PROMESSES

Le 31 octobre 1517 est la date généralement retenue par les spécialistes pour définir les débuts officiels de la Réforme. C’est en effet ce jour-là que Martin Luther (1483-1546) s’est décidé à afficher sur la porte de l’église du château de Wittenberg ses fameuses 95 thèses, affirmations théologiques par lesquelles il s’oppose ouvertement aux nombreux abus de l’autorité pontificale et propose en échange une réforme radicale de l’Église.

1. L’action de Luther

Salué aujourd’hui comme le maître à penser d’un mouvement ecclésiastique réformateur — le protestantisme — Luther naît à Eisleben en 1483. Issu d’une famille de paysans saxons, il étudiera le droit et entrera en 1505 au couvent des Augustins à Erfurt où il se consacrera à deux recherches prioritaires dans sa vie :
• Une vie monacale passionnée : préoccupé par l’idée ambiante du salut, il s’astreint régulièrement à de sévères mortifications et privations.
• L’étude biblique systématique : Docteur en théologie, il obtient en 1513 la chaire d’Écriture sainte à l’Université de Wittenberg.
Vers 1515, il se met à commenter l’épître aux Romains où son attention est attirée par deux versets qui vont transformer toute sa pensée : « Car je n’ai point honte de l’Évangile : c’est la puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit, du Juif premièrement, puis du Grec, parce qu’en lui est révélée la justice de Dieu par la foi et pour la foi ; selon qu’il est écrit : Le juste vivra par la foi. » (Rom 1.16-17)
À la suite de cette révélation, Luther comprend que le salut ne dépend aucunement de quelque œuvre de l’homme mais qu’il est un don gratuit que Dieu accorde à tous ceux qui se repentent et qui croient.
À la même époque (1515), le dominicain Tetzel (mandaté par le pape Léon X) parcourt l’Allemagne en vendant des indulgences censées accorder aux acheteurs (qui s’endettaient) le pardon des péchés et la garantie d’un salut éternel mais en réalité le produit de ce trafic était destiné au financement de la basilique Saint Pierre à Rome… Ce marchandage éhonté épouvante Luther qui réagit publiquement en affichant le 31 octobre 1517 sur l’église de Wittenberg 95 thèses pour manifester son opposition à de telles pratiques. En voici deux particulièrement explicites :
• 27 : Ils prêchent des inventions humaines, ceux qui prétendent qu’aussitôt que l’argent résonne dans leur caisse, l’âme s’envole du purgatoire.
• 67 : Les indulgences dont les prédicateurs prônent à grands cris les mérites, n’en ont qu’un : celui de rapporter de l’argent.
Ce manifeste par lequel Luther espérait provoquer un simple entretien théologique et une profonde remise en question de l’église catholique a produit une réaction opposée et suscité les pires ennuis à son auteur. Appelé à s’expliquer devant les autorités ecclésiastiques, Luther sera confronté successivement à Augsbourg avec le légat pontifical Cajétan et à Leipzig, avec le théologien Eck : il est sommé de se rétracter sans aucune discussion !
Luther refuse d’obtempérer. La réaction est immédiate : en 1520, le pape Léon X lance contre lui une bulle d’excommunication que le réformateur brûle aussitôt en public à Wittenberg ! Le 3 janvier 1521, la rupture est consommée et Luther chassé.
Cette exclusion l’enhardit davantage dans ses convictions et ne l’empêche pas de rédiger trois autres manifestes clairement anticléricaux :
• À la noblesse chrétienne de la nation allemande (contre la suprématie romaine)
• La captivité de Babylone (contre les 7 sacrements)
• De la liberté du chrétien (contre l’église catholique)
Outre sa mise à l’écart de l’église catholique, Luther subira une seconde condamnation tout aussi lourde de conséquences : cité par l’empereur Charles-Quint devant la diète d’empire réunie à Worms en 1521, il est une nouvelle fois sommé de se rétracter.
Cependant Luther confirme devant princes et seigneurs réunis, l’autorité suprême de la Parole de Dieu : « Si l’on ne me convainc pas par le témoignage de l’Écriture ou par des raisons décisives, je ne puis me rétracter. Car je ne crois ni à l’infaillibilité du pape, ni à celle des conciles car il est manifeste qu’ils se sont souvent trompés et contredits. Ma conscience est liée à la Parole de Dieu. Je ne puis et ne veux rien révoquer car il est dangereux et il n’est pas juste d’agir contre sa propre conscience. Que Dieu me soit en aide ! Amen. »
Luther est alors condamnĂ© au ban de l’empire, c’est-Ă -dire qu’il est considĂ©rĂ© comme « hors la Loi », ce qu’il demeurera jusqu’à sa mort, de 1521 Ă  1546 ! Il est alors « enlevĂ© » pour ĂŞtre protĂ©gĂ© et cachĂ© (sous le nom de Chevalier Georges) au château de la Wartbourg (près d’Eisenach) par le prince Ă©lecteur de Saxe, FrĂ©dĂ©ric le Sage qui prend fait et cause pour le banni. Luther profitera de cette prison dorĂ©e pour dĂ©buter la traduction de la Bible en allemand (N.T. en 1522 et A.T. en 1534), ce qui fera de lui un des pionniers de la langue allemande moderne.
De retour à Wittenberg en mars 1522, il se mariera en 1525 avec Catherine de Bora dont il aura 6 enfants. Il n’exercera plus de ministère public (à cause de ses condamnations) mais développera une grande activité littéraire pour :
• Continuer son combat spirituel contre l’église catholique soutenue par les pouvoirs politiques en fixant les éléments essentiels du culte évangélique dans un traité intitulé La Messe allemande.
• S’opposer aux révoltes sociales contemporaines : il défendra la position des seigneurs allemands dans la guerre contre les paysans (1525).
• Lutter contre les excès de certains partisans un peu plus fanatiques de la Réforme comme les anabaptistes.
• Apporter une éducation spirituelle au peuple ignorant : il rédigera deux ouvrages importants en 1529 : Grand catéchisme et Petit Catéchisme.
• Composer un grand nombre de chorals exprimant la foi vivante dont le plus célèbre commence par cette confession : « C’est un rempart que notre Dieu : si l’on nous fait injure, son bras puissant nous tiendra lieu et de fort et d’armure… »

