PROMESSES

En 2004, le film La Passion du Christ faisait la une des médias. Mel Gibson avait choisi de braquer ses caméras sur les dernières heures de la vie du Christ, mais ce qui retenait l’attention des journalistes, c’était la controverse qui faisait rage, notamment autour de l’histoire de l’antisémitisme « chrétien ».

Assurément, l’Évangile selon Marc n’est pas dénué de controverses : tout au long du récit, et cela dès le chapitre 2, Jésus fait face à l’opposition des responsables religieux. Mais ces controverses ne doivent pas masquer le véritable but de l’évangéliste : présenter Jésus, le Messie. D’une manière particulière, Jésus se trouve au centre du récit de Marc. Ainsi, 44 % des verbes ont pour sujet Jésus ou son enseignement !

Évangile le plus court, il est souvent conseillé comme première lecture à qui s’intéresse à Jésus. Plus que les autres évangélistes, Marc s’est efforcé de rendre son récit accessible à des auditeurs non-avertis, comme le montre le premier article du dossier. Le style est vivant. Les histoires s’enchaînent dans un rythme soutenu. Les commentaires éditoriaux sont réduits : tous les projecteurs sont braqués sur Jésus.

C’est cet évangile que nous vous proposons de redécouvrir dans ce numéro de Promesses. Notre prière est que les articles qui suivent stimulent votre lecture et votre réflexion pour vous faire croître dans la connaissance de « Jésus Christ, Fils de Dieu » (Marc 1.1).

P-D.P


A. Marc, initiateur d’un genre nouveau

Plus de trente années se sont écoulées depuis la mort, la résurrection et l’ascension d’un certain Jésus de Nazareth quand Marc se décide à rédiger une biographie aussi complète que possible concernant « Jésus le Nazaréen, qui était un prophète puissant en ouvre et en parole devant Dieu et devant tout le peuple » (Luc 24.19).

Dans les premières communautés chrétiennes, l’histoire de Jésus – ô combien importante ! – se transmettait bien de bouche à oreille (tradition orale) mais quand Marc se décide à mettre par écrit toutes ces « anecdotes », il inaugure un genre littéraire original et l’intérêt de son document ira crescendo au point que deux autres rédacteurs bibliques s’inspireront directement de son évangile pour transcrire à leur tour leurs souvenirs de « toutes les choses que Jésus commença de faire et d’enseigner, jusqu’au jour où il fut élevé dans le ciel » (Act 1.1b-2a). En effet, Matthieu et Luc utiliseront, entre autres, l’évangile selon Marc comme ouvrage de référence : c’est ainsi que les trois premiers évangiles ont été appelés « synoptiques », parce qu’ils offrent une même vue d’ensemble de l’ouvre de Jésus (p. ex. le plan général et les itinéraires empruntés sont fort similaires chez les trois premiers évangélistes).

Chaque biographe de Jésus s’appliquera à le présenter sous un angle personnel.

Marc mettra en évidence la qualité du service accompli pour la gloire de Dieu et les perfections infinies du Serviteur venu en ce monde pour obéir, servir, souffrir et mourir. Sa totale dépendance et sa communion intime avec son Dieu permettent d’établir un lien direct entre Jésus et le Serviteur souffrant du livre d’Ésaïe qui reçoit une pleine et entière approbation de la part de l’Éternel : « Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu en qui mon âme trouve son plaisir. Je mettrai mon Esprit sur lui. » (És 42.1) Beaucoup d’autres passages peuvent être lus prophétiquement à la lumière de cette notion du Serviteur parfait : 49.1-7 ; 50.4-11 ; 52.13 – 53.12.

Ainsi Marc amène directement Jésus dans sa mission : « Commencement de l’évangile de Jésus Christ » (Marc 1.1a) ; sans aucune transition (sa naissance, son enfance, sa généalogie ne sont pas nécessaires). Tel est Marc : de l’action !

B. Marc, évangéliste – type

Selon la tradition, Papias, évêque d’Hiérapolis (ville située entre Colosses et Laodicée, cf. Col 4.13), vers 140, parle d’un certain « Marc, interprète de Pierre » qui a pu retranscrire « avec exactitude, mais pourtant sans ordre, tout ce dont il se souvenait de ce qui avait été dit ou fait par le Seigneur » (Papias, selon Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique 3,39,15).

Un peu plus tard, Irénée, évêque de Lyon, vers 180, affirme (dans Prologue antimarcionite) que l’évangile de Marc a été écrit à Rome, d’après le témoignage direct de Pierre ; ce qui situe la date de rédaction aux alentours des années 64 / 65.

Selon les rares sources bibliques le désignant, Marc serait le fameux « Jean surnommé Marc » (Act 12.12) dont la mère avait mis à la disposition de l’assemblée de Jérusalem son propre domicile à l’occasion de l’emprisonnement de Pierre.

La transition entre les instantes prières faites par l’assemblée locale en faveur de l’apôtre (Act 12.5) et sa sortie de prison miraculeuse a dû bouleverser notre homme et conditionner son engagement de foi et sa décision de servir (Marc 10.43 b-44).

Pierre se considérera d’ailleurs plus tard comme le père spirituel de Marc (1 Pi 5.13).

Ce serait donc prioritairement au contact de l’apôtre Pierre que Marc perçoit la richesse du « phénomène Jésus » : il l’enrichit alors d’une profonde méditation, il la traduit en termes percutants et il la transmet sous l’impulsion d’une forte émotion.

C’est probablement sa formation missionnaire qui lui donnera ce style si particulier. En effet Marc avait d’abord suivi l’apôtre Paul (Act 12.25 et 13.5) avant de s’en séparer pour des raisons inconnues (Act 13.13) pour ensuite accompagner son cousin (ou oncle) Barnabas (Col 4.10) à Chypre (Act 15.39) et enfin devenir l’assistant privilégié de l’apôtre Pierre, lequel lui a transmis de vive voix tous ses souvenirs si précis et si précieux de Celui qu’il avait défini comme « le Christ » (Marc 8.29) et dont il peut déclarer à la fin de son ministère : « Christ a souffert pour vous, vous laissant un modèle, afin que vous suiviez ses traces. » (1 Pi 2.21)

Son écrit sera à la fois le premier et le plus court des quatre évangiles et situera clairement d’emblée la mission de « Jésus Christ, Fils de Dieu » (Marc 1.1b) : « le fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et pour donner sa vie en rançon pour plusieurs. » (Marc 10.45).

Par ses diverses touches personnelles, Marc s’est montré particulièrement habile dans sa perception des événements (capacité d’écoute comme disciple de Pierre), dans sa relation des faits (capacité de transcription et d’interprétation des paroles et des actions de Jésus) et dans ses multiples explications perspicaces (capacité de « transculturation » et de transmission fidèle d’un message unique).

C. Marc, récepteur fidèle du témoignage de Pierre

Marc n’ayant pas été un témoin oculaire de Jésus Christ, c’est donc essentiellement sur les nombreux souvenirs directs de Pierre qu’il va rédiger la vie du Fils de Dieu.

L’homme vif et pratique qu’était le pêcheur devenu apôtre n’avait pas son pareil pour capter une foule de petits détails précis qu’il va transmettre à son auditeur privilégié lequel va les transcrire tels quels, donnant à son évangile une touche singulière grâce à des informations qui font défaut dans les autres biographies de Jésus.

Nous en avons au moins un exemple dans chaque chapitre :
  
– des gens à gage travaillaient pour Zébédée 1.20)
– le paralytique était porté par quatre hommes (2.3) ;
– Jésus et les siens n’avaient pas le loisir de manger (3.20 ; 6.31) ;
– Jésus dormait, à la poupe, sur un oreiller (4.38) ;
– l’explication des chaînes inutiles pour le démoniaque de Gadara (5.3-4) ;
– les circonstances du festin d’Hérode : sentiments de crainte à l’égard de Jean, liste des invités – seigneurs, chiliarques et principaux de Galilée (6.20-21) ;
– la nationalité de la femme cananéenne : grecque, syrophénicienne (7.26) ;
– les disciples n’avaient emporté qu’un seul pain dans la barque (8.14) ;
– Jésus n’hésitait pas à prendre des enfants dans ses bras (9.36 ; 10.16) ;
– l’aveugle de Jéricho est nommé : Bartimée, le fils de Timée et sa réaction est soulignée : il jette loin son vêtement et se lève en hâte (10.46,50) ;
– l’ânon était attaché dehors, à la porte, au carrefour (virage) (11.4) ;
– le don de la pauvre veuve est précisé : deux pites = un quadrant (12.42) ;   
– les disciples qui questionnent Jésus face au Temple sont explicitement désignés : Pierre, Jacques, Jean et André qui le font en particulier (13.3) ;   
– la joie des sacrificateurs suite à la démarche de Judas Iscariote (14.11) ;
– Barabbas est décrit comme chef de bande : il avait des complices (15.7) ;
– la pierre, à l’entrée du sépulcre, était fort grande (16.4).

D. Marc, rédacteur singulier d’une histoire exceptionnelle

Son style est vif et percutant. Son récit est haletant et passionnant.

Tel un cameraman, il suit Jésus partout sur le terrain et le capte instantanément.

La naissance du Fils de Dieu est passée sous silence tandis que ses qualités de Serviteur sont soulignées : l’adverbe grec « euthus », souvent traduit par « aussitôt » revient une quarantaine de fois, dénotant chez lui sa disponibilité constante, son obéissance parfaite et son activité incessante à la gloire de Dieu.

Marc s’attache surtout aux actes de Jésus ; il le voit en perpétuel mouvement.

Il décrit 18 récits de guérisons (souvent des démoniaques libérés) pour 4 paraboles seulement et très peu de discours (hormis la longue explication eschatologique du ch.13).

Sur les 679 versets (répartis en 16 chapitres, soit une moyenne de +/- 42 versets par chapitre) que compte son évangile, une cinquantaine sont typiquement de Marc et n’ont donc été repris ni par Matthieu ni par Luc. Parmi ceux-ci, citons :
– des récits particuliers : 
   la guérison d’un sourd-muet (7.32-37),
   la guérison graduelle d’un aveugle (8.22-26),
   le jeune homme nu de Gethsémané1 (14.51-52) ;
– quelques paroles originales telles que :
    le péché éternel (3.29),
    la parabole de la semence (4.26-29),
    Jésus, charpentier lui-même (6.3),
    l’allusion au règne de David (11.10).

Marc se distingue aussi par ses nombreuses précisions chronologiques : grâce à ses informations pointilleuses, nous vivons l’événement minute par minute et nous suivons Jésus pas à pas. Par exemple, au ch.1, toute une journée nous est détaillée :
– « comme il marchait le long de la mer de Galilée » (v.16) ;
– « étant entré aussitôt le jour du sabbat dans la synagogue » (v.21) ;
– « et aussitôt, sortant de la synagogue » (v.29) ;
– « et le soir étant venu, comme le soleil se couchait » (v.32) ;
– « et s’étant levé sur le matin, longtemps avant le jour » (v.35).

