PROMESSES

« Que le Dieu de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père de gloire, vous donne un esprit de sagesse et de révélation dans sa connaissance ; qu’il illumine les yeux de votre cœur, pour que vous sachiez quelle est l’espérance qui s’attache à son appel, quelle est la richesse de la gloire de son héritage qu’il réserve aux saints. » Eph 1.17-18

Stefan WALDMANN

Siloé, c’est le nom de l’étang qui a été construit par le roi Ézéchias dans la ville de Jérusalem (2 Rois 20.20 ; 2 Chr 32.30). Ce réservoir avait été fait en vue de temps difficiles.

En dehors de la ville coulait la source de Guihon où Salomon avait été fait roi (1Rois 1). Ézéchias effectua un immense travail depuis cette fontaine pour amener ces eaux dans la ville en prévisions des temps de guerre. La muraille était là pour arrêter les ennemis, et même s’ils touchaient à cette fontaine, les eaux entreraient dans la ville par l’aqueduc souterrain (long de 540 m).

Malheureusement, l’Éternel doit reprocher au peuple de mépriser ces eaux de Siloé qui coulent doucement (Es 8.6)

En Jean 9, Jésus met de la boue sur les yeux d’un aveugle de naissance et l’envoie se laver à Siloé. C’est là qu’il passe des ténèbres à la lumière. Cet homme revient voyant (v. 7). Et plus que cela, il découvre par étapes successives qui est l’envoyé du Père : d’abord il dit que c’est un homme (v. 11), puis un prophète (v. 17) et finalement le Fils de Dieu (v. 35). Non seulement il témoigne de lui, mais il lui rend hommage (v. 38).

Si nous nous lavons dans la Parole de Dieu, nous découvrons notre aveuglement charnel mais aussi la beauté de l’envoyé du Père. Plus nous avancerons, plus nous serons enclins à lui rendre hommage.

A Siloé, les eaux coulent doucement… les ennemis ne peuvent rien contre le ressourcement caché de cet étang.

Encourageons-nous à nous enraciner toujours plus dans la lecture et la méditation de sa Parole. Ainsi, nous pourrons demeurer fermes et inébranlables face aux courants toujours plus contraires à la pensée de Dieu.


Notre monde postmoderne est confronté à des paradoxes frappants. Un exemple : on parle de « pardon collectif » pour enterrer « le passé », alors que, parallèlement à ces efforts humains, violence, haine et guerre remplissent nos quotidiens. On assiste à un renversement des valeurs, et « le mal est appelé bien et le bien est appelé mal ». À l’instar des habitants de Ninive, notre société ne « sait plus distinguer sa droite de sa gauche » (Jonas 4.11). Les termes « pardon », « réconciliation », « paix », n’ont plus la même connotation que jadis. L’Église, annonciatrice de la Bonne Nouvelle, est-elle à même aujourd’hui d’être le héraut du pardon ancré dans les Écritures, ou sonne-t-elle de plus en plus du même cor que le monde ? Avons-nous un message libérateur clair à vivre et à annoncer au milieu d’un monde déchiré par des conflits ? Posons donc les bases nécessaires à un vrai pardon.

A. L’homme en guerre avec Dieu

La réalité de la corruption totale de l’être humain depuis la chute d’Adam et Eve n’est plus à prouver. Nous sommes tous pécheurs et avons tous des penchants vers le péché :

« Il n’y a point de juste, non pas même un seul, il n’y a personne qui ait de l’intelligence, il n’y a personne qui recherche Dieu ; ils se sont tous détournés, ils se sont ensemble rendus inutiles ; il n’y en a aucun qui exerce la bonté, il n’y en a pas un seul… » (Rom 3.10-18).

« Il n’y a pas de différence, car tous ont péché et n’atteignent pas à la gloire de Dieu » (Rom 3.23)

Nous sommes « ennemis » de Dieu (Rom 5.10), spirituellement morts (Éph 2.1) et « enfants de colère » (Éph 2.2).

Dieu, juste et saint, hait le péché, le mal. Il n’en est pas l’auteur. Les chapitres 1 à 3 de la Genèse nous enseignent cette vérité historique que Dieu a créé le monde parfait, mais que par « un seul homme le péché est entré DANS le monde et par le péché la mort et qu’ainsi la mort a passé à tous les hommes en ce que tous ont péché » (Rom 5.12). Séduite par Satan, « le serpent ancien », Ève a cédé à la tentation et a entraîné Adam dans le péché par sa désobéissance à Dieu.

Comment dès lors concilier la justice de Dieu et sa colère face au péché et à celui qui le commet ? Nous devons être conscients que Dieu « s’irrite en tout temps » (Ps 7.12) et « hait ceux qui commettent l’iniquité » (Ps 5.6). Justice doit être faite parce que la loi de Dieu le réclame. De plus, on ne peut pas innocenter celui qui a commis l’iniquité et déclarer coupable celui est innocent d’un acte criminel : « celui qui absout le coupable et celui qui condamne le juste sont tous deux en abomination à l’Éternel » (Prov 17.15).

Donc, « la colère de Dieu est révélée du ciel contre toute impiété et toute iniquité des hommes qui possèdent la vérité (tout en vivant) dans l’iniquité » (Rom 1.18).

B. L’intervention de Dieu en Christ, le pardon

« Si quelqu’un est en Christ, c’est une nouvelle création : les choses vieilles sont passées ; voici toutes choses sont faites nouvelles ; et toutes sont du Dieu qui nous a réconciliés par Christ, et qui nous a donné le service de la réconciliation, savoir, que Dieu était en Christ, réconciliant le monde avec lui-même, ne leur imputant pas leurs fautes et mettant en nous la parole de la réconciliation. Nous sommes ambassadeurs pour Christ, – Dieu pour ainsi dire exhortant par notre moyen ; nous supplions pour Christ : soyez réconciliés avec Dieu ! Celui qui n’a pas connu le péché, il l’a fait péché pour nous, afin que nous devenions justice de Dieu en lui » (2 Cor 5.17-21).

La vérité de l’œuvre substitutive de Christ est le fondement de la foi chrétienne. Dieu a fait de son Fils la victime expiatoire pour nos péchés. Sans l’œuvre de la rédemption qui nous apporte le pardon de Dieu, il n’y a pas de salut, ni de réconciliation, ni de paix pour le pécheur.

– Dieu est l’auteur et l’initiateur du pardon

Dieu est l’auteur et l’initiateur de la réconciliation du pécheur avec lui. Esclave du péché et hostile à Dieu, l’homme est dans l’incapacité de s’approcher de lui si le Père ne l’attire pas. Personne ne peut expier son péché pour apaiser la colère de Dieu et ne satisfaire à sa justice. « Nous sommes des impurs, et toute notre justice est comme un vêtement souillé » (És 64.5). Ni par sa volonté, ni par aucun autre moyen le pécheur peut satisfaire la justice de Dieu. Ésaïe, face à la justice et à la sainteté de Dieu, s’écriait : « Malheur à moi ! Je suis perdu, je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple dont les lèvres sont impures » (És 6.5).

– Dieu a donné le moyen de réconciliation et de pardon

Ce qui fait obstacle au pardon du pécheur, c’est la colère de Dieu contre le péché. Il faut que justice soit faite et que le coupable soit châtié pour apaiser la colère de Dieu et satisfaire sa justice.

L’expiation par substitution

Comment un pécheur peut-il prétendre au pardon ? Pour comprendre en profondeur le pardon, la clé nous est donnée dans 2 Cor 5.21 : « Celui qui n’a point connu le péché, il l’a fait devenir péché pour nous, afin que nous devenions en lui justice de Dieu ».

Christ a souffert la mort à notre place et subi le jugement pour nos péchés. « Les implications profondes de cette vérité sont que la mort de Christ est un paiement pour les péchés de ceux qui croiraient. Il s’est substitué à eux à la barre du jugement. Il a porté leur culpabilité et a subi le châtiment à leur place1 ». Nous l’entendons s’écrier à la Croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mat 27.46 ; Marc 15.34). Toute la colère de Dieu s’est déversée sur Christ à la Croix, où il a expié nos péchés, en subissant le jugement à notre place (És 53.4-6). Il y a eu satisfaction totale des exigences de la justice de Dieu par la mort de Christ à ma place.

Il a payé la rançon (Marc 10.45) pour satisfaire la justice de Dieu. La théorie d’une rançon payée à Satan n’a aucun fondement biblique. Pour le libéralisme théologique et l’humanisme séculier, la doctrine de l’expiation par substitution reste inhumaine, cruelle, inadmissible et simpliste. On la range parmi les concepts des religions, antiques en particulier, de propitiation sous deux aspects : celui d’apaiser les divinités païennes et celui de s’approprier vie et puissance par des rites sacrificiels, l’immolation d’animaux. Mais l’œuvre expiatoire de Christ va à l’encontre de ces théories et religions diverses en apportant la seule et véritable solution au problème du péché et de la mort. En voici les raisons :

– Pour l’humanisme, le péché est d’abord une violation commise contre l’homme et contre la nature, tandis que, pour Dieu, le péché est d’abord une violation de sa loi, une transgression contre la justice et la sainteté du Dieu vivant.

– L’homme verse du sang par l’homme parce qu’il est pécheur. Pour combattre la violence, il utilise la violence. Mais il ne traite pas la cause véritable. Quant à Dieu, offensé par l’homme pécheur, il a fallu un moyen qui satisfasse sa justice et sa sainteté, les conciliant avec son amour. Pour Dieu, la seule expiation acceptable pour le péché était un sacrifice sanglant, car « sans effusion de sang, il n’y a pas de pardon » (Héb 9.22). Christ est ce sacrifice en ce qu’il a donné sa vie, ce dont témoigne son sang versé, ce sang qui conduit à la rémission de nos péchés (Héb 9.11-28).

– Dans toute religion, nous retrouvons l’élément que Dieu a mis dans le cœur de l’homme : «la pensée de l’éternité » et la soif de connaître l’Ultime, Dieu, le Créateur de l’univers. L’homme est toujours à la recherche du « paradis perdu » et les diverses religions sont une simple manifestation des efforts humains et vains pour essayer de le retrouver à tout prix.

– Soudainement, nos premiers parents, lors de la chute, ont pris conscience de leur nudité devant Dieu. Leurs yeux furent ouverts sur leur propre misère, le péché. Ils découvrirent leur culpabilité par imputation devant le Créateur. Les religions antiques portaient ces traces, cherchant par des rites sacrificiels à s’approcher de Dieu. Mais c’est impossible, car aucun moyen humain n’est à même de se substituer au sacrifice de Christ à la croix de Golgotha.

– Dieu, dans sa grâce, a merveilleusement pourvu à notre incapacité de nous approcher de Dieu, de nous sauver par quelque œuvre ou sacrifice humains que ce soit. Pour cela, « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, afin que quiconque croit en lui ne périsse point mais qu’ils ait la vie éternelle » (Jean 3.16). Il a donné son sang, symbole de la vie, car « sans effusion de sang, il n’y a pas de pardon » (Héb 9.22).

