PROMESSES

Avoir à choisir une version de la Bible représente un problème pour un certain nombre de lecteurs francophones. C’est un problème de riches, puisque bien des peuples seraient heureux d’avoir ne serait-ce que le N.T. dans leur langue. Néanmoins, il reste vrai que plusieurs versions françaises de la Bible sont disponibles et que l’on ne sait pas toujours ce qui les distingue vraiment. Nous proposons ici quelques critères utiles à considérer, autres que celui de la couverture ou du prix.

Rappelons tout d’abord que, si l’on parle de « versions » de la Bible, c’est parce que ses différents livres ont initialement été écrits en hébreu et en araméen pour l’A.T., en grec (ancien) pour le N.T.. Il a donc fallu les traduire dans notre langue pour que nous ayons une chance de les comprendre. A l’heure actuelle, ils sont en effet plutôt rares, les personnes qui connaissent ces langues, et la tendance n’est pas près de s’inverser.

Trois facteurs principaux sont à l’origine de différences entre les versions : le texte servant de base à la traduction ; les principes de traduction suivis ; le niveau de langage lié au public cible.

Le texte de base

Le traducteur confronté à un texte vieux de milliers d’années doit d’abord se demander quel texte il va traduire. En effet, avant l’invention de l’imprimerie à la fin du xve siècle, le seul moyen de transmettre un ouvrage consistait à le recopier à la main, d’où le terme de « manuscrit ». Dans le cas de la Bible, les manuscrits se comptent par milliers dans les langues de rédaction originales et dans des traductions anciennes du texte (dont la traduction en grec de l’A.T. hébreu appelée traduction des Septante). Des spécialistes effectuent un travail de comparaison entre eux et proposent ensuite un texte imprimé, en indiquant dans des notes de bas de page les éventuelles différences entre eux. Certaines différences entre les traductions peuvent donc s’expliquer par le fait que les traducteurs ont choisi de traduire tel texte plutôt que tel autre.

Pour l’A.T., on se base en général sur le plus ancien manuscrit hébreu complet disponible, le codex Leningradensis (daté de 1008 ou 1009 apr. J.-C.), reproduit dans la BibliaHebraicaStuttgartensia. Certains traducteurs se tournent assez vite vers la Septante lorsque l’hébreu est difficile à comprendre, d’autres sont plus réticents à le faire. Ainsi, la Bible de Jérusalem a beaucoup intégré les leçons1 du texte grec avant d’opérer un retour vers le texte hébreu au fil des éditions.

Pour le N.T., certains estiment aujourd’hui que seules les versions reposant sur le TextusReceptus — le texte mis au point par l’humaniste Erasme sur la base de quelques manuscrits tardifs — sont valables, notamment parce que c’était celui qu’utilisaient les Réformateurs. Or, deux manuscrits importants car remontant au ive siècle et contenant l’ensemble du N.T. (avec quelques lacunes) ont été découverts au xixe siècle seulement, soit plusieurs siècles après les Réformateurs : les fameux codex Sinaïticus et codex Vaticanus. Leur texte est reflété dans l’édition dite Nestlé-Aland du N.T. grec, qui sert de base à la majorité des traductions récentes.

Notons que le message fondamental de la Bible reste le même, quels que soient les manuscrits traduits.

Les principes de traduction

Traduire un texte, c’est d’abord chercher à comprendre ce qu’il veut dire. Pour cela, les traducteurs s’aident des outils préparés par des spécialistes, et notamment des grammaires et dictionnaires, que les découvertes archéologiques ou autres permettent de mettre à jour. Mais comprendre la « langue de départ » ne constitue que la première étape ; il s’agit ensuite d’exprimer la même chose dans la « langue d’arrivée ». Cette seconde étape donne lieu à diverses manières de faire, dans le domaine de la Bible en particulier. Plusieurs questions se posent en effet :

?  La manière dont les choses sont dites dans le texte de base est-elle fondamentale, importante ou accessoire ?

Lorsque le texte de base laisse planer certaines ambiguïtés, doit-on les laisser dans la traduction ou chercher à les lever totalement ?

Doit-on rendre le sens du texte avant tout ou rester le plus près possible de la formulation originale ?