E. Marc, traducteur particulier d’un message unique

Il est communément admis que Marc adresse son évangile à une communauté de croyants non juifs, ce qui l’oblige à fournir de multiples explications transculturelles pour rendre son message totalement compréhensible à quiconque le lirait.

Par ses dispositions d’adaptation littéraire, Marc fait preuve d’un talent extraordinaire : dans un langage simple et à la portée de tous, il décode le « phénomène Jésus » et le met à la portée d’un public hermétique à la culture juive.

C’est un vrai évangéliste capable de traduire et de transmettre l’essence même de la bonne nouvelle divine en la personne et l’ouvre de Jésus Christ.

Dans son souci constant de clarté, Marc répond parfaitement à l’injonction de Jésus : « Allez dans tout le monde et prêchez l’évangile à toute la création » (16.15).

Il inclut d’ailleurs volontiers cette vision universelle dans le programme de Jésus :

– « Ma maison sera appelée une maison de prières pour toutes les nations » (11.17) ;

– « Et il faut que l’évangile soit auparavant prêché dans toutes les nations » (13.10).

Et Marc de se mettre au service de toutes ces nations qu’il veut évangéliser en rendant son propos le plus compréhensible possible. Ce qu’il réussit fort bien !

Plusieurs détails nous prouvent ses énormes qualités de rédacteur universel :

La rareté des citations de l’Ancien Testament :

Puisque Marc destine son écrit à des lecteurs ignorant la religion hébraïque, il n’utilise pratiquement pas les saintes Écritures juives pour ne pas désorienter ses interlocuteurs et pour éviter de leur fournir de multiples explications.

Ainsi Marc ne cite l’A.T. qu’à 12 reprises seulement, ce qui est peu par rapport à Matthieu (environ 40 fois !) dont les destinataires sont, eux, des juifs devenus chrétiens.

Évangile selon Marc
1.2
1.3
7.6-7
7.10
11.17
12.10-11
12.26
12.29b-30
12.31b
12.36
14.27
15.28
Ancien Testament
Mal 3.1
És 40.3
És 29.13
Ex 20.12 ; 21.17
56.7
Ps 118.22-23
Ex 3.6
Deut 6.4-5
Lév 19.18
110.1
Zach 13.7
És 53.12

La traduction systématique de certaines expressions araméennes :

Il était impossible pour des chrétiens d’origine latine et/ou païenne de comprendre des mots ou des lieux géographiques cités en araméen, langue parlée par les Hébreux depuis leur retour de captivité babylonienne.

Chaque fois qu’il sera amené à rapporter une expression araméenne dans son contexte, Marc s’empressera de la traduire pour rendre son propos intelligible :

– Boanergès
– Béelzébul 
– Talitha coumi
– Corban
– Ephphatha
– Bartimée
– Abba
– Golgotha
– Eloï, Eloï, lama sabachtani ?

Fils du tonnerre 3.17
Chef des démons 3.22
Jeune fille, je te dis, lève-toi 5.41
Don 7.11
Ouvre-toi 7.34
Le fils de Timée 10.46
Père 14.36
Lieu du crâne 15.22
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? 15.34

Certaines allusions précises à la culture latine 

Celles-ci nous permettent d’affirmer que Marc réserve son écrit à des chrétiens du monde romain (certains commentateurs précisent même à l’église de Rome) :

– Au trésor du temple de Jérusalem, une pauvre veuve vient jeter deux pites et Marc nous signale la contre-valeur en monnaie romaine : un quadrant (12.42).

– Jésus, obligé de porter sa croix jusqu’à Golgotha, est aidé par un certain Simon de Cyrène (15.21) dont Marc nous cite les noms des deux fils (Alexandre et Rufus) qui semblent donc être connus par les destinataires de l’évangile. En effet, nous retrouvons Rufus parmi ceux à qui l’apôtre Paul remet ses salutations lorsqu’il écrit à la communauté des fidèles à Rome (Rom 16.13).

– Dans l’original grec, plusieurs mots latins ont été directement « grécisés » et ne demandent donc aucune explication complémentaire de la part de Marc :
  * « krabaton », du latin « grabatus » : méchant lit, grabat 2.4; 6.55
 * « spekoulatora », du latin « speculator » : observateur, espion 6.27
 * « kenturiôn », du latin « centurio » : centurion, chef d’une centurier 15.39,44

Quelques utiles explications au sujet de coutumes juives particulières :

– Marc s’évertue à expliciter certains détails trop liés à la culture juive :
   * l’utilisation des pains de proposition réservés aux sacrificateurs 2.26
   * l’observation stricte de certaines lois au sujet des ablutions rituelles 7.1-4
   * le rite du premier jour des pains sans levain 14.12
   * la chronologie de la Préparation de la fête de Pâque 15.42
– D’autre part, Marc est amené à donner quelques précisions géographiques :
   * « Nazareth de Galilée » (mention de la province) 1.19
   * l’itinéraire précis suivi avant l’entrée triomphale à Jérusalem 11.1
   * l’orientation de la montagne des Oliviers vis-à-vis du temple 13.3

F. Marc, auteur antique d’une étonnante modernité

à l’aube d’un XXIe siècle où la vitesse demeure le maître mot de toute la civilisation (désormais : on scanne, on faxe, on zappe, on clique, on surfe,.) et où l’essentiel doit se résumer en un bref communiqué pour frapper l’imagination et retenir l’attention, reconnaissons les grandes qualités de l’ouvre de Marc :brièveté et concision ; clarté et action ; sobriété et application. Marc est passionné par la personne et par l’ouvre de Jésus Christ et son Évangile est passionnant. D’ailleurs, en lecture silencieuse et attentive, 75 minutes seulement suffiront pour le lire entièrement, ce qui ne représente même pas la durée d’un match de football !

L’Évangile selon Marc doit être conseillé en toute première lecture à quiconque veut découvrir Christ : le récit est complet et l’appel à la foi omniprésent : « Et Jésus, répondant, leur dit : Ayez foi en Dieu » (11.22).

Ajoutons-y l’esprit dans lequel Marc s’est attaché à réaliser son ouvrage : « Toute écriture est inspirée de Dieu, et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour instruire » (2 Tim 3.16). En cela Marc n’a pas failli à sa mission : son ouvre a d’ailleurs été très vite reconnue comme divinement inspirée et par conséquent possédant toute autorité en matière de foi. Ce label de qualité rehausse encore davantage la valeur de cet Évangile attachant et exceptionnel.

Puisse tout lecteur contemporain arriver, convaincu, à la même conclusion que Marc, le seul évangéliste qui ait affirmé de Jésus : « Il fait toutes choses bien » ! (7.37)

Soli Deo gloria !

1 Certains ont vu en cet homme Marc lui-même.


Marc 4.35-41

 La souffrance pour le chrétien reste une énigme. Comment un Dieu si puissant peut-il permettre que son enfant soit atteint par le mal ? Si Dieu protège les siens, il ne leur épargne pas pour autant toute difficulté. Le chrétien le plus fidèle peut être atteint par l’épreuve, malgré une vie exemplaire.

à partir de Marc 4.35, nous trouvons une série de textes qui montrent que Jésus est plus fort que des éléments qui nous dépassent. Il est plus fort que la tempête, plus fort que les démons, plus fort que la maladie et la mort. Nous pourrions en tirer comme conséquence qu’il va nous délivrer de tous ces maux, sur cette terre, dans cette vie. Mais l’enseignement biblique est autre.

Le premier de ces textes est celui de la tempête apaisée (Marc 4.35-41). Il invite à la confiance en Dieu en toutes circonstances.

Suivre Jésus, c’est risquer la tempête

Le lac de Galilée, appelé aussi mer de Galilée, n’est pas très grand. La traversée ne fait que 6 ou 7 km. Les disciples sont des pêcheurs professionnels, au moins pour 4 d’entre eux. Ce n’est donc pas une difficulté insurmontable. Jésus demande à des marins professionnels de le conduire de l’autre côté d’un lac, ce qui est tout à fait leur domaine de compétences.

Le lac de Galilée est connu pour ses fortes tempêtes qui déboulent du Mont Hermon, au nord. Les 4 disciples pêcheurs professionnels connaissent bien ces phénomènes météorologiques, puisque c’est précisément sur ce lac qu’ils exercent leur métier. Ils sont pourtant surpris. La tempête arrive soudainement. Les disciples sont dépassés et la barque se remplit d’eau.

Que fait Jésus pendant ce temps ? Il profite d’un moment de répit pour se reposer et dormir. On le voit pleinement homme, avec les limites et les besoins des hommes.

Les disciples le réveillent. « Jésus, tu ne te soucies pas que nous périssons ! » C’est plus qu’une question. C’est un reproche. Jésus dort pendant que les disciples sont en danger !

Les disciples se retrouvent en pleine tempête, alors que les foules qui s’étaient assemblées seulement pour écouter Jésus, sans faire l’effort de le suivre, se trouvent en sécurité sur le rivage. Elles sont probablement à l’abri, dans leur maison, avec une vue remarquable sur la tempête qui s’abat sur le lac.

Le Seigneur rappelle que le suivre n’est pas la voie la plus facile. Les disciples l’expérimentent. Nous l’expérimentons aussi. Suivre Jésus, ce n’est pas l’assurance que tout va aller pour le mieux. Paul a prévenu Timothée : « Tous ceux qui veulent mener une vie fidèle à Dieu dans leur union avec Jésus-Christ seront persécutés. » (2 Tim 3.12, Bible en français courant).

Les disciples sont fidèles à Jésus. Ce sont les seuls qui le suivent. Ils embarquent sur son ordre. Ils lui obéissent. Ils rament pendant que Jésus dort. ils doivent pourtant affronter une tempête. Pourquoi Dieu permet-il cela ? Pourquoi Dieu autorise-t-il un tel danger ?

Dieu a un autre but en vue. Il veut que la puissance de Christ soit manifestée. Il veut surtout que les disciples prennent conscience d’un enseignement capital : le but de Dieu n’est pas le confort de ses enfants mais leur croissance et notamment l’apprentissage de la confiance en Jésus.

Il est difficile aujourd’hui de s’afficher comme chrétien, dans le monde du travail ou à l’école : suivre Jésus, c’est risquer la tempête. Les autres risquent de se moquer de nous, de ne pas nous comprendre. ou de mépriser notre foi.

Il est difficile de ne pas tricher aux examens. On perd une chance d’avoir une meilleure note parce qu’on est honnête : suivre Jésus, c’est risquer la tempête.

Il est difficile d’être intègre. On ne fait pas « ce que tout le monde fait » et on risque de perdre de l’argent en restant dans la légalité : suivre Jésus, c’est risquer la tempête.

Il est difficile de témoigner, de prendre position, par exemple, contre l’homosexualité (tout en aimant les homosexuels et en étant prêt à les aider) en affirmant que ce n’est pas la manière voulue par Dieu de vivre sa sexualité. On sera traité de rétrograde ou d’arriéré : suivre Jésus, c’est risquer la tempête.

