PROMESSES

 

Et toi, rechercherais-tu de grandes choses ? Ne les recherche pas ! (Jérémie 45.5)

Baruc vit depuis plusieurs années aux côtés de Jérémie, écrivant sous sa dictée les prophéties que l’Éternel lui a révélées. Baruc, comme Jérémie, a vécu des choses douloureuses et il commence à se décourager : « Je m’épuise en soupirant, et je ne trouve point de repos. » (45.3) Dieu lui donne alors un message, par l’intermédiaire de Jérémie (45.4-5), lui demandant de ne pas chercher « de grandes choses » pour lui-même.

Légitimement, Baruc pouvait aspirer à une situation sociale meilleure que celle qu’il connaissait aux côtés de Jérémie. En effet, il appartenait à une grande famille et son frère était même un des principaux ministres du roi Sédécias (51.59).

Comme Baruc, nous sommes attirés par les « grandes choses » ; or le Seigneur attire plutôt notre attention vers les « petites choses » (cf. Luc 16.10).

Il attire tout d’abord nos regards vers les plus humbles : « Celui qui est le plus petit parmi vous tous, c’est celui-là qui est grand » (Luc 9.48). Nous pouvons y penser au quotidien, vis-à-vis des personnes que nous côtoyons, en changeant notre échelle de valeur !

Et quant à nos actions, Dieu nous demande avant tout de « pratiquer la justice, d’aimer la miséricorde et de marcher humblement avec lui » (Michée 6.8). Ne cherchons donc pas avidement de « grandes choses », mais soyons fidèles en servant Dieu dans les « petites choses ». Sachons valoriser nos petites actions quotidiennes, celles qui ne brillent pas aux yeux des autres.

Cela signifie-t-il que nous mènerons une vie « étriquée » ? Non, Dieu nous demande de nous mettre en action, d’avoir de l’ambition. Mais pas pour nous-mêmes ! Cette ambition devrait avant tout être pour le bien des autres, avec comme finalité la gloire de Dieu. Laissons-nous surprendre par ce qu’il fera à travers nous, en lui attribuant toute la gloire !

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Les commentaires évangéliques sur Jérémie sont malheureusement très rares en français. Parmi les quelques ouvrages disponibles, le court livre sur le prophète de David Day, professeur à l’université de Durham, paru aux éditions Grâce et vérité, mérite l’attention. Nous en citons un court extrait (p. 110-112).

Après la chute de Jérusalem, tout est étrangement calme. Les Babyloniens commencent la déportation de la population et la destruction systématique de la ville. Ils nomment Guedalia gouverneur et octroient des terres à ceux qu’ils choisissent de ne pas exiler. La vie continue, mais triste et sans éclat.

La prédication de Jérémie a plu aux Babyloniens. En guise de remerciements, le prophète peut choisir où il veut vivre. Jérémie avait constamment déclaré que ceux qui partiraient en exil représentaient l’avenir du peuple. Il choisit néanmoins le sort d’hommes qui ont été laissés sur place, sans expliquer les raisons de son choix.

Au début, la petite communauté prospère. […] Malheureusement, Guedalia est assassiné par un fanatique combattant de la liberté qui le considère probablement comme un collaborateur. Bien que l’assassin ait été promptement chassé, les nouveaux chefs de la communauté ont peur des représailles des Babyloniens et décident de se réfugier en Égypte. […] Les gens laissés dans le pays ne participeront pas à ce nouvel exode. Sachant tout cela, Jérémie a néanmoins choisi de servir Dieu à l’arrière. Comme pour le souligner, le prophète continuera son ministère encore plus loin des déportés de Babylone, puisqu’il sera contraint d’aller jusqu’en Égypte.

Cela nous amène à revoir un principe qui nous est cher : nous pensons souvent que Dieu nous veut là où il agit de manière bien visible. Nous avons la folie des grandeurs. Bien des chrétiens prétendent avoir changé de ville, de travail pour que Dieu puisse mieux agir au travers d’eux. Modestement, nous nous voyons au centre du tableau ! Des églises entières rêvent de devenir la lumière de leur région. Avec quelle facilité estimons-nous que Dieu accomplit son plan avant tout au moyen des chrétiens d’Occident ! Nous avons parfois bien de la peine à admettre qu’actuellement le Seigneur « fait de grandes choses » en Amérique du Sud ou en Afrique. […]

Ce même instinct se manifeste dans le culte du spectaculaire : les grandes manifestations, les immenses rassemblements, la conversion des vedettes du monde du sport ou du spectacle.

Ne nous méprenons pas : Dieu est certainement à l’œuvre dans tous ces domaines. Mais il faut simplement souligner que l’homme préfère se trouver là où il se passe quelque chose. Avec l’exemple de Jérémie, nous voyons qu’il est plus important d’être fidèle dans notre service pour Dieu, là où il nous veut, que de rechercher les feux de la rampe.

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Les Lamentations de Jérémie : survol d’une élégie[1] biblique

 

Un livre particulier dans le canon

Une complainte sur la chute de Jérusalem

Le Livre des Lamentations se compose de cinq chapitres écrits en poésie hébraïque, réunis par les thèmes communs de la douleur causée par la destruction de Jérusalem en 586 avant J.-C. et de l’humiliation de la population de Juda. Chacune de ces cinq élégies pourrait avoir été écrite peu après la destruction de la ville de Jérusalem. Aucune d’entre elles n’évoque la reconstruction du temple lors du retour de captivité.

Un des 5 rouleaux

Le livre n’apparaît pas dans la section prophétique de la Bible hébraïque, mais dans la deuxième partie des « autres écrits », appelée « les 5 rouleaux »[2]. Ces 5 livres sont associés à des fêtes juives et celui des Lamentations au 9e jour du mois d’Av (selon la tradition juive, les destructions du premier et du second temples auraient eu lieu à la même date, courant août).

Une complainte de Jérémie ?

L’auteur n’est pas nommé dans la version hébraïque, et une grande partie du livre donne la parole à l’expérience commune :

– Dans les chapitres 1-2, Jérusalem est personnifiée comme « Fille de Sion… » (1.6 ; 2.1,4,8,10,13,18) et s’exprime à plusieurs reprises pour compléter la voix du poète (ex : 1.9b,11b-16 ; 2.22).

– Dans le chapitre 3, une personne anonyme, qui pourrait éventuellement être identifiée avec l’auteur du livre, parle à travers une complainte à la première personne.

– Les formes plurielles sont utilisées dans le chapitre 4 (« nos yeux », 4.17 et « nos pas », 4.18).

– La voix plurielle à la première personne continue au chapitre 5, dans ce qui est essentiellement une lamentation collective.

La personnalité de l’écrivain s’estompe progressivement au fil de ce livre ; l’auteur se met en arrière-plan du but principal de ces poèmes, qui est d’exprimer le chagrin de la perte de Jérusalem et de parler à haute voix des effets dévastateurs du péché de Juda.

La tradition hébraïque a attribué la paternité de ce livre à Jérémie :
– La traduction grecque des LXX attribue explicitement ce livre au prophète Jérémie plongé dans la douleur[3]. Dans certains manuscrits grecs et latins, l’attribution à Jérémie est répétée au début du ch. 5, comme si ce chapitre, qui pour l’essentiel est une lamentation collective, avait besoin de cette précision.
– De plus, dans le canon des LXX, les Lamentations suivent immédiatement Jérémie et Baruch.
– La proximité du style et la reprise d’expressions caractéristiques de Jérémie sont frappantes.
– Enfin, les Lamentations forment un complément aux prophéties de Jérémie, celui d’offrir encore une autre présentation inspirée du destin de Juda.

L’arrière-plan

Les Lamentations s’inscrivent dans le contexte de la dernière partie de la vie du prophète et donnent un éclairage sur les Judéens de l’époque. Les conséquences du siège de Jérusalem par l’armée babylonienne, puis de la destruction par le feu de la ville et du temple sont partout présentes et se reflètent dans le caractère poignant de la poésie.

D’une certaine façon, ce livre est un sommaire sublime et poignant des lamentations que les Judéens fidèles (appelés dans Jérémie « le reste »), conscients de l’égarement du peuple, ont exprimé collectivement dès le début de l’exil afin de se souvenir de Jérusalem, la capitale, la « mère » symbolique du peuple et le lieu où se trouvait le temple :

– dans Jérémie déjà (41.4-8), il est fait mention d’hommes pieux des anciens territoires israélites, voyageant vers les ruines du temple de Jérusalem pour adorer. Leurs barbes sont rasées, leurs vêtements déchirés, et leurs corps entaillés en signe de deuil.

– selon Zacharie 7.1-7, il y avait un deuil traditionnel au cinquième mois de l’année, le mois de la destruction du Temple 68 ans auparavant.

Un livre d’une poésie très élaborée

Les cinq chapitres ne sont pas narratifs (ils ne reposent pas sur une intrigue littéraire). L’effet de leur lecture séquentielle amène au constat de la répétition poétique, où réapparaissent les thèmes de la souffrance, du jugement, de la confession du péché, et de l’abandon divin.

Les chapitres 1 à 4 sont des acrostiches : la première lettre de chaque verset (pour les chapitres 1, 2 et 4) ou la première lettre de chaque groupe de 3 versets (pour le chapitre 3) commence par une lettre qui suit l’ordre des 22 lettres de l’alphabet hébraïque.

Le chapitre 5 est quelque peu différent ; il contient bien 22 versets, mais la lettre initiale de chaque verset ne suit plus l’ordre alphabétique. Même si ce chapitre n’est pas un acrostiche, le nombre de versets n’est sans doute pas une coïncidence !

Il est incontestable que la structure alphabétique de ce livre donne à sa lecture dans le texte original une intensité qu’aucune traduction ne peut apporter. Elle lui a donné une place éminente dans le judaïsme.

Cette structure évoque sans doute la plénitude ou la complétude, quelque chose comme notre expression « de A à Z » ou « l’Alpha et l’Oméga » de l’Apocalypse.

La discipline poétique de l’acrostiche, de nature plutôt rigide, ne minimise en rien la spontanéité de l’expression émotionnelle du poète. Et c’est sur ce plan que sa structure est la plus perceptible. Les références à l’espérance quasi absentes dans le 1er chapitre vont croissant pour atteindre leur point culminant au milieu du 3e chapitre, puis décroissent pour laisser place au désespoir à la fin du livre.

Les Lamentations s’inscrivent aussi dans la lignée d’autres textes de l’A.T. comme les chants funèbres (2 Sam 1.19-27), les complaintes de Job contre Dieu et ses amis, les oracles prophétiques contre les peuples ou les Psaumes de lamentations (cf. Ps 137).

Le livre de la souffrance

Un livre prié aujourd’hui par les Juifs

Après la tragédie de la destruction de Jérusalem en 70, le rituel de deuil lié à la déportation à Babylone a été complété par le deuil consécutif à la destruction romaine. Ainsi, dans le judaïsme classique, le 9e jour du mois d’Av, en août, les Juifs jeûnent et lisent le livre des Lamentations[4]. À travers ce langage lugubre, les fidèles rappellent les deux destructions du temple. Cette cérémonie est aussi importante que le Yom Kippour.

Un livre qui aide au processus de deuil

Tout être humain a un besoin viscéral de suivre un processus de deuil, lors de la perte d’un être cher, « pour venir à bout de son chagrin ». Dans la culture occidentale moderne, on le fait au travers de la compréhension psychologique et parfois de pratiques thérapeutiques. Les cultures pré-modernes n’ont pas traité ces questions sous l’angle psychologique « moderne », mais au travers de formes diverses de rituels et d’actes symboliques.

Très probablement, les Lamentations ont donné aux Judéens une forme pour vivre le processus de deuil. Apparemment, leurs formes poétiques psalmodiées ont opéré de manière si efficace que la pratique de leur lecture est devenue un rituel annuel.

La souffrance et la confession des péchés

Les Lamentations contiennent à la fois le deuil qui vient de la tragédie et la douleur qui vient de la reconnaissance du péché et de ses conséquences. Les propos expriment d’abord une catastrophe historique et un jugement qui est tombé sur un peuple particulier. Mais le langage utilisé s’adresse aux sentiments et il est au service d’une perspective plus large. Les pleurs proviennent à la fois d’une perte catastrophique et des conséquences de l’échec. Même les personnes qui n’ont pas vécu les événements tragiques de 586 avant J.C. peuvent prendre les mots des Lamentations pour apprendre d’eux (par exemple 3.40-42). Les chants (gospels) « spirituels » au sein de la communauté afro-américaine jouent un peu le même rôle, car ils continuent d’instruire une communauté longtemps après la disparition de l’esclavage.

Deuil, plainte et espérance en Dieu

La valeur durable du livre réside dans le fait qu’il n’y a pour ainsi dire pas de demande de rétablissement mais celle d’un retour à Dieu. Les plaintes sont placées devant Dieu dans l’espoir de la venue de la compassion de Dieu ; la prière et la mémoire amènent le peuple à s’attendre à Dieu. Publiquement et par la prière, il apporte sa douleur et son chagrin devant le même Dieu qui avait utilisé les Babyloniens pour les juger, eux et leurs ancêtres. Comme le visiteur insistant à minuit (Luc 11.5-8) ou la veuve (Luc 18.1-8), ceux qui prient les Lamentations amènent leurs circonstances devant Dieu.

Déblayer le terrain pour une nouvelle croissance

Dans un sens, la poésie liturgique des Lamentations joue un rôle similaire à celui de l’Ecclésiaste dans la tradition de sagesse. L’Ecclésiaste rappelle aux lecteurs les limites de la sagesse, de ce que les sages parmi les hommes ne peuvent pas toujours savoir ou expliquer, les inégalités de la vie et ses déceptions. Au service d’une plus grande révélation à venir, il illumine le terrain pour que nous discernions les obstacles à une nouvelle croissance.

