exercer la justice sur sa création, comme Tsophar et Élihu le reconnaissent (20.29 ; 36.6). Alors que Job l’accuse d’avoir « violé son droit » (19.6), Dieu souligne avec force qu’il est à la fois le Dieu juste et celui qui a la puissance d’exercer sa justice sur tous les méchants (40.3-9). Il agit parfois par des phénomènes météorologiques qui accomplissent ses desseins (36.27-33). Nos connaissances actuelles nous instruisent sur la manière dont ces événements arrivent, mais nous en ignorons encore la raison. Le livre de Job nous montre que Dieu s’en sert pour accomplir sa volonté, qui inclut le fait de juger ses créatures .[note]J.-M. NICOLE, Le Livre de Job, tome 2, op. cit., p. 190-191.[/note]
5. Dieu, souverain sur la mort
Par ses questions, Dieu laisse entendre que si les portes de la mort sont inaccessibles à Job, elles ne le sont pas pour lui (38.17), sinon son argument n’a aucune pertinence. Job l’a reconnu par ailleurs (26.6) et il semble envisager la possibilité d’une vie après la mort (14.13-15). La communion avec Dieu n’est ainsi pas arrêtée par la mort (19.25-27)[note]J.-M. NICOLE, Le Livre de Job, tome 1, op. cit., p. 250, signale que ce passage est « l’un des plus difficiles à comprendre de tout le livre », d’où notre prudence.[/note] . Même si les affirmations sont moins fortes que dans le Nouveau Testament, il apparaît que Dieu qui donne la vie et la retire (14.19 ; 27.8) étend sa souveraineté au-delà de la mort.
Conséquences de l’étendue de cette souveraineté
Ce bref survol montre que rien n’échappe à Dieu. Avec Job, nous devons reconnaître son absolue souveraineté :
« Mais lui, s’il prend une décision, qui pourra l’en faire revenir ?
Ce que lui-même désire, il l’exécute. » (23.13)
Il serait erroné d’affirmer qu’un Dieu souverain peut tout. Le Dieu des Écritures ne peut pécher car c’est contraire à sa nature. La définition proposée par A. Pink, il y a près d’un siècle, garde toute sa pertinence et correspond à la proclamation de Job :
« Proclamer un Dieu souverain revient à déclarer qu’il est réellement Dieu, à reconnaître le Très-Haut et sa capacité d’accomplir tous ses desseins à l’égard de l’armée des cieux et des habitants de la terre, sans que nul ne résiste à sa main… »[note]Arthur PINK, La souveraineté de Dieu, Europresse, Chalon-sur-Saône, 2009, p. 25-26.[/note] .
1. Le problème de la souffrance
Le livre de Job n’a de sens que si Dieu est réellement et pleinement souverain. C’est précisément pour cette raison que Job s’adresse à Dieu. Les questions suscitées par la souffrance dans ce monde sont exacerbées par une juste compréhension de la souveraineté de Dieu.
Les derniers chapitres (38-42) ne donnent pas de solution mais conduisent le lecteur à reconnaître la grandeur du Dieu Tout-Puissant. Dans son désir de comprendre, l’être humain minimise la bonté ou la puissance de son créateur qui ne sont, à ses yeux, pas compatibles avec la réalité du mal.
Les multiples questions divines nous rappellent que notre désir de comprendre se heurte à nos limites humaines. La proclamation de l’absolue souveraineté de Dieu nous amène à renoncer à tout rationalisme pour reconnaître notre incapacité à comprendre les plans divins. Pour le dire d’une autre manière, rien, même nos souffrances, n’échappe à la pleine souveraineté de Dieu, mais la relation entre ces deux réalités échappe totalement à l’être humain.[note]Donald CARSON, Jusques à quand. Réflexions sur le mal et la souffrance, Excelsis, 2005, développe ce sujet du compatibilisme et l’étend à l’Écriture toute entière dans le chapitre 11, « le mystère de la providence ».[/note]
2. La relation de la créature à son créateur
Les interpellations ironiques de l’Éternel qui reprend celui qui veut débattre avec lui (38.3 ; 39.35 ; 42.4) conduisent la créature à l’humilité face à son créateur. Dieu s’est révélé à Job comme le créateur et le maître de toute sa création, sans lui donner d’autres explications. Job passe de la connaissance théorique du début du livre selon laquelle tout vient de Dieu (1.21 ; 2.10) à la pleine acceptation existentielle de sa condition de créature face au Dieu souverain et infini (39.36-38 ; 42.2-6).