Il est difficile de demander pardon, de reconnaître ses torts, ses faiblesses. Les autres risquent d’en profiter : suivre Jésus, c’est risquer la tempête.

Jésus n’a jamais promis une vie tranquille à sa suite. Il a fini exécuté comme un criminel. Ne nous attendons donc pas à un accueil triomphal lorsque nous annonçons et vivons l’évangile.

Jésus rappelle, à la fin du sermon sur la montagne, que la tempête touche tout le monde (Mat 7.24-27). Si le sage et le fou sont tous deux atteints par la tempête, il y a pourtant une grande différence : la manière de vivre l’épreuve. Dieu ne nous promet ni confort ni tranquillité, même si, dans sa grâce, il ne les exclut pas. Par contre, il nous a promis sa présence à nos côtés. C’est le second enseignement de ce passage :

Suivre Jésus, c’est reconnaître sa puissance

Depuis 2000 ans, la médecine a progressé dans quantité de domaines. Des maladies autrefois incurables et mortelles sont maintenant guéries ou évitées, par exemple par la vaccination. Malgré cela l’homme reste impuissant face à la nature. Les catastrophes climatiques ne peuvent être évitées. Le tsunami de décembre 2004 a encore une fois montré les limites humaines.

Dans le texte de Marc, Jésus parle. Les vents s’arrêtent. La mer se calme (v. 39). Le psaume 107 montre Dieu arrêtant la tempête par sa puissance (Ps 107.23-31). Le prophète Nahum présente aussi l’Eternel comme Celui qui menace la mer (Nah 1.4). Jésus est plus qu’un homme aux pouvoirs extraordinaires. Il fait les ouvres que seul Dieu a le pouvoir de réaliser.

Jésus critique le manque de foi des disciples. Ils le côtoient depuis un bon moment. Ils l’ont déjà vu à l’ouvre, mais ils doutent encore. Cet épisode conduit à faire deux remarques :

1) Personne n’est épargné par le doute

En tant que chrétiens, nous ne sommes pas seuls à passer par des périodes difficiles. Dans ces moments, le doute n’est pas exceptionnel. Ce n’est pas pour autant la preuve que nous sommes des chrétiens de  moins grande valeur que les autres ou moins aimés par Dieu. La Bible donne bon nombre d’exemples d’hommes de Dieu en proie au doute :

– Moïse demande à Dieu de lui reprendre la vie parce que la conduite du peuple d’Israël est devenue trop lourde (Nom 11.15) ;

– Josué, lors de l’échec de la prise d’Aï, pense qu’il aurait dû rester de l’autre côté du Jourdain (Jos 7.7) ;

élie demande la mort, alors qu’il vient de voir Dieu puissamment à l’ouvre (1 Rois 19.4) ;

– Jérémie s’exclame : « Maudit soit le jour où je suis né ! » (Jér 20.14) ;

– Jean-Baptiste en prison demande à Jésus : « Es-tu celui qui doit venir  ? » (Mat 11.3).

Ces exemples bibliques sont précieux pour ceux qui passent par des difficultés. Le découragement de ces moments fait perdre la conscience de la présence et de la majesté de Dieu. D’autres croyants ont connu cette faiblesse alors qu’ils ont montré leur foi en de nombreuses circonstances. Leurs doutes montrent bien qu’on ne s’habitue pas à la tempête.

2) Gardons confiance en Dieu

Les moments difficiles ne doivent pas nous faire perdre confiance dans le plan de Dieu et sa capacité de faire comme il le veut. Jésus reproche à ses disciples d’avoir cru que Dieu se laissait surprendre par une tempête. Un peu de vent et des vagues sur un lac pourraient-ils anéantir le plan de Dieu ? Ce « Dieu » serait alors bien petit.

Nous doutons lorsque nous pensons que nos circonstances sont trop dures pour nous, que Dieu nous envoie l’insupportable. Nous doutons lorsque nous croyons qu’elles sont trop dures pour Christ.

Dieu nous envoie parfois des tempêtes et des difficultés, le diable aussi. Le diable ne peut rien faire sans l’accord de Dieu. Il nous envoie des épreuves pour nous faire chuter, pour pouvoir nous accuser, pour nous diminuer, pour nous rendre inefficaces. Au contraire, Dieu envoie des épreuves pour que nous les surmontions, pour que notre foi puisse s’exercer et grandir.

Dieu n’a pas en vue notre confort, mais notre croissance spirituelle. Comme pour les disciples, il doit parfois nous faire passer par la tempête pour que nous progressions et que nous le découvrions pleinement suffisant en toutes circonstances.

Le thème central de ce passage est celui de la foi, malgré les circonstances défavorables. Qu’est ce que la foi en Dieu ? Sur quoi repose-t-elle ? Est-ce un saut dans le vide ?

Nous savons que c’est faux. Nous avons foi en une personne. Et c’est ce que nous connaissons de cette personne qui va nourrir notre foi.

Comme des alpinistes expérimentés s’assurent soigneusement avant une escalade, nous ne nous lançons pas sans savoir qui nous assure. Nous nous basons sur Dieu et sur sa puissance. Il a notamment révélé sa grandeur dans la création. Jésus, Dieu fait homme, a montré son pouvoir sur cette création.

Nous avons aussi le témoignage de ceux qui ont vu Jésus mort et ressuscité. Jésus est plus fort que la mort. Il a montré son amour à la croix. Nous ne nous lançons pas dans le vide. Dieu nous a montré qu’il était digne de toute notre confiance.

La foi en Dieu nécessite donc de connaître Dieu. C’est un encouragement à sans cesse approfondir notre relation avec lui. Nous apprenons à mieux le connaître par sa Parole. Nous progressons aussi en nous engageant pour lui, parce que nous avons l’occasion de le voir à l’ouvre à nos côtés. C’est un grand privilège !

La foi en Dieu nécessite également de savoir quelles sont les promesses de Dieu. Il serait faux de s’attendre à éviter les épreuves. Dieu ne nous a jamais promis une vie facile et confortable. au contraire !

Les écrivains bibliques rappellent quelques unes des promesses de Dieu :

1) la couronne de vie, la vie éternelle, le salut, le repos (Act 13.23  ; Tite 1.2  ; Jac 1.12 ; 1 Jean 2.25 ; 2 Tim 1.1 ; Héb 4.1) ;

2) un héritage, un royaume, le règne avec lui (éph 1.13-14 ; Jac 2.5 ; Héb 9.15) ;

3) le Saint-Esprit assurant au croyant la présence de Dieu même lors de circonstances difficiles (Luc 24.49 ; Act 1.4 ; 2.33 ; Gal 3.14 ; éph 1.13) ;

4) le retour de Christ (Héb 12.26 ; 2 Pi 3.4,9).

La foi en Dieu est une qualité indispensable pour être disciple de Christ. Dieu nous demande de lui faire confiance, de continuer à croire qu’il a tout entre ses mains. Notre foi se base aussi sur ce que Dieu nous promet dans sa Parole : il met l’accent sur notre engagement à ses côtés, sur notre progression spirituelle et sur l’importance de le connaître, plutôt que sur le confort personnel. Il nous promet également la vie éternelle dans sa présence, source de joie et de consolation dans nos épreuves.

Dieu est digne de confiance

La question est posée à chacun : « Qui est cet homme ? » (v. 41) Elle est capitale. La réponse nous dira si Jésus est totalement digne de confiance. Est-ce que je peux m’appuyer sur lui quoi qu’il m’arrive ?

Parfois Dieu calme la tempête qui atteint le croyant, parfois il laisse la tempête se déchaîner et il calme son enfant. La délivrance n’est pas automatique. Notre confiance doit s’exercer, que Dieu nous délivre ou non.

Comment faire ? Dieu nous demande d’apprendre à le connaître, d’accepter de prendre des risques en s’engageant pour lui, dans l’église, dans le témoignage, lorsque tout va bien. C’est dans ces moments où tout est calme que nous pourrons fortifier notre confiance, notre foi. Nous serons alors mieux armés pour résister dans les moments difficiles. Nous pourrons alors nous souvenir que Dieu a toujours été fidèle, qu’il le restera et qu’il est digne de toute notre confiance.


Marc 8.22-26

La guérison d’un aveugle dans Marc 8.22-26 m’a longtemps laissé perplexe. Pourquoi le malade n’est-il guéri que partiellement après la première intervention de Jésus ? « Je vois des hommes, mais comme des arbres, et ils marchent », dit-il. Étrange. De la part du Christ, on était habitué à autre chose. Pourquoi cet échec apparent qui nécessite une deuxième intervention ?

Solutions proposées

Comme c’est souvent le cas pour un texte difficile à comprendre, les solutions proposées par les commentateurs et les prédicateurs sont aussi nombreuses que diverses. En voici quelques-unes :

1. L’échec relatif provient du manque de foi du malade ou de ses amis (H.A. Ironside, Mark, p.125). Chrysostome soulignait déjà que cet homme n’était pas venu de lui-même. Il n’aurait pas non plus appelé à l’aide, contrairement, par exemple, à Bartimée, l’aveugle de Jéricho. Pour lui, la limitation ne doit pas être placée du côté divin, mais du côté humain.

2. La guérison graduelle pourrait correspondre au progrès de la foi dans l’infirme (Joseph Huby, Évangile selon St Marc, p.205).

3. Certains discernent une amélioration graduelle de l’aveugle qui pourrait être assimilée à une guérison naturelle. Jésus aurait ainsi montré l’importance d’un processus trop souvent sous-estimé (G.G. Chadwick, The Gospel according to St Mark, p.214).

4. Les paroles de l’aveugle sont celles d’un homme qui aurait eu de la peine à s’exprimer. « Pour les enfants et pour les sauvages, ‘arbre’ est une des formules les plus fréquemment employées pour désigner un homme » (Gunther Dehn, Le Fils de Dieu, p.152).

5. Ce récit illustre la variété des méthodes du Seigneur dans ses guérisons et nous montre avec quelle liberté et quelle souplesse Jésus usait de sa puissance (J.A. Alexander, The Gospel according to Mark, p.217).

6. Ce miracle enseigne la manière dont l’Esprit agit dans l’illumination de l’âme (J.J. Jones, The Gospel according to St Mark, Vol. 2, p.151).

7. L’événement symbolise la marche des disciples vers la lumière (M.J. Lagrange, évangile selon St Marc, p.213).

Enfin, quelques-uns concluent de manière défaitiste.

8. Le contexte immédiat étant trop limité, il est impossible de donner une réponse valable (William L. Lane, The Gospel of Mark, p.285).

9. L’échec de Jésus est incompréhensible. Il nous enseigne, néanmoins, que le Seigneur ne s’est pas relâché dans son action jusqu’à ce que l’homme soit complètement guéri (R.A. Cole, Mark, p.133).

Quelle solution faut-il préférer ? Comme le relève Lane, le contexte immédiat (verset 22-26) est maigre. Si nous interdisons d’emblée à notre imagination de déformer le texte (solutions 3 et 4), il nous reste la possibilité d’appliquer un principe général (solutions 5, 6 et 7) – mais lequel ? -, de ramener ce texte à d’autres récits de guérisons (solutions 1 et 2) – mais lesquels ? – ou d’avouer simplement notre perplexité (solutions 8 et 9).