Les Lamentations reprennent de façon similaire les traditions de la poésie funéraire et les prières d’angoisse pour effacer tout vestige d’auto-justification, pour nous fermer les voies conduisant à nous disculper de la responsabilité de l’échec, pour nous ramener à la vérité inconfortable que personne ne peut finalement être exempté des jugements justifiés de Dieu. Mais pour nous encourager, les Lamentations reconnaissent que la miséricorde de Dieu se renouvelle chaque matin (3.22-24). La force principale de ces élégies est de sonder les profondeurs de l’angoisse humaine, de mesurer le désespoir et de parler de ces expériences à l’Éternel. Au service d’une grande révélation à venir de Dieu, celle de l’œuvre salvatrice du Christ, les Lamentations parlent à la fois pour et à la souffrance humaine.

Les Lamentations à la lumière du Nouveau Testament

Jésus

Jésus a pleuré sur Jérusalem : l’incrédulité de ses habitants allait avoir des conséquences tragiques sur son avenir (Luc 19.41-44). À Gethsémané, Jésus a prié pour que la coupe de la souffrance passe loin de lui, et il s’est placé dans les mains de Dieu (Luc 22.39-46). La posture est similaire dans les prières des Lamentations – similaire dans le sens où l’on met résolument son sort entre les mains de Dieu qui semble absent, ou peut-être lointain et impénétrable, à un moment de grand besoin.

La passion de Jésus est le rappel salutaire que la souffrance et le chagrin sont endémiques à la race humaine déchue et qu’il n’y a pas d’exception. En effet, un élément de l’expiation accomplie dans la passion de Jésus est sa parfaite identification à la souffrance humaine. Pas question ici de nier ou de minimiser la nature sacrificielle de sa mort, mais seulement de constater que sa mort est à la fois parfaitement et totalement sacrificielle et tragique. Cependant, le péché que Christ expiait était le nôtre, pas le sien ; en cela il y a une différence essentielle avec les Lamentations qui expriment justement que c’était la désobéissance du peuple qui entraînait sur lui le jugement de l’Éternel.

Paul et nous

La lamentation, comme forme de prière, n’est pas courante dans les lettres du N.T. Paul, par exemple, nous enjoint de rendre grâce en toutes circonstances, avec des supplications (1 Thes 5.16-18 ; Rom 12.12 ; Phil 4.4-7). Pourtant lui-même a supplié le Seigneur trois fois de lui enlever sa souffrance (2 Cor 12.7b-10). Il a également exhorté les croyants à être solidaires les uns des autres (1 Cor 12.12-27), et lorsque l’occasion se présente, de « pleurer avec ceux qui pleurent » (Rom 12.15).

Le salut, antidote de la lamentation

Peut-être que la raison pour laquelle l’expression de la lamentation n’est pas présente dans les lettres du N.T. se trouve dans la conviction que, dans le Christ, Dieu a montré de façon décisive qu’il veut sauver son peuple et tout homme (Mat 1.21 ; Jean 3.16). En dépeignant Dieu comme puissant dans la colère et le jugement, le livre prend sa place dans le déploiement d’une révélation qui pointe vers un Dieu encore plus fortement résolu à sauver. Terminons par la fin du commentaire de Jean Calvin sur les Lamentations : « Les fidèles, même quand ils portent leurs maux et se soumettent au châtiment de Dieu, peuvent alors déposer dans son sein familièrement leurs plaintes, et ainsi eux-mêmes, se décharger… Nous savons alors que, bien que les fidèles prennent parfois cette liberté de remontrances envers Dieu, ils ne le font pas alors sans révérence, modestie, soumission, ou humilité. »

Proposition de plan pour les Lamentations de Jérémie

La misère de Jérusalem                                                                1

La triste description de la misère de Jérusalem                                                         1.1-11

Le triste appel de Jérusalem aux spectateurs                                                            1.12-19

L’appel de Jérusalem à l’Éternel                                                                                 1.20-22

Le châtiment divin contre Jérusalem                                          2

La colère de Dieu contre Jérusalem                                                                            2.1-10

La lamentation du poète sur Jérusalem                                                                     2.11-19

L’appel de Jérusalem à l’Éternel                                                                                 2.20-22

Le poète face à Dieu                                                                      3

Les souffrances du poète sous la colère de Dieu                                                      3.1-18

L’espérance du poète dans les compassions de Dieu                                              3.19-40

L’appel du poète à l’Éternel                                                                                         3.41-66

Les horreurs du siège de Jérusalem                                            4

Les conditions du siège                                                                                                 4.1-11

Les causes du siège                                                                                                        4.12-20

L’espérance après le siège en délivrance et jugement                                             4.21-22

La prière du fidèle                                                                        5

L’appel à l’Éternel à se souvenir                                                                                 5.1-18

L’appel à l’Éternel à rétablir son peuple                                                                    5.19-22

[1] Une élégie est un poème triste ayant pour thème le deuil, la souffrance ou la mort.

[2] Les Juifs nomment ainsi le Cantique des cantiques, l’Ecclésiaste, Ruth, Esther et les Lamentations.

[3] « Or ceci arriva après qu’Israël eut été réduit en captivité et que Jérusalem fut devenue déserte ; Jérémie s’assit en pleurant, et il fit cette lamentation sur Jérusalem, et il dit : » (1.1a, LXX)

[4] Ils appellent ce jour Tischa Beav.


 

Cet article est un large extrait du ch. 3 du livre de Francis Schaeffer, La mort dans la cité, écrit il y a 47 ans.  Consacré au livre de Jérémie, l’ouvrage reste toujours actuel par la pertinence de ses propos. Il est disponible à La Maison de la Bible en format papier ou électronique.

Jérémie s’est adressé à une génération très semblable à la nôtre. On a appelé Jérémie « le prophète qui pleure », car il se lamentait sur son peuple. Nous aussi devons pleurer sur l’Église à cause de son abandon de Dieu, et sur l’ensemble de notre culture, qui a suivi dans ce sillage.

Son message, dont Jérémie 1.10 nous donne les grandes lignes, n’était pas facile à délivrer : « Regarde, je t’établis aujourd’hui sur les nations et sur les royaumes, pour que tu arraches et que tu abattes, pour que tu ruines et que tu détruises, pour que tu bâtisses et que tu plantes. » Notez l’ordre dans lequel ces verbes se succèdent : les négatifs d’abord, les positifs ensuite. Cela correspond aux deux aspects du message, mais ce qui est négatif doit venir en premier lieu et être vigoureusement proclamé. Juda s’était révolté contre Dieu et la vérité révélée, et cette révolte marquait toute la vie de la nation ; le message confié à Jérémie devait être avant tout un message de jugement. Il est impérieux, je le crois, que nous fassions entendre cette note-là aujourd’hui. Le christianisme n’est ni romantique, ni veule, mais au contraire réaliste et rude. Aussi la Bible nous transmet-elle le message de Jérémie dans tout son réalisme, et il incombe à l’Église de prêcher ce même message aujourd’hui si elle veut être de quelque utilité à notre génération. Ne nous étonnons pas des réactions ! La Bible ne nous laisse aucune illusion : ce message ne saurait être bien accueilli par une chrétienté et une culture en révolte. Ecoutez plutôt : « Voici, je t’établis en ce jour sur tout le pays comme une ville forte, une colonne de fer et un mur d’airain, contre les rois de Juda, contre ses chefs, contre ses sacrificateurs, et contre le peuple du pays. Ils te feront la guerre, mais ils ne te vaincront pas ; car je suis avec toi pour te délivrer, dit l’Éternel » (1.18-19). Voilà les difficultés qui attendaient Jérémie dans son ministère. Aussi le chrétien qui rêve d’un ministère facile dans une culture où le christianisme est minoritaire manque-t-il totalement de réalisme. La tâche ne pouvait pas être facile au temps de Jérémie, et il n’y a aucune chance qu’elle soit plus aisée pour nous aujourd’hui.

La multiplication des formes de piété et des activités religieuses ne signifie rien pour Dieu et n’éloigne pas son jugement. La nouvelle théologie, et parfois, hélas, les compromis de certains secteurs de la chrétienté dite évangélique, dépouillent le culte de l’élément même qui le rendait agréable à Dieu. Nous avons vu dans les Lamentations que les Juifs s’étaient détournés de la vérité révélée ; or, précisément, Dieu ne peut pas accepter l’adoration d’hommes qui ont rejeté sa révélation propositionnelle. En parlant ainsi, nous ne jonglons pas avec des notions théologiques abstraites, nous traitons le problème concret de la foi en Dieu et en la vérité révélée.

Mais, à travers le message de Jérémie, Dieu veut encore nous apprendre autre chose. En effet, le prophète ne se contente pas de flétrir la piété formaliste, mais il se lance dans une dénonciation formelle de l’apostasie de son temps. Remarquez, à ce propos, que l’Église, depuis quatre décennies, utilise de moins en moins ce terme ; cela est symptomatique de notre époque et démontre à quel point le relativisme propre au concept hégélien de la synthèse a envahi l’Église moderne. D’aucuns, il est vrai, emploient le mot apostasie d’une façon dure et déplaisante ; c’est sans doute regrettable. Cependant, selon la Parole de Dieu, l’apostasie existe bel et bien, et si nous ne qualifions pas ainsi le fait de se détourner de Dieu, nous sommes infidèles à sa Parole.

D’apostasie, Dieu nous en parle par la bouche de Jérémie, en termes extrêmement forts, sévères, parfois même choquants ! « Lorsqu’un homme répudie sa femme, qu’elle le quitte et devient « la femme d’un autre, cet homme retourne-t-il encore vers elle ? Le pays même ne serait-il pas souillé ? Et toi, tu t’es prostituée à de nombreux amants, et tu reviendrais à moi ! dit l’Éternel. » (3.1) Dieu nous invite à revenir à lui, mais son invitation exige l’aveu de notre apostasie.

Jérémie ne se contente pas de réprouver l’apostasie religieuse, il condamne également certains péchés spécifiques, et c’est aussi ce que nous devons faire à notre époque. Dans Jérémie 5.7, nous lisons : « Pourquoi te pardonnerais-je ? Tes enfants m’ont abandonné, et ils jurent par des dieux qui n’existent pas. » Il s’agit encore une fois de péché dans le domaine religieux ; mais remarquez maintenant avec quelle précision la fin du verset évoque les effets de notre société d’abondance : « J’ai reçu leurs serments, et ils se livrent à l’adultère, ils sont en foule dans la maison de la prostituée. » Leur prospérité les stimule au péché ; n’est-ce pas des plus actuel ? Pensons aux pièces de théâtre, aux romans, aux films, à la peinture et à la sculpture modernes : dans notre société d’abondance, le message de l’art est souvent un appel à la vie hédoniste.

Si, dans notre monde post-chrétien, l’Église ne condamne pas le péché, elle ne suit pas l’exemple de Jérémie et reste en deçà du message qu’il a proclamé de la part de Dieu : condamnation d’une religion purement formaliste, condamnation de l’apostasie, condamnation des péchés sexuels, et, enfin, condamnation du mensonge, car le prophète s’y attaque aussi : « Oh ! Si j’avais au désert une cabane de voyageurs, j’abandonnerais mon peuple, je m’en éloignerais ! Car ce sont tous des adultères, c’est une troupe de perfides … Ils se jouent les uns des autres, et ne disent point la vérité ; ils exercent leur langue à mentir, ils s’étudient à faire le mal. » (9.2,5) Il ressort de ce passage que Dieu attache un grand prix à la véracité. Mais aujourd’hui, où l’on ne croit plus en aucun absolu, il est de plus en plus courant de ne pas dire la vérité, et la tromperie a droit de cité. En affaires, on essaie souvent, dans les limites légales, de ne pas honorer un contrat. Les employeurs ne tiennent pas leurs promesses et les employés le leur rendent bien. De par leur abandon de Dieu, seul fondement sur lequel on puisse établir des absolus en ce qui concerne la vérité et le mensonge, les hommes sont devenus perfides et hypocrites.

Les hommes agissent en général par la force de la tradition et de l’habitude, et non en fonction d’une base chrétienne solide et rationnelle, ce qui est fort laid. Cette écœurante hypocrisie est si patente dans la culture et dans l’Eglise, que les chrétiens auraient dû la dénoncer il y a des années déjà, sans attendre que la présente génération nous la jette au visage. Rappelons-nous que les vertus les plus belles perdent leur éclat si elles cessent d’émaner de la source qui les avait produites.

Jérémie s’en prend également à ceux qui cherchent de l’aide auprès du monde au lieu de s’adresser à Dieu. Ce péché revêtait de son temps une forme bien définie ; les Juifs regardaient du côté de l’Égypte et d’autres grandes nations pour recevoir du secours contre Babylone.

Dieu nous avertit qu’à vouloir chercher de l’aide auprès du monde, nous allons au-devant de pénibles humiliations et d’un échec certain. A notre époque de relativisme, où la nouvelle théologie rabaisse la religion au rang de la psychologie, l’Église doit donner la démonstration de la réalité de sa foi en l’existence de Dieu. Il nous « faut chercher l’aide directement auprès de Dieu, et ainsi nous « accomplirons l’œuvre du Seigneur selon la méthode du Seigneur », comme avait coutume de le dire Hudson Taylor (fondateur de la Mission à l’Intérieur de la Chine).

Pour conclure, quelle était la teneur du message de Jérémie ? S’agissait-il d’un message facile ? Certainement pas, car voici ce qu’il devait dire aux Juifs de son temps : « Vous marchez vers un anéantissement total parce que vous avez tourné le dos à Dieu et refusé de vous repentir. Dieu, qui intervient dans l’histoire, va détruire complètement votre culture. » C’est ainsi que nous lisons : « L’Éternel me dit : C’est du septentrion que la calamité se répandra sur tous les habitants du pays. » (1.14) Et encore : « Voici, je fais venir de loin une nation contre vous, maison d’Israël, dit l’Éternel ; c’est une nation forte, c’est une nation ancienne, une nation dont tu ne connais pas la langue, et dont tu ne comprendras point les paroles. » (5.15) Leur culture est menacée de destruction totale ; cette prophétie se répète tout au long du livre de Jérémie.