La réponse que l’on donne à ces questions permet, de façon schématique, de répartir les versions françaises en deux catégories principales :

?  celles qui cherchent à rester près de la formulation de départ, du vocabulaire et des tournures de phrases de l’original (on parle de traductions à équivalence formelle ou de traductions littérales) ;

celles qui cherchent à rendre le sens en exprimant les choses comme on les dirait en français, sans trop se soucier des mots ou de la tournure des phrases de la langue de départ (on parle de traductions à équivalence dynamique).

La première catégorie présente elle-même une certaine diversité. On y trouve des versions qui privilégient avant tout la littéralité même si la formulation française peut être parfois un peu heurtée (Darby), mais aussi d’autres dans lesquelles le souci de proposer un français correct est manifeste (les diverses versions Segond, la Traduction œcuménique de la Bible ou la Bible de Jérusalem). Certaines cherchent à traduire systématiquement le même mot grec ou hébreu par le même mot français (une version concordante comme la Nouvelle Bible Segond), d’autres à rendre les liens étymologiques de la langue originale quitte à inventer parfois des mots en français (Chouraqui).

La Bible en français courant, la Bible en français fondamental et la Bible du Semeur se rangent dans la deuxième catégorie.

La Nouvelle Traduction Bayard est difficile à classer : il s’agit d’une traduction qui se veut littéraire (pas littérale) et affiche sa volonté de polyphonie (aucun souci d’uniformité entre les livres bibliques, du point de vue de la traduction).

Un exemple : En Matthieu 5.20, Jésus dit, mot à mot : « Si de vous la justice ne dépasse pas plus que des scribes et des pharisiens… » Une version littérale traduira : « Si votre justice ne dépasse pas celle des scribes ou des pharisiens… », alors qu’une version à équivalence dynamique cherchera à expliciter ce que l’on entend par le mot « justice ». C’est ainsi que la Bible du Semeur et la Bible en français fondamental le rendent par la notion d’obéissance à la loi, et la Bible en français courant par la fidélité à la volonté de Dieu. La Bible des peuples, elle, parle d’idéal de perfection. Qui a raison ?

Vaut-il mieux, en tant que lecteur, prendre une traduction plutôt littérale ou une traduction à équivalence dynamique ? Il est important de noter que les deux principes de traduction présentent des avantages et des inconvénients.

Avec une traduction à correspondance formelle…

?  on peut davantage se fier à la formulation pour savoir comment les choses étaient dites dans l’original,

mais la traduction peut être moins compréhensible parce que certaines idées ne sont pas formulées selon la manière courante, pour le lecteur, de s’exprimer ou de penser, et que les ambiguïtés de l’original restent en principe présentes.

Avec une traduction à équivalence dynamique…

?  le texte est généralement plus compréhensible, plus facile d’accès,

mais la part d’interprétation présente dans la formulation française est plus grande et le traducteur oblige en quelque sorte le lecteur à le suivre dans sa compréhension du texte de base.

Alors, que faire ? Une bonne solution consiste probablement à lire les textes bibliques dans au moins deux versions aux principes de traduction différents en parallèle. Ainsi, on peut profiter des avantages sans être trop pénalisé par les inconvénients.

Le niveau de langage

Les éditeurs de la Bible ont en principe un certain public cible à l’esprit, lorsqu’ils projettent de sortir une nouvelle version. Si vous vous adressez à un public universitaire, vous allez normalement vous autoriser à employer un langage plus complexe que si vous vous adressez à une classe d’enfants de 5 ans. De même, en fonction du lectorat visé, le niveau de langage d’une version de la Bible varie. Certaines affichent clairement la couleur par leur nom même :

?  Les traducteurs de la Bible en français fondamental (aussi appelée Parole de vie) ont choisi de limiter le vocabulaire employé à 3000 mots et d’employer des phrases très courtes, de manière à être compris par des personnes dont le français n’est pas la langue maternelle. Par conséquent, c’est aussi une version à recommander pour des enfants.

La Bible en français courant emploie un langage jugé… courant au moment de sa parution (1982), puis de sa révision (1997), et elle sera plus particulièrement appréciée des adolescents.