2. L’influence de Luther

La Réforme s’étend rapidement à travers l’Allemagne pour diverses raisons :
• Spirituelles : la soif de vérité « épurée » de beaucoup faisant suite à une religion oppressante noyée dans un fatras de légendes de saints et de multiples dévotions étrangères au pur Évangile.
• Politiques : l’opportunité de plusieurs princes électeurs allemands ne plus être soumis à la dictature vaticane ; opposition de mentalité latente depuis des siècles entre caractères germanique et latin.
• Pratiques : le développement de l’imprimerie a permis la diffusion de la pensée et des écrits de Luther qui ont largement débordé l’Allemagne…
Néanmoins, l’opposition impériale est tenace :
• 1526 : Première Diète de Spire où les autorités accordent la liberté de religion aux princes et aux villes qui ont choisi la « nouvelle religion ».
• 1529 : Seconde Diète de Spire convoquée par Charles Quint qui tente d’abroger le décret de 1526 : cinq princes représentant plusieurs villes libres rédigent une pétition contenant ces mots désormais célèbres « Chers Seigneurs, oncles, cousins et amis ; … si vous ne vous rendez pas à notre requête, nous protestons[note]Ce serait l’une des origines du mot « protestants ». L’autre explication résiderait dans la signification étymologique du terme latin protestare : « témoigner devant ».[/note] par la présente, devant Dieu, … que nous ne consentons ni n’adhérons… au dernier décret de Spire. »
• 1530 : Diète d’Augsbourg au cours de laquelle Philippe Melanchton (1497-1560), conseiller politique du prince Frédéric le Sage, gagné par les idées de Luther, sera chargé de rédiger en vue d’une paix religieuse, une confession de foi définissant la doctrine officielle des « protestants ». Cette Confession d’Augsbourg devient la confession de foi fondamentale de l’église luthérienne.
• 1555 : Paix d’Augsbourg, acte politico-religieux qui partage le territoire allemand entre luthériens et catholiques selon le principe que tous les sujets doivent adopter la religion choisie par leur prince-électeur conformément à l’expression latine « ejus regio, cujus religio », à telle région, telle religion ! D’après cette répartition, en 1555, les deux tiers du pays sont luthériens… Les pays nordiques sont rapidement touchés et deviennent bientôt luthériens à leur tour : Danemark, Norvège, Suède et Finlande.
• Schématiquement le milieu du XVIe siècle présente une Europe divisée en deux entre pays latins du Sud (à forte majorité catholique) et pays saxons du Nord (à forte majorité protestante), préfigurant les guerres de religion qui vont ensanglanter notre continent durant plus d’un siècle…