Voici ce que Dieu veut dire par là à notre génération : « Ô peuples, ô culture, pensez-vous que la connaissance que vous détenez aujourd’hui — inadéquate puisqu’elle ne tient pas compte de l’ensemble du réel (où le surnaturel voisine avec le naturel, et où tout ne saurait s’expliquer par le seul jeu des forces horizontales), pensez-vous donc que cette connaissance vous permettra de forger les instruments de votre délivrance ? Sachez-le, tout cela va se retourner contre vous, comme une épée dans la main d’un homme épuisé. Vous vous fiez à votre technologie, toujours plus poussée, mais cette même technologie vous détruira. » Tant qu’il ne se trouvera personne pour prêcher courageusement ce message au monde d’aujourd’hui, l’Église ne sera pas prise au sérieux.

Il faut dire et redire à notre génération qu’on ne se moque pas de Dieu, qu’il jugera notre culture à cause de son rejet délibéré de l’extraordinaire lumière dont elle bénéficiait. Dieu est un Dieu de grâce, mais le revers de la grâce, c’est le jugement. Si Dieu existe, si sa sainteté n’est pas un vain mot (et sans un Dieu saint, il n’y a pas d’absolus), le jugement fondra inexorablement sur le monde.

Pourquoi tant d’inconsistance et de superficialité chez les chrétiens évangéliques de tout âge ? C’est qu’ils passent à côté de la réalité suprême, de la réalité décisive, à savoir que Dieu existe de fait, qu’il est objectivement présent. La Bible est ce qu’elle est parce que Dieu, dans son existence objective, l’a donnée par le souffle de sa bouche, sous la forme de déclarations précises énoncées dans les termes et selon les règles du langage humain.

En dernière analyse, sur quoi notre christianisme est-il axé ? Sur quel pivot repose-t-il ? Serait-ce sur autre chose que sur la réalité même de Dieu ? Dans tout ce qui compose la trame de notre vie, quand nous étudions, quand nous enseignons, croyons-nous que Dieu est là, proche et présent ?

Croyons-nous vraiment à la réalité de son existence, ou nous contentons-nous de vivre avec une croyance propre à notre milieu social ? Si l’existence et la sainteté de Dieu sont effectives, comment concevoir qu’il reste insensible à l’apostasie du monde occidental ? À moins de lui annoncer le jugement de Dieu, nous ne pourrons prêcher avec efficacité à notre génération.


 

L’histoire s’est passée à Jérusalem il y a environ 2600 ans. L’armée des Chaldéens campait au pied des murs de la ville. Le prophète Jérémie parcourait la ville en en prédisant la chute imminente et en encourageant le roi Sédécias, les princes et le peuple à se rendre. La peur régnait, ainsi que les maladies et la famine. Il était clair que la fin était proche, mais la classe dirigeante n’avait pas encore saisi cette réalité nouvelle. Elle était plus préoccupée de se sentir aux commandes que de se soumettre à la voix de Dieu révélée par l’intermédiaire de Jérémie. « Et les princes dirent au roi : Qu’on fasse donc mourir cet homme ! car pourquoi rend-il lâches les mains des hommes de guerre qui sont de reste dans cette ville, et les mains de tout le peuple, en leur parlant selon ces paroles ? car cet homme ne cherche point la prospérité de ce peuple, mais le mal. » Dans ces jours de tension qui menaient à la chute de Jérusalem, un esclave éthiopien nommé Ebed-Mélec servait dans le palais royal (38.4-7). Peu de temps avant l’invasion des Chaldéens, le Seigneur Tout Puissant a envoyé un message à ce païen de la classe ouvrière « car certainement je te sauverai, et tu ne tomberas pas par l’épée ; et tu auras ta vie pour butin » (39.18). Qu’est-ce qui rendait Ebed-Mélec différent des autres habitants de Jérusalem ?

  1. Ebed-Mélec — un homme compatissant

Le mot hébreu pour Ebed signifie « serviteur », et Melec « roi ». Le nom de cet eunuque éthiopien est mentionné six fois dans l’Écriture, et tout ce que nous savons à son sujet se trouve dans les chapitres 38 et 39 de Jérémie. La première fois, il nous est dit qu’il venait d’entendre que les princes du roi « avaient mis Jérémie dans la fosse » (38.7). Étant donnée l’impopularité du message de Jérémie et la crise à Jérusalem, il est tout à fait plausible que les dirigeants aient voulu le réduire au silence. Pourquoi Ebed-Mélec aurait-il tenu à s’impliquer ? Il est certain que ce qui était arrivé à Jérémie n’était pas de sa responsabilité.

Lorsque nous rechignons à agir, beaucoup de bonnes raisons font surface dans notre esprit pour justifier notre passivité. N’est-ce pas le travail du Seigneur que de défendre ses serviteurs ? Peut-être que le Seigneur est en train de polir le caractère de Jérémie par la souffrance ? Jérémie doit mourir un jour, pourquoi pas cette semaine ? Après tout, personne n’est indispensable dans le travail pour le Seigneur ! Mais Ebed-Mélec avait cultivé la compassion dans son cœur. Ce cœur sensible ne lui permettait pas de rester indifférent. Combien il est aisé d’être absorbé dans l’affairement sans fin de notre petit monde : mes études, ma famille, ma maison, mon travail, mon église locale, mon confort, mon avenir. S’il nous faut être utile au Seigneur dans une sphère plus étendue, nous avons besoin de cultiver la compassion dans notre cœur, un cœur qui nous poussera à écouter, à voir et à sentir au delà de nos responsabilités habituelles.

  1. Ebed-Mélec — un homme vertueux en harmonie avec Dieu

La fosse était profonde. Jérémie avait du mal à y bouger et à y trouver du repos, englué dans une boue épaisse. Il était transi, fatigué et affamé. Que font les prophètes dans de telles circonstances ? Vous êtes-vous déjà retrouvé désespérément réduit à l’impuissance ? Dans le livre des Lamentations, Jérémie décrit cela, ou une situation critique très similaire, dans un langage poétique : « J’ai invoqué ton nom, ô Éternel, du fond de la fosse. […] Au jour où je t’ai invoqué, tu t’es approché, tu as dit : Ne crains pas ! » (Lam 3.55,57) Après une telle douce proximité, le Seigneur lui-même vient délivrer son serviteur. S’il a permis à Pierre de marcher sur les eaux, il aurait pu permettre à Jérémie de marcher sur de la boue ! Si Élie a été enlevé dans les airs, alors le Seigneur aurait pu facilement tirer Jérémie hors de la fosse. Mais, comme il le fait habituellement, le Seigneur préfère agir par l’intermédiaire d’agents humains de bonne volonté. Qui à Jérusalem était toujours sensible à sa voix ? Qui le Seigneur pouvait-il utiliser ?

Sédécias, le roi de Juda, aurait pu être l’instrument idéal de Dieu. Il avait 32 ans, et régnait depuis 12 ans. Il était dans la meilleure situation pour intervenir. Mais moralement, c’était un homme faible. Son sens du bien et du mal avait été émoussé par des années de compromis politique. C’était en vue de son propre avantage qu’il satisfaisait ses princes (38.4-5). Ce danger nous guette également. Il arrive parfois que les responsables d’églises soient davantage enclins à se conformer à l’humeur de leurs amis ou de leur congrégation qu’à discerner la pensée de Christ. Dans l’affaire de Jérémie, n’y avait-il donc aucun auditeur en harmonie avec Dieu ? Ebed-Mélec possédait des convictions morales claires : il avait écouté Jérémie et il considérait que ce qui avait été fait à Jérémie était « mal » ou « méchant ». Par conséquent, il préparait son cœur à y porter remède. Que faisons-nous quand nous sentons que quelque chose est mauvais ? Nous détournons nos yeux si facilement. « Il faudrait vraiment faire quelque chose… », avons-nous tendance à dire. « Peut-être n’est-ce pas si mal que ça ? », commençons-nous à penser. La maturité morale est le fruit d’un exercice régulier : « … la nourriture solide est pour les hommes faits, pour ceux qui, par l’usage, ont le sens exercé au discernement du bien et du mal. » (Héb 5.14). Même aujourd’hui, le Seigneur recherche des hommes et des femmes pieux pour porter remède au mal. Le Seigneur peut-il nous utiliser ?

  1. Ebed-Mélec — un homme audacieux qui a rompu le silence

Ebed-Mélec a quitté le palais, est allé trouver le roi et a dit : « Ô roi, mon seigneur, ces hommes ont mal agi en traitant de la sorte Jérémie, le prophète. » (38.8-9) Ce sont des paroles hardies de la part d’un serviteur devant son maître. Les rois, habituellement, n’aiment pas être repris, en particulier sur les sujets moraux. Et pourtant, en son for intérieur, le roi Sédécias savait qu’Ebed-Mélec avait raison. Il a tout de suite fourni à Ebed-Mélec 30 hommes pour faire « monter Jérémie le prophète hors de la fosse, avant qu’il meure » (38.10). Il y avait peut-être d’autres personnes à Jérusalem qui savaient ce qu’on avait fait à Jérémie et se sentaient mal à l’aise, mais elles ont choisi de garder le silence. Quand vous faites part de votre souci, vous vous impliquez dans le problème. Peut-être qu’on vous fera subir le même sort qu’à celui que vous défendez. Votre loyauté vis-à-vis de la cause du peuple peut être remise en question. Il faut de l’audace pour rompre le silence. Il faut de la conviction pour tenir ferme face au courant. Vous avez peut-être remarqué quelque chose qui a besoin d’être corrigé : de la mondanité qui entre insidieusement chez vous, une attitude morale incorrecte qui devient normale sur votre lieu de travail, une décision ou une pratique en conflit avec l’Écriture qui est acceptée par les chrétiens avec lesquels vous êtes en communion. Il est à remarquer qu’Ebed-Mélec n’a pas déclenché une campagne pour destituer le roi et ses princes. Il a utilisé les moyens appropriés. Il a été l’instrument qui a fait changer l’avis du roi à ce sujet. Il a calmement expliqué avant d’agir. De mauvaises façons d’agir ont gravement porté préjudice à beaucoup de bonnes causes, nobles et morales. Nous sommes appelés à faire le travail de Dieu, mais à la manière de Dieu.

  1. Ebed-Mélec — un homme conséquent, qui a pesé de tout son poids

Vous avez besoin d’avoir les yeux ouverts et les oreilles attentives pour détecter un problème. Vous avez besoin d’un cœur compatissant pour vous identifier avec un malheureux. Vous avez besoin de hardiesse pour faire connaître votre sentiment. Et pourtant, Ebed-Mélec ne s’est pas contenté d’idées, de mots et de négociations. Il a pris des hommes, des chiffons, des cordes, « et ils tirèrent Jérémie dehors avec les cordes, et le firent monter hors de la fosse. » (38.11-13) Il s’est sali les mains et a mis tout son poids dans la balance.

Lorsque le Seigneur nous met un souci brûlant au cœur, il veut nous voir agir d’une manière ou d’une autre. Penser et parler, ce n’est pas assez. Si le Seigneur vous met à cœur la condition spirituelle d’un ami ou d’un parent, le fardeau ne s’allègera que lorsque vous commencerez à agir. Priez. Écrivez-lui un email ou une carte. Envoyez-lui un CD de musique ou un livre. Invitez-le à un évènement chrétien. Recherchez activement des opportunités. Le Seigneur a accordé à ses disciples de voir les besoins dans le champ de la moisson, et ensuite il leur a demandé de prier : « Suppliez donc le Seigneur de la moisson, en sorte qu’il pousse des ouvriers dans sa moisson. » Un peu plus tard, Jésus envoie ces douze pour travailler dans ce champ de la moisson (Matthieu 9.35 à 10.16). Chez Ebed-Mélec, nous voyons l’heureuse concordance entre le cœur et les mains, entre le souci et l’implication pratique, entre les paroles et l’action …

  1. Ebed-Mélec — un homme calme qui a choisi de faire confiance à Dieu

Jérémie tiré de la fosse, l’attention s’est de nouveau portée sur la crise globale : l’invasion imminente. Le roi Sédécias et Ebed-Mélec étaient tous deux effrayés par l’armée brutale qui assiégeait la ville. Peut-être Ebed-Mélec était-il aussi effrayé à l’idée de ce que lui réservaient les princes du roi en représailles pour avoir aidé Jérémie. Le roi Sédécias a fait appeler Jérémie secrètement, et lui a demandé un message de la part du Seigneur. Le message de Jérémie n’avait pas changé : « Si tu sors franchement vers les princes du roi de Babylone, ton âme vivra et cette ville ne sera point brûlée par le feu » (38.17) Rien qu’à l’idée d’obéir à cet ordre, Sédécias était paralysé de peur. Qui craignait-il ? « Je crains les Juifs qui sont passés aux Chaldéens. » (38.19) Pourquoi les craignait-il ? Parce que Sédécias et ses princes avaient maltraité ceux qui essayaient de se rendre. Ils les avaient appelés déserteurs et traîtres. Ceux-ci avaient été arrêtés et battus (37.13-15). Sédécias savait qu’il était dans une position difficile : pour se rendre aux Babyloniens, il aurait dû faire ce qu’il avait précédemment condamné. Vous êtes-vous déjà retrouvé dans une situation similaire ? Avez-vous été capable de reconnaître et d’admettre avoir mal agi ? Les erreurs publiques exigent une confession publique.