– Le sang est donc d’une importance capitale. Il charrie la vie à travers nos artères, nos veines et nos capillaires. Il apporte de l’oxygène pour alimenter les tissus et éliminer le dioxyde de carbone avec d’autres « déchets », en renouvelant ainsi tout le corps. Tant que le sang coule dans nos veines, il y a la vie. La vie est sacrée, car « l’âme de la chair est dans le sang » et… « c’est le sang qui fait propitiation pour l’âme » (Lév 17.11). Le terme « sang » se trouve 365 fois dans la Bible, dont 103 fois en relation avec le sang sacrificiel. Les sacrifices d’animaux devaient être sans cesse répétées ; ils ne pouvaient enlever la culpabilité du pécheur. Jésus, lui, s’est substitué à nous en mourant à notre place pour nos péchés et notre culpabilité. En « entrant une fois pour toutes dans le lieu très saint, non avec le sang des boucs et des veaux, mais avec son propre sang, il a obtenu une rédemption éternelle » (Héb 9.11-12).

« Il était blessé pour nos péchés, brisé pour nos iniquités ; le châtiment qui nous donne la paix est tombé sur lui et c’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris. Nous étions tous errants comme des brebis, chacun suivait sa propre voie ; et l’Éternel a fait retomber sur lui l’iniquité de nous tous» (És 53.5-6).

Il a « fait la paix par lui par le sang de sa croix » (Col 1.20).

Ennemis de Dieu jadis, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils, et « nous sommes maintenant justifiés par son sang, et serons sauvés par lui de la colère » (Rom 5.6-11).

L’imputation

« Celui qui a n’a pas connu le péché, il l’a fait devenir péché pour nous » (2 Cor 5.21). Ma culpabilité devant Dieu a été imputée à Christ ; elle a donc été portée à son compte. C’est lui qui a été déclaré coupable à la place du pécheur. La culpabilité des péchés a été imputée à Christ, mais « non pas transmise » (John F. McArthur). Dieu a mis ma culpabilité sur le compte de Christ qui a été pleinement jugé pour moi.

La justification

À la Croix, le Seigneur a mis sa justice à notre compte. Nous bénéficions de la justice de Dieu, en ce qu’elle a été mise sur notre compte : nous avons été déclarés justes par imputation.

Comment cela ? Dieu, par l’Esprit Saint, a produit la repentance dans le cœur du pécheur qui le cherche, et par la foi en Jésus-Christ il a été sauvé, régénéré.

« La justice de Dieu vient par la foi. » (Phil 3.9)

« Celui qui croit en celui qui justifie l’impie, sa foi est comptée à justice. » (Rom 4.5)

« Repentez-vous… en rémission de vos péchés. » (Act 2.38)

« Dieu… ordonne maintenant aux hommes que tous, en tous lieux, ils se repentent. » (Act 17.30).

Nous recevons ainsi une vie nouvelle, et sommes devenus une « nouvelle création, car les choses vieilles sont passées. Voici toutes choses sont faites nouvelles » (2 Cor 5.17). Nous sommes « devenus justice de Dieu en Christ » (2 Cor 5.21).

Devenus justes par imputation de la justice de Dieu en Christ, nous restons néanmoins des pécheurs sauvés par grâce, marchant sur la voie de la sanctification progressive.

La réconciliation et la paix

« Ayant été justifiés sur le principe de la foi, nous avons la paix avec Dieu par Jésus-Christ » (Rom 5.21). « Dieu nous a réconciliés avec lui-même par Christ » (2 Cor 5.18). Sous l’angle juridique, la réconciliation de Dieu avec le pécheur s’est faite en vertu de l’œuvre rédemptrice de Christ. Par la foi, nous avons pu saisir la main tendue du Sauveur. C’est le pardon judiciaire de Dieu.

Dès lors, nous sommes devenus « ambassadeurs de Christ, et Dieu exhorte les hommes par nous à être réconciliés avec Dieu » (2 Cor 5.20). Notre message est pressant : « Nous supplions les hommes » à se repentir de leurs péchés et à saisir le pardon offert par Christ. « Bienheureux ceux qui procurent la paix, parce qu’ils seront appelés fils de Dieu » (Mat 5.9).

Nos églises ont besoin de redécouvrir la doctrine biblique cardinale du pardon qui implique les différents aspects présentés ci-dessus.

Jamais on a autant parlé de paix, de pardon et de réconciliation dans le monde. Mais est-ce vraiment ce pardon de Dieu ou simplement une sorte de « pardon collectif » provenant d’une grâce à bon marché ?

L’Église remplit-elle cette mission urgente d’apporter le message du pardon, de la réconciliation et de la paix, d’abord de Dieu avec le pécheur, puis des hommes entre eux ? Le pardon, la réconciliation et la paix passent nécessairement par une véritable confession des péchés, par la repentance et la foi en Jésus-Christ qui se traduiront par un changement radical du pécheur coupable.

« Oh, si mon peuple m’avait écouté ! Si Israël avait marché dans mes voies ! En un instant j’aurais confondu leurs ennemis, j’aurais tourné ma main contre leurs adversaires. Ceux qui haïssent l’Éternel, se seraient soumis à lui ; et leur temps, à eux, aurait été à toujours. Et il les aurait nourris du meilleur froment, et je t’aurais rassasié du miel du rocher ! » (Ps 81.13-16).

Le message du pardon de Dieu en Christ transforme le cœur de l’homme. Si le peuple de Dieu vit et proclame ce message-là, nous verrons des réconciliations dans les familles, dans les Églises et parmi les hommes, les tribus, les peuples2.

1John F. McArthur, La liberté et la puissance que procure LE PARDON, édition Impact, Cap-de-la-Madeleine, p. 20.

2Nous recommandons l’excellent ouvrage de John F. MacArthur, La liberté et la puissance que procure LE PARDON, édition Impact, Cap-de-la Madeleine, Québec (Canada). Ce message est un résumé du premier chapitre, Le fondement de tout pardon.


L’auteur, marié et père de deux enfants, a été professeur à l’Institut Supérieur Théologique de Bunia (ISTB), en République Démocratique du Congo (RDC). Actuellement il poursuit ses études de maîtrise en théologie à la NEGST (Faculté de théologie évangélique, Nairobi Evangelical Graduate School of Theology). Il est aussi traducteur des COHETA News, forum par courrier électronique pour un échange périodique de nouvelles, d’informations et de ressources issues de la COHETA (Conseil pour l’Homologation des Etablissements Théologiques en Afrique), des institutions en liaison avec cette dernière ainsi que des écoles théologiques, des organismes de soutien et des personnes intéressées. Son siège est à Jos (Nigeria). La COHETA est une agence de la commission chargée de la formation théologique et chrétienne de l’AEA (Association des Évangéliques en Afrique).

INTRODUCTION

Le pardon est un vaste sujet. Il comprend beaucoup d’aspects, entre autres : le pardon divin, le pardon humain, le pardon accordé par une communauté telle qu’une église. Dans la présente réflexion, je voudrais considérer le pardon humain, c’est-à-dire le pardon mutuel entre les hommes. Pourtant, la notion du pardon ne peut pas être valablement discutée si elle est abordée comme un concept abstrait. Ainsi, le contexte du pardon qui fait l’objet de ma réflexion est celui de la République Démocratique du Congo (RDC), mon pays d’origine, qui fait face à de sérieux problèmes dus aux multiples révolutions armées et guerres civiles. L’Ituri, une région située au nord-est du pays, n’y fait pas exception. Les gens vivent leur vie quotidienne avec les conséquences alarmantes de l’engrenage : les champs, les maisons, les écoles, les bâtiments des églises et hôpitaux sont, soit détruits, soit pillés, soit incendiés. Bien plus, il y a eu de terribles pertes en vies humaines. La société aussi bien que l’Église, croyants et incroyants, sont négativement affectés à tel point qu’ils trouvent très difficile de se pardonner les uns aux autres. Il est très curieux de constater que la plupart de ceux qui ont de la peine à pardonner sont des chrétiens. Pourquoi une telle attitude parmi les chrétiens ? Comment l’Eglise peut-elle, à travers son programme d’éducation, ouvrir à ses membres l’opportunité d’une nouvelle vie de qualité, les libérant ainsi de leur tendance à vouloir se justifier devant Dieu et devant les hommes ? Le pardon peut-il guérir nos éventuelles plaies et nous aider à rétablir nos relations avec les autres? Une vie de pardon a-t-elle vraiment le pouvoir de transformer notre culture et notre société? Que pouvons-nous faire pour augmenter notre capacité de pardonner ?

Telles sont les quelques questions autour desquelles s’articule cette réflexion. J’ai groupé les pistes de réflexion en cinq points. Le premier considère l’exigence du pardon mutuel, le second analyse la nature du pardon, le troisième traite quelques conceptions erronées du pardon, le quatrième esquisse les fondements du pardon mutuel, et le cinquième concerne l’enseignement biblique sur le pardon et son implication sur l’Église du Christ et la communauté de l’Ituri.

EXIGENCE DU PARDON

Comme précédemment mentionné, il est très curieux de constater que la plupart de ceux qui ont de la peine à pardonner sont des chrétiens. Ils justifient une telle attitude en prétendant qu’il y a une condition sine qua non et fondamentale préalablement exigée par le pardon divin ! Ils se réfèrent à Luc 17.3-4 : « … Si ton frère a péché, reprends-le ; et s’il se repent, pardonne-lui. Et s’il a péché contre toi sept fois dans un jour, et que sept fois il revienne à toi, disant: ‘Je me repens’, tu lui pardonneras. » Ainsi, ils avancent que le pardon de Dieu est conditionnel ; il est conditionné par la repentance. Ce qui revient à dire que ceux qui nous offensent doivent tout d’abord regretter leurs fautes et ainsi demander pardon. L’Archidiacre Temple fait allusion à un tel argument presque populaire quand il déclare : « Il est souvent dit que la doctrine de notre Seigneur est celle du pardon gratuit avec la seule condition de la repentance… »1

Cette exigence semble être en accord avec les principes éthiques. Ainsi, vu qu’il existe une condition fondamentale et préalable au pardon de Dieu, l’opinion populaire est que ceux qui nous ont offensés doivent obligatoirement regretter le tort qu’ils commettent contre leurs victimes, se repentir et ainsi demander pardon.

NATURE DU PARDON

Huit mots dans les Écritures saintes contiennent l’idée du pardon. Trois d’entre eux se retrouvent dans l’Ancien Testament (kipper, nasa et salah), et cinq dans le Nouveau Testament (aphesis, hilaskomai, apoluô, kaluptô, charizomai). Il convient de mentionner ici que, pour les termes de l’Ancien Testament, nasa est utilisé pour le pardon divin et le pardon humain, alors que kipper et salah se réfèrent uniquement au pardon divin.2

S’agissant de ceux du Nouveau Testament, aphesis est le plus commun. Il revient quinze fois et est généralement rendu par ‘pardon’. Le verbe, avec le même sens, est très commun : il revient quarante fois. Charizomai est seulement employé par Luc (Luc 7.21 ; Act 3.14, etc.) et par Paul. Ce dernier seulement l’emploie dans le sens de ‘pardon des péchés’ (cf. 2 Cor 2.7 ; Eph 4.32 ; Col 2.13; 3.13). L’idée de base pour tous les deux est celle du pardon gracieux de Dieu. Dans la pensée de Paul, le mot exprime essentiellement l’idée selon laquelle Dieu nous pardonne gratuitement toutes choses (cf. Rom 8.32). C’est dans ce contexte que Grider affirme qu’aucun livre religieux, excepté la Bible, enseigne que Dieu pardonne le péché complètement. 3 De tout ceci que pouvons-nous alors retenir du concept de« pardon » dans le sens biblique du mot ?