De façon un peu moins évidente pour les non-initiés, la Segond 21 est une version à correspondance formelle qui cherche à être compréhensible par les jeunes du xxie siècle, si bien qu’elle emploie aussi un vocabulaire courant au moment de sa parution (2007).

Certaines versions s’autorisent à employer par moments un vocabulaire relativement élevé. C’est le cas, par exemple, de la Bible du Semeur, de la Traduction œcuménique de la Bible ou des versions Segond antérieures à 1980 (Colombe, NEG,…). Relevons ici un point important : si l’on utilise une version ancienne, il est important de s’assurer que le sens des mots n’a pas changé depuis la date de sa parution (le mot « sens », par exemple, désignait à un moment donné et dans certains contextes le bon sens, l’intelligence ; aujourd’hui, il évoque plutôt les sens physiques et la sensualité).

Quelques versions ont pris le parti d’un langage soutenu (la Bible de Jérusalem), voire très soutenu (Darby, Chouraqui, Nouvelle Bible Segond). Les utiliser, c’est peut-être enrichir votre vocabulaire… mais cela peut aussi vous exposer à ne pas comprendre certains passages !

En conclusion

On peut presque dire qu’il y en a pour tous les besoins et tous les goûts, en matière de versions de la Bible en français ! Pour choisir celle qui lui conviendra le mieux, c’est probablement la question du niveau de langage souhaité que le francophone doit se poser en premier. Ensuite, il devrait se préoccuper des principes de traduction mis en œuvre, pour éviter de tirer des conclusions inappropriées de sa lecture. Même si elle a été abordée en premier lieu et a certaines incidences, il peut considérer la question du texte de base comme relativement accessoire. S’il en a la possibilité, profiter de la variété à disposition en ne se cantonnant pas à une seule version ne pourra pas lui faire de mal : c’est un excellent moyen de creuser le sens du texte biblique et de savourer sa beauté ! En dépit de son scepticisme face à la qualité de certaines versions disponibles à son époque, Augustin lui-même écrivait : « Cette grande variété de traductions sert plus encore à l’intelligence des Écritures qu’elle n’y met obstacle, quand on s’attache à les lire avec une véritable application. C’est en consultant plusieurs traducteurs que souvent on est arrivé à saisir le sens de quelques passages très obscurs.»2

1 La « leçon » d’un texte est l’une des variantes du texte original. Le traducteur doit choisir entre les différentes « leçons » existant dans les manuscrits.
2 Augustin, De doctrina christiana, 2.17.

 

Écrit par


I. Le texte source de l’Ancien Testament

Pour l’A.T., nous disposons de milliers de manuscrits en hébreu datant du Moyen Âge, ce que l’on appelle les écrits massorétiques. Ces textes ont été copiés par des docteurs juifs avec une précision extrême : chaque caractère, chaque mot, chaque liaison de mots, étaient comptés. Et toutes les copies faisaient l’objet d’un recomptage complet. Ainsi, le texte a été transmis avec une précision qui évoque l’ère informatique, l’ordinateur d’aujourd’hui contrôlant également les textes en comptant les signes utilisés. Par le passé, des critiques de la Bible ont toutefois objecté qu’il ne s’agissait que de manuscrits du Moyen Âge, et qu’il n’existait pratiquement pas de manuscrits d’époques antérieures. Comment peut-on réellement savoir que les copies faites durant les siècles précédant le Moyen Âge étaient aussi exactes ?

Les découvertes de Qumran

Entre 1947 et 1956, on découvrit des rouleaux de parchemin dans onze cavernes situées à Qumran, à proximité de la mer Morte, et dont la majeure partie était antérieure à l’ère chrétienne. On fit par la suite d’autres découvertes à Wadi Murabba’ât, à la forteresse de Massada, etc. Les recherches effectuées à Qumran ont permis de constater que rien ne valait le texte massorétique (TM). L’orthographe du TM est de manière générale plus archaïque que celle utilisée dans la plupart des manuscrits de Qumran, car elle correspond à celle utilisée entre le viie et le ve siècle avant Jésus-Christ. En comparaison avec celle du TM, l’orthographe utilisée dans la plupart des manuscrits de Qumran est pour ainsi dire « moderne ». L’ensemble des rouleaux d’Ésaïe, datés de l’an 100 avant Jésus-Christ, présente une orthographe clairement postérieure. En revanche, le TM, bien que de 1000 ans plus jeune, utilise une orthographe nettement plus ancienne.