Jérusalem est tombée. Les Babyloniens ont incendié la ville. Les enfants de Sédécias ont été tués devant lui. Il a été enchaîné, ses yeux ont été crevés, et il est mort à petit feu en exil. Sédécias a payé le prix fort pour avoir résisté à la direction du Seigneur. Nous pouvons voir ici une image vivante des tristes effets du manque d’humilité dans la conduite chrétienne, que ce soit à la maison ou dans l’assemblée. Si nous ne sommes pas disposés à écouter sa voix et à ajuster notre comportement en conséquence, nous perdrons nos « yeux » — notre aptitude à percevoir la direction à venir. Nous resterons enchaînés et limités par des schémas et des traditions malsains. Nous cesserons d’être des modèles pour nos enfants — nous perdrons la génération qui vient. Nous serons source de douleur pour les autres. Et finalement, nous mourrons, mais très loin de là où le Seigneur aurait voulu nous bénir. Et au sujet d’Ebed-Mélec ? Il a vécu en paix : « En ce jour je te délivrerai, dit l’Éternel, et tu ne seras pas livré entre les mains des hommes que tu crains. Je te sauverai […] parce que tu as eu confiance en moi. » (39.17-18) Libre et comblé de bénédictions, avec la joie et la légèreté de cœur qui viennent par l’obéissance, Ebed-Mélec est calmement retourné dans l’ombre.

Conclusion

Vous n’êtes peut-être pas un conducteur. Ebed-Mélec non plus. Vous avez peut-être choisi de vous installer dans une vie chrétienne passive à cause de votre nationalité, de votre race, de votre manque de force virile, de votre âge ou de votre position sociale. Ebed-Mélec était désavantagé sur de nombreux plans, mais aujourd’hui, plus de deux millénaires et demi après sa mort, ses actions nous servent toujours de modèle ! Dans les mains du Dieu Tout-puissant, vous et moi pouvons aussi changer le cours des choses.

Écrit par


 

Cet article est extrait du commentaire sur Jérémie paru dans la collection Commentaires bibliques du chercheur, aux éditions Impact. Il est reproduit avec l’aimable autorisation de l’éditeur.

a. Le jugement et le rétablissement à venir (33.1-13)

1. Le jugement à venir (33.1-5)

Le chapitre 33 conclut le « Livret de la consolation ». Structurellement et chronologiquement, ce chapitre est étroitement relié au chapitre 32 : il développe la promesse divine de bénédiction en réaffirmant à la fois la future destruction et le futur rétablissement de Jérusalem (33.1-13) et, ensuite, ses alliances conclues avec David et avec les sacrificateurs lévitiques (33.14-26).

Le chapitre 33 suit de très près le message du chapitre 32 où Jérémie « était encore enfermé dans la cour de la prison » (33.1 ; voir 32.1-2). Une fois de plus, Dieu rappela à Jérémie à la fois sa puissance et son caractère comme le Dieu qui a fait… la terre (32.17). En révélant à Jérémie que son « nom est l’Éternel » (Yahweh), Dieu mettait l’accent sur sa fidélité à garder son alliance avec son peuple (voir 32.18 ; Ex 3.13-15). Jérémie ne comprenait pas comment Dieu pouvait rétablir une nation qui était destinée au jugement (voir 32.24-25) ; aussi Dieu exhorta-t-il le prophète à l’invoquer afin de comprendre. Dieu promit de l’exaucer en lui révélant « de grandes choses, des choses cachées ». Le mot pour « cachées », employé pour décrire des villes aux fortifications importantes (Nom 13.28 ; Deut 3.5 ; 28.52 ; Éz 21.20), signifie quelque chose qui est rendu inaccessible par des murs insurmontables. Les plans de Dieu pour l’avenir sont insaisissables au commun des mortels ; seul Dieu peut dévoiler les secrets du futur, et il les révéla à Jérémie. Dieu communiquerait à Jérémie des vérités concernant l’avenir d’Israël, que le prophète ignorait ou ne comprenait pas.

La première révélation concernait la chute imminente de Jérusalem. Alors que le siège de Babylone affaiblissait les défenses extérieures de Jérusalem, les maisons de Jérusalem et celles des rois étaient abattues afin de fournir du bois et de la pierre pour fortifier les murs contre les terrasses. Le but de cet effort considérable était d’empêcher les soldats babyloniens (« l’épée ») d’opérer une brèche dans les murailles afin d’entrer dans la ville.

Dieu annonça que les faibles tentatives des habitants de Jérusalem pour affermir ses défenses étaient futiles. Ses maisons partiellement détruites étaient remplies des cadavres des hommes tués par les Chaldéens. Dieu cacherait sa face à cette ville en refusant de la délivrer de cette destruction (voir 18.17 ; Éz 4.1-3), car elle devait être détruite « à cause de la méchanceté ».

  1. Le rétablissement à venir (33.6-13)

Pour concilier ces prophéties apparemment contradictoires de jugement et de bénédiction, il fallait comprendre que le jugement devait seulement être temporaire : après le temps de jugement, Dieu accorderait à sa ville et à son peuple « la guérison et la santé ». Dieu annonça à Jérémie trois aspects de cette bénédiction.

–D’abord, la bénédiction du peuple comprendrait le rétablissement du peuple dans le pays (voir 31.8-11 ; 32.37). Dieu ramènerait les captifs de Juda et les captifs d’Israël.

– Ensuite, la bénédiction comprendrait leur retour à l’Éternel (voir 31.31-34 ; 32.38-40) : Dieu purifierait le peuple de « toutes [ses] iniquités » et pardonnerait sa rébellion.

– Enfin, la bénédiction ferait retrouver à Jérusalem le rang honorable dont elle avait joui autrefois parmi les nations (voir 31.10-14) : la ville serait pour Dieu « un sujet de joie, de louange, de gloire, parmi toutes les nations » qui seraient « étonnées et émues de tout le bonheur et de toute la prospérité » (voir 33.6) que Dieu accorderait à son peuple.

Dieu développa le contraste entre le jugement présent et sa bénédiction future en donnant deux images des changements qui se produiraient, chaque illustration commençant par la même expression (33.10,12) : « Ainsi parle l’Éternel (ou l’Éternel des armées) ». Dans chaque image, la scène à l’époque de Jérémie était identique : Jérusalem était déserte, car il n’y avait « plus d’hommes, plus de bêtes » (voir 32.43). Bien que le siège fût encore en cours, la chute de Jérusalem était si certaine que Dieu la décrivit comme un fait accompli. Ensuite, les deux images changèrent : dans 33.10-11, Dieu illustra la joie et l’allégresse qui reviendraient à Jérusalem et en Juda, tandis que dans 33.12-13, il décrivit la paix et la prospérité qui caractériseraient à nouveau Juda.

« Les rues de Jérusalem » qui étaient privées d’hommes après sa destruction par les Babyloniens (voir Lam 1.1-4) se rempliraient à nouveau des « cris de réjouissance » et des « cris d’allégresse ». Ces manifestations de joie proviendraient des « chants du fiancé » et des « chants de la fiancée » lors de cérémonies de mariage (voir 7.34 ; 16.9 ; 25.10) et par la voix d’adorateurs apportant « des sacrifices d’actions de grâces dans la maison de l’Éternel » (voir Ps 100.1-2,4). Le chant des adorateurs annoncé par Jérémie ressemble au refrain de plusieurs Psaumes (voir Ps 100.4-5 ; 106.1 ; 107.1 ; 136.1-3). La joie éclaterait lorsque Dieu ramènerait « les captifs » de Juda (voir 30.18 ; 32.44 ; 33.26 ; Deut 30.3).

Les villes de Juda qui avaient été détruites par Babylone connaîtraient elles aussi la paix et la prospérité : Dieu fournirait encore des demeures pour les bergers. Cette paix s’étendrait de Jérusalem à la montagne de Juda à l’est, aux villes de la plaine de Schephelah à l’ouest, au Néguev au sud, et au pays de Benjamin au nord (voir 17.26).

Dans tout le pays, les brebis passeraient « encore sous la main de celui qui les compte », comme un berger compte ses moutons pour s’assurer qu’aucun ne manque. Jérémie utilisait peut-être le berger et les brebis dans un sens métaphorique pour se référer aux chefs d’Israël et au peuple. En effet, il avait déjà comparé les chefs aux bergers (voir 3.15) et la nation rétablie à un troupeau rassemblé (voir 23.3 ; 31.10). Jérémie avait aussi utilisé ces images pour introduire son message sur le germe juste de David (23.1-6), le sujet de 33.14-26

b. Les alliances conclues avec David et avec les sacrificateurs lévitiques (33.14-26)

1. Les alliances (33.14-18)

La deuxième section de ce chapitre commence par l’expression : « Voici les jours viennent. » Jérémie employa cette expression seize fois dans son livre. Parfois elle annonçait la destruction imminente de Juda et des nations environnantes (voir 7.32 ; 9.25 ; 19.6 ; 48.12 ; 51.47,52), mais les neuf autres fois, elle annonçait une période de bénédiction pour Israël quand :

(a) la nation reviendrait de la captivité (16.14,15 ; 23.7,8 ; 30.3) ;

(b) le germe juste de David régnerait sur une monarchie unie (23.5,6 ; 33.14,15) ;

(c) la nation expérimenterait la paix et la prospérité dans le pays (31.27,28 ; 33.14,16) ;

(d) la nouvelle alliance avec la purification des péchés serait en vigueur (31.31-34) ;

(e) et enfin la ville de Jérusalem serait reconstruite comme une ville sainte qui ne serait plus jamais détruite (31.38-40).

Ces promesses transcendent tout ce qu’Israël a connu pendant sa longue histoire ; aussi trouveront-elles leur accomplissement ultime seulement lors de l’établissement du royaume millénaire du Messie, époque où Dieu accomplira « la bonne parole » qu’il avait « dite sur la maison d’Israël et sur la maison de Juda » (33.14b).

Le premier aspect de cet accomplissement sera le rétablissement de la monarchie (voir 23.5). Le « germe de justice » issu de David régnera comme roi sur la nation. Il s’agit d’une prophétie à propos de Jésus-Christ, descendant de la lignée de David, auquel le trône de David était promis (voir Luc 1.31-33).

Le second aspect de cet accomplissement sera le rétablissement de Jérusalem comme la demeure de Dieu : la ville alors sur le point d’être détruite par Babylone (33.4.5) vivra un jour en sécurité. Cette déclaration se trouve en 23.6, mais ici Jérémie opérait un changement significatif qui donnait une nouvelle signification.  Dans 23.6, Jérémie décrivit la sécurité d’Israël et de Juda par l’intervention du Messie appelé « l’Éternel notre justice ». Cependant, en remplaçant « Israël » par « Jérusalem » et le pronom masculin « l’ » par le pronom féminin, Jérémie appliqua le titre « L’Éternel notre justice » (23.6) à la ville de Jérusalem plutôt qu’au Messie. Ainsi, la ville prendrait le caractère de l’Éternel qui vivrait en son sein (voir Éz 48.35).

Fait significatif, Jérémie mit en évidence à la fois l’aspect royal (33.15) et l’aspect religieux (33.16) du rétablissement qui serait opéré par Dieu, car tous deux étaient indispensables à l’existence d’Israël, comme le peuple de l’alliance avec Dieu.

Pour mettre en valeur l’importance de ces deux aspects, Dieu réitéra ses alliances avec la lignée de David et avec les sacrificateurs lévitiques. La première alliance mentionnée fut l’alliance de Dieu avec David (voir 2 Sam 7.8-16), où Dieu promit que « David ne manquerait jamais d’un successeur assis sur le trône de la maison d’Israël ». Selon certains, cette promesse ne fut pas accomplie, car le trône cessa d’être occupé lors de la chute de Jérusalem en 586 av. J.-C. Cependant, Dieu n’avait pas promis une monarchie ininterrompue, mais une lignée ininterrompue de descendants de David aptes à lui succéder une fois le trône rétabli. En effet, la lignée de David ne s’interrompit pas en attendant que le germe juste vienne réclamer son trône. Les généalogies de Matthieu et de Luc montrent l’accomplissement de cette promesse du fait que le Christ descendait de David, à la fois par sa lignée légale, passant par Joseph, et par sa lignée physique, passant par Marie (Mat 1.1-16 ; Luc 3.23-31).

La seconde alliance mentionnée fut celle conclue par Dieu avec les sacrificateurs et les Lévites, à savoir sa promesse, faite à Phinées (Nom 25.12-16), selon laquelle les Lévites ne manqueraient jamais de « successeurs pour offrir des holocaustes et des offrandes ». Une fois encore, la promesse ne signifiait pas que les sacrifices ne seraient jamais ininterrompus, car ils cessèrent en 586 av. J.-C. et reprirent seulement en 537 av. J-C. (voir Esd 3.1-6), mais seulement que le sacerdoce lévitique ne s’éteindrait pas.

Ainsi, ni la monarchie ni le sacerdoce ne seraient abolis.

  1. La confirmation des promesses (33.19-26)

Dieu donna deux assurances qu’il tiendrait ses promesses à propos de l’alliance, chacune commençant par la même expression : « La parole de l’Éternel fut adressée à Jérémie » (33.19,23), et chacune employant son « alliance avec le jour et avec la nuit » pour illustrer la permanence de ces institutions (33.20,25 ; voir aussi 31.35-37).

Seulement si l’homme pouvait « rompre l’alliance de Dieu avec le jour et avec la nuit » (voir Gen 1.14-19) pourrait-il rompre son « alliance […] avec David et avec les Lévites, les sacrificateurs ». Autrement dit, ces alliances avec eux étaient aussi solides que l’ordre naturel de l’univers ; par conséquent, elles ne pourraient jamais être renversées par de simples mortels. Le mot « alliance » faisait référence à un traité ou à un accord passé entre des individus ou des groupes, par lequel ils s’engageaient dans une certaine relation ou à respecter une certaine ligne de conduite. Dieu avait promis de protéger la lignée royale de David (2 Sam 7.8-16) ainsi que la lignée sacerdotale de Phinées (Nom 25.12-13), et il ne romprait jamais son serment. En effet, Dieu promit de bénir ces deux lignées afin que leur postérité devienne aussi nombreuse que « l’armée des cieux » et que « le sable de la mer ».