3. Conclusion

Martin Luther a donc été, au sein de l’Église du XVIe siècle, l’élément détonateur de ce mouvement rénovateur connu aujourd’hui sous le terme générique de « protestantisme » mouvement spirituel aux multiples facettes… Mais Luther ne fut pas seul dans le renouveau spirituel. Parmi ses nombreux successeurs adeptes d’une foi renouvelée, citons : Philippe Melanchton (1497-1560) ordonnateur de sa pensée ; Jean Calvin (1509-1564) ; Ulrich Zwingli (1484-1531) ; Pierre Viret (1511-1571) ; Guillaume Farel (1489-1565) ; John Knox (1505-1572) et Guy de Brès, né à Mons et auteur de la confession belgica en 1560.
Pour terminer, notre intention n’est certainement pas d’apporter quelques critiques à l’égard de Martin Luther vu l’importance de son intervention dans l’évolution de l’Église et son impact dans le cadre de l’Histoire de l’humanité. Tout chez ce fidèle serviteur de Dieu est grandiose et son œuvre demeurera indélébile. Cependant, qu’il nous soit permis de relever quelques détails qui ont peut-être soustrait au mouvement réformateur initié par Luther des avancées intéressantes et suscité en contrepartie quelques déboires…

Révolte des paysans (1525)

La position (plus politique que religieuse) prise par Luther est sujette à caution. Le réformateur ayant été défendu par les princes allemands lors de ses condamnations, a pris fait et cause en leur faveur manifestant ainsi une attitude fort conservatrice face aux excès révolutionnaires de certains dont les anabaptistes (emmenés par Thomas Munzer) qui soutenaient les revendications paysannes. Les princes vainqueurs de ce conflit dramatique affirment alors de plus en plus leur autorité et interviennent directement dans les affaires religieuses.

Émergence d’églises nationales

Cette suprématie des princes va entraîner une nouvelle structure politico-religieuse des églises luthériennes. À la différence de l’église catholique dont le but a toujours été d’assujettir l’État à l’Église (conférant ainsi au pape une sorte de primauté sur les nations) dans chaque pays où le luthéranisme a triomphé (en particulier en Europe du Nord) on assiste à l’installation d’églises nationales autonomes qui « fonctionnent » en partenariat avec les autres églises tout en conservant leurs prérogatives.

Divergence à propos de la Sainte-Cène

Une controverse néfaste a d’abord opposé Luther à Zwingli concernant l’interprétation spirituelle du dernier Repas du Christ ; controverse qui s’est amplifiée ensuite avec Calvin… Le manque flagrant de cohésion de la part des réformateurs au sujet de la Sainte-Cène a empêché le mouvement protestant d’offrir un « front commun » cohérent face à l’église catholique.

Petit rappel des diverses conceptions théologiques :

• Catholique = transsubstantiation : présence charnelle réelle de J.-C.
• Luthérienne = consubstantiation : présence effective invisible de J.-C.
• Zwinglienne = symbolisation : allusion symbolique de la présence de J.-C.
• Calviniste = spiritualisation : présence spirituelle authentique de J.-C.
Prolifération des églises protestantes
Un des fondements de la réforme luthérienne affirme que seule l’Écriture Sainte a autorité en matière de foi (« Sola Scriptura »). À la limite, cette revendication permet à chacun(e) une libre interprétation des textes bibliques qui a provoqué au cours des siècles une profusion de mouvements protestants parallèles (et parfois opposés) se réclamant tous utilisateurs d’une même source inspiratrice : la Bible. Par conséquent, il n’est pas possible de parler d’un protestantisme unitaire mais bien d’un protestantisme aux multiples facettes.


 

Le mot « réforme » se trouve couramment sur les lèvres des politiciens et dans les journaux de notre monde contemporain : tous relayent les sentiments agités du peuple et reconnaissent le besoin de réformer la société à tous les niveaux. Ce besoin universel de réforme au XXIe siècle n’est pas nouveau ! À partir du XIIIe siècle, un sentiment d’insatisfaction commençait à naître ici et là en Europe, dans tous les domaines, jusqu’à l’irruption violente intervenue au XVIe siècle. Mais l’histoire a avancé lentement avec de petits bouillonnements (XIIIe-XVe siècle), puis, lorsque la pression a été à son comble, l’explosion s’est produite (début XVIe). Suivons ce chemin tortueux jusqu’à son apogée : la réforme protestante.