Le contexte général du récit

Une étude du cadre global de cet événement, nous guide, je crois, vers la bonne interprétation. Les dix premiers chapitres de l’évangile selon Marc, qui décrivent le ministère de Jésus depuis ses débuts jusqu’à son entrée à Jérusalem, sont séparés en deux parties par la confession de Pierre (Marc 8.27-33), véritable plaque tournante de ces chapitres.

Avant ces paroles de l’apôtre, l’accent est mis sur la démonstration de la puissance de Jésus. Quatorze miracles sont relatés, et à trois reprises, l’auteur indique que de nombreuses personnes furent guéries (1.34 ; 3.10 ; 7.56).

Après cette confession-clé, la situation est toute différente. Jésus enseigne en privé, à ses disciples, le message de la croix. « Il [Jésus] commença à leur apprendre qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, par les principaux sacrificateurs et par les scribes, qu’il soit mis à mort et qu’il ressuscite trois jours après » (8.31). Les miracles, dans cette section, sont réduits à deux (9.14-29 et 10.46-53). Jésus annonce à plusieurs reprises ses souffrances et sa mort (8.31 ; 9.31 ; 10.33-34) et son corollaire, le chemin de la croix pour les disciples (8.34-38 ; 9.35 ; 10.39,41-45). L’annonce de ce message de souffrance et d’humiliation rencontre l’opposition de Pierre (8.32-33) et l’incompréhension des disciples (9.32 ; 10.32). Le comble de leur aveuglement est illustré par leurs discussions au sujet des premières places, discussions qui suivent à chaque fois l’annonce du calvaire du Christ (9.33-34 ; 10.35-37). Que Jésus soit le Messie tout-puissant, cela Pierre l’avait pleinement compris, cru et confessé (8.29) ; qu’il soit le Messie souffrant, cela il ne l’a compris, cru et confessé qu’après la résurrection.

La confession de Pierre joue donc un rôle capital : elle fait office de charnière pour les dix premiers chapitres de cet Évangile. Est-ce surprenant puisque la tradition affirme que Marc n’était que l’interprète de Pierre ?

Sens du miracle

Revenons à notre récit pour constater qu’il se situe juste avant cette confession cruciale, juste avant la nouvelle orientation du ministère de Jésus. En fait, la guérison de l’aveugle annonce et prépare ce deuxième élément fondamental du message messianique. Tout en manifestant sa compassion pour l’aveugle, Jésus enseigne ses disciples. La manière dont la cécité physique a été guérie, illustre comment la cécité spirituelle sera vaincue. De même que l’aveugle n’a discerné « tout distinctement » (8.25) qu’à la suite d’une deuxième intervention de Jésus – la première ne lui ayant donné qu’une vue trouble -, de même les disciples ont besoin d’un complément d’information – le message de la croix – afin de pouvoir tout comprendre. La confession de Pierre (8.29) n’est que la première étape, elle n’indique encore qu’une compréhension partielle de l’ouvre du Messie, celle qui reconnaît la toute-puissance de Jésus. La perception totale, elle, confesse aussi le ministère de souffrance du Christ.

Comme ce miracle avait pour but d’enseigner les disciples, Jésus prend soin de le réaliser « hors du village » (8.23), à l’écart d’une foule qui n’était pas prête pour ce nouvel enseignement. Notons aussi que la guérison s’est produite dans les environs de Béthsaïda, le village natal de Pierre (Jean 1.44). Qui sait si le Seigneur n’a pas opéré ce signe révélateur près de l’ancien domicile de l’apôtre afin que ce dernier s’en souvienne mieux ?

Pour terminer, relevons que cet événement n’est relaté que dans le deuxième évangile : situation exceptionnelle, puisque tous les autres miracles relatés par Marc – mis à part la guérison du sourd-muet (Marc 7.31-37) – sont « repris » par Matthieu et Luc. Cette guérison progressive, enseignant une vérité particulièrement bien développée dans l’Évangile selon Marc, semble n’avoir eu sa place que dans ce livre.

Et nous ?

En conclusion, il nous reste à méditer sur la leçon de ce récit. L’enseignement du ministère de souffrance s’est heurté à l’incrédulité des disciples. Qu’en est-il aujourd’hui ? Lorsque nous cherchons la puissance de Jésus par dessus tout, n’avons-nous pas, nous aussi, une vue trouble et partielle de l’Évangile ? Aujourd’hui, bien souvent, le message de la « vie abondante » me semble reléguer le message de la « croix » dans l’ombre. Le « plein Évangile » n’est pas fait que de victoires, de guérisons divines et de promesses saisies par la foi, mais aussi d’abnégation, de persévérance, de souffrances et de larmes. Ne l’oublions pas !


Dans l’étude de l’Évangile selon Marc et afin d’en comprendre le sens, plusieurs questions cruciales doivent être abordées.1

L’importance de Marc 1.1 dans la compréhension de l’Évangile selon Marc

La première question à se poser concernant Marc 1.1 est celle de sa provenance. Lorsque nous nous posons la même question à propos d’un passage comme la guérison du paralytique (2.1-12), la paraboles des mauvais vignerons (12.1-11), ou la purification du temple (11.15-19), la réponse est assez simple. Ces passages sont parvenus à Marc par les traditions sur Jésus qui circulaient dans l’église primitive, et qu’il a, sous l’inspiration de l’Esprit, incorporées à son évangile. Cependant, Marc 1.1 n’est pas une tradition qui circulait au sein de l’église primitive. Cette phrase n’a jamais existé avant que Marc n’écrive son Évangile. Elle a été créée par Marc comme introduction à son évangile, tout comme Matthieu 1.1 (« Généalogie de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham. ») et Luc 1.1-4 (« Puisque plusieurs ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, tels que nous les ont transmis ceux qui, dès le commencement en ont été les témoins oculaires et qui sont devenus serviteurs de la parole, il m’a semblé bon à moi aussi, après avoir tout recherché exactement depuis les origines, de te l’exposer par écrit d’une manière suivie, excellent Théophile, afin que tu reconnaisses la certitude des enseignements que tu as reçus. ») ont été créés par Matthieu et Luc pour servir d’introduction à leurs Évangiles. Le fait que Marc ait choisi d’introduire son évangile de la sorte et que les premiers mots que son auditoire ait entendus de son évangile soient ceux de Marc 1.1 signifie que ce verset est extrêmement important dans la compréhension de son évangile. Pour Marc, la première chose qu’il veut que ses lecteurs et auditeurs sachent à propos de son Évangile c’est qu’il concerne la bonne nouvelle de « Jésus-Christ, Fils de Dieu. »

L’indice le plus important que Marc nous donne à nous lecteurs est que depuis Marc 1.2 le reste de son évangile concerne « Jésus-Christ, Fils de Dieu. » Ceci indique que le récit qui suit, en Marc1:2-8, n’est pas à propos de Jean le Baptiste. Au contraire, il concerne Jésus Christ, le Fils de Dieu ! La seule raison pour laquelle Marc nous parle de Jean le Baptiste est que ce récit nous aide à comprendre d’une manière ou d’une autre qui est Jésus. Ainsi, les mots importants en 1.2 ne sont pas « mon messager » et « qui » mais « toi » et « ton chemin ». En 1.3 ce n’est pas « la voix de celui qui crie dans le désert » mais « Seigneur » et « ses ». Donc, en lisant ces versets, nous devrions souligner ces mots :

« Selon ce qui est écrit dans le prophète Esaïe : Voici, j’envoie devant toi mon messager pour frayer ton chemin ; c’est la voix de celui qui crie dans le désert : « Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. »

Par conséquent, quand nous enseignons ou prêchons Marc 1.2-8, l’évangéliste ne veut pas que nous nous concentrions sur Jean Baptiste mais sur Jésus Christ, le Fils de Dieu, et en quoi le ministère de Jean Baptiste nous aide à comprendre qui est Jésus. De même, Marc 4.35-41 n’est pas à propos des disciples et de leur peur durant la terrible tempête sur la mer de Galilée mais à propos de Jésus Christ, le Fils de Dieu, et l’accent porte sur les mots de la conclusion en 4.41 – « Quel est donc celui-ci, car même le vent et la mer lui obéissent ? » Marc 1.1 nous révèle que le sens de 4.35-41 est que Jésus Christ, le Fils de Dieu est « Seigneur de la nature », que ouragans et tempêtes sont soumis à sa grande puissance et à sa parole.

De même, Marc 5.1-20 n’est pas à propos d’un démoniaque ou des gens de Guédara, mais à propos de Jésus Christ, le Fils de Dieu, qui est plus fort que Belzébuth et ses démons. Marc 5.21-43 n’est pas à propos d’une femme malade d’une perte de sang ou de Jaïrus et de sa jeune fille morte, mais à propos de Jésus, Seigneur sur la maladie et la mort. Marc 16.1-8, n’est pas à propos de femmes qui étaient effrayées et ne rapportèrent pas la nouvelle de la résurrection de Jésus aux autres, mais plutôt à propos de Jésus et de sa résurrection, et l’accent porte sur 16.6-7 : « Il est ressuscité, il n’est pas ici ; voici l’endroit où on l’avait déposé. » L’accent est mis sur le fait que Jésus Christ, le Fils de Dieu, était ressuscité des morts et allait rencontrer les disciples en Galilée, comme il l’avait dit. Bien qu’il y ait parfois des thèmes et des accents secondaires dans les récits de Marc, le point essentiel que Marc cherche à souligner dans son évangile, d’après Marc 1.1, est de nature christologique. C’est que Jésus de Nazareth est le Christ, le Fils de Dieu.

L’importance des confessions christologiques des démons dans Marc

Dans l’évangile selon Marc, les démons confessent à trois reprises que Jésus est le Fils de Dieu. En 1.24 le démon appelle Jésus « le Saint de Dieu » et en 5.7 le « Fils du Très-Haut ». Dans le résumé que fait Marc en 3.7-12, il commente en 3.11 que les démons désignaient constamment Jésus comme le « Fils de Dieu ». Dans les années 1970 et 1980, différents spécialistes ont allégué que Marc voulait que ses lecteurs comprennent que de telles confessions donnent une mauvaise image de l’identité de Jésus et qu’une telle opinion est d’origine démoniaque. On avançait que pour Marc, cet accent sur Jésus en tant qu’exorciste et guérisseur, faiseur de merveilles et de miracles, était satanique. Le fait que ces confessions proviennent de démons montrait, soi-disant, qu’elles devaient être rejetées. Pourtant un tel raisonnement s’écroule du fait que le premier verset de l’Évangile selon Marc indique que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu. De manière plus significative encore, ce raisonnement est réfuté par le fait que dans le résumé que fait Marc en 1.34, il affirme « mais il ne laissait pas les démons parler, parce qu’ils le connaissaient » ! Marc donne ce commentaire éditorial pour aider ses lecteurs à reconnaître que, même si les autorités juives et romaines ne reconnaissent pas Jésus comme le Christ, le Fils de Dieu, les démons, de par leur connaissance surnaturelle, reconnaissent effectivement qui est Jésus. Ils sont donc des porte-paroles fiables de la christologie de Marc ! Il en résulte que si nous essayons de compléter la phrase « Moi, Marc, je vous ai relaté l’histoire de Jésus guérissant le démoniaque dans la synagogue de Capernaüm en 1.21-28 et la guérison du démoniaque de Guédara en 5.1-20, parce que . » nous devrions dire « . parce que je veux que vous sachiez que les démons, qui, comme je vous l’ai dit en 1.34 connaissent réellement l’identité de Jésus, confessent qu’il est le Fils de Dieu, tout comme je vous l’ai dit en 1.1 ». Les démons reçoivent l’ordre en 3.12a de cesser de confesser que Jésus est le Fils de Dieu parce que, comme l’indique 3.12b, Jésus ne veut pas qu’ils le fassent connaître. Cela suppose que leur confession est correcte.