La deuxième assurance (voir 33.19-22) fut donnée par Dieu à Jérémie en raison des doutes et des critiques d’autres gens (leur identité n’est pas spécifiée : il s’agissait soit des Israélites, soit de leurs voisins païens) qui affirmaient que Dieu avait rejeté « les deux » royaumes (litt. « familles » ou clans ; voir 31.1) « au point de ne plus le regarder comme une nation ». Ils avaient l’impression que les péchés d’Israël et de Juda avaient annulé toutes les promesses d’alliance, si bien que Dieu n’était plus dans l’obligation de les accomplir.

Dieu répondit en réaffirmant son engagement à accomplir les promesses de l’alliance. Les alliances que Dieu avait conclues avec Abraham et avec David ne dépendant pas de l’obéissance du peuple mais du caractère de Dieu, elles étaient aussi certaines que son alliance avec le jour et avec la nuit et aussi immuables que les lois régissant les cieux et la terre. C’est seulement si ces lois naturelles pouvaient être abolies, que Dieu rejetterait la postérité de Jacob et de David. La mention d’Abraham, d’Isaac et de Jacob (33.26) rappelait la promesse de l’alliance conclue par Dieu avec ces patriarches concernant son élection d’Israël (voir Gen 15.7-21 ; 17.1-8 ; 26.1-6 ; 28.10-15). Dieu était engagé par ses promesses et il ramènerait les captifs de la nation (voir 30.18 ; 32.44 ; 33.11 ; Deut 30.3) et aurait pitié d’elle. Le caractère de Dieu constitue la plus grande assurance du rétablissement futur d’Israël comme nation : il a contracté une série d’alliances avec les patriarches, avec David et avec les Lévites ; aussi son caractère exige-t-il l’accomplissement final de ces promesses données à leur nation.

 


 

Jérémie 30 à 33 constitue une unité pleine de promesse et d’espoir. Dieu promet un rétablissement, vers une situation encore meilleure que celle dont le peuple avait joui dans le passé. Le chapitre 31 développe l’espoir d’un renouveau spirituel lié à la promesse d’une nouvelle alliance que Dieu lui-même établira.

  1. Dieu ramène son peuple vers lui parce que, en tant que père de sa nation, il l’a aimé dès l’éternité (31.1-9)

Quelle qu’ait pu être la colère de Dieu contre son peuple à cause de ses péchés, le choix de Dieu est fondé dans son propre amour pour lui dès l’éternité passée : « De loin l’Éternel se montre à moi : je t’aime d’un amour éternel ; c’est pourquoi je te conserve ma bonté. » (31.3)

Dans les premiers chapitres du livre, Israël est décrit sous la forme d’une prostituée en raison de l’apostasie spirituelle dans laquelle il était tombé : il avait abandonné son Dieu pour adorer d’autres dieux. Le prophète utilise des images très parlantes, comparant le peuple à une jument en chaleur (13.27). Les Israélites ne voulaient pas abandonner leurs idoles. Et maintenant, alors qu’il rétablit son peuple, il l’appelle : « Vierge d’Israël » (31.4 ; cf. 31.21) ! Mais comment est-il possible de retrouver sa virginité ? Dieu ne pardonne pas seulement : il permet un tout nouveau commencement. Des chrétiens qui ont été sauvés d’un arrière-plan misérable peuvent en témoigner : Dieu ne se souvient plus de leurs péchés passés.

Dieu change ensuite de métaphore pour se présenter comme le père de son peuple : « Ils viennent en pleurant, et je les conduis au milieu de leurs supplications ; je les mène vers des torrents d’eau, par un chemin uni où ils ne chancellent pas ; car je suis un père pour Israël, et Éphraïm est mon premier-né. » (31.9) La solution n’est pas dans une possible perfection, ni même dans la profondeur de sa repentance, mais dans l’éternité de l’alliance d’amour de Dieu.

  1. Dieu ramène son peuple vers lui parce que, en tant que berger de son troupeau, il le rachète d’un plus fort que lui (31.10-14)

Le berger connaît chacune de ses bêtes ; il les conduisait vers les bons pâturages, il les soignait, il les protégeait des bêtes sauvages. Le berger était le conducteur, le nourrisseur, le protecteur, le docteur. Ici, alors que son peuple a été dispersé par le jugement, Dieu est vu lui-même comme le Berger : « Celui qui a dispersé Israël le rassemblera, et il le gardera comme le berger garde son troupeau. » (31.10) Dieu est plus fort que ceux qui maintiennent le peuple en captivité : « Car l’Éternel rachète Jacob, il le délivre de la main d’un plus fort que lui. » (31.11)

Ce thème du berger revient souvent dans l’A.T. David, lui-même un berger, pouvait écrire : « L’Éternel est mon Berger. » (Ps 23.1) En tant que roi d’Israël, David était le berger du peuple ; c’était en effet une désignation courante des rois, des sacrificateurs et des prophètes. Mais, du point de vue de Dieu, David, avant d’être un « sous-berger », était d’abord lui-même une brebis. Il en est de même dans le N.T. : les responsables d’une église sont des « pasteurs » (qui est le mot tiré du latin pour désigner des « bergers ») mais ils sont sous le « grand pasteur des brebis ». Ce vocabulaire est emprunté à des textes comme celui-ci ou à Ézéchiel, un contemporain de Jérémie, vivant 1000 km à l’est, en exil : en Ézéchiel 34, Dieu se présente 25 fois comme le berger (notez tous les verbes à la première personne), avant d’annoncer : « J’établirai sur elles un seul berger, qui les fera paître, mon serviteur David ; il les fera paître, il sera leur berger. » (Éz 34.23) Et six siècles plus tard, une voix s’est fait entendre : « Je suis le bon berger. Le bon berger donne sa vie pour ses brebis. » (Jean 10.11) Et soudainement toutes ces voix qui parlaient du berger et qui annonçaient un bon berger se rejoignent en Jésus-Christ, qui est à la fois Dieu, qui vient visiter son peuple comme le berger de son troupeau, et le fils de David, qui, comme roi d’Israël, est aussi le berger de son peuple. Et c’est ce bon berger qui nous a délivrés du pouvoir de Satan, un dominateur encore plus fort que le roi de Babylone.

  1. Dieu ramène son peuple vers lui parce que, en tant que Dieu compatissant, il a pitié de son état désespéré (31.15-22)

Deux versets de cette section sont un peu compliqués à comprendre :

– « On entend des cris à Rama, des lamentations, des larmes amères ; Rachel pleure ses enfants ; elle refuse d’être consolée sur ses enfants, car ils ne sont plus. » (31.15) Rachel était la seconde épouse de Jacob, la mère de Benjamin (tribu du royaume du sud) et la grand-mère d’Éphraïm (principale tribu du royaume du nord). Rama était l’endroit où Rachel fut enterrée, près de la frontière entre les deux royaumes. L’image est ici celle de Rachel, pleurant de son tombeau ses « enfants » disparus, c’est-à-dire les fils d’Israël déportés. De façon intéressante, ce verset est cité en Matthieu 2.17-18 lorsque Hérode tua tous les bébés mâles de moins de deux ans, tandis que Jésus était emmené en Égypte. Ainsi les mères éplorées de Bethléhem prennent place dans cette longue lignée de personnes soumises à des tyrans qui les oppressent jusqu’à tuer leurs enfants. Le contexte éclaire cette citation dans le N.T. Jérémie continue : « Retiens tes pleurs, retiens les larmes de tes yeux ; car il y aura un salaire pour tes œuvres, dit l’Éternel ; ils reviendront du pays de l’ennemi. Il y a de l’espérance pour ton avenir, dit l’Éternel ; tes enfants reviendront dans leur territoire. » (31.16-17) Il y a encore de l’espoir ! Éphraïm reconnaît son péché et s’en repent (31.18-19) ; alors son Dieu l’accueille avec une immense miséricorde : « Mes entrailles sont émues en sa faveur : j’aurai pitié de lui. » (31.20) C’est ce que Dieu fera toujours.

– « L’Éternel crée une chose nouvelle sur la terre : la femme recherchera l’homme [litt. entourera l’homme fort]. » (31.22) Certains commentateurs tiennent ce verset pour le plus compliqué à comprendre du livre de Jérémie. La façon la plus naturelle de le comprendre est d’y voir une anticipation de l’union la plus étroite possible entre le peuple de Dieu (la « femme ») et Dieu lui-même (l’ « homme fort »), telle qu’elle sera décrite si puissamment dans l’Apocalypse (Apoc 19.7 ; 21.2-3).

  1. Dieu ramène son peuple vers lui parce que, en tant que Dieu libérateur, il met un terme à la captivité de son peuple et à sa lassitude (31.23-26)

Ces versets dépeignent le peuple ramené sur sa terre et dans ses villes (31.24), mais plus encore spirituellement désaltéré : « Je rafraîchirai l’âme altérée, et je rassasierai toute âme languissante. » (31.25). Là encore les parallèles avec le N.T. abondent (Mat 11.28-30 ; Jean 4.14).

  1. Dieu ramène son peuple vers lui parce que, en tant que Seigneur de l’histoire, il choisit de le construire et de lui créer une société stable (31.27-30)

Dieu maîtrise les soubresauts de l’histoire : c’est lui qui, dans sa providence, a permis la déportation du peuple comme jugement (31.28a) mais c’est aussi lui qui, dans sa miséricorde, permettra que le peuple soit rétabli dans sa bénédiction antérieure (31.28b).

  1. Dieu ramène son peuple vers lui parce que, en tant que Seigneur de l’alliance, il crée une nouvelle alliance (31.31-37)

Ce paragraphe nous amène au plus près du N.T., de Christ, de la croix. Arrêtons-nous d’abord sur l’adjectif « nouveau ». Beaucoup de commentateurs atténuent son sens en disant que l’alliance est plutôt « renouvelée », « mise à jour ». Toutefois la conclusion de la citation qu’Hébreux 8 fait de ces versets conduit à réfuter ce point de vue : « En disant : une alliance nouvelle, il a déclaré ancienne la première ; or, ce qui est ancien, ce qui a vieilli, est près de disparaître. » (Héb 8.13) Si on lit correctement l’A.T., on trouve de nombreux textes qui annoncent l’obsolescence de l’ancienne alliance mosaïque. Cette alliance était basée sur le tabernacle, le système sacrificiel, le jour du Yom kippour, le temple, la sacrificature. Quand le peuple a été déporté, il était loin de tous ces moyens de grâce de l’ancienne alliance ; revenu dans son pays, il rebâtit un temple et rétablit les sacrifices, mais Dieu annonce qu’il va renverser cette ancienne alliance pour en instaurer une nouvelle. C’est ce que présente l’Épître aux Hébreux en détail.

Un autre exemple d’annonce d’une nouvelle alliance est le Psaume 110 où Dieu par David annonce le futur Messie qui unit la royauté et la sacrificature en une seule personne, alors que les deux étaient fermement séparés sous l’ancienne alliance. 1000 ans avant la venue de Christ, la fin de l’ancienne alliance était ainsi annoncée, puisque cette union des deux fonctions impliquait forcément une nouvelle alliance.

L’ancienne alliance a eu son importance : elle était donnée par Dieu, elle indiquait la différence entre ce qui était bien et ce qui était mal, elle instituait un système sacrificiel pour nous enseigner qu’il fallait qu’une créature perde la vie pour prendre la place du pécheur, que seul le sang expiait le péché. Mais elle n’était que temporaire, une préfiguration. Dieu n’a jamais prévu que l’ancienne alliance soit permanente. Elle contenait elle-même son obsolescence. Elle pointait vers le jour où un roi sacrificateur établirait une « nouvelle alliance ».

Dans quel sens est-elle « nouvelle » ? Parce que la précédente a été « violée » (31.32) : elle n’avait pas la capacité de transformer les cœurs. La nouvelle est établie sur des principes différents. Prenons-en les différents points en sens inverse :

– 1. « Je pardonnerai leur iniquité, et je ne me souviendrai plus de leur péché. » (31.34b) : l’ancienne alliance ne pouvait pas le faire. Il est vrai que Dieu avait prévu sous elle des sacrifices qui pouvaient pardonner les péchés des Israélites, mais ils péchaient à nouveau et devaient attendre le prochain Yom kippour pour que le grand sacrificateur fasse à nouveau aspersion du sang pour maintenir le peuple dans la faveur de Dieu. Dans un sens, ce cycle annuel de fêtes et de sacrifices était un rappel continuel de leurs péchés. Le sujet du péché n’était jamais traité définitivement. Alors, la nuit où il fut livré, le Seigneur Jésus prit la coupe et dit : « Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang, qui est répandu pour beaucoup pour la rémission des péchés. » Et tous ceux qui connaissent leur Bible savent qu’il faisait une allusion directe à Jérémie 31, à cette annonce du pardon définitif des péchés. Plus besoin du sang de boucs du Yom kippour, des agneaux pascals : Jésus est l’Agneau de Dieu (Jean 1.29), notre Pâque (1 Cor 5.7), l’ultime et définitif sacrifice expiatoire (Héb 9.11-14). Christ est mort une fois pour toutes : tous les péchés que celui qui appartient vraiment au peuple de Dieu a commis, commet ou commettra, sont finalement traités par son sacrifice sanglant. Au milieu des manquements du peuple de Dieu, au milieu de mes propres manquements, je n’ai aucun argument plus fort que ce verset : en vertu du sang de la nouvelle alliance, je bénéficie d’un pardon total, complet, définitivement acquis.