1.Les événements « pré-réformateurs »

La période allant du XIIIe au XIVe siècle révèle une Europe tourmentée par des courants de nature nouvelle, particulière et dissemblable.

  • Les Croisades au Proche-Orient, quoiqu’elles aient Ă©tĂ© un Ă©chec total par rapport au but visĂ© initialement, ont fait connaĂ®tre un monde nouveau, immensĂ©ment plus avancĂ© que l’Europe dans bien des domaines. Les citĂ©s nouvelles et les civilisations anciennes ont Ă©bloui les croisĂ©s. Cette admiration transportĂ©e jusqu’en Europe a créé la soif de connaĂ®tre davantage sur tous les sujets.
  • Le rĂ©veil intellectuel appelĂ© la scolastique : en quelques mots, c’est la conviction intellectuelle que la raison humaine est capable d’élucider les vĂ©ritĂ©s spirituelles en vue de dĂ©fendre les dogmes de la foi. RĂ©soudre les tensions entre la philosophie d’Aristote et la thĂ©ologie chrĂ©tienne en utilisant « Aristote pour comprendre et pour expliquer Dieu », telle en Ă©tait la proposition. Les Ă©rudits ont commencĂ© Ă  rĂ©flĂ©chir tous azimuts sans ĂŞtre limitĂ©s par la religion catholique.
  • Les nouveaux mouvements religieux fleurissent dans et en-dehors de la papautĂ©, par exemple : les Cathares-Albigeois, les Bogomiles et les Vaudois. Ces derniers sont les seuls existant encore au XXIe siècle en petits groupes en Italie, Argentine, Allemagne, Uruguay, États-Unis d’AmĂ©rique. Ces groupes mettaient en doute les dogmes de Rome en lisant les Saintes Écritures ! C’est Ă  cause de ces divers mouvements que la terrible Inquisition a Ă©tĂ© mise sur pied afin d’éradiquer tout ce que Rome considĂ©rait comme hĂ©rĂ©sies. L’Inquisition a ravagĂ© fĂ©rocement les peuples, mĂŞme catholiques, en sorte que des milliers de personnes se sont mises Ă  douter de l’autoritĂ© romaine qui dominait tous les aspects de la vie.
  • La vie religieuse Ă©tait troublĂ©e Ă  la suite de la mise en doute de l’autoritĂ© absolue de Rome par certains. Pour contrer la dĂ©cadence spirituelle rampante, deux mouvements ont vu le jour, les Dominicains et les Franciscains qui exerçaient un pouvoir spirituel afin de confirmer le dogme catholique.
  • La crĂ©ation des « universitĂ©s » oĂą furent enseignĂ©es les disciplines – arts, mĂ©decine, droit, thĂ©ologie – qui s’appelaient « facultĂ©s ». L’enseignement est fondĂ© sur un certain nombre de textes de rĂ©fĂ©rence. Au dĂ©part, les « arts mĂ©caniques » et les « sciences lucratives » ont Ă©tĂ© exclus victimes du double mĂ©pris qui frappait le travail manuel et le profit. Les plus fameuses ont Ă©tĂ© Paris et Oxford (thĂ©ologie), Bologne (loi civile et ecclĂ©siastique), Salerno (mĂ©decine). La grammaire, la rhĂ©torique, la dialectique, l’astronomie, l’arithmĂ©tique, la gĂ©omĂ©trie, la musique, la thĂ©ologie, la loi canonique, la mĂ©decine ont Ă©tĂ© enseignĂ©es, par exemple, Ă  l’UniversitĂ© de Paris. L’apprentissage passait par une double mĂ©thode : la lecture des textes et le dĂ©bat dans le but de s’assurer que l’étudiant possède bien sa matière !
  • L’esprit mystique est un terme qui « relève principalement du domaine religieux, et sert Ă  qualifier ou Ă  dĂ©signer des expĂ©riences spirituelles de l’ordre du contact ou de la communication avec une rĂ©alitĂ© transcendante non discernable par le sens commun[note]WikipĂ©dia, consultĂ© le 26.02.2017[/note]. » Il y avait deux tendances, celle des « bons » (au sens catholique) comme Hugues de St. Victor, Bonaventure (1221-1274), MaĂ®tre Eckhart (1260-1328), Jean Tauler († 1361). Luther admirait ce dernier Ă  cause de ses nombreuses dĂ©clarations « évangĂ©liques ». De leurs influences naquit un groupe d’origine allemande et suisse, autoproclamĂ© « Amis de Dieu », qui eut aussi une certaine influence sur Luther. Il apprĂ©ciait particulièrement un livre, Theologia Germanica, lequel se situe bien dans la tradition mystique catholique. Calvin et la tradition rĂ©formĂ©e fustigent cette thĂ©ologie ! Soulignons, en ce qui concerne la seconde et « mauvaise » tendance, que beaucoup des mystiques allemands penchaient vers le panthĂ©isme[note]Dieu est en toute la crĂ©ation, le sauvĂ© ne peut plus pĂ©cher Ă©tant « intĂ©grĂ© en Dieu », le Saint-Esprit est tout, l’âme devient une avec Dieu.[/note]. Le rĂ©sultat a Ă©tĂ© de prĂ©fĂ©rer une lecture et une interprĂ©tation personnelles des Écritures, qui ont Ă©tĂ© rĂ©duites Ă  une place très secondaire, comme guide de la vie spirituelle.