L’importance des déclarations récapitulatives dans Marc

Dans Marc nous trouvons de nombreux commentaires éditoriaux de l’évangéliste qui sont de nature récapitulative. Comme ils résument souvent ce qui précède et préparent le lecteur à ce qui va avoir lieu dans les chapitres suivants, il est évident qu’ils sont le résultat du travail de rédaction de Marc. Le vocabulaire, le style grammatical et l’accent théologique, typiques de Marc, indiquent également que ces commentaires sont de la main de l’évangéliste. Cela ne veut pas dire que ce qui y est rapporté a été créé de toute pièce par l’évangéliste. Ce sont, au contraire, une condensation des différentes traditions en sa connaissance. Certains de ces résumés sont relativement brefs, d’autres longs. Parmi les plus apparents, notons 1.14-15, 21-22, 28, 33-34, 39, 45 ; 3.7-12 ; 4.1, 33-34 ; 6.6b, 53-56 ; 9.30-32 ; 10.32-34 ; 12.12 ; 14.1-2. Puisque ce ne sont pas simplement des traditions que Marc reproduit telles quelles, ils contiennent beaucoup plus de son travail de rédaction que sa reproduction des traditions et enseignements qu’il a trouvé dans le matériel transmis par les témoins oculaires et les serviteurs de la parole (Luc 1:2). Par conséquent, en les lisant l’un à la suite de l’autre, on obtient un bon aperçu des intérêts de l’évangéliste et des points sur lesquels il insiste. Il devient alors apparent que Marc cherche à souligner la popularité de Jésus auprès du peuple, son ministère puissant de guérison et d’exorcisme, la nécessité divine de sa mort, et le rôle des autorités juives dans cette mort.

L’importance des répétitions dans Marc

Le bon sens veut que ce qui est important pour un auteur tende à être répété dans ses écrits, tandis que ce qui l’est moins ne le soit pas. Même si les théologiens et les exégètes ont parfois été critiqués avec raison de se spécialiser dans les questions de détail, les auteurs bibliques insistent et répètent généralement ce qui leur semble important et minimisent ce qui ne l’est pas. Un aspect que Marc souligne dans son évangile est la présentation de la mort de Jésus comme une nécessité divine. Martin Kähler, à la fin du dix-neuvième siècle, désignait Marc comme essentiellement « un récit de la passion avec une longue introduction ». Quoiqu’un peu exagérée, cette remarque est pertinente. Marc souligne l’importance et la nécessité divine de la passion. Des allusions à la mort à venir de Jésus se trouvent déjà en 2.20 où Jésus se présente comme l’époux qui « leur sera enlevé ». Bien que le passif puisse indiquer le rôle des ennemis de Jésus dans sa mort, il peut aussi être interprété comme un passif divin : « Il leur sera enlevé par Dieu ». Dans la première prédiction de sa passion en 8.31, Jésus parle de sa mort comme « nécessaire », et il est clair que sa mort est décrite ici comme une nécessité divine. Sa mort n’est pas une question de destin ou de tragédie nébuleux mais l’accomplissement du plan et du but divins.

En 9.31 et 10.33-34, Jésus prédit sa passion pour la deuxième et la troisième fois. Dans la deuxième, Jésus se décrit comme « livré entre les mains des hommes », et ceci doit vraisemblablement être compris comme un passif divin, Dieu livrant Jésus à la mort. Dans la troisième annonce de la passion, Jésus est décrit comme « livré aux principaux sacrificateurs et aux scribes », et il est également préférable de l’interpréter comme un passif divin. En 10.45, Jésus dit qu’il est venu (le « de Dieu » est implicite) pour donner sa vie en rançon pour beaucoup. En 14.8, Jésus montre qu’il est conscient de sa mort prochaine. Lorsque nous arrivons au chapitre 14, la nécessité divine de la mort de Jésus est fortement soulignée :  v. 21 (« le Fils de l’homme s’en va, selon ce qui est écrit de lui »), v. 24 (« Ceci est mon sang de l’alliance, qui est répandu pour beaucoup »), v. 36 (« éloigne de moi cette coupe. Toutefois non pas ce que je veux, mais ce que tu veux »), et v. 49 (« mais c’est afin que les Écritures soient accomplies »). La description de la mort de Jésus comme nécessité divine et sa connaissance à l’avance par Jésus est clairement mise en avant dans Marc, et il devrait en être de même dans notre prédication et notre enseignement sur cet évangile.

Conclusion

Alors qu’aujourd’hui, le lecteur et sa lecture du texte prennent le dessus sur la signification voulue par l’auteur, il est important pour les évangéliques d’affirmer que le but de notre étude est de comprendre ce que les auteurs inspirés de l’Écriture voulaient dire par les textes qu’ils nous ont légués. Dans l’étude de Marc, cela implique de chercher à comprendre ce que Marc voulait dire par les mots et les traditions sur Jésus qu’il nous a transmis. L’affirmation de l’inspiration divine de Marc devrait avoir comme corollaire une détermination à comprendre le sens que l’auteur biblique a donné à ses mots.

1L’article original abordait six questions. [note du traducteur]


Bob George, auteur du livre « Réellement vivre . la vie est trop courte pour passer à côté ! » raconte comment le Seigneur l’a conduit à revenir à l’essentiel. Son témoignage nous interpelle.

Alors qu’il roulait sur l’autoroute un lundi matin, il avait devant lui une journée très chargée. Considérant sa vie, ses yeux se remplirent de larmes ; il était malheureux et se demanda : « pourquoi ? ». « J’accomplissais pourtant tout ce que le monde chrétien attendait de moi : étude de la Bible, mémorisation de versets, témoignage auprès des non chrétiens, prière. Dans l’église, j’étais engagé le dimanche matin et soir, les lundi et mercredi soirs, sans compter d’autres rencontres en comité. Il n’aurait guère été possible de faire plus.

Jusqu’à l’âge de 36 ans, Bob avait été dans le monde des affaires. Malgré sa belle réussite professionnelle, il n’était pas heureux. C’est alors qu’il s’est converti. Sa vie avait changé et il était heureux d’avoir trouvé son Sauveur Jésus-Christ.

Mais cela remontait à huit ans en arrière. Que s’était-il passé entre temps ? Bob s’est mis à crier à Dieu : « Ramène-moi aux premiers jours où je t’ai connu ». Durant ces huit ans, il avait fait la connaissance de nombreux chrétiens. Ils étaient tous très actifs, mais pris dans un engrenage. Nous participons à tant de séminaires, nous lisons tant de livres chrétiens, nous écoutons tant de cassettes, nous sommes si actifs.mais sommes-nous plus joyeux, plus fidèles ?

Sa conclusion : « nous avons tellement mis l’accent sur une activité, un service effrénés, que pour être membre de certaines églises, on se passe plutôt d’un examen doctrinal que d’un test physique. Pour assumer un rôle de responsable spirituel, une endurance physique est devenue plus essentielle que des lumières spirituelles. »

Le Seigneur a souligné ce point à Bob George d’une manière particulière. Un jour, un homme d’affaires âgé d’environ 70 ans, Marc, a reçu le Seigneur dans sa vie. Le pasteur disait à Bob George : « Bob, c’est extraordinaire. Cet homme, Marc, est un des hommes d’affaires des plus brillants de notre ville : il est riche et plein de talents. Nous devons le mettre au travail ! Je vous demande de veiller à ce que Marc soit engagé dans toutes vos actions. »

Bob George n’a jamais oublié la réaction de Marc. Les yeux pleins de larmes, il avait répondu : « Pasteur, je n’ai pas besoin de travail à faire, c’est du Seigneur dont j’ai besoin. »

La conclusion de Bob George : « C’est peut-être cela qui ne va pas dans ma vie chrétienne qui ressemble plus à un métier qu’à une relation. Tout n’est devenu que performance. Je fais ce que l’on attend de moi.» Alors qu’il avait un don d’évangéliste, Bob George avait perdu tout intérêt de parler de Dieu aux gens. « Que pouvez-vous leur dire ? Devenez chrétien et soyez aussi malheureux que moi ? » Il avait essayé de répondre à plusieurs grands et nobles défis :

– Il s’était précipité à changer le monde sur l’invitation pressante de ses amis : « Venez nous aider à changer le monde ». Mais les choses n’avaient pas beaucoup changé.

– Il avait dirigé une campagne d’évangélisation pour toute la ville de Dallas. Trois années de  labeur, mais Dallas n’avait pas changé.

– Il avait formé des dirigeants qui, à leur tour, formeraient d’autres responsables pour changer l’église du dedans; mais l’église n’avait pas changé.

La leçon que Bob George a apprise : Christ ne m’a pas appelé à changer quoi que ce soit ; il m’a appelé à proclamer et à vivre la vérité – Jésus-Christ ! J’avais perdu la joie de mon salut, parce que je poursuivais un but que Dieu ne m’avait jamais fixé. Je m’étais engagé dans le plan de Dieu ; mais je m’étais éloigné du Dieu de ce plan. Revenons à l’essentiel, et restons-y ! Cessons d’être préoccupés par tant de choses, au détriment de notre vie en Christ. Cher lecteur, connais-tu l’objectif de Dieu pour ta vie ? Le voici : « connaître Christ, et la puissance de sa résurrection et la communion de ses souffrances en devenant conforme à lui dans sa mort.». Courons donc « vers le but, pour remporter le prix de la vocation céleste de Dieu en Jésus-Christ » (Phil 3.7-14).

« Ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi. je vis par la foi au Fils de Dieu, qui m’a aimé et qui s’est livré lui-même pour moi » (Gal 2.20).