Outre le TM, il existe le texte des Samaritains, et ceux des anciennes traductions, comme le texte de la Septante1. Les recherches menées à Qumran au cours du siècle dernier ont toutefois démontré que le TM surpasse largement en qualité tous les autres types de textes, et, en cas de doutes, il est maintenant d’usage chez les experts libéraux de consulter le TM, qu’ils considèrent comme le texte le plus fiable. Les recherches faites dans le désert de Judée n’ont pas seulement permis d’exhumer des manuscrits modernes. De nombreux textes découverts à Qumran correspondent au TM. On nomme ce type de textes « textes pré-massorétiques ». La preuve de la qualité du TM, établie par les recherches, a une conséquence évidente pour la traduction de la Bible : les traducteurs de la Bible doivent aujourd’hui s’appuyer sur le TM et ne s’en écarter que dans des cas bien justifiés.

Le texte central du Temple de Jérusalem

Mais comment est-il possible qu’un texte moyenâgeux puisse surpasser des manuscrits jusqu’à 1000 ans plus anciens ?

Les rabbins du Moyen Âge ont copié le texte de l’A.T. en appliquant la méthode de comptage mentionnée ci-dessus. Cette méthode permet une copie pratiquement parfaite. De plus, les Massorètes (litt. « ceux qui transmettent ») avaient accès à une tradition textuelle issue du judaïsme « officiel », qui se caractérisait par une très grande pureté. En Aggée 2.5, le Dieu d’Israël dit, au moment de la construction du deuxième Temple de Jérusalem : « La Parole, selon laquelle j’ai fait alliance avec vous, lorsque vous sortîtes d’Égypte, et mon Esprit, demeurent au milieu de vous : ne craignez pas. »

Les traducteurs de la Septante travaillaient quant à eux en Égypte, ce qui signifie qu’ils étaient relativement éloignés des rouleaux de parchemins officiels conservés à Jérusalem. Leur travail se basait sur les manuscrits qui étaient à leur disposition.

Les Esséniens de Qumran, qui s’étaient écartés du Temple de Jérusalem et donc du judaïsme officiel au iie siècle avant Jésus-Christ, se voyaient interdire l’accès aux meilleurs manuscrits, ceux-ci étant entre autres conservés dans le Temple. Les Esséniens emportèrent à l’époque de leur schisme les textes auxquels ils avaient accès. Ils rassemblèrent également d’autres manuscrits. C’est pour cette raison que la kyrielle de textes découverts dans les cavernes de Qumran était de types différents (du type de la Septante, de type pré-massorétique, de type massorétique avec orthographe modernisée, de type samaritain). La même remarque peut être faite à propos des sources utilisées lors des différentes traductions anciennes. Aussi faut-il chercher ailleurs le texte « le plus pur ».

À ce sujet, je voudrais évoquer une découverte archéologique phénoménale, pratiquement inconnue du grand public : celle des rouleaux de parchemin de Wadi Murabba’ât, au sud de Qumran. Ils datent de la seconde révolte des Juifs contre les Romains (132-135 de notre ère). Aux côtés d’un rouleau des 12 prophètes, on y a trouvé une série de fragments de la Torah (le Pentateuque). La technologie moderne a permis de les dater : ils proviennent d’une époque antérieure à 66 après Jésus-Christ. « Ces fragments correspondent en tout aux textes massorétiques moyenâgeux. Il n’y a aucune exception »2 ! Comment est-ce possible ? Ces textes sont ceux du judaïsme officiel, et dépendent donc du texte central du Temple. Et c’est précisément cette tradition que les Massorètes du Moyen Âge nous ont transmise. On peut qualifier ce phénomène de véritable miracle.

En conclusion, avec le TM, nous disposons donc aujourd’hui d’un texte hébreu de l’A.T. extrêmement fiable.

II. Le texte source du Nouveau Testament

Trois sources différentes

Aujourd’hui, la traduction du N.T. soulève une vive controverse. Quel texte source utiliser : le Textus Receptus (TR), le texte majoritaire (MT) ou le texte de Nestle-Aland (NA) ?

