PROMESSES

Ce réveil, qui eut lieu en fin du 19e siècle, fut ainsi caractérisé par Joachim Muller: « Une percée de vraie vie évangélique, trop peu connue, qui se produisit à un point décisif de l’histoire de l’Eglise et de l’histoire mondiale. »

Comme d’autres mouvements du même genre, ce réveil remit en valeur les éléments essentiels du christianisme en revenant à la source.

1. Origines

Lord Radstock, un jeune noble anglais qui s’était converti en 1855 dans la guerre de Crimée où il avait été gravement blessé, devint un des promoteurs du réveil évangélique qui prenait de l’extension en Angleterre vers 1860. Une conviction prit racine dans son coeur: aller annoncer la nouvelle du salut en Russie! Aussi pria-t-il pour ce pays pendant des années.

A Paris, qu’il visitait souvent, il témoignait de sa foi auprès de connaissances dans des maisons privées. Il y rencontrait aussi des gens de la noblesse russe de passage à Paris. Une dame de la haute aristocratie apparentée à la maison impériale avait entendu parler de Lord Radstock; « cet original » lui étant antipathique, elle s’apprêtait un jour à partir avant une réception pour éviter de le rencontrer. Mais il arriva plutôt que prévu et ils eurent un long entretien. Très impressionnée par ce jeune homme qui n’avait rien du beau parleