PROMESSES

Aux sources du christianisme européen

« Ayant été empêchés par le Saint-Esprit d’annoncer la parole dans l’Asie, [Paul, Silas et Timothée] traversèrent la Phrygie et le pays de Galatie. Arrivés près de la Mysie, ils se disposaient à entrer en Bythinie ; mais l’Esprit de Jésus ne le leur permit pas. Ils franchirent alors la Mysie, et descendirent à Troas. Pendant la nuit, Paul eut une vision : un Macédonien lui apparut, et lui fit cette prière : passe en Macédoine, secours-nous ! Après cette vision de Paul, nous cherchâmes aussitôt à nous rendre en Macédoine, concluant que le Seigneur nous appelait à y annoncer la bonne nouvelle. […] Nous allâmes à Philippes […] Nous parlâmes aux femmes qui étaient réunies (près d’une rivière). L’une d’elles, nommée Lydie, marchande de pourpre […] était une femme craignant Dieu et elle écoutait. Le Seigneur lui ouvrit le cœur pour qu’elle soit attentive à ce que disait Paul. Lorsqu’elle eut été baptisée, elle et sa famille, elle nous fit cette demande : Si vous me jugez fidèle au Seigneur, entrez dans ma maison. » Actes des Apôtres (16.6-15)

Ce passage des Écritures insiste de façon évidente sur l’intervention directe du Saint-Esprit — et donc de Dieu lui-même — sur les itinéraires d’évangélisation de l’apôtre Paul. C’est à l’évidence le Seigneur qui a choisi l’Europe plutôt que l’Asie pour constituer le pôle fondamental autour duquel s’est articulée l’histoire des nations durant près de deux millénaires. Il est intéressant de noter que le christianisme, plus ou moins profondément altéré selon les époques, a subsisté en Europe alors qu’il a disparu en grande partie en Turquie, au Proche-Orient et en Afrique du Nord, régions qui pourtant ont été évangélisées autant que le Vieux Continent et, souvent même, avant lui. Il ne fait aucun doute que le Dieu trinitaire a, en vertu de ses desseins éternels, assigné une place particulière à l’Europe dans l’histoire de l’humanité. Cette réalité ne préjuge en rien des inversions historiques en cours qui voient des pays comme la Corée du Sud ou le Brésil compter une proportion de chrétiens nettement plus importante que la France. Mais elle témoigne que l’Europe continue à jouer un rôle absolument capital dans l’histoire, ne serait-ce qu’au travers de paradigmes1 issus de sa déchristianisation qu’elle réussit substantiellement à diffuser presque dans le monde entier.

Cette Europe au destin singulier se présente à l’observateur comme une réalité complexe. Mais sa principale caractéristique contemporaine consiste manifestement dans son intégration. Qui dit Europe aujourd’hui pense le plus souvent à l’Union européenne, à l’Europe des 25, construction institutionnelle à la fois politique et économique, super-état en devenir au travers d’un processus amorcé dès après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Ce processus d’approfondissement et d’élargissement de l’Europe ne constitue pas une « première », une espèce d’incongruité historique.

A. Les cinq unifications européennes historiques

Au cours de sa longue existence, l’Europe a déjà été unifiée à cinq reprises. Ces cinq unifications ont évidemment revêtu des extensions territoriales, des natures et des formes différentes. Elles ont eu pour théâtre l’Empire romain, l’Empire de Charlemagne, le Saint Empire romain germanique sous Charles Quint, l’Empire napol&eaeacute;onien et finalement le IIIe Reich. L’intégration européenne de notre temps constitue la sixième tentative d’unification du Vieux Continent.

B. L’Union européenne

Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, une sixième unification européenne est donc en cours. Les historiens font remonter l’amorce du processus d’intégration européenne au 6 juin 1947, lorsque Winston Churchill proposa la création des États-Unis d’Europe (sans la Grande-Bretagne !), ou à la Conférence de La Haye de mai 1948 au cours de laquelle de nombreuses personnalités du monde politique et culturel proposèrent aux gouvernements européens de prendre des mesures propres à créer une Union européenne. Mais l’Europe unie trouve sa véritable origine institutionnelle dans le Traité de Rome, du 25 mars 1957, qui a donné naissance à la CEE (Communauté économique européenne) dont est directement issue l’Union Européenne (UE) actuelle. Depuis lors, l’UE n’a cessé de s’étendre — passant de 6 à 27 pays membres &##8212; et d’étendre ses prérogatives au détriment des États-nations membres. Ainsi, presque tous les pays membres de l’Europe des Quinze ont perdu un attribut aussi essentiel de la souveraineté nationale que l’émission et la régulation d’une monnaie nationale le 1er janvier 2002. Avec la nouvelle Constitution européenne, si elle entre en vigueur, les États membres perdront jusqu’à la faculté de définir de manière autonome une politique étrangère.

Voilà pour nos quelques brèves considérations relatives à l’Europe historique et présente.

Les risques totalitaires qui attendent l’Europe ne concernent pas un ou plusieurs pays spécifiques, car l’Europe de demain sera à coup sûr unifiée, l’intégration du Vieux Continent constituant un phénomène irréversible à l’horizon des prochaines décennies. L’unification de notre continent, Suisse comprise, est inéluctable pour au moins onze raisons :

1. L’internationalisation croissante de la plupart des activités humaines

La plupart des activités humaines, qu’elles soient politiques, économiques, sociales, culturelles, religieuses ou sportives présentent un caractère toujours plus transnational, tendance qui favorise manifestement l’unification européenne.

2. La généralisation des fusions

On s’en rend compte jour après jour en s’abreuvant des messages que véhiculent les médias et la majorité des élites européennes : il y a aujourd’hui prééminence de ce qui est fusionnel, unificateur, par rapport à ce qui divise. Les fusions d’entreprises se comptent par milliers. Ce qui divise, sans même présenter d’effets négatifs, à commencer par l’existence des États-nations, est perçu comme le vestige d’un monde ancien à répudier.

3. Le primat du libéralisme économique et de l’économie de marché

Le libéralisme économique et les principes de l’économie de marché commandent une logique et une rationalité économiques fondées sur la division internationale du travail, l’achat des biens et services là où ils sont les meilleurs marchés, fût-ce à l’étranger.

La logique économique implique la course au moindre coût de production et la chasse perpétuelle aux gains de productivité. Ces impératifs aboutissent souvent à des concentrations d’entreprises et à des accroissements de production qui ne peuvent s’écouler que sur le marché international, les marchés nationaux étant trop exigus. Toutes ces réalités convergent inéluctablement vers l’instauration d’un marché européen, et même mondial, de plus en plus unifié.

4. La forte imbrication des économies nationales les unes dans les autres, et l’accroissement du commerce international

Ces deux phénomènes résultent substantiellement de la logique économique évoquée ci-dessus. Ils ont très puissamment contribué à la nécessaire réalisation des libertés de circulation des marchandises, des services, des capitaux et des personnes déjà pratiquée au niveau de l’UE. C’est non sans raison que J.-J. Rousseau a pu écrire, au XVIIIe siècle déjà, que les nations ne devaient pas commercer avec l’étranger si elles souhaitaient demeurer indépendantes. La famille politique des libéraux-nationalistes semble l’avoir oublié. Il n’est pas concevable de vouloir simultanément un libre-échangisme absolu et le maintien des États-nations sous leur forme actuelle.

5. Les nouvelles technologies de l’information

L’ordinateur est vraisemblablement l’innovation technologique la plus importante du dernier demi-siècle. Le développement prodigieux des nouvelles technologies de l’information rend la plupart des informations accessibles pratiquement à tous, à tout moment et en tout lieu. En matière d’information, les nouvelles technologies abolissent quasiment le temps et l’espace. Les ordinateurs sont de véritables machines à broyer les frontières. Sous nos yeux, la société de l’information se substitue à la société industrielle, comme cette dernière avait pris le relais des sociétés agraires à la fin du XVIIIe siècle. Les conséquences qui en résultent sont incommensurables. À ce sujet, David de Pury s’est exprimé avec perspicacité : « Les avantages et les inconvénients liés à un endroit précis deviennent caducs dans bien des cas. Le lieu perd dramatiquement de sa valeur dans cette société d’information généralisée. » Ces lieux qui perdent de leur valeur ne peuvent que nourrir les mouvements d’unification en cours sur notre continent.

6. Le développement exceptionnel des autres moyens de communication et des transports

Les innovations technologiques ont entraîné un développement remarquable des infrastructures et des moyens de transport. S’il n’y a pas de globalisation des marchés sans autoroutes de l’information, il n’y en a pas non plus sans autoroutes tout court. La perception subjective de l’espace a subi de profondes mutations, dans le sens d’un rapprochement de lieux considérés, il y a quelques décennies, comme éloignés. Ces rapprochements favorisent eux aussi l’effritement des frontières.

7. La gravité et le caractère transnational d’un certain nombre de fléaux

Depuis quelques décennies, divers fléaux ou développements socio-économiques lourds de virtualités négatives tels que les diverses atteintes à l’environnement, la drogue, le crime organisé, les migrations internationales, et bien d’autres présentent un caractère indubitablement transnational. Ce phénomène s’accentue jour après jour. Cette situation fait prendre conscience aux gouvernements et aux populations que seules des politiques et des mesures élaborées à un niveau supranational permettront de réduire, ou du moins d’endiguer, ces problèmes. Cette transnationalisation des difficultés contemporaines est pour beaucoup dans tous les processus d’unification politique. Les accords de Schengen et de Dublin, destinés notamment à mieux traquer le crime organisé et à réguler l’immigration dans les pays de l’UE, illustrent parfaitement cette évolution.

8. L’effondrement du communisme

La chute du Mur de Berlin, le 9 novembre 1989, a mis fin au monde bipolaire que nous connaissions depuis 1945. Cet événement occupe une place absolument centrale dans le processus d’unification européenne en cours. L’effondrement du régime communiste a permis une accélération de la construction européenne. Les bouleversements à l’Est ont fait prendre conscience à l’Europe que la place était désormais libre pour elle dans la course au rang de première puissance mondiale. Même si les États d’Europe occidentale ont été indépendants, démocratiques et libres après la Deuxième Guerre mondiale, ils subissaient de facto une espèce de tutelle discrète, ne possédant pas un arsenal atomique suffisant pour rivaliser sérieusement avec les États-Unis et l’URSS.

9. Les facteurs institutionnels

Les facteurs que nous venons de mentionner contribuent puissamment au renforcement des institutions européennes telles que la Commission, le Parlement ou la Cour européenne de justice. Évidemment qu’au travers d’un processus interactif, le développement de ces institutions conduit à une unification toujours plus forte des économies et des législations des pays membres de l’UE.

10. La pression diffuse exercée par les médias et les élites en faveur de l’unification européenne

Les populations sont partagées quant aux bienfaits escomptés ou proclamés de l’unification européenne. Une telle réticence apparaît moins au niveau des médias et des élites culturelles, politiques et économiques. À ce niveau prévalent de larges majorités, parfois même un unanimisme affiché en faveur de l’intégration du Vieux Continent. Il est indéniable que le travail d’influence des médias et leur manière, parfois inéquitable et abusive, de disqualifier intellectuellement celles et ceux qui pensent autrement, tendent à convaincre les peuples qu’il n’y a décidément pas d’autre option pour les pays que d’être unis à l’échelle européenne et de disparaître progressivement en tant qu’États-nations pour affronter les défis du XXIe siècle. Ici comme ailleurs, une espèce de pensée unique finit par tenir lieu de formateur de l’opinion publique.

11. Le sens de l’Histoire

Le christianisme biblique révèle très clairement un sens de l’Histoire. Nous croyons dès lors au sens d’une Histoire qui est partiellement déchiffrable. Le phénomène de l’intégration européenne est inscrit dans l’Histoire, non comme une fatalité, mais parce que les mentalités collectives actuelles ainsi que l’évolution de l’économie, de la politique, de la science et des technologies ne peuvent qu’y conduire. L’unification est aujourd’hui dans « l’air du temps » – ces mots rendent bien compte de la situation qui prévaut aujourd’hui — comme l’était au début du siècle l’avènement du communisme en Russie et dans les années 1930, l’émergence du IIIe Reich en Allemagne. Sans le dire explicitement et sans se réclamer d’aucune foi chrétienne, Jean-Claude Casanova, éditorialiste de l’hebdomadaire L’Express, croyait manifestement lui aussi à ce sens de l’Histoire en affirmant, au sujet de l’unification européenne, en 1990 déjà : « Certes, nous restons libres de choisir […] Mais l’issue est si évidente aujourd’hui que l’on peut dire que notre liberté n’est que la conscience de sa nécessité. »

C. Les risques totalitaires de l’Europe

L’Europe, dont Gonzague de Reynold (1880-1970) disait qu’elle était née impériale et qu’elle avait été créée pour être le globe, court vers son destin de Continent unifié et centralisé. La culture de cette Europe, les mentalités collectives qui se manifestent en son sein, les métamorphoses du rôle de l’État et du droit ainsi que les évolutions de la technologie et de l’économie font subir à notre continent d’incontestables risques totalitaires.

L’Histoire, mais aussi les démarches d’une philosophie politique appropriée — c’est-à-dire fondée sur une juste perception de la condition et de la nature humaines — montrent que les totalitarismes procèdent de la convergence de trois phénomènes fondamentaux clairement présents dans l’Europe contemporaine : le développement de structures néfastes favorables à l’irruption d’un totalitarisme ; l’émergence d’une culture qui est une idéologie prométhéenne2 humaniste hostile à Dieu, à l’ordre naturel des sociétés et à la véritable liberté de conscience et, finalement, l’impuissance progressive des institutions démocratiques à satisfaire les grands besoins sécuritaires des êtres humains, impuissance qui aboutit au syndrome de l’appel au sauveur. L’Histoire ne se reproduisant jamais à l’identique, les risques totalitaires de l’Europe s’enflent de surcroît de certaines spécificités propres à notre Continent. Faisons un rapide « état des lieux » de ce dernier.

1. Le développement de structures favorables au totalitarisme

La démocratie et les libertés individuelles ne se décrètent pas. Elles forment un régime politique ultimement issu du christianisme et de la Réforme. La démocratie et les libertés individuelles ne peuvent être maintenues qu’accompagnées d’importantes conditions protectrices dont l’existence d’États-nations disposant d’une véritable souveraineté, la limitation à la fois constitutionnelle, sociologique et économique du pouvoir étatique, une structure partiellement décentralisée du pouvoir étatique, la propriété privée, la liberté économique, le secret bancaire, l’existence de billets de banque anonymes, un certain pluralisme, la volonté du grand nombre de participer à la vie publique et l’absence de surveillance électronique excessive des personnes. Or, en Europe, quelques-unes de ces conditions protectrices de la démocratie et des libertés individuelles sont en train de s’effriter dangereusement.

2. La désagrégation de l’État-nation

Parmi les digues protectrices de la démocratie et des libertés individuelles, l’État-nation est aujourd’hui l’une des plus menacée en Europe. Ce phénomène est inquiétant, parce que, à l’instar des États, les nations ne résultent pas d’une simple évolution, ni d’un contrat. Comme l’aurait dit la philosophe Jeanne Hersch, les États ainsi que les nations représentent des faits de nature. N’hésitons pas à l’affirmer : l’existence de nations, séparées les unes des autres principalement par les langues, procède de la volonté de la grâce commune et du dessein historique de Dieu. Elles ont été instituées pour limiter la pleine expression de l’obscur désir prométhéen des hommes et pour entraver la formation d’un empire universel qui serait par essence totalitaire. La Bible relate cet épisode : « Toute la terre avait une seule langue et les mêmes mots. […] Allons bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche au ciel, et faisons-nous un nom. Et l’Éternel dit : Voici, ils forment un seul peuple et ont tous une même langue. Maintenant rien ne les empêchera de faire tout ce qu’ils auraient projeté. Confondons leur langage, afin qu’ils n’entendent plus la langue les uns des autres. Et l’Éternel les dispersa loin de là, sur la face de toute la terre » (Gen 11.1-9). Suit la conséquence géopolitique de ce décret du Dieu de l’Histoire : « Le Très-Haut donna un héritage aux nations, quand il sépara les enfants des hommes, il fixa les limites des peuples » (Deut 32.8).

La division du monde en États-nations représente bien un principe de division salvateur, pour le temps et non pour l’éternité, en vue de préserver l’humanité des totalitarismes planétaires. La nature humaine étant ce qu’elle est, les mouvements trop unificateurs sont, par essence, tyranniques. Il n’y a pas de démocratie durable sans diversité protégée par des institutions substantiellement souveraines, distinctes les unes des autres.

Le philosophe Emmanuel Kant (1724-1804) avait déjà bien saisi les dangers d’un monde unifié dès la fin du XVIIIe siècle en écrivant ceci dans son livre Vers la paix perpétuelle : « L’idée du droit suppose la séparation de nombreux États voisins, indépendants les uns des autres, et bien qu’un tel état soit déjà en soi un état de guerre, celui-ci, d’après l’idée de la raison, vaut encore mieux que la fusion des États en une puissance dépassant les autres et se transformant en monarchie universelle. […] C’est cependant le désir de chaque État (ou de son chef suprême) de […] dominer autant que possible le monde entier. Mais la nature veut qu’il en soit tout autrement. Elle se sert de deux moyens pour empêcher les peuples de se mélanger et pour les séparer : la diversité des langues et des religions. »

On comprend mieux dès lors qu’en 1942, Goebbels, cet ennemi des libertés individuelles, ait dit, d’une manière aussi prophétique que satisfaite : « Je suis convaincu que dans cinquante ans d’ici, les gens ne penseront plus en terme de pays. »

3. L’effritement d’autres écrans protecteurs des libertés individuelles

La plupart de ces écrans sont en train de disparaître progressivement en Europe, mais aussi dans le monde entier, parce que progresse inexorablement l’extension technologique et spatiale du contrôle des activités et des pensées humaines. Le monde actuel rend les personnes de plus en plus dépendantes envers la société, les entreprises et l’État. Toutes les tendances lourdes conduisent à l’affaiblissement de l’autonomie matérielle et spirituelle des individus.

Incidemment, nous ajouterons que la substitution des cartes de paiement aux billets de banque est une condition nécessaire à l’accomplissement de cette prophétie spécifique des Écritures : « [La bête] fit que tous, petits et grands, riches et pauvres, libres et esclaves, reçoivent une marque sur leur main droite ou sur le front, et que personne ne puisse acheter ni vendre, sans avoir la marque, le nom de la bête ou le nombre de son nom. » (Apoc 13.16-17)

Toutes ces évolutions montrent à l’évidence que les écrans protecteurs des libertés individuelles tels que la distance, la possibilité d’échapper à un œil inquisiteur ou l’inviolabilité de la sphère privée régressent fortement depuis une vingtaine d’années.

Tout homme lucide sait bien que les libertés individuelles sont étroitement liées à une sphère privée inviolable. Le grand libéral qu’était Benjamin Constant (1767-1830) l’a bien vu : « Il y a une partie de l’existence humaine qui, de nécessité, reste individuelle et indépendante, et qui est de droit hors de toute compétence sociale ». Mais dans l’Union européenne dominée par les technocrates, qui se soucie encore de telles réflexions philosophiques ?

La possibilité et, plus encore, l’effectivité d’une surveillance électronique mondiale des personnes apparaissent dès lors comme un coup très grave porté à la pérennité des libertés individuelles qui ont fait la grandeur et la spécificité des démocraties occidentales.

4. L’émergence d’une pensée unique prométhéenne, antichrétienne et antilibérale

Tous les totalitarismes modernes se réfèrent à une conception du monde, à une idéologie. Le totalitarisme soviétique s’inspira du marxisme, le totalitarisme nazi du racisme. Évidemment, ces idéologies apparaissent et se développent dans les sociétés libres bien avant que ces dernières ne deviennent totalitaires. Quelle idéologie, déjà présente dans notre Europe encore substantiellement démocratique, pourrait-elle bien constituer le noyau d’un futur totalitarisme européen ?

Les esprits les plus perspicaces, les observateurs les plus lucides, les philosophes les plus attachés à la vérité et les chrétiens les plus habités par la faculté de discernement perçoivent aujourd’hui cette idéologie totalitaire dans la « pensée unique », une réalité à la fois intellectuelle et comportementale, réalité toujours plus pesante et contraignante bien que ses contours soient mal dessinés. Cette pensée unique paraît s’articuler autour des aspirations, des croyances, des mythes, des attitudes et des valeurs qui suivent.

D. Les composantes de la pensée unique

1. Tout d’abord, la volonté, en partie inconsciente mais farouche, des sociétés contemporaines de s’abstraire de la condition humaine et de nier la nature humaine. Le dessein de s’abstraire de la condition humaine explique les tentatives de l’humanité pour réaliser l’utopie d’un paradis terrestre dont seraient bannies la souffrance, les maladies, la pénibilité du travail, les contradictions et les limitations humaines, voire même la mort. Nier la nature humaine, c’est, entre autres, refuser de voir que l’origine du mal est en l’homme et non pas d’abord dans la société. En plaçant la source du mal à l’extérieur du cœur humain, notre culture entend confier à l’homme la mission de se sauver tout seul.

2. Une espèce d’agnosticisme panthéiste multiforme largement répandu, selon lequel Dieu, s’il existe, n’est en aucun cas le Dieu de l’Histoire révélé par l’Ancien et le Nouveau Testament, mais bien plutôt le Grand Psychologue qui nous comprend du haut de sa distante bienveillance. Sous un autre angle, le Dieu transcendant a fait place au Dieu immanent.

3. La quête d’une spiritualité irrationnelle et irréelle qui se manifeste par le goût pour les religions orientales, le surnaturel sous toutes ses formes, les tarots, les horoscopes et autres pourvoyeurs de tranquillité psychique éphémère.

4. La conviction qu’il n’y a pas de vérité absolue dans l’ordre spirituel, religieux, éthique et social, mais bien plutôt des vérités partielles, contingentes et provisoires, issues de la culture d’une époque. C’est le relativisme.

5. La très nette prééminence du dialogue, de la paix et du syncrétisme sur l’affirmation, la proclamation et la défense d’une vérité considérée comme absolue ou unique dans le domaine religieux, philosophique ou politique.

6. La quasi-divinisation d’un universalisme égalitaire qui refuse toute discrimination théologique, philosophique ou politique, même protectrice, fondée sur la nationalité, la religion, le sexe ou les orientations sexuelles. Le postulat de l’universalisme égalitaire débouche, de proche en proche, sur l’impératif du multiculturalisme. Il présente en outre de très grandes affinités avec le mondialisme culturel et politique de même qu’avec la diabolisation de l’État-nation.

7. Une tendance à affaiblir les distinctions divines ou naturelles entre sacré et profane, public et privé, homme et femme, adultes et enfants, dimanche et jours ouvrables.

8. La croyance que les êtres humains ne sont pas véritablement responsables de leurs comportements pathologiques, ces derniers étant imputables à l’environnement socio-culturel. Cette croyance détermine grandement l’attitude des tribunaux et des systèmes d’éducation.

9. Une conception de l’État qui veut affaiblir son rôle sécuritaire (respect du droit à l’intérieur, et défense contre les agressions extérieures), pour en faire le réparateur des effets de la décomposition morale.

10. Une nouvelle acception de la valeur de liberté qui voit dans cette dernière une libération à l’égard des contraintes et des tabous de toute nature plutôt que la garantie accordée aux personnes de pouvoir suivre les injonctions de leur conscience. C’est la liberté pulsionnelle qui se substitue à la liberté de conscience.

11. Une définition du bonheur entrevu comme un état de bien-être obtenu par la consommation de sensations physiques et psychiques.

12. Le matérialisme pragmatique et un rationalisme économique qui assignent aux résultats à court terme et au rapport général coût-bénéfice le rôle de critères premiers dans les décisions humaines. C’est le règne de l’utilitarisme.

13. En dépit d’un certain retour à la nature et aux mythes passéistes de l’âge d’or, la croyance majoritaire que la science et la technique constituent les principaux instruments de la résolution de presque tous les fléaux qui assaillent l’humanité.

E. Les implications totalitaires de la pensée unique

Que nous réservent les thèses et les prétentions arrogantes de la pensée unique, telles qu’elles se manifestent en Europe plus qu’ailleurs ? Allons à l’essentiel.

1. Un avenir dans les chemins tracés par les « Lumières » du XVIIIe siècle

La pensée unique ainsi que la plupart de ses composantes trouvent leur source historique principalement dans la philosophie des Lumières. Cette dernière est essentiellement fondée sur la raison, saluée comme la suprême faculté de l’homme. L’indépendance de l’homme relativement à son Dieu créateur constitue la quintessence des Lumières, qui incarnent ainsi un véritable humanisme empreint d’orgueil. Par la foi nouvelle et ardente qu’elles mettent en l’homme, les Lumières servent de référence idéale à toute aventure prométhéenne.

Sur les implications totalitaires du prométhéisme des Lumières, le philosophe chrétien Jean Brun a écrit des pages parfois éblouissantes. Partant de la juste observation que la conception prométhéenne de l’histoire chère à Hegel (1770-1831) et le prométhéisme technocratique cher à l’économie de marché visent à une maîtrise totale du temps et de l’espace, il conclut ainsi : « Le drame est que ce nouveau dieu (l’homme) décide, en tant que dieu, que tout lui est permis, puisque rien ne saurait se trouver au-dessus de lui, et qu’il est le libre créateur de normes toujours en devenir. On ne peut donc plus parler de Mal, non seulement parce que tout ‘a droit à la différence’, mais parce que le Mal doit être angélisé en tant que mal de croissance nécessaire à ce fructueux ‘travail du négatif’ célébré par Hegel. » Hegel lui-même déclare : « La Raison ne peut pas s’éterniser auprès des blessures infligées aux individus, car les buts particuliers se perdent dans le but universel. » C’est ici la description parfaite des mécanismes intellectuels qui ont conduit les totalitarismes communiste et nazi à justifier le Goulag et la Shoah. Plus elles s’éloigneront de Dieu, plus nos sociétés risqueront de sombrer dans les mêmes dérives catastrophiques.

2. Le rejet de Dieu

Le rejet du Dieu transcendant incarné en Jésus-Christ et révélé au travers de la Bible, du droit naturel et de la conscience humaine constitue la marque commune de tous les totalitarismes. Le potentiel totalitaire le plus fondamental de la pensée unique réside dans les conséquences de son rejet toujours plus acharné et systématique du Dieu de l’Histoire. Lorsque Nietzsche (1844-1900) a proclamé la « mort » de Dieu, il ne s’est peut-être pas rendu compte que Dieu « avait depuis longtemps été remplacé par un sosie » fabriqué au XVIIIe siècle, comme le dit André Glücksmann. Mais avec une fulgurance quasi prophétique, Nietzsche a décrit les conséquences du rejet de Dieu mieux que ne sauraient le faire la plupart des chrétiens, dans ce passage célèbre du Gai savoir : « Le plus grand des événements récents — la « mort de Dieu », le fait, autrement dit, que la foi dans le dieu chrétien a été dépouillée de sa plausibilité — commence déjà à jeter ses premières ombres sur l’Europe. [….] Tout va s’effondrer maintenant que se trouve minée cette foi qui était la base, l’appui, le sol nourricier de tant de choses : toute la morale européenne entre autres détails. Nous devons désormais nous attendre à une longue suite, à une longue abondance de démolitions, de destructions, de ruines et de bouleversements. » Nietzsche ne se trompait pas. Les implications du refoulement et de l’évacuation de Dieu sont évidentes et parfois dramatiques. Elles n’en finissent pas de corroder les piliers de la civilisation occidentale et plus particulièrement de l’Europe.

Dostoïesvski avait raison : « Si Dieu n’existe pas, tout est permis » — entre autre : le mépris absolu des libertés individuelles et de la dignité humaine, quintessence du totalitarisme.

F. Le totalitarisme européen à la lumière des prophéties bibliques

Le chrétien dispose de l’avantage d’appréhender les réalités humaines fondamentales et les grands phénomènes historiques au moyen de deux approches : les démarches fondées sur la raison et les outils des sciences humaines d’une part, et l’enseignement des Écritures d’autre part. Ces deux approches peuvent même s’éclairer l’une l’autre. Le phénomène d’un futur totalitarisme européen se prête à cette double approche. Dans leur incommensurable richesse, les Écritures contiennent en effet de nombreuses paroles relatives au phénomène totalitaire en général tout en révélant, de manière certes difficilement accessible, un sens de l’Histoire.

Nos sociétés gagnées par l’anarchie morale et par la confusion des valeurs montrent à l’évidence que leur désintégration s’accélère. Il n’est peut-être plus éloigné le temps où l’on pourra dire de l’Europe entière ce que Machiavel disait de l’Italie de son temps : « A bout de souffle, elle attend celui qui pourra guérir ses blessures, … la voilà prête à suivre un drapeau, pourvu qu’il se trouve quelqu’un qui veuille le saisir. » Quant à Raymond Aron (1905-1983), et ce malgré son intéeacute;rêt pour l’idéologie technocratique, il affirmait, en 1965 déjà : « La menace suprême est bien, à notre époque, celle du totalitarisme. »

Dégagés de toute prévention de vouloir confisquer l’Histoire à des fins apologétiques, arrêtons-nous sur quelques prophéties bibliques qu’il est légitime de relier au phénomène d’un futur totalitarisme humain. Sans ambiguïté aucune, l’Écriture proclame que l’Histoire de l’humanité, entendue au sens du concept « temps des nations », prendra fin dans le cadre d’un régime politique totalitaire universel. Dans le livre de l’Apocalypse (13.3), on peut lire que « remplie d’admiration, la terre entière suivit la bête ». Est mise en relief, ici, la séduction qu’exercera le dernier dictateur de l’Histoire sur les masses. L’Écriture souligne ensuite le caractère mondial de cette emprise profondément funeste : « Il […] fut donné [à la bête] autorité sur toute tribu, tout peuple, toute langue, et toute nation. » (13.7)

Plus loin, l’apôtre Jean, auteur de l’Apocalypse, écrit : « [La bête] fit que tous, petits et grands, riches et pauvres, libres et esclaves, reçoivent une marque sur leur main droite ou sur le front, et que personne ne puisse acheter ni vendre, sans avoir la marque, le nom de la bête ou le nombre de son nom. » (13.16-17) Ce passage insiste sur le caractère profondément totalitaire du règne de cette bête que la Bible appelle ailleurs l’Antichrist.

Le dernier totalitarisme dont parlent les Écritures présentera, comme tous ceux qui l’ont précédé, une dimension historique, donc spatiale. Il surgira d’un espace donné avant de s’étendre au monde entier. Il trouvera sa genèse intellectuelle dans une culture dont tout donne à penser qu’elle sera animée de ce que l’Écriture appelle « l’apostasie » (2 Thes 2.3) et « l’esprit de l’Antichrist » (1 Jean 4.3), expressions traduisant l’inversion du bien et du mal.

L’Europe représente, selon nous, le Continent le plus en osmose avec ce que l’on peut qualifier « de culture de la fin des temps ». Elle constitue comme l’avant-garde de la pensée unique humaniste et prométhéenne. En dépit de la puissance technologique, économique et militaire des États-Unis, en dépit de la volonté farouche des islamistes les plus radicaux de mener une guerre contre la chrétienté et les Juifs, c’est donc bien de l’Europe que risque de jaillir le dernier totalitarisme, parce que c’est sa culture qui est le plus en adéquation avec celle de la fin des temps.

De surcroît, si l’on retient l’un des grands schémas d’interprétation des prophéties bibliques, (cohérent, quoique contestée), il apparaît qu’à la fin des temps, le dernier totalitarisme mondial témoignera d’une hostilité sans précédent à l’égard de toute personne ou de toute pensée qui pourraient se réclamer du Dieu de Jésus-Christ, mais aussi à l’égard du peuple d’Israël, progressivement restauré dans son statut d’héritier de promesses spécifiques de l’alliance éternelle du Dieu de l’Histoire (lire par exemple Zach 12-14). Or il est évident que les germes les plus virulents de cette hostilité sont bien plus présents en Europe qu’aux États-Unis. Une Europe, soit dit en passant, dont 59 % des habitants — mus par un véritable esprit d’aveuglement ou par une mauvaise foi indéniable — estiment qu’Israël constitue la plus grande menace pour la paix du monde.

De nombreux auteurs et hommes politiques assignent à l’unification européenne le destin et le dessein de préfigurer et de préparer l’unification du monde et l’avènement d’un gouvernement mondial. Denis de Rougemont, un des pères de la construction européenne, a dit qu’il nous « faut faire l’Europe, parce qu’il faut faire le monde, et que seule l’Europe peut le faire. Or, elle doit d’abord exister. » En 1948 déjà, il écrivait, dans un sens voisin : « L’heure est venue de rallier pour ce nouveau destin [c.-à-d. celui de l’Union européenne] tous les peuples du continent […] en une fédération qui sera le premier pas vers la fédération mondiale. » Il conclut sur ce point par cette très forte affirmation : « Il n’y a de fédération européenne imaginable qu’en vue d’une fédération mondiale. »

Le livre de Daniel (notamment les chap. 7 et 8) contient une fresque exceptionnelle de l’histoire de l’humanité. Cette description grandiose de l’Histoire nous apprend que le monde a été et sera dominé successivement par quatre grandes entités politiques : Babylone, les Mèdes et les Perses, la Grèce d’Alexandre le Grand et l’Empire romain. Au sujet de l’Empire romain, l’Écriture affirme qu’il disparaîtra provisoirement pour laisser place à un temps d’évangélisation du monde par l’Église. Il doit renaître à la fin des temps afin de servir de cadre institutionnel à l’émergence du dernier totalitarisme féroce que connaîtra l’humanité : celui de l’Antichrist, dictateur universel régnant sans partage sur le monde entier. Cet Antichrist sera anéanti par le Christ lors de son avènement. C’est alors que le Fils de Dieu établira son Royaume et « régnera, au nom de son Père, sur une humanité enfin délivrée du Mal » comme l’écrit Paul Arnéra dans un article intitulé « Sens de l’histoire et avènement du Christ » paru dans la revue Certitudes en 1998. Pour toutes les raisons évoquées ci-dessus, cet Empire romain renaissant pourrait bien être l’Europe en voie d’unification.

« Vous donc, bien-aimés, qui êtes prévenus, soyez sur vos gardes, de peur qu’entraînés par l’égarement des impies, vous ne veniez à déchoir de votre fermeté, mais croissez dans la grâce de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ. À lui soit la gloire, maintenant, et jusqu’au jour de l’éternité ! » (2 Pi 3.17,18)

notes
1 Un paradigme est une représentation du monde, une manière de voir les choses, un modèle de vision du monde qui repose sur des courants de pensée ou des manières de faire. (NdE)
2 D’après l’histoire de Prométhée, empruntée à la mythologie grecque : Prométhée, demi-dieu, vole à Zeus le feu et l’apporte aux hommes. « Prométhéen » se dit d’une aspiration à dépasser sa condition humaine, par l’apport des connaissances et de la technique, en rejet de l’autorité des dieux, ou de Dieu dans le contexte de cet article. (NdE)


Le mal, un mystère

D’où provient le mal ? Ceux et celles qui étudient sérieusement la doctrine du péché se verront tôt ou tard confrontés à cette question particulièrement angoissante. Existe-t-il une réponse à cette interro-gation ? Certains théologiens soutiennent que oui, élaborent des thèses sur le sujet afin de démontrer l’origine du mal. Cependant, nous sommes de l’avis des théologiens évangéliques qui maintiennent le caractère absolument énigmatique du mal et son origine. Comme l’exprime fort à propos le professeur Henri Blocher, « l’énigme du mal est le seul mystère ‘opaque’ de l’Écriture ».2 Énigme que même les yeux de la foi ne parviennent pas à percer !

Cette confession du mystère du mal n’est cependant pas l’aveu de l’échec devant une réalité (celle du péché) qui échapperait complètement à l’entendement de l’homme.3 Elle est en fait la reconnaissance d’une réalité qui, bien que présente dans l’expérience humaine, ne sonne pourtant pas au diapason de la réalité du monde créé : si le mal dérange, c’est parce qu’il ne s’arrange à rien ; le mal n’étant pas lui-même de création divine, il est par conséquent dérangement de l’ordre créé. Ou dit autrement : le mal est dérèglement qui corrompt et détruit la création de Dieu. Et c’est bien en raison du fait que le mal n’a pas sa place dans le créé qu’il nous apparaît comme mystère. Si le mal n’était pas ainsi mystérieux, il serait alors tout à fait possible de l’expliquer. Mais l’expliquer, ne serait-ce pas du même coup tenter de le justifier, comme s’il était un maillon nécessaire de la chaîne ? Et s’il était effectivement possible de le justifier, ne serait-ce pas en fin de compte Dieu qu’il faudrait blâmer d’avoir produit un si grand fléau ? Si donc le mal ne s’explique pas, c’est uniquement parce qu’il est étranger à la vie de Dieu, et non parce qu’il échappe à notre intelligence.

D’autres mystères sont contenus dans l’Écriture. La grâce de Dieu est un de ces mystères. L’énigme de la grâce, cependant, est bien différente de l’énigme du mal. Car le mystère de la grâce, contrairement au mystère du mal, ne gît ni dans la terreur ni dans la souffrance, mais dans la pure lumière de la bonté divine ; il s’agit d’un mystère lumineux et délicieux pour l’intelligence. Quant au mal, il sera toujours souffrance pour la raison humaine, puisque l’absence d’origine et le statut d’étranger à la création de Dieu de celui-ci apparaîtront toujours à celle-ci comme une énigme angoissante : si Dieu n’est pas l’auteur du mal, si le péché n’est pas « originé » de lui, d’où le mal a-t-il pu surgir ?

Le mal et l’homme

Toute souffrance requiert une consolation. Il serait vain cependant de chercher un soulagement à la « souffrance cognitive » qu’engendre le mal via l’avenue du savoir rationnel. Car la véritable consolation s’obtient non par une soi-disant connaissance théorique du mal, mais dans la confession de sa propre culpabilité. C’est pourquoi toute tentative d’élucidation du mal dans le but de le justifier (et ainsi soulager sa conscience) doit être considérée comme un refus de confesser son propre péché. L’Écriture ne permet aucun écart à ce sujet : jamais en effet elle ne donne à penser que l’homme serait pour ainsi dire « atteint » par la présence du mal sans que ne soit pris en considération sa propre responsabilité et culpabilité. Il faut se garder de ce piège : « Que nul pécheur n’imagine qu’il peut s’excuser en imputant à Dieu la causalité du mal. »4 La Bible nous dépeint en effet l’homme dans toute sa culpabilité, où lui seul est à blâmer : « Car il n’y a pas de distinction : tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu. » (Rom 3.23).

Ainsi, dans l’étude du problème du mal, l’homme est entièrement impliqué parce que c’est aussi le récit de son péché et de sa culpabilité qu’il entend étudier. Dans ce domaine, nul n’a le droit d’adopter une attitude désinvolte qui ressemblerait à du « cela-ne-me-concerne-pas ! ». Bien au contraire, chaque homme ne peut que s’humilier et confesser qu’il a, lui aussi, commis le mal. Cette dernière attitude est à vrai dire la seule par laquelle la question du péché peut être correctement abordée.

On ne saurait trop insister sur le lien étroit qui existe entre la question de l’origine du mal et la culpabilité du pécheur. Ce lien, bien entendu, n’a rien d’une construction théorique artificielle. Il s’agit en fait du lien fondamental qui nous permet de « prendre conscience » de la présence du péché dans la création : le péché « existe » parce que l’homme a choisi le péché. On ne peut aller au-delà de ce lien. Car situer le péché à l’extérieur de la volonté humaine reviendrait à placer son origine dans la substance même de la création, donc à faire du Dieu créateur l’auteur du mal. Or la Bible ne permet jamais une telle supposition. C’est aussi ce lien qui a conduit le théologien néerlandais Herman Bavinck à dire avec tant de justesse et de réalisme que « le péché n’a pas d’origine, mais seulement un commencement ».5 Chaque chose créée a son origine en Dieu. Or, si le péché avait aussi sa propre origine, il faudrait alors admettre qu’il procède de Dieu, ce que l’Écriture nous interdit formellement d’affirmer. Il ne reste alors qu’à reconnaître que le péché a seulement un commencement, et que ce commencement coïncide avec la libre décision humaine de pécher.

Est-ce donc dire qu’il y aurait eu une faille lors de la conception de la créature humaine, une sorte de fissure dans sa liberté ? Peut-on sur ce point suivre Thomas d’Aquin, qui disait que « des créatures faillibles doivent bien défaillir quelquefois » ? Ou encore d’autres théologiens, C.S. Lewis par exemple, qui ont conclu qu’il « est essentiel à la liberté de pouvoir pécher, de pouvoir dire non à Dieu comme de pouvoir lui dire oui »6 ? Une telle faille inhérente à la liberté humaine n’est toutefois pas possible. Car tout ce que Dieu a créé était non seulement bon, mais encore très bon, la création de l’homme incluse (Gen 1.31). Certes, la Bible atteste à maintes reprises que l’introduction du péché dans le monde relève de l’usage de la liberté créée. Jamais cependant elle n’impute de fêlure à cette liberté ; elle ne résout pas l’énigme douloureuse du mal par l’affirmation d’une liberté déficiente. Car la liberté de l’homme a aussi été créée bonne, voire très bonne ! Autrement Dieu serait l’auteur du mal à titre de possible :

« Ou bien on prétendrait, pour l’excuser, que Dieu ne pouvait pas créer la liberté autrement : on poserait alors une nécessité extérieure à Dieu, s’imposant à Dieu même. Ou bien on devrait chercher dans la nature de Dieu la source du mal virtuel inhérent à la liberté ; Dieu serait compromis avec le mal. » 7

Face au mal, une consolation

Si le mal est donc si mystérieux, que reste-t-il alors à espérer ? Où tourner les yeux, quand le mal qui nous afflige et que l’on inflige demeure inexplicable ? Vers qui, vers quoi aller afin de trouver liberté et consolation ? Puisqu’il n’y a pas de solution à l’énigme du mal, existe-t-il au moins une consolation ? Et si une telle consolation existe, en quoi consiste-t-elle ? Comment la trouver, l’obtenir ? De plus, « la présence de cette énigme non résolue, de ce mystère blessant, est-elle une faiblesse, peut-être un vice irrémédiable de la doctrine biblique »8 ? Il faut admettre que cette dernière question est fort légitime, car on ne doit pas renoncer facilement à la nécessité de la cohérence et de l’harmonie des représentations théologiques, et on ne plonge pas volontiers dans la notion de mystère.

Heureusement, la Bible offre une consolation au problème du mal. Quant à son énigme, l’Écriture préserve pleinement le mystère. Car une réponse rationnelle au « pourquoi ? » du mal atténuerait inévitablement son caractère scandaleux ; une telle « solution » nierait en effet le « mal du mal ». La consolation qu’offre l’Écriture face à ce mystère est composée de trois thèses fondamentales.

1. « Le mal est mauvais totalement, radicalement, absolument. »9 Le témoignage biblique ne laisse planer aucun doute à ce sujet : « Malheur à ceux qui appellent le mal bien » (És 5.20) ; « Ayez le mal en horreur. » (Rom 12.9)

2. La maîtrise de Dieu sur tout événement est entière : « Dieu est souverain totalement, radicalement, absolument. »10 Le mal n’est donc pas une réalité indépendante de Dieu et son vouloir ; il ne lui « glisse pas entre les doigts ». Une fois de plus, le témoignage de l’Écriture est explicite : Dieu opère tout selon son plan (Éph 1.11) ; il est au ciel et « il fait tout ce qu’il veut » (Ps 115.3).

3. À ces deux premières thèses, on doit ajouter le grand a priori biblique, selon l’expression de Berkouwer : la bonté, la sainteté et la pureté de la majesté de Dieu11 : « Dieu est bon totalement, radicalement, absolument. »12 Dieu ne supporte pas la vue du mal (selon Hab 1.13, ses yeux sont « trop purs pour voir le mal »). C’est pourquoi on ne peut lui imputer de complicité avec le mal. L’apôtre Paul dira de Dieu qu’il « habite une lumière inaccessible » (1 Tim 6.16). Selon Jean, Dieu est lui-même lumière, car « il n’y a pas en lui de ténèbres » (1 Jean 1.5). Jacques affine ce portrait, en affirmant que « Dieu ne peut être tenté par le mal et ne tente lui-même personne » (Jac 1.13).

Ces trois thèses, bien sûr, n’entendent pas expliquer l’énigme du mal. Par contre, elles procurent au chrétien l’assurance de la parfaite détermination de Dieu d’éliminer le mal. Elles nous dépeignent en effet Dieu tel qu’il est : il a le mal en horreur et il ne le laissera pas subsister. C’est d’ailleurs en s’approchant de Dieu que le chrétien prendra progressivement conscience du caractère absolument scandaleux du mal. Se rapprocher de la pure lumière de Dieu, c’est en même temps s’apercevoir que celui-ci n’a aucune participation avec les œuvres des ténèbres. Au contraire, il les combat et les détruit sans merci. Quelle consolation pour le croyant de savoir que le Dieu qu’il adore n’est pas pour mais contre le mal !

La force de la doctrine évangélique du péché réside donc dans son absence de solution : il n’y a pas de solution au problème du mal parce que, justement, il n’y a pas de raison au mal : « La faiblesse apparente de la doctrine biblique se révèle comme l’une de ses plus grandes forces ! Ce n’est pas par hasard si l’événement central est aussi celui qui illustre le plus solennellement les « trois vérités » [les trois thèses] : à la Croix, le Dieu d’amour triomphe du mal ! »13

NOTES
1 De la Faculté de théologie évangélique de l’Université Acadia, à Montréal. L’auteur s’inspire largement, dans cette étude, des ouvrages d’Henri Blocher sur le thème retenu.
2 Henri Blocher, Fac étude : la doctrine du péché et de la rédemption, premier fascicule, nouvelle édition révisée et augmentée, Vaux-sur-Seine, Édifac, 1997, p. 14.
3 Comme le déclare fort bien Gordon J. Spykman, « une ‘théodicée du péché’ [la défense de Dieu] est hors de question. » Et d’ajouter : « Cette conclusion n’est pas la fuite d’un esprit vaincu cherchant refuge dans l’asile de l’ignorance […] L’origine du mal demeure un mystère inexplicable. » Gordon J. Spykman, Reformational Theology : A New Paradigm for Doing Dogmatics, Grand Rapids, Eerdmans, 1992, p. 311.
4 Henri Blocher, Le Mal et la Croix, Méry-sur-Oise, Sator, 1990, p. 139.
5 Herman Bavinck, cité par G. C. Berkouwer, Sin, Grand Rapids, Eerdmans, 1980, p. 18.
6 Henri Blocher, Fac étude, op.cit., p. 16.
7 Ibid., p. 18.
8 Ibid., p. 19.
9 Ibid., p. 14.
10 Henri Blocher, Fac étude, op.cit., p. 14.
11 G. C. Berkouwer, op.cit., p. 26.
12 Henri Blocher, Fac étude, op.cit., p. 14.


Lors d’un camp chrétien en 1998, Dieu a choisi d’ouvrir mes yeux sur le désastre de ma vie. C’était la première fois que je me rendais compte de l’horrible réalité : un de mes amis avait abusé sexuellement de moi. Alors que je n’étais encore qu’un enfant, cette personne avait profité de mes désirs légitimes d’acceptation et d’amour pour abuser de moi-même, de mon corps, de mon esprit et de mon âme. Quant à moi, j’étais submergé de honte à l’idée ce qui s’était passé. Mais miraculeusement, Dieu me révélait sa grâce et son salut lors de ce séjour avec des chrétiens dignes de confiance. Le même jour, le 16 juillet 1998, je me suis résolument tourné vers Jésus-Christ. Je lui ai donné ma vie. Je voulais trouver paix et espoir en lui. J’avais 13 ans.

Débuts difficiles

Ce premier pas fut le début de ma nouvelle vie. Mon âme était en paix avec Dieu, mais tous les troubles et les problèmes n’avaient pas été enlevés pour autant. Chaque jour, je découvrais toujours plus profondément combien j’avais été détruit, sali et cassé. J’étais sujet aux doutes sur ma supposée culpabilité. Pour survivre, je me construisis une personnalité, une façade sobrement peinte, mais à l’intérieur j’étais moralement défait, incapable de me connaître clairement. Tout était désespérément sombre, rien ne pouvait m’encourager ou me rendre vraiment heureux. En fait, c’est pendant cette période de deux à trois ans que j’ai découvert la plupart des conséquences de l’abus dont j’avais été victime. Je pensais constamment qu’il n’y avait pas d’espoir pour moi. Ces troubles me poussèrent à des actes mauvais contre ma propre personne, actes que je regrette amèrement aujourd’hui. Je comprends maintenant que j’essayais d’en finir ainsi avec l’enfant qui souffrait au dedans de moi. Finalement, j’en vins à être déçu de Dieu ; je me demandais quel genre de Dieu il était, où était son aide, et pourquoi j’avais encore à endurer tant de souffrances.

Ma situation alla en se dégradant jusqu’à que je sente que je ne pouvais pas vivre ainsi plus longtemps. Je voulais m’en sortir, mais j’étais complètement bloqué par les difficultés, la honte et le désespoir. J’ai alors crié à Dieu, lui demandant de m’indiquer la « sortie de secours » du cauchemar de ma vie. Sa réponse fut rapide et claire : pardonne !

Pendant un moment, j’essayai de pardonner à mon agresseur. Je le voulais vraiment de tout mon cœur … mais en vain. D’où un découragement d’autant plus grand que je me sentais obligé de commencer par là.

À la découverte du pardon

Le Seigneur voulait que je réalise que je ne pouvais rien faire par moi-même, et que tout est en lui, seulement en lui. Alors je lui ai demandé de me donner sa force et son amour afin d’être capable de pardonner. Le miracle de la grâce, de l’amour et du pardon se produisit dans mon cœur par l’action de Dieu lorsque je compris un peu mieux combien Jésus avait payé pour me pardonner. S’il avait dû mourir sur la croix, c’était à cause de moi. Je réalisai qu’il m’avait pardonné le premier. Fort de cette conviction, j’eus le courage d’écrire une lettre de pardon à mon agresseur, lui assurant que grâce à Dieu, je lui avais pardonné. C’était le 30 novembre 2002.

Je ressentis une liberté que je n’avais jamais connue auparavant. Précédemment, j’étais incapable de considérer mon passé sans être rempli d’une haine aveuglante envers mon agresseur.

Désormais, j’étais capable de vivre la vraie vie que seul Dieu peut transmettre. Je pouvais être heureux et goûter aux joies profondes de mon Sauveur. Actuellement, j’aime la vie et je veux marcher dans les sentiers que Dieu a préparés pour moi. Même si ce n’est pas le chemin le plus facile, c’est la seule vie qui vaille la peine. J’ai trouvé ma vraie identité.

Je ne comprendrai peut-être jamais pourquoi les premières années de ma vie se sont déroulées comme je les ai relatées, et leur cicatrice restera probablement toujours sensible, mais je connais maintenant Dieu mon Père… qui est aussi le maître de l’univers, Dieu tout puissant.

Baptême et témoignage public

Le 30 août 2003, toutes mes connaissances furent invitées à mon baptême. J’invitai également mon ancien agresseur, mais ce dernier ne vint pas. Pour la première fois, Dieu me donna la force de témoigner devant tous de ce qu’il avait fait pour moi.

Maintenant, quand je regarde mon passé, je discerne un peu la main de Dieu conduisant les circonstances pour me sauver et me restaurer. Je dis « un peu », car je suis sûr que Dieu a fait beaucoup plus que ce que je peux imaginer. Entre autres interventions, c’est lui qui a placé les bonnes personnes aux bons endroits pour m’aider.

Si je n’avais pas permis à Dieu de prendre ma main le jour où je me suis converti, je ne sais pas où je serais aujourd’hui… Si mon misérable passé m’était revenu à la mémoire un autre jour, autre part, sans personne pour m’aider, j’aurais été consumé par la honte et je ne pense pas que je serais en vie aujourd’hui. Magnifiquement, Dieu m’a empoigné juste avant que je tombe définitivement. Il a toujours été là pour moi dans sa fidélité pour me protéger et me conduire.

En chemin…

Beaucoup de choses doivent encore être réparées dans ma vie, et le chantier est vaste. Toutefois, je sais que Dieu achèvera ce qu’il a commencé. Ma destinée éternelle est assurée. Je le répète, je n’ai rien fait pour mériter quoi que ce soit. Le Seigneur est à la source de toute ma vie. Je ne peux que le remercier et le louer pour chacune de ses initiatives en ma faveur. Je souhaite que tous les lecteurs, quel que soit leur passé, puissent rendre le même témoignage.


Fuite de l’Absolu – Observations cyniques sur l’Occident postmoderne, vol. 1, éditions Samizdat, Ste-Foy, (Canada). 492 pages avec avant-propos, notes, bibliographie et index des sujets ; courriel : pogo@novactiv.ca ; site Internet : www.samizdat.qc.ca/publications.

Nous présentons ici un extrait de l’avant-propos de ce livre intéressant qui nous fait découvrir l’idéologie matérialiste du postmodernisme de l’Occident et ses mécanismes, réel danger aussi pour l’Église qui s’en imprègne. Son auteur est anthropologue. Il est marié, père de deux enfants et vit au Québec, au Canada. Nous recommandons vivement cet ouvrage.

Extrait de l’Avant-propos

Si on recule d’un siècle ou deux, la religion jouissait en Occident d’une grande influence sur plusieurs institutions sociales d’une importance stratégique : l’éducation, la justice, la science, la santé, les arts et la culture, etc. Aujourd’hui, les choses ont bien changé. Au cours du XXe siècle, la laïcisation a marginalisé le discours religieux traditionnel en Occident. Les grandes institutions sont toutes dominées par une perspective laïque. Exception faite des États-Unis, il est manifeste pour le plus grand nombre que l’Occident est devenu séculier, sans religion. Mais si on dépasse les apparences, on découvre que le besoin de sens n’a jamais cessé de hanter l’homme occidental. Même si le contexte culturel a changé, les questions ultimes restent tout aussi pertinentes au XXIe siècle qu’elles pouvaient l’être dans l’Antiquité ou au Moyen Âge. Est-ce pensable que le matérialisme dit scientifique (et sa nombreuse progéniture idéologique) n’ait pas éliminé la religion, mais, dans le contexte actuel, ait supplanté ses fonctions et participe, bon gré mal gré, à fournir des réponses à la question du sens ?

Il faut constater que la vision du monde matérialiste a été d’abord une idée dans l’esprit de quelques penseurs influents du Siècle des Lumières, mais avec le temps elle a fini par former l’attitude et le comportement des classes éduquées et, finalement, de sociétés entières. La pénétration de cette vision du monde est à ce point profonde qu’elle est devenue un présupposé invisible, allant de soi.

À la rencontre d’un intellectuel, je m’amuse parfois à poser les questions suivantes : « Qu’est-ce pour toi que le postmodernisme ? Qu’est-ce que la distinction moderne/postmoderne ? » Les réponses varient toujours en fonction des champs d’intérêt de la personne et de son domaine de formation. Une définition pertinente, dans le champ des études littéraires ou en architecture, sera bien souvent sans intérêt en anthropologie ou en histoire. Il ne peut donc être question ici que d’offrir une perspective inévitablement partielle et partiale de la question.

Qu’est-ce qu’une vision du monde, une idéologie ou une religion1 ? Il s’agit d’abord d’un système de pensée élaboré pour donner sens à l’existence humaine tout aussi bien sur le plan intellectuel qu’émotif. Dans un premier temps, une vision du monde comporte une cosmologie, c’est-à-dire un ensemble de présupposés touchant l’ordre du monde. La cosmologie fournit le cadre conceptuel dans lequel se joue le jeu de l’existence humaine, ou en d’autres mots la scène où se joue le théâtre de la vie. Elle prend souvent, mais pas toujours, la forme d’un mythe d’origine. Pour exprimer la chose de manière primaire, on pourra dire qu’une cosmologie fournit une boîte dans laquelle l’existence humaine se joue et prend son sens. Une cosmologie matérialiste2 propose une boîte assez étroite tandis que les diverses cosmologies théistes proposent des boîtes comportant des dimensions additionnelles ainsi que des catégories d’êtres inconnus dans une cosmologie matérialiste. La cosmologie a donc comme fonction principale d’établir les limites du pensable. Elle fournit un grand nombre d’éléments susceptibles de servir de réponse aux grandes questions de l’existence humaine, dont la source de l’aliénation humaine. Déjà, la cosmologie fonde et préfigure les développements moraux, voire même une eschatologie3, qui suivront dans l’édification d’une vision du monde.

Une vision du monde ou système idéologico-religieux s’appuie sur sa cosmologie et implique une explication de l’aliénation humaine ainsi que des stratégies pour tenter d’atténuer ou de remédier à cette situation. Parfois ces moyens sont conçus pour aboutir à une résolution finale. Cette résolution finale peut prendre la forme du Progrès, le retour du Messie, le Nirvana, la Nouvelle Jérusalem, l’unification des nations islamiques sous un calife, les cinq cieux hindous4, la société sans classes ou le cyberespace. Les stratégies des diverses visions du monde pour remédier à l’aliénation humaine ne peuvent évidemment se comprendre sans référence à leurs cosmologies propres. Nous postulons donc ici qu’une religion est une tentative d’imposer un ordre, de donner un sens au monde. Que son discours fasse référence ou non au surnaturel est sans importance. Une cosmologie matérialiste peut tout aussi bien fonder un système idéologico-religieux qu’une cosmologie faisant référence au surnaturel. Dans son développement, une religion est intégrative, elle est une réponse totale aux questionnements de l’existence. C’est dire que cette tentative sera plus ou moins réussie selon les situations historiques et selon la perception que peut avoir l’individu de sa cohérence ou de ses contradictions. Nous postulons ici qu’il est impossible de comprendre le système éthique, la moralité d’un système idéologico-religieux sans comprendre sa cosmologie, car ce sont les présupposés de la cosmologie qui préfigurent tabous, préceptes éthiques, concepts d’aliénation, divers moyens d’expression artistiques ainsi que l’eschatologie d’une religion.

Le système idéologico-religieux moderne, héritier du Siècle des Lumières et dominant au XXe siècle, a d’abord mis de côté la religion [chrétienne surtout] et a affirmé que désormais la science serait la source véritable du savoir et du salut. Si autrefois la hiérarchie ecclésiastique ou la Bible était garantes de la Vérité, désormais la science joue ce rôle. L’empirique et la Raison devaient constituer la fondation de tout savoir digne de mention. Et pour assurer la cohérence logique de ce système de pensée, il était nécessaire, voire inévitable, de faire appel à un mythe5 des origines auréolé du prestige de la science. Bien qu’une vision du monde matérialiste domine l’Occident depuis le début du XXe siècle, on a maintenu6 en parallèle plusieurs concepts tirés du bagage culturel judéo-chrétien. Par exemple, on a maintenu le concept chrétien d’un sens de l’Histoire7 et, dans le contexte moderne, on a appelé ce sens progrès. D’abord un concept théologique, cette notion s’est vue déplacée, formulée en termes matérialistes. Dans les phases les plus optimistes, on prévoyait que les scientifiques et technologistes nous conduiraient dans une ère de prospérité et de paix sur terre, où la technologie ferait des miracles pour dissiper la maladie ainsi que les limites conventionnelles de l’existence humaine. Aujourd’hui, depuis Auschwitz, la bombe H, la résurgence de maladies vaincues telle la tuberculose, les OGM et les divers problèmes de l’environnement liés aux progrès techniques, on est plus prudent. Sur le plan pratique, le politique se trouve désormais « au cœur des choses », parce que le salut moderne est politique. Il vise souvent des projets collectifs.

Dans la période postmoderne, on a poursuivi ce travail de délestage et d’autres éléments de l’héritage judéo-chrétien sont, au moyen d’un long processus souterrain, mis de côté, notamment sur le plan de la moralité, du concept d’histoire universelle8 , du droit, de la place de l’homme dans la nature. De plus, en réaction au moderne, la vision du monde postmoderne renie tout projet politique collectif, universel. Le relativisme culturel élimine tout universalisme moral ou politique, sauf celui de la science. Mais ce n’est là qu’une question de temps. Le concept de progrès est aussi déconstruit. On nie l’universalité de ce concept que l’on aborde en tant que métarécit de l’Occident. Le postmodernisme est en partie une réaction contre la monotonie rationnelle du modernisme, de sa foi dans la technologie, dans le progrès et le postulat d’un savoir universel, colonialiste en quelque sorte. Le féminisme contribue aussi à ce courant postmoderne par son rejet de la Raison mâle, érigée sur l’autel du Siècle des lumières. Chez ces dernières, la science est sujette à critique. Le postmoderne propose plutôt une idéologie hétérogène, fragmentée. Le postmoderne se méfie de l’universel. Si le postmoderne abandonne la Révolution et les grands projets politiques, il lui reste un salut dans diverses formes de libération/djihad sexuelle. Tandis que la raison et la vérité étaient au cœur du modernisme, il y a lieu de penser que le désir constitue la quintessence du postmoderne. À ce titre, on peut voir dans l’existentialisme un précurseur du postmodernisme : même relativisation des idéologies collectives modernes et même place centrale accordée à l’individu et à sa subjectivité. Le carcan de la cosmologie moderne (matérialiste) est bien maintenu.

Il faut noter que le postmoderne ne rejette plus de manière absolue la religion (comme ce fut le cas de l’idéologie moderne), mais son admission sur la place publique est conditionnelle et contraint tout discours religieux à se plier aux exigences du syncrétisme postmoderne, c’est-à-dire que la religion se doit de renoncer aux prétentions d’un Absolu, d’une Vérité universelle. Le matérialisme pur et dur n’est donc plus obligatoire, l’occulte même n’est pas exclu. Le chamanisme peut cohabiter sans honte avec la prêtrise et le Feng Shui. Les idéologies ou religions collectives9 sont choses du passé. L’idéologie postmoderne est taillée sur mesure, l’individu est juge de tout. L’individu peut, bien sûr, adhérer à une communauté de foi, mais c’est un aspect de moindre importance, secondaire. Ce processus, que l’on désigne parfois par cheminement, masque un shopping idéologique, au gré des émotions et des préoccupations du moment. Atteindre un but, trouver la vérité, importe peu, c’est le cheminement lui-même qui importe ainsi que la satisfaction émotive ou esthétique que l’individu peut en tirer. Ce processus permet, au moins, de meubler le vide intérieur. À ce titre, l’existentialisme peut être considéré comme un précurseur du postmodernisme de par son rejet des idéologies collectives, bien qu’il reste fermement captif de la cosmologie moderne (matérialiste).

En Occident, l’influence postmoderne est, dans une large mesure, subliminale. Très peu de gens s’identifient en tant que postmodernes et pourtant on constate que chez plusieurs, leurs comportements et attitudes sont largement dominés par les présupposés postmodernes. Il n’y a là rien de très surprenant. Sur le plan médical, par exemple, il est entendu qu’un individu peut être porteur d’une infection sans en être conscient. Par ailleurs, sur le plan idéologique, il est tout aussi possible d’être affecté par la pensée postmoderne, sa mythologie et ses présupposés, sans s’identifier sciemment à ce mouvement. Pour établir les faits, il faut alors appliquer un test diagnostique afin de confirmer ou d’infirmer l’influence postmoderne. Il importe de souligner ici que le sujet de cet ouvrage, le postmoderne, n’est pas un mouvement lié uniquement à la pensée de quelques intellectuels français. Des auteurs tels que Derrida, Foucault, Lyotard, Deleuze et d’autres ont bien sûr participé à, et nourri, ce courant, mais il les précède et les dépasse. Ce n’est pas un phénomène défini par les activités de quelques érudits. D’autres acteurs tels que les médias populaires, les agences de publicité, le cinéma, les élites médiatiques participent, de diverses manières, au développement et à la propagation de ce système idéologico-religieux.

La déconstruction et l’analyse de métarécits sont les outils préférés de nos élites postmodernes, mais si on reprend ces outils, en prenant pour cible le discours postmoderne lui-même, il y a lieu de penser que l’intervention soit digne d’intérêt. Le sociologue américain Thomas Luckmann est d’avis (The Invisible Religion. The Problem of Religion in Modern Society, 1970, p. 70) qu’a priori toute société possède un système idéologico-religieux, un système de sens, une vision du monde ou, en termes postmodernes, un métarécit. À son avis, il y a toujours une dimension religieuse dans l’élaboration de l’identité personnelle et sociale. Si un système idéologico-religieux constitue alors l’infrastructure de toute civilisation10, quelle est alors la religion de l’Occident postmoderne ? Quels sont ses institutions, ses rites, ses mythes d’origines, ses apôtres, ses fidèles, ses initiations ? Dans les pages qui suivent, nous tenterons d’examiner toutes ces questions embarrassantes, taboues, pour regarder au cœur de notre génération. Qu’y trouvons-nous ?

NOTES
1 Nous utiliserons aussi, dans ce texte, le terme système idéologico-religieux.
2 Une cosmologie matérialiste affirme donc que tout ce qui existe dans l’univers résulte de causes matérielles dont les effets sont liés aux lois de la nature.
3 Partie d’une idéologie ou d’une religion qui s’intéresse au futur ou à la fin des temps.
4 Universalis 2003 (article : « Enfer et paradis ») : « En ordre ascendant, ce sont le ciel d’Indra, peuplé de danseuses et de musiciens, le ciel de Çiva où règnent le dieu et sa famille, le ciel de Vishnu, construit tout en or et parsemé d’étangs couverts de lotus, le ciel de Krishna, avec ses danseuses et ses fervents, enfin le ciel de Brahma, où les âmes jouissent de la compagnie de nymphes célestes. »
5 Ce terme est admissible puisque régulièrement employé en sciences sociales dans un sens élargi. Le mythe n’est pas forcément un récit d’événements passés impliquant des êtres ou forces surnaturels, mais simplement un véhicule pédagogique permettant la transmission d’informations cosmologiques diverses.
6 Par inertie culturelle dans une certaine mesure.
7 Régis Debray note à ce sujet (Critique de la raison politique, 1981, p. 413) : « L’Incarnation chrétienne est d’abord à l’origine de notre foi politique. En acceptant de naître et de mourir pour nous racheter, le Dieu chrétien a sacralisé l’histoire profane, en lui donnant un sens, et un seul. Se sont alors trouvés rigoureusement superposés le monde intelligible du sens et le monde irréversible de l’événement. Croire dans ce Dieu-processus, c’est croire que l’histoire ne procède pas en vain, venue de rien, allant vers rien, au coup par coup. Croire en l’Histoire-processus, c’est croire que le transcendant procède dans I’immanence, de façon que les seules voies d’accès à la transcendance passent en retour par l’immanence. Première condition de possibilité de la politique comme art suprême, ou du salut comme chef-d’œuvre politique. Du moment que le Logos rationnel s’est investi en entier dans le réel, nous pourrons à notre tour investir la totalité du réel en faisant nôtre sa rationalité cachée. »
8 Camus nous donne un exemple, parmi tant d’autres, de l’influence judéo-chrétienne touchant le concept d’histoire (L’homme révolté, 1951, p. 241). En opposition au monde antique, l’unité du monde chrétien et du monde marxiste est frappante. Les deux doctrines ont, en commun, une vision du monde qui les sépare de l’attitude grecque. Jaspers la définit très bien : « C’est une pensée chrétienne que de considérer l’histoire des hommes comme strictement unique. » Les chrétiens ont, les premiers, considéré la vie humaine, et la suite des événements, comme une histoire qui se déroule à partir d’une origine vers une fin, au cours de laquelle l’homme gagne son salut ou mérite son châtiment. La philosophie de l’histoire est née d’une représentation chrétienne, surprenante pour un esprit grec. La notion grecque du devenir n’a rien de commun avec notre idée de l’évolution historique. La différence entre les deux est celle qui sépare un cercle d’une ligne droite. Les Grecs se représentaient le monde comme cyclique.
9 L’historien allemand Karl Dietrich Bracher explore la question en notant le caractère religieux du phénomène (Die deutsche Diktatur: Entstehung, Struktur, Folgen des Nationalsozialismus, 1969, p. 30-31). En fait, la dictature moderne se distingue de l’absolutisme historique en ce qu’elle exige l’annihilation de l’individu. Elle le contraint à s’intégrer à de gigantesques organisations de masse et à professer une idéologie politique élevée au rang de religion (ou de substitut de religion). Cette sacralisation du domaine politique s’appuie sur un mythe politique suprême — dans le cas du fascisme, celui d’un passé impérial ; dans celui du communisme, une utopie sociale à venir ; dans celui du national-socialisme, enfin, la doctrine de la supériorité raciale.
10 Il y a là, pour certains, une hérésie, mais passons…

« Je vous demande donc, frères, à cause de la bonté que Dieu vous a témoignée, de lui consacrer votre être entier : que votre corps, vos forces et toutes vos facultés soient mis à sa disposition comme une offrande vivantes, sainte et digne d’être agrée. Ainsi, toute votre vie servira Dieu. C’est le culte nouveau qui a un sens, un culte logique, conforme à ce que la raison vous demande.

Ne vous coulez pas simplement dans le moule de tout le monde. Ne conformez pas votre vie aux principes qui régissent le siècle présent ; ne copiez pas les modes et les habitudes du jour. Laissez-vous plutôt entièrement transformer par le renouvellement de votre mentalité. Adoptez une attitude intérieure différente. Donnez à vos pensées une nouvelle orientation afin de pouvoir discerner ce que Dieu veut de vous. Ainsi, vous serez capables de reconnaître ce qui est bon à ses yeux, ce qui lui plaît et qui vous conduit à une réelle maturité. »

Romains 12.1-2 Parole Vivante, transcription moderne de la BIBLE (Nouveau Testament) pour notre temps, par Alfred Kuen

 

 


Le Seigneur soit loué pour sa grande fidélité ! Nous sommes dans l’émerveillement quant à ses voies providentielles. Depuis 40 ans, il a pourvu en collaborateurs, en articles et en ressources. À l’avenir, faillirait-il à ses promesses ? Selon Ps 90.16-17, nous prions « que la grâce de l’Éternel, notre Dieu, soit sur nous et qu’il affermisse l’ouvrage de nos mains ! » Il a déjà pourvu aux trois premiers numéros de cette année. Globalement, les charges d’un numéro se montent à environ 11 000 CHF (6 600 EUR) par tirage de 7 000 exemplaires dont 4 000 sont envoyés en Afrique. Les demandes sont en constante augmentation, surtout en Afrique de l’Ouest. Le Bénin, le Cameroun et le Togo ont leurs représentants africains, hommes fidèles et consciencieux. Les Centres Bibliques se chargent de la vente directe en RDC (Kinshasa), avec leurs points de vente dans les grandes villes. La contribution 2007 du lecteur africain reste à 1 US $ par an.

La correspondance et l’envoi d’études bibliques par e-mail augmentent et nous répondons à de nombreuses questions théologiques et éthiques. Notre site www.promesses.org est bien visité.

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Pour l’équipe de Promesses : Henri Lüscher

Voici encore quelques extraits de témoignages de reconnaissance

– « Je tiens à vous exprimer ma reconnaissance et mes remerciements pour le numéro 159 du premier trimestre 2007, dans lequel il a été traité : « L’Église : une vie d’équipe ». Ce dossier m’a beaucoup édifié et m’a permis, ainsi qu’à tous ceux qui l’ont lu, de procéder au choix des anciens de notre église locale. En outre, je puis développer chaque jour ma relation harmonieuse avec Dieu et avec mes frères et sœurs en Christ… Puisse le Seigneur notre Dieu vous combler de ses bénédictions. » (R. S-Y. Parakou, Bénin)

– « C’est avec une grande joie que j’ai découvert votre adresse e-mail dans votre parution de janvier 2007 qui m’a été offerte à Kribi par un responsable d’église. Du coup, je me suis abonné pour un an avec frais en monnaie locale. J’aimais beaucoup vous lire dans les années 1980. Depuis, j’avais perdu votre trace… mais j’ai eu le bonheur de retrouver Promesses et son adresse. Je vous prie, si c’est possible, de me faire parvenir les anciens numéros gratuitement. Ils peuvent m’être en bénédiction et m’édifier grandement. » (M. Ch., Lolodorf, Cameroun)

– « Nous tenons à vous remercier de tout cœur de la littérature que vous ne cessez de nous envoyer. Que Dieu vous bénisse. Nous vous demandons de bien vouloir nous envoyer plus d’exemplaires (NDLR : augmentation de 3 à 5 exemplaires) chaque trimestre pour une bonne formation de nos serviteurs. Promesses est pour nous un outil de travail. » (Rév. J.-P. M., Goma, Nord-Kivu, RDC)

– « C’est avec beaucoup d’intérêt que je lis vos articles de Promesses. Le n° 2 de 2007 est de nouveau très utile, en ce temps où certaines églises souffrent d’un manque d’enseignement biblique. Alors, comme je prête mes numéros, je désire souscrire un second abonnement à Promesses pour 2007. J’apprécierais de recevoir les n° 1 et 2 de 2007, et, à l’avenir, que vous m’envoyiez deux exemplaires. Que Dieu continue à inspirer vos articles pour le bien de son Église dispersée dans le monde et qui a bien besoin de nourriture. Recevez mes salutations en notre Seigneur Jésus-Christ. » (A. B., Le Chambon sur Lignon, France)

– « Bonjour, je m’appelle Cliff et j’ai 11 ans. J’aime la Parole de Dieu, car elle nous montre le droit chemin.» (Espace Lecteurs sur notre site Internet)

– « En ce moment, je suis en stage dans une autre ville du Gabon dans le cadre de ma profession à l’École nationale des Eaux et Forêts. C’est d’ailleurs le fait d’avoir changé de ville qui m’a permis cette correspondance avec la revue Promesses, instrument de formation pour mon ministère d’ancien que j’exerce au sein de mon église locale. » (R. M., Libreville, Gabon)


Certains lui donnent deux mille ans ou plus, mais elle ne fait pas son âge. Constamment remise en selle, malgré de mémorables culbutes, elle reste incorrigiblement optimiste. Sous sa forme relookée, elle avoue 57 ans1. En 19572, elle avait déjà six enfants ; elle en exhibe désormais 273. Cette intendante aux larges robes fait de la place à tous ses protégés ; elle regorge de projets impeccables.

« Prospérité, sécurité, liberté, égalité, dignité humaine, paix, tolérance, respect mutuel (et même des minorités), justice, solidarité, développement durable ; lutte contre la faim, la maladie, la pauvreté, le terrorisme, le crime organisé ; démocratie, État de droit, stabilité… et pour faire bon poids, selon sa devise : In varietate concordia (Unie dans la diversité). »

Qui ne voudrait souscrire à un tel programme, dans un monde ravagé par la corruption, par les menaces de désintégration sociale, économique, professionnelle… et morale, par le dangereux déséquilibre nord-sud, par le réchauffement climatique, etc. ?

Qui n’aurait pas envie de faire sien un tel credo, au moment où, malgré les réticences de deux de ses enfants récalcitrants4, cette grande dame peut se targuer de quelques réussites indéniables ? (Les siens ont commencé à circuler tout à leur aise sur ses terres, et à s’y établir à leur gré. Elle est en outre la première puissance économique mondiale.5) Du reste, n’est-il pas préférable d’œuvrer ensemble avec elle plutôt que de rééditer les guerres d’antan ?

Oui, chère grande Europe, toi qui te couronnes de douze étoiles, signe de perfection et de plénitude, qui ne souhaiterait du fond du cœur l’accomplissement de tes rêves ? Pour celui qui vit sous ton parapluie, quel avenir !

À moins qu’il ne faille, avant de s’élancer joyeusement dans ton sillage6, se poser une ou deux questions sur la vraie nature de tes valeurs, de ta liberté sous haute surveillance, de ton salut sans Dieu, de ton évangile sans Christ. Pendant que tu nous le permets encore…

1 9 mai 1950, appel de R. Schuman, acte de naissance de la construction européenne.
2 25 mars 2957, Traité de Rome, à la base du Marché commun et de la CEE.
3 1er janvier 2007, l’Union européenne compte 27 membres.
4 Voir le non des citoyens français et hollandais au projet de Constitution européenne.
5 30,30% du PIB mondial.
6 …come nous y invite ton hymne officiel, l’ « Ode à la joie ».


Étymologiquement, ce mot est composé de « voi », ancienne forme de l’impératif de « voir », et de « (i)ci » ou « là ». En principe, « voici », sert toujours à désigner ce qui est proche dans le temps ou dans l’espace ; « voilà », au contraire, ce qui est plus éloigné (Dictionnaire Quillet). Nous aimerions attirer toute notre attention sur un impératif tiré de trois passages centrés sur le Christ :

« VOICI l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde » (Jean 1.29 ; Jean 1.36)
« VOICI, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation du siècle » (Mat 28.20)
« VOICI, je viens bientôt » (Apoc 22.7)

Ce sont trois aspects de l’œuvre de Christ dont nous bénéficions comme « enfants de Dieu », faisant partie de la famille du Seigneur, parce que « nés d’en haut », régénérés par l’Esprit et incorporés dans l’Église de Christ. Cela touche le passé, le présent et le futur.

Quant au passé : « Voici l’Agneau de Dieu ». L’interpellation de Jean rappelle l’agneau pascal (Ex 12.12 ; Jean 19.36 ; 1 Cor 5.7 ; 1 Pi 1.19), l’agneau offert comme holocauste chaque jour, le matin et le soir (Nom 28.3-6), l’agneau mené à la boucherie (És 53.6,7,10). Oui, Jésus a accompli tout cela. Il est la réalisation parfaite de l’agneau, ayant expié nos péchés. Il les a pris sur lui à la Croix « ayant été fait péché pour nous afin que nous devenions justice de Dieu en lui » (2 Cor 5. 21). Le chemin vers Dieu est ouvert. Celui qui saisit la main du Seigneur a trouvé le bonheur éternel — pas nécessairement temporel —, la joie en Christ, le repos, la paix qu’aucune circonstance ne pourra jamais lui enlever.

Quant au présent : « Voici je suis avec vous tous les jours ». Y-a-t-il quelque chose de plus rassurant dans un monde comme le nôtre, similaire à celui de l’Empire romain du temps de Jésus, où les trafics de toutes sortes, le paganisme, le plaisir des jeux et de l’éclatement de soi, rendent les hommes esclaves ? Jésus est avec nous tous les jours. Quelle force, quel courage et quelle hardiesse cela nous donne, non seulement pour résister, mais pour « être plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés ». Répétons avec le psalmiste : Seigneur tu nous dis « je suis avec toi », parce que « tu nous a saisis, tu nous conduis et tu nous recevras » (Ps 73.23-24). Jeunes, âgés, célibataires, mariés, malades, bien portants, nous sommes toujours entourés de Jésus. Il est avec nous en permanence.

Quant au futur : « Voici je viens bientôt ». Quelqu’un me disait l’autre jour : « On ne parle plus beaucoup de la venue de Christ. Il nous faut nous recentrer sur son retour. » C’est l’espérance de tous les chrétiens. Si cette espérance fabuleuse de l’enlèvement de l’Église — donc de la transmutation de tous les chrétiens et de la résurrection de tous les morts en Christ — était plus présente, qu’est-ce que cela changerait nos vies ! « L’Esprit et l’épouse disent : Viens. Que celui qui entend, dise : Viens ! Que celui qui a soif vienne… Amen ! Viens Seigneur Jésus ! »

En l’attendant, la vie continue, le combat continue, mais celui qui nous a garanti la justice et le salut, l’Agneau de Dieu, est le même que celui qui est avec nous aujourd’hui et demain et tous les jours de notre vie, le même que celui qui nous garantit un avenir glorieux. N’a-t-il pas promis : « Je viens bientôt » ?


Né en 1925, F. Horton passe sa première enfance avec ses parents missionnaires américains à Kavungu en Angola. Il fait ensuite ses études à l’Université du Cap et au Northwestern Technological Institute et obtient sa licence en génie civil. Il travaille comme ingénieur de recherche en hydrologie attaché à la Tennessee Valley Authority à Knoxville, États-Unis. En 1950 il se marie avec Anne-Marie Béguin. Il fait ensuite ses études théologiques au Biblical Seminary à New York.

De 1952 à 1964, il s’établit à Paris avec son épouse pour exercer un ministère de secrétaire général des GBU en France. Deux fils naîtront à Paris ; ils sont maintenant mariés, médecins et établis en Suisse.

Dès 1964, Frank Horton exerce son ministère comme professeur à l’Institut Biblique Emmaüs en Suisse. Il assume la responsabilité de directeur de l’Institut de 1971 à 1991.

Sa retraite sera active. Jusqu’en 1999, il donne des cours occasionnels à l’Institut Emmaüs, et continue son ministère d’enseignement biblique dans diverses églises, en Suisse et dans les pays francophones proches et lointains, et dans des conventions bibliques.

Il est l’auteur d’un ouvrage sur l’Épître aux Éphésiens et d’articles qui ont paru dans divers périodiques évangéliques. Son ministère l’a conduit dans plusieurs pays francophones, en Europe et en Afrique.

Depuis de nombreuses années, il est membre du comité de soutien de Promesses et ses conseils et contributions écrites sont des plus appréciées.

Chantez à l’Eternel [YHWH] un cantique nouveau !
Chantez à l’Éternel, toute la terre !
Chantez à l’Éternel, bénissez son nom,
Annoncez de jour en jour la bonne nouvelle de son salut !
Racontez parmi les nations sa gloire,
Parmi tous les peuples ses merveilles !
Psaume 96.1-3

Un seul Dieu suprême et véritable

« YHWH fait des Israélites ses évangélistes, pour annoncer son salut à toutes les nations. Ils ont à chanter jusqu’à ce que le monde entier chante également. Ce chant est nouveau parce que la miséricorde renouvelée fait appel à des mélodies nouvelles. Les termes principaux de cette strophe sont : chant nouveau, toute la terre, salut, gloire, merveilles. Les Israélites sont appelés à chanter [3x], à bénir, à annoncer, et à raconter. Le troisième de ces mots est, dans la version des Septante, l’équivalent du mot néo-testamentaire : prêcher l’Évangile. » 1

a. Imposer le monothéisme juif… mais de quel droit ?

D’où vient la croyance en un seul Dieu ?

Lors d’un voyage en Égypte, il y a quelques années, mon épouse et moi avons assisté à un spectacle « son et lumière », mis au point avec les voix d’acteurs de la Comédie Française, et présenté au Temple de Karnak, à Louxor. Notre étonnement fut grand d’entendre dire que Moïse avait reçu l’inspiration de la notion monothéiste de la part du Pharaon Aménophis IV, de la XVIIIe dynastie, aux environs du milieu du XIVe s. av. J-C. Souvenons-nous du fait que, pour briser le pouvoir politique considérable des prêtres de Thèbes, Aménophis IV avait déclaré qu’il n’y avait qu’un seul dieu, le disque solaire Aten. Il adopta le nom d’Akhenaten, et déménagea en aval le long du Nil pour établir une nouvelle ville capitale d’Égypte à laquelle il donna le nom d’Akhetaten — aujourd’hui Tell El Amarna. Après sa mort, tout redevint « normal », et l’Égypte retourna rapidement à son polythéisme traditionnel.

L’hypothèse avancée lors du spectacle de Louxor ne tient pas compte de la chronologie dite « longue », qui situerait Moïse dans la période précédant le règne d’Aménophis IV (vers 1450). Dans un tel cas de figure, c’est plutôt le Pharaon qui aurait pu être inspiré par le témoignage de Moïse… mais passons.

De tels rapprochements entre le Dieu biblique et d’autres divinités ont souvent tenté les chercheurs. Barbara Watterson, par exemple, laisse entendre que la résurrection de Jésus-Christ aurait eu son origine dans l’histoire du dieu égyptien Osiris, le mieux connu et le plus populaire du panthéon égyptien, dont l’attraction « résidait dans la croyance qu’il avait vécu sur la terre comme un homme qui n’apportait que du bien à l’humanité, mais qui fut trahi et mis à mort. Sa résurrection et l’espérance de la vie éternelle offerte à tous rehaussaient sa popularité. » 2

Dans quelle mesure les Hébreux ont-ils hérité leurs croyances religieuses des peuples contemporains d’Égypte et du Croissant fertile ? Deux écoles de pensée défendent des thèses contradictoires :

1) l’école « évolutionniste », non- ou anti-théiste, soutient l’idée que les Hébreux ont tout reçu, y compris leur religion et leur système éthique, de leurs contemporains, dans le contexte général d’idées religieuses qui évoluaient en se raffinant à partir de l’animisme, pour passer par le polythéisme et arriver enfin au monothéisme ;

2) l’école théiste de la « Révélation » insiste sur le fait que les Hébreux ressemblaient à leurs contemporains dans tous les domaines — culture, agriculture, architecture, langage, écriture, etc. — à une exception près : leurs croyances religieuses étaient radicalement différentes parce que reçues, par révélation, d’une source divine.

b. Arguments en faveur de la Révélation

Feu l’éminent spécialiste Samuel Zwemer, professeur émérite d’histoire de la religion et des missions chrétiennes à la Faculté de théologie de Princeton (USA), rejette fermement la première thèse en faveur de la seconde, en écrivant :

« L’évidence soutenant un monothéisme primitif est trouvée, non seulement dans tous les domaines de la culture primitive, mais aussi dans les formes antérieures des grandes religions ethniques. » Et d’étayer sa conviction en disant : « Cet argument est fondé, non pas principalement sur les Écritures, ni sur des préconceptions dogmatiques, mais sur la méthode historique d’investigation […]. Le recours à la méthode historique en anthropologie a obligé de nombreux savants à reformuler leur approche de l’origine de la religion et, ce faisant, à s’approcher des Écritures. Le point de vue évolutionniste a été lié à l’axiome douteux que le supérieur doit toujours procéder de l’inférieur. Cependant, force nous est de conclure que l’histoire de la religion a été marquée par le déclin et la dégénérescence, plutôt que par une montée évolutive ininterrompue. » 3

Le Dr J. A. Thompson, directeur de l’Institut australien d’archéologie à l’Université de Melbourne, a examiné « la religion païenne aux temps patriarcaux ». Voici ce qu’il écrit au sujet d’Abraham :

« Abraham, avant son séjour en Canaan, vivait parmi les Mésopotamiens, qui étaient polythéistes. Les pratiques religieuses de son peuple doivent avoir persisté pendant de longs siècles, car Josué dut exhorter Israël : « Ôtez les dieux qu’ont servi vos pères, de l’autre côté du fleuve et en Egypte, et servez l’Eternel. » (Josué 24.14) La religion sumérienne de Mésopotamie avait un panthéon […]. Tous les dieux rivalisaient de popularité. Abraham était probablement en contact avec le peuple sémite d’Our. Par les Amorites, il avait eu connaissance de dieux tels que El (et son épouse Achéra), Achtarot, Anat, Melkart, et d’autres que nous rencontrons parmi les Canaanéens qu’Israël eut à affronter par la suite au cours de son histoire, tels que Baal, Dagon et Chamach.

« Au sein de ces courants religieux divers, Abraham prit conscience de la réalité d’un Dieu unique, qu’il connut comme El Chaddaï (Dieu tout-puissant, Genèse 17.1-2) […]. Ses descendants eurent à découvrir les conséquences d’une telle vision dans l’ambiance religieuse très différente de l’Égypte, où ils étaient devenus esclaves […]. Certains spécialistes ont avancé l’idée qu’il y a eu un mouvement partiel, mais finalement sans effet, vers le monothéisme en Égypte à l’époque du roi hérétique Akhénaton (vers 1356-1340 av. J-C.) […]. Le dieu suprême et universel du soleil, Amon-Rê, fut débarrassé de tous ses aspects mythologiques et considéré comme le seul Dieu, connu sous le nom d’Aton (disque solaire) […]. Cependant, le culte d’Aton ne convenait pas à la religion nationale d’Égypte, et le monothéisme naissant disparut rapidement. » 4

Citons, parmi d’autres autorités compétentes qui confirment ces positions, l’exemple de G. H. Livingstone, professeur d’Ancien Testament à la Faculté de théologie Asbury (USA), extrait d’un chapitre de 20 pages consacré à la relation entre l’A.T. et les cultures anciennes :

« L’accumulation des renseignements provenant de l’ancien Proche-Orient fournit un arrière-plan essentiel à l’Ancien Testament. Si l’on compare la matière de l’A.T. avec la scène culturelle plus large, l’on constate que le peuple hébreu ressemblait à ses voisins en ce qui concerne l’hébergement, la nourriture, les vêtements, le commerce, l’agriculture, les métiers, les armes, le langage, l’écriture et bien d’autres aptitudes. Mais en ce qui touche à la théologie et à la morale, les Hébreux différaient totalement de leurs voisins, bien qu’il ne leur ait pas été facile de maintenir leur caractère distinctif, car l’idolâtrie exerçait une pression à la fois attirante et puissante. Beaucoup d’entre eux succombèrent au polythéisme, cependant qu’un reste fidèle persévérait ; c’est ce reste que Dieu a affermi pour être sa ‘tête de pont’ dans le monde.

« En lieu et place de la vision du monde et des mœurs polythéistes, Dieu instilla dans les structures [religieuses juives] la vérité le concernant : seul Dieu véritable, Souverain, Juge, Sauveur et Créateur […]. La totalité des adaptations et innovations inscrites dans l’A.T. avaient pour but d’exposer les folies et la banqueroute de l’idolâtrie, et de poser les fondements sur lesquels se développerait un peuple choisi et racheté, préparant ainsi un peuple saint pour l’avènement du Messie. » 5

c. Témoignage de l’Écriture

À partir de la révélation que donne Dieu de lui-même dès la création dans les premiers chapitres de la Genèse, ce monothéisme originel dégénère en polythéisme païen pendant les siècles suivants. De temps en temps, Dieu intervient pour se révéler tout à nouveau à ceux qu’il a choisis, opérant ainsi un « nouveau départ ». Nous avons déjà évoqué l’exemple d’Abraham qui, appelé d’Our en Chaldée aux alentours de 2000 av. J-C., laisse derrière lui le panthéon sumérien et s’attache au seul vrai Dieu, El Chaddaï.

Environ six siècles plus tard, après les quatre siècles pendant lesquels les descendants d’Abraham, esclaves en Égypte, ont adopté le panthéon égyptien, Dieu se révèle de nouveau à Moïse, au buisson ardent, sous le nom de YHWH (le « Je suis » éternel, Ex. 3-4). Au travers des dix plaies, il démontre son autorité absolue et sa suprématie sur le panthéon égyptien tout entier, dévoilant qu’il est le seul vrai Dieu, en Égypte comme partout ailleurs. Le but du rendez-vous avec Israël au Sinaï est de lier les Hébreux à lui-même en tant que possession précieuse (Exode ch. 19ss). Les deux premiers des dix commandements appellent Israël à une fidélité exclusive, et Dieu ajoute un avertissement contre tout glissement en arrière vers l’idolâtrie.

L’histoire subséquente d’Israël présente une série de descentes dans l’apostasie : il ne peut pas résister, semble-t-il, à l’attraction des dieux visibles et tangibles de ses voisins, avec leurs rites sensuels, et leurs promesses de satisfaction immédiate. L’incident du veau d’or (Ex. 32) met en relief l’influence séductrice exercée par les divinités bovines qu’étaient Hathor et Apis. À maintes reprises les prophètes sont envoyés pour dénoncer cette tendance et exhorter Israël à revenir à sa relation d’alliance avec YHWH. Plus tard, l’exil à Babylone servira de leçon magistrale pour prévenir Israël contre un retour à l’idolâtrie.

d. Et Jésus dans tout cela ?