Job, le croyant pieux et intègre (1.8), a eu besoin de la révélation de son créateur pour vraiment réaliser sa position devant Dieu, ainsi que les limites de ses questions et revendications. Sa situation illustre la condition du croyant qui est appelé à rester humble devant le Dieu souverain, mais qui même pour cette attitude a besoin que Dieu se révèle à lui et lui donne l’intelligence nécessaire pour une véritable connaissance (1 Jean 5.20). Le croyant ne peut se reposer sur sa piété, mais il est appelé à dépendre entièrement du Dieu souverain et de sa révélation. Toutefois, le croyant n’est pas passif. Comme Job, il est appelé à une acceptation humble mais active de sa condition devant Dieu (42.6) en attendant que Dieu le relève (1 Pi 5.6).
Conclusion
L’expérience de Job dépasse le cadre de notre compréhension malgré les explications des deux premiers chapitres. La souveraineté de Dieu n’annule pas la réalité de la souffrance et ses effets douloureux, tant dans le corps que dans l’entendement. Aucune théologie ne peut contrecarrer les effets de nos afflictions.
Pourtant, si reconnaître la pleine souveraineté de Dieu entraîne d’innombrables questions sans réponse, cette attitude donne aussi un réel réconfort au croyant. Il sait qu’il n’est pas le jouet de circonstances aléatoires ou d’un hasard aveugle. Toutes ses expériences, si douloureuses soient-elles, n’échappent pas à la pleine souveraineté de Dieu.
Enfin, la souveraineté de Dieu sur la mort même change notre perspective sur la souffrance. Les écrivains bibliques soulignent ainsi l’apparente injustice des justes qui souffrent et des méchants qui prospèrent (21.30-31 ; Ecc 8.14). Toutefois, la certitude de la résurrection entrevue par Job et pleinement révélée dans le Nouveau Testament rappelle que la souveraineté divine n’est limitée ni par le temps ni par la mort. Dieu accomplira pleinement son dessein parfait en jugeant le mal et en accordant une joie parfaite aux siens (Apoc 21.3-8). La fin du livre de Job (42.10-15) est ainsi une préfiguration de l’œuvre eschatologique de Dieu qui manifestera son plein pouvoir sur toutes choses.
- Edité par Charvin Olivier
À qui s’adresse en particulier le livre de Job ? Nous pourrions croire que ce livre raconte l’histoire d’un homme terrassé par les épreuves et la souffrance à cause d’un enjeu supérieur et en rester là. Un cher ami, Maurice Berger, y reconnaît un modèle d’étude et de formation pour les anciens dans l’accompagnement en relation d’aide.
Job souffre et doit affronter trois amis qui vont tenter de lui prodiguer leurs conseils ; leurs diagnostics sont sans appel.
Le premier, Éliphaz, fait référence à ce qui peut être perçu et observé avec les organes sensoriels, dont l’œil est le plus important. Malheureusement, il voit aussi une vision occulte qui l’influence (Job 4.11-17). Il s’appuie sur sa propre expérience sensorielle, sur ce que l’homme lui-même est capable de reconnaître et de comprendre.
Le second, Bildad, fait référence au passé et à l’expérience de l’humanité (Job 8.8-10). L’histoire, la tradition et les coutumes sont ses sources. Il se fie à ce qu’il entend de la part des autres et plaide pour un apprentissage basé sur l’expérience historique.
Le troisième, Tsophar, fait référence au bon sens, à la perspicacité, à l’intelligence et à la logique (Job 20.2-3). Le bon sens se base sur ce que l’on peut saisir avec son propre esprit et à travers sa propre réflexion.
A cette suite intervient un quatrième personnage, Élihu. Il ne suit pas la logique des trois amis. Il ne se réfère pas aux approches naturelles de la connaissance, mais à ce que l’Esprit de Dieu révèle (Job 32.8, 18). En cela, il diffère foncièrement des autres.
Lorsqu’une personne de notre entourage souffre ou subit des épreuves, quelle devrait notre démarche pour ne pas tomber dans les travers des trois premiers amis ? Si nous nous appuyons sur nos propres capacités, celles-ci nous conduiront à un échec cuisant et coupable. Au travers de plusieurs articles, nous tenterons de répondre à cette question, mais soyons humbles, la sagesse de Dieu est bien supérieure à notre discernement naturel des choses.
- Edité par Herrmann Georges
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