  • Les luttes pour les pouvoirs royaux, religieux, Ă©conomiques entre les papes et les rois des États. Chaque groupe voulait contrĂ´ler tout et tous. Les papes se voyaient exclusivement investis par le pouvoir divin dans tous les aspects de la vie de chaque individu ! Les rois n’existaient que pour implĂ©menter la volontĂ© souveraine, comme simples servants des papes, serviteurs exemplaires du Christ ! Ces luttes sans merci ont affaibli papes et rois ; les peuples en ont subi malheureusement les consĂ©quences : petites rebellions, mĂ©contentement, augmentation de la pauvretĂ©, injustices de toutes sortes, manque de libertĂ©s personnelles. Le cas de Jean de Paris († 1306) est particulièrement intĂ©ressant, il enseignait que les pouvoirs papaux et royaux dĂ©pendaient uniquement de la souverainetĂ© du peuple, chaque pouvoir n’ayant aucun droit de s’ingĂ©rer dans la sphère de l’autre ! William d’Occam († 1350) et Dante († 1321) croyaient pareillement, et par leurs Ĺ“uvres ont accompli beaucoup en vue de la rĂ©forme protestante deux siècles plus tard.
  • La pĂ©riode papale dĂ©chirante et très humiliante appelĂ© la « captivitĂ© babylonienne » (1309-1377) Ă  Avignon en France, avait entamĂ© la sainte rĂ©putation de la papauté :
    • La population Ă  Rome nourissait un vif ressentiment contre la papautĂ© Ă  cause de son absence et Ă  cause d’une fiscalitĂ© onĂ©reuse ;
    • L’anarchie rĂ©gnait dans les États pontificaux ;
    • La fracture en Europe entre les partisans de la France et ceux de l’Angleterre pendant la Guerre de Cent Ans (1337-1453) ;
    • La situation absurde et très dĂ©stabilisante oĂą la papautĂ©, qui vivait dans le luxe, avait eu, pendant une pĂ©riode, deux ou trois papes rĂ©gnant simultanĂ©ment, soit Ă  Rome, soit Ă  Avignon, situation qui l’on appelle le « Grand Schisme d’Occident » (1378- 1417).
  • L’image dĂ©sastreuse offerte par la papautĂ© schismatique (voir ci-dessus) allait expliquer le grand succès de deux grands « prĂ©-rĂ©formateurs » : l’Anglais John Wyclif, appelĂ© « l’Étoile du Matin de la RĂ©forme » (1320-1384) et le Tchèque Jan Hus (1369-1415). Leur importance pour amorcer Ă  cette Ă©poque le dĂ©marrage de la rĂ©forme protestante future (1517) est formellement reconnue par les historiens et les Ă©rudits thĂ©ologiques catholiques modernes.
    • Wyclif enseignait Ă  l’UniversitĂ© d’Oxford et au travers de son Ă©tude personnelle du Nouveau Testament, il avait compris que les Saintes Écritures, la Bible, Ă©taient la seule autoritĂ© spirituelle incontestable pour l’Église. Ce constat, Ă©vident lorsque le lecteur sincère lit la Parole de Dieu, poussa Wyclif Ă  commencer sa carrière en critiquant Rome pour ses richesses et sa puissance politique sur une base biblique, allant mĂŞme jusqu’à appeler le pape qui nageait dans le luxe, « l’Antichrist ». Convaincu que le peuple anglais avait besoin de la Bible latine traduite dans sa propre langue, lui et d’autres s’attelèrent Ă  la tâche. Il envoya des « pauvres prĂŞtres » (appelĂ©s « Lollards ») avec les Écritures partout dans le pays. Le vrai peuple de Dieu formait la communautĂ© des prĂ©destinĂ©s, ceux qui avaient une relation personnelle avec Christ : appartenir Ă  Rome n’était donc pas important et n’avait aucun sens. Il rejeta la fausse doctrine de la transsubstantiation et la prĂ©sence physique de Christ dans l’eucharistie. Il attaqua les abus explicitement dĂ©montrables du clergĂ©, des ordres religieux, des indulgences et du sacerdoce. Les rĂ©sultats ont Ă©tĂ© Ă©poustouflants, mais seulement pour un temps. HĂ©las, la persĂ©cution fit pratiquement disparaĂ®tre cette mouvance Ă©vangĂ©lique. Dieu avait toutefois prĂ©parĂ© la suite !