Par « pardon » nous comprenons le fait d’accorder l’amour à celui qui nous a offensé. Il est un don d’amour gratuit, une grâce. C’est une libération sans caution ; celui qui pardonne renonce à ses droits et refuse la vengeance. Il offre l’amour quand l’ennemi s’attend à la haine, il ne tient pas rigueur des fautes passées. Le pardon restaure le présent, nous guérit pour l’avenir et nous libère du passé.4 Ainsi qu’on peut le constater, le pardon est un processus, un processus dont le premier pas consiste à abandonner la vengeance contre quelqu’un ou contre un groupe de personnes. L’expérience de Marion Partington est très pertinente et tombe bien à propos ici. Marion Partington avait une sœur qui s’appelait Lucy Partington. Cette dernière a été lâchement assassinée par la famille West en décembre 1973.5 Racontant ce douloureux événement, Marion dit : « Je pense que ce que je suis en train d’apprendre sur le pardon est qu’il est un long processus ; et il est prétentieux et hypocrite pour moi de penser que je peux pardonner à la famille West avant que je ne puisse accepter dans ma propre vie les gens qui me doivent le pardon ainsi que ceux-là à qui je dois le pardon.»6

Il découle de ce qui précède que le pardon est une expérience, une expérience dynamique. Rachel Henderlite la décrit comme « l’expérience d’être enlevé d’un état à un autre. »7

QUELQUES CONCEPTIONS ERRONÉES DU PARDON

1. Pardonner à quelqu’un ne veut pas dire que l’offense dont on est victime n’a pas d’importance ; d’autant plus que, dans la perspective divine, le péché reste péché – qu’il soit grand ou petit.
2. Le pardon n’est pas synonyme d’oubli. Pardonner ne garantit pas la capacité d’oublier complètement. En fait, il est difficile de pardonner à quelqu’un quand on se souvient en son cœur du tort dont on est victime. Il est possible de revivre l’événement, soit éveillé soit en rêve.
3. Pardonner à quelqu’un ne veut pas dire que l’offenseur a changé d’attitude, ni qu’on peut tout de suite se fier à lui. Cela peut prendre assez de temps avant que l’on soit prêt à lui faire pleinement confiance.
4. Le pardon n’exclut pas la justice. La Bible parle de la responsabilité des criminels vis-à-vis de leurs fautes (Rom 13.3-4).

FONDEMENTS POUR LE PARDON MUTUEL

En fait, beaucoup de chrétiens ne sont pas disposés à pardonner à leurs offenseurs. Pourtant, il y a bien des raisons pour pardonner.

1. Raison relationnelle. Dans le but de restaurer sa relation avec Dieu et la fraternité, le chrétien devrait logiquement démontrer l’expression de sa disponibilité à offrir le pardon à quiconque en a besoin. Ainsi, il devrait se libérer de sa colère contre son offenseur en vue de rétablir sa relation avec Dieu aussi bien qu’avec ses semblables (Marc 11.25 ; Mat 6.12).
2. Raison curative. Si nous ne pardonnons pas à notre prochain, nous permettons à l’amertume de croître dans notre cœur, ce qui portera atteinte à notre santé, nous fera souffrir mentalement (cf. Héb 12.15).
3. Raison spirituelle. Jésus est un exemple parfait à suivre. Il a porté les péchés de l’humanité sur la croix, pardonnant à ceux qui le tuaient. Notre refus d’accorder le pardon à nos offenseurs prouverait que nous n’avons pas encore compris la signification de la mort de Jésus sur la croix (Mat 8.1-35). En tant que chrétiens, nous devrions clairement faire preuve de la magnanimité du pardon de Dieu, eu égard à nos péchés et aux blessures causées par les guerres incessantes, et considérant l’immensité de notre dette devant Dieu, dette que nous ne pouvons même pas payer par nous-mêmes. Temple a bien raison quand il déclare:
« A Lui [Dieu] nous devons chaque moment de notre temps et chaque gramme de notre force… Il pardonne gratuitement, à moins que nous bloquions son pardon par notre propre refus de pardonner les blessures relativement insignifiantes que nos semblables peuvent commettre contre nous ».8
4. Raison d’obéissance. Nous sommes appelés à pardonner aux autres par obéissance à la Parole de Dieu. C’est Dieu qui le recommande (Mat 6.14-15 ; Jac 2.13). Autrement nous donnerions à Satan accès à notre cœur (cf. Eph 4.26-27).
5. Raison héréditaire. Si nous refusons de pardonner aux autres, nous transmettons à la génération future un héritage de vengeance ethnique. C’est-à-dire que nous apprenons à nos enfants, parfois sans le savoir et sans le vouloir, à haïr un autre groupe de personnes. Le danger est que ce comportement se prolonge sans répit pendant des générations.9

ENSEIGNEMENT BIBLIQUE SUR LE PARDON ET LA NÉCESSITÉ D’UNE THÉOLOGIE DU PARDON POUR L’ÉGLISE ET LA COMMUNAUTÉ

L’idée du pardon est centrale dans le message chrétien. Je suis d’accord avec H. D. McDonald quand il estime qu’aucun autre thème ne résume mieux le contenu et l’étendue de l’Évangile que celui du pardon.10 Il ajoute même que le christianisme peut être désigné « l’évangile du pardon ».11 Les Écritures révèlent que le pardon de Dieu est conditionnel, dans la mesure où Dieu pardonne à ceux qui se repentent. Jésus abonde aussi dans le même sens (cf. Luc 17.2-3 : « S’il se repent, pardonne-lui »). L. Gregory Jones révèle que selon la tradition chrétienne, Jésus avait pris la vision hébraïque du pardon et l’avait poussée d’un pas. Il avait proposé une culture radicale, laquelle ne serait pas limitée par des frontières éthniques, religieuses ou politiques, une culture dans laquelle nos relations avec les autres devraient être définies et ajustées par notre reconnaissance continuelle de l’amour de Dieu qui pardonne chacun de nous et le monde entier.12

En principe, avant que nous offrions le pardon à nos offenseurs, nous devrions attendre d’eux leur bonne volonté et disponibilité à venir auprès de nous pour demander pardon. Mais alors que faire si l’offenseur ne vient pas vers nous ? Que faire s’il ne se repent pas ?

En tant que chrétiens, nous devrions être prêts à aller au-delà même du principe éthique biblique explicite. Nous sommes appelés à pardonner inconditionnellement13. Ce qui revient à dire que nous sommes appelés à pardonner même à ceux qui ne reconnaissent pas et ne regrettent pas leurs fautes. Nous sommes appelés à pardonner qu’importe le prix à payer. En offrant le pardon à nos offenseurs, nous devons être prêts à subir les humiliations, moqueries, insultes et dédains dont nous pouvons être objets de la part des autres. Tel est exactement ce que Dieu attend de nous, et exactement ce que Jésus sous-entend dans son enseignement sur le pardon. Bien qu’un tel message ne ressorte pas explicitement dans les Écritures Saintes, voilà implicitement ce que Dieu nous enseigne.

Il est très impérieux pour l’Eglise en Ituri de façonner une théologie orthodoxe du pardon mutuel, une théologie nécessaire et pour l’Eglise et pour la communauté toute entière. Le développement d’une telle théologie s’avère nécessaire pour au moins deux raisons: tout d’abord, elle nous aidera à bien gérer le conflit politique et/ou ethnique persistant, qui a ses sources dans le passé; deuxièmement elle nous aidera à prévoir l’avenir et à changer notre perspective pour le futur.

Le fait que nous soyons chrétiens devrait nous donner le pouvoir et la capacité de pardonner aux autres, ayant nous-mêmes fait l’expérience du pardon de Dieu. Ceci nous permettrait de nous approcher de Jésus et de lui demander de guérir les blessures de notre cœur. Ayant expérimenté la guérison et ayant reçu le pouvoir de l’Esprit, nous devrions sentir le désir naturel d’offrir le pardon inconditionnel aux autres. Nous devrions tout de même nous rappeler constamment les conséquences néfastes de notre refus d’accorder le pardon à nos semblables, conséquences sur notre santé physique et mentale (Héb 12.15), conséquences vis-à-vis de Dieu (Marc. 11.25 ; Mt 6.12). Pardonner à quelqu’un non seulement nous libère de l’amertume qui peut croître dans notre cœur, mais peut constituer un moyen utile que Dieu peut utiliser dans son processus pour conduire cette personne à se repentir (Act 7.60 ; 8.1).

CONCLUSION

La compréhension la plus générale et commune de la nature du pardon, telle que rencontrée ces derniers temps dans la tradition chrétienne en Ituri – après une longue période de violences de toutes sortes – est la suivante: pas de pardon sans repentance. En effet, les discussions qui font rage dans l’Eglise chrétienne tournent sur cette question : faut-il pardonner aux gens avant que ceux-ci se repentent ? Il me semble que cet esprit de réticence découle de l’emphase et de l’importance primordiale que l’on accorde à la justice. Pourtant, on oublie la vérité selon laquelle le pardon est avant tout possible à cause de la mort de Jésus-Christ. La Bible nous demande de pardonner à ceux qui nous ont fait du tort. Ceci inclut tous les faits de guerre et autres souffrances infligées dont nous sommes victimes. Je crois que si nous devons suivre l’exemple de notre Seigneur Jésus-Christ, nous devons offrir le pardon sans condition. Bien entendu, la personne ayant commis le tort ne pourra pas à vrai dire expérimenter ledit pardon à moins qu’elle reconnaisse sa faute. Le pardon n’est possible qu’à cause de l’œuvre infinie de Jésus-Christ. Par là donc, en tant que disciples et imitateurs de Christ, étant nous-mêmes ceux qui ont un standard plus élevé dans le monde, nous sommes tous conviés à nous dépouiller, à nous humilier, à nous dépasser, et ainsi à adhérer à l’école du pardon horizontal, c’est-à-dire à pardonner aux individus, aux autorités politico-militaires et administratives entraînées dans des situations politiques injustes, lesquelles nous ont affectés personnellement ou collectivement.

1Temple, cité par E. Basil, The Forgiveness of Sins, Edinburgh, T & T Clark, 1937, p. xi.
2J.K. Grider, « Forgiveness » in Evangelical Dictionary of Theology, édité par Walter A. Elwell, Grand Rapids, Michigan, Baker Book House, 1984, p.421.
3Ibid.
4Fédération Protestante d’Haïti, Urgence et exigence de la réconciliation, Port-au-Prince, Haïti, 1994, p.29.
5David Self, “Enfolding the Dark” in Forgiveness and Truth: Explorations in Contemporary Theology, édité par Alistair McFadyen et Marcel Sarot, Edinburgh: T & T Clark, 2001, p.157.
6Marion Partington, citée par Self, p.159.
7Rachel Henderlite, Forgiveness and Hope, Richmond, Virginia, John Knox Press, 1961, p. 74.
8Temple, cité par E. Basil, The Forgiveness of Sins. Edinburgh, T & T Clark, 1937, p. xi.
9Richard W. Baggé et al., L’Eglise qui guérit au milieu des traumatismes, s.l., Wycliffe Bible Translators, 2003 rév., p.30.
10H.D. McDonald, Forgiveness and Atonement, Grand Rapids, Michigan : Baker House, 1984, p.7.
11Ibid.
12L. Gregory Jones, cité par Michael E. McCullough, Steven J. Sandage, Everrett L. Worthington, Jr., To Forgive Is Human, Downers Grove, Illinois, Inter-Varsity Press, 1997, p.16.
13N.d.l.r.: Les deux articles Pardonnez-vous réciproquement comme Dieu vous a pardonné en Christ de Philippe Juston et À l’école du pardon mutuel d’Isaac Mbabazi Kahwa sont complémentaires. Une lecture superficielle pourrait donner au premier abord l’impression qu’ils sont contradictoires. C’est loin d’être le cas.
Le premier présente le pardon humain à l’image du pardon divin. La justice de Dieu doit être satisfaite. Christ est mort pour pardonner les pécheurs et celui qui s’approche de Dieu doit saisir le Seigneur Jésus-Christ par la foi et premièrement confesser ses péchés pour saisir la réalité du pardon.
Le second article affirme d’abord la doctrine de la repentance et du pardon, à l’instar du premier auteur de l’article ; mais, ayant vécu les événements à Bunia du conflit ethnique au Congo, il souligne surtout l’aspect de notre pardon inconditionnel envers celui qui nous a offensé. C’est un enseignement implicite dans les Écritures que Jésus a mis en pratique et que les apôtres ont poursuivi.
En conclusion, le pardon gratuit en vertu de la mort de Jésus-Christ pour nos péchés et nos offenses par la foi, nous libère aussi de l’amertume, des ressentiments envers l’offenseur, si nous confessons tout cela au Seigneur, et nous rend capables de l’aimer et de lui pardonner dans notre cœur, même s’il ne vient pas vers nous pour se repentir. Notre devoir est « d’aimer notre prochain comme nous-mêmes » (Mat 22.37-40).
Quant à l’offenseur, il répondra lui-même de ses actes devant Dieu un jour. Peut-être saisira-t-il aussi un jour la grâce de Dieu offerte au même titre qu’à nous !
D’autre part, il incombe aux autorités qui sont instituées par Dieu – quel que soit le régime (l’Épître aux Romains avait été écrite par Paul sous le règne du cruel empereur Néron) – de maintenir l’ordre, protéger les faibles et punir celui qui fait le mal (Rom 13.1-4) ; à ce titre, c’est à ces autorités d’apprécier la responsabilité de celui qui a commis un crime. Toutefois, c’est Dieu qui jugera tout homme en dernier lieu.
Le pardon vu donc sous ses divers aspects inclut la repentance et la discipline et finalement le jugement. L’Église en tant que « lumière du monde » et « sel de la terre » appliquera donc le pardon mutuel, ou le « pardon horizontal » sur la base du pardon « vertical » offert par Jésus-Christ crucifié à tous et accordé à quiconque croit en lui et confesse ses péchés. (H. Lüscher)


Maurice Prohin habite Nîmes, dans le sud de la France. Il est retraité et s’occupe de l’édition et de la mise en page de plusieurs revues chrétiennes. Il est également actif dans son église locale.

Évoquer la notion de délai dans le processus difficile du pardon peut sembler secondaire. Il n’en est rien comme nous allons le voir à la lumière de la parole de Dieu. Nous allons voir combien il est important de distinguer entre le pardon proprement dit et l’octroi du pardon.

Comment la question est-elle réglée par Dieu ? Déjà dans l’A.T., Dieu est appelé « un Dieu de pardons » (Néh 9.17). Dès le début de l’histoire de l’homme, l’Éternel, par la mort d’animaux dont la peau recouvre Adam et Ève, montre sa volonté de pardonner le péché et cela, sans aucun délai. Par contre, le bénéfice de cette disposition divine n’est acquis qu’à ceux qui se reconnaissent coupables devant Lui.

David l’avait parfaitement compris lorsqu’il dit : « Je t’ai fait connaître mon péché et je n’ai pas couvert mon iniquité ; j’ai dit : Je confesserai mes transgressions à l’Éternel ; et toi, tu as pardonné l’iniquité de mon péché » (Ps 32.5).

Le cycle divin est donc :

– « provision de pardon »
– offense
– confession
– pardon reçu.

Dieu, pour ainsi dire, a si peu mis de délai à son pardon que nous trouvons la provision disponible à l’instant qui suit notre faute !

Le chrétien est invité à imiter Dieu (Éph 5.1). À l’image de son Père, il est exhorté à pardonner comme Dieu en Christ l’a pardonné (Éph 4.32). Jésus, dans les Évangiles, ne semble pas supposer un délai entre la faute d’autrui et le pardon accordé dans le cœur.

Comment réaliser un tel programme ? C’est bien là la pierre de touche de notre état spirituel : plus nous vivrons dans la communion avec Jésus, plus nous serons à même de « vivre » ce pardon intérieur et cela, dès l’offense ressentie.

Même s’il s’agit d’un cas exceptionnel, l’exemple d’Étienne nous aide à comprendre cette attitude. C’est au moment même où ses détracteurs pleins de haine le mettaient à mort, qu’il implore Dieu de ne pas leur imputer ce péché.

Soyons cependant persuadés que seule la grâce divine peut nous aider, selon notre mesure de foi, à mettre en pratique l’enseignement biblique : pardonner sans délai !


Josée et Odon Mubilanzila sont déjà connus de nos lecteurs. Un article de leur part a paru dans le no 144 sur le « bonheur de vivre en harmonie ». Ils sont mariés depuis 24 ans et ont 3 enfants. Ils sont, entre autres, conseillers conjugaux et animent des séminaires et des conférences destinés à des couples mariés et fiancés. Plusieurs ouvrages sont dus à leur plume.

Demander pardon ou pardonner est un acte d’humilité de portée significative qui caractérise la relation humaine et particulièrement l’amour ; c’est un privilège de la race humaine.

Dans un couple en difficulté ou en conflit, la réconciliation est bien sûr recommandée ; mais elle est inconcevable en dehors du pardon, qui seul est capable de faire découvrir le mystère de l’amour de Dieu aux conjoints tout comme sa grandeur.

En effet, lorsque nous pardonnons, réalisant l’immensité incommensurable de l’amour et de la miséricorde divines, nous pouvons prétendre aimer réellement comme Dieu nous aime. Ainsi, aimer c’est aussi pardonner. La Bible ne nous dit-elle pas dans 1 Cor 13.7 que « l’amour pardonne tout », « supporte tout » ?

Le fondement biblique du pardon dans la relation humaine et, partant, dans le couple, repose sur :

– le besoin de réconciliation et d’unité (Mat 5.23-24 ; 12.25) ;
– le besoin d’harmonie (Amos 3.3) ;
– la communion fraternelle (Ps 133) ;
– la compassion pour les autres (Rom 15.1).

Le pardon entre époux est inconditionnel, à l’exemple de Jésus-Christ qui a pardonné à ceux qui l’ont offensé, injurié, battu et mis à mort. C’est ainsi que chaque fois que nous demandons pardon à Dieu, il nous pardonne et oublie. C’est la même attitude qu’il nous recommande d’adopter envers notre conjoint. Réfléchissons à ce que veut dire dans une relation de couple ces deux déclarations du Seigneur : « Pardonne nos offenses comme nous aussi pardonnons à ceux qui nous ont offensés » (Mat 6.12) ; et « Si donc tu présentes ton offrande à l’autel et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel et va d’abord te réconcilier avec ton frère, puis viens présenter ton offrande » (Mat 5.23-24).

Appelés à se pardonner réellement1, chaque époux se conformera à la recommandation de Jésus-Christ : « Si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre père ne vous pardonnera pas non plus vos fautes » (Mat 6.15).

Ceci explique, si besoin en était, pourquoi le pardon est indissociable de l’amour et de l’harmonie. Expression de l’amour, le pardon dans la relation humaine ou conjugale est important parce qu’il libère de l’amertume, de la haine, de la tension — bref de tous sentiments contraires à l’amour.

Cet exercice est rendu souvent plus difficile entre époux lorsqu’ils ont une maturité spirituelle différente ou encore lorsque l’un des deux se place très haut sur son piédestal, se croyant sans défaut et considérant l’autre comme pécheur ou charnel. Le pardon appelle l’humilité qui, elle, place les deux conjoints sur un pied d’égalité. Jacques 4.6 ne nous met-il pas en garde judicieusement : « Dieu résiste aux orgueilleux, mais il fait grâce aux humbles » ? Demander ou accorder le pardon est une expression de la crainte de Dieu et une attitude d’humilité de la part de l’homme qui démontre qu’il s’engage à ne plus revenir sur la même faute. Ainsi, le conjoint fautif, demandant pardon, ne cherchera pas à s’expliquer pour avoir raison. Son attitude et son engagement positif, conjugués à la grâce divine, l’aideront à tout mettre en œuvre pour ne pas récidiver.

Voilà pourquoi le pardon consécutif à une faute sans cesse répétée peut se vider de son sens et semer le doute auprès de l’offensé quant à la sincérité de l’offenseur.

Le manque de pardon entraîne beaucoup de conséquences, tant dans la relation humaine que conjugale au nombre desquelles : les blessures intérieures, le mépris, le manque de considération pour l’autre etc. Votre conjoint étant votre alter ego, il y a lieu de le considérer à sa juste valeur et de lui rendre toute la considération qu’il mérite pour le mettre véritablement à sa place. Autrement, des conséquences fâcheuses risquent d’altérer la relation conjugale au point de rendre les conjoints méfiants.

Et pourtant, le couple est appelé à vivre dans la confiance et dans la transparence totale comme deux vases communicants afin d’éliminer toute zone d’ombre.

Pardonner sans restriction ne peut être qu’un don divin, conséquence d’une attitude de crainte de Dieu. Autrement, des fautes considérées graves, dépassant nos limites humaines, resteraient impardonnées. Point n’est besoin de dire qu’il est important de demander ce don à Dieu pour une vie de couple harmonieuse.

L’amour qui pardonne et supporte tout, a comme dynamique le pardon. Le pardon passe par la vérité et la vérité, c’est Jésus-Christ (Jean 14.6), parce que c’est lui qui donne la vie et la joie au couple même lorsque le vin vient à manquer, comme ce fut le cas aux noces de Cana.

Pour réussir à se pardonner pleinement, il nous faut renoncer à l’aveuglement, à l’orgueil, au manque d’humilité, au refus de voir ses propres faiblesses qui constituent un poison pour le couple et une dénégation de l’amour. Plaise au Seigneur de nous accorder cette grâce. Que le Seigneur vous bénisse et exauce le désir de votre cœur !

1Il faut parfois au contraire régler le point avant que le pardon soit vraiment effectif (n.d.l.r.)


Comment le faire d’une manière conforme à l’évangile ? 1 Cor 6.1-11

1 Introduction

Dans le début du chapitre 6 de cette première lettre aux Corinthiens, Paul poursuit sa réponse aux différents rapports qu’il a reçus sur la communauté chrétienne de Corinthe. Après avoir traité la question des divisions internes de l’église et abordé un cas de discipline, il se penche sur le problème des procès entre frères. Ceci n’est pas sans lien avec ce qui précède : ces procès sont une manifestation visible des dissensions existantes ; de plus, Paul vient d’établir la nécessité pour l’église de juger « ceux du dedans ». Au paragraphe suivant, Paul abordera une question d’immoralité, qu’il anticipe ici par un catalogue de vices. Tout ceci montre le souci qu’il a de préserver la spécificité de l’église en tant que société gouvernée par l’Évangile, et donc, par des valeurs incompatibles avec celles du monde qui l’entoure.

2 Questions préliminaires

Si l’enseignement principal de ce passage paraît relativement clair, le texte n’est pas sans présenter quelques difficultés. Avant d’en proposer une interprétation globale, il convient donc d’étudier certains aspects plus en détails.

2.1 La problématique

Plusieurs termes indiquent que la problématique abordée ici concerne le recours à un tribunal dans le but d’obtenir justice après avoir été lésé dans une affaire de la vie courante1. Il ne s’agit donc pas d’affaires criminelles, jugées à l’époque par d’autres tribunaux dont Paul reconnaît ailleurs la légitimité (cf. Rom 13.1-7). La question reste cependant ouverte de savoir quel sens donner aux mots « devant les injustes » (v. 1) : cette expression peut simplement désigner les « non-croyants » (v. 6), sans intention de porter un avis sur les tribunaux en question, soit dénoter leur injustice notoire2. Celle-ci constituerait donc une raison de plus de ne pas recourir à de tels tribunaux. Quoi qu’il en soit, ce point n’est pas dominant dans l’argumentation de Paul.

2.2 L’argumentation de Paul

L’indignation de Paul est telle que les arguments sont avancés sous forme « d’exclamations horrifiées, de questions rhétoriques, de sarcasme et de menace »3.

La première partie de l’argumentation, jusqu’au verset 6, est principalement dirigée contre la communauté entière et son incapacité à gérer les conflits en interne. L’argumentation repose sur l’idée que l’avenir de l’Église doit marquer sa vie présente : puisque les saints sont destinés à juger le monde (v. 2) et même les anges (v. 3), il est absurde qu’ils aient recours aujourd’hui à des païens pour résoudre leurs différends4. De plus, l’abdication de la communauté devant ses responsabilités est un signe évident de manque de sagesse et donc une honte (v. 5).

Certains accents dans la première partie de l’argumentation en annoncent déjà la seconde : l’importance des « affaires de la vie » est relativisée en regard de celle des jugements finaux — ce sont des « affaires de moindre importance » — et le verset 6 montre une indignation certaine à ce que deux frères puissent avoir un procès entre eux. Mais, à partir du verset 7, Paul s’en prend plus explicitement à l’existence même de procès, et non plus au simple fait d’avoir recours à un arbitrage païen. Les plaignants sont attaqués par des questions rhétoriques qui rappellent des enseignements comme celui du sermon sur la montagne (v. 7). Suit une sérieuse mise en garde adressée en particulier à l’encontre de ceux qui cherchent à dépouiller leurs frères (v. 8-10). Là encore, l’objet des disputes est relativisé en regard de l’héritage futur du Royaume.

2.3 Les « gens dont l’église ne fait aucun cas »

Nous n’avons pas encore commenté le verset 4, reconnu comme difficile à interpréter. En effet, les « gens dont l’église ne fait aucun cas » peut se rapporter à deux groupes distincts de personnes : des païens, ou des chrétiens peu estimés par le reste de la communauté. Trois interprétations sont possibles5:

– Une première comprend la phrase comme une question indignée ; dans ce cas, ceux qui sont faits juges sont des païens6.
– Une deuxième considère la phrase comme un impératif. Paul demande alors d’établir juges même les moins considérés de la communauté7, ou alors, ceux de la communauté que les « spirituels » méprisent8.
– Enfin, une troisième interprétation, qui se rapproche de la première, perçoit la phrase comme une exclamation indignée9.

Sans pouvoir trancher avec certitude, il nous paraît préférable de retenir la première interprétation, que l’ordre des mots et la structure du texte semblent favoriser10.

2.4 Catalogue de vices et identité du peuple de Dieu

Quelle est la fonction des catalogues de vices tel celui des versets 9 et 10 ? Ils définissent une identité en négatif et marquent son influence sur le comportement11.

L’apport du verset 11 pour l’argumentation ressort d’autant plus clairement, puisque dans une telle structure de pensée, l’identité que ce verset définit implique automatiquement l’abandon des pratiques listées dans les versets précédents12. L’identité chrétienne a un fondement distinctif et un style de vie qui tranche sur les traditions sociales, politiques et religieuses des Gréco-romains.

Les verbes de ce verset sont au passé : l’action décisive de Dieu en faveur des Corinthiens marque une ligne de démarcation entre leur état passé et la vie qu’ils sont appelés à vivre aujourd’hui. Si la question de leur péché a été réglée « une fois pour toute »13 dans le passé (ils ont été lavés et justifiés), il n’en demeure pas moins qu’ils ont aussi été consacrés, et ne sont donc plus libres d’agir à leur guise.

3 Une interprétation

Après s’être penché sur certains détails du texte, il est temps d’en proposer une interprétation et de mettre en évidence quelques liens avec le reste de l’épître, l’enseignement de Paul ailleurs et celui des Évangiles.

3.1 Interprétation proposée

Comme relevé ci-dessus, le sens général du passage est relativement clair. En renversant l’ordre dans lequel les choses sont présentées :

– vu leur identité nouvelle (v. 11), les croyants ne devraient pas faire de torts à leurs frères (v. 8-10) ;
– pourtant, dans l’éventualité d’une injustice commise, le lésé devrait se laisser dépouiller plutôt que d’intenter un procès (v. 7) ;
– et, si malgré tout, un procès devait avoir lieu, celui-ci ne devrait en aucun cas se dérouler devant les païens, mais devant l’église (v. 1-6).

Il est intéressant de souligner que le reproche est adressé à la deuxième personne du pluriel, impliquant l’ensemble de la communauté : tout conflit entre frères qui n’est pas résolu est déjà perçu comme une défaite pour l’ensemble.

Plusieurs questions de détails restent pourtant difficiles à trancher. Certains textes du Nouveau Testament apportent un enseignement similaire ou complémentaire. Il paraît donc utile de les mentionner rapidement en relevant l’éclairage qu’ils apportent, en commençant par le reste de l’Épître.

3.2 Autres textes de 1 Corinthiens

Notre texte ne fait que prolonger le chapitre 5, que Paul avait conclu en demandant aux Corinthiens de juger ceux du dedans. Plus problématique est la relation avec 4.5 où Paul avait enjoint les Corinthiens à ne pas juger « avant le temps fixé ». Ces deux passages traitent de deux questions différentes : au chapitre 4, il s’agit de jugements de valeurs portant sur la qualité du service de l’apôtre14; au chapitre 6, de jugements concernant des affaires concrètes de la vie opposant deux membres de la même communauté.

D’autres textes de l’épître apportent un éclairage supplémentaire, en particulier les textes qui encouragent les Corinthiens à ne pas insister sur leurs droits ou qui citent le comportement de Paul sur ce point15. Ces textes montrent que le bien de l’ensemble prévaut sur le bien de l’individu ; la gloire de Dieu, sur l’usage de la liberté individuelle.

3.3 La vie de Paul et ses lettres

Nous avons déjà noté le rapport entre le texte étudié et le passage de Romains 13.1-7. Plusieurs facteurs permettent de les concilier plutôt que de les opposer. Dans le texte de l’Épître aux Romains, il s’agit de l’autorité civile punissant des actes criminels et du devoir de s’y soumettre, alors que dans notre texte, il s’agit de l’initiation d’un procès contre un frère dans le but de régler un différend portant sur les affaires de la vie courante. D’un côté, il s’agit de devoirs ; de l’autre, de faire valoir ses droits. Remarquons que, juste avant de traiter de la soumission aux autorités, Paul demande aux croyants de Rome d’être « en paix avec tous » et de ne pas se faire justice à eux-mêmes (Rom 12.18-19). Paul ne condamne donc pas la soumission à l’autorité civile, bien au contraire ; ce qu’il condamne, c’est le recours à celle-ci pour des questions triviales et liées à la vie courante.

D’ailleurs, Paul a montré dans sa vie la valeur qu’il accordait aux tribunaux romains puisqu’il y a lui-même fait appel. Mais, il ne s’agissait ni d’entrer en procès avec un croyant, ni de se défendre sur des affaires mineures.

La question du mauvais témoignage que constituent les procès devant des non-croyants est absente de la discussion de 1 Corinthiens 6, au moins de manière explicite16. Mais cet aspect est présent dans d’autres épîtres17.

3.4 L’enseignement de Jésus

L’enseignement de Paul sur le sujet qui nous occupe présente de nombreux parallèles avec celui de Jésus dans les Évangiles. D’abord, on y trouve l’aspect de la participation de croyants au jugement de la fin18. Ensuite, dans le Sermon sur la montagne (Mat 5.38-42), le disciple est appelé à ne pas se défendre contre celui qui le dépouille et la motivation sous-jacente a elle aussi trait au futur.

Le rôle de la communauté dans les jugements entre frères se retrouve au chapitre 18 de Matthieu dans la marche à suivre qui y est décrite pour la résolution des conflits. Notons qu’aucune étape n’est envisagée au-delà du recours à l’église et que donc, le recours à des tribunaux païens est implicitement exclu. Un peu plus loin dans le même texte, Jésus parle de pardon entre frères devenu une nécessité en regard du pardon reçu de Dieu (Mat 18.21-35). Ce texte donne un éclairage possible sur les versets 7 et 11 de notre passage : en effet, le lésé est appelé à supporter une injustice, mais il lui est également rappelé qu’il a été lui-même « lavé » et « justifié »19.

On trouve des éléments rappelant notre passage dans un texte de l’Évangile selon Luc (12.13-21), lorsqu’une personne s’approche de Jésus pour lui demander d’intervenir dans un différend qu’il a avec son frère. En réponse, Jésus donne un avertissement sur l’avidité et minimise l’importance des biens temporels en regard de ceux qui sont éternels, une argumentation reposant sur la dimension eschatologique de l’Evangile.

Notons pour terminer que notre Seigneur a parfaitement incarné son enseignement, lui qui « quand il était insulté, ne rendait pas l’insulte ; quand il souffrait, ne proférait pas de menaces, mais s’en remettait à celui qui juge justement » (1 Pi 2.23).

4 Conclusion

Nous avons tenté de dégager l’enseignement du chapitre 6 sur les procès entre frères et nous avons vu que l’argumentation de Paul repose sur l’Evangile, en particulier sur sa dimension eschatologique. Celle-ci détermine aujourd’hui déjà les valeurs pour la vie du croyant et le détache des « affaires de la vie ».

Les textes du Nouveau Testament que nous avons brièvement mentionnés n’abordent pas toujours la thématique sous le même angle, mais de nombreux éléments similaires y sont présents, les autres étant complémentaires.

Cela dit, l’application concrète de ce passage dans l’église reste un défi, tant il est difficile de maintenir l’équilibre entre les deux pôles de cet enseignement :

– une exhortation claire à supporter une injustice plutôt que d’intenter un procès à son frère,
– un avertissement tout aussi clair à celui qui commet une injustice.

Il est pourtant essentiel de les maintenir les deux : la communauté a sans aucun doute un rôle essentiel à jouer dans la préservation de cet équilibre, une responsabilité qu’elle décline trop souvent.

1Par exemple, « avoir un différend » et « faire un procès » (v. 1), « les affaires de moindre importance » (v. 2), « les affaires de la vie » (v. 3).
2Les documents de l’époque montrent que ces tribunaux étaient corrompus : il était courant d’y utiliser son influence pour obtenir un avantage. Un terme comme « ceux qui s’adonnent aux insultes » (v. 10) fait peut-être référence à la pratique de la vitupération reconnue comme acceptable dans ce genre de procès (cf. B.B. Blue, « Lawsuit », Dictionary of Paul and his Letters, p. 545).
3G.D. Fee, The First Epistle to the Corinthians, The New International Commentary on the New Testament, Grand Rapids, Eerdmans, 1987, p. 229.
4Les Juifs refusaient le recours à des tribunaux païens sur la base d’Ex 21.1 : « Voici les règles que tu placeras devant eux », i.e. « devant eux », des juifs et non des païens. Paul s’appuie, lui, sur sa conception de l’église en tant que « communauté eschatologique » et donc plutôt sur des textes comme Dan 7.22.
5A.C. Thielston, The First Epistle to the Corinthians, The New International Greek Testament Commentary, Grand Rapids/Carlisle, Eerdmans/Paternoster, 2000, p. 432.
6En français, la TOB choisit cette option.
7L’importance des procès est alors minimisée, puisque même les moins considérés sont aptes à prononcer le jugement.
8C’est le choix de la version Darby. Dans ce cas, les « méprisés » sont désignés car ils sont les plus aptes à juger, ayant gardé les pieds sur terre.
9Comme dans la NBS.
10Fee, p. 235 ; Thiselton, p. 433.
11B.S. Rosner, Paul, Scripture and Ethics, p. 121; cité par Thiselton, p. 446.
12Sans pouvoir entrer dans les détails, mentionnons l’importance de ce qu’affirme ce verset : les trois verbes (laver, consacrer, justifier) sont autant de métaphores d’une même réalité, celle du salut opéré par le Dieu trinitaire (cf. Fee, p. 246).
13Thiselton, p. 454.
14Il s’agit de la relation de l’apôtre avec son Seigneur, les Corinthiens sont donc incompétents en la matière.
15Par exemple 8.9 ; 9.12 ; 10.23-24,33 ; 13.5.
16Fee, p. 237, perçoit un accent dans ce sens dans l’exclamation « et cela devant des non-croyants » du verset 6.
171 Thes 4.11-12 et Tite 2.8,10 ; 3.1.
18Mat 19.28 et Luc 22.30. Il convient pourtant de noter quelques différences importantes. D’abord, la participation au jugement eschatologique est vue plutôt comme une récompense pour la fidélité du disciple, que comme une motivation à ne pas intenter de procès (même si dans Luc, le contexte est celui d’une contestation entre frères, cf. v. 24). Ensuite, cette récompense semble être réservée aux Douze. Enfin, il s’agit d’un jugement des douze tribus d’Israël et non de celui des païens.
19Contrairement à Matthieu, ce n’est bien sûr pas l’argument dominant, puisque c’est l’injustice de celui qui cherche à dépouiller son frère qui est mise en avant (cf. « quelques-uns d’entre vous », v. 11a). La deuxième partie du verset est donc avant tout un appel aux injustes à faire correspondre leurs actes à leur identité. Mais il est tout à fait légitime de prendre le « vous » de la deuxième partie du verset comme se référant également à l’ensemble de la communauté.


Famille Gilles et Myriam BONVALLAT

Gilles et Myriam exercent un ministère d’encouragement et d’enseignement biblique à Kigali, au Rwanda. Ils ont 2 garçons, Corentin et Maël. Ils ont été témoins des massacres et du saccage du Centre Médical Évangélique à Nyankunde au nord-est de la RDC en septembre 2002. Après un court séjour de repos en Suisse, ils sont repartis en début 2004 à Kigali. Ce témoignage est un extrait de leurs nouvelles du 2 octobre 2004, dans lesquelles ils évoquent la situation au Rwanda et à l’est de la RDC.

Au cours de ces dernières semaines, nous avons reçu des nouvelles encourageantes du Congo, de la région de Bunia-Nyankunde1. Peut-être vous souvenez-vous que nous vous avions demandé de prier, en août, pour un séminaire de réconciliation qui avait lieu à Bunia. Nous avons été très émus de lire quelques témoignages des 55 participants, représentant plusieurs tribus (mais en majorité les tribus en conflits, les Hemas et les Lendus) et de découvrir, dans ces lignes chargées d’émotion, la profonde délivrance que ces hommes et ces femmes ont expérimentée lorsqu’ils ont d’abord compris l’amour et le pardon de Dieu, puis accepté de pardonner à leurs ennemis, leurs tortionnaires, les meurtriers de leurs bien-aimés…

Après tant d’années d’atrocités, il n’y a aucune solution humaine pour l’Ituri2, mais notre Dieu est capable de guérir ces vies brisées, et c’est bouleversant d’être témoin de telles expériences3 ! Tous reconnaissent la puissance de la sorcellerie dans ces conflits, et alors qu’un séminaire était tenu dans la petite ville qui est le fief des milices et au cœur de ces pratiques de sorcellerie, les choses ont failli mal tourner : il y a eu une altercation entre les milices et les soldats de l’ONU. Les milices ont arrêté et giflé un pasteur qui enseignait, le menaçant de mort… Tous ont vu dans ces circonstances l’opposition évidente de l’Ennemi qui ne veut pas que la paix progresse, que l’amour et le pardon remplacent la haine !!!

Les écoles ont repris à Nyankunde, avec quelque 600 élèves ! Mais les souvenirs, la peur et l’instabilité continuent à hanter cette région déchirée…

Nous aurions encore beaucoup de choses à vous raconter sur le Congo, mais pouvons-nous surtout vous demander de continuer à intercéder pour ce pays, pour que, par exemple, ces 55 personnes transmettent ce message de pardon et d’amour autour d’elles, pour la protection de tous ceux qui s’impliquent, au risque de leur vie, dans ce ministère de réconciliation précieux mais contesté ?

Nous sommes allés, le week-end passé, à Kibuye, toute petite ville rwandaise au bord du lac Kivu à 2 heures et demie de Kigali par des routes sinueuses entre les collines. L’endroit est magnifique ! Pourtant, quand on pense qu’environ 60 000 Tutsis ont été massacrés dans cette préfecture4! Des villages, communautés, ou familles ont été entièrement décimés, 9 Tutsis sur 10 y auraient trouvé la mort… Nous avons visité une église où plusieurs milliers de personnes ont été exterminées à la grenade et la machette en 3 heures… le 17 avril 1994 ! C’est presque impossible de réconcilier cette histoire atroce à la sérénité de l’endroit aujourd’hui !!! Partout où vous vous promenez au Rwanda, même dans les petits villages, vous vous heurtez à un mémorial ou à une fosse commune où reposent peut-être 10 000 personnes… Les enfants jouent autour, les oiseaux chantent, mais les cœurs saignent… Peut-être les événements que nous avons vécus à Nyankunde nous ouvrent une petite fenêtre sur la compréhension des événements d’ici, et de la souffrance actuelle du peuple rwandais !

L’Église de Christ a un message à apporter à cette population meurtrie : le message de la Croix, de la repentance, de la confession des péchés, de la foi en Jésus-Christ, du pardon et de la réconciliation en lui.

1Bunia se situe au cœur de l’Afrique centrale, à proximité du lac Albert (ex-Mobutu). Ce lac marque la frontière avec l’Ouganda. La ville compte environ 90 000 habitants et est située à 1200 m d’altitude. Elle était un peu la plaque tournante entre l’axe routier est-africain de Mombasa-Nairobi-Kampala et le service intérieur du Congo via Kisangani et Goma. Aujourd’hui, l’axe routier Bunia – Kisangani n’est pratiquement plus fonctionnel.
2L’Ituri est une région située au nord-est de la République Démocratique du Congo. Les deux tribus des Hemas et des Lendus constituent environ 40 % de cette province qui compte 18 groupes ethniques.
Voir aussi l’article « Une réponse chrétienne au conflit ethnique », d’Isaac Mbabazi Kahwa, dans Promesses n° 148, dans le dossier « Vivre la souffrance ».
3Voir le rapport du Conseil de sécurité des Nations Unies n° S/2004/573 du 16 juillet 2004. Ce rapport spécial sur les événements de l’Ituri de janvier 2002 à décembre 2003 a été adressé au Président du Conseil de sécurité par le Secrétaire général de l’ONU.
4Massacre au Rwanda en septembre 1994 qui a coûté la vie à quelque 800 000 Tutsis et Hutus.


Une expérience en Bosnie

Association « La Gerbe »

La Gerbe est une association humanitaire chrétienne française, fondée en 1988, qui a pour but d’apporter un soutien aux souffrants. En particulier, depuis plus de 12 ans, elle organise des envois d’aliments et de matériels vers les anciens pays de l’Est, l’ex-Yougoslavie, la Roumanie et l’Albanie, principalement.

En 1998, alors que la guerre en Bosnie venait de prendre fin, un convoi a été organisé vers la partie musulmane de ce pays. Un professeur au lycée horticole de Sarajevo avait pris contact avec l’association, demandant une aide pour les réfugiés de Srbrenica, qui étaient installés à Vozuca, village au nord-est de Sarajevo. Ce village d’environ 5000 habitants accueillait environ 3000 réfugiés, dont 375 enfants orphelins de père et 250 orphelins de père et de mère. Leurs besoins étaient immenses.

Le 28 juillet 1998, le camion arrivait à Vozuca. Devant l’école, beaucoup d’enfants étaient attroupés car le directeur leur avait donné rendez-vous pour la distribution. Ils attendaient, en discutant avec des soldats américains de la SFOR. Ces derniers étaient en patrouille, comme de nombreux soldats français, italiens, allemands, etc., qui sillonnaient à longueur de journée les rues des villes et des campagnes.

Le directeur de l’école accueillit chaleureusement les représentants de la Gerbe dans son bureau, en présence de six représentants de l’association des réfugiés de Srbrenica. Ces personnes, à première vue plutôt hostiles, ne parlaient pas. On pouvait lire sur leur visage une certaine crainte vis-à-vis d’étrangers venus d’Europe occidentale.

C’est alors qu’un des membres de l’équipe prit la parole et exprima, dans un langage simple mais avec un ton vrai, sa honte et sa confusion devant la tragédie qu’ils avaient vécue dans un pays si proche de la France. Il demanda pardon pour toutes les peines et les souffrances infligées par les nations dites « chrétiennes » à ces peuples musulmans, en particulier pendant cette guerre en Bosnie, encore si présente dans les cœurs et dans les corps. En effet, impossible d’oublier que les troupes de l’ONU (dirigées à l’époque par un général français) s’étaient retirées de Srbrenica, laissant ses habitants à la merci des troupes serbes. Un effroyable génocide s’ensuivit. Sur les documents de La Gerbe figurait le nom « d’association chrétienne », et le responsable sentait qu’il ne pouvait pas faire une distribution comme si de rien n’était. Au fur et à mesure qu’il parlait, des larmes coulaient des yeux de ces femmes qui avaient une attitude digne. Oui, cette confession avait été nécessaire à l’établissement d’une véritable communication entre ces réfugiés et l’ONG. Tous ressentaient qu’il se passait quelque chose d’important dans cet instant. Un petit enfant venait de récupérer un vélo d’un des camions du convoi et arriva dans le bureau du directeur ; il se mit à faire plusieurs tours au milieu de tous, français et bosniaques. Un sourire apparut sur les visages, et la distribution put commencer. La partie féminine de l’équipe expliqua à trois femmes responsables des réfugiés le fonctionnement des machines à coudre. Le visage un peu crispé des femmes s’éclairait peu à peu. Le reste de l’équipe ouvrait les cartons, défaisait les emballages… Chacun sortait les bras chargés de conserves, de biscuits, de vêtements.