Histoire de l’église

1509 – 1564

Introduction

Jean Cauvin (1509-1564), dit Calvin, devient réformateur à la suite de circonstances qu’il n’a pas choisies. Il poursuit l’ouvre de la première génération des réformateurs protestants : Zwingli, Luther, Bucer, et Farel. Son penchant pour le calme sera troublé par des circonstances et des luttes douloureuses qui feront ressortir des qualités insoupçonnées jusqu’alors : esprit de clarté d’expression et de détermination, de logique, d’organisation, d’influence, de systématisation d’idées. Cet homme cultivé, réticent, anxieux, est aussi implacable, têtu, colérique, sûr de sa mission, car convaincu de son appel à prêcher, à enseigner, à propager la gloire et la souveraineté de Dieu décrites dans la Bible, et dépouillées des conceptions erronées de Rome. Calvin est autant aimé ­― voire adulé ― par ses amis en Christ que contesté par ses opposants. Il le rend bien à ses détracteurs et ce, sans aucun scrupule. C’est à se demander si, vivant aujourd’hui, il serait admiré comme un nouveau Paul (ce qu’il est pour certains à cause de son enseignement !), ou bien comme le pire des hypocrites à causes des meurtres qu’il a instigués à Genève au nom de Dieu !! Nous préférons retenir le meilleur chez nos héros, mais nous ne pouvons pas nier le mauvais. Calvin entretient l’ambiguïté, d’où notre regard contextuel et réaliste pour comprendre et pour jauger sa personne, sa vie, ses doctrines, ses actions et son héritage exceptionnel jusqu’à nos jours. Cet article se limite à une biographie sommaire, mais il nous évitera peut-être une vision tronquée de toute son ouvre et de tout son héritage.

Sa vie

Elle se divise facilement en trois périodes, quoique inégales en contenu et en importance.

A. Avant 1536

Calvin est né à Noyon en Picardie (France), d’un notable au service de l’Église. A Paris, il acquiert une solide connaissance de l’Antiquité latine et de la patristique1 dont il se servira plus tard pour écrire et illustrer ses commentaires bibliques. De 1528 à 1531, il étudie le droit à Orléans et à Bourges, se formant à la logique et à la rigueur dans l’argumentation. C’est à Orléans qu’il croise, probablement grâce à son cousin P. Olivetan, les idées réformées de Luther, lesquelles travaillent son esprit. En 1531, de retour à Paris, il s’investit dans deux courants de pensée : l’humanisme, qu’il attaquera vigoureusement plus tard, et les idées évangéliques de Luther.

Il se convertit « soudainement » en 1533, puis s’engage dans la bataille pour le pur Évangile contre les catholiques. Cet effort, qui perturbe le monde religio-intellectuel, l’oblige à quitter Paris en 1534 pour Angoulême où, dans l’environnement studieux des livres et avec sa Bible, il écrit les six premiers chapitres d’un livre bouleversant, L’Institution chrétienne, publié en latin à Bâle en 1536 – trois ans seulement après sa conversion ! Calvin s’inspire du Catéchisme de Luther pour le contenu, mais sa présentation est à la fois plus logique et plus irénique. Il dédie à François 1er de France cette ouvre qui transformera spirituellement et intellectuellement l’Europe ; les protestants y découvrent « un monument » clair, précis, simple, et humainement logique. La dernière édition augmentée de 1559 contient 80 chap., divisés en quatre livres. La première traduction française date de 1539. Elle est la base de la pensée réformée et a influencé tout le protestantisme, plus encore que les grandes ouvres doctrinales de Luther.

B. Après 1536

La Réforme zwinglienne se poursuit en Suisse depuis 1523. Calvin pense à préserver sa vie en rejoignant Strasbourg, qui appartenait alors à l’Empire germanique et avait été gagné à la Réforme depuis 1523. Il pense y étudier paisiblement sous la protection du guide spirituel Martin Bucer.

Mais les guerres de Champagne le forcent à passer par Genève. Depuis 1535, cette ville connaît la Réforme grâce à Guillaume Farel (1489-1565) – surnommé le « fléau des prêtres », « l’Élie de la Réformation française » – qui avait déjà introduit des idées réformatrices à Neuchâtel en 1529. Averti de son passage pour la nuit à Genève, Farel va le voir pour lui demander de diriger la Réforme de cette ville païenne de 10 000 habitants. Calvin ne cherche qu’à poursuivre son voyage à Strasbourg pour étudier et écrire en toute tranquillité. Farel le menace avec la foudre de Dieu s’il n’y reste pas ! Effrayé, Calvin considère cette menace comme un appel de Dieu pour y demeurer (1536). Farel lui confie les rênes de la Réforme et le seconde puissamment par sa prédication – d’où son surnom « Élie » – jusqu’en 1538 où tous deux sont « remerciés » sans ménagement. Leur système, destiné à transformer Genève en une ville-Église ou Église-État, est jugé trop rigide et harassant par la majorité des habitants : contrôler toute la vie morale et sociale des païens et des convertis. Calvin et Farel voulaient tout simplement instaurer par la force le royaume de Dieu pour sa plus grande gloire à Genève ! Glorifier Dieu par tous les moyens sans en négliger aucun ! Rappelons-nous bien que cette façon de faire hérite d’une longue histoire médiévale : tout peut être imposé par la force et cela pour la gloire de Dieu ! Enfants du xvie s., ils ignorent nos concepts modernes de tolérance, de liberté de conscience et d’expression. (Fait étrange : ces concepts modernes trouvent leur fondement dans la théologie de Calvin !) Or, les magistrats, les grandes familles et le peuple ne se sont pas libérés de la tyrannie papale ni de celle du Duc de Savoie (1526) pour tomber sous celle, réformée, du type calvino-farélien ! En fait, leur système et son application par les autorités civiles n’étaient pas bien  « rodés », comme ils le seront lors du retour de Calvin en 1541.

Farel rejoint Neuchâtel (il y mourra en 1565), et Calvin rejoint enfin Strasbourg ! De 1538 à 1541, mûrissant sa pensée dans un lieu calme, il profite de la sagesse théologique de Luther via Bucer, et de la structure de l’église locale mise en place par ce dernier. Les idées bucériennes influencent les écrits de Calvin, au point d’en devenir la pierre d’angle. La logique de Calvin éclaire les idées de la Bible très simplement. ce qui ne place cependant pas L’Institution chrétienne dans le Canon du N.T. ; il n’invente pas les idées bibliques, mais les systématise2.

Il passe trois années heureuses à Strasbourg :
1. Comme pasteur de l’église des réfugiés français, il peut imposer ses conceptions disciplinaires dans l’église.
2. C’est un docteur en théologie très apprécié.
3. Il est honoré par la ville et la représente aux conférences religieuses importantes en Allemagne.
4. Il se marie à une veuve qui a deux enfants d’un pasteur anabaptiste.

En 1540, le parti évangélique reprend le pouvoir à Genève et rappelle Calvin, qui refuse pendant un an. En 1541, il cède, considérant que Dieu l’appelle pour instaurer le royaume de Dieu (il aimait beaucoup le livre du Deutéronome) : « tout pour la gloire de Dieu ».

C. Après 1541

Avec le retour en puissance de Calvin, Genève devient le creuset d’un type d’homme et d’une civilisation qu’il pense être dignes du christianisme. Tel est le Royaume de Dieu strictement établi, ordonné, total et définitif, dont le moralisme dans un climat d’inquisition frôle l’hypocrisie, surtout parmi les non-convertis. Personne ne sera toléré qui s’oppose à la volonté de Dieu ! Dans les Ordonnances, appuyées par son nouveau Catéchisme, les lignes directrices de son système théocratique sont élaborées. L’Eglise liée au pouvoir civil – lui-même dominé par Calvin et ses amis – doit contrôler tous les aspects de la vie d’un individu, chrétien ou non ! C’est l’Eglise d’Etat : les autorités civiles, un Consistoire de 12 pasteurs et anciens formant une sorte de tribunal d’inquisition, doivent appliquer les règles et les décisions ecclésiastiques. Calvin croit sincèrement que le Royaume peut être imposé par la force, car le Dieu Créateur est le Maître du monde. Cette souveraineté doit s’appliquer à tous les Genevois. Tous les moyens sont employés pour atteindre ce but. Entre 1541 et 1546, 58 personnes sont condamnées à mort et exécutées, 78 sont bannies ! Calvin dit n’avoir aucun regret, car l’honneur du Dieu souverain (mot-clé chez lui) est en jeu ! Le cas odieux de Michel Servet, hérétique, brûlé au poteau en 1553, deviendra le plus célèbre.

La vie de Calvin est traversée par des périodes d’accalmies, malgré 17 controverses majeures qui lui prennent beaucoup de temps. Il produit un travail prodigieux : par ses commentaires écrits de la Bible, par ses fréquentes prédications chaque semaine, par l’enseignement et par une correspondance volumineuse avec toute l’Europe (rois, pasteurs, théologiens, etc.).

Il doit lutter âprement jusqu’en 1555 contre tous ses adversaires pour finaliser l’implantation du « règne théocratique » à Genève. A partir de cette date et jusqu’à sa mort en mai 1564, on peut dire que la paix règne dans les cours de Calvin et des Genevois. Quoique de santé fragile, souvent douloureusement malade, il n’épargne jamais ses efforts pour conserver les acquis.

Il a l’idée géniale de fonder « l’Académie », l’actuelle Université de Genève, où des centaines d’étudiants de tous horizons sont enseignés : théologie, exposé biblique, grec et hébreu, philosophie, physique, mathématiques. Aux plus de 2150 églises réformées de France, il écrit : « Envoyez-nous du bois et nous vous renverrons des flèches » ! Ces flèches françaises formées à Genève sont devenues l’armée de Dieu portant l’Evangile partout en Europe en vue de fonder des églises réformées ancrées dans la doctrine élaborée par Calvin. Une réussite fulgurante. Où sont ces « flèches » dont la France et l’Afrique du XXIe siècle ont tant besoin ?

Conclusion

Ce colosse, dont le cour fut une matière précieuse pour l’Évangile de la grâce de Dieu en Jésus-Christ par l’Esprit Saint, possédait cependant des pieds de fer et d’argile. Aucun grand réformateur n’était un « saint » selon nos standards, mais tous étaient des géants dans leur époque, pétris par la Parole de Dieu et marqués par l’époque médiévale dont ils sortaient, pour la grande tâche que Dieu leur avait confiée. Chacun savait qu’il ne répondait qu’à Dieu, et que personne avant eux n’avait eu à accomplir une telle fonction. Pour Dieu et pour sa gloire, ils n’avaient pas peur de qui que ce fut, et aucun d’eux ne recherchait sa propre gloire. Tous travaillaient de manière totalement désintéressée. Ce type de conducteur spirituel nous manque aujourd’hui. Calvin est mort plutôt pauvre alors que cet homme exceptionnel aurait pu s’enrichir.

Tous sortaient de « l’âge des ténèbres » qui les accaparait spirituellement et intellectuellement. Calvin, en rencontrant le Jésus biblique et le salut par la grâce et par la foi, s’est retrouvé pionnier malgré lui dans un environnement ignorant la pure vérité, totalement hostile et tyrannique. Il a fait ce qu’il a pu comprendre de la volonté de Dieu.