    • Pendant la pĂ©riode de libertĂ© de Wyclif, des Ă©tudiants tchèques vinrent Ă©tudier Ă  Oxford oĂą ils furent « contaminĂ©s » par la vĂ©ritĂ© biblique. En retournant dans leur pays, la BohĂŞme, ils partagèrent les vĂ©ritĂ©s bibliques avec un certain Jan Hus qui devint le plus grand avocat de cet enseignement biblique. Un feu traversa la nation, mais la papautĂ© et le pouvoir sĂ©culier de Bohème Ĺ“uvrèrent par subterfuge pour prĂ©senter Hus au Concile de Constance (1414-1418) en Allemagne afin d’y allĂ©guer ses doctrines. Il fut faussement accusĂ© d’hĂ©rĂ©sie, condamnĂ© et brĂ»lĂ© vif en 1415[3]! En dĂ©pit de sa mort, la mouvance qu’il avait initiĂ©e, devint nationale avec les hussites. Ils demandèrent Ă  l’Empereur Sigismond en 1420 d’accepter leurs quatre articles : la libertĂ© de prĂ©dication, la communion des Ă©lĂ©ments (pain et vin) distribuĂ©s Ă  tous, l’interdiction aux prĂŞtres de possĂ©der des biens temporels et des sanctions publiques contre des pĂ©chĂ©s considĂ©rĂ©s comme mortels, surtout la simonie[note]La simonie est, pour les catholiques, l’achat et la vente de biens spirituels, tout particulièrement d’un sacrement. Ce terme vient de Simon le magicien qui souhaitait acheter aux apĂ´tres le pouvoir de remplir du St-Esprit ceux Ă  qui il imposerait les mains (Actes 8.9ss).[/note] ! Il les rejeta ultĂ©rieurement. Les descendants conservateurs des hussites formèrent l’Église morave en 1457, laquelle existe encore en de petits groupes en Allemagne, aux Pays-Bas et aux États-Unis.
  • La Renaissance italienne peut ĂŞtre dĂ©finie comme l’ère d’une rĂ©orientation culturelle et intellectuelle par laquelle les hommes ont remplacĂ© l’approche spirituelle mĂ©diĂ©vale et une vie oĂą le respect des règles de la sociĂ©tĂ© limitait la responsabilitĂ© individuelle par une conception sĂ©culière et individualiste. La vision thĂ©ocentrique de la vie a cĂ©dĂ© la place Ă  une vision anthropocentrique dans laquelle l’homme est la mesure de tout. L’accent a Ă©tĂ© mis sur la gloire de l’homme et de ses accomplissements. Ce changement graduel a surtout Ă©tĂ© initiĂ© par la fuite des Ă©rudits, pĂ©nĂ©trĂ©s par la culture grĂ©co-romaine du Proche-Orient, avant la chute de Constantinople en 1453. La sagesse grĂ©co-orientale, avec la redĂ©couverte de Platon et Aristote, a créé un ferment intellectuel oĂą l’on cherchait des rĂ©ponses aux questions existentielles de la vie chez les auteurs paĂŻens. On se passionnait pour la sagesse antique et la beautĂ© des formes physiques, littĂ©raires et artistiques du passĂ©, avec une approche humaniste, optimiste et expĂ©rimentale oĂą la religion Ă©tait rĂ©duite Ă  du formalisme. Au nord des Alpes, c’est le retour vers des Ă©tudes de la Bible Ă  cause des manuscrits en hĂ©breu et en grec amenĂ©s par les Ă©rudits. Le premier livre imprimĂ© par Gutenberg en 1455 fut la Bible qui commença alors Ă  ĂŞtre consultĂ©e par un plus grand nombre.
  • La peste noire : On estime que la peste noire (bubonique) a tuĂ© au total entre 30 et 60% de la population europĂ©enne, faisant en cinq ans (1347-1352) environ vingt-cinq millions de victimes, et jusqu’à 50 millions pour tout le siècle. Cette Ă©pidĂ©mie, un des faits les plus importants de l’histoire dĂ©mographique de l’Occident, eut des consĂ©quences durables sur la civilisation europĂ©enne. Elle Ă©tait surtout transmise et transportĂ©e par les puces des rats noirs, Ă©galement appelĂ©s les « rats de maison » et « rats de navire », aimant Ă  vivre près des gens. Cette qualitĂ© mĂŞme le rend dangereux (en revanche, le rat brun ou gris prĂ©fère garder ses distances, se cantonnant dans les Ă©gouts et les caves).

L’aboutissement de la Réforme

À l’aube du XVIe siècle, à cause de deux siècles de maladresses, d’erreurs et de scandales frappant de la papauté, l’opinion publique est dans l’attente d’un renouveau religieux. La papauté était vraiment la seule autorité régnante en Europe ! Un immense appétit pour l’intervention du divin se faisait sentir partout et la papauté tenait à elle seule la clé d’une réforme générale. Les abus religieux suivants rendent évidents cette nécessité :

  • Le poids de la fiscalitĂ© papale exigĂ©e de tous. Tout droit ou privilège devait aussi s’acheter.
  • La vente par l’Église, propriĂ©taire d’immenses domaines, au plus offrant (souvent aux plus indignes), le droit de « profiter » des richesses des Ă©vĂŞchĂ©s et abbayes.
  • La mĂ©diocritĂ© spirituelle, intellectuelle et morale d’un bas clergĂ© totalement inculte.

Dans le même temps, on assiste à une évolution des idées où tout a été remis en cause :

  • Ă€ partir du XIe siècle, la scolastique[note]DĂ©finition : voir plus haut[/note] est en vogue dans l’église papale pendant les XIe-XIIIe siècles. Les thĂ©ologiens employaient les syllogismes[note]Le syllogisme est un raisonnement logique Ă  deux propositions conduisant Ă  une conclusion qu’Aristote a Ă©tĂ© le premier Ă  formaliser[/note] pour dĂ©battre sur la relation entre la foi et la raison. La rĂ©vĂ©lation de Christ est-elle compatible avec la raison humaine ? Si elle est compatible, laquelle a la priorité ? Thomas d’Aquin (1225-1274) estimait la raison humaine capable de discerner la vĂ©ritĂ© au sujet de Dieu. Un but important fut de dĂ©fendre Ă  tout prix le système papal rigide des dogmes. Or, ce « monument » philosopho-thĂ©ologique fut attaquĂ© par le phĂ©nomène du mysticisme qui est « la croyance que l’union avec ou l’absorption dans la divinitĂ© ou l’absolu, ou l’apprĂ©hension spirituelle de la connaissance inaccessible Ă  l’intellect, peut ĂŞtre atteint par la contemplation et l’abandon de soi ». Puis Guillaume d’Occam (1285-1347) troublant encore davantage les eaux de la controverse, affirma que les conceptions moralo-thĂ©ologiques n’avaient rien Ă  voir avec la raison, car elles dĂ©pendaient uniquement de la RĂ©vĂ©lation et de la foi. Toute cette Ă©bullition sur la validitĂ© des dogmes et de l’autoritĂ© papale, ces controverses intellectuelles sur la prioritĂ© entre raison et foi, ont Ă©tĂ© des prĂ©curseurs des rĂ©formes du XVIe siècle.
  • L’humanisme qui privilĂ©gie le libre examen en rejetant les institutions papales, minimise l’importance des sacrements, libère la culture des restrictions de la pensĂ©e religieuse, l’homme devient donc autonome vis-Ă -vis de l’autoritĂ© spirituelle.
  • La spiritualitĂ© devient individualiste et anti-intellectuelle.
  • Les thĂ©ories conciliaires qui mettent directement en cause la supĂ©rioritĂ© suprĂŞme de la papautĂ© augmentent l’aspiration Ă  des « églises nationales » assez indĂ©pendantes.

