PROMESSES

REGARDS SUR L’OCCIDENT

Note liminaire. En exclusivité pour les lecteurs de Promesses, nous vous présentons un court extrait de notre prochain livre Le Retour du Romantisme, à paraître dans le courant de l’an 2000. Notre ouvrage est en cours de rédaction et ne comportera pas moins de 250 pages et une très importante bibliographie, ainsi qu’une discographie et une filmographie. Nous nous excusons d’ores et déjà de la présentation un peu hachée de notre texte, qui sera complété avant l’édition définitive.

Le thème de notre premier chapitre est celui du retour à la Nature. L’homme romantique d’hier et d’aujourd’hui recherche le bonheur, l’harmonie et la paix dans les sentiments, -et ceci par le moyen de la création (nature), de l’art (littérature, musique, cinéma) ou de l’occultisme (en particulier le Nouvel Age). Notre démarche est de montrer que la réaction romantique de la fin du XVIIIe et du XIXe siècles se retrouve en cette fin du XX’ dans tous les secteurs de notre société. Bonne lecture a chacune et à chacun!

A. Redécouvrir la Nature?

L’homme moderne est à la croisée des chemins. Face à toutes les dérives du monde industriel et technique, le simple citoyen manifeste ses états d’âme par une peur à peine dissimulée. Cela se manifeste de diverses façons, entre autres par le découragement, la lassitude, et surtout par une inquiétude grandissante face à l’avenir. Par contre, les "jeunes loups", les "décideurs., les financiers sont beaucoup plus optimistes. Pour eux, le monde actuel, même si la crise économique perdure, va retrouver son essor dans les prochaines années. Mais quelle que soit la position des uns et des autres, le tronc commun qui les unit, c’est le bonheur de l’homme sur cette terre.

Le bonheur est, selon les romantiques, la quiétude et qualité de vie morale et surtout sentimentale qui tend vers un idéalisme, voire un perfectionnisme de l’âme humaine et, par conséquent, de la Nature. Il s’agit donc de la capacité de l’homme à vivre un bonheur parfait fait d’amour et de passion. Cette quête n’est que la poursuite d’un. paradis idyllique, perdu à tout jamais, du moins sur cette terre. Car la Nature est, pour les romantiques, le but ultime à atteindre, synonyme de bonheur perpétuel, sinon éternel.

Cependant, le romantique est un mélancolique. Non pas un déprimé chronique, mais un être tourmenté en recherche perpétuelle de devenir et de plénitude, mais aussi de beauté et d’esthétique. C’est la raison pour laquelle les romantiques du XIXe siècle et les néo-romantiques d’aujourd’hui ont en commun le même objectif, celui de redécouvrir la Nature, c’est-à-dire le Paradis retrouvé, source inextinguible de félicité et de bonheur.

Car l’homme moderne a le sentiment profond de s’être égaré dans les méandres d’une société sans âme ni sensibilité. Les mythes et les idéologies se sont succédés sans jamais apporter de réponse satisfaisante. Pire, il semblerait qu’à l’approche du troisième millénaire, l’espoir de voir une société plus heureuse et épanouie s’envole et que le pessimisme ambiant gagne du terrain.

Notre société moderne, celle de l’informatique, est en train de perdre son âme. L’homme n’est plus considéré comme une personne à part entière, mais comme un numéro anonyme ou pire, comme un code-barres. Aller dans une banque retirer de l’argent et faire une minute de causette ne sera bientôt plus qu’un souvenir du passé; l’homme, en l’occurrence le guichetier, sera tôt ou tard remplacé par la machine. Et voilà la question, bête au premier abord, mais affreusement réaliste: peut-on parler à la machine? Evidemment, non! Alors, dans ce cas- là, puisque les relations humaines sont de plus en plus restreintes, ne vaudrait-il pas mieux "parler" à la Nature?

La Nature n’est autre que la création divinisée. Selon les premiers philosophes grecs issus de l’école ionienne, l’eau serait à l’origine de toute chose. Pour Thalès de Milet, l’air, la terre et le feu procéderaient de l’eau, substance vivante, et elle serait donc une matière primordiale capable de se transformer sous l’influence d’un dieu, tandis que Héraclite d’Éphèse pensait que la matière principale était l’air. Par contre, Anaximandre croyait que la seule substance primordiale était la matière infinie et éternelle et que celle-ci était seule capable de produire des êtres nouveaux. Les lignes directrices de l’école ionienne ont profondément influencé notre civilisation occidentale. La notion de "matière. était très importante. En effet, les trois philosophes ioniens croyaient qu’une substance unique était à l’origine du monde. Cette philosophie de la matière semble être le très lointain point de départ d’une autre philosophie de la vie, le Romantisme.

B. Dépasser la Nature?

Le Romantisme n’est autre qu’une philosophie qui met la "matière", ou plutôt l’Homme, au centre du monde et de l’Univers. Le panthéisme des romantiques n’est que la conséquence de la négation du Dieu créateur. Bien que non philosophique, le pan- théisme romantique met en évidence que l’homme recherche la vérité et un sens à son existence terrestre. Il s’agit en fait de répondre à cette lancinante question: "Quelle est la place de l’homme dans l’Univers ?" La tension entre la Nature et l’Absolu est à son comble. Le romantique, tout comme l’homme d’aujourd’hui, est partagé dans son âme comme dans son intelligence. Cette fracture est que l’homme "sent. la Nature, mais ne se l’approprie jamais! "Le panthéisme [romantique], écrit Peyre, fut rarement érigé en doctrine philosophique et n’avait pas à l’être. Implicitement, il niait une création ex nihilo par le fiat d’un dieu, puisque la nature active et la nature passive (naturans et naturata de Spinoza) étaient envisagées comme consubstantielles et toutes deux également éternelles. Il sentait l’univers comme un grand être en mouvement, aspirant toujours à plus de vie et à plus de conscience. Chez les écrivains et artistes romantiques, ce panthéisme instinctif et sentimental exprimait l’impatience de toutes barrières, l’énergie du créateur qui veut vivre de la vie des choses, devenir elles et les laisser pénétrer en lui. L’imploration de Shelley2 au vent d’ouest est restée célèbre: " Sois moi, ô toi l’indomptable", et son désir éperdu de pouvoir se confondre avec le nuage ou le flot"3.

Le romantique, comme l’homme d’aujourd’hui, éprouve le besoin de se dépasser lui-même et, bien entendu, les autres aussi. Ce dépassement est propre au mouvement romantique: il consiste essentiellement à se dépasser par rapport aux .éléments de la nature" et, plus encore, à la Nature. C’est ce que Beethoven fit dans ses symphonies. Si ses premières œuvres ressemblaient à de la musique classique, sa neuvième symphonie atteindra des sommets inimaginables et les problèmes d’interprétation sont réels, notamment pour les choristes, et pour les solistes en particulier. Ce perpétuel dépassement est conforme à l’esprit romantique. Perpétuellement insatisfait, le compositeur cherche un nouveau souffle dans la création comme dans la recherche de la beauté esthétique ou du bonheur quasi ininterrompu au travers de l’écriture musicale. Cette recherche de perfection n’est que le moteur de toute son œuvre symphonique et son désir le plus grand est de promouvoir un espoir pour le monde entier. , À ce propos, Beethoven n’écrivait-il pas dans une lettre cette phrase qui démontre la démesure du Romantisme: "Je voudrais étreindre le monde " Désir de spiritualité intense, certes, mais aussi désir de se surpasser par rapport à la Nature, et même à Dieu. .. De son côté, Gustav Mahler, compositeur post-romantique longtemps méconnu et qui a écrit des symphonies gigantesques, dont la Troisième, la plus longue, dure près de cent minutes, avait une certaine idée de la Nature. Ne faisait-il pas remarquer à Bruno Walter qu’il lui était déconseillé d’admirer le magnifique paysage où il avait composé sa symphonie ? Face à l’interrogation de son assistant, Mahler répliqua de façon surprenante: "C’est inutile, j’ai tout emprunté pour le mettre dans ma Troisième!"4

Ce désir de puissance est toujours vrai de nos jours. L’homme moderne est constamment à la recherche de la performance. Il cherche à dominer la Nature, ou plutôt la création de Dieu. Ce perpétuel dépassement représente pour l’homme un danger non né gligeable. Il aurait tendance à se sen- tir invulnérable, à se croire meilleur que les autres, voire indispensable, et même égal ou supérieur à Dieu. Hier comme aujourd’hui, l’orgueil des hommes est le même, et cela se manifeste aussi dans le monde des arts. Gustav Mahler disait à son amie, la violoniste Nathalie Bauer-Lechner à propos de la définition du mot " symphonie": " Le terme " Symphonie" veut dire pour moi: construire un monde avec tous les moyens techniques existants."5 Le rêve de tous les romantiques, d’hier et d’aujourd’hui, est de créer un autre monde, un Monde Nouveau, un paradis terrestre où l’harmonie régnerait entre l’homme et la Nature. Le rêve de Mahler est aussi celui de milliers d’hommes et de femmes en quête de solidarité, de justice sociale et d’égalité.

Notre société va dans le même sens. Nos dirigeants politiques, de même que les scientifiques de tous bords, ambitionnent de recréer le monde, et même la création! Le génie génétique, la manipulation de l’ADN, sont pour les hommes de science les plus grandes tentations humaines de notre siècle: Ces apprentis sorciers ont-ils vrai- ment la volonté de changer l’ordre créationnel et, de ce fait, refaire la création de Dieu ? On pourrait en douter.

Refaire la création non pas scientifiquement, mais par la transformation du cœur et des sentiments, n’est-ce pas là le programme des néo-romantiques? Car, à ce niveau-Ià, il ne s’agit plus de science à l’état pur, mais de "science métaphysique"6 qui rejoint parfaitement, du moins dans l’esprit, la pensée des romantiques. Pour les "méta-scientifiques", comme pour les romantiques, la nature devient Nature. En d’autres termes, le but des hommes de tous les temps est de recréer un paradis terrestre ou, du moins, une terre où l’humanité pourra vivre enfin en paix et en osmose avec la Nature.

Ce rêve utopique n’est pas venu d’un coup de baguette magique, loin de là. C’est plutôt le fruit d’une longue évolution de la pensée philosophique à travers les âges. Cependant, la plupart des historiens situent l’avènement du courant romantique au XVIIIe siècle. Reprenant l’héritage de la philosophie grecque et de l’occultisme du Moyen Age, les philosophes des Lumières ont ébauché un système de pensée basé sur l’Homme, et dont le Romantisme reprendra toute l’essence dans sa doctrine.

C. Les Lumières et la Nature

La philosophie des Lumières est à l’origine de tous les multiples mouvements de pensée contemporains que nous connaissons. Parmi tous ces courants: le Romantisme et, plus tard, l’Existentialisme, point ultime de la pensée des Lumières. Bien qu’il soit en désaccord avec la pensée rationaliste, le Romantisme y puise en grande partie son inspiration tout en y apportant une touche de sensibilité et d’humanité. Le Siècle des Lumières, celui des Montesquieu, Voltaire, Rousseau, mais aussi de Goethe, Novalis, Fichte, Byron, de Quincey, etc. et tant d’autres, se caractérise notamment par un puissant mouvement de révolte contre l’autorité et le rationalisme, mais aussi par le retour à la Nature et à la religion naturelle.

