PROMESSES
« …ayant connu Dieu, ils ne l’ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont point rendu grâces; mais ils se sont égarés dans leurs pensées… «
Epître de Paul aux Romains, 1.21
Le chrétien a parfois tendance à fustiger la raison. Assimilée à la présomption intellectuelle, voire à l’orgueil, cette faculté lui apparaît comme l’alliée du péché et du malheur.
Chrétien ou non, mon lecteur s’attend pourtant à ce que l’article qu’il entame soit substantiel, clairement structuré et logique. Dans sa vie privée, ce même lecteur s’efforce sûrement de donner aux diverses entreprises dont il se sent responsable le même caractère d’ordre, de maîtrise et de clarté.
La raison serait donc tantôt nécessaire, et tantôt haïssable. Tout dépend, comme on dit, du « contexte ». Mais alors, comment cerner le contexte qui permet l’épanouissement de la raison, et définir celui qui la rend délinquante ? Le chrétien évangélique, se fondant sur une déclaration biblique comme celle qui figure en exergue, répondra fort justement que la raison de l’homme « naturel » est dépravée, marquée par la Chute, incapable de conduire l’homme vers le bonheur et de lui ouvrir les portes du salut. Il ajoutera que le chrétien authentique échappe à cette fatalité, car ]ésus-Christ habite en lui, la Bible lui sert de boussole, et le Saint-Esprit illumine sa raison défaillante.
Pratiquement, les choses ne sont pourtant pas vécues ainsi en permanence. Un grand nombre de non-croyants parviennent à faire fonctionner leurs facultés mentales pour le bien commun de l’humanité, et les chrétiens n’ont pas toujours brillé par leur sagesse, ni par leur profondeur intellectuelle, ni même par leur bon sens.
La réalité de la vie quotidienne (qu’elle soit rébarbative ou motivante) impose que tous, croyants, athées, sceptiques, ou agnostiques, se comportent de manière aussi « raisonnable » que possible, sous peine d’être vite disqualifiés. Par ailleurs, il arrive à tous de se trouver pris en flagrant délit de déraison, ou d’inconséquence, comme si le Raisonnable (la « sagesse ») ne mûrissait qu’en contrepartie d’un certains nombre d’égarements. Alors, est-ce la raison qui engendre la folie, ou la folie qui finit par imposer la raison? Et au râtelier des dons de la Providence, quelle place assigner à la raison ?
Il m’apparaît qu’une réponse rationnelle à ces questions est singulièrement ardue – je veux parler d’une réponse qui soit à la fois acceptable par des chrétiens convaincus, et utile à des non-croyants. Je crois pouvoir résumer cette difficulté en quelques mots: l’Occident a pris l’habitude de croire en la souveraineté de la raison, et en même temps de la nier. Il ne sait au juste ce qu’elle est, mais il la vénère, parfois en maugréant. Malgré les « leçons de l’histoire », il ne peut s’empêcher de la brandir comme la marque de son génie propre. Il espère en elle, mais s’en méfie.
Si nous parvenons à rappeler quelques-uns des épisodes déconcertants des relations de l’Occident avec sa fille préférée, la raison, nous serons mieux disposés à entendre les paroles catégoriques de l’apôtre lorsqu’il évoque une humanité « égarée dans ses pensées ». Et mieux préparés à rechercher ensemble à quelles conditions l’esprit humain retrouvera sa santé, son équilibre, sa vraie noblesse – et la raison sa place.
1 Au berceau de la fée
Commençons par une évidence: la raison est une faculté universellement distribuée. Selon Descartes, le « bon sens » ( ou « puissance de bien juger ») est même la chose du monde la mieux partagée. De ce fait, ni l’ingéniosité, ni l’esprit d’analyse, ni celui de synthèse, ni la capacité de déduction, ou de formalisation, ni aucune autre opération de l’esprit ne peut se présenter comme une spécialité du bastion occidental. Le rationalisme est indissolublement lié à l’histoire européenne, mais l’exercice de la « raison », en tant que faculté de juger et d’agir par raisonnement, et non par simples évocations associatives et par instinct, n’est sûrement pas l’apanage des seuls penseurs grecs et de leurs successeurs. Les mathématiques, l’astronomie et les sciences appliquées (architecture, navigation, urbanisme, science militaire, etc.) leur furent bien antérieures. Et à la lecture des recueils de littérature sapientiale de l’Antiquité égyptienne, akkadienne, hébraïque, et des autres peuples du Croissant fertile, on retrouvera tous les types de raisonnements mentionnés ci-dessus.
Toutefois, on ne peut avancer que les sciences et les sagesses pré-helléniques étaient rationalistes dans leur essence. En effet, elles reposaient toutes sur des présupposés de nature religieuse, sur des idées reçues et sur des représentations arbitraires. Ce ne fut que très progressivement que les philosophes grecs eux-mêmes apprirent à se dégager de ces supports hérités des vieilles cosmologies et des traditions. On peut discerner, dans l’apparition de nouvelles religions, le prélude à cette forme d’émancipation spirituelle. Citons pour mémoire le zoroastrisme, ou mazdéisme (du nom du dieu perse Ahura Mazda), qui enseignait dès le 6e siècle avant J.-C. l’opposition radicale entre le Bien et le Mal. Il préconisait la lutte contre les puissances mauvaises (emmenées par le dieu Ahriman), et croyait l’être humain capable d’en triompher, pourvu que ce dernier se laissât conduire par les forces divines de la Lumière et du Bien (gouvernées par Ahura Mazda). Ce manichéisme primitif n’ouvre-t-il pas la porte à une pensée rationaliste embryonnaire ? A tout le moins, ce mouvement traduit une exigence croissante de clarté (clarté dont, en Grèce, Zeus, Apollon, Athéna seront les représentants mythologiques favoris), et une détermination à se débarrasser de tout ce qui maintient l’homme dans l’ignorance et dans l’esclavage moral.
Alors que le polythéisme tend vers un nivellement des notions de vrai et de faux, de bien et de mal, de spirituel et de matériel, de transcendance et d’immanence la recherche de clarté va tendre vers la distinction des opposés (même lorsqu’ils sont perçus comme complémentaires, comme chez Héraclite), vers la séparation, vers la différenciation, et vers le rejet de l’arbitraire. L’outil de cette recherche sera le discours dialectique (selon Platon, l’art « de demander et rendre raison », La République, 533 c). Bientôt, le rationalisme élaboré des philosophes antiques va devenir leur dénominateur commun. Platon comme Aristote, les épicuriens comme les stoïciens, les pyrrhoniens comme les sceptiques, tous parviennent à leurs positions particulières (et parfois contradictoires!) en passant leurs présupposés au crible du « logos », du discours organisé autour de symboles médiateurs. But de l’opération: comprendre l’expérience humaine (la nature des sensations, des traditions, des institutions, des structures sociales, etc.) et le monde en général (les événements, la nature) pour vivre le mieux possible, et le plus justement, le plus sensément.
Il vaut la peine de noter ici que l’aspiration à la clarté ne se développe pas seulement dans le cadre des écoles philosophiques. Cet idéal connaît également la voie mystique, exprimée par les religions à mystères, spécialement par les cultes orphiques. C’est peut-être là le creuset des tendances gnostiques, si vivaces au début du christianisme et de nos jours.
Mais que la connaissance du monde soit l’aboutissement d’un processus dialectique concerté, ou d’une expérience mystique d’illumination de l’oil intérieur., les partisans des deux tendances se rejoignent dans la même croyance implicite en la supériorité de l’esprit (et de la forme) sur la matière, de l’âme sur le corps. Il est du ressort d’un homme « éclairé » de décrire la nature du réel, ou à défaut, de décrire les obstacles qui nous en séparent. La raison est à même de situer l’homme dans le monde, et suffit à l’élaboration d’une morale comme d’une métaphysique (certains philosophes sceptiques font exception).
Dans la joie et l’exaltation de cette espérance, l’Occident salue alors la naissance de la bonne fée qui l’élève au-dessus des ténèbres de la barbarie. On peut sourire des premiers balbutiements de l’enfant prodige, et des vestiges de superstition qui encombrent son berceau, mais cette « venue au monde » n’est-elle pas aussi le témoignage d’une exigence radicale de plénitude spirituelle?
Même prévenu à l’encontre de l’attitude rationaliste, on ne peut nier la grandeur d’un Socrate (pour ne citer que cet exemple) qui, au moment où son ami Criton lui propose de le faire échapper au supplice et à une mort injuste, répond en substance: « Tu sais que je n’obéis jamais qu’à la raison. Or, que dit-elle? Qu’entre les opinions des hommes, il ne faut avoir égard qu’àagrave; celle des hommes sensés, et non à celles de la foule. Cela est surtout nécessaire quand il s’agit des choses les plus importantes, du juste et de l’injuste, du bien et du mal. Or la raison démontre qu’il ne faut jamais être injuste ni faire le mal. C’est de ce principe que notre discussion doit partir, pour décider si je peux sortir d’ici sans l’assentiment des Athéniens » (voir Le Criton, de Platon). Une telle rigueur éthique assortie d’une telle démonstration pratique de sérénité face à la mort méritent l’estime. On ne peut s’empêcher de rapprocher le prince des philosophes de ceux dont parle l’apôtre Paul lorsqu’il écrit:
« Quand les païens qui n’ont point la loi [révélée dans l’Ecriture], font naturellement
ce que prescrit la loi, ils sont, eux qui n’ont point la loi, une loi pour eux-
mêmes; ils montrent que l’ouvre de la loi est écrite dans leur cour, leur conscience
en rendant témoignage, et leurs pensées s’ accusant ou se défendant tour à tour » (Rom
2. 14,15; quant à cette manière de « dialogue juridique intérieur », voir le texte
de Platon, Le Théétète, 189 e). Mais quoi qu’il en soit des hautes exigences
morales et des actes admirables d’un Socrate, de tels exemples ne sauraient être
produits pour défendre la puissance salvatrice de la raison. Tout au plus peuvent-ils
démontrer que l’homme, être moral autant qu’intellectuel et religieux, trouve
un certain apaisement à l’idée de sa propre justice. Il y a pourtant un mon-
de d’opposition entre l’auto-satisfaction morale et la possession réelle de la
parfaite justice. C’est ce que feront éclater au grand jour la vie et le
message de ]ésus-Christ.
2 Servante de la Théologie
D’un point de vue strictement rationaliste, l’irruption du christianisme dans l’histoire constitue une catastrophe majeure. Alors que le philosophe se flatte de pouvoir évoluer bien au-dessus des miasmes de la crédulité et de la superficialité populaires, le christianisme naissant va proclamer la faillite du processus dialectique et humilier la raison. La nouvelle « secte », violemment combattue et persécutée, propage des thèses autant inacceptables pour les chefs religieux et politiques que pour les philosophes eux-mêmes. Surtout, elle prétend que son fondateur, un certain Juif nommé Jésus de Nazareth, a vécu en homme parfaitement sage et irréprochable, sans avoir été disciple d’aucun des grands maîtres de la philosophie. Plus énorme encore: on affirme que cet homme était Fils de Dieu, Dieu incarné, Dieu en personne, venu sur terre dans le but exprès de sauver l’humanité, et tout cela sans le recours à la philosophie. On attribue à cet être extraordinaire des pouvoirs surnaturels, et l’on rappelle sans cesse que le point culminant de sa mission a été sa crucifixion, parce que, expliquent ses partisans, cette mort injuste du seul juste de l’histoire a valeur de sacrifice expiatoire pour toutes les mauvaises actions des hommes, et qu’elle nous garantit une paix éternelle avec Dieu. On s’empresse d’ajouter que ce Jésus est revenu à la vie plusieurs jours après sa mise au tombeau, qu’il est monté au ciel et qu’il règne désormais de manière invisible sur tous ceux qui croient en lui, et qui attendent sa réapparition.
Le philosophe se voit donc dépouillé de son principal titre d’honneur: la connaissance du « logos », de la raison incarnée dans le langage, et assimilée par certains penseurs (les stoïciens par exemple) à la divinité suprême. On lui demande désormais de reconnaître en cet obscur Galiléen le Logos lui-même, la Sagesse éternelle, le seul Médiateur entre Dieu et les hommes, le Seul salut imaginable. Et si le philosophe se rebiffe, et demande pourquoi il faut en passer par là, on lui réplique que les philosophes comme les mystiques ont amplement prouvé la faillite de leurs systèmes respectifs. Non seulement ils se contredisent, et leurs manières de vivre sont rarement convaincantes, mais encore des chefs religieux et des hommes ouverts à un discours rationnel (Hérode, en Luc 23. 9; Pilate, en Jean 18. 33-38) comptent parmi ceux qui ont crucifié Jésus-Christ.
Pour mesurer l’onde de choc d’un tel message, considérons que l’enseignement de Christ condamne par avance toute forme d’illusion quant au potentiel de la raison humaine. Ce n’est pas la sagesse qui sort du cour humain, de son être profond, mais ce sont « les mauvaises pensées, les adultères, les débauches, les meurtres, les vols, les cupidités, les méchancetés, la fraude, le dérèglement, le regard envieux, la calomnie, l’orgueil, ta folie » (Marc 8. 21-23). Aussi fortes que soient les aspirations à la clarté, aussi profondes et ordonnées les réflexions pour comprendre et soi-même et le monde, aussi énergiques les efforts pour se dominer, le cour reste ce qu’il est, et l’esprit comme les sens penchent vers la nuit (cf. Jean 1. 5, 10, 11; 3. 19). Un tel message est philosophiquement irrecevable. Or, comme le dit l’apôtre Paul, si « Dieu a convaincu de folie la sagesse du monde », et si la sagesse de Dieu (contenue dans la double Révélation de l’Ecriture sainte et de la personne de Christ) n’a été reconnue par aucune des sommités de l’époque (cf. 1 Cor 1. 21; 2. 8; Col 2. 3, 8-10), il n’est pas possible d’embrasser la foi chrétienne sans condamner la nature dégénérée et pervertie de l’être humain tout entier, raison comprise (cf. Rom 3. 9-20 ).
Pour autant, le christianisme ne va pas exclure la raison, pas plus qu’il ne va déprécier le corps ou ignorer les sentiments. La foi entraîne le croyant dans un processus de complète régénération: devenu « une nouvelle créature » par la venue en lui du Saint Esprit, et sous son contrôle, le chrétien est invité à mettre toutes ses facultés au service de son Seigneur divin (cf. 2 Cor 5. 17; 1 Thess 5. 23). La raison retrouve donc sa place, et prend part au grand renouveau. Elle devient capable de saisir l’essentiel et de s’y conformer, tout en rejetant les pseudo-sagesses. D’où des recommandations comme celle-ci: « Je vous exhorte /… / à offrir vos corps comme un sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu, ce qui sera de votre part un culte raisonnable (grec: tèn logikèn latreian). Ne vous conformez pas au siècle présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait » (Rom 12. 1,2 ). N’est-ce pas, d’une certaine manière, la sublimation du rêve rationaliste ?
Lorsqu’au 4e siècle le christianisme devient la religion officielle de l’Empire romain, les beaux jours de la philosophie autonome semblent compromis. L’exercice de la raison n’est plus soutenable que dans le cadre d’une réflexion modelée par la pensée biblique, les anciens moules de la religion polythéiste ont été supplantés par le paradigme trinitaire, et toutes les institutions subissent peu ou prou la marque du consensus chrétien. Dans la mesure où, selon Augustin, la philosophie demeure l’ancilla theologiae, la servante de la théologie, on tolère qu’elle fournisse un certain bagage conceptuel et un support logique.
On pourrait craindre, d’un point de vue rationaliste, que la pensée philosophique «indépendante» ne soit en train de s’acheminer vers une période de stagnation, voire de régression. Pourtant, c’est de cette première période de l’ère chrétienne que date une vision du monde qui a fertilisé toute l’histoire de la pensée occidentale, et dont nous sommes encore tributaires. Celle-ci comprend une recherche de l’absolu centrée sur la Révélation du Dieu unique, l’abandon de la notion de destin (le fatum latin), la désacralisation de la nature (c’est à dire le rejet de l’animisme et du panthéisme), la conviction que l’univers obéit à des lois stables et intelligibles. Le corps est revalorisé (quoique non idolâtré). L’individu prime sur le collectif. L’histoire a désormais un début, une fin, et un sens. L’égalité des êtres humains est posée.
Enfin, un dernier facteur contribue à perpétuer une certaine tradition philosophique: la bataille contre les hérésies, à laquelle l’Eglise est contrainte. De conciles en traités d’apologétique, de défenses en réfutations, les Pères de l’Eglise auront à faire à forte partie, et trouveront tout naturellement l’occasion d’affûter leurs armes dialectiques et rhétoriques. Sans forcément tomber dans un discours purement philosophique, ils seront entraînés dans des controverses où les influences platoniciennes, aristotéliciennes, gnostiques ou païennes les amèneront à utiliser par moments une terminologie proche de celle des pollueurs du message évangélique.
3 La servante devient gouvernante
Christianise-t-on un empire? Constantin-le-Grand (305-337), par son édit de 313, et plus tard Théodose (379-395), premier empereur à imposer le christianisme et à proscrire le paganisme, ont cru l’entreprise possible. Un survol du Moyen Age, traditionnellement compris entre l’an 476 (chute de l’Empire romain) et l’an 1492 (découverte de l’Amérique), devrait pourtant nous rendre sceptiques à cet égard.
Le triomphe public et politique du christianisme au 4e siècle entraîne un mieux vivre généralisé et d’authentiques progrès sociaux. Mais on le sait, la pensée « homogénéisée » n’est qu’une façade. D’une part, les masses ne sont que partiellement et superficiellement acquises à la cause de l’Evangile: la mentalité païenne couve sous la cendre. D’autre part, les controverses théologiques incessantes ne laissent guère l’Eglise se reposer sur ses lauriers, et plusieurs conciles dits « ocuméniques » sont nécessaires pour éradiquer les hérésies et pour asseoir les fondements de la doctrine chrétienne (Nicée en 325, Constantinople en 381, Ephèse en 431, Chalcédoine en 451). Malheureusement, et même chez les Pères de l’Eglise les plus respectables, certaines résurgences de la philosophie antique (platonisme) et des structures politico-religieuses romaines pèsent parfois lourdement sur l’orientation du « clergé » naissant. Le système catholique romain, terreau de nombreuses déviations, est en train de se former. L’Eglise se mondanise.
Les spasmes de l’Empire sur son déclin, puis le schisme de ce même Empire et les invasions barbares, vont permettre l’émergence de nouveaux pouvoirs et d’un nouvel ordre européen. Seigneurs et riches propriétaires ruraux se partageront les terres jusqu’aux premières tentatives de reconstruction d’un nouvel Empire romain d’Occident, sous l’impulsion de Charlemagne (800). Profitant des recherches des érudits du 5e au 8e siècle (Bède, Boèce, Cassiodore, Isidore de Séville), et en s’appuyant sur les ordres monastiques (sur l’Anglo-saxon Alcuin en particulier), il favorise le développement d’une nouvelle culture. De son côté, la papauté va sans cesse ferrailler contre les successeurs de Charlemagne (et plus tard contre les empereurs allemands) pour imposer sa loi et sa vision sécularisée du pouvoir religieux. Elle y parviendra dès le 11e siècle. Dans son sillage, la théologie, sous diverses influences, comme celles des Arabes Avicenne et Averroès, ou du Juif Maïmonide, va évoluer dans le sens d’une remise à l’honneur de la pensée d’ Aristote (bien que ce ne soit pas là le seul trait distinctif de cette dogmatique). Thomas d’Aquin (1225-1274) en sera le principal instrument. Par ailleurs, on assiste en Occident à une renaissance du rationalisme par le canal de penseurs ou de théologiens comme P. Abélard, P. Lombard, A. le Grand, R. Lulle. Certains d’entre eux sont contestés par l’Eglise, ou parfois par des anti-rationalistes tels Duns Scot, mort en 1308, ou R. Bacon, 1214-1294, un des « pères » de la méthode expérimentale. Le front rationaliste est loin d’être uni, mais on sent que la philosophie ne se cantonne plus dans son rôle de servante de la théologie, elle prétend désormais jouer le rôle de gouvernante.
Citons ici P. Courthial, auteur que nous ne suivons pas dans toutes ses conclusions, mais dont nous apprécions plusieurs analyses pertinentes (voir Le jour des Petits Recommencements, Ed. L’Âge d’Homme, Lausanne, 1996, pages 189, 190): «Thomas d’Aquin va magistralement (hélas !) construire un système à deux niveaux:
– THEOLOGIE appuyée sur la Révélation christique, biblique (2e niveau)
– PHILOSOPHIE naturelle, incorporant la pensée d’Aristote (ler niveau).
D’où une double dialectique:
– en philosophie, celle du motif FORME-MATIERE;
– en théologie, celle, plus complexe et générale, du motif NATURE-GRÂCE.
Comme la nature (et donc aussi l’intelligence) a été blessée par la Chute, la Révélation doit reprendre, redire, les vérités naturelles plus ou moins perdues et oubliées (celle de la création divine, celle du décalogue, par exemple).
Mais si Thomas d’Aquin reprend la vision augustinienne de la théologie comme Reine des sciences, et de la philosophie comme servante de la théologie, il s’appuie néanmoins sur une philosophie, et même sur une théologie, naturelles qui prétendent ne tirer autorité que de la seule lumière de la raison.
La philosophie thomiste se fonde ainsi sur une métaphysique aristotélicienne de l’Etre et prétend pouvoir résoudre d’une manière autonome (par rapport au Seigneur et à sa Parole) les trois problèmes fondamentaux de la philosophie: [nous abrégeons]
1. celui de la relation et de la liaison mutuelles des divers aspects de l’expérience,
2. celui de l’unité radicale du moi pensant
3. celui de l’origine du sens de toute la création. »
En fait, les apports réellement neufs du christianisme sur plusieurs points essentiels sont comme gommés par l’autonomie accordée ici à la raison naturelle. Sous prétexte que Dieu a créé l’homme raisonnable et libre, et qu’il l’a chargé de gérer la Création, Thomas d’ Aquin rend à la philosophie une indépendance très large, et favorise la prééminence de la scolastique (celle que Courthial nomme «la scolastique synthétique envahissante», dont les ramifications s’étendent jusqu’à notre époque; op. cit.p.188). Dans ce système, il n’est plus déraisonnable de professer que l’achèvement du salut est entre les mains de l’homme, auquel est réservé la tâche de dégager, du sein de la multiplicité et du désordre apparent de la matière, les formes qui le conduiront à la connaissance de la Forme pure, Dieu. La porte de l’humanisme est désormais plus qu’entrouverte, et les exaltations anthropocentristes de la Renaissance ne vont pas tarder à s’y engouffrer.
4 Pandore au foyer
Selon l’auteur grec Hésiode, la première femme avait été richement dotée par les dieux : beauté, charme, habileté manuelle; mais elle avait aussi reçu des talents redoutables: ruse, fourberie, parole séduisante et art de tromper, ainsi qu’une jarre remplie de tous les maux imaginables. Or Zeus avait destiné la charmante créature à servir de châtiment pour les hommes, coupables d’avoir accepté le feu dérobé par Prométhée. On sait ce qu’il advint: Pandore ouvrit la jarre et le malheur envahit l’humanité.
L’esprit de libre entreprise et de conquête, l’attirance pour la beauté, l’amour de la vie, la curiosité intellectuelle, et surtout la glorification de l’humain, sont autant de termes qui caractérisent la mentalité de la Renaissance. Cette ivresse d’autonomie et d’indépendance, cette soif de connaissances, contribuent fortement à promouvoir la pensée rationaliste, tout en favorisant de nouvelles formes esthétiques (quête idéaliste du Beau et de l’Harmonieux), la survalorisation de l’individu et de son énergie créatrice (la virtù), le retour aux valeurs païennes de l’Antiquité (néoplatonisme), le développement de la méthode expérimentale, des sciences et des techniques.Ce bouillonnant melting-pot n’est pas sans danger. Un monde qui obéit à la devise de Rabelais: « Fay ce que vouldras » (« fais ce que tu auras déterminé », cf. Gargantua, chap. 57) peut donner l’impression qu’il a enfin réalisé la synthèse entre la liberté chrétienne (le « tout m’est permis » de l’apôtre Paul) et l’épanouissement total de la nature humaine auxquels aspirent les Marcile Ficin, les Pic de la Mirandole, les Valla, et autres Léonard de Vinci. En réalité, c’est la vanité et l’égocentrisme qui revendiquent la préséance. Le christianisme est alibi. Et là où la raison avait projeté de gouverner, c’est souvent le cortège de toutes les passions, de toutes les fantaisies qui déboule, affublé à l’occasion des oripeaux des vieilles traditions ésotériques (cabale, alchimie). Rien d’étonnant donc que la Renaissance soit destinée à s’étouffer de ses propres excès, car la Raison n’est ni maîtresse d’elle-même, ni indépendante des sens. Elle ne peut enfanter de vérité universelle et intemporelle (même les concepts dits « scientifiques » doivent être revus et corrigés). Pire encore, elle est capable de se mettre au service des causes les plus inavouables, et de fortifier les despotes (Machiavel et son illustre ouvrage, Le Prince, dédié à Laurent le Magnifique en 1513, en est le meilleur exemple). En bref, plus la raison s’émancipe et tend à s’affranchir de la Révélation biblique, plus l’arbitraire menace. C’est Pandore qui ouvre sa cruche.
5 A la croisée des chemins
Ce que nous venons de rappeler en termes trop succincts pour prétendre au parfait équilibre sonne durement. J’entends vos objections: Quoi! la Renaissance, cette aube magnifique de l’esprit européen, vaudrait-elle moins qu’une époque d’obscurité? N’avions-nous pas pour principe de dater la « modernité » à partir de là? La Renaissance n’a-t-elle pas marqué la « promotion de l’Occident, à l’époque où la civilisation de l’Europe a de façon décisive distancé les civilisations parallèles » (J. Delumeau) ? Cette nouvelle atmosphère culturelle n’a-t-elle pas contribué au surgissement de tant de génies: Dante, Marlowe, Shakespeare, Cervantès, dont les oeuvres semblent tellement plus fortes que les traités de scolastique ? Et les premiers fondateurs de l’esprit scientifique moderne: Francis Bacon (1561-1626), Nicolas Copernic (1473-1543), ]érôme Cardan (1501-1576), ]uan Luis Vives (1492-1540), Paracelse (1493- 1541), et bien d’autres, n’ont-ils pas fait avancer l’histoire par leur rupture d’avec le monde de la scolastique aristotélicienne, voire des autorités ecclésiastiques ?
De telles questions méritent une mise au point.
1. Nous croyons que la Renaissance a contribué de manière décisive à secouer les institutions et les paradigmes hérités d’une hégémonie religieuse souvent imméritée. Sur bien des chapitres, les emprunts à la logique et à la physique aristotéliciennes avait mené l’Eglise à des positions absurdes, et sans justification biblique. Il était donc normal et bienvenu que l’on en revienne à une pensée moins encombrée de pr&eaceacute;supposés et de fausses catégories, et plus objective.
2. Le « libre examen » cher aux humanistes ne nous apparaît pas comme malsain.
Si ce droit nouvellement revendiqué a conduit les uns ou les autres à des procès
avec l’autorité ecclésiastique ou judiciaire, nous ne saurions le déplorer, si
ce n’est pour regretter les traitements arbitraires auxquels ils furent soumis.
3. L’effervescence provoquée par la découverte de mondes nouveaux (au propre et au figuré), la créativité qu’elle a engendrée dans tous les domaines, l’attente de temps meilleurs qui habitait bien des esprits (souvenons-nous de l’Utopie, de Thomas More), tous ces éléments ne nous apparaissent pas, en eux-mêmes, comme des signes de dégénérescence, quoiqu’ils ne garantissent pas non plus le progrès spirituel et moral. Ils expriment le plus souvent un légitime besoin de changement et d’en avant.
4. Enfin, il faut admettre que les excès de l’humanisme de la Renaissance sont en partie la conséquence des conceptions religieuses impérialistes de l’Eglise. En cherchant à imposer la théocratie au monde, Rome finit par favoriser le despotisme humain en son sein, et à le justifier à l’extérieur. En effet, la conception catholique romaine du « Royaume de Dieu » entraîne la création d’une caste de dirigeants, de privilégiés, d’une nomenklatura culturelle et économique, que l’exercice du pouvoir finira immanquablement par corrompre, dans ses doctrines et dans ses mours. Or, en ce qui regarde le clergé officiel, l’époque de la Renaissance est riche en souvenirs et en démonstrations d’abus de pouvoir, d’inconduite et de collusion avec les forces de Mammon, et l’on comprend que les meilleurs esprits de ce temps aient cherché à se distancer d’un tel système.
D’une certaine manière, le phénomène que nous avons décrit comme une aspiration à la clarté et à la liberté en parlant de la Grèce ancienne se reproduit à la Renaissance. A cette différence, de taille, que les hommes de la Renaissance reviennent au passé pour bâtir l’avenir. De cette prospection enthousiaste de leurs racines {bibliques ou païennes) vont naître de nombreux courants de pensée qui, en se combinant ou en s’opposant, vont modeler la culture occidentale actuelle. Nous en retiendrons quatre:
La théologie réformée « classique », qui prône une mise sous tutelle de la raison.
Le rationalisme, qui maintient la primauté de la raison.
L’empirisme, qui affirme la primauté de l’expérience.
Le mysticisme, qui vise à l’union avec le divin à travers le sentiment.
6 Sous tutelle
Sans revenir sur les causes de la Réforme et sur toutes les thèses défendues par les « protestants », il est utile de rappeler ici que la plupart d’entre eux étaient à l’origine des catholiques très au clair sur la doctrine et les mours du clergé. De plus, ils possédaient une solide érudition classique, et les philosophes grecs et latins leur étaient aussi familiers que les thèses humanistes du quattrocento. Le «libre examen» les prédisposaient sans doute à mieux cerner certaines questions, à comparer, à soupeser, d’un point de vue orthodoxe, mais aussi en changeant de perspective, en prenant un certain recul. On s’étonne donc que ces rescapés du grand brassage de la Renaissance et de l’école scolastique thomiste soient arrivés aux mêmes conclusions sur les dogmes essentiels, à savoir le statut unique de la Révélation biblique, l’ouvre médiatrice et expiatoire de ]ésus-Christ, la nature humaine, le rôle capital de la grâce et de la foi dans l’ouvre du salut. Toutefois, nous souvenant des premiers conciles et des positions professées par l’Eglise primitive, nous constatons que le message des Réformateurs n’est pas neuf. C’est seulement l’exhumation de vérités injustement ensevelies. Tirées soudainement de l’oubli, à une époque où le pardon s’achète et où l’Eglise croule sous les superstitions, elles brillent d’un éclat incomparable.
L’une de ces vérités, c’est la dépravation totale de l’homme sans Dieu. Le péché originel n’a laissé aucune de ses facultés intacte. Par conséquent, l’observation du monde, son étude attentive, les spéculations de la raison, la méditation des notions de Beau ou de Bien, la pratique de rites ou de règles de comportement, aucune de ces choses n’amène à Dieu ni à aucun salut réel. Reprenant les termes de l’Ecriture, et spécialement de l’Evangile de Jean et de l’épître aux Romains, les Réformateurs insistent sur le fait que si la révélation générale de Dieu dans la nature, dans la conscience ou dans la raison suffisait pour s’élever par degrés jusqu’à la possession du salut parfait, les hommes n’auraient pas rejeté et crucifié la Vérité incarnée, le Logos de Dieu. Ils l’auraient au contraire accueilli. L’attitude innée de l’homme à l’égard de Dieu n’est pas celle de la soumission, mais celle du rejet et de l’insoumission (cf. Jean 1. 5, 10,11; 3. 19; Rom 1. 18-21; 3. 9- 23). Le salut n’est pas simple affaire de connaissance, car ceux qui avaient la connaissance la plus exacte et la plus complète de la nature et de la volonté de Dieu ne lui ont pas été fidèles. Non, le salut est affaire de profonde repentance, d’abdication devant le Dieu souverain et trois fois saint, d’humble acceptation de la grâce, et du don du Saint Esprit. À moins que Dieu, de sa propre initiative, ne nous délivre, « nous sommes contraints de servir Satan », dit Luther en réponse aux thèses exprimées par Erasme dans sa Diatribe sur le libre arbitre (1524).
Etayons ce point en citant encore le même texte de Luther (Traité du serf arbitre, p.323): « Puisque l’Ecriture marque partout l’antithèse de Christ et de ce qui n’est pas de Christ, disant que tout ce qui est sans Christ est soumis à Satan, à l’impiété, à l’erreur, aux ténèbres, au péché, à la mort et à la colère de Dieu, tous les passages qui parlent de Christ témoignent contre le libre arbitre. Or ces passages sont en nombre infini; ils sont dans toute l’Ecriture. »
Notons qu’il ne saurait être question, dans la pensée réformée, de condamner la raison naturelle infirme pour la remplacer par une faculté naturelle apparemment moins abîmée par le péché. Ni la conscience morale, ni la volonté, ni ce que Pascal appellera plus tard le cour, ni les sentiments, aussi nobles fussent-ils, n’offrent en eux-mêmes le moyen de la réconciliation avec Dieu. Toutefois, l’ouvre de la Parole de Dieu dans la vie du croyant, l’activité du Saint Esprit et la puissance purificatrice de Christ en lui le transforment graduellement à l’image du Seigneur (2 Cor 3. 17, 18; Rom 8. 28-30). A la raison comme aux facultés de l’être tout entier s’ouvre un champ d’expression infiniment riche, pour autant que le disciple se mette à la tâche (à l’instar des inlassables Réformateurs). D’où cette exhortation de Paul aux Philippiens: « Au reste, frères, que tout ce qui est vrai, tout ce qui est honorable, tout ce qui est juste, tout ce qui est pur, tout ce qui est aimable, tout ce qui mérite l’approbation, ce qui est vertueux et digne de louange, soit l’objet de vos pensées » (Phil 4. 8).
Dans la mesure où les héritiers de la Réforme sauront maintenir la raison sous cette tutelle, elle se révélera hautement bénéfique au développement culturel et moral des régions favorables à l’Evangile biblique. Mais dès l’instant où les chrétiens s’éloigneront de la Révélation normative de Dieu, se mettant à douter de l’inspiration de l’Ecriture, ou à lui adjoindre d’autres sources de « vérité », à en relativiser le message, ils commenceront à se placer au-dessus d’elle, et se livreront à nouveau aux velléités de leur raison naturelle. Il faut donc, pour que la raison du chrétien fonctionne sainement, une constante acceptation des décrets de la Parole, et une constante réflexion sur les tenants et les aboutissants de celle-ci, sans négliger une mise en pratique de ses enseignements (cf. Ps 1; Ps 119; Jean 16. 12-15; 17. 13-26). C’est ainsi qu’une vraie relation personnelle avec Christ lui-même pourra se développer, pleine de joie et de confiance, et s’épanouir en un témoignage constructif au cour de la société civile.
7 L’idole patchwork
Les querelles philosophiques et religieuses de la Renaissance, puis de la Réforme, laissent présager quelle sera l’évolution de la pensée occidentale dans les siècles suivants. Le rationalisme moderne provient du mélange en patchwork d’influences diverses:
– le paradigme introduit par la dichotomie nature/grâce (Thomas d’Aquin)
– le leitmotiv des humanistes de la Renaissance: «l’homme est la mesure de toutes choses»
– l’héritage des nominalistes (rationalistes scolastiques) du Moyen Age (Roscelin, fin du 11e siècle; Guillaume d’Occam, 14e siècle)
– l’héritage des conceptualistes (Abélard, 12e siècle), et leurs tentatives de réconcilier le rationalisme (tendance nominaliste) et l’empirisme (tendance réaliste)
– un certain nombre de valeurs et de concepts empruntés au christianisme primitif (notions de liberté, de cohérence du monde, de finalité de l’histoire, de responsabilité, d’individualité etc…).
Avec le temps, le rationalisme moderne imposera des concepts qui infiltreront toute la pensée occidentale. Parmi ceux-ci:
a. 1 ‘homme est responsable de donner un fondement et un sens à son existence; l’homme honnête et sage s’efforcera de suivre des principes mûrement établis, particulièrement dans les situations qui risquent de le détourner de son devoir ou du bien public (R. Descartes, 1596-1650; E. Kant, 1724-1804)
b. l’homme peut parfaitement analyser tous les phénomènes religieux et les comprendre par sa raison (P. Bayle, 1647-1706; Malebranche, 1638-1715; A. Renan, 1823-1892; et d’une manière générale, toute la critique biblique libérale)
c. l’homme peut éventuellement tirer quelque profit de la lecture de la Bible, comme de l’étude de n’importe quelle religion, mais il lui appartient de ne retenir que ce qui lui semble raisonnable (déisme et syncrétisme des Lumières et des Encyclopédistes; culte de la Raison et de l’Etre Suprême des Révolutionnaires français, années 1790)
d. l’homme possède en lui-même suffisamment de discernement et de sens critique pour orienter ses investigations dans le sens d’une meilleure connaissance de soi et du monde, et d’une amélioration de sa nature (positivisme d’A. Comte, 1798-1857; philosophies du Progrès)
e. l’homme ne se réalise pleinement que par son travail et par l’accroissement de son bien-être (J. Locke, 1632-1704, dans ses Traités du gouvernement civil; capitalisme libéral, économisme)
f. l’homme, être social, ne peut se réaliser totalement que dans une société libre et équitable; l’histoire se construit rationnellement et inéluctablement dans le sens de cette réalisation (matérialisme dialectique, socialisme, communisme; Hegel, 1770-1831; Marx, 1818-1883; Lénine, 1870-1924)
g. l’homme se rendra maître de la nature par la science, et assurera ainsi sa survie, sa sécurité et sa prospérité (scientisme, technicisme).
Entre la fin de la Renaissance et le 20e siècle, ces présupposés seront modulés d’innombrables manières, mais les options de base resteront bien présentes. Remarquons d’emblée que certains articles énoncés ci-dessus sont complémentaires, mais que d’autres sont antinomiques. Et comme nous le rappellerons maintenant, ils sont tous, pris isolément, fortement remis en question par les partisans des tendances radicales de l’empirisme et du mysticisme.
8 La Raison chahutée
Les nouveaux absolus du rationalisme, leur éloignement du Dieu de la Bible et de la notion de salut enseignée par l’Ecriture, les impasses historiques et les naufrages idéologiques dont notre histoire occidentale est jalonnée, tout cela peut expliquer qu’en dépit du succès des philosophies rationalistes, des voix ne cessent de s’insurger contre leurs partis pris réducteurs. Au Culte de la Raison succèdent souvent des comportements irrationnels, et là où semblaient triompher des principes, des lois, des «impératifs catégoriques», et toute une armada de symboles verbaux et de représentations mentales, c’est l’humain le plus élémentaire et le plus instinctif qui prend un malin plaisir à rappeler son existence.
C’est ainsi que les courants empiriste et pragmatiste, ou encore le sensualisme, vont sans cesse faire valoir leurs droits, dans la ligne de Locke, Hume, Condillac, Husserl, Scheler, Heidegger, et de tant d’autres. Ils avanceront l’idée que l’homme est capable de déduire tous les grands principes de la raison (et d’un comportement raisonné) à partir de l’expérience et (ou) de la sensation brute. L’ironie de telles positions, c’est que pratiquement tous ces penseurs défendront leurs thèses, et construiront leurs systèmes, d’une manière rigoureusement rationnelle! Les formes contemporaines de l’existentialisme (qui est aussi un humanisme, comme l’a déclaré J.-P. Sartre) vont dans ce sens. En refusant de reconnaître la réalité d’une essence humaine (c’est à dire d’une nature humaine préétablie et universelle), et en affirmant que l’homme n’est pas, mais qu’il devient ce qu’il se fait, les existentialistes marchent à la fois dans les traces du rationalisme hégélien, et dans celles des pragmatistes les moins favorables au rationalisme. Du reste, notre siècle offre d’autres exemples de rationalismes bizarrement mâtinés d’empirisme, tel l’«empirisme logique», ou néopositivisme, de R. Carnap (1891-1970), selon lequel tout peut être connu scientifiquement pourvu que l’on renonce à parvenir à la détermination illusoire d’une nature des choses qui serait cachée sous les phénomènes.
On peut essayer d’expliquer la confrontation rationalistes/empiristes de différentes façons. L’une d’entre elles est la mise en évidence de certains déraillements du rationalisme. Par exemple, le rationalisme s’est souvent permis d’appliquer des modèles logico-mathématiques à des objets qui ne pouvaient se laisser saisir par de tels instruments. Ou il s’est cru autorisé à utiliser ces mêmes modèles pour statuer sur l’essence des choses, de Dieu, de la nature, etc. A force de spéculer sur ce qui ne le regardait pas, le rationalisme s’est souvent discrédité. Nous croyons pour notre part que l’origine de tous les déraillements est essentiellement à l’endroit où l’apôtre Paul l’avait localisée: les humains ont délibérément tourné le dos à la Révélation de Dieu (présente dans la nature, mais aussi dans le Logos incarné et dans le Logos de L’Ecriture ) .De ce fait, « ils se sont égarés dans leurs pensées, et leur cour sans intelligence a été plongé dans les ténèbres» (Rom 1. 21).
Quant à l‘approche mystique, elle a ses représentants à toutes les époques (nous avions mentionné la gnose antique, remise au goût du jour par les dévots du Nouvel Age). Rappelons quelques noms: Saint Jean de la Croix (16e siècle), Maître Eckhart (14e siècle), Jacob Bôhme (16e siècle), Sainte Thérèse d’Avila (16e siècle), et l’écho qu’ils ont produit chez des penseurs comme Bergson ou Simone Weil. Chrétienne ou non, cette approche diffère de l’approche rationaliste en ce qu’elle cherche à se fondre dans un « Autre » tout différent et supérieur, alors que le rationaliste recentre tout sur le sujet pensant. Mais l’histoire en général a prouvé l’insuffisance d’une telle attitude, susceptible d’élans sublimes, mais aussi des pires déviances idéologiques, sectaires ou obscurantistes. Or, les grandes remises en question de l’esprit cartésien, les grands doutes au sujet de la toute-puissance de la science, la méfiance actuelle à l’égard de l’ordre, des structures, et des institutions, participent de cette quête mystique d’un absolu directement sensible et accessible, d’un bonheur de nature purement expérimentale et religieuse. Les hippies et Mai 68 se sont coulés dans ce mouvement, et la mode toujours plus prisée des religions orientales, de l’ésotérisme, de l’irrationalisme, et des disciplines du « bien-être » indique où souffle le vent. Pour une plus ample étude de ces tendances, nous recommanderons deux ouvrages. Le premier, d’un penseur chrétien bien connu: Francis Schaeffer, et son classique Démission de la Raison (Ed. de La Maison de la Bible, Genève, CH); le second d’une philosophe contemporaine de bon sens: Dominique Terré-Fornacciari, Les Sirènes de l’Irrationnel (Albin Michel, Paris, 1991).
9 Il faut savoir raison garder
Le monde moderne ne peut se passer d’un recours intense et quotidien à la raison pratique. Renoncer aux outils logiques, aux concepts éminemment subtils de la science, ou tout simplement à tous nos choix quotidiens fondés sur des décisions rationnelles, projetterait la terre dans le chaos.
Mais comme nous l’avons souligné dans notre introduction, il règne dans les esprits une forme sourde de rejet et d’irritation à l’égard de cette puissante idole. Elle n’a manifestement pas rempli toutes ses promesses, ni satisfait tous les besoins.
Cependant, le monde moderne sait qu’il serait mal avisé de sombrer sans restriction dans des systèmes fondés sur les seuls critères du pragmatisme ou sur les chimères du mysticisme. Il semble tenir à conserver quelques valeurs morales, et quelques garde-fous, malgré son attirance pour l’utilitarisme, pour l’hédonisme, et pour le pluralisme. Bref, il assure ses arrières.
Le seul chemin hors de l’ambiguïté et de la perte totale d’un sens cohérent ne passe pas, pour nos sociétés déchristianisées, par l’abandon de la raison, mais par le constat raisonnable dont parlait Pascal: que la raison avoue son insuffisance, reconnaisse qu’elle ne parvient jamais à l’essentiel, à Dieu, au salut, et encore moins à la vraie paix et à la vraie sécurité.
Comme l’enfant prodigue, il faut que la raison s’humilie, et revienne au Père, car « toute grâce excellente et tout don parfait descendent d’en haut, du Père des lumières, chez lequel il n’y a ni changement ni ombre de variation » (Jac 1. 17). Alors seulement, sous le regard du Père, dans sa présence, et avec l’assurance de son amour miséricordieux, la raison comme les sens, l’esprit et le cour, apprendront à coexister en harmonie, et à vivre pour de bon.
Nous allons réfléchir dans ce numéro à une idole familière de l’Occident: la raison humaine devenue autonome Claude-Alain Pfenniger nous présente le labyrinthe de la philosophie humaine menant vers une impasse complète. La sagesse humaine a voulu s’ériger en dieu, mais elle mènera l’humanité à sa propre ruine si elle persiste dans cette voie de folie. En quête de la Vérité, le cour si tortueux de l’homme (Jér 17.9) a toujours voulu fixer lui-même ses propres lois dictées par la raison autonome.
Je suis frappé par l’évolution de la pensée humaine et ses conséquences désastreuses ces derniers siècles. Le dernier système complet de pensée issu de Hegel (1770-1831) a particulièrement marqué le monde occidental. Ce penseur avait réduit Dieu à .l’Esprit du monde.. trouvé dans les profondeurs de tout processus naturel. Pour lui, le développement de ce processus devait se faire entre des entités positives et négatives qui se seraient équilibrées par une synthèse. Et de cette synthèse se développeraient de nouvelles thèse et antithèse trouvant leur nouvel équilibre dans une autre synthèse, et ainsi de suite. Résultat: le relativisme a fait son apparition, et la vérité précédemment absolue et objective est devenue plutôt un concept: celui d’un Devenir constant d’où on extrait une nouvelle vérité subjective. Ce raisonnement humaniste a aussi été repris par Wellhausen (1844-1918), à l’origine de la .Haute Critique.. de la Bible, et fondateur de la fameuse méthode historico-critique enseignée aujourd’hui dans la plupart des facultés de théologie libérales. Hegel avait enseigné que .tout ce qui est réel est rationnel et tout ce qui est rationnel est réel». Le monde surnaturel était donc exclu. Le concept de la triade hégélienne « thèse – antithèse – synthèse », appelé aussi « dialectique », a eu des prolongements à longue portée dans la plupart des disciplines. Ainsi, Darwin avec sa théorie évolutionniste a su profiter de ce courant philosophique en vogue. Cela lui valut une diffusion rapide et abondante de ses écrits, et de ce fait une pénétration plus rapide dans les cercles des hommes érudits. Maison peut citer aussi le marxisme, la sociologie, l’existentialisme, la dialectique existentialiste de Karl Barth, la psychanalyse de Freud, par exemple, qui plongent tous leurs racines dans cette philosophie, base de l’humanisme séculier moderne.
Il est frappant de voir avec quelle clarté Paul résume cette sagesse humaine dans Rom 1. Oui, l’humanisme retient injustement la vérité captive (v. 18). Un peu plus loin, il dit: ils se sont égarés dans leurs pensées, et leur cour sans intelligence a été plongé dans les ténèbres. Se vantant d’être sages, ils sont devenus fous (v. 21-22).ils ont changé la vérité de Dieu en mensonge (v.25). Puis, l’apôtre nous montre le produit terrible de la raison autonome et hostile à Dieu (v. 26-32). Parce que ce qu’on peut connaître de Dieu est manifeste pour eux, Dieu le leur ayant fait connaître, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité se voyant comme à 1’oil nu, depuis la création du monde quand on les considère dans ses ouvrages, ils sont tous inexcusables (v. 19-20). Pourquoi ? Car, ayant connu Dieu, ils ne l’ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont point rendu grâces (v. 21) Ils ont refusé de voir la main de Dieu dans la Création (v. 20). Ce refus est l’âme du concept humaniste qui aboutira au pinacle de la glorification de l’Homme-dieu avec son nouvel ordre mondial, mais sera frappé par le jugement divin lors de la venue du Seigneur Jésus-Christ (Apoc 19.11-20).
Mais dans ce même chapitre 1 aux Romains, Paul parle aussi de cette puissance de Dieu qu’est l’Evangile. La grâce de Dieu nous offre cette révélation de la justice de Dieu par la foi et pour la foi,. selon ce qu’il est écrit: Le juste vivra par la foi (v. 16-17). C’est par la Parole de Dieu, révélation divine spéciale, que nous vivons par la foi. La raison humaine, faisant partie de l’homme (corps – âme – esprit), est donc elle aussi totalement corrompue et ne peut recevoir aucune lumière en dehors de la révélation de Dieu par sa Parole, éclairée par le Saint-Esprit (2 Cor 4.3-6). Cette sagesse divine manifestée à la Croix du Calvaire détruit la sagesse des sages et rend nulle l’intelligence des intelligents. Le Christ crucifié annoncé, puissance de Dieu et sagesse de Dieu, est le cour de l’Evangile (1 Cor 1.18-25). L’homme qui se repent et croit de tout son cour au Seigneur Jésus, est régénéré par le Saint- Esprit. Sa raison est maintenant sous le contrôle de Dieu au même titre que son être tout entier. Nous sommes dès lors appelés à être transformés par le renouvellement de l’intelligence afin de discerner la volonté de Dieu: ce qui est bon, et agréable (Rom 12.1-2).
L’article de Frank Horton «Inspiration et autorité de la Bible. va mettre l’accent sur le moyen de notre vie de foi dans tous les domaines de la réalité: la Parole de Dieu par laquelle Dieu se révèle à l’homme en lui offrant le salut éternel par la foi en Jésus-Christ mort et ressuscité. Cette Parole est divinement inspirée, inerrante et infaillible, vérité objective et absolue, authenticité et autorité.Cette Parole de Dieu nous révèle aussi le plan de salut pour les hommes à travers les âges, aboutissant au point culminant de l’Histoire, le retour de Christ pour établir son royaume après le jugement des nations. C’est ce que Daniel Arnold nous présente dans son article «Quatre empires pour résumer l’histoire du monde». Avec lui, nous sommes aux antipodes du système philosophique cité plus haut avec ses successions d’événements et de faits qui se superposent et d’où naissent de nouvelles synthèses relativistes pour atteindre finalement le point du désespoir. Non, avec le Dieu de la Bible, c’est l’espérance extraordinaire en Christ, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la connaissance (Col 2.3), qui s’achèvera pour le chrétien en la présence éternelle de Dieu, autour du trône de l’Agneau (Apoc 5).
Oui, la raison a sa place quand elle est à sa place, quand elle est restaurée et soumise au Seigneur, donc sanctifiée par la Parole. Elle n’a pas démissionné et ne tombe pas dans l’irrationnel; au contraire, elle reste active, de cour, en amenant toute pensée captive à l’obéissance de Christ. ..pour renverser les forteresses. ..les raisonnements (humanistes, charnels) et toute hauteur qui s’élève contre la connaissance de Dieu. Quel honneur que le Dieu personnel et infini, omniscient et rationnel, qui nous a créés à son image, nous ait donné une intelligence et un cour par lesquels nous pouvons raisonner et agir à la gloire de Dieu. Levons-nous donc, repentons-nous de nos lacunes et oeuvrons en toute sagesse et intelligence spirituelle (Col 1.9).
Notice
On lira avec profit:
- «Démission de la raison» de Francis A. Schaeffer.
- «Remarques sur la méthode historico-critique», par Bertrand Rickenbach dans «Contrepoisons», Cahiers de la Renaissance vaudoise no5, Lausanne.
- «L’Europe philosophe» de Jean Brun (pages 268-276). @
- «In the Minds of Men» de Jan T. Taylor, chap. 14.
- «The Road to Atheism» (p. 365-395),1984, TFE Publishing, Toronto, Canada.
(Deuxième partie)
Nous présentons dans cet article la suite de l’étude présentée dans le numéro 129, étude que nous vous recommandons de relire afin de bien suivre le développement de la pensée. La bibliographie annoncée à la fin du premier article paraîtra avec le dernier volet de l’étude, dans le prochain numéro de PROMESSES.
III Fondements de l’autorité
Dieu
Autorité. Nous affirmons l’autorité divine de l’unique Bible. Celle-ci est la Parole inscripturée de Dieu, donnée aux chrétiens de tous les temps, et revêtue de tout le poids de l’autorité de Dieu. Dieu, le Créateur et le Père, a donné à Jésus, le Fils, sa propre autorité divine et plénière (Mat 28.28). Ce même Jésus a enseigné, et confirmé par l’exemple, l’autorité de l’Ancien Testament, et cela jusque dans les derniers détails (Mat 5.17-19; Luc 16.17; 24.25); de plus, il l’a utilisé comme d’une affirmation revêtue d’autorité et qui ne peut être abrogée (Mat 4.11 ; Jean 10.35; Luc 24.32) (K.S. Kantzer et B. Fleming, ICOWE. P. 992).le Père
L’autorité de l’Ecriture est celle de Dieu. L’autorité de la Bible dépend de son origine. Cela la différencie de tout autre écrit humain. L’autorité de l’Ecriture correspond à l’autorité de Dieu. Cette affirmation signifie que Dieu manifeste son autorité dans sa Parole; celle-ci ne fait pas simplement référence à une autorité divine qui lui serait extérieure, comme le disent les disciples de KarI Barth (P. Wells, p;119).
« En définitive, toute autorité réside en Dieu. En sa qualité de Créateur de l’univers et qui le maintient, il jouit d’un droit absolu sur tous les êtres créés, et d’une autorité qui embrasse tout, au ciel comme sur la terre. Cette autorité finale et suprême lui donne les prérogatives sans limite d’exiger l’obéissance, de posséder sans conditions et gouverner de manière absolue toutes choses, en tout temps et partout dans l’univers… »
En tant que chrétiens, nous croyons que ce Dieu tout-puissant nous a parlé en et par ]ésus-Christ, son Fils éternel. Ainsi l’autorité de Dieu nous confronte en et au travers de Celui qui, avec le Père et le Saint-Esprit, règne sur toutes choses d’éternité en éternité (J.N. Geldenhuys, p. 371 ).
Le Christ
Ici nous sommes au cour de notre sujet! Comment résumer un thème si vaste, revêtu d’une importance si capitale? Parmi tous les auteurs qui lui ont consacré de nombreuses pages, j’en ai choisi un seul, représentatif.
La personne du Christ: l’autorité du Nouveau Testament est celle du Christ Jésus, Fils de Dieu, fils de l’Homme et Messie, tel que Dieu le proclame, tel qu’il s’affirme et se présente lui-même, tel qu’il est reconnu et confessé.
Parole faite chair, Envoyé du Père, il reçoit l’Esprit sans mesure; il le confère à qui il veut. Il est l’eau vive, le vrai pain, nourriture et breuvage spirituels. Il dorme la vie au monde dont il est le Sauveur. Il a autorité sur la nature et ses éléments, sur Satan et les démons, sur cette terre et au ciel. Le peuple est suspendu à ses lèvres, car il fait du bien.
Jésus discerne les pensées cachées au profond des cours. Il a la science des événements à venir, des « futurs-contingents ». Il connaît en détail les circonstances qui le conduisent à la mort. Il prédit et décrit le siège, la ruine de Jérusalem et du Temple. Il annonce sa résurrection et prophétise son retour glorieux. Tout ce qui est écrit à son sujet dans les Ecritures s’accomplit, thème souvent repris dans les Epîtres et dans les Actes.
Cet exposé sommaire suffit pour justifier que nous reconnaissions au Christ une pleine autorité… /… (Les «évidences» sont bien connues. Inutile d’apporter ici pour preuve les innombrables références qui, dans les Ecritures, confirment chacun des aspects de la personnalité du Christ et de sa Parole. On les trouvera dans une Concordance).
Le Christ scelle de son autorité divine l’inspiration plénière de l’Ancien Testament et l’historicité des nombreux faits et actes de Dieu qui y sont relatés. La création du monde et de l’Homme: Adam et Eve, le premier couple, par Dieu; Noé le juste, l’arche, le déluge et ses conséquences. Il confirme l’existence des « patriarches », celle d’Abraham, son élu, de l’ Alliance de grâce; la destruction de Sodome et des villes voisines, la mort tragique de la femme de Lot. Il honore Moïse, son « type » et son prophète. Dès cette époque, il atteste la réalité de la résurrection. Il authentifie la manne, le serpent d’airain, la veuve de Sarepta, Naaman, Jonas… Bref, il scelle de sa science divine l’autorité de l’Ancien Testament tout entier. « Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi » (Jean 5.46). (Extraits de P. Marcel, p. 44)
le Saint-Esprit
L’autorité du Père et du Fils est aussi celle du Saint-Esprit, chaque membre de la Trinité accomplissant les fonctions qui lui sont propres. A ce sujet, P. Courthial rappelle l’action « incessante » du Saint- Esprit, et la distinction entre l’inspiration et l’illumination:
"Le Nouveau Testament, que nous devons suivre plutôt que nos conceptions a priori, enseigne que l’inspiration concerne l’origine et la nature de l’Ecriture. Parce qu’ils ont été miraculeusement inspirés de Dieu, les auteurs de la Bible ont écrit infailliblement tout ce que Dieu voulait qu’ils nous communiquent de ce qu’ils avaient reçu et appris par la révélation de la connaissance de Dieu et de Jésus-Christ notre Seigneur.
De l’inspiration des auteurs bibliques à l’illumination des croyants, l’Esprit Saint, qui procède du Père et du Fils, n’a pas cessé et ne cesse pas d’agir… /… Cette insistance de la théologie « réformée » sur l’action incessante du Saint- Esprit dans et par l’Ecriture, jusqu’à l’illumination des fidèles à travers les siècles et dans la communion de l’Eglise et jusqu’à l’avènement en gloire du Christ Jésus, ne peut et ne doit aucunement nous faire minimiser, négliger ou rejeter la nature inspirée du texte original de la Bible. Le « dandum, » (ce qui sera donné) est sur la base du « datum, » (ce qui a été donné) (Extraits de P. Courthial, p. 32ss).
Le numéro de janvier 1989 du périodique « World Evangelization », publié par le « Comité de Lausanne », ajoute le commentaire suivant à l’Article 2 de la Déclaration de Lausanne que nous avons déjà citée dans l’article précédent:
La puissance de la Bible. Quand Dieu parle, il agit. Sa Parole ne revient jamais à lui sans effet, sans avoir exécuté sa volonté et accompli ses desseins (Es 55.11)… /… Ce qui est vrai de la création l’est aussi de son dessein de salut. L’Evangile est lui-même la puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit (Rom 1.16)… /… Nous ne pouvons séparer la puissance de la Parole de Dieu de la puissance de l’Esprit de Dieu. L’Esprit utilise la Parole, il parle et agit au travers d’elle (l Co 2.1-5; 1 Thes 1.5; 1 Pi 1.12). L’Ecriture est riche en métaphores pour indiquer la puissance de la Parole dans la main de l’Esprit (par exemple: Jér 23.29 feu et marteau; Eph 6.17 et Héb 4.12 épée, 1 Pi 1.23 et Jac 1.21 semence, etc.). Cette assurance devrait donner une grande confiance à tous les chrétiens qui dans leur prédication et témoignage dispensent l’Ecriture fidèlement et humblement.
L’interprétation de la Bible. D’un côté, le message de la Bible est exactement le même pour tous les hommes, en tous lieux et en tous temps. Il n’est pas limité à une génération particulière ni à une culture particulière. Cela est vrai parce que la révélation de Dieu en Christ et dans l’Ecriture est inaltérable… /… D’un autre côté, son caractère immuable ne lui confère pas une uniformité morte, sans relief. Car, de même que le Saint- Esprit a utilisé la personnalité et la culture des auteurs de sa Parole pour transmettre par l’intermédiaire de chacun quelque chose de frais et d’approprié, de même aujourd’hui il éclaire la pensée du peuple de Dieu dans chaque culture afin qu’il puisse percevoir sa vérité d’une manière nouvelle de ses propres yeux. C’est lui qui ouvre les yeux de notre cour (Eph 1.17,18), et ces yeux et ces cours appartiennent aux jeunes et aux vieux, aux latins, anglo- saxons, africains, asiatiques et américains, aux hommes et aux femmes… / (World Evange1ization, Jan. 1989, p.10)
Prophètes et apôtres
Aux témoignages rendus à l’inspiration et à l’autorité de la Bible par Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, viennent s’ajouter ceux des prophètes et des apôtres:
« Jésus-Christ le Seigneur, détenteur de toute autorité et tête vivante de son Eglise, a utilisé ses apôtres pour poser les fondements de l’Eglise de tous les temps. Il a fait cela, non seulement en les rendant capables de gagner des convertis, d’implanter et organiser des églises dans de nombreuses régions du monde, mais aussi en les guidant et les inspirant par le Saint-Esprit, eux et quelques-uns de leurs adjoints les plus proches, pour rédiger les livres qui constituent notre Nouveau Testament. De cette manière le Nouveau Testament est revêtu de son autorité suprême, et exige notre obéissance inconditionnelle. Le Seigneur lui-même a veillé sur la cristallisation sous une forme écrite de la prédication et de l’enseignement de ses apôtres, et il s’est assuré que l’Eglise reconnaisse et préserve pour toujours ces documents. Ce n’est donc pas l’Eglise qui aurait conféré une autorité aux livres du Nouveau Testament. Au contraire, l’Eglise a confessé humblement que ces livres étaient revêtus de l’autorité du seigneur et que, par conséquent, ils requéraient l’obéissance inconditionnelle de tous les croyants… /… Le Seigneur vivant, qui, par son Esprit, a rendu les apôtres capables de proclamer l’évangile sans altération, a aussi éclairé son Eglise par le Saint-Esprit, pour qu’elle reconnaisse l’autorité des livres du Nouveau Testament » (J.N. Geldenhuys p. 385).
« Après la Pentecôte, l’Eglise est définitivement installée; nous sommes en plein christianisme. Or, les témoignages en faveur de l’autorité des Ecritures sont encore plus nombreux après la Pentecôte qu’avant.
L’apôtre Pierre, quand il se trouvait au milieu des disciples dans la chambre haute, avait dit (Act 1.16): Il fallait que cette Ecriture que le SAINT-ESPRIT a prononcée d’avance par la BOUCHE de David touchant Judas, fut accomplie. Que dit-il quand il est au portique de Salomon, en présence de tout le peuple étonné? (Act 3.18): Dieu a ainsi accompli les choses qu’il avait PREDITES, par la BOUCHE DE TOUS SES PROPHETES, que le Christ devait souffrir. ../ …C’est bien là du biblicisme…
Et Paul de Tarse, que fait-il? Quand il se trouve à Rome…/… il en appelle à la Bible. Au milieu des Israélites assemblés dans sa maison, il leur enseigne les choses qui regardent Jésus d’après la loi de Moïse et les prophètes (Actes 28.23). C’est du biblicisme!… /…
Eh bien oui, dira-t-on, Pierre, Paul. Mais qu’en est-il des autres disciples? Jacques, par exemple ? Jacques en appelle de même à l’autorité des Ecritures en disant: Pensez-vous que l’Ecriture parle en vain? (Jac 4.5). Mais Jean? Jean nous déclare que les disciples avaient la foi aux ECRITURES et aux paroles que leur Maître avait dites (Jean 2.22). et que c’est par les Ecritures selon lui que les disciples reconnurent en Jésus le Messie » (Extraits de J-H. Merle d’Aubigné, p. 34-37).
Les Pères de l’Eglise
J-H. Merle d’Aubigné a réuni un grand nombre de témoignages des pères de l’Eglise: Ignace, Polycarpe, Justin, Tatien, Irénée, Tertullien – même les gnostiques Héraclion et Marcion – Clément d’Alexandrie, Origène, Cyprien, ]érôme et Augustin. Tous reconnaissent l’autorité du canon des Ecritures, et insistent sur la nécessité de s’y soumettre (op. cit., p. 80-96).Témoignage de l’Eglise
a) Epoque de la Réforme
Merle d’Aubigné a aussi réuni des témoignages de « leaders » de la pré-Réforme et de la Réforme: Pierre Valdo, Jean Wicleff (sic), Jean Huss, Luther, Mélanchthon, Zwingli, Tyndale et Calvin (op. çit., p. 100-120).b) L’Eglise moderne
Aujourd’hui, sans nous fermer aux recherches et aux questions de l’exégèse et en en profitant largement, nous affirmons avec la « Confession de foi des Eglises réformées en France de 1559 »:
« Nous croyons que la Parole qui est contenue dans les livres, a Dieu pour origine, et qu’elle détient son autorité de Dieu seul et non des hommes ».
« Cette parole est la règle de toute vérité et contient tout ce qui est nécessaire au service de Dieu et à notre salut; il n’est donc pas permis aux hommes, ni même aux anges, d’y rien ajouter, retrancher ou changer ».
« Il en découle que ni l’ancienneté, ni les coutumes, ni le grand nombre, ni la sagesse humaine, ni les jugements, ni les arrêts, ni les lois, ni les décrets, ni les conciles, ni les visions, ni les miracles ne peuvent être opposés à cette Ecriture Sainte, mais au contraire toutes choses doivent être examinées, réglées et réformées d’après elle » (P. Courthial, p.2).
Témoignage de l’Ecriture elle-même
Vous aurez remarqué que c’est dans l’Ecriture sainte que nous trouvons les témoignages rendus à son inspiration et à son autorité, par Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, puis par les prophètes et les apôtres. S’agit-il d’un argument circulaire? Doit-on prendre au sérieux le témoignage que « l’intéressé » rend à lui-même, quand la Bible dit qu’elle est inspirée? Bien sûr que oui: il est généralement admis que « l’accusé » a le droit de se défendre, et que ses paroles seront pesées pour voir si elles sont dignes de confiance! C’est à ce sujet que Pierre Courthial écrit:
«L’argument le plus important en faveur de l’autorité des Ecritures est que ces Ecritures elles-mêmes prétendent à cette autorité. Cette affirmation est particulièrement manifeste dans l’Ancien Testament. Nulle part dans l’Ancien Testament on ne peut lire sans avoir le sentiment que partout il est entendu que « ceci est la Parole de Dieu ». Les expressions « le Seigneur dit, le Seigneur parla, la parole de l’Eternel me fut adressée » sont utilisées 3808 fois. Les auteurs ne partagent pas avec nous le fruit de leur discernement, leurs méditations ou leurs réflexions. Ce ne sont pas leurs idées qu’ils transmettent, non! Sans cesse ils insistent sur la parole du Seigneur, ce que Dieu a révélé, ce que le Seigneur a dit…
« L’autorité de la Bible n’est pas une autorité dépendante d’une autorité ou de preuves humaines quelles qu’elles soient. L’autorité de la Bible ne dépend ni de l’autorité de l’Eglise, ni de l’autorité de raisonnements. Comme le dit la confession de foi: la Bible « détient son autorité de Dieu seul et non des hommes ». A la question: « Pourquoi croyez- vous que la Bible est la Parole de Dieu? » L’Eglise n’a qu’une réponse première et dernière: « Parce qu’elle l’est! Parce qu’elle s’est imposée et s’impose comme telle! Parce que l’Esprit-Saint l’a faite et l’a fait recevoir comme telle! » (P. Courthial, p.71).
« La Parole de Dieu ne peut pas, ne doit pas devenir un arrière-plan, une toile de fond dans la vie de l’Eglise, une réalité dont l’Eglise tiendrait plus ou moins compte, ou une réalité dont l’Eglise disposerait pour appuyer ses propres pensées, sa propre volonté, sa propre existence…
L’assurance de l’Eglise ne peut et ne doit pas être dans l’Eglise, mais dans le Seigneur, dans la Parole du Seigneur.
Et l’Eglise n’est et ne redevient « l’ecclesia docens », l’Eglise enseignante, colonne et appui de la vérité, avec tout ce que cela comporte de ferme autorité, que lorsqu’elle est et redevient « l’ecclesia audiens », l’Eglise écoutante, « l’ecclesia quorens », l’Eglise cherchante » (Ibid. p. 12).
Inspiration et autorité inséparables
Il en est de cette autorité (celle de l’Ecriture) comme de celle de ]ésus-Christ: elle émane de sa nature même. Elle est une conséquence immédiate de l’inspiration. Si Dieu a entièrement inspiré l’Ecriture (comme nous l’avons vu), elle est revêtue de son autorité. Aucune autre puissance ne pourrait lui donner ce caractère-là, ni le lui ôter. Le livre qui peut répéter des milliers de fois: Ainsi parle l’Eternel! commande le respect et l’obéissance dus à son Auteur. ].-H. Merle d’Aubigné dit à ce propos: «La divine autorité des Ecritures et l’inspiration sont deux vérités distinctes mais inséparables. L’autorité des Ecritures provient de leur inspiration, et leur inspiration établit leur autorité, de la même manière que la trempe produit l’acier et que l’acier provient de la trempe. Si l’autorité tombe, l’inspiration tombe; si c’est au contraire l’inspiration qui nous est enlevée, l’autorité aussi disparaît. L’Ecriture sans l’inspiration, c’est un canon dont on a ôté la charge » (cité par R. Pache, p. 274s).Rappel
La bibliographie complète de cet article et du précédent paraîtra dans le numéro suivant.L’article qui suit a été publié dans les «Nouvelles d’Emmaüs » en mai 1991, c’est-à-dire au moment de la guerre du Golfe. Les circonstances ont changé, mais son intérêt reste le même. Nous remercions l’Institut Emmaüs de nous accorder l’autorisation de publier ces lignes !
Le monde vit à l’heure des changements: chute des régimes communistes en Europe de l’Est, guerre du Golfe, mise en place d’un nouvel ordre international. Comment faut-il interpréter ces bouleversement ? Peut-on y discerner des signes de la fin des temps ? La concentration démesurée des armes les plus sophistiquées au Proche-Orient ou l’appel lancé par Saddam Hussein une guerre sainte contre Israël étaient-ils des prémices de la bataille d’Armaguédon?
Une vision divine donnée il y a plus de 2500 ans à Nébucadnetsar, roi de Babylone (et héros de Saddam Hussein!), jette une lumière intéressante sur l’actualité. Ce rêve est l’objet de notre étude. Pour ne pas décevoir le lecteur, précisons cependant que la vision concerne, non pas des événements particuliers, mais des tendances générales: les lignes de forces de l’histoire mondiale.
En 604 avant ]ésus-Christ, Dieu troubla le sommeil de l’empereur Nébucadnetsar par la vision d’une statue immense et d’une splendeur extraordinaire (Daniel 2). Le prophète Daniel, chargé d’interpréter le message divin, indique que le rêve concerne l’avenir de l’humanité (Le grand Dieu a fait connaître au roi ce qui doit arriver dans la suite 2.45). Une succession de royaumes terrestres précèdera l’établissement définitif du royaume divin. Les empires humains sont symbolisés par la statue splendide qui finit par être réduite en poussière, le royaume divin par une pierre qui après avoir anéanti la statue devient une montagne remplissant toute la terre. La leçon principale est à la portée de tout lecteur: le règne de Dieu succédera au règne des hommes.
Un deuxième enseignement manifeste porte sur les éléments constituant l’objet. Quatre métaux divisent la statue en quatre parties: tête d’or, poitrine et bras d’argent, ventre et cuisses de bronze, jambes et pieds de fer. Comme chaque partie représente un royaume, l’ensemble symbolise quatre royaumes. De plus, le premier empire est identifié: Nébucadnetsar est la tête d’or (2.38).
Une triple progression
Pour saisir d’autres aspects de la vision, une étude détaillée est nécessaire. A la base de l’étrangeté de la statue, se trouvent les divers matériaux qui la morcellent. Les métaux et les différentes parties de la statue ainsi formée suivent un ordre précis. Cet ordre est d’un intérêt capital: il consiste en une progression à trois niveaux.
En premier lieu on peut observer une diminution de la valeur. De l’or, on passe à l’argent, puis au bronze et enfin au fer. A la valeur décroissante des métaux, s’ajoute la valeur décroissante des membres du corps. Le premier empire est représenté par la partie la plus noble du corps (la tête), et le dernier royaume par les membres les plus vils (les pieds). Cette double évolution est représentative de la valeur décroissante des royaumes. Ainsi, Daniel qualifie le deuxième empire de moindre que le premier (2.39).
En deuxième lieu, la statue est affectée par un morcellement croissant. De la tête formant un bloc monolithique, on passe à des empires représentés par plusieurs parties (poitrine et bras; ventre et cuisses; jambes et pieds). Pour le dernier empire, plusieurs détails soulignent un morcellement supérieur aux précédents:
a) il est symbolisé par deux termes au pluriel (jambes et pieds);
b) il se termine avec les orteils, soient dix parties;
c) son morcellement est souligné (ce royaume sera divisé 2.41);
d) son manque d’unité est illustré par la composition peu stable du fer et de l’argile. Ainsi les alliances humaines qui chercheront à préserver son unité, seront fragiles à l’extrême (ils ne s’attacheront pas l’un à l’autre, de même que le fer ne se mélange pas avec l’argile 2.43). La décomposition de l’empire est aussi croissante puisque la description se termine avec les orteils. Finalement, la fragmentation atteint son point extrême avec la pulvérisation de la statue. Réduite en poussière, ses fragments sont dispersés au vent, ce qui souligne bien leur légèreté, et donc leur dimension microscopique.
La troisième progression se situe sur le plan d’une dureté croissante, Du plus tendre des quatre métaux (or), on pas- se progressivement au plus dur (argent, bronze, fer). La dureté du dernier métal est même soulignée (solide comme du fer 2.40). Cette progression de la nature des métaux symbolise une dureté croissante des différents royaumes. Ainsi pour le troisième royaume, la mention du métal précède immédiatement la mention de la puissance du royaume (le troisième royaume, qui sera de bronze et qui dominera sur toute la terre v.39). Quant à la dureté du dernier royaume, elle est directement associée à la dureté du métal (de même que le fer pulvérise et brise tout, il [le quatrième royaume] pulvérisera et brisera tout, comme le fer brise tout 2.40).
De Babylone à Rome
A l’analyse de la statue, il convient maintenant de relier l’histoire des hommes. Puisque Daniel nous informe que le premier royaume est Babylone, il est naturel d’identifier les trois autres avec les empires perse, grec et romain respectivement. Ces puissances (tous les historiens le reconnaissent) ont dominé successivement le monde antique, et Israël en particulier. Ainsi pour l’histoire de Babylone à Rome, la triple progression annoncée par Dieu peut s’expliquer de la manière suivante.
La diminution de la valeur représente non pas une diminution de la puissance de ces royaumes – l’histoire nous enseigne que les empires perse, grec et romain étaient plus étendus que l’empire babylonien -, mais une diminution de la puissance du roi. Daniel n’identifie-t-il pas la tête d’or au roi Nébucadnetsar lui- même (« Tu es le roi des rois… c’est toi la tête d’or» v.38) ? Nébucadnetsar est un roi qui possède tous les pouvoirs. Du jour au lendemain, il peut condamner à mort toute l’élite intellectuelle de l’empire (2.5, 12). Plus tard, les rois perses, bien que très puissants, n’étaient plus tout-puissants. Ils étaient sous la loi. Des courtisans exigent de Darius un respect de son propre édit royal (6.13-14), et malgré tous ses efforts, ce dernier ne peut y soustraire Daniel (6.15). L’auteur du livre d’Esther relève deux fois l’immuabilité des lois des Mèdes et des Perses (1.19; 8.8). Ainsi, le roi Assuérus se trouve lui aussi lié par sa propre loi (Est 8.8). Si l’on passe au royaume grec berceau de la démocratie, on constate que le pouvoir du chef s’est encore affaibli. Ce n’est plus un homme qui dirige le pays, mais toute une couche de la population: les citoyens. Ce mouvement de décentralisation franchit une étape supplémentaire avec l’empire romain où la citoyenneté n’était même plus nécessairement liée au sang. A prix d’argent ou par différents services rendus à l’empire (en particulier en s’enrôlant dans les légions romaines), ce droit pouvait être acquis. Ainsi un Espagnol a même pu accéder au titre d’empereur romain.
Si la diminution de la valeur des métaux annonce un mouvement général de prise de pouvoir par le peuple, cette fragmentation du pouvoir politique est aussi annoncée et illustrée par le morcellement de la statue.
La troisième progression dans la statue préfigure la dureté croissante de ces empires. Historiquement les quatre empires ont opprimé le peuple Juif, mais la pointe de la persécution semble s’accroître sous chaque empire. Nébucadnetsar a déporté et décimé un peuple infidèle. L’empire perse voit Haman, premier ministre d’Assuérus, chercher à exterminer la totalité du peuple élu (Est. 3). Sous la domination grecque, Antiochus Epiphane après avoir profané le temple et proclamé l’abolition du judaïsme, fit massacrer des populations entières en Judée lorsque celles-ci refusaient de Se plier à son programme d’hellénisation intensive (1 Macc. 1). Pilate, enfin, procurateur romain, après avoir harassé les Juifs pendant plusieurs années, mit un comble à ses péchés en condamnant à mort le Fils de Dieu.
Jusque là tout semble confirmer l’identification des trois derniers royaumes avec la Perse, la Grèce et Rome. Com- me d’autre part le Messie s’est incarné lors de la domination romaine, et que suite à sa victoire sur la mort, il s’est assis à la droite du Père, plus d’un commentateur identifie la pierre qui s’est détachée sans l’aide d’aucune main (2.34) avec la première venue de Christ. Le royaume divin représenterait alors le règne spirituel du Messie, ou son règne terrestre exercé par l’intermédiaire de l’ensemble des vrais chrétiens. Cette explication ne rend cependant pas justice à la vision qui traite de la domination terrestre et politique du monde. L’établissement du royaume éternel n’est pas encore réalisé. Et s’il est devant nous, la fin du dernier empire humain l’est aussi. L’identification faite ci-dessus des différents royaumes est-elle alors injustifiée ? Certainement pas. Seule une remarque supplémentaire doit être apportée au sujet du dernier empire.
Le royaume de l’ Antichrist
Plusieurs indices suggèrent que le quatrième royaume représente, et l’empire romain, et l’empire de l’Antichrist. Premièrement, la description du quatrième empire est en deux parties: les jambes sont de fer, et les pieds de fer et d’argile (2.33). Cette séparation horizontale entre des parties du corps (jambes et pieds) et les matériaux de composition (fer d’un côté, fer et argile de l’autre) est caractéristique des « frontières » entre les différents royaumes de la statue. Notons aussi que la pierre ne frappe que les pieds de la statue, c’est à dire que la deuxième partie de ce quatrième royaume.
Deuxièmement, la première venue de Christ est un événement clé dans l ‘histoire des hommes. Le sacrifice du Fils de Dieu ouvre un temps de grâce sans précédent, puisque le salut divin est offert à tous les peuples. Cette ère de grâce n’est cependant pas mentionnée dans une vision qui annonce à un roi orgueilleux (cf. Dan 4) la disparition des empires humains pécheurs. Comme un chronomètre peut être interrompu dans certains jeux d’équipe (basket, hockey sur glace) le temps d’organiser la réparation d’une faute, ainsi la croix du Christ suspend-elle un instant le compte à rebours du jugement final; et comme l’histoire du jugement de l’humanité est arrêtée, l’image symbolisant le jugement des royaumes terrestres marque, elle aussi, une pause. Lorsque le temps de grâce sera passé, lorsque ce qui retient « le mystère de l’iniquité » aura disparu (2 Thess 2.7-8), alors viendra le royaume de l’Antichrist, alors reprendra la vision. Ainsi le temps de la grâce sépare les jambes de fer de la statue (l’empire romain) de ses pieds de fer et d’argile (le règne de l’Antichrist).
Troisièmement, la mention d’un ensemble par une partie est chose courante. D’autre part, les chiffres ont joué un rôle important dans l’Antiquité, et dans la pensée hébraïque, le chiffre quatre est souvent associé à la terre. Il suffit de penser aux quatre vents des cieux (Dan 7.2), aux 40 jours du déluge, aux 400 ans en Egypte, aux 40 ans d’Israël dans le désert, aux 40 ans d’une génération (Jug 43.11; 5.31; 8.28), aux 40 jours de tentation de jésus, aux 40 jours du ressuscité sur terre. Dans notre vision, les quatre royaumes représentent tous les royaumes du monde.
Il faut savoir aussi que dans la pensée biblique la totalité est souvent exprimée par les extrêmes. Celui qui voyage dans toute la Palestine affirmera qu’il a parcouru le pays « de Dan à Beer-Schéba », c’est à dire de la ville située à l’extrême Nord à celle construite à l’extrême Sud. Quand l’Eternel règne sur toute la terre, on utilise l’expression « du lever du soleil (à l’Est) à son coucher (à l’Ouest) ». Daniel utilise souvent cette « technique littéraire » pour exprimer la totalité. De ses actes de fidélité, il ne donne que deux exemples: l’un situé dans sa jeunesse (refus de consommer des aliments impurs: chap. 1), l’autre dans sa vieillesse soixante-dix ans plus tard (refus de ne pas prier Dieu trois fois par jour: chap. 6); du royaume babylonien, notre prophète ne mentionne que deux rois: le premier (Nébucadnetsar) et le dernier (Belchatsar). Cette technique des « bornes » est utilisée pour les cinq visions eschatologiques: la statue (chap. 2), les quatre bêtes (chap. 7), le bélier et le bouc (chap. 8), les soixante-dix semaines (chap. 9), la vision finale (chap. 11-12). A chaque fois, la vision prend son envol dans une période historique proche (en général) du prophète, suspend ensuite la narration pendant une période importante, la reprend enfin juste avant le retour de Christ et l’établissement du royaume éternel. Comme les moteurs d’une fusée lunaire sont allumés pour quitter la terre, arrêtés lorsque le bolide a reçu une impulsion suffisante, réactivés enfin une deuxième fois juste avant l’alunissage, ainsi en est-il de ces prophéties. Début et fin sont seuls mentionnés.
Pour clore, un quatrième indice de la nature particulière du dernier royaume nous vient du chapitre 7. Sans entrer dans les détails, relevons que la vision des quatre bêtes est parallèle à nôtre vision du chapitre 2:
a) les deux révélations mentionnent quatre royaumes terrestres,
b) les deux sont situées aux deux extrêmes (ou « bornes ») de la section en araméen organisée en forme de chiasme
(cf. A. Kuen, .66 en 1., p.121). Si les trois premières bêtes peuvent être assez facilement identifiées avec Babylone, la Perse et la Grèce respectivement (7.4-6), la quatrième bête est « différente de toutes les bêtes précédentes » (7.7), et aucun nom d’un animal connu ne lui est donné.
Actualisation
Le quatrième royaume représente donc le royaume romain et l’empire de l’ Antichrist. Le lien étroit entre ces deux empires (ils sont rassemblés en un seul royaume) permet de penser que le deuxième sera l’héritier et le successeur du premier. Si la réalité de la relation est manifeste, la nature de ce lien est plus difficile à définir. Les deux royaumes partageront-ils la même capitale (Rome), ou le même territoire (l’Europe occidentale et le bassin méditerranéen), ou bien le lien se limitera-t-il à l’idéologie? Un monde uni sous une autorité mondiale (Nations-Unies) fortement influencée par les nations occidentales (Europe et USA) et « occidentalisées » (Japon) pourrait alors correspondre à l’héritier légitime de l’empire romain. La prudence doit nous garder d’une identification trop rapide, car plus d’une « solution » peut être envisagée.
Si le royaume de ‘Antichrist échappe (pour l’instant) à une identification trop précise, l’évolution de l’histoire mondiale est mieux tracée. Comme le royaume de l’Antichrist et l’empire romain sont unis sous le quatrième empire, l’évolution amorcée dans la période précédant la venue de Christ, reprendra et poursuivra son cours à la fin des temps. C’est ici qu’un rapprochement avec l’actualité est des plus révélateurs, car bien des événements donnent à penser que la mise en place des conditions favorables à l’avènement du royaume de l’Antichrist avance à grands pas.
Fragmentation du pouvoir. De la révolution française (avec son slogan ni Dieu ni roi), à Mai 68 en passant par l’avènement du communisme, l’autorité du peuple est de plus en plus revendiquée, et à n’importe quel prix. Même la libéralisation de l’Europe communiste suit ce cours. La guerre du Golfe a mis en évidence l’influence grandissante des mass médias et de l’opinion du peuple que chaque dirigeant occidental cherche à amadouer quand il ne peut les contrôler.
Multiplication d’alliances fragiles. Les efforts d’alliances mondiales se multiplient. Récemment des rapprochements aussi spectaculaires qu’étonnants ont eu lieu: USA-URSS, USA-Syrie pour n’en mentionner que deux. Sur le plan idéologique et religieux, le mot d’ordre est à une tolérance indifférenciée. Que ce soient les rencontres interreligions comme celle organisée par ]ean-Paul II à Assise ou les efforts tentaculaires du conseil oecuménique d’absorber toutes les églises, les signes ne trompent pas. Le vent du compromis menace de tout balayer sur son passage.
Opposition croissante à Dieu. Les libertés promises par des pouvoirs « populaires » ont souvent abouti à des mas- sacres généralisés. Révolutions française et communiste ont laissé derrière elles des rivières de sang innocent, en général celui de martyrs chrétiens. L’indifférence à Dieu est une des marques de notre société contemporaine, et la nouvelle spiritualité qui pointe à l’horizon du Nouvel Age n’a rien de rassurant.
Aux événements décrits ci-dessus, il faudrait ajouter des faits relatifs à Israël. Comme la vision donnée à Nébucadnetsar concerne l’évolution mondiale, l’avenir particulier du peuple juif n’y est pas mentionné. Par contre lorsque Daniel passera de l’araméen, langue internationale de l’époque (chapitres 2-7) à l’hébreu, langue du peuple élu (chapitres 8-12), les prophéties concerneront en priorité Israël. Les persécutions du peuple juif dans son pays à la fin des temps sont nombreuses et explicites (Dan 8.11-14; 9.24-27; 11.16,28, 31,41). L’agression verbale, puis militaire de Saddam Hussein qui se vante d’être le Nébucadnetsar des temps modernes, est significative. Même si l’agression est restée mineure sur le plan militaire, verbalement elle était des plus inquiétantes: les projets du despote de Bagdad n’étaient-ils pas de faire périr tous les Juifs? De plus, l’oppression des Juifs s’est déplacée de l’Europe nazie vers la Terre Sainte, lieu de l’Armaguédon finale.
En guise de conclusion, recevons l’enseignement du figuier: «Dès que ses branches deviennent tendres et que les feuilles poussent, vous savez que l’été est proche» a dit le Christ (Mat 24.32). Les signes récents ne nous indiquent-ils pas que l’avènement du Christ est proche? A quand son retour, personne ne peut le dire avec exactitude, mais il est certainement très proche. A nous de savoir mettre à profit le temps de grâce qu’il reste au monde pour lui annoncer l’Evangile et l’exhorter à se tourner vers le Sauveur du monde avant l’heure du jugement final.
La rédaction de PROMESSES remercie tous les lecteurs qui nous ont écrit. Nous sommes particulièrement touchés par les nouvelles qui nous parviennent d’Afrique, où nos frères et sours dans la foi boivent à grands traits tout ce qui concerne le Dieu de la Bible. Merci de continuer à nous écrire, et aussi de prier pour toute notre équipe. Voici quelques extraits des nombreuses lettres que nous recevons.
…Voici l’objet de cette lettre: nous ne recevons plus notre revue préférée depuis début 1999… PROMESSES contribue énormément à notre croissance spirituelle. Face à la confusion doctrinale qui règne dans notre environnement; elle est un tonus dynamique pour notre vie chrétienne. Elle permet à tous les frères qui la lisent pour l’enseignement dans leur église locale, de donner raison de l’espérance qui est en eux…
Les dossiers spéciaux sont très appréciés, à cause de leur actualité et de leur influence directe sur la vie quotidienne…Vos sujets les meilleurs, pour nous, sont les rubriques « Doctrine » et « Etude biblique ». Si une église pouvait disposer de toute la collection de PROMESSES, elle aurait là les principes de base de la foi chrétienne, ainsi que l’enseignement correspondant aux doctrines fondamentales, afin de résister à l’ocuménisme, au libéralisme et à toutes les fausses doctrines qui pullulent actuellement. Vous remerciant d’avance pour votre aide gracieuse, nous vous recommandons au secours indispensable de notre Seigneur vivant…
(H. N., Melong, Cameroun)
…C’est toujours avec joie que je lis PROMESSES… Cette revue nous prévient des déviations doctrinales et de la nécessité de maintenir la saine doctrine » et une vraie éthique chrétienne dans ce monde de confusion. Nous nous réjouissons de vos efforts pour servir l’Eglise de ]ésus-Christ. Nous vous remercions pour l’envoi gratuit de beau- coup d’exemplaires au continent africain, où la publication des sectes et l’émergence des faux docteurs sont pré- occupantes pour nos communautés…
(O. K., Abidjan, Côte d’Ivoire)
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Henri Lüscher
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