– 2. Sous l’ancienne alliance, les prêtres étaient des médiateurs. Eux seuls pouvaient accomplir certaines fonctions et seul le grand sacrificateur pouvait entrer dans le lieu très saint. Les Lévites avaient la tâche d’enseigner la loi au peuple ; ils étaient médiateurs de la vérité divine. De même, le roi était vu comme le « fils de Dieu », le représentant de Dieu chargé d’être le médiateur de la justice et de l’autorité de Dieu. Les prophètes étaient aussi des médiateurs de la parole. Mais sous la nouvelle alliance, tout change : « Celui-ci n’enseignera plus son prochain, ni celui-là son frère, en disant : Connaissez l’Éternel ! Car tous me connaîtront, depuis le plus petit jusqu’au plus grand. » (31.34a)[1] Cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus d’ « enseignants » dans la période actuelle, mais ils ne sont plus des médiateurs ; ils n’ont aucun statut particulier. Dieu ne donne à aucun individu une expérience unique de sa grâce pour se prévaloir d’un accès particulier à lui. Les enseignants du N.T. sont des membres du corps comme les autres. Désormais le seul et unique médiateur est Jésus-Christ (1 Tim 2.5). Chaque croyant a une connaissance particulière, immédiate et intime de Dieu liée au don du Saint-Esprit qui est l’acompte de l’âge à venir. C’est une amélioration radicale par rapport à la période précédente et une anticipation de la gloire qui doit être révélée.

– 3. « Je mettrai ma loi au-dedans d’eux, je l’écrirai dans leur cœur. » Quel contraste avec ce que Dieu disait autrefois : « Jusqu’à ce jour, l’Éternel ne vous a pas donné un cœur pour comprendre, des yeux pour voir, des oreilles pour entendre. » (Deut 29.4)

Telle est la nouvelle alliance. Comment est-elle assurée ? Par la stabilité des décrets de Dieu lui-même (31.35-37). Le N.T. montre que cette alliance n’est pas seulement pour Israël (du nord ou du sud), mais aussi pour nous, les païens (Héb 10.15-18). Et chaque fois que nous nous approchons de la table du Seigneur, nous entendons sa voix nous répéter : « Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang ; faites ceci en mémoire de moi toutes les fois que vous en boirez. » (1 Cor 11.25)

[1] La réalisation complète de cette prophétie de Jérémie n’a pas encore eu lieu. En effet, elle attend la conversion nationale du peuple d’Israël (31.36 ; cf. Rom 11.26,27) et le règne terrestre de Christ (le Messie). Alors les bénédictions de cette alliance atteindront leur pleine concrétisation. (NDLR)

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Pendant tout son ministère, Jérémie a dû lutter contre les faux prophètes. Notre appréciation des prophètes des temps bibliques est plus facile que la sienne : les vrais prophètes sont dans la Bible et les faux prophètes n’y sont pas. Il n’est pas compliqué de distinguer les uns des autres. Mais, à l’époque de Jérémie, ce n’était pas si facile. Les faux prophètes prétendaient être de vrais prophètes. Eux aussi disaient : « Le Seigneur m’a envoyé. » Ils employaient les mêmes tournures de langage que Jérémie. Les prophètes concurrents de Jérémie pouvaient même passer pour plus authentiques que Jérémie lui-même. Et ces prophètes, que nous pouvons aujourd’hui identifier comme de faux prophètes, se caractérisaient par un message lénifiant, adoucissant, rassurant, optimiste : « Ne vous en faites pas, le Seigneur va nous délivrer. La situation n’est pas si grave. Bien sûr, il y a des difficultés mais nous allons les surmonter grâce au Seigneur. » Les faux prophètes minimisaient la gravité du péché, sans la nier tout à fait, et promettaient un avenir facile. Ils calmaient les inquiétudes et ils n’appelaient pas à la repentance, au revirement. C’est pourquoi Jérémie a dû les combattre, tout spécialement dans les chapitres 27 à 29[1].

Jérémie sous le joug (ch. 27)

Au commencement du règne de Sédécias, après la première prise de Jérusalem, en 597, les choses avaient déjà beaucoup empiré dans le royaume et les premières prophéties de Jérémie à ce sujet s’étaient déjà accomplies. Dieu dit à Jérémie en substance : « Tu vas faire un acte symbolique qui va frapper l’imagination de tout le peuple. Tu vas prendre un joug, comme on en met sur les bœufs. Ce joug symbolise l’assujettissement, l’asservissement. Tu vas le mettre sur ton cou et tu vas te promener comme cela. Au vu et au su de tout le peuple, tu enverras un message au roi d’Edom, au roi de Moab, au roi des Ammonites, aux rois des petits états alentour et tu leur diras ceci :

« C’est moi qui ai fait la terre, les hommes et les animaux qui sont sur la terre, par ma grande puissance et par mon bras étendu, et je donne la terre à qui cela me plaît. Maintenant je livre tous ces pays entre les mains de Nebucadnetsar, roi de Babylone, mon serviteur ; je lui donne aussi les animaux des champs, pour qu’ils lui soient assujettis. Toutes les nations lui seront soumises, à lui, à son fils, et au fils de son fils, jusqu’à ce que le temps de son pays arrive, et que des nations puissantes et de grands rois l’asservissent. Si une nation, si un royaume ne se soumet pas à lui, à Nebucadnetsar, roi de Babylone, et ne livre pas son cou au joug du roi de Babylone, je châtierai cette nation par l’épée, par la famine et par la peste. » (Jér 27.4-8)

Dieu déclare par là sa volonté de déterminer une période de l’histoire d’à peu près soixante-dix ans — le règne du roi de Babylone Nebucadnetsar (ou Nabuchodonosor), puis ceux de son fils et de son petit-fils — qui, dans son plan, correspond à la domination de l’empire babylonien sur toute cette région. Il demande de se soumettre à sa décision. C’est la seule position sage ; y contrevenir serait s’exposer au châtiment divin.

Le joug est là pour représenter cette résignation, ce consentement à la domination que Dieu confie au roi de Babylone pendant un temps. C’est le message que Jérémie avait prêché depuis de nombreuses années.

Hanania et Jérémie (ch. 28)

À ce moment-là, un certain Hanania qui se prétend prophète s’avance face à Jérémie, qui porte ce joug symbolique sur le cou. Cet Hanania, fils d’Azzur, prophète originaire de Gabaon, prend le joug qui est sur le cou du prophète Jérémie, le casse et prétend apporter un oracle de la part de l’Éternel en disant en substance : « De même que j’ai brisé ce joug, l’Éternel brise le joug du roi de Babylone. L’Éternel va nous délivrer de cette domination. »

Hanania présente cela comme un oracle au nom de l’Éternel, avec un signe symbolique très puissant, lui aussi, comme le signe du joug que Dieu avait dit à Jérémie d’utiliser. Comment le prophète Jérémie réagit-il ?  Pas en criant tout de suite à Hanania : « Tu es un faux prophète. Sors d’ici ! » Non, Jérémie dit en quelque sorte : « Je serais très content que le message que tu viens de donner vienne vraiment de l’Éternel. Après tout, peut-être, parce que Dieu ne révèle pas tout son plan d’un seul coup. Peut-être qu’après m’avoir révélé à moi qu’il va y avoir domination du roi de Babylone, il révèle maintenant qu’il a compassion et que cette domination va cesser plus tôt qu’il ne l’avait dit. Ce serait très bien si c’était comme ça. Seulement, méfie-toi, j’ai quand même un petit doute, parce que tous les vrais prophètes — ceux qui sont maintenant reconnus pour vrais prophètes parmi les générations passées — n’ont pas dit des choses très agréables à entendre à court terme. En général, ils annonçaient des jugements parce qu’ils avaient bien discerné que le péché du peuple appelait le jugement de Dieu. Alors, ta prophétie est quand même un peu étonnante, Hanania ; tu n’es pas dans la note de tes prédécesseurs. »

Mais Jérémie ne va pas plus loin parce que, en tant qu’homme qui essaie de réfléchir, de voir quels sont les critères pour distinguer entre vrais prophètes et faux prophètes, il n’en possède pas encore assez pour dénoncer clairement Hanania comme un faux prophète. Donc il reste prudent. Mais rentré chez lui, il apprend par une révélation du Seigneur qu’Hanania est un faux prophète. Que fait alors Jérémie ? Il se met sur le cou un joug de fer. L’Éternel lui demande de s’adresser ainsi à Hanania :

« Ainsi parle l’Éternel : Tu as brisé un joug de bois, et tu auras à sa place un joug de fer. Car ainsi parle l’Éternel des armées, le Dieu d’Israël : Je mets un joug de fer sur le cou de toutes ces nations, pour qu’elles soient asservies à Nebucadnetsar, roi de Babylone. » (28.13-14)

Puis le prophète Jérémie s’adresse directement au prophète Hanania : « Écoute, Hanania ! L’Éternel ne t’a point envoyé, et tu inspires à ce peuple une fausse confiance. C’est pourquoi ainsi parle l’Éternel : Voici, je te chasse de la terre ; tu mourras cette année ; car tes paroles sont une révolte contre l’Éternel. » Le chapitre conclut sobrement : « Et Hanania, le prophète, mourut cette année-là, dans le septième mois. »

C’est un épisode vraiment très frappant dans la vie de Jérémie et qui montre comment les vrais prophètes et les faux prophètes ont pu s’affronter avec parfois, dans un premier temps au moins, de telles similitudes qu’on pouvait s’y méprendre. Les faux billets ressemblent beaucoup aux vrais. On se fait parfois abuser mais Dieu fait en sorte que la vérité ressorte assez tôt pour que ses fidèles puissent la discerner. Dans cet épisode, il donne une révélation à Jérémie et puis une prédiction à très court terme concernant la mort d’Hanania qui va pouvoir être vérifiée. Si quelqu’un a encore un doute à ce moment-là, il n’a qu’à attendre quelques mois.

Encore des faux prophètes (ch. 29)

La suite nous montre le prophète Jérémie encore obligé de contrer des faux prophètes même par lettre. Un premier groupe de déportés était parti en Babylonie après la première prise de Jérusalem, en 597, alors que le temple n’était pas détruit. Le roi de Babylone n’avait pas emmené captive toute la population, mais un groupe qui comprenait l’élite du peuple, les techniciens les plus qualifiés, les gens qui pouvaient être un peu plus dangereux. Mais en Babylonie sévissaient aussi des faux prophètes qui disaient : « Vous allez revenir très vite. Pas de problème, les choses vont s’arranger. »

Jérémie est donc obligé d’écrire une lettre à ces déportés pour leur dire que ces hommes sont de faux prophètes. Cela correspond au premier aspect du ministère de Jérémie : il déracine les illusions et, pour cela, il doit se heurter aux faux prophètes, et les dénoncer.

Les critères pour distinguer les vrais prophètes des faux

Dans l’Ancien Testament, deux grands critères pour reconnaître les vrais prophètes des faux prophètes sont indiqués dans le Deutéronome.

D’une part, une vraie prophétie doit être en accord avec ce qui a déjà été révélé antérieurement par Dieu : avec la loi de Moïse et avec ce qu’ont dit les autres prophètes. Dieu peut nous surprendre, mais il ne se contredit jamais (cf. Deut 13.2-6[2]).

Le second critère veut qu’une chose prédite s’accomplisse. Si une prédiction ne s’accomplit pas, elle n’a pas été faite par un vrai prophète, parce que, là encore, Dieu, qui est le maître de la situation, ne dit pas des choses en l’air. Si c’est lui qui a parlé, la chose va se produire, comme la mort d’Hanania cette année-là (cf. Deut 18.21-22).

Je pense que ces principes s’appliquent à nous aujourd’hui aussi. Il y a dans l’Église des faux prophètes, des gens qui prétendent prêcher l’Évangile, qui prétendent être les porte-parole de Dieu et qui certainement ne sont pas davantage mandatés que le prophète Hanania ne l’avait été. Par exemple, il y a une fausse prophétie dans ce qu’on appelle « l’évangile de la prospérité », qui ressemble beaucoup au message des faux prophètes du temps de Jérémie. On entend dire : « Un chrétien ne doit pas être malade. Un chrétien doit être riche. S’il donne sa dîme, il va s’enrichir ; c’est ce que Dieu a promis de façon formelle. »

Cet évangile de la prospérité rencontre un très grand succès, et se glorifie de dizaines de milliers de prétendues conversions, parce qu’un tel message attire le monde. Mais il ressemble exactement à ce message des faux prophètes de l’Ancien Testament, flatteur, démagogique. Alors, soyons sur nos gardes, restons vigilants pour ne pas nous laisser berner par les mensonges que suscite l’adversaire.

[1] Comme le dit Henri Blocher au début de cet article, Jérémie a sans cesse dû lutter contre les faux prophètes. Il est aussi arrivé que ceux qui prétendaient connaître la pensée de Dieu mieux que Jérémie soient des « hommes présomptueux », des chefs politiques ou militaires (voir 32.32; 43.2). Pour une définition plus complète des faux prophètes, souvent associés aux sacrificateurs, voir aussi : 2.8,26 ; 4.9 ; 5.13,31 ; 14.13-15 ; 23.9-40 ; 26.11et ss ; 37.19 ; 50.36. (NDLR)

[2] L’enseignement contre l’idolâtrie est pars pro toto ; on peut l’étendre à la doctrine entière, au moins dans ses articles fondamentaux ; les citations faites des prophètes antérieurement reconnus, et par Jésus lui-même, impliquent le même critère.

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Jérémie a vécu dans le déchirement. Dès la première page de son livre, nous sommes renseignés : il est choisi pour la souffrance. L’Éternel l’appelle et l’entrevue est bouleversante. Le jeune prophète saisit dès le premier regard le caractère horrible de sa mission ; mais l’étreinte divine est toute puissante ; un feu intérieur vient d’exploser en lui et le dévorera toute sa vie. Écrasé par sa mission, il est incapable de refus, et son premier cri est une supplication (1.6).

Chaque page du livre de Jérémie trahit les distorsions et les arrachements de sa vie intérieure, et les poèmes étudiés ici sont l’expression saisissante de cet abîme où Jérémie s’est débattu passionnément toute sa vie. Ce sont ces notes personnelles, dispersées dans les écrits du prophète qu’on appelle les « confessions de Jérémie ».