Devant l’ampleur des besoins et la profondeur des traumatismes subis, dont le regard des enfants témoignait de façon poignante, ce geste d’entraide n’était qu’une goutte d’eau. Mais l’équipe de La Gerbe avait appris, à travers ce moment inoubliable, la valeur de l’écoute, de la prise en considération de l’autre. Oui, Jésus nous l’a appris, celui qui aide n’est pas le plus grand, c’est lui le serviteur.


HISTOIRE DE L’EGLISE

Période de 1517-1563

I. INTRODUCTION

Le terme de « Réforme » est utilisé par les historiens dès 1640.

Il décrit une courte période explosive qui va fortement secouer l’Eglise de Rome et l’Europe politique, économique, sociale et culturelle. Lancée dans les eaux occidentales déjà en ébullition, la vérité du message évangélique ne cessera de faire des vagues, jusqu’à nos jours !

La Réforme fait éclater les concepts connus et reçus jusqu’alors. A tel point qu’on peut affirmer que le monde moderne commence au 16ème siècle en Europe, à l’exception peut-être de l’Italie. Sans cette « bombe », l’occident serait sûrement encore plongé dans les ténèbres de l’ignorance, de la superstition, de l’erreur, de l’esclavage spirituel et intellectuel. En réalité, ce serait une erreur de réduire la Réforme à un seul mouvement religieux, car la société tout entière en est révolutionnée.

Un tel bouleversement s’est fait dans un cadre historique particulier, sur lequel il convient de porter un regard lucide. Une attitude critique, qui n’implique pas forcément la condamnation, s’impose donc sur l’Europe du début du 16ème siècle. Loin de nous la volonté de ranimer quelque guerre de religion.

D’un point de vue catholique romain, la Réforme, fautrice de trouble, de division, et de violence, fut longtemps coupable de tous les maux de l’Europe à partir de 1517 ! Mais l’Encyclopédie catholique pour tous (parue en 1989, totalisant 1327 pages, écrite par et pour des catholiques, et agréée par le Vatican) reconnaît sans détour que la Réforme protestante a eu pour causes profondes les erreurs, les maladresses, et la dépravation de la papauté, ainsi que les abus ecclésiastiques de toutes sortes, l’ignorance et l’aveuglement (p. 390) ! Forts de cette véritable confession publique, nous pouvons relater l’histoire de cette ère sans être accusés d’arbitraire.

L’histoire ne ment pas, mais la tordre est très facile. Par conséquent, cet article tentera de rester sur les rails de l’histoire attestée par les historiens les plus érudits. Nous sommes conscients toutefois que l’histoire est une épée à deux tranchants : nous y reviendrons dans notre prochain article.

II. LA NECESSITE DE LA REFORME

Dominée par l’Eglise de Rome, chaque sphère de la société européenne participa involontairement à l’aplanissement du chemin rocailleux à travers ce chambardement général.

D’abord, la démographie.

La France, délimitée par la Somme au nord, la Meuse et la Saône à l’est, et Lyon, alors ville frontière, au sud, n’abrite curieusement que 15 millions de personnes. C’est le pays le plus riche et le plus organisé d’Europe. L’Angleterre, sans l’Ecosse et l’Irlande, ne recense que 3 millions et demi d’habitants ! L’Espagne en compte 6 à 7 millions. Le Portugal, 1 million. L’Italie est formée de 7 Etats principaux. Le Saint Empire romain germanique, de la Mer du Nord à l’Adriatique et à la Mer méditerranée, compte plusieurs Etats laïcs ou ecclésiastiques, et beaucoup de petites républiques — des villes libres en fait. Les dix cantons de la Confédération Suisse sont relativement indépendants, quoique toujours menacés par les Habsbourg. Les 3 pays scandinaves forment une Union déterminée par la géographie. La Pologne, la Hongrie et le grand-duché de Moscovie contrôlent d’immenses territoires à l’est.

L’Europe, un « ensemble » de composants très disparates, est plus ou moins bien « tenue en laisse » par l’Eglise de Rome. L’Europe est en pleine éclosion économique : la découverte du Nouveau monde avec ses richesses, le commerce avec l’Orient et ses nouveaux produits, des inventions pour exploiter les mines, le textile, les minéraux… Bref, le continent est en train de passer d’une économie agraire à une économie monétaire.

Les artisans, l’aristocratie, les commerçants, les banquiers s’enrichissent, mais la paysannerie est écartée des bénéfices du progrès (le monde du 21ème siècle a-t-il changé?). Cette dernière perd ses acquis du fait de l’inflation, des bas prix payés à la ferme, des monopoles, des restrictions absurdes. Tous n’attendent, sans le savoir, qu’une étincelle pour renverser l’ordre économique et social en place. La situation est aggravée par le fait que les décideurs économiques sont souvent des ecclésiastiques avides de gains : un cinquième de la terre d’Allemagne et un tiers de celle d’Angleterre sont détenus par l’Eglise de Rome (qui a depuis longtemps oublié l’exemple de son chef officiel, cf. Mat 8.20) !

La vie intellectuelle est en effervescence. On acquiert de nouvelles connaissances, apportées par les érudits byzantins grecs qui ont échappé à la conquête musulmane. Les influences multiples de la Renaissance et de l’invention de l’imprimerie en Allemagne (1455) amplifient l’agitation. En l’an 1500, quelque 1000 imprimeurs ont déjà publié 9 millions de livres ! Voici quelques-uns des facteurs qui façonnent la vie intellectuelle du 15ème siècle :

1. Le triomphe de la philosophie du nominalisme qui prône la connaissance intuitive, empirique et individualiste en lieu et place de l’approche scolastique (la raison et le potentiel de l’homme volent au secours de la foi pour l’aider à découvrir la vérité !).
2. La Renaissance, dont l’expression la plus habile est certainement l’humanisme. Ce mouvement vise l’épanouissement individuel en exaltant la dignité de l’esprit humain par la culture littéraire ou scientifique. Le libre arbitre donne le droit de tout examiner, indépendamment des proclamations ecclésiales. L’homme ne doit pas mépriser ses sentiments, et peut se consacrer à dominer et à améliorer son environnement. Erasme (1466-1536), considéré comme le grand érudit de son époque, résume le projet humaniste : « …régénérer l’homme en purifiant la religion et en baptisant la culture ». Le tout, bien sûr, par l’effort humain prioritairement, Dieu restant très accessoire (le 21ème siècle est pétri de cet humanisme dont bien des évangéliques sont infectés !).
3. Certaines théories conciliaires (décisions, canons des conciles), émanations du raisonnement humain, remettent en cause l’autorité papale, et poussent logiquement les hommes vers la démocratie et l’indépendance par rapport à l’opinion tyrannique du « Saint-Siège ».

La conception optimiste des humanistes en la capacité humaine de régler tout problème d’une manière intelligente et paisible ne parvient pas à calmer l’agitation et l’anxiété dominant la vie du 15ème siècle :

1. Les moines refusent souvent d’obéir à leurs évêques.
2. Les ordres religieux se jalousent les uns les autres.
3. Un grand nombre d’ecclésiastiques « oublient » leur mission spirituelle et locale : loin de leur diocèse, ils vivent à la cour papale, vont à la guerre1, sont ambassadeurs, cumulent parfois plusieurs évêchés à la fois.
Sixte IV (1471-1484) et Alexandre VI (1485-1492) ne pensent qu’à enrichir leurs familles, leurs propres enfants et neveux !
4. Certains prêtres vivent en concubinage, possèdent des bordels, boivent excessivement, ne connaissent pas le latin. La médiocrité domine.
5. Le clergé, exempté de toute punition pour ses incartades par des tribunaux nationaux, ne paie pas d’impôts aux trésoriers.
6. Toutes les fonctions ecclésiastiques se vendent et s’achètent, les meilleures aux plus offrants !
7. L’intérêt pour la piété croît. Des œuvres y encouragent : vies des saints, Imitation de Jésus-Christ, Art de Bien Mourir, extraits bibliques) ; tableaux peints ou littéraires décrivant l’enfer et le purgatoire ; sculptures des cathédrales, où d’affreuses gargouilles côtoient les statues des saints. Généralement, la masse populaire est épouvantée par l’idée de la mort et de la fin du monde : « Qui peut être sûr de son salut ? ».
8. Odieuses promesses d’échapper au purgatoire, les indulgences garantissent la rémission de la culpabilité et de la punition des péchés. Leur vente massive déclenchera la crise spirituelle d’un certain moine provincial, Martin Luther, et allumera la protestation réformée. Quelques exemples représentatifs de la comptabilité des marchands d’indulgences :
– Contempler la relique du crâne d’un des douze Apôtres vaut 14 000 jours de pardon.
– Adorer Marie en la priant raccourcit le purgatoire de 11 000 années.
– Trois prières à Ste Anne valent 1.000 années de rémission pour des péchés mortels et 20.000 pour des véniels.
– On peut acheter des indulgences en vue de péchés futurs !
En marge, on peut se demander comment des ecclésiastiques peuvent prévoir des dispenses de purgatoire, alors qu’un tel endroit n’est jamais évoqué dans la Bible ! Malgré tout, lors du Jubilé de l’an 2000, Jean-Paul II ne s’est pas privé d’offrir des « indulgences plénières » ! N’aurait-t-il jamais lu 1 Tim 6.6-11 ?

Vers la fin du 15ème siècle, d’honnêtes gens de tous horizons sociaux et religieux réclament de manière instante une répression des abus dans l’Eglise. Il faut dire que les papes, des princes italiens, ne se passionnent pas spécialement pour la religion. Ils se cultivent ! 1512 donne pourtant une chance au nettoyage tant espéré : Jules II convoque le Vème Concile œcuménique de Latran à Rome. Hélas ! La question des abus n’est pas même abordée. On reconstruit la basilique Saint-Pierre. Pour financer Bramante, Michel-Ange, et Raphaël, le pape encourage la vente des indulgences. Son successeur Léon X (1513-1521) reste accaparé par ce grand « souci ». Il mettra fin au Concile en 1517 sans avoir songé à réformer quoi que ce soit ! Quelques mois plus tard, Luther affiche publiquement ses 95 Thèses contre les indulgences. Le point de non-retour est atteint. Le monde ne sera plus jamais le même !