Luther et Zwingli ont ouvert la route, mais Calvin a puisé dans leurs indications doctrinales un carnet de bord que tous les protestants évangéliques utilisent d’une façon ou d’une autre depuis, sans probablement le savoir, et ce, quelle que soit leur étiquette confessionnelle.

Calvin était un enfant de son époque. Malgré ses erreurs inexcusables, voire abominables, des érudits catholiques romains (voire certains Jésuites!), des sceptiques, des protestants de tout bord, des littéraires allemands, français, anglais, hollandais, écossais, américains, reconnaissent en Calvin le plus grand exégète et théologien de la Réforme. Et ce, malgré cette impression d’une spiritualité calviniste austère et peu affective, plus soucieuse de l’honneur de Dieu que de la manifestation de son amour pour les convertis et les perdus. L’un exclut-il l’autre ? Nous avons besoin des deux en même temps, car nous honorons Dieu en aimant les autres membres du corps de Christ, et en aimant aussi les perdus.

Attention : en lisant Calvin le principe d’Actes 17.11 s’applique dans toute sa rigueur, car ses écrits n’appartiennent pas au canon scripturaire. Certains calvinistes laissent parfois l’impression de penser que les écrits de Calvin descendent directement du Trône ! Il lui est arrivé de se contredire (voir le prochain article de cette série) ! Cela n’enlève rien au fait que la lecture de Calvin est des plus profitables.

Le sceptique français Ernest Renan, de l’Académie française, historien hors pair, qui rejetait les doctrines de Calvin, a toutefois décrit dans un article de 1880 Calvin comme « l’homme le plus chrétien de son siècle ». L’historien suisse Merle d’Aubigné (mort en 1872) écrit : « Calvin est celui qui a travaillé, a écrit, a agi, et a prié le plus pour la cause qu’il avait embrassée. ». John Knox (1513-1572), grand réformateur écossais, après deux séjours à Genève, appelle la ville, « l’école de Christ la plus parfaite que le monde n’ait jamais vue depuis les jours des apôtres. ». Calvin considère Genève comme une ville de refuge pour les protestants persécutés, l’exemple d’une bonne communauté chrétienne disciplinée, et un centre hors pair pour la formation des ministres de l’Évangile.

1 La patristique est l’étude des textes et de la doctrine des « pères de l’Église ».
2 Calvin croit sans faille que la Bible est la véritable parole de Dieu, et que sa théologie est une expression pure de la théologie biblique énoncée de manière systématique pour le XVIe s. Or, il ne fournit aucune référence biblique appuyant son affirmation selon laquelle l’homme « a un sens de déité. ». Dans son explication de la doctrine de la prédestination (Éph 1.5, 8), Calvin se fonde sur la quadruple notion de causalité d’Aristote (les causes efficiente, matérielle, formelle, et finale). Cela veut dire que Calvin emploie sans aucun doute des catégories d’Aristote pour exprimer sa compréhension de l’enseignement de l’Apôtre Paul ! Une question se pose : jusqu’où la théologie de Calvin fut-elle influencée, consciemment ou non, par des idées philosophiques (il cite Aristote, Epicure, Platon, les Stoïciens, et Cicéron) ? De plus, Calvin avait tendance sur certaines questions à s’accorder avec Thomas d’Aquin


Marc 12.41-44

« Assis vis-à-vis du tronc, Jésus regardait comment la foule y mettait de l’argent. Plusieurs riches mettaient beaucoup. Il vint aussi une pauvre veuve, et elle y mit deux petites pièces [lepton] faisant un quart de sou. Alors Jésus appela ses disciples et leur dit : En vérité, je vous le dis, cette pauvre veuve a mis plus qu’aucun de ceux qui ont mis dans le tronc ; car tous ont mis de leur superflu, mais elle a mis de son nécessaire, tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. » (Marc 12.41-44)

Dans notre évangile c’est la dernière fois que nous trouvons le Seigneur dans le temple. L’épisode de « l’offrande de la veuve » est donc le dernier regard du Maître jeté dans « la maison de son Père », devenue « une caverne de voleurs » (Marc 11.17). Cette veuve est non seulement « l’exception qui confirme la règle » mais elle est « une bouffée d’air frais », « un parfum de bonne odeur » pour Celui qui n’a devant lui plus que le sacrifice suprême.

D’une façon non ostentatoire, remarquée seulement par Celui qui « voit dans le secret » (cf. Mat 6.4), elle donne tout son avoir contenu facilement dans le creux de sa main. Deux « leptons »1 . c’est tout dire. Son offrande représentait un pain : la nourriture indispensable pour un jour, pour elle et peut-être pour ses enfants. Ainsi nous comprenons mieux le regard et les paroles du Seigneur : Ce ne sont pas « deux petites pièces » qu’elle donne mais c’est son pain, son unique pain, son dernier pain, « de son nécessaire, tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. »

Pourquoi donc n’a-t-elle pas donné une seule « petite pièce » ? Cela aurait été un don considérable : la moitié de sa fortune !

. Le cour a ses raisons que la raison ne comprend pas : elle a une occasion unique de tout donner et elle ne la manque pas. En jetant ses deux dernières pites dans le tronc, en donnant son dernier pain, elle se jette sans réserve ni condition dans les bras du Dieu qui a promis de « soutenir l’orphelin et la veuve » (Ps 146.9, cf. Deut 33.27).

Vous serez d’accord avec moi : s’il est facile de donner plus que cette pauvre veuve, il est difficile de donner autant !

1 Sens proche de « pelures ».


(Marc 1.21-28)

Quand Jésus prend la parole, la foule s’étonne, un démon s’alarme, les religieux s’effacent, les légalistes s’agacent (11.18) : c’est le royaume qui avance ! Nos interventions reflètent-elles sa puissance ? Selon Marc, c’est une question d’autorité. En effet, parler c’est prendre autorité sur son auditoire pour l’influencer (2 Cor 10.8) : si le but ne sert pas Christ, il le dessert.

L’enseignant est d’autant plus responsable qu’il a reçu plus d’autorité pour influer sur l’action, la pensée, ou la conviction de son auditoire (Jac 3.1). Mais nous sommes tous appelés à discerner au nom de quelle autorité nous témoignons à un non-converti ou encourageons un frère. N’en déplaise au relativisme ambiant, Dieu seul rend notre parole efficace (1 Cor 2.4). Comment évaluer sa puissance spirituelle ? Tirons des éléments de réponse de Marc 1.21-28.

I. Observation

Dans cet évangile, Jésus parle peu, mais ses paroles en disent long. Ce passage traite moins de la doctrine de Jésus (évoquée en 1.15) que de sa pédagogie et de son influence.

1. L’intervention du démon

Le démon reconnaît leur entière séparation d’intérêt : « Qu’y a-t-il entre nous et toi ? » Il sait que Jésus vient détruire le règne de Satan. Il clame devant tous une messianité qu’il oppose à son humble origine. espérant peut-être une réaction hostile de la foule. Jésus dérange par sa présence, son message inhabituel, son autorité qui remue les foules. Il est le Messie : celui dont la parole libère du péché et de toute autorité rivale (chair, monde, malin).

2. La réaction de la foule

La foule a noté l’autorité du prédicateur : sa parole « frappe » littéralement (grec : ekplessô). L’intervention du démon défie un instant cette autorité, mais son échec la confirme et l’amplifie. La foule constate alors, presque « terrifiée » (grec : thambeô), l’autorité du guérisseur : sa parole possède une redoutable efficacité aussi dans le monde spirituel !

II. Interprétation

1. L’importance d’une bonne pédagogie

Marc relève deux oppositions à Jésus : celle des scribes et celle des démons. Que peuvent-ils  bien avoir de commun ? Ils agissent au nom d’une autre autorité que celle de Jésus. Les démons nuisent au royaume de Dieu, et les scribes ne le soutiennent pas. Aucun ne sert Dieu.

Après l’exil, les scribes étaient chargés de garder la loi pour l’enseigner et la faire appliquer. Esdras a rempli à merveille son noble rôle (Esd 7.10). Mais ses successeurs, au lieu de servir Dieu et son peuple, servent leurs intérêts. Aveugles à leur belle vocation, aveuglant aussi le peuple pour son plus grand malheur (Mat 15.14). Au lieu de le préparer à reconnaître Jésus, ils l’incitent à le calomnier (3.22), et se rendront complices de sa crucifixion (15.1,11-14).

On comprend mieux la présence d’un démoniaque dans une synagogue ! Certainement que l’enseignement traditionnel ne le gêne pas outre mesure. Il se réjouirait même ! Car les scribes, qui monopolisent souvent la parole, endorment plutôt le peuple au lieu de le préparer à la venue de son Messie. C’est tout le drame d’une mauvaise utilisation de l’autorité déléguée par Dieu. Le terrible contre-exemple des scribes avertit : « Ceux qui conduisent ce peuple l’égarent, et ceux qui se laissent conduire se perdent [ou : sont engloutis] » (És 9.16).

2. Deux autorités en question

Comparons les caractéristiques de la parole de Jésus et de celle des scribes, comme nous y invite Marc. A son époque, le rapprochement entre Jésus et les scribes est limpide. Pour le comprendre, lisez Marc 7.3-13, qui rapporte l’affrontement célèbre entre Jésus et les conducteurs religieux du peuple (scribes et pharisiens). Parmi les traits dénoncés par Jésus, deux nous intéressent particulièrement.

Autorité de Jésus dans Marc 1

Autorité des scribes éclairée par Marc 7

La Parole vivante

Convergent vers Jésus et attestent son autorité, la Loi et la prophétie (représentées par Moïse et Élie en 9.4) – et non seulement le témoignage des prophètes (1.3,7), mais aussi celui de Dieu lui-même, l’Esprit (1.10) et le Père (1.13). Comme l’a prédit Moïse (Deut 18.18), Dieu parle directement en chair et en os. Jésus est vraiment la Parole de Dieu.

Mieux, Jésus est le salut qu’il professe (Jean 5.39) ! Par lui, tout devient clair ; sans lui, tout demeure incompréhensible, comme voilé.

Leur tradition (méprise la Parole de Dieu)

Leur enseignement n’est pas le fruit d’une méditation personnelle, mais une synthèse érudite d’opinions souvent contradictoires !

D’ailleurs, Jésus confondra leur connaissance de paille (12.35-37).

En exaltant leur tradition1, les scribes relèguent au second plan l’autorité de la Parole de Dieu : « Vous abandonnez le commandement de Dieu, et vous observez la tradition des hommes » (7.8).

La parole en action

Jésus n’enseigne pas seulement, mais sa parole agit conséquemment. Parler avec autorité, selon Marc, c’est parler preuves à l’appui. Son évangile va certifier à 19 reprises l’autorité du Maître en illustrant sa puissance sur la maladie, la nature, les démons, sur la mort, voire le pardon du péché (2.5) !

A messager divin, message exceptionnel, signes éclatants ! Bien que l’Évangile selon Marc dépeigne un Jésus tout en actions, celles-ci ne sont pas gratuites : elles interprètent ce qu’il enseigne, tout comme son enseignement interprète ses actions (ex. : 2.10).