Le Retour à la Nature, selon les Lumières, n’est autre que la divinisation de l’homme. Il se place au centre de l’Univers et il se veut autonome, indépendant de toute forme de contrainte, religieuse en particulier. L’homme des Lumières aspire à la liberté et aux défoulements des sentiments. Un seul répondant à toutes ces soifs libertaires: la Nature! Ou plutôt, la Nature divinisée, promue au rang de médiatrice. Le Dieu créateur, qui est aussi le Dieu de la Grâce et de la Loi, est évacué sans autre forme de procès. Désormais, le Dieu bon7, qui est incarné dans la Nature, et l’homme épris d’indépendance vont voguer ensemble vers une destinée faite de rêves et de tragédies.

Pour les Lumières, la Nature est assimilée à la Raison et, de ce fait, l’osmose entre ces deux éléments se traduirait par une vie heureuse empreinte de félicité et de bonheur quasi perpétuel. Pour les philosophes des Lumières, il doit y avoir un retour à la Nature, car celle-ci est bonne et elle n’est pas corrompue par les agissements des "civilisés". En d’autres termes, il faut redécouvrir le mode de vie des "sauvages" et autres "primitifs" afin d’y retrouver toutes les vertus qui animaient nos ancêtres, c’est-à-dire entre autres la liberté et le bonheur. Les délices de l’existence ou le ravissement de l’âme devant la grandeur majestueuse d’une montagne sont autant de motifs pour s’attacher à la Nature. Car la Nature serait bonne…

Non seulement la Nature est bonne, mais elle peut être vécue aux tréfonds de l’être, elle ne peut être découverte que par les sens psychiques de l’homme. La foi en un Dieu transcendant, tout comme l’intelligence, fait place à un nouveau dieu, le cœur de l’homme qui découvre la Nature. C’est l’idole de l’homme romantique. "Les nouveaux mots d’ordre, écrit le philosophe norvégien Jostein Gaarder, étaient: "sentiment", "imagination ", "expérience " et "nostalgie ". Certes le sentiment n’avait pas été complètement mis de côté par les philosophes du siècle des Lumières, rappelons-nous Rousseau, mais ce n’était que pour faire contrepoids à la raison. Ce qui n’était qu’accessoire devint dorénavant essentiel dans la culture allemande8. Ce courant de pensée devait par la suite s’étendre à une partie de l’Europe occidentale, la France en particulier.

D. Jean-Jacques Rousseau et la Nature

Jean-Jacques Rousseau, l’un des premiers pré-romantiques9, a mis au centre de ses préoccupations l’homme par rapport à la Nature. Pour lui, le bonheur, c’est de retrouver en soi l’âme universelle, c’est-à-dire retrouver ses "origines ", sources de vertus et de pureté. Cette recherche du bonheur a conduit Rousseau dans les méandres d’une spiritualité déiste et humaniste, celle d’un christianisme acceptable et qui met l’homme au centre.

Rousseau mena une vie errante durant une bonne partie de sa vie. Ses "voyages à pied " sont justement célèbres. La vie errante et solitaire de l’écrivain fut source d’inspiration et de réflexion. Ses ouvrages autobiographiques fourmillent d’allusions à la Nature. Pour lui, la Nature n’est que Nature, c’est-à-dire le paysage sans les humains ou, plus exactement, la "nature primitive". C’est une sorte de paradis terrestre. Ses sentiments vont vers les lacs, les montagnes, mais aussi les torrents impétueux et les pentes escarpées.

Toute la pensée sur la Nature de Jean-Jacques Rousseau est notamment mise en évidence dans les Confessions et les Rêveries d’un promeneur solitaire. Plus que des pensées, il s’agit d’un témoignage à la fois saisissant et déchirant. Rousseau, l’homme solitaire et incompris de la plupart de ses concitoyens exprime en des termes poignants sa vérité devant le mystère de l’existence.

Rousseau trouve sa source d’inspiration au cours des nombreux voyages qu’il fait. Il y trouve un bonheur quasi parfait. Le temps qui passe, le vécu et le présent sont fusionnés. Rousseau l’exprime en peu de mots: "]e suis, en racontant mes voyages, comme fêtais en les faisant; je ne saurais arriver10".

Rousseau est un romantique en ce sens qu’il vit le passé au présent par l’écriture: C’est plus qu’un souvenir, fut-il bon, mais une reconstitution de l’événement. Le "je suis" trouve son équivalent au "j’étais". Pour l’auteur, la notion du temps face à la Nature est abolie, et c’est là précisément que se place le bonheur rousseauiste, un bonheur illusoire et futile. Le bonheur ne se situe plus dans le temps, mais hors du temps… sur la terre! C’est la recherche du temps heureux, mais ce temps s’évanouit dans la durée. Sans cesse, ‘Rousseau est ramené à la réalité, mais toujours il fuit dans ses perpétuelles rêveries. Car la Nature a ses limites, elle ne saurait être l’objet d’une adoration perpétuelle. Tout voyage terrestre a une fin. Penser ou revivre la Nature au passé n’est que le signe d’une absence de vraie spiritualité.

Les voyages de Rousseau font penser au voyage de notre vie. Le passé est fini, le présent nous échappe et le futur est incertain. Nombre de nos contemporains s’angoissent face au temps qui passe et se tournent très souvent vers le passé. Un passé révolu, mais toujours vivant fait de rêves et parfois d’illusions. Les exemples de gens à la redécouverte du passé sont innombrables. Le passé devient sans cesse un sujet d’actualité.

Prenons le cas du Moyen Age. Depuis des années, cette période de l’histoire exerce sur bon nombre d’hommes et de femmes un attrait irrésistible. Et certains, dans un enthousiasme désarmant, se sont mis à l’œuvre pour construire un château féodal avec des matériaux anciens, et ceci pour une durée de 25 ans! Fabuleux projet, mais à quoi bon? Ce n’est pas la construction du château qui nous étonne, mais les moyens utilisés et surtout la durée de la construction. Consacrer plus d’un tiers de sa vie pour un château! Ce romantisme-là s’exprime dans le temps, ou plutôt dans la qualité du temps vécu! Au- delà du rêve, ces nouveaux bâtisseurs se sont donné du "bon temps., et en construisant cet édifice, ils revivent le temps d’autrefois. ils oublient le temps présent, le béton armé et le bruit infernal des machines, pour vivre une aventure humaine loin des tumultes et des scandales de notre société moderne. Pour ces constructeurs d’un autre âge, le rêve devient certes une réalité, mais ce n’est en définitive qu’une fuite dans le temps. Car, pour un seul château, combien d’autres constructions nouvelles qui vont défigurer des quartiers entiers? Le temps aura fait d’ici-là ses ravages. .,

L’exemple de Rousseau est explicite sur plus d’un point. Il montre bien que notre pèlerinage terrestre est une marche vers notre Créateur, et non pas vers une hypothétique Nature. Loin d’être une corvée, la marche chrétienne est une grâce qui nous permet d’adorer et de louer le "créateur des cieux et de la terre. dans la vérité. L’apôtre Jean écrivait: "Je n’ai pas de plus grande joie que d’apprendre que mes enfants marchent dans la vérité." (3 Jean 1.4). La Bible nous parle sans cesse de joie, synonyme de bonheur vrai. L’apôtre Paul l’affirme sans détours: "Au reste, frère soyez dans la joie, perfectionnez-vous consolez-vous, ayez un même sen ment, vivez en paix; et le Dit d’amour et de paix sera avec vous" (II Cor 13.11). La vie chrétienne, en effet, est une vie de progression dans la connaissance de Dieu. Et le résultat sera l’amour, la joie et la paix… Que désirer de plus?

E. Un retour à la Nature?

L’un des signes les plus caractéristiques du nouveau Romantisme est retour aux vieilles traditions oublié d’autrefois. Dans sa recherche de souvenirs, l’homme scrute le passé, son passé, afin de découvrir les
richesses et les beautés d’une époque à jamais révolue. Cette rétrospective des années d’or du Romantisme est une tentative de se replonger dans passé afin de revivre des moments inoubliables. Ce fut le cas de Rousseau. Et plus encore de Lamartine.

1. La consolation par la Nature?

Alphonse de Lamartine (1790-1869) fut sans doute le premier, à exprimer son attachement à la Nature. Ses œuvres poétiques atteignent un sommet de sensibilité et de grandeur. Pour lui les mots traduisent un état spirituel dans lequel l’amour brisé et l’inquiétude religieuse alternent. Mais au lieu de chercher Dieu dans la Bible, Lamartine se tourne vers la Nature. Lamartine croit, en effet, que la Nature est source de quiétude et de bonheur Pour lui, seule la Nature est médiatrice entre l’Homme et le monde quasi divinisé. La Nature peut en effet le comprendre et le consoler. Cette confusion entre le créé et le Créateur est pour lui fatale. Et pourtant, "Lamartine, écrit Henri Peyre, multiplie les hymnes au Créateur en 1820 et 1830, mais avec une facilité qui éveille bien des soupçons sur la sincérité et l’intensité de sa foi"11.

Son poème Le Vallon illustre fort bien sa confiance envers la Nature, symbolisée ici par ce vallon situé dans les montagnes du Dauphiné, près du Grand-Lemps, chez son ami Virieu. Ce poème, "conçu un 8 août" en souvenir de Julie Charles12, décrit la quiétude, mais aussi le mystère de la Nature représentée par un magnifique vallon au fond duquel coulent deux ruisseaux. Lamartine compare sa propre existence à ces ruisseaux. L’écoulement des filets d’eau l’émeut, son "âme est troublée", car la vie "coule" si vite. La strophe quatre exprime les sentiments à la fois profonds et contradictoires du poète:

"La source de mes jours comme eux s’est écoulée; Elle a passé sans bruit, sans nom et sans retour; Mais leur onde est limpide, et mon âme troublée N’aura pas réfléchi les clartés d’un beau jour."

Le vallon est considéré comme une personne, un interlocuteur. Lamartine s’adresse personnellement au "vallon de son enfance" et aux "beaux lieux". Ici, la Nature est plus que de la matière, elle est une création métaphysique dans laquelle la matière et l’esprit sont fusionnés. L’idée de fusion est très présente chez Lamartine. N’écrit-il pas:

"Là, deux ruisseaux cachés sous des ponts de verdure Tracent en serpentant les contours du vallon;
Ils mêlent un moment leur onde et leur murmure, Et non loin de leur source ils se perdent sans nom."

Ou encore:

"De lumière et d’ombrage elle t’entoure encore: Détache ton amour des faux biens que tu perds; Adore ici l’écho qu’adorait Pythagore, Prête avec lui l’oreille aux célestes concerts."

Le dieu de la Nature se manifeste dans ces deux ruisseaux. Lamartine est en communion avec ce "dieu". Et pourtant, ces ruisseaux se perdent. .. Cruelle illusion! Le dieu des romantiques, la Nature, n’est qu’un dieu impersonnel qui fuit dans l’espace et le temps. Le bonheur de Lamartine n’est déjà plus. ..Quant à la référence à Pythagore, elle est, à bien des égards, fort explicite. En effet, Pythagore, de même que ses disciples, se sont intéressés à la musique. Pour eux, la musique est à l’origine de l’harmonie universelle qui régit le monde par des mouvements réguliers. Le monde en tant que système cosmogonique serait donc régi par l’harmonie musicale métaphysique.

L’homme moderne est constamment à la recherche de la consolation qui pourrait soulager ses douleurs et ses misères morales ou spirituelles. La vie est dure, parfois intolérable et il est juste et louable de chercher la consolation. Une parole, une présence sont sources de tranquillité du cœur et de l’âme. Les romantiques, de même que la plupart des hommes d’aujourd’hui, cherchent désespérément la paix du cœur et de l’âme dans un lieu idyllique. Lac, rivière, forêt, montagnes, etc. Trouver refuge en un endroit bucolique, lieu de paix et d’amour, voilà le but ultime auquel l’homme aspire.
Mais cette contrée paradisiaque pourrait se transformer un jour en tragédie. Car la nature se venge, dit-on, et les faits divers relatés par la presse nous le rappellent très souvent.

Au contraire le message de la Bible est celui de la consolation. L’apôtre Paul nous le rappelle constamment. Pour lui, la consolation ne peut venir que de Dieu. Elle est source de bénédiction, d’amour, de joie, de paix dans notre être tout entier. Cette consolation n’est pas liée aux sentiments, mais à notre union spirituelle à Dieu. "Que le Dieu de la persévérance et de la consolation vous donne d’avoir les mêmes sentiments les uns envers les autres selon Jésus-Christ…" (Rom 15.5); "Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation" (II Cor 1.3); "Si donc il y a quelque consolation en Christ, s’il y a quelque soulagement dans l’amour, s’il y a quelque communion d’esprit, s’il y a quelque compassion et quel- que miséricorde…" (Phi 2.1); "Que notre Seigneur ]Jésus-Christ lui-même, et Dieu notre Père, qui nous a aimés, et qui nous a donné par sa grâce une consolation éternelle et une bonne espérance…" (il Thes 2.16); etc.

Parce que les romantiques ont cherché la consolation dans la Nature, ils n’ont trouvé que la mélancolie, la tristesse et finalement la mort. Quel contraste avec l’enseignement de la Parole de Dieu!

2. La Nature médiatrice?

Il est quasiment impossible d’expliciter, du moins dans le détail, le Romantisme, ce vaste courant de pensée qui a embrassé tant de domaines, et en particulier, l’histoire, la littérature, la musique et la peinture. A l’origine, le Romantisme de la fin du XVIIIe siècle était un courant sentimental, né de la chevalerie et du christianisme du Moyen Age, en réaction au classicisme du XVIle siècle. Ce Romantisme-là se nourrissait de 1 ‘héroïsme des chevaliers et de la beauté de la création symbolisée notamment par cette fleur mythique qu’est la rose. L’esprit chevaleresque allié au christianisme sentimental a donné naissance à une nouvelle religion, le Romantisme. Bien entendu, il ne s’agit pas d’un culte révélé, mais d’un nouvel état d’esprit, d’une vision destinée à changer l’homme, et le monde. Cette motivation de changement s’exprime dans le besoin d’absolu, la soif de liberté, la révolte contre la médiocrité et aussi le renouveau de l’esthétique et de la beauté. Le Romantisme est avant tout la révolte de l’homme face au machinisme froid et à l’injustice de plus en plus criante de notre société dite "démocratique et moderne". Si la Machine communique des informations, par contre elle ne peut pas dialoguer. La Nature, au sens où les romantiques l’entendent, pourrait .dialoguer. avec l ‘homme et, par conséquent, lui transmettre un message.

Si la Machine est logique et froide, la Nature serait sensible et vivante. En vertu de ce concept panthéiste, l’homme est irrésistiblement attiré vers la beauté et le charme sublime de la Nature et, de ce fait, va entretenir avec elle une relation intime et personnelle. Peu à peu, l’homme va voir dans la Nature le seul confident capable de l’aimer et de le comprendre. Seul au milieu de la forêt, ou au bord d’un lac, le romantique va ouvrir son âme et son cœur à la Nature. Son désespoir et sa détresse vont s’épancher et seul un écho, imperceptible aux oreilles humaines, va répondre à toutes ses peines. Une résonance venant de la montagne, du bois ou du lac va donner à l’homme une certitude quasi absolue que seule la Nature est capable de guérir les maux de son âme. C’est ainsi qu’insensiblement la Nature remplace le Dieu créateur… La boucle est bouclée: l’homme romantique a changé de dieu et désormais un autre médiateur se présente, la Nature.

Friedrich von Hardenberg dit Novalis (1772-1801) est le type du romantique mystique qui, en l’espace de trois années (1796-1801), a écrit l’essentiel de son œuvre. Une œuvre tragique et fulgurante qui va laisser une marque indélébile dans le Romantisme à venir.

Le parcours de Novalis est classique. Né dans une famille piétiste, il découvre une spiritualité faite de lectures bibliques et de cultes quotidiens et fait ses premiers pas dans la contemplation. Après des études de droit à Iéna, puis à Leipzig, il travaille comme administrateur des Salines. Sa vie de fonctionnaire va basculer peu de temps après. En 1795, il se fiance avec Sophie von Kühn, alors âgée seulement de treize ans. Un merveilleux été se déroule. ..Mais des sombres nuages s’amoncellent. Sophie tombe gravement malade, et meurt à l’âge de quinze ans. Cette séparation douloureuse va plonger Novalis dans un océan de douleurs, mais aussi de réflexions.

Son journal intime est un chef d’œuvre de mélancolie morbide qui met en évidence la douleur inconsolable de l’âme humaine face à la mort. Face à ce problème insoluble, Novalis part en quête d’un intermédiaire, d’une force de félicité qui est symbolisée par une "Fleur bleue" ou la "déesse voilée de Saïs". Mais, derrière ces symboles, se cache Sophie, la bien-aimée, qui, peu à peu, se mue en une sorte de déesse. Finalement, pour Novalis, il y a "Christ et Sophie"13, c’est-à-dire que la place de Sophie14 a une telle importance dans la vie de Novalis qu’elle peut être considérée comme un mythe, et même comme une religion.

La courte vie de Novalis (il ne vécut que 29 ans) illustre le drame de l’homme romantique. Son idole est – et restera – la Nature, ici symbolisée par Sophie. Le schéma de sa courte existence est classique: le Dieu personnel de l’enfance de Novalis s’estompe et fait place à un autre dieu, le Héros romantique. C’est un être tourmenté, déchiré, meurtri qui vit une perpétuelle contradiction entre ses aspirations et son époque. De plus, le Héros romantique est toujours placé sur une ligne de démarcation, à savoir la vie et la mort, le désir de vivre et celui de se suicider ou de mourir jeune, etc. il est évident que tout cela ne peut aboutir qu’à une impasse, voire à des dérapages. En effet, il y a chez l’homme romantique une tension perpétuelle entre deux états contradictoires: d’un côté la création, le spirituel, le Dieu personnel; de l’autre, la Nature (panthéisme), le mysticisme et le déisme. La grandeur du Créateur est réduite à la création, et même à la créature.

3. Une Nature froide et ingrate ?

Si Lamartine ou Novalis voguent au gré de sentiments quasi religieux en- vers la Nature, il n’en est pas de même pour Alfred de Vigny. Revers de la médaille ou tout simplement retour à la réalité, la pensée de Vigny étonne. Alors que, pour tous les romantiques, la Nature a une âme, il semblerait que Vigny prenne le contre-pied de ses collègues.

Le poème La Maison du Berger exprime en effet au plus haut degré la déception d’Alfred de Vigny face à la Nature. Pourtant, et Vigny partage ici l’opinion de tous les écrivains de son temps, la Nature, décrite ici comme une personne, est belle et magnifique. Cependant, la Nature est dépourvue d’âme, ou du moins de sensibilité. Vigny n’y va pas par quatre chemins. Pour lui, la Nature est .froide" (vers 1) et ses "splendeurs vaines" (vers 5), autrement dit vides. Cette Nature, autrefois chérie, devient insensible, voire égoïste devant la douleur de l’homme mortel. Vigny n’écrit- il pas cette pensée qui manifeste réellement un état de crise chez lui: .Vivez et dédaignez, si vous êtes déesse. (vers 4). La douleur du poète envers cette "terre ingrate" (vers 16) et "muette" (vers 14) est profonde. Il ne comprend pas, et, à défaut de comprendre, il s’écrie: " Vous ne recevrez pas un cri d’amour de moi " (vers 7).

La douleur de Vigny est aussi celle des gens que nous côtoyons chaque jour. Combien d’hommes et de femmes ont vainement cherché dans la Nature une consolation, une espérance, une certitude. Tout comme Lamartine et ses condisciples, ils ont cru de tout cœur que le bonheur se trouvait en un lieu idyllique près d’un bois ou d’un cours d’eau, loin du bruit et du vacarme urbains. Les citadins sont en effet de plus en plus nombreux à quitter les villes pour aller habiter à la campagne. Alors qu’au XIXe siècle, la ville était le lieu de la réussite sociale, du moins pour certains, le phénomène est de nos jours inverse.

Selon une enquête récente, les Français aspirent de plus en plus à .retourner aux sources.. Près de 43% préféreraient vivre à la campagne contre 16% à la ville; ceux qui désireraient habiter une petite commune rurale sont de loin les plus nombreux ( 44%) contre 9% dans les grandes villes de province et seulement 5% dans une ville de la banlieue parisienne. Ces chiffres sont révélateurs de la transhumance ville-campagne.

La vie est un perpétuel recommencement, un incessant aller-retour. Trouver une raison de vivre en ville ou à la campagne, tel est le leitmotiv de tous les hommes. L’homme a mal à son lieu, il a mal à sa vie quotidienne, il a mal à son être. ..Ce mal-vivre est réel et nul ne peut l’ignorer. Le malaise et la déprime sont croissants et personne n’ose faire un diagnostic, sauf quelques courageux intervenants, comme Jacques Neyrinck15ou Jan Marejko16. Ainsi va notre monde… À la dérive!

En guise de conclusion

L’Ecclésiaste avait écrit ces paroles d’une brûlante actualité: "Ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera, il ny a rien de nouveau sous le soleil" (Ecc 1.9). Le Romantisme est de retour. Sous l’impulsion du courant écologiste et du Nouvel Age, le néo-romantisme se manifeste maintenant au milieu de nous. Nos contemporains ont la hantise que le Printemps silencieux17 devienne un jour une réalité et que la Terre devienne invivable. Comme les romantiques d’autrefois, nous souffrons de voir notre société sombrer dans un matérialisme de plus en plus dur et empreint de libéralisme sauvage. Mais, loin de nous réfugier dans la Nature, nous tournons les regards de la foi vers le Dieu vivant, et son Fils Jésus-Christ.

Si les promesses de la Nature sont illusoires, par contre celles de Dieu sont vraies. Paul l’apôtre, une fois de plus, le souligne avec force: "Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle création. Les choses anciennes sont passées; voici, toutes choses sont devenues nouvelles" (II Cor 5.17). Pour l’avoir ignoré, les romantiques n’ont connu que le désespoir et le néant. Quelle leçon! A nous d’en tirer les conséquences et de vivre une spiritualité pleine et épanouie en Christ, notre Sauveur et Seigneur. Alors, le romantisme ne sera plus.

1 Thalès de Milet (VIe siècle av. J.-C.) et Anaximène (570-526) de même que Héraclite d’Ephèse (576-480) furent les principaux représentant de l’école ionienne tandis que Parménide (515-450) et Zénon d’Elée (489-460 le furent pour l’école Eléate.
2 Percy Bysshe Shelley (1792-1822), poète anglais romantique. Il écrivit notamment La reine Mab, Prométhée délivré, L’Ode au vent d’ouest.
3 H. Peyre, Qu’est-ce que le Romantisme, pp. 183-184, Presses Universitaires de France, Paris,1979.
4 M. Vignal, Mahler, p. 61, Solfèges/Seuil, Paris, 1966.
5 H. L. de La Grange, Gustav Mahler, p. 507, Tome Il, Fayard, Paris, 1979. C’est nous qui soulignons.
6 Que Rudolf Steiner, le fondateur de l’Anthroposophie, appellera "science spirituelle".
7 Autrement dit le Déisme, c’est-à-dire la croyance en l’existence de Dieu, mais sans référence à une révélation.
8 J. Gaarder, Le Monde de Sophie, p. 365.
9 Avec lui, nous pouvons citer Bernadin de Saint-Pierre (1737-1814), un des créateurs de l’exotisme, et même André Chénier (1762-1794), dont certains des poèmes préfigurent Chateaubriand et Lamartine.
10 J.-J. Rousseau, Les Confessions, livre quatrième, p. 227, Gallimard Folio, Paris, 1973.
11 H. M. Peyre, Ibid., p. 164,.
12 Femme d’un physicien anglais. Elle rencontra Lamartine en 1816 à Aix-Ies-Bains et elle eut une brève
liaison avec lui. Ils promirent de se rencontrer l’année suivante. Mais, atteinte de tuberculose, elle ne put venir dans la cité thermale et Lamartine l’attendit en vain. Julie Charles devait mourir quelques mois plus tard. Par la suite, Lamartine écrira son fameux poème intitulé Le Lac tandis que Julie Charles deviendra dans son œuvre "Elvire" la femme idéalisée.
13 Novalis, Journal Intime, p. 65, Mercure de France, Paris, 1997.
14 Que Novalis appelle "notre chère morte, l’éternellement bonne" ! in Journal intime, p. 52.
15 Ancien professeur de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), auteur d’un excellent ouvrage intitulé Le Huitième jour de la Création.
16 Professeur de philosophie à Genève. Auteur de La Cité des morts.
17 C’est le titre d’un livre de Rachel Carson paru dans les années 60. Le courant écologiste est né peu après.
Remarquablement bien écrit, ce livre laisse planer la menace qu’un jour peut être les oiseaux ne chan- teront plus et que le printemps sera peut-être pour toujours silencieux…

Écrit par


CHRONIQUE DE LIVRES

Genève et le déploiement de la Réforme au 16e siècle

Aux Editions L’Age d’Homme, série Mobiles historiques, Lausanne (123 p.)

Un très bel et court ouvrage vient de sortir de presse sur Calvin, son oeuvre et son influence immense sur son époque qui a marqué l’Eglise et la société jusqu’à nos jours. Le livre a l’avantage d’être facile à lire dans la présentation de l’essentiel sur la Réforme à Genève avec son influence aux niveaux spirituel, culturel, social et politique. Une fois de plus, l’auteur par sa remarquable analyse a su faire vibrer nos cœurs et stimuler notre réflexion pour une application actuelle de ces mêmes principes bibliques, fondement de la Réforme. Il nous semble utile de donner un aperçu détaillé de l’ouvrage.

L’ouvrage contient deux parties principales, précédées d’une introduction. Dans sa première partie, l’auteur brosse le tableau d’une Europe occidentale marquée par le christianisme, mais aussi imprégnée de différentes cultures païennes. La Réforme s’inscrit dans ce contexte pour rayonner depuis Genève dans ces pays, en particulier la France. La seconde partie traite de la Réforme à Genève, avec la formation des pasteurs à Genève, partie des plus instructives pour ce qui concerne le concept biblique d’une vision chrétienne du monde englobant tous les domaines de la réalité de la vie. Dans ce cadre s’insèrent également la souveraineté de Dieu et la responsabilité de l’homme. Le but ultime du travail énorme de Calvin était toujours la gloire de Dieu.

L’Introduction prend le contre-pied de l’idée répandue parmi les Evangéliques que la doctrine de l’élection produit une indifférence au salut des âmes. En effet, entre 1555 et 1562, la Réforme de Genève a donné lieu à la fondation de 2150 «Eglises dressées » (Eglises avec structure et discipline ecclésiales), et cela là où les persécutions sévissaient. Quel rôle Calvin et la ville de Genève ont-ils joué dans tout cela? Comment expliquer que l’enseignement de ces doctrines (« la prédestination, l’entière souveraineté de Dieu et la dépravation totale de l’homme ») considérées souvent de nos temps comme «apparemment débilitantes-, ait amené des milliers d’âmes au Sauveur, établi des centaines d’églises et exercé une telle influence sur la société ? Comment expliquer un des plus grands Réveils de l’histoire de l’Eglise? «Comment se fait-il qu’un tel renouveau de la foi ait été le fruit d’un style de prédication et d’un genre de vie ecclésiastique en si grande contradiction a vec nos stratégies modernes de l’évangélisation du monde..? L’intention de l’auteur est précisément de démontrer combien l’histoire dément ces critiques infondées.

Première partie

Elle contient d’abord un bref aperçu de la vie de jean Calvin, suivi par l’arrière plan politique, culturel et réligieux du ministère de Calvin avec les trois sous-divisions la paganisation de la politique, la paganisation de la culture et la paganisation du christianisme. L’auteur analyse les conditions dans lesquelles la Réforme est née. Toute une série d’éléments jouerait un rôle important dans la paganisation de l’avant-Réforme: l’influence des cultures gréco-romaine, celtique et germanique, et l’introduction de ces éléments païens dans l’Eglise médiévale, dans le domaine de la philosophie et du droit, puis dans ceux de la littérature et des beaux-arts. On lira avec intérêt le développement de cette paganisation dans ces trois domaines de la politique, de la culture et du christianisme en Europe occidentale. Le chapitre sur les origines de la Réforme française est une analyse des racines du grand réveil au Royaume de France au 16e siècle. L’influence de Luther fut immense dans ce retour à la foi biblique. La structure de la première édition de l’Institution de la Religion chrétienne de Calvin (1536) correspond à celle du Petit Catéchisme de Luther (1529). Une autre source d’influence venait de Jacques Lefèvre d’Etaples, pionnier en France du nouvel «évangélisme ». Connaisseur des écrits d’Aristote et de la mystique naturaliste de l’Antiquité il se tourna finalement vers les Ecritures pour y découvrir la vérité et la vie. En approfondissant l’étude de la Bible, il découvrit également le «double sens de l’exégèse littérale », c’est à dire de faire ressortir «le sens naturel » -celui qu’entendaient les auteurs divins et humains -ce qu’il nomma le sens littéral «prophétique » -et le sens littéral «historique » nu, accompli en la personne et l’œuvre du Christ. Il publia en 1509 son premier ouvrage de critique et d’exégèse biblique, Le quintuple psautier; "où nous trouvons solidement établis les principes herméneutiques qui allaient caractériser l’exégèse et la prédication des Réformateurs". Guillaume Farel vint à la foi par le témoignage de Lefèvre et joua un rôle important dans la Réforme en Suisse romande. C’est lui qui introduisit la première imprimerie dans la région de Neuchâtel, où était imprimée et diffusée la première traduction française de la Bible de Louis Olivétan, qui servit de base à la diffusion des Ecritures et de la littérature biblique en France. Dans le dernier chapitre de la première partie, J .-M. Berthoud développe la venue et le combat de Calvin à Genève pour faire triompher l’Evangile. En résumé, «les années entre 1541 et 1555 virent à Genève une lutte spirituelle, doctrinale, morale et politique intense pour obtenir la transformation d’une Eglise plantée. ..en une Eglise dressée. .. une Eglise disciplinée, fidèle et obéissante. à la Parole de Dieu. Toute la structure de l’Eglise selon le concept de Calvin, influencé par Martin Bucer à Strasbourg, fut mise en place. Ce concept s’insérait dans le cadre d’une Eglise institutionnelle et soutenue par l’Etat, tout en gardant son indépendance en matière de foi et de discipline de l’église. On peut ne pas partager ce concept de l’église institutionnelle et certains procédés d’alors, mais il reste néanmoins vrai que le projet était séduisant et l’œuvre de Calvin grandiose pour arriver à une telle Réforme, où finalement l’Evangile avait transformé hommes et mœurs. C’est à cette époque que se situe l’affaire de Michel Servet, hérétique et gnostique, qui combattait les doctrines centrales de la foi chrétienne et fut finalement envoyé au bûcher par le gouvernement genevois. On reproche à Calvin d’avoir été «le dictateur de Genève», ce qui est démenti par les faits de l’histoire réelle, car le pouvoir direct fut exercé par le Conseil de la ville. L’influence de Calvin se fit plutôt par la prédication, et sa capacité de persuasion -donc de manière indirecte -par la seule force de son autorité morale. Calvin avait une vision avant tout ecclésiastique et voulait d’abord rétablir une structure dans l’Eglise avec une doctrine et une discipline selon les Ecritures, capable ensuite de préparer et d’en- voyer des missionnaires prêcher l’Evangile.

Deuxième partie

Au premier chapitre, Calvin et la vigne de Dieu en France, sont développées les convictions de Calvin sur les autorités, la justice et le rôle de l’Eglise dans la société. Sa .prédication impliquait toujours application précise et concrète». Ses enseignements et son influence grandissante allaient forcément à l’encontre du pouvoir des derniers Valois et de l’Eglise de Rome caractérisé par un .absolutisme machiavélique». Cette réforme ne pouvait finalement qu’aboutir à la haine contre la Réforme et à la persécution des Evangéliques en France, car Calvin ne tolérait aucun compromis avec Rome.

Le second chapitre traite de Genève qui forme et délègue des pasteurs aux Eglises réformées en France. Genève se voua dès lors à la formation des futurs pasteurs. Il y avait plus de 300 étudiants en théologie dans l’Académie de Genève fondée en 1559. Cet- te formation théologique était rigoureuse: étude philologique et grammaticale de la Bible, maîtrise du latin, de l’hébreu et du grec, préparation pour la tâche la plus importante: l’étude et l’exégèse de la Bible. A part les examens sur la doctrine, les candidats devaient faire preuve de probité morale et idéologique. Ces disciplines s’exerçaient «en classe», ce qui allait à l’encontre de «l’individualisme exacerbé du protestantisme moderne». Calvin n’était pas pour la violence, et il exhortait les missionnaires en terre de France à la patience dans le combat de la foi au milieu des souffrances et de la persécution. Calvin exigeait une fidélité absolue à la foi chrétienne selon la Parole de Dieu.

Le chapitre trois sur la formation des pasteurs et la prédication de Calvin nous présente le concept et le plan d’une formation pastorale complète selon Calvin. A "l’Académie de Genève», on trouve les deux grands domaines dans lesquels Dieu manifeste sa révélation: d’abord par sa création, puis par sa Parole écrite. Pour Calvin, les «sciences physiques» faisaient partie du programme d’enseignement, étudiées à la lumière de la Parole de Dieu, car la nature aide à comprendre le Créateur, alors que les scolastiques négligeaient cette discipline comme inférieure. L’analyse pertinente de J.-M. Berthoud nous paraît fondamentale pour revenir à une vue biblique du monde, base du grand réformateur. La pensée de Viret et de Calvin s’oppose totalement au dualisme, qui est à la racine de la pensée scientifique moderne, où les sens et la science sont dissociés. Ce dualisme devint dominant au 18e siècle dans l’enseignement de la théologie, qui de ce fait fut totalement dénaturé. Les «outils linguistiques» développés par les humanistes de la Renaissance furent utilisés par l’Académie pour mieux interpréter les Ecritures, afin d’obtenir une exégèse continue de la Bible dans son sens littéral.

Bien que très souvent malade, Calvin prêchait pratiquement tous les jours en plus de son enseignement à l’Académie. En 1561, plus de 1000 personnes fréquentaient régulièrement ses cours. Parfois il était si peu bien qu’il devait se faire porter sur une chaise à l’ endroit où il enseignait. Tous les cours étaient donnés en latin. Il prêchait «sans notes, expliquant la Bible directement à partir du texte hébreu ou grec dont il donnait sur place sa propre traduction». Mais il se préparait toujours soigneusement. L’application du texte biblique à sa propre vie était primordiale pour lui. La nature de la prédication résidait en trois points: D’abord, sa prédication consistait en une exposition suivie du texte biblique. Ensuite, il se servait de tous les outils linguistiques pour serrer le texte sacré de près, tout en les soumettant à son autorité souveraine. Le dernier point consistait en une prédication de caractère rigoureusement antithétique. Tout ce qui était contraire à la Vérité devait être forcément faux. La vraie doctrine était ainsi systématiquement opposée à l’hérésie et entre les deux existait une guerre sans répit. La base du contenu de son enseignement consistait en trois points: la corruption totale de l’homme, la grâce souveraine de Dieu et la justification par la foi seule. La prédication devait avoir des implications pratiques pour la vie du chrétien. La prédestination, la certitude du salut, le combat spirituel et la sanctification, l’édification de l’Eglise et la restauration de la société, formaient le corps des doctrines primordiales. L’activité sanctifiée d’une vie véritablement chrétienne devait s’exprimer par le service, l’amour et la justice, dans la soumission à la Parole et la dépendance du Saint-Esprit.

Dans le chapitre quatre sur la souveraineté de Dieu et la prédication souveraine de l’Evangile, l’auteur démontre qu’il n’y a pas incompatibilité entre la doctrine enseignée par Calvin et la prédication efficace de l’Evangile, et que cette doctrine a pour but ultime la gloire de Dieu. Face à la souveraineté absolue de Dieu, la responsabilité de l’homme serait pour certains une affirmation antithétique. Cette souveraineté ne dispense en aucune façon l’homme de prier et d’agir «comme si l’avenir dépendait de sa seule volonté, comme si son action était susceptible de modeler le monde et l’histoire», C’est le contraire d’une attitude fataliste et passiviste. Cette piété calviniste contient à la fois le zèle missionnaire et la dimension de notre responsabilité face à la création: la foi chrétienne vécue dans tous les domaines de la vie.

L’auteur, dans sa conclusion, nous laisse encore quelques tableaux touchants du caractère et de la piété de Calvin. Dans sa vie, tout est constamment axé sur Dieu et sa Parole. Malgré tous ses dons et toutes ses activités, Calvin est resté humble. Il était d’une grande sensibilité. Tout en ayant été un homme d’action, il nous a légué une oeuvre écrite remarquable et gigantesque. Sa correspondance était immense, donnant des conseils, démêlant des problèmes difficiles et consolant les affligés avec douceur. Son caractère était loin d’être «épouvantable», comme certains l’affirment. Il disait de lui-même à la fin de sa vie: «J’ai eu bien des infirmités que vous avez dû supporter et, en plus, tout ce que j’ai fait n’était d’aucune valeur», Le livre se termine avec deux magnifiques prières de Calvin faites à la fin de ses deux prédications sur 2 Samuel 13.

Nous apprécions la bibliographie étendue et utile pour qui désire approfondir les différents sujets. Les notes en bas des pages facilitent la lecture, évitant au lecteur d’aller les chercher à la fin du livre.

Si nous nous sommes longuement arrêtés sur cet ouvrage, c’est qu’il nous semble résumer deux choses: D’abord, l’héritage important que ce grand Réformateur nous a laissé. Ensuite, les quelques principes et mécanismes qui s’en dégagent pour tirer des leçons. Il peut y avoir des divergences sur certains points dans l’ecclésio1ogie ou le ministère pastoral, mais le but de cet ouvrage n’est-il pas de relever l’essentiel: nous stimuler à une étude sérieuse et approfondie de la Parole de Dieu et porter une plus grande attention à une formation plus poussée de la relève des responsables de nos églises? Il ne s’agit pas de favoriser l’intellectualisme, mais de former une nouvelle génération d’hommes de Dieu capables d’enseigner et d’édifier nos Eglises par des prédications et des études bibliques solidement ancrées dans les Ecritures. Dieu nous a donné un cœur et un cerveau, servons-nous des deux. Tout cela demande du temps, de la réflexion, de la volonté et de la persévérance. Ce n’est pas du «fast food» à la Mc Donald’s dont l’Eglise au 21e siècle a besoin, mais d’hommes de Dieu équipés avec soin: et sérieux. Le livre m’a sensibilisé profondément quant à la question: que faisons-nous dans nos communautés pour former nos responsables? Comment le faisons-nous? Nous recommandons vivement cet ouvrage, ne fût-ce que pour cette raison-là, et demandons à Dieu de richement bénir ceux qui le liront.

H. Lüscher

Écrit par


(Troisième partie)

Vous les attendiez tous! Voici enfin 1es applications pratiques de l’étude sur l’inspiration et l’autorité de la Bible présentée dans les deux numéros précédents de PROMESSES!

IV Considérations pratiques

"C’est précisément parce que l’Ecriture Sainte est -directement -la Parole de Dieu, que la responsabilité de l’Eglise, des chrétiens et des hommes qui la lisent et l’écoutent est toujours, inévitablement, engagée. C’est précisément parce que l’Ecriture Sainte est la Parole de Dieu, à laquelle nous sommes sans cesse confrontés, et à laquelle il nous est impossible de nous soustraire, qu’aucune échappatoire, aucune évasion, aucun faux prétexte ne nous sont permis et que Dieu demande, réclame, souverainement, la réponse de la foi et de l’obéissance. Avec l’Ecriture nous avons à faire avec la Révélation même de Dieu qui exige notre conversion et notre soumission, nous avons à faire avec la proclamation du grand oeuvre salvateur (sic) de Dieu qui s’est accompli dans l’histoire depuis le commencement jusqu’à Jésus-Christ. Le Seigneur de l’Ecriture et l’Ecriture du Seigneur sont là, ensemble, devant nous, aussi long- temps qu’on peut dire aujourd’hui, dans ces derniers temps où nous sommes. Avec leur pleine et infaillible autorité." (P. Courthial, p.35)

Lecture

Si, au plus profond de nos convictions, nous nous laissons saisir par le fait que Dieu nous a parlé -et nous parle encore -par sa Parole, et que cette Parole est revêtue de toute son autorité, alors notre lecture en sera profondément marquée. ..Nous nous en approcherons avec respect, dans un esprit d’humilité, de dépendance, de soumission et d’obéissance, assurés de l’assistance du Saint-Esprit pour nous conduire dans une compréhension, dans une acceptation, dans une assimilation de la vérité d’En-Haut, et confiants que ce même Saint-Esprit appliquera la Parole à nos vies pour nous éclairer, nous instruire dans la justice, nous transformer, et nous conduire dans le chemin de l’ obéissance. Dans cet esprit de dépendance nous utiliserons les facultés que le Créateur nous a données, d’intelligence, de raisonnement, de recherche, de comparaison, d’analyse, de synthèse et de méditation, pour que cette Parole s’incarne en nous et devienne nôtre. Cette approche nous protégera de toutes les fausses lectures – mystique, illuministe, subjective, sentimentale, etc. – comme des tentations de faire de "l’exégèse", de construire des doctrines sur des bouts de versets, ou d’écarter ce qui n’est pas à notre goût.

"Ainsi donc, mes frères, cet Esprit Saint, que l’on veut exalter en excluant l’autorité de l’Ecriture, atteste lui- même, au contraire cette divine autorité des oracles de Dieu.

On a dit récemment que, en cessant de reconnaître la Bible pour une autorité, on sera amené à rechercher plus ardemment le Saint-Esprit; que l’Ecriture et l’Esprit s’excluent; que là où est l’Ecriture, l’Esprit disparaît.

Ces paroles sont étranges, mes frères; elle seraient énormes de danger, si elles n’étaient énormes d’erreur. Le Saint-Esprit est communiqué à l’homme, mais par le canal des Ecritures. La Parole nous déclare que les Saintes Ecritures sauvent par la foi en Jésus-Christ, que la foi vient de ce qu’on entend, et que l’on entend par le moyen de la Parole de Dieu. Voilà l’enseignement de Dieu. Ces paroles: "l’Esprit et l’Ecriture s’excluent," reviennent aux propositions suivantes: un champ de blé et le pain qui nourrit l’homme s’excluent; une source et l’eau qui désaltère l’homme s’excluent, le soleil et la lumière qui éclaire l’homme s’excluent, le sein d’une mère et lait qui fait vivre l’enfant s’excluent

Non, il n’est pas vrai que là où est l’Ecriture, l’Esprit disparaît. Tout au contraire, rien n’est uni aussi intimement que l’Esprit et l’Ecriture. L’Ecriture fait trouver le Saint-Esprit; le Sain Esprit donne la foi à l’Ecriture. Ce n’est pas l’autorité de l’Eglise qui nous donne la foi à la Parole, comme le prétendent les papes; ce ne sont pas certains principes de la raison, comme le prétendent quelques théologiens protestants; c’est Dieu qui crée lui-même cette foi en nous par sa Parole et par son Saint-Esprit. Nous avons de la divinité de l’Ecriture une démonstration immédiate, provenant de la vie qui a été manifestée et qui est la lumière des hommes. Notre foi à la Parole de Dieu n’est pas une foi simplement historique, comme quelques-uns se l’imaginent, ni une foi simplement philosophique, comme d’autres le pensent ; non, c’est une foi divine, une foi qui a ainsi une certitude, une fermeté intime élevée, inébranlable, comme Dieu qui en est l’auteur" Q.-H. Me d’Aubigné, p.62ss)

Prière

Dans la mesure où nous nous laissons saisir par l’autorité de la Parole de Dieu et, derrière elle, par l’autorité de Dieu lui-même, notre vie de prière en sera transformée… Un exemple saisissant de cela est la prière de Daniel au neuvième chapitre de son livre. Je vois au moins trois liens qui rattachent cette prière aux textes de l’Ancien Testament que Daniel avait (ou aurait) lus:

1. Tout d’abord, c’est la lecture de ces textes qui pousse Daniel à prier, et qui inspire sa prière. Il nomme lui-même les prophéties de Jérémie (ch.25; 29) au sujet des 70 ans d’exil qui touchent maintenant à leur fin. Il semble être au courant des promesses et des menaces de Dieu dans Deut 27 et 28. Peut-être connaît-il aussi la complainte de Dieu (Ezéchiel), qui cherche un homme pour se lever et se mettre à la brèche, et qui n’en trouve pas. Toujours est-il que, bouleversé par ses lectures, il prend le deuil et cherche la face de l’Eternel. Sa prière, déclenchée par la méditation de l’Ecriture, sera aussi instruite et orientée par elle, pour être conforme à la volonté du Seigneur. Cette précaution gardera Daniel de prier à la légère et de formuler des requêtes superficielles, égocentriques.

2. Deuxièmement, dans un élan magnifique de solidarité avec le peuple apostat de Dieu, dont il confesse les péchés comme s’ils étaient les siens propres, il reconnaît surtout, à plusieurs reprises, le point de départ de son dérapage, savoir qu’Israël n’avait pas écouté la Parole de Dieu, ne l’avait pas prise au sérieux, mais s’en était détourné (Dan 9.6,10,11,12,13). Ai-je besoin de faire le parallèle avec nos églises aujourd’hui?

3. Enfin, Daniel fonde ses supplications en faveur du peuple et pour la ville de Jérusalem sur Dieu lui- même et sur ses attributs: ce Dieu grand, redoutable, fidèle pour bénir comme pour châtier, miséricordieux pour pardonner, puissant pour délivrer, juste dans tous ses actes. Mais où a-t-il pu se forger une conception si majestueuse de Dieu, sinon dans une méditation approfondie de sa Parole ?

Bref, prier dans la soumission à l’autorité de Dieu, c’est apprendre à vouloir ce que Dieu veut – à la lumière de sa Parole -en invoquant les rai- sons qui l’honorent et le glorifient.

Foi

Vivre sous le signe de l’autorité de la Parole de Dieu et, derrière elle, de l’autorité de Dieu lui-même, c’est exercer une foi libératrice qui, tout en nous rappelant notre petitesse et nos limitations, nous préservera pourtant du pessimisme. Car cette foi aura pour objet le Dieu de l’Ecriture, tout-puissant et souverain, qui n’arrêtera pas d’accomplir son oeuvre de grâce jusqu’à son achèvement, qu’il s’agisse de nos vies individuelles, de nos églises, ou des nations et du monde. Car cette foi en Dieu, nourrie et fortifiée par sa Parole, cultivera en nous une .Welt- anschauung.~ (conception globale de la vie et du monde) authentique, réaliste, saine et vigoureuse parce que conforme à la pensée et aux desseins de Dieu.

"La foi. Prenez donc garde, mes frères: tremblez de perdre cette foi aux saintes Ecritures que Dieu vous a données. "La sainte Ecriture, c’est notre mère", disait Luther, "c’est le sein, ce sont les flancs dans lesquels nous avons été formés pour la vie éternelle…" Je vous dis donc à tous: Mon frère, la sainte Ecriture, c’est ta mère, car c’est elle qui t’a enfanté dans cette heure souveraine de cris de douleurs, d’angoisses, où un homme nouveau est né pour le monde éternel. C’est ta mère, car c’est elle qui t’a nourri, comme un enfant nouvellement né, du lait spirituel et pur qui fait croître. C’est ta mère, car c’est à ses pieds que tu t’es assis quand elle te racontait ces belles choses que Dieu a faites aux hommes. C’est ta mère, car c’est elle qui a apaisé les troubles de ton âme et qui a essuyé tes pleurs ! – Et tu pourrais douter de ta mère !" (J.-H. Merle d’Aubigné, p.70s)

Obéissance

On parle beaucoup de réveil à l’heure actuelle, à tel point que ce mot est devenu un piège, surtout s’il est détaché d’un retour à la Parole de Dieu et d’une redécouverte de ses exigences. D’ailleurs, où trouvez-vous la notion du réveil dans le Nouveau Testament? Ne devrions-nous pas revenir aux priorités véritables de la vie chrétienne telles que les apôtres les voyaient? Nous constaterons alors que Paul, par exemple, insiste toujours à nouveau sur la consécration, la soumission à l’autorité du Seigneur, l’ obéissance et la croissance vers la maturité. Car il sait que la crédibilité de l’Eglise, devant le monde, est à ce prix, qu’elle dépend moins des .signes et prodiges" que de vies qualitativement différentes, transformées par la puissance du Saint-Esprit.

"L’obéissance. Mes frères, gardez les saintes Ecritures et surtout obéissez aux saintes Ecritures. Que votre obéissance à la Parole de Dieu soit absolue et vivante. Ce n’est pas seulement en théorie que l’on peut renverser l’autorité de la Parole de Dieu; on le peut aussi bien en pratique; et nous tous, hélas! nous le faisons chaque jour. Oui, je m’accuse moi-même, et je vous accuse comme prenant quelque part à cette funeste erreur. ..Savez-vous ce qui vaincra cette erreur qui menace d’envahir les Eglises? Ce ne seront pas les réfutations des docteurs, mais ce sera la fidélité des disciples, par la vertu de Dieu" {ibid. p.71s).

Témoignage de l’Eglise

Le pasteur James Boice, connu aux Etats-Unis pour son ministère d’enseignement biblique systématique, dans son église à Philadelphie et à la radio, constate la quasi-disparition de cette forme de prédication:

"Quiconque examine sérieusement l’état de la prédication en notre vingtième siècle doit constater une contradiction étrange. D’une part, on reconnaît partout qu’il y a un grand besoin de bonne prédication, qui est généralement définie comme l’ exposition de la Bible. Et cependant, d’autre part, rarement a-t-on vu si peu de bonne exposition biblique …/… (Les fidèles) savent ce qu’ils veulent: un pasteur dont le but principal sera d’enseigner la Bible avec fidélité semaine après semaine, et aussi d’incorporer ce qu’il enseigne dans sa vie personnelle. Mais des pasteurs conformes à ce modèle sont apparemment de plus en plus rares et difficiles à trouver. Qu’est-ce qui ne va pas? …/… Une réponse proposée est que l’attention s’est déplacée de la prédication à d’autres formes nécessaires du ministère pastoral: la relation d’aide, la liturgie, la dynamique de groupe et d’autres préoccupations …/… Mais la faiblesse de ce point de vue est dans le fait qu’il n’est pas nécessaire de mettre ces choses en opposition avec la bonne prédication …/…

La réponse est que la dégénérescence à laquelle la prédication actuelle est assujettie est due, non pas à des causes externes, mais à un affaiblissement dans la confiance en la Bible comme Parole inerrante de Dieu revêtue de son autorité, chez les théologiens de l’Eglise, chez les professeurs des facultés de théologie, et enfin chez les pasteurs formés par eux. Il s’agit tout simplement d’une perte de confiance dans l’existence d’une Parole sûre venant de Dieu …/… N’ayant pas la conviction que la Bible est sans erreur en tout et dans ses parties, ces savants et ces prédicateurs font une approche de la Bible autre que celle des "inerrantistes". Dans leur recherche de la Bible (pour autant qu’ils y fassent des recherches), ils cherchent des lumières qu’elle serait capable de jetersur1emonde et la vie tels que le pasteur les conçoit, plutôt que de voir dans l’Ecriture cette révélation surpuissante qui nous dit ce que nous devons penser au sujet du monde et de la vie …/… Notre première thèse est donc que 1a baisse actuelle dans la prédication est due dans une grande mesure à une perte de conviction par rapport à l’autorité biblique, et que cette perte elle-même doit être attribuée à un éloignement de cette conception élevée de l’inspiration qui comprend aussi l’inerrance." (J.-M. Boice, p.125s)

Edification des croyants

Si, par la grâce de Dieu, nous nous laissons corriger, nous redécouvrirons le ministère de la Parole que le Seigneur a confié aux pasteurs/docteurs, pour assurer aux fidèles une nourriture solide par un enseignement systématique de tout le conseil de Dieu. Nous ne permettrons à rien de se substituer à cela. plutôt que de choisir nous-mêmes les thèmes qui nous paraissent importants ou intéressants, nous céderons à Dieu la constitution de l’ordre du jour, par l’étude et l’enseignement suivis de livres entiers de la Bible! Nous veillerons à ce que les les croyants lisent, méditent, étudient les Ecritures eux-mêmes, pour s’en imprégner et devenir véritablement le peuple du Livre qui le connaît, l’aime, le vit et le proclame avec… autorité!

Evangélisation des inconvertis

Nous refuserons toute édulcoration,toute dilution de l’Evangile, toute tentation de présenter un Evangile tronqué ou à l’eau de rose. Car nous n’avons pas une marchandise à vendre, marchandise au goût du jour, avec garantie de rendre nos auditeurs heureux. Certes, nous annoncerons la grâce, la miséricorde et l’amour de Dieu! Mais dans notre prédication de la Croix nous proclamerons que Dieu ordonne à tous les hommes partout qu’ils aient à se repentir car, de toute manière, ils ont tous rendez-vous avec son Fils, Sauveur pour les uns, Juge pour les autres. Et nous n’escamoterons pas le prix que celui qui s’engage dans la foi doit être prêt à payer pour devenir un disciple du Seigneur Jésus-Christ.

"Nous affirmons le rôle unique de la Bible comme le moyenindispensable pour l’évangélisation du monde (Héb 4.12; Luc 1.1-4; Jean 20.30,31; Héb 3.4a; 2 Tim 3.14). Nous ne pouvons pas connaître le Christ divin, véritable, indépendamment des Ecritures. Ainsi, l’Evangile de la Bible doit être le fondement de tout témoignage chrétien.

La tâche (qui nous incombe) d’évangéliser le monde requiertun message de Dieu pour tous les peuples du monde. Les expériences d’un individu ou d’un groupe ne peuvent pas être la base d’un Evangile universel; notre message doit être plutôt fondé sur la révélation de Dieu, sa Parole divine, la Bible qui s’applique à tous les hommes (Mat 24.14). C’est cette Parole, et non pas des opinions personnelles (2 Tim 4.2), que nous devons prêcher. Dieu a promis de bénir ce témoignage-là (Es 55.11), et il ne reviendra pas sur sa promesse (Nom 23.19)" (K.S. Kantzer et B. Fleming, p.993).

Dieu et le monde

Enfin nous proclamerons l’autorité de Dieu sur le monde.Nous rappellerons l’autorité d’Elohim, Dieu Créateur tout-puissant, sur sa création dont il régit le fonctionnement conformé- ment aux lois matérielles qu’il a lui- même établies, lois que nous respecterons nous-mêmes dans une saine gestion des biens qui nous ont été confiés, comme un signe du royaume messianique qui vient.

Nous insisterons sur l’autorité d’AdonaïDieu-Seigneur, Dieu des nations, devant qui les peuples sont responsables de se conformer aux lois morales qu’il a établies et révélées dans sa Parole, ce Dieu dont ils ont subi, subissent encore et subiront les justes jugements pour leur impiété et injustice, et avec qui ils ont rendez- vous pour rendre compte de leur comportement. Je vois là un thème biblique important, presque entièrement ignoré par nos communautés évangéliques…

Enfin nous déclarerons, bien entendu, les merveilles de YHVH; l’Eternel qui existe en et par lui-même d’éternité en éternité, Dieu qui se révèle, Dieu de la rédemption, qui vient au secours de l’homme déchu, coupable et perdu, pour le racheter, le régénérer, le justifier, l’adopter, le transformer, et pour entrer dans une Alliance de grâce avec lui. Et tout cela dans la conformité aux lois spirituelles qui émanent de lui.

Gloire soit rendue à Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, pour sa Parole inspirée, revêtue d’autorité. Le monde passera, et ses convoitises, mais la Parole de Dieu ne passera jamais, et celui qui s’y soumet pour faire la volonté de Dieu demeure éternellement. Amen.

Bibliographie

  • ARCHER Gleason L. dans "The Foundation of Biblical Authorty" (Zondervan, Grand Rapids, 1979), p.85ss
  • d’AUBIGNE J.-H. Merle, "L’Autorité des Ecritures inspirées de Dieu" (Société des livres religieux, Toulouse, 1865).
  • BERTHOUD Pierre, "L’Autorité et l’interprétation de la Bible", dans"Dieu parle", (Editions Kerygma, Aix-en-Provence, 1984), p.1ss
  • BOICE James Montgomery, "The Preacher and God’s Word", dans, "The Foundation of BiblicalAuthority", (Zondervan, Grand Rapids, 1979), p.123ss.
  • COURTHIAL Pierre, "Fondements pour l’avenir" (Ed. Kerygma, Aix-en-Provence, 1981).
  • EUI Whan Kim, "The Authority of the Bible and the Lordship of Christ", dans "Let the Earth Hear His Voice" (Worldwide Publications, Minneapolis, 1975,) p.985ss.
  • GELDENHUYS J.Norval, "Authority and the Bible", dans "Revelation and the Bible", (Baker Book House, Grand Rapids, 1958), p.369ss.
  • HORTON Frank, notes de divers messages.
  • KANTZER K.S. et FLEMING B., "Authority and Uniqueness of Scripture Report", dans "Let the Earth Hear His Voice", p.992ss.
  • KUEN Alfred, "Messages pour notre temps" (Editeurs de Littérature Biblique. Braine l’Alleud, 1974).
  • LLOYD-JONES D. Martyn, "Authority", (Inter-Varsity Fellowship, London, 1957).
  • MARCEL Pierre, "L’Autorité du Nouveau Testament", dans "Dieu parle!", p.39ss.
  • MORRIS Leon, "I Believe in Revèlation", (Zondervan, Grand Rapids, 1979).
  • PACHE René, "L’Inspiration et l’autorité de la Bible" (Editions Emmaüs, St-Légier, 1967).
  • SCHAEFFER Francis, "God Gives His People a Great Chance", dans "The Foundation of Biblical Authority", p.15ss.
  • STONEHOUSE N.B., "The Authority of the New Testament", dans "The Infallible Word", (Westminster Theological Seminary, Philadelphia, 1946), p,88ss.
  • WELLS Paul, "Quand Dieu a parlé aux hommes", (Ligue pour la lecture de la Bible, Guebwiller, 1985).
  • "WORLD EVANGELIZATION" (Périodique publié par le "Comité de Lausanne", vol. 16, n° 56, janvier 1989).
  • YOUNG Edward, "The Authority of the Old Testament"; dans "The Infallible Word", p.53ss.

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J’ai aimé vos témoignages. Je les ai reçus comme des cadeaux et j’aimerais vous donner le mien. Je connais un peu vos souffrances: j’ai eu les miennes. En 1967, une grue et son poids de plusieurs tonnes ont écrasé ma maison et l’entreprise familiale, au rez-de-chaussée, une brasserie. Ensuite, en l’espace de 20 ans, j’ai dû déménager au moins 15 fois. J’ai connu l’incendie, l’explosion, la tempête…

Aujourd’hui, je me réjouis: alors que les gens ont tellement besoin d’argent, de biens, je ne suis pas attachée à tout cela. J’ai toujours tout eu, largement, et j’ai toujours tout perdu. J’apprécie d’avoir un toit au-dessus de ma tête et de quoi nourrir les enfants. Je loue Dieu de tout mon cœur pour ce qu’il me donne.

Encore des peines: En 1993, J. (mon mari) a eu une rupture d’anévrisme au cerveau. Trois années d’hospitalisation. Les enfants avaient trois et neuf ans. En 1996, préoccupée par les soins à apporter, je n’ai pas vu arriver l’Ennemi. Pourtant, il était bien à ma porte, nourri de vieilles rancunes. C’est un cannibale qui veut tout, et tout de suite, et qui vous crie: «Je t’aime ». Mais de quelle façon! Il voulait m’anéantir en me prenant mon toit et mes enfants et me barrer par des mots comme: «On n’a pas besoin de toi » ou «Dans la vie faut se débrouiller tout seul » ou «Tu ferais mieux de te taire ». Et ne me plaignez pas trop parce qu’après une année, j’ai eu une colère terrible à ébranler les murs, et moi-même par la même occasion. Et puis, tout cela n’était pas bon pour les enfants… L’Ennemi en a profité pour trouver des alliés (c’est de bonne guerre!) et, devant le nombre, je me suis tue. C’est à ce point de mon histoire que j’ai rencontré Dieu, sous un peuplier, et suivi Jésus sur la route, pas à pas. Aujourd’hui, je me réjouis parce qu’il m’a donné plus qu’un toit et de quoi nourrir les enfants, il m’a donné aussi une arme face à l’adversaire: la prière.

J’ai prié avec une demande claire: LA PAIX. Alors, d’une façon très nette et avec force, j’ai pu me séparer de mes ennemis et de l’anti-vie qu’ils sécrètent. Puis j’ai prié pour eux car plus ils seront heureux et en paix chez eux, plus je trouverai le bonheur chez moi. C’est ainsi que, peu à peu, j’ai pu pardonner et ne pas m’adonner à cette haine qui dévore tout, ni à cette culpabilité qui paralyse. Tout comme mes enfants, la vie m’appelle et je ne palpe pas continuellement mon passé.

Aujourd’hui je me réjouis car, grâce à Dieu, cette séparation m’a stimulée en me donnant aussitôt le désir d’aller plus loin dans la relation, avec un peu plus de discernement. Et le Seigneur ne m’abandonne pas puisque justement il a permis notre rencontre.

J’ai lu un passage de la Bible qui parle de cet amour patient, qui ne s’enfle pas, qui n’exige pas, qui ne jalouse pas. Il existe ici même. Il est discret dans notre bruit. J’y suis attentive et il me guérit de mes déceptions, de mes peurs. Pour moi, Dieu est inséparable de vous et je le loue pour la joie et l’espoir qu’il me donne. Merci!

N.B.: Ce témoignage fut d’abord adressé oralement à des personnes que je peux nommer et dont je rencontre le regard. Il se veut donc chaleureux, communicatif, et il ne peut devenir un article que dans la seule intention qu’un lecteur puisse y puiser un réconfort, un courage, voire une issue face à sa propre histoire. Quand une vie prend sens et devient élan, la victoire est si belle… toute à la gloire de Dieu.

C.R.

Écrit par


QUAND j’étais enfant (il n’y a pas si longtemps il me semble!), la perspective de l’an 2000 était si lointaine qu’elle en était même improbable: le Seigneur Jésus ayant promis de revenir, il serait sûrement revenu avant la fin du deuxième millénaire! Et maintenant, cette fin du millénaire est à nos portes, le troisième millénaire ne commençant que le 1er janvier 2001. Et encore, tout cela est à relativiser, car comme chacun le sait, Denys le Petit s’est trompé lorsqu’il a essayé de déterminer l’année de naissance de Jésus-Christ, naissance qui a eu lieu quatre ou cinq ans avant notre ère, de sorte qu’il y a déjà plusieurs années que nous sommes dans le troisième millénaire.

On peut alors se demander pourquoi tout ce tapage (médiatique et autre) autour d’un changement de date qui a lieu d’ailleurs une fois par an et qui n’est que convention.

Il me semble que l’homme contemporain ressent une sorte de fascination devant ces nombres «ronds» terminés par trois zéros: un mélange d’angoisse et d’espérance lié à la double perspective de la fin et du renouveau. Peut-être vivons-nous chaque changement de date important comme la fin inéluctable de ce qui n’appartiendra bientôt plus qu’au souvenir, mais aussi comme le renouveau possible de ce qui a marqué nos vies jusqu’à présent ?

Le passé sera encore plus le passé quand le deuxième millénaire aura fermé ses portes sur lui, et la perspective de marquer 00, puis 01, 02, etc. sur nos calendriers augure pour nous de nouveaux jours, une nouvelle espérance: tout sera meilleur, plus facile, ou alors une angoisse irraisonnée: que nous réserve cet avenir qui semble d’autant plus vaste qu’il commence plus tôt dans l’échelle des nombres?

Je ne dispose pas de moyens d’analyse suffisants pour affirmer que c’est ce double jeu de l’angoisse et de l’espérance qui modèle nos pensées et nos attitudes en cette période charnière, mais je le ressens très intuitivement et aussi très fortement.

Il est devenu presque trivial de citer la fameuse phrase d’André Malraux (souvent déformée): «Le vingt-et-unième siècle sera spirituel ou ne sera pas.» Et pourtant, c’est bien de cela qu’il s’agit. L’angoisse et l’espérance relèvent toutes deux du domaine spirituel, et il suffit d’observer même superficiellement le monde autour de nous pour constater que le matérialisme triomphant du début du vingtième siècle n’est plus qu’un souvenir. L’homme n’a jamais eu autant de biens matériels et technologiques, …et autant de vide à l’intérieur de lui-même. L’illusion du bonheur par la science, la technique ou le bien-être matériel s’étant dissipée, il ne reste que le trou noir d’une vie sans raison d’être.

Face à cette situation de nos contemporains, nous sommes les porteurs d’un message qui a plus de deux mille ans et qui n’a lien perdu de son actualité: Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu ‘il ait la vie éternelle (Jean 3.16).

Nous sommes appelés par le Seigneur à être des ambassadeurs pour Christ, annonçant la réconciliation du monde avec Dieu par l’œuvre de Jésus-Christ (2 Cor 5.19-21). Quel formidable remède à l’angoisse, et quel merveilleux contenu pour l’espérance! Nous sommes les porteurs d’un message unique qui répond à ce double besoin de nos contemporains. Grand privilège, mais aussi lourde responsabilité !

Nous ne pouvons assumer cette responsabilité si nous ne nous appuyons pas fermement sur la vérité de l’inspiration et l’autorité de la Parole de Dieu, ce que Frarik Horton nous rappelle dans son étude. Mais il nous faut aussi nous souvenir de ce que le Seigneur a fait pour nous, et Bernard Cousyn nous met en garde contre l’oubli et ses conséquences.

Les aspirations spirituelles de nos contemporains prennent souvent la forme d’un « retour à la nature », ce que Paul Ranc démasque dans son article sur l’idole de l’homme romantique.

Enfin, nous vous invitons à la lecture de « Calvin et la France », afin de tirer du passé des leçons pour l’avenir, et nous partageons avec vous le témoignage d’une sœur qui désire rester anonyme mais que nous connaissons bien: La vie ne prend son sens que dans la rencontre avec Dieu.

Cette année 2000 dans laquelle nous entrons ne se terminera peut-être pas sans voir le Retour du Seigneur, mais en l’attendant, tenons ferme notre espérance et soyons de bons ambassadeurs, intendants de la grâce si variée de Dieu (1 Pi 4.10).

Que le Dieu de l’espérance vous remplisse de toute joie et de toute paix dans la foi. pour que vous abondiez en espérance, par la puissance du Saint-Esprit! (Romains 15.13).


VIE CHRETIENNE

Lecture conseillée: Psaume 106.6-25

Quel est le jeune chrétien qui ne se réjouisse pas de lire : Merci à Dieu qui nous fait toujours triompher en Christ…(2 Cor 2.14), ou bien: Dans toutes ces choses, nous sommes plus que vainqueurs par Celui qui nous a aimés (Rom 8.37), ou encore: Ceux qui reçoivent l’abondance de la grâce et du don de la justice, régneront-ils dans la vie par Jésus-Christ… (Rom 5.17).

Et puis, après quelques pas dans la vie chrétienne, très vite il constate qu’il y a des hauts et des bas, que sa fidélité est mise à l’épreuve; qu’il ne fait pas toujours les bons choix et que, pris en défaut, il réalise combien est réelle la "tenaille.. décrite par l’apôtre Paul: Je ne fais pas le bien que je veux, mais je pratique le marque je ne veux pas (Rom 7.19), autrement dit: Le mal, je le fais bien, et le bien, je le fais mal.

Notre but est de démasquer quelques traits enflammés, qui sont susceptibles d’agiter la vie chrétienne, et qui, surtout, génèrent en nous-mêmes un questionnement stérile et culpabilisant sur la qualité de notre relation avec Dieu, voire même sur la personne de Dieu lui-même.

Nous vous proposons d’observer le peuple de Dieu, alors qu’il est dans le désert, dans ses hauts et ses bas; et spécialement, de regarder quelles sont les raisons qui induisent ses réactions.

Un résumé de l’Exode dans le Psaume 106

Dieu a arraché son peuple hors d’Egypte. Il l’a conduit dans le désert, et n’ignore certainement pas les problèmes que cela pose !

Le peuple est ainsi l’objet de toutes les sollicitudes de Dieu, et donc de toutes les ressources divines en matière de renouvellement: repos, victoire en chemin, changement des contrariétés en bénédictions, et surtout expériences spirituelles fortes. Citons, entre autres, la conduite visible de l’Eternel sur les chemins périlleux du désert. ..Malgré tout, il ne s’agit pas de choses occasionnelles: les soins de la part de Dieu sont de tous ordres, à disposition du peuple, quotidienne- ment. C’est une "assurance tout ris- que pour une vie sans risque"!

Et pourtant, les Israélites ne se rappellent pas la multitude variée de la grâce de Dieu, ils oublient ses œuvres, ils oublient leur Sauveur (Psaume 106.7, 13,21).

A croire que, quand l’homme ne pense qu’à lui-même, pèse ses difficultés, bref se regarde, il en perd toute lucidité…

L’oubli et quelques conséquences

Relevons sommairement ce qui suit immanquablement l’oubli.

Ils oublièrent les œuvres de Dieu, ils n’attendirent pas l’exécution de ses desseins (Ps 106.13).

L’oubli génère l’impatience. On oublie que Dieu tient ses promesses. Nous oublions le témoignage que, dans notre propre vie, Dieu est si sou- vent intervenu! Oublier revient à perdre un maillon essentiel qui compose la chaîne de notre vie chrétienne: la fidélité de Dieu à notre égard.

Si bien qu’on n’attend plus. On ne veille plus, parce qu’on n’attend plus l’action de Dieu. En fait, on n’écoute plus Dieu.

Ils oublièrent Dieu. ..ils ne crurent pas à la parole de l’Eternel. Ils murmurèrent dans leurs tentes…(Ps 106. 21, 24, 25).

L’oubli est la tombe de la foi, parce que l’oubli rend inopérante la parole de Dieu. Lorsqu’on oublie, la langue qui servait à louer Dieu devient alors un instrument de contestation. Nous parlons bien encore, mais pour mur- murer, dans nos tentes; un murmure qui s’étend au sein de notre famille, qui se développe dans le secret, et finit par ternir tous les domaines de la vie (Ps 106.39),

Des symptômes qui ne trompent pas

Les exemples qui pourraient illustrer ces murmures sont nombreux et valent la peine d’être médités. Le pas- sage de Nombres 21.4-5 est l’un de ces épisodes où l’on s’aperçoit que le peuple cède à cet engrenage décrit plus haut: j’oublie Dieu – je perds pied quant à la foi- je tombe dans le murmure et la contestation.

Le texte met clairement en évidence quelques symptômes d’alerte qui devraient nous montrer que nous sommes sur la mauvaise pente, et nous inciter à nous arrêter.

Tout d’abord, il y a l’impatience du peuple (v .4), qui est un terme fort signifiant le découragement. A ce propos, permettez-nous une illustration intitulée :

Le meilleur outil du diable: le découragement

Il avait été annoncé que le diable allait cesser ses affaires et offrait ses outils à quiconque voudrait payer le prix.

Le jour de la vente, ils étaient exposés d’une attrayante manière: malice, haine, envie, jalousie, sensualité, fourberie, tous les instruments du mal étaient là, chacun marqué de son prix.

Séparé du reste, se trouvait un outil en apparence inoffensif, et même usé, dont le prix était supérieur à tous les autres.

Quelqu’un demanda au diable ce que c’était.

– C’est le découragement, répondit-il.
– Et pourquoi donc le vendez-vous si cher?
– Parce que, répondit le diable, il m’est plus utile que n’importe quel autre. Avec ça, je suis capable d’entrer dans n’importe quel homme, et, une fois à l’intérieur, je puis le manœuvrer de la manière qui me convient le mieux. Cet outil est usagé parce que je l’emploie avec presque tout le monde; et de plus, très peu de gens savent qu’il m’appartient.

Il est inutile d’ajouter que le prix fixé par le diable était si élevé que l’instrument n’a jamais été vendu. .. et donc, que c’est toujours le diable qui en est le possesseur et qui continue à l’utiliser. ..

La nostalgie du passé

Revenons au texte de Nombres 21.5 pour souligner en second lieu que les Israélites parlent contre Dieu, contre celui qui les nourrit, les abreuve, les protège au quotidien, les dirige, les instruit sur sa personne, permet aux vêtements de ne point s’user (Deut 8.4), etc.

Quand nous lisons dans la Parole que Dieu lui-même prend soin de nous (1 Pi 5.7). nous pouvons constater la tenue de cette promesse en considérant la diversité et la constance des soins de Dieu envers son peuple dans le désert.

Un autre symptôme de l’oubli de Dieu et de ses bénédictions, c’est la mémoire de notre passé duquel nous avons évacué Dieu: le regret de l’Egypte est symptomatique! L’homme ne retient que ce qu’il veut bien. Il a la faculté d’oublier les choses qui le gênent, les choses négatives, celles qui l’ont blessé, tout ce qui ne lui fait pas plaisir. Avec le temps, les choses s’embellissent: l’Egypte devient peu à peu le bon vieux temps! Et du même coup, nous découvrons un autre symptôme qui n’est que la suite logique du point précédent: – tout ce que l’on vit aujourd’hui, les bénédictions du jour, la vigilance de Dieu, tout est balayé. Le désert, refuge où les Israélites côtoient Dieu chaque jour, devient un méchant lieu (Nom 20.5). La manne quotidienne devient une misérable nourriture (Nom 21.5).

Nous pouvons en conclure que l’oubli de Dieu est un véritable champ de mines spirituel: à l’évacuation de Dieu, succède inévitablement l’irruption de l’ego.

La lassitude s’installe

Nous osons affirmer que le peuple est atteint de ce que nous appelons le " syndrome de l’autoroute " ça roule; il sait où il va, grâce à Dieu; ça avance bien et pourtant, nous avons le sentiment d’une grande monotonie.

Et pourtant, la Parole de Dieu affirme que si les choses spirituelles sont en nous, et y sont en abondance, elles ne nous laisseront ni stériles, ni oisifs (2 Pi 1.8 ). La vie avec Dieu ne nous laissera jamais désœuvrés: être reconnaissant en toutes choses est une tâche pour le chrétien, tout comme être un intercesseur; être témoin est une rude tâche; être fidèle, n’est-ce pas une œuvre qui nécessite vigilance et connaissance ?

Et dire que la vie chrétienne peut être atteinte aussi de ce "syndrome de l’autoroute": le chemin est tracé en Christ; Il nous attend au bout de la route; ça roule. ..et pourtant, qu’est- ce qu’on s’y ennuie!

Quel antidote ?

La lecture de Deutéronome 8 fait ressortir la pensée de Dieu pour justement contrarier l’oubli qui souvent nous gagne, l’oubli et son cortège de nuisances !

Souviens-toi de tout le chemin que Dieu t’a fait faire. .., Reconnais en ton cœur que l’Eternel. .., Garde-toi d’oublier l’Eternel. .., Prends garde que ton cœur ne s’enfle et que tu n’oublies l’Eternel… (Deut 8.2,5,11,14).

Se souvenir est en effet un moyen de voir Dieu, de compter ses bienfaits, de se rappeler ce qu’il a fait; pensons à la Cène, qui est un mémorial (1 Cor 11.23).

Se souvenir alimente notre reconnaissance.

Mais aussi, se souvenir permet de mieux nous voir pour mieux réaliser que nous avons besoin quotidiennement de Dieu. Sans mémoire, il ne peut y avoir de confession de ce que nous sommes et de nos fautes (1 Jean 1.9).

Se souvenir, au contraire, apporte une responsabilité: celle de renouveler notre relation avec Dieu, puisqu’il nous pardonne et nous permet de repartir.

Ainsi, se souvenir nous épargnera, dans notre vie chrétienne, du "syndrome de l’autoroute", puisque seront présentes en nous les deux jambes de notre marche avec Dieu: la confession et la reconnaissance.


"Prenons soin que le message biblique puisse être annoncé dans
son intégrité, qu’il puisse être librement entendu – et ses effets se
produiront d’eux-mêmes."

Ulrich Zwingli réformateur suisse 1484-1531

(tiré de " En quête de l "Absolu – 1001 citations pour réfléchir "
A. Lukasik ; éditions Nouvelle Alliance CH-2016 Cortaillod)

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