Enfin, il est nécessaire de souligner les mutations profondes dans toute la société, voire dans les mentalités, suite à des événements exceptionnels :

  • La dĂ©couverte de l’AmĂ©rique (1492).
  • L’invention de l’imprimerie (1454).
  • L’apparition de l’économie monĂ©taire : la monnaie fiduciaire est la reprĂ©sentation de la valeur qui se substitue Ă  la valeur elle-mĂŞme. La valeur rĂ©elle cède la place Ă  une valeur fondĂ©e sur la confiance du public, la monnaie se dĂ©matĂ©rialise. La « monnaie de papier » est celle qui est Ă©mise par des Ă©changistes privĂ©s Ă  la rĂ©putation solide. Les paritĂ©s des diffĂ©rentes monnaies en circulation dĂ©pendent de la rĂ©putation respective de chaque Ă©metteur de monnaie.
  • La volontĂ© d’indĂ©pendance des princes allemands par rapport Ă  l’Empire.
  • L’exaspĂ©ration des paysans par rapport Ă  leurs propriĂ©taires terriens.

Ainsi le XVe siècle, fédérant tous les courants d’insatisfaction des XIIIe-XIVe siècles, débute avec un ferment qui n’attend plus que l’étincelle qui enflammera tous les secteurs de la vie européenne. Le « fourrage » prêt à recevoir l’étincelle a été le trafic d’indulgences. Ce phénomène, établi juridiquement au XIIe siècle par la papauté, est la prorogation d’une « peine » éternelle qui acquitte des conséquences futures d’un péché. Cette relaxe était garantie par un échange d’argent. On achetait son acquittement devant Dieu Juge. L’indulgence remplaçait des pénitences très sévères imaginées et imposées par la papauté.

Un moine augustinien allemand, Martin Luther (1483-1546), totalement insignifiant, mais très indigné par la vente des indulgences, réagit d’une manière publique le 31 octobre 1517. Il cloua ses « 95 Thèses » en latin sur la porte principale de l’église de Wittenberg, uniquement en vue de provoquer un débat public sur la validité des indulgences et sur l’autorité papale. Les 95 thèses ont été rapidement traduites en allemand, largement copiées et imprimées. Dans les deux semaines, elles avaient été répandues dans toute l’Allemagne et dans les deux mois dans toute l’Europe ! Luther n’a jamais eu d’autre intention que de voir une petite réforme à l’intérieur de l’église catholique ; créer un déchirement total n’était pas son désir. Malgré son souhait innocent de corriger certaines erreurs, la réforme protestante était en marche, sans possibilité de retour. Évidemment, en comprenant l’importance de son rôle de pionnier, il assuma totalement et fidèlement son implication dans la Réforme. Gloire à Dieu !


Depuis la venue du Saint-Esprit sur les croyants au moment de la Pentecôte, y a-t-il eu dans l’histoire de l’Église un mouvement d’une telle ampleur et qui changea aussi profondément, non seulement l’Église, mais également la société ? La Réforme est, à n’en pas douter, un événement majeur de l’histoire de l’Église ! Promesses souhaite revenir sur cette période déterminante.

Si nous fêtons les 500 ans de la Réforme, la revue Promesses, plus modestement, fête ses 50 ans et son 200e numéro. Nous sommes reconnaissants à Dieu pour ses provisions tout au long des années et pour cet outil d’édification et d’encouragement qu’il nous a confié. Comme l’a écrit l’un des cofondateurs, cette revue de réflexion biblique est née « d’un désir profond d’apporter au peuple de Dieu une nourriture biblique saine, correcte et équilibrée ». Le comité de rédaction actuel souhaite poursuivre cet appel désirant que Promesses soit « une référence dans un monde sans repère ».

Nous avons une pensée particulière pour Henri Lüscher, l’un des deux cofondateurs de la revue, toujours en vie : merci Henri pour ta persévérance tout au long des années, malgré des périodes parfois difficiles et merci de faire confiance depuis plusieurs années à une nouvelle équipe de rédaction !

Alors, à l’heure où plusieurs appellent l’Église à se réformer, à se réinventer même, souvenons-nous que la force de ce mouvement de réforme, n’acceptant le salut que par la grâce et par la foi, a été dans le retour à l’Écriture, la centralité de Jésus-Christ et la recherche de la gloire de Dieu en toutes circonstances. C’est dans cette ligne, et fort de cet héritage-là, que Promesses souhaite poursuivre sa mission !