Parmi les textes prophétiques de l’A.T. qui annoncent l’avènement du Messie, en précisant qu’il sera Dieu lui-même venu en chair, citons És 9.6 :

« Car un enfant nous est né, un fils nous est donné,
Et la souveraineté (reposera) sur son épaule ;
On l’appellera Admirable, Conseiller, Dieu puissant,
Père éternel, Prince de la paix. »

Le Nouveau Testament abonde en témoignages rendus à la déité de Jésus de Nazareth : l’Évangile selon Jean, les épîtres de Paul, l’Épître aux Hébreux, etc. Citons en particulier ce que dit Jésus à son propre sujet dans Jean 8.58 :

« En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham fût, MOI, JE SUIS ».

Les dirigeants juifs ont bien compris le sens de sa déclaration car, le croyant coupable de blasphème, ils ont pris des pierres pour le lapider.

Par conséquent, tout ce que nous avons dit au sujet du seul Dieu véritable, suprême sur toute la terre, s’applique également à la personne de Jésus-Christ.

e. Considérations pratiques

Nos convictions « évangéliques » sont fondées sur des réalités solides, objectives, historiques. « La foi chrétienne tient debout ou s’écroule avec l’assertion impérieuse que le Créateur tout-puissant de tout ce qui existe, a agi dans l’espace et le temps pour se révéler dans la nature et l’histoire, afin de racheter le monde au travers de la mort et la résurrection de Jésus-Christ. Il s’agit là d’une affirmation concernant les choses telles qu’elles sont, et non pas seulement de ce qui est ‘vrai pour moi’. » 6

Notre société paganisée du XXIe siècle n’est pas moins idolâtre que celles des temps anciens. Quel « dieu » adorez-vous ? Mammon, dieu de l’argent ? Aphrodite, déesse du sexe ? Dionysos, dieu de la bonne chère ? Apollon, dieu de la littérature et des arts ? etc. L’appel que Moïse lance au peuple d’Israël dans son dernier discours, devenu le « Grand Sh’mà » cité deux fois chaque jour par le juif pieux, garde toute son actualité :

« Écoute, Israël ! L’Éternel, notre Dieu, l’Éternel est un. Tu aimeras l’Éternel, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta force. »

(Deut 6.4-5 ; cf. Mat 22.37 ; Marc 12.30 ; Luc 10.27)

Forts de cette conviction, nous aurons la joie de chanter à la gloire de l’Éternel, et de proclamer avec courage à tous les peuples la bonne nouvelle de son salut.

NOTES
1 W. Graham Scroggie, The Psalms: Psalms 1 to 150, éd. Pickering & Inglis, London, 1948, p. 280.
2 B. Wattessen, The Gods of Ancient Egypt, London, 1984, p. 88.
3 S. Zwemer, The Origin of Religion, Loizeaux Brothers, New York, 1945, p. 12s.
4 J.A. Thompson, Vie et coutumes aux pays bibliques, Ligue pour la Lecture de la Bible, Lausanne, 1989, p. 316s.
5 F.E. Gaebelein, The Expositor’s Bible Commentary, Zondervan, Grand Rapids, USA, 1978, vol. 1, p. 355s.
6 Carol Stream, Christianity Today, Illinois, USA, juin 2005, p. 49s.


« Lorsque vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites, qui aiment à prier debout dans les synagogues et aux coins des rues, pour se montrer aux hommes. En vérité je vous le dis, ils ont reçu leur récompense. Mais toi quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme la porte et prie ton Père qui est dans le lieu secret, et ton Père qui est dans le secret te le rendra.

En priant, ne multipliez pas de vaines paroles, comme les païens, qui s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés. Ne leur ressemblez pas, car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez.

Voici donc comment vous devez prier :
Notre Père qui es aux cieux !
Que ton nom soit sanctifié.
Que ton règne vienne.
Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien.
Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés.
Ne nous laisse pas entrer dans la tentation, mais délivre-nous du Malin.
Car c’est à toi qu’appartiennent, dans tous les siècles,
Le règne, la puissance et la gloire.
Amen ! »

Matthieu 6.5-15

La prière est sobre, succincte et simple. Nous allons l’étudier sous 3 aspects.
1. s’approcher du Père
2. l’adoration
3. les requêtes personnelles.

S’approcher du Père

Retenons tout d’abord que la prière est peut-être l’activité la plus élevée de l’âme humaine. L’homme du monde n’en sait rien. Tout est plus facile que la prière. Pourtant elle est notre plus grand besoin.

Le « Notre Père » est évidemment un modèle : son contenu couvre tous les éléments sous leur forme essentielle ; Jésus nous apprend comment, et de quelle manière prier. Cela n’exclut pas que le « Notre Père » puisse être prié en communauté par tous en même temps, mais seulement de façon exceptionnelle, pour éviter qu’il ne soit récité mécaniquement, comme je l’ai vécu dans une certaine église au Cameroun, où on le disait à toute allure plusieurs fois pendant le même culte.

Le fait que Jésus ait prié des nuits entières est une indication de la grande étendue de la prière. Le « Notre Père » est comme un squelette que nous devons habiller et qui contient des lignes directrices. On les retrouve dans la prière sacerdotale de Jean 17. Plus tard, Jésus a enseigné à prier « en son nom » ; nous pouvons nous adresser à Jésus directement.

Chaque prière, ou presque, dans la Bible commence par une invocation à Dieu. Job ne l’a pas fait. Ses malheurs étaient si énormes qu’il avait le sentiment que Dieu l’avait traité injustement. Avec le temps, il a compris qu’on ne parle pas ainsi avec Dieu. « Je mets la main sur ma bouche » (40.4). Étonnamment, prier commence par ne rien dire. Nous parlons à Dieu, et nous nous oublions nous-mêmes.

Nous invoquons Dieu par les mots « notre Père » parce qu’il est vraiment notre Père. Le monde croit en un Père de tous, et veut faire de tous les hommes des frères. Ce n’est pas ce que dit la Bible. Jésus a dit à certains Juifs très religieux que leur père était le diable et non pas Dieu (Jean 8.44). Dieu est le Père des seuls enfants de Dieu, qui, entre eux, sont véritablement des frères, étant de la famille de Dieu (Jean 1.12-13).

L’adoration

Elle suit l’invocation. Elle commence par Dieu et non par nous-mêmes. Elle consiste en trois demandes centrées sur Dieu :
   a) « Que ton nom soit sanctifié. »
   b) « Que ton règne vienne. »
   c) « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. »

Quel est le sens de ces trois requêtes ?

a) « Que ton nom soit sanctifié »

On demande que Dieu soit respecté, vénéré, honoré parmi les hommes. Dieu s’était révélé aux Israélites sous plusieurs noms. En voici quelques-uns :
Yahvé = Je suis qui je suis : Dieu existe par lui-même ;
El Élohim indique sa puissance, sa domination ;
Yahvé Shalom : l’Éternel est notre paix;
Yahvé Tsébaoth : l’Éternel des Armées, qui se réfère toujours à Jésus dans l’A.T.

Cette première demande contient tous les noms de Dieu. Nous avons à magnifier son nom. Ne l’oublions pas : Dieu vient d’abord ! Il est la Personne la plus importante de l’univers. Et « notre Dieu est aussi un feu dévorant. » (Héb 12.29)

b) « Que ton règne vienne »

Le règne signifie le royaume.

1) Il est déjà venu avec Christ. « Si Dieu chasse les démons par Christ, le royaume est venu. » (Luc 11.20) C’est-à-dire : Christ exerce la puissance du royaume, la souveraineté de Dieu sur la terre.

2) Le royaume est maintenant présent en chaque croyant et donc dans l’Église.

3) Il est encore à venir. Jésus en a posé le fondement, et le royaume se constitue spirituellement. À sa venue, le royaume sera établi visiblement sur la terre. « Que ton règne (royaume) vienne » correspond en fait à demander le retour de Christ. Mais c’est aussi une prière missionnaire : que se répande l’Évangile du royaume. Nous hâtons l’avènement de ce jour (2 Pi 3.12).

c) « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel »

C’est la conséquence logique de b), qui découle de a). « Comme au ciel » : où sa volonté est continuellement faite. Cet état sera aussi un fait sur la terre. Le ciel et la terre seront un: le royaume de Dieu.

Pourquoi rassembler ces trois demandes sous le terme général d’« adoration » ? Elles comprennent tout ce qui fait l’adoration : l’exaltation du nom de Dieu ; l’attente de sa souveraineté universellement reconnue et acceptée ; la totale soumission à toutes ses lois.

Les requêtes personnelles

Tous nos besoins fondamentaux y sont résumés. La vie entière est là :
– le pain = nos besoins matériels ;
– nos offenses/dettes = nos relations avec les autres et avec Dieu ;
– la tentation = la vie spirituelle.

a) Le corps

Le corps a de l’importance dans le royaume de Dieu. Dieu pourvoit à nos nécessités physiques. Même un moineau ne peut tomber à terre sans que Dieu ne le veuille. Même les cheveux de notre tête sont comptés, ce qui signifie qu’aucun détail de sa création n’échappe à Dieu. Seule la Bible parle ainsi de Dieu. Il est près de celui dont l’esprit est abattu, de celui qui se repent, de celui qui est humble. C’est là tout le miracle de la rédemption : le royaume de Dieu lié à mon pain quotidien !

Mais ici, attention : il s’agit de nos besoins élémentaires (la nourriture, les habits, etc.) et non d’articles de luxe. Quand le pasteur Yonggi-Cho (de Corée du Sud) demande à Dieu un bureau en acajou, une chaise à roulettes et « passe commande », je me permets de douter que ce soit Dieu qui ait exaucé cette demande. Non, Dieu nous promet seulement que nous aurons ce qu’il nous faut pour vivre. David peut dire : « J’ai été jeune, j’ai vieilli ; et je n’ai pas vu le juste abandonné, ni sa descendance mendiant son pain. » (Ps 37.25)

Certains disent : « Pourquoi demander à Dieu ce qu’il sait déjà ? », en se référant au v. 8 (« votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez »). Nous percevons ici le sens de la prière : c’est une relation de Père à enfant. Nous nous savons dépendants de lui et restons en contact avec lui. Dieu désire que nous lui parlions, comme nous le faisons à un père terrestre.

Voici une illustration : un père a déposé une grosse somme à la banque. Chaque fois que son fils a besoin d’argent, il lui faut un chèque signé par le père. En fait, Dieu désire que nous soyons conscients de notre entière dépendance de lui. Toute notre existence dépend de Dieu.

b) Le pardon

« Pardonne-nous nos offenses. » Pourquoi demander pardon, puisque nous sommes justifiés par la foi, donc entièrement pardonnés ? Dans Jean 13, Jésus démontre à ses disciples qu’ils sont purs, mais que la vie dans un monde souillé nécessite un lavage des pieds périodique. Seul l’enfant de Dieu, qui peut dire « mon Père », a ce privilège. Le pardon n’est pas accordé à n’importe qui, mais seulement à celui qui vient au Père au nom de Jésus-Christ. Jean nous rappelle que celui qui dit qu’il n’a pas de péché est un menteur, mais quand il pèche, s’il le confesse, il est pardonné et entièrement purifié (1 Jean 1.8-9).

«… comme (et non pas parce que) nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. » L’original grec dit : « … comme nous avons pardonné… » Le pardon de Dieu ne dépend pas du nôtre ! Le pardon que nous accordons n’est pas une condition au pardon de Dieu. En fait, il va de soi que nous pardonnons, ayant reçu un pardon total par pure grâce. J’estime qu’il est impossible pour un enfant de Dieu de refuser de pardonner, surtout quand cela lui est demandé. S’il ne veut pas pardonner, il y a des chances qu’il ait mal saisi le sens du pardon que Dieu lui a accordé, ou même qu’il ne soit pas un enfant de Dieu.

Que penser alors des versets 14-15 ? « Si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera aussi, mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos fautes. » Si nous pardonnons, ce n’est pas un mérite qui achèterait notre pardon : ce dernier nous est accordé par pure grâce, au moyen de notre foi (relisons Éph 2.8-9). Alors comment comprendre ce texte ?

Au tribunal de Christ, nous devrons rendre compte de ce que nous aurons fait, en bien et en mal. Mis dans la balance du bien et du mal, le refus de pardonner diminuera la récompense que nous recevrons du Seigneur et, dans ce sens, ne sera donc pas pardonné.

c) La tentation

Le grec dit : « Ne nous mène pas dedans la tentation. » Le mot a aussi le sens d’ « épreuve ». Je paraphrase ainsi : « Ne permets pas que nous soyons mis dans une situation où Satan puisse nous tenter ou nous éprouver au delà de nos forces. » Voici une des dernières paroles de Jésus avant la croix, à Gethsémané : « Veillez et priez, afin de ne pas entrer en tentation. » (Mat 26.41)

« Délivre-nous du Malin (du mal). » Il s’agit non seulement de Satan, mais du mal autour de nous et en nous. Le mal interrompt notre relation avec Dieu, que nous voudrions continue.

La doxologie est une conclusion parfaite de cette prière, car tout appartient à Dieu :

« Car c’est à toi qu’appartiennent, dans tous les siècles,
Le règne, la puissance et la gloire. Amen ! »