Aucun autre prophète ne nous permet un regard aussi clair dans les profondeurs de son âme que le prophète d’Anatoth. Ce qui le rend si proche de nous, c’est l’aveu de ses luttes intérieures, ses dialogues intimes avec Dieu. Ces passages, écrits avec un art psychologique remarquable, nous aident à mieux comprendre le drame de la vie de Jérémie, ainsi que de tout vrai prophète ; ils nous aident aussi à mieux profiter des épreuves semblables qui ne peuvent manquer de survenir dans notre vie à tous.

Les « confessions de Jérémie » montent comme une prière, « une conversation intime avec Dieu, dans laquelle toute sa vie intérieure est mise à nu, avec ses angoisses, ses combats, ses tentations ; il se décharge lui-même de la détresse qui accable son esprit, avec la certitude confiante qu’il est entendu et compris de Dieu ».[1]

  1. Complot à Anatoth (11.18-23)

Jérémie est traqué. Le discours du Temple (7.1-10.25) l’a gravement compromis. Les prêtres et les prophètes ont réagi. « Tu vas mourir… c’est la mort que mérite cet individu car il a prophétisé contre cette ville : vous avez entendu de vos oreilles. » (26.8-9) Il a parlé contre le Temple et ce n’était pas le moment. Le sanctuaire rassemblait dans ses murs tant d’expériences, qu’il était devenu pour beaucoup le « fétiche national ».

Anatoth n’est pas loin. Jérémie quitte la capitale pour chercher refuge et paix parmi les siens. Mais les prêtres et les prophètes n’abandonnent pas la partie.

Les récentes malédictions de Jérémie ont fait scandale et sa famille est déshonorée et résolue au meurtre. C’est qu’à cette époque, un élément de scandale dans une famille était une ignominie bien plus grave qu’aujourd’hui et on l’effaçait le plus souvent dans le sang. Ce projet d’assassinat est approuvé des prêtres de Jérusalem, c’est donc une action bénie de Dieu qu’il faut réussir à tout prix !

La famille de Jérémie l’entoure de prévenances et de bonnes paroles. Sensible et timide, il est naturellement confiant. Mais brusquement, l’intuition jaillit, et fait tomber les masques. Jérémie découvre la présence hostile qui l’environne sournoisement, et sa confiance simple et paisible se change en amertume (12.6).

« L’Éternel m’en a informé et je l’ai su » ! (11.18) Il y a dans ce cri spontané une ferveur qui trahit la foi vivante de Jérémie et son amour pour son Dieu. Il est le familier de Dieu et il le sait : « Tu me connais et tu me vois. » (12.3)

C’est à l’Éternel qu’il s’en remet. Dieu se doit d’intervenir, car son honneur et sa Parole sont en jeu. Jérémie n’est-il pas menacé de mort pour avoir prophétisé au nom de Jahvé ? La réponse de Dieu est immédiate. Le sort des gens d’Anatoth est vite réglé (11.22, 23).

  1. Complainte au sujet du bonheur des impies (12.1-5)

La prospérité des impies et les souffrances des justes ont toujours constitué l’un des problèmes les plus angoissants pour l’homme. Au temps de Jérémie, il se posait de façon d’autant plus aiguë qu’on ne savait presque rien de l’au-delà et que la rétribution du bien et du mal était essentiellement conçue comme devant s’accomplir dans cette vie terrestre. Le livre de Job (surtout 21.7ss) et quelques Psaumes (37 ; 49 ; 73) ont également traité de ce problème, sans en donner une solution vraiment complète. La solution satisfaisante ne sera donnée qu’au temps messianique.

« Pourquoi la voie des méchants est-elle prospère ? Pourquoi tous les perfides vivent-ils en paix ? » (12.1)

Le problème était donc posé : ce n’était pas une revendication, mais plutôt une humble demande d’explication et la réponse de Dieu paraît d’autant plus déroutante : « Si déjà tu t’épuises à courir avec des piétons, comment donc tiendras-tu en courant avec des chevaux ? » (12.5) La réplique est sévère, pleine d’ironie et humiliante. Pourtant Jérémie nous l’a confiée comme un aveu de sa faiblesse et c’est un beau témoignage de droiture et d’humilité.

En guise de réponse, Dieu lui pose deux questions. Par là, il lui fait comprendre que le prophète n’est pas au bout de ses épreuves mais qu’il doit se préparer à des luttes plus dures encore. Dieu n’a pas besoin de justifier sa conduite. Son serviteur est invité à s’appuyer sur la grâce et à maintenir fermement, par une foi courageuse, le principe posé au début de sa plainte : « Tu es juste, Éternel… » (12.1) C’est un appel à l’abandon définitif, et rien ne pouvait emporter l’adhésion de Jérémie comme cette nouvelle acceptation de la souffrance.

  1. Complainte et prière (15.10-21)

Jérémie a crié la « Parole » sur les places et dans les rues, suppliant le peuple de l’écouter, suppliant l’Éternel de suspendre les menaces qui s’accumulent au-dessus de l’horizon.

Mais le peuple est aveugle et Dieu demeure inflexible. Alors Jérémie sent durement sa solitude et le poids de sa mission l’écrase. Son ministère l’a séparé des siens : il est devenu célèbre dans tout le pays pour ses querelles et ses disputes (15.10). Ses visions de désastre ne se sont pas réalisées et l’ont couvert de ridicule. On lui retourne sous formes ironiques et sarcastiques les prédictions qu’il a faites au nom de l’Éternel (cf. 17.15).

Il est le prophète méprisé et maudit, et sa vie sans joie s’épuise en clameurs et en combats tumultueux et inutiles… Il est seul… La tristesse et le découragement l’envahissent : « Malheur à moi, ma mère, de ce que tu m’as fait naître… » (15.10).

Jérémie se réfugie dans la prière et il épanche son âme devant Dieu. Il rappelle les heures d’ivresse où Jahvé le comblait de lumière et de joie : « Tes paroles ont fait la joie et l’allégresse de mon cœur. » (15.16) Il supplie, étale son amertume, sa souffrance insupportable et le doute qui le ronge (15.15,18). C’est un échange familier où l’Éternel apparaît comme l’ami qui écoute et comprend les confidences.

La réponse divine (15.19-21) vient renouveler la vocation de Jérémie. Comme au jour du premier appel, Dieu oppose aux plaintes de son prophète, les exigences de sa volonté souveraine. Un mot a suffi pour lui rendre le calme, la joie et la paix : « Je serai avec toi pour te sauver et te délivrer. » (15.20)

  1. Psaume de détresse (17.14-18)

Les menaces de Jérémie, ses prédictions de désastre, ses visions épouvantables agaçaient le peuple bien plus qu’elles ne l’inquiétaient. Ninive était tombée en 612 et Jérusalem jouissait d’une sécurité au moins relative, suffisante pour entretenir l’optimisme facile du peuple judéen.

L’aigreur du prophète d’Anatoth s’explique aisément : cette fois la justice de Dieu n’est plus seule en cause, mais sa Parole elle-même est mise en doute. Le succès des méchants était déjà une injustice flagrante, et voici qu’à présent les prédictions du prophète restaient inefficaces : « Où est la parole de l’Éternel ? Qu’elle s’accomplisse donc ! » (17.15)

Jérémie est ébranlé : c’est bien malgré lui qu’il a prophétisé la violence et la ruine. Il y a bien trop d’amour et trop de souffrances dans sa vie pour qu’on le soupçonne de trouver un plaisir malsain dans ses oracles de malheur ! Jahvé en est témoin (cf. 17.16) !

Pour autant, Jérémie ne perd pas totalement courage : Dieu reste son « refuge au jour du malheur » (17.17).

Les malédictions que Jérémie profère ensuite, il les adresse à ses persécuteurs, à toute la classe dirigeante pour que le peuple, lui, soit épargné (17.18).

  1. Prière de vengeance à l’occasion d’un attentat (18.18-23)

Après l’échec de la force au Temple de Jérusalem (26) et celui de la ruse à Anatoth, on essaie à présent de le supprimer légalement (18.18). Les trois groupes d’adversaires de Jérémie se retrouvent, unis par la haine, impliqués dans les mêmes manœuvres louches.

Les prêtres, d’abord, les plus dangereux et les plus forts, soutenus par l’État, n’ont pas pardonné au prophète les attaques contre le culte formaliste et le fétichisme du Temple. C’était une atteinte directe à leurs intérêts.

Les prophètes eux aussi, accumulaient de lourdes dettes de haine contre Jérémie. Celui-ci, dans sa droiture, s’était ouvertement révolté et en termes violents contre leurs bassesses (cf. 23.14-16 ; 26).

Quant aux sages, Jérémie avait impitoyablement dénoncé les déformations qu’ils faisaient subir au sens profond de la torah (cf. 8.8-9).

Ainsi, prêtres, sages et prophètes, réunis sous les malédictions de Jérémie allaient tenter une fois de plus de l’assassiner. Il suffisait de le surprendre dans ses propres paroles et de le convaincre de blasphème. La loi suivrait son cours et il serait condamné en justice ; c’était simple et propre !

Devant le complot qui se dévoile, Jérémie se souvient de son amour pour eux (18.20). C’est pour les sauver qu’il avait accepté sa cruelle mission ! Aux oracles de malheur, aux menaces de ruine qu’il jetait par devoir à la face de ses adversaires, il ajoutait dans le secret sa prière douloureuse et suppliante pour le peuple.

Mais cette nouvelle tentative d’assassinat l’a rempli de dégoût. Il lance vers l’Éternel une prière de vengeance dont les accents passionnés font frémir. Il attend la justice de Dieu et l’appelle avec toute l’exigence de son âme tourmentée par l’angoisse (18.23).

  1. Désespoir (20.7-13)

La dernière confession est la plus passionnée. L’angoisse de Jérémie touche au délire. Dieu l’a trahi ! Les premiers mots semblent blasphématoires : « Tu m’as séduit, ô Éternel, et je me suis laissé séduire » (20.7, Semeur) Il voit clair, tout d’un coup : sa vie lui apparaît comme une vaste illusion et un échec lamentable… Il est seul, terriblement seul. Jahvé lui-même paraît l’avoir abandonné !

Jérémie lui aussi abandonne : « Je ne ferai plus mention de lui, je ne parlerai plus en son nom. » (20.9a) Il veut se retirer pour toujours, avec son amertume et son amour blessé, dans le silence et dans la solitude. On devine la somme de souffrances qu’il fallut pour le réduire à cette extrémité !

Mais au milieu même des cris de rage du prophète, Dieu est là et cette présence mystérieuse le submerge : « Je m’efforce de le contenir, je ne le puis. » (20.9b) Jérémie a repris conscience de sa mission et surtout la main de l’Éternel est posée sur lui (20.11). La justice de Dieu viendra et le prophète peut déjà chanter sa joie devant Dieu : « Chantez à l’Éternel, louez l’Éternel ! Car il délivre l’âme du malheureux de la main des méchants. » (20.13)

Ce changement brutal peut nous étonner. Mais c’est un des aspects authentiques de la vie de prière : chez un homme comme Jérémie, dont la conscience est tout imprégnée de son Dieu, il est normal que les plus ravissantes extases voisinent avec les vertiges anéantissants du vide et du désespoir.

  1. Suprêmes malédictions (20.14-18)

Jérémie est écrasé par son existence insupportable et vocifère ses ultimes malédictions à la face des hommes et à la face de Dieu.

Ce passage doit-il être rattaché à ce qui précède ? Il est difficile d’affirmer ou d’infirmer l’unité du chapitre 20. Il est bien possible qu’il s’agisse d’une longue crise psychologique dont Jérémie nous livrerait tour à tour les exaltations et les dépressions.

Le prophète d’Anatoth se laisse couler sans espérance dans les abîmes qui l’obsèdent nuit et jour. Des mots fous jaillissent sur ses lèvres, des mots qui cognent et s’acharnent contre le destin inexorable. Il maudit le jour de sa naissance comme la racine de sa misère, de sa tristesse et de sa honte.

Ses hurlements sont spontanés et souvent même incontrôlés. C’est un homme torturé qui hurle ! Sans souci d’une thèse à défendre ni de la postérité à éduquer. Il crie parce qu’il souffre ; mais il crie devant Dieu. Et en cela il reste farouchement fidèle !

* * *

Jérémie a crié pour tous les hommes : ses clameurs rassemblent en elles les angoisses et les espérances du monde pour les jeter devant Dieu et implorer furieusement sa justice. Son angoisse et son désespoir, à la fois d’homme et de prophète, ont les mêmes racines que les nôtres, et font vibrer en nous d’étranges harmoniques qui nous bouleversent et nous rassurent tout à la fois. Ce sont des cris d’humanité : ils retentissent au travers de l’histoire et témoignent du caractère atroce de la souffrance et du tragique de la condition humaine.

Mais Jérémie ne sombre pas dans le néant. Au cœur même de son amertume, il découvre la mystérieuse présence de celui qui « sonde les cœurs et les pensées », le « juste juge » (11.20, Semeur).

L’homme moderne se découvre écartelé entre son élan vers l’éternel et le caractère fini de son existence… C’est pourquoi la Bible est la plus belle réponse aux hommes de notre temps. Par elle, c’est Dieu qui pénètre dans le temps avec nous. En Jésus-Christ, Dieu s’est fait homme, assumant pleinement notre condition humaine : « Ce sont nos souffrances qu’il a portées, c’est de nos douleurs qu’il s’est chargé. » (És 53.4)

Jérémie a clamé sa détresse ; ses confessions, assumées par l’Esprit, sont des Paroles de Dieu.[2]

[1] John Skinner, Prophecy and religion, Studies in the life of Jeremiah.

[2] Cet article est largement inspiré des 2 études suivantes :

Behler, G.-M., Les Confessions de Jérémie, coll. Bible et vie chrétienne, Casterman et Maredsou, 1959.