Textus Receptus signifie le « texte reçu ». Ce terme désigne les manuscrits grecs dont on disposait à l’époque de la Réforme. Les réformateurs voulaient en effet revenir au texte source et ne plus se référer à la Vulgate, traduction de référence en latin de l’Église catholique.

Au xixe siècle, on partit à la recherche de manuscrits plus anciens encore. C’est dans ce but que Constantin von Tischendorf se rendit au Sinaï, où il trouva dans un monastère le Codex Sinaïticus, un manuscrit de la Bible daté du ive siècle (environ 350 après Jésus-Christ). Cette découverte fit à l’époque sensation dans le sérail de l’étude du N.T.

Cependant, les recherches se poursuivirent. Au xxe siècle, on découvrit le manuscrit de papyrus P46 en Égypte, que l’on put dater du iie siècle après Jésus-Christ. Ce manuscrit, découvert dans les années 30, contient presque toutes les Épîtres de Paul. 80 % du texte original sont encore conservés.

L’idée selon laquelle le N.T. fit l’objet d’une refonte complète est répandue parmi les censeurs de la Bible. Selon eux, au ive siècle, lorsque le christianisme devint une Église d’État, on aurait procédé à une exégèse. À cette occasion, tout ce qui n’aurait pas plu à l’Église aurait été supprimé. Aujourd’hui, toutefois, le manuscrit en papyrus P46, entre autres, démontre que l’Église n’a jamais modifié le texte du N.T.

Se basant sur les travaux de von Tischendorf, les spécialistes ont affirmé que le Textus Receptus (TR) était un texte relativement tardif et, par conséquent, ne pouvait constituer une base fiable. Il était préférable selon eux de s’appuyer sur les manuscrits les plus anciens possibles. La conséquence de cette évolution est la haute estime dont jouissent actuellement en Europe les textes de Nestle-Aland (NA) qui intègrent de manière sélective des anciens manuscrits. Ces dernières années toutefois, des objections ont été émises contre le NA, principalement par des théologiens américains fidèles à la Bible. Ces scientifiques sont convaincus que le TR représente beaucoup mieux le texte original.

Le nombre de manuscrits trouvés n’a cessé de s’accroître avec le temps. Nous disposons aujourd’hui d’environ 5 800 manuscrits grecs du N.T. C’est un nombre surprenant, si l’on considère que l’on doit se satisfaire d’une douzaine de manuscrits par œuvre pour les textes d’auteurs classiques latins et grecs comme Platon, Cicéron et César. Comme la majeure partie des manuscrits bibliques témoignaient d’une similitude appréciable, on les a appelés texte majoritaire, ou majority text (MT). Le MT et le TR sont très similaires (environ 98 % de correspondance). Le choix se fait donc entre deux textes : le MT ou le NA.

Il est toutefois très important de souligner que plus de 90 % du texte du N.T. ne prête pas à discussion : seul 10 % du texte diffère entre le MT et le NA ; le reste est strictement identique.

Des arguments en faveur du texte majoritaire

Ces dernières années, des arguments puissants ont plaidé en faveur du MT et contre le NA. En voici quelques exemples :

Le NA s’appuie principalement sur des manuscrits très anciens, mais peu nombreux, qui, de plus, proviennent d’un espace géographiquement très limité. Il est clair qu’un écrit se rapproche d’autant plus du texte original qu’il est ancien. Mais dans ce cas, les manuscrits d’une part sont très peu nombreux, et d’autre part proviennent principalement d’Égypte. Or, si un manuscrit d’Égypte s’écarte d’autres documents provenant d’Italie, de Grèce ou de Turquie, qui sont eux tous semblables, il faut bien se demander si cet écart ne fait pas que souligner une singularité locale. Pour les partisans du NA, il s’agit d’un écueil important, l’étude textuelle reconnaissant un principe éprouvé : un texte est d’autant plus important qu’il est ancien et répandu (géographiquement). Au regard de la répartition géographique, le NA est très faible.

Toutefois, pourquoi ne trouvons-nous pas de manuscrits aussi anciens dans d’autres pays ? Pour une raison climatique. En Égypte, pays sec, les manuscrits se conservent bien, ce qui n’est pas le cas dans les régions plus humides comme l’Italie et la Grèce.