Leurs théories (abolissent l’obéissance à Dieu)

Les scribes se complaisent dans des systèmes spéculatifs leur évitant d’obéir au véritable commandement de Dieu (12.28-31). Leur méthode déroute : une telle quantité d’opinions discordantes neutralise le but pratique pour lequel la Parole est révélée. Ils n’incitent pas le peuple à obéir à Dieu, mais à leurs rituels. Mortel troc !

D’ailleurs, leur piété de surface n’est aux yeux de Dieu que du vent (7.7), simple apparence (12.40).

En exaltant leur tradition, ils anéantissent l’autorité de la Parole, sa puissance de vie : « annulant ainsi la parole de Dieu par votre tradition, que vous avez établie » (7.13).

En conséquence, Israël a perdu sa dignité de peuple élu, le ministère (ou sacerdoce) confié par Dieu pour guider les nations (Ex 19.6). A cause de ses responsables, le peuple est mort spirituellement et moralement, préférant ses penchants naturels à l’alliance de vie : « Mon peuple est détruit, parce qu’il lui manque la connaissance. Puisque tu as rejeté la connaissance, je te rejetterai, et tu seras dépouillé de mon sacerdoce » (Os 4.6).

III. Application

1. Attention danger !

a. La leçon des scribes

Les scribes devaient réveiller le peuple, ils l’ont décimé. « Malheur au pasteur de néant, qui abandonne ses brebis ! » (Zach 11.17a). Malgré l’habit religieux, scribes et « responsables spirituels » semblent aussi coupables que ce démon (cf. 1 Cor 2.8). Leur contre-exemple nous interroge : risquons-nous un tel danger ? Comme le craint un prédicateur, pourrions-nous répondre un jour à un envoyé de la grâce : « Qu’avons-nous à voir avec toi ! » ?

La Bible parle d’un jugement qui commencera par la maison de Dieu, pour qui aura porté son autorité en vain. Jésus nous avertit du constant besoin d’être réveillés de notre torpeur (14.38). Dans sa grâce, il envoie des hommes « marteler » la vérité (Jér 23.29)2. Eux-mêmes sont appelés à se juger pour ne pas être jugés : quand je prêche, entend-on le héraut de Christ ou un fonctionnaire de la Bible ? Mes ouvres montrent-elles la lumière de Dieu (Mat 5.16) comme Israël voyait Moïse rayonner la gloire divine (Ex 34.34s) ? Ces avertissements effrayants sont en réalité une belle chance pour nous de réagir pendant le temps qui reste.

b. Une responsabilité partagée

C’est que l’enjeu est de taille : sans Christ, une réunion d’église a-t-elle encore du sens ? Quand ses responsables délégués guident un peuple éveillé vers Christ, c’est l’Évangile qui avance. Combien d’hommes de Dieu, à travers les siècles et aujourd’hui encore, par leur peine, leur douleur et leur persévérance ont témoigné leur amour du Seigneur et leur souci pour les brebis qu’il leur a confiées ! Hélas, combien s’épuisent, ou se font piéger par la tradition, ou par le confort de leur position. Ne sont-ils pas souvent injustement chargés de tâches qui les éloignent de leur vocation (Act 6.4) ? Un serviteur de Christ saura les décharger (Gal 6.2,6) ; ne le sommes-nous pas tous ? Sachons les encourager à nous encourager !

2. Que faire ?

a. Agir en Christ

Contre le pouvoir anesthésiant d’une tradition sans Esprit, seul Christ transcende notre parole (Col 2.8). Jésus est notre autorité. En lui, nous ne possédons pas l’autorité apostolique pour ajouter à l’Évangile3, mais celle qui donne le droit de le proclamer et de le faire respecter. Dieu a appuyé la prédication des Réformateurs car ils savaient de qui ils parlaient, quand d’autres répétaient machinalement des paroles qu’ils ne comprenaient plus (Mat 6.7 ; 2 Cor 3.14). Comment bénéficier de cette autorité et de cette puissance ?

En demeurant dans la Parole vivante de Dieu. Notamment par l’immersion dans sa Parole écrite (Héb 4.12). Centre de la révélation, Jésus l’éclaire. Sans Christ, la Bible a-t-elle encore du sens ? Interprète par excellence de la Parole de Dieu, il est cette Parole. L’efficacité d’un témoignage, d’un encouragement, ou d’une prédication repose en Jésus (cf. 1 Thes 2.13), sur la base d’une étude systématique sérieuse, personnellement méditée (1 Tim 4.13-16 ; Jos 1.8 ; Ps 1.2 ; 119.99 ; etc.). Sola scriptura : la Bible suffit, qui enseigne une vie en règle avec Dieu et les hommes. En cela, son autorité vaut toutes les lettres de créance4.

b. Agir en conséquence

Contre la facilité illusoire d’une doctrine sans chair, seule compte une parole suivie d’actes conséquents d’amour (1 Jean 3.18 ; Gal 5.6). Je suis le premier acteur de mon enseignement.

Certaines contradictions sont dévastatrices, surtout au service de Dieu (Tite 1.16). Combien de chrétiens abandonnent leur assemblée à cause d’un décalage accablant entre les mots et les actes ! Il n’est pas aisé pour le chrétien, prédicateur ou non, d’espérer écoute et obéissance sans montrer l’exemple. Pire, si ses actes « parlent plus fort que ses paroles », selon l’adage.

Conclusion

Autre chose oppose Jésus et les scribes : son infaillible compassion (3.20 ; 6.34) et leur indéniable égoïsme, hypocrite au point de subordonner la sagesse divine à leur gloire personnelle, la vérité éternelle à l’opinion populaire : c’est particulièrement frappant lorsque la question de l’autorité est explicitement posée en Marc 11.27-33.

Contre la norme ambiante (Rom 12.2a), Jésus enseigne une autorité dans l’humilité du service mutuel (10.42-45). Héritiers avec Christ, nous sommes d’autant plus serviteurs que nous avons toute légitimité d’annoncer la meilleure nouvelle de tous les temps. Prendre la parole ne donne pas droit à l’autorité, mais notre autorité en Christ donne le devoir de parler. Celui qui voit guide l’aveugle, et sert selon son degré de connaissance (Rom 12.3ss ; 1 Cor 15.10).

Face à ce triple choix – tradition ou Écriture, théorie ou obéissance, égocentrisme ou compassion – résumons ainsi : s’il veut que sa parole soit puissante, que celui qui parle fonde son autorité sur le modèle d’humilité de Jésus en sachant de quoi et de qui il parle et en le prouvant dans ses actes, développant un amour sincère pour son interlocuteur.

Que notre présence dans ce monde à l’agonie transmette ainsi la vie de Christ qui fait croître son corps en quantité – dans la justification – et en qualité – dans la sanctification.

Soli Deo gloria !

1 La tradition biblique (2 Tim 2.1-2 ; Tite 2.1) est bonne, mais le danger survient quand les ajouts ecclésiastiques tentent de la dominer. Cf. F. Horton, « Les sources de notre connaissance », Promesses, 126, 1998/4, p. 11-23.
2 Sans confondre exhortation constructive et reproche acerbe ! La douceur enseigne aussi bien (Phil 4.5 ; Mat 21.5 ; 1 Cor 4.21 ; Gal 5.23 ; 6.1 ; 1 Pi 3.16 ; etc.) ! Elle frappe d’autant plus que ce monde n’y est pas habitué !
3 Nous ne sommes pas Jésus, et un homme ou une église ne sauraient se prévaloir d’une succession apostolique pour imposer sa propre autorité. L’autorité de la Bible, seule tradition apostolique fiable de l’enseignement de Jésus, est notre référence supérieure. Dans ce sens, Jésus n’est pas un modèle à imiter, comme le diable qui cherche à le singer.
4 Luther, fort de l’autorité apostolique à laquelle il se référait, a pu ainsi avertir sa haute autorité ecclésiastique. Encore aujourd’hui, avec l’autorité de la Parole, nous avons le privilège d’amener à la repentance nos « scribes » ou « papes évangéliques ».


Marc 8.27-9.1

Traduit de « For The Love Of God », avec la permission de l’auteur.

Interrogés par Jésus, les disciples confessent qui il est (Marc 8.27-30). « Christ » est la forme grecque de « Messie », et a un arrière-plan hébreu. Cette confession déclenche un flot de révélations nouvelles de la part du Seigneur Jésus (8.31-38). Dès lors, il leur apprend qu’il faut que le Fils de l’homme « souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, par les principaux sacrificateurs et par les scribes, qu’il soit mis à mort et qu’il ressuscite trois jours après » (8.31). Comme Marc le relève, Jésus « disait ces paroles ouvertement » (8.32). Apparemment, ses commentaires sur le sujet avaient été, jusque-là, nettement plus voilés.

Pour nous qui vivons de ce côté de la croix, il est facile d’être un peu condescendant vis-à-vis de la réaction de Pierre et de son reproche au Maître (8.32). Dans l’optique de Pierre, Jésus se trompait tout simplement. Après tout, les messies ne sont pas mis à mort : ils triomphent. Et comment un Messie, oint par Dieu et faiseur de miracles comme Jésus, pourrait-il perdre ? Bien sûr, Pierre se trompait, il se trompait profondément. Car même les disciples n’avaient pas encore saisi que Jésus le Messie était à la fois roi conquérant et serviteur souffrant.

Mais il y avait plus : non seulement Jésus a insisté sur le fait qu’il allait lui-même souffrir, mourir et ressusciter, mais aussi sur le fait que chacun de ses disciples doit renoncer à lui-même, charger sa croix et suivre Jésus (8.34). À l’oreille d’un homme du 1e siècle, un tel langage était choquant. « Prendre sa croix » ne signifiait pas s’accommoder d’un mal de dent, de la perte d’un emploi ou d’une infirmité. La crucifixion était universellement considérée comme la plus barbare des exécutions romaines, à ne pas même mentionner en société. Le criminel condamné « se chargeait de sa croix », c’est-à-dire prenait le bois de la croix et le portait à l’endroit de l’exécution. Si c’était à vous de vous charger de votre croix, vous n’aviez plus aucun espoir. Il n’y avait plus qu’une mort honteuse et atroce.

Pourtant ce sont les mots que Jésus utilise. Car ce que tous ses disciples doivent apprendre c’est que suivre Jésus implique une renonciation douloureuse à son propre intérêt et une conversion de la personne entière aux intérêts de Jésus. Pourtant le langage rude de Jésus n’est pas une invitation au « masochisme » spirituel, mais à la vie et à l’abondance. Car, selon une loi infaillible du royaume, l’égocentrisme conduit à la mort, alors que « quiconque perdra sa vie à cause de moi et de l’évangile la sauvera » (8.35). Pour quelques-uns seulement, cet engagement implique la perte de la vie physique ; pour nous tous, elle signifie la mort à soi, devenir disciple de Jésus. Et cela implique confesser Jésus avec joie et refuser d’avoir honte de lui et de ses paroles au milieu de « cette génération adultère et pécheresse » (8.38).