Béguerie Ph., Leclercq J., Steinman J., Études sur les prophètes d’Israël, coll. Lectio Divina 14, Le Cerf, 1954, pp. 111-145.

Écrit par


La première période du ministère de Jérémie, sous le règne du roi réformateur Josias, est délicate à cerner. Le texte de Jérémie 3.6 à 4.4 date de cette époque et son message est un puissant appel à revenir à Dieu. Les parties poétiques entremêlées et les images utilisées illustrent un message particulièrement touchant. Jérémie y reprend des thèmes des prophètes du siècle précédent et développe des pensées qui trouveront leur épanouissement dans la suite de son ministère. Enfin les avertissements et les promesses qui y sont révélés sont tout à fait d’actualité pour l’Église d’aujourd’hui.

Contexte historique

L’appel de Jérémie date de la treizième année du règne de Josias, vers 627 (1.1), c’est-à-dire l’année qui suit le début de la réforme entamée par ce roi pieux. Josias a commencé à purifier Juda et Jérusalem de l’idolâtrie (2 Chr 34.3). Cette réforme était devenue nécessaire suite au long règne de Manassé (plus d’un demi-siècle) marqué par un développement de l’idolâtrie sous de multiples formes. Le court règne d’Amon, père de Josias, a suivi le même chemin.

Josias va entreprendre la restauration du temple de Jérusalem et la bouleversante découverte du livre de la Loi dans le temple, en 622, va accélérer la politique de réforme : célébration de la Pâque comme elle n’avait plus été célébrée depuis l’époque de Samuel (2 Chr 35.18), poursuite des efforts de destruction de l’idolâtrie au-delà même du territoire de Juda, dans les anciennes possessions d’Israël. Ce zèle au-delà des frontières du royaume a pu être facilité par le déclin rapide de l’empire assyrien qui relâchait sa pression sur les territoires du nord.

C’est en effet une période de troubles au niveau international. L’affaiblissement de l’empire assyrien qui dominait depuis deux siècles est suivi par la montée en puissance du royaume de Babylone.

En 609, soit 18 ans après la vocation du prophète, Josias meurt à la bataille de Meguiddo en voulant arrêter la progression du Pharaon Néco. Le nouveau roi Jojakim, choisit par le pharaon à la place de son frère Joachaz, n’a pas les qualités morales de son père (22.13-19) ; il fait preuve de mépris pour la parole de Dieu et persécute ses prophètes (cf. 26.20-23 ; 36.20-26).

Jérémie et la réforme de Josias

On sait peu de choses précises sur Jérémie dans cette période. Après la découverte du livre de la Loi en 622, c’est la prophétesse Hulda qui est consultée par les envoyés du roi. D’ailleurs, Jérémie n’est pas mentionné par le livre des Rois : était-il encore trop jeune (1.6) ? En revanche, il est cité par les Chroniques pour avoir écrit une complainte à la mort du roi Josias (2 Chr 35.25).

Le début de son ministère semble essentiellement oral. Les paroles qu’il a prononcées durant l’époque de Josias ne seront mises par écrit, par l’intermédiaire de Baruc, que la quatrième année du règne de Jojakim (36.2). On considère généralement que les ch. 2 à 6 correspondent à la période de Josias, donc à l’époque de la réforme. Un seul verset mentionne, d’ailleurs de façon assez vague : « au temps du roi Josias » (3.6).

Des paroles de jugement jalonnent ces chapitres. L’idolâtrie du peuple, son apostasie, le rejet de l’alliance, du point de vue tant moral et social que religieux, conduisent l’Éternel dans sa justice à punir le peuple élu, selon les termes de l’alliance. Ce jugement amènera la destruction de Jérusalem et la déportation du peuple. La Bible Annotée commente ainsi le verset 8 du chapitre 2 : « On peut s’étonner qu’une pareille décadence du culte soit signalée sous le pieux roi Josias ; cela prouve que les réformes ordonnées par lui n’avaient pas été réellement acceptées par le peuple. »[1]

Appel à revenir, structure poétique et métaphores

Au milieu des oracles de jugement, la section de 3.6 à 4.4 contient de vibrants appels. Le verbe « revenir » en constitue le fil conducteur. Beaucoup utilisé par Jérémie (114 fois contre 1067 dans tout l’Ancien Testament), il revient 11 fois entre 3.1 et 4.4. L’hébreu shuwb signifie à la fois revenir (de l’exil) et se repentir (du mal). C’est tantôt une promesse, tantôt un appel.

« Pour faire entrer dans l’âme de ses auditeurs le message que Dieu lui inspire, le jeune prophète trouve une multitude de comparaisons frappantes, d’images à la fois très simples et d’une poésie intense, qui ne pouvaient manquer de faire grande impression sur les esprits. »[2] Si ces formes poétiques nous parlent peu aujourd’hui, soyons conscients qu’elles produisaient leur effet sur les auditeurs de l’époque.

Ces structures poétiques fonctionnent par répétition. Quelques exemples :

– 3.1-2a répond à 3.2b-5 en mettant l’accent sur les termes « souillé », « prostituée », « nombreux amants » ;

– en 3.23-25, la repentance est exprimée par les contrastes répétitifs : « l’Éternel, notre Dieu » revient 4 fois et « honte » 2 fois ;

– en 4.1-4, le verbe « ôter » (en hébreu cuwr) pose les conditions d’un vrai retour : « si tu ôtes tes abominations » et « ôtez le prépuce de vos cœurs » (Darby).

Jérémie utilise des métaphores de femmes infidèles et l’image des relations filiales pour souligner à la fois l’amour de Dieu et la profondeur de la trahison, de l’ingratitude du peuple aimé :

– En 3.1-5, le retour de la femme infidèle n’est pas sincère. Il n’y a pas de repentir : « tu n’as pas voulu avoir honte » (3.3), « tout en continuant à faire le mal » (3.5, Segond 21).

– En 3.6-13, Israël, le royaume du nord, et Juda, le royaume du sud, sont figurés par deux sœurs, mariées à l’Eternel. Le jugement qui a atteint l’infidèle Israël est une allusion directe à la destruction de Samarie un siècle plus tôt et à la déportation des dix tribus par les Assyriens. Juda n’en a finalement pas tiré de leçon. Non seulement, elle a fait la même chose, mais son retour — allusion à la réforme menée par Josias — n’est pas « de tout son cœur ; c’est avec fausseté » (3.10).

– 3.20 vient conclure cette métaphore : « Comme une femme trahit son compagnon, vous m’avez trahi, communauté d’Israël, déclare l’Éternel. » (Segond 21)

La relation père-fils est aussi évoquée avec cet appel pressant répété : « Revenez enfants rebelles ! » avec deux promesses de bénédictions : « Je vous prendrai … je vous ramènerai … je vous donnerai des bergers selon mon cœur » et « Je pardonnerai vos infidélités. » (3.14,22) Quand rien ne va plus, l’Éternel n’est pas sans ressource. Si le jugement est inéluctable, malgré les appels à revenir, à se repentir, la fidélité de Dieu est inaltérable et les promesses de bénédictions sont prononcées pour les générations à venir.

Une révélation progressive

Jérémie se situe directement dans la ligne des grands prophètes du viiie siècle, Osée, Amos, Michée et Ésaïe : il prêche la justice de l’Éternel et son amour qui reste fidèle malgré les infidélités de son peuple. Jérémie a sans aucun doute reçu son inspiration directement de Dieu, mais aussi à travers les écrits des prophètes qui l’ont précédé.

Comme Osée (Osée 1 à 3), Jérémie développe cette pensée de l’alliance, considérée comme un mariage de l’Éternel avec Israël. « L’Éternel n’a jamais oublié cette alliance ; elle est toujours restée le fondement de ses relations avec le peuple élu. Jamais il n’a cessé d’aimer Israël, d’un amour toujours en éveil, d’un amour qui espère toujours, même aux jours, où, pour le bien de la nation aimée, il doit se traduire par des punitions sévères. »[3] De la même façon, Jérémie réutilise l’image de la relation filiale (voir Osée 11.1).

Faisant suite à Osée 10.12, Jérémie interpelle : « Défrichez-vous un champ nouveau, ne semez pas parmi les épines ! »

Comme Amos, Jérémie révèle la bénédiction qui rassemblera Israël et Juda (3.18 ; Amos 9.8-15). La bénédiction s’étend alors aux nations : « Toutes les nations s’assembleront à Jérusalem, au nom de l’Éternel, et elles ne suivront plus les penchants de leur mauvais cœur. » (3.17) C’est la guérison pour Israël réunifié et pour toutes les nations : annonce du salut et réalisation de la promesse faite à Abraham (Gen 12.3).

Une progression qui se développe

Jérémie annonce que l’arche, symbole de la présence de Dieu au milieu de son peuple, va disparaître et qu’on ne la reconstruira plus (3.16). Historiquement, on ne sait pas ce qu’elle est devenue et les légendes ne manquent pas (cachée par Jérémie au Mont Nebo, volée, emportée en Éthiopie, enfouie sous le mont du temple…).

Comme au temps d’Ézéchias où le serpent d’airain était devenu un objet de vénération (2 Rois 18.4), les mentalités idolâtres n’ayant pas été changées par la réforme de Josias, les cœurs se tournent vers les objets ou les ustensiles du culte à l’Éternel pour en faire des objets de superstition.

Dans le même courant de pensée, Jérémie dénoncera au début du règne de Jojakim l’attachement charnel au temple de Jérusalem (ch. 7 et 26) : on pratique le mal et on vient à l’Éternel pour trouver refuge, s’appuyant à tort sur le souvenir de la délivrance miraculeuse accomplie sous le règne du pieux Ézéchias.

Jérémie nous conduit vers une spiritualisation de la foi, la détournant des objets du culte pour la tourner vers ce que représentent ces objets, Dieu lui-même. « On appellera Jérusalem trône de l’Éternel. » (3.17) Ces textes préparent Jean 4.21-24 où le Père cherche des adorateurs qui l’adorent en esprit et en vérité, et Apocalypse 21.22-24 où le Seigneur Dieu Tout-Puissant est le temple de la sainte cité, ainsi que l’Agneau.

La section qui va de 3.21 à 4.4 introduit un autre développement, celui de la repentance. Les appels de Dieu ont été entendus et le peuple revient. Les idoles trompeuses ont amené la désolation, la ruine et jusqu’à la perte des enfants, allusion probable aux sacrifices pratiqués sous Manassé. C’est une prière de repentance collective. « Nous avons péché contre l’Éternel. » (3.25) Cependant, la repentance implique la mise de côté des mauvaises pratiques, mais aussi l’engagement de tout son être. Cela ne peut pas se limiter à une décision collective, un changement d’orientation extérieur aux personnes, mais elle nécessite un changement intérieur, personnel, spirituel.

« Circoncisez-vous pour l’Éternel, circoncisez vos cœurs. » (4.3-4) Les anciennes mentalités et la foi ne sont pas compatibles. Il faut une véritable conversion du cœur. Les Judéens étaient bien circoncis dans la chair, mais pas de cœur. Encore une fois, les signes extérieurs peuvent donner le change, mais Dieu regarde au cœur.

Cet appel, bien qu’il ne soit pas reçu, sera développé avec les merveilleuses promesses du ch. 31, la nouvelle alliance : « Je mettrai ma loi au-dedans d’eux, je l’écrirai dans leur cœur ; et je serai leur Dieu » et « tous me connaîtront » (31.31-34). L’Évangile va ouvrir la voie à son accomplissement.

Conclusion

Cette section est une leçon bienfaisante au milieu des oracles de jugement : le Dieu de Jérémie est un Dieu qui désire faire grâce. Il appelle à revenir, à se repentir. Et si le jugement doit s’abattre, il promet le retour et la bénédiction à son peuple.

La réforme structurelle et cultuelle conduite de façon coercitive par le roi Josias ne semble pas avoir atteint la mentalité du peuple. L’idolâtrie pratiquée sur les hauts lieux s’est transformée en superstition à l’égard des objets du culte de l’Éternel (l’arche, le temple). Il faut une transformation spirituelle et individuelle qui ne verra son plein accomplissement qu’avec la nouvelle alliance. L’amour de Dieu se doit d’être prêché sans cesse.

L’histoire de l’Église n’est pas en reste vis-à-vis de cette constatation. Les périodes de réforme ou d’évangélisation de masse, souvent par la force, ont permis un développement en nombre de la religion chrétienne. Ce fut le cas avec l’officialisation du christianisme comme religion d’état sous Constantin, Clovis, Charlemagne, Ethelbert… la liste est longue. Mais les mentalités n’ont pas été pleinement transformées. C’est le patient travail de prédication, d’enseignement, non seulement par la parole mais aussi par l’exemple, qui a pu et qui peut encore apporter un changement fondamental et permanent pour rendre conforme à l’Évangile. De nos jours, si dans les milieux évangéliques, des réformes sont régulièrement nécessaires concernant, par exemple, la forme du culte, la musique, la prise en compte de la dimension sociale de l’Évangile…, il importe avant toutes choses que les cœurs, c’est-à-dire les mentalités, soient réformées, transformées. Le ministère prophétique est une de ces merveilleuses ressources que Dieu met au service de son peuple qu’il aime et qu’il appelle.

Si le retour à Dieu et les promesses de bénédiction faites à Israël et à Juda entraînent la bénédiction des nations, alors nous pouvons faire nôtres ces promesses. Nos retours à Dieu affermiront l’unité dans l’Église et porteront du fruit pour l’évangélisation, la bénédiction de nos prochains.

[1] La Bible annotée, Ésaïe, Jérémie, Lamentations, Commentaires Bibliques, Cap-de-la-Madeleine, Impact, 2003.

[2] A. Aeschimann, Le prophète Jérémie, Commentaire, Paris, Delachaux & Niestlé, 1959, p. 16-17.

[3] A. Aeschimann, op. cit., p. 28.