L’hypothèse de l’exégèse byzantine du N.T. (i.e. la refonte du N.T. au ive siècle, voir ci-dessus) n’a jamais pu être prouvée dans l’histoire de l’Église. Au contraire, on a même pu déceler des versions du MT dans des manuscrits très anciens provenant d’Égypte, des manuscrits largement antérieurs à la prétendue exégèse du ive siècle.

Le MT n’est donc pas un assemblage hétéroclite de fragments que l’on pourrait ramener à une seule tradition textuelle locale, bien qu’on l’ait affirmé à tort par le passé. Au-delà de ses nombreuses correspondances internes étonnantes, il renferme suffisamment de différences pour prouver qu’il provient d’une multitude de sources originales différentes.

Les différences entre les textes égyptiens et le MT s’expliquent par la forte influence en Égypte de doctrines erronées (par exemple de la gnose). Prenons, par exemple, le texte égyptien de Jean 1.18 : « Personne n’a jamais vu Dieu, Dieu unique l’a fait connaître », à la place du « Fils unique ». On a tout simplement remplacé le mot grec hyos (fils) par theos (Dieu). La doctrine blasphématoire selon laquelle Jésus-Christ n’est pas le Dieu éternel, mais une créature qui s’est élevée au rang de Dieu, était largement répandue en Égypte. Ainsi, en écrivant « Dieu unique », on soutient la théorie selon laquelle le Christ est devenu Dieu à la suite d’un processus de procréation. On trouve le même phénomène dans d’autres textes comme, par exemple, dans 1 Timothée 3.16 : à la place de « Dieu a été manifesté en chair », on trouve dans deux manuscrits égyptiens importants « celui qui a été manifesté en chair ». Un petit changement de theos en hos (il, celui) produit cette différence fondamentale. Voilà comment les doctrines erronées ont laissé leurs traces.

Le MT s’appuie sur les manuscrits les plus nombreux et les plus répandus au niveau géographique, et ce, pour plus de 90 % des manuscrits (environ 5800). Ce fait lui confère un poids énorme.

Le NA est une sélection et une compilation artificielle de versions qui n’apparaissent sous cette forme dans aucun manuscrit. Il s’agit d’un assemblage disparate que l’on ne peut retrouver dans aucun manuscrit qui nous soit parvenu. On saute ainsi d’une version à l’autre sans veiller à la continuité entre les versions. Dans le MT, il en va tout à fait différemment. Il s’agit ici d’un texte réel qui n’a pas été compilé artificiellement par quelques personnes.

Reste un dernier élément, issu d’une autre spécialité, l’hellénistique (l’étude de la langue et de la littérature de la Grèce antique). Les spécialistes d’Homère se sont penchés de façon minutieuse sur les poèmes épiques de l’Iliade et de l’Odyssée. Cela a produit une discipline scientifique propre et on a rassemblé autant de manuscrits que possible. On a constaté qu’il existe trois types de textes : une version résumée, une version moyenne et une version allongée. De manière générale, les hellénistes ne se sont pas intéressés au N.T. et à l’étude des manuscrits du N.T., mais, dans leur domaine de recherche limité, ils ont établi que le texte moyen devait être l’original, car il existait une tendance académique à raccourcir les textes et une tendance populaire à les allonger.

Adapter cette découverte au N.T. permet de tirer une conclusion époustouflante : dans la transmission du N.T., il existe en effet également un texte raccourci, un texte moyen et un texte allongé :

– Le texte raccourci est représenté par le NA.

– Le texte allongé est appelé le « texte occidental » ; quasiment personne ne s’y intéresse (cf. par exemple le Codex D).

– Le texte moyen se trouve être le MT. La comparaison avec l’étude d’Homère nous permet d’inférer que le MT constitue le plus probablement le texte biblique original.

D’un point de vue scientifique, le MT est donc la meilleure source pour la traduction du N.T. En conséquence, on peut en dire avec une grande certitude : ce texte est la Parole de Dieu.

1 La plus ancienne traduction grecque de l’A.T., effectuée en Égypte vers le IIIe siècle av. J.-C.
2 Benoit, Milik, De Vaux, Les grottes de Murabba‘ât, DJD, Vol. II, Oxford 1961, p. 75

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