Avant d’aborder la Réforme proprement dite, il est nécessaire de se demander : « Comment l’interpréter ? ». Nécessaire, car l’histoire procède d’un creuset de facteurs complexes et panachés. Son interprétation varie selon nos préjugés nationaux ou confessionnels, selon notre formation scientifique ou littéraire. Bien des évangéliques ne connaissent pas les avis fort divers qui s’expriment sur cette période. En voici quelques-uns :

1. Les historiens catholiques en majorité ont longtemps qualifié la Réforme d’hérésie inventée par un Luther taré, apostat, obsédé sexuel. Vatican II a modéré la critique, mais Luther demeure schismatique, et les protestants actuels sont « des frères séparés » !
2. Les rationalistes (18ème siècle), dont Montesquieu, Voltaire, Hume, donnent à la géographie un rôle prépondérant : ils opposent le Nord de l’Europe plutôt indépendant à un Sud soumis à l’autorité écrasante de la papauté. On met en avant la concurrence entre Luther, moine augustinien, et Tetzel, moine dominicain, en suggérant que chacun cherchait à tirer un profit maximum de la vente des indulgences.
3. Toujours sous l’influence des « Lumières » de la libre pensée, le Romantisme du 19ème siècle conçoit la Réforme comme une sorte de Révolution française dans le domaine de la liberté de pensée, comme un combat contre la tyrannie intellectuelle.
4. Les interprétations économiques et évolutionnistes, après 1859, multiples et bigarrées (Marx, Tolstoï, Nietzsche), interprètent la Réforme comme la rébellion contre la cupidité de la papauté. La masse populaire a compris son droit de posséder des biens matériels au même titre que les classes aisées ; l’évolution de l’espèce humaine de cette époque la pousse à lutter pour une vie plus équitable.
5. L’interprétation chrétienne évangélique, représentée par l’historien suisse Merle d’Aubigné († 1872), met en évidence le caractère essentiellement religieux de la révolte des catholiques fidèles pour restaurer la pureté perdue de l’Eglise primitive. Martin Luther est choisi par le Seigneur Jésus-Christ, Tête de l’Eglise, pour leur rappeler que seul Jésus-Christ peut pardonner, sauver, donner la vie éternelle, sans œuvres méritoires, et cela sur la seule base de Sa grâce acceptée par une foi sincère. Le véritable converti en Christ reconnaît que, dans sa souveraineté, Dieu a voulu la révolution spirituelle qui a permis la restauration de ce message libérateur.

III. CONCLUSION

L’histoire est moins une accumulation linéaire d’événements qu’une conjoncture de circonstances denses, chacune ayant ses propres caractéristiques et conséquences. Personne ne peut repérer dès le commencement chaque force vive du changement ni en prévoir le terme. Seul le recul, une fois la « poussière » retombée, conduit à une analyse plus ou moins objective du « qui a fait quoi et pourquoi ».

Honnêtement, admettons que les cinq interprétations ci-dessus apportent chacune leur éclairage pour comprendre la préparation du travail des réformateurs en vue de purifier le catholicisme et d’améliorer le sort de leurs contemporains. La Réforme, telle que nous la connaissons aujourd’hui, n’est pas arrivée « comme ça ». Le monde du 15ème siècle et du début du 16ème siècle était agité, incertain, confus, apeuré, impatient d’une espérance solide en une vie meilleure. Qui allait la leur apporter ?

Un Evangile prêché dans l’amour, la conviction, la grâce, la clarté, et la puissance de Dieu, ancré dans le Nouveau Testament, voilà le détonateur qui a fait exploser l’ordre établi dans tous les secteurs de la société européenne, et le message qui a servi de guide pour diriger l’Europe entière vers des horizons nouveaux. L’esprit des hommes a été libéré par l’assurance du salut, par l’espoir de quelque chose de nouveau. Beaucoup d’hommes ont été délivrés de leur foi en eux-mêmes (humanisme laïque). Loin d’être programmé, le mouvement de la Réforme fut une vague de fond soulevée par l’Esprit de Dieu, qui a utilisé les instruments de son choix pour … « soli Deo gloria » !

Ainsi s’achève notre aperçu de l’arrière-plan, court mais nécessaire pour comprendre les raisons de cet événement extraordinaire. Dieu est souverain sur l’histoire. Il s’intéresse à tous les êtres humains, car Il veut leur bien-être. C’est notre conviction que la Réforme est venue de Dieu pour transformer le monde d’alors (cf. Rom 2.4), en commençant par la libération spirituelle des individus. L’Evangile prêché et vécu produit toujours des effets à tous les échelons de la société. Notre pauvre monde, même évangélique, a besoin d’une autre Réforme dont les acteurs doivent être des hommes du LIVRE, intrépides, intègres, irréprochables, des hommes de prière, agissant en saison et hors saison comme des témoins véritablement inspirés par le Saint-Esprit, assidus, intelligents, et sans compromis !

Les prochains articles tenteront de faire revivre les trois plus grands acteurs du début de la Réforme, de préciser leurs convictions bibliques. Ultérieurement, nous décrirons les quatre types majeurs de foi évangélique issus de la Réforme et existant au 21ème siècle. Nous serons aussi obligés de mentionner quelques-unes des erreurs commises au nom de Dieu !

1Le cas du pape Jules II (1503-1513) fut notoire : il montait à l’assaut des villes ennemies casqué et cuirassé !


LA HUITIEME BEATITUDE (1)

« Heureux ceux qui sont persécutés à cause de la justice, car le royaume des cieux est à eux » Matthieu 5.10

Cette béatitude termine l’énoncé de ce qui doit caractériser le vrai chrétien. La promesse de cette béatitude, qui boucle la série des béatitudes, est celle de la première béatitude. Mais si la promesse qu’elle contient est la même que celle de la première, elle ne décrit pas le chrétien à vrai dire, mais dit ce qui va lui arriver s’il en montre les caractéristiques, décrites précédemment.

Si la dernière béatitude rejoint la première par la promesse, c’est pour bien attester que le point important est d’être un citoyen du royaume des cieux.

De nouveau, Heureux ceux qui sont persécutés va à contresens de la pensée humaine normale. Quoi, heureux d’être persécuté? Cette béatitude est probablement la moins bien comprise, peut-être à cause de la phrase à cause de la justice.

Ce que cette expression ne veut pas dire

La béatitude ne concerne pas ceux qui militent d’une façon fanatique, ou ceux qui défendent une cause politique, juste en elle-même, en tant que chrétiens, ou dont le témoignage met en valeur leur justice à eux, ni dont le zèle l’emporte sur le bon sens et la politesse élémentaire. Nous pouvons être persécutés pour une juste cause, même religieuse, que nous croyons devoir afficher, mais ce n’est pas à cause de la justice (bien qu’il arrive que les deux coïncident). On peut, et on doit avoir des principes, soit politiques, économiques, sociaux, artistiques ou autres, mais ce n’est pas ce que cette béatitude entend. Un pas de plus: la 8e béatitude ne parle pas non plus de la persécution due à nos sacrifices.

A cause de la justice

Qui pratique la justice? Ceux qui ressemblent à Jésus-Christ; ils sont persécutés comme lui l’était, parce que l’injuste ne supporte pas le juste. Le texte clé me semble être Jean 15.18-20: « Si le monde a de la haine pour vous, sachez qu’il m’a haï avant vous. Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est à lui; mais parce que vous n’êtes pas du monde, et que je vous ai choisis du milieu du monde, à cause de cela, le monde a de la haine pour vous. Souvenez-vous de la parole que je vous ai dite: Le serviteur n’est pas plus grand que son maître. S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi: s’ils ont gardé ma parole, ils garderont aussi la vôtre ».

A Timothée, qui était malheureux parce que persécuté, Paul écrit: « Tous ceux d’ailleurs qui veulent vivre pieusement en Christ-Jésus seront persécutés » (2 Tim 3.12). C’est catégorique. C’est peut-être la béatitude qui nous remet le plus en question. Vivre comme Jésus le demande entraîne la persécution. Souvent elle est subtile, déguisée, hypocrite, tout comme elle peut être violente; nos frères dans les pays musulmans et athées en savent quelque chose!

Voici deux des exemples les plus frappants:

– Saül persécutait David parce qu’il était juste (selon le coeur de Dieu, nous dit la parole) et lui injuste.
– Daniel avait été établi un des chefs des satrapes dans le royaume babylonien; il agissait en tout avec justice, et il se vit jeté dans la fosse aux lions.

On peut en déduire que vivre une vie juste est insupportable aux injustes. Jésus-Christ en est toujours l’exemple suprême: lui l’amour personnifié, compatissant, guérissant les malades, livré aux bourreaux sur la base de calomnies ignominieuses. Jésus exerçait aussi la justice à l’endroit des pharisiens, qui le bafouaient. Cela n’a pas changé: le christianisme formel, institutionnalisé, a toujours été le plus grand ennemi de la foi fidèle au Seigneur, ne supportant pas un comportement empreint de justice.

Pourquoi les justes sont-ils persécutés plutôt que ceux qui sont bons et nobles? Le Dr Schweitzer (Prix Nobel de la paix en 1952) n’a jamais été persécuté (il était tout à fait libéral), Mère Thérésa non plus (mais elle rendait un culte idolâtre à Marie). Par contre, bien un Martin Luther, un Zwingli, un Watchman Nee qui furent haïs à cause de leur fidélité à la Bible.

La raison fondamentale

Les justes sont essentiellement différents. Il y a quelque chose en eux qui condamne les injustes. Face à la justice de Christ et conférée aux siens par lui, leur propre-justice a l’air clinquant, et c’est insupportable. Pourquoi l’Église romaine a-t-elle toujours persécuté à mort les vrais disciples de Jésus-Christ? Toute leur religiosité encombrée de pacotille est mise à jour comme fausse.

Les gens qui aujourd’hui admirent Jésus sans croire que sa mort à la croix est expiatoire, s’ils le rencontraient, ils le haïraient comme ses contemporains. Le chrétien authentique est haï parce qu’on voit Jésus en lui. On n’a pas applaudi Jésus, et on ne nous applaudira pas. « Malheur lorsque tous les hommes parleront bien de vous, car c’est ainsi que leurs pères agissaient à l’égard des faux prophètes » (Luc 6.26).

Tout homme non régénéré a les tendances de la chair. Or « les tendances de la chair sont ennemies de Dieu » (Rom 8.7). Ceux qui sont nés de Dieu ont les tendances de l’Esprit. Pour le non régénéré, c’est une offense qui remet en question son être tout entier. Pas de nouvelle naissance, pas d’offense. L’enfant de Dieu, par définition, est juste et exerce la justice. L’injuste le ressent comme ennemi.

Une mise au point

Notre témoignage doit être exercé avec sagesse, sans offense due à un manque d’égards, sans faire étalage de notre propre foi, en bref: sans inviter à la persécution. Mais plus nous ressemblons à Jésus-Christ, plus sa justice se manifeste en nous, plus le monde nous perçoit comme des corps étrangers, des trouble-fêtes, des gêneurs, et plus nous sommes persécutés. Pierre et Jacques nous disent de nous réjouir, mais de quoi? D’être traités comme Jésus et donc d’avoir la preuve de lui appartenir, d’être citoyens du royaume de la lumière au milieu du royaume des ténèbres. Paul pouvait écrire aux Philippiens: « …il vous a été fait la grâce non seulement de croire en Christ, mais encore de souffrir pour lui » (1.29).

Le prolongement de la 8e béatitude aux v. 11 et 12 donnera d’autres raisons pour lesquelles le chrétien persécuté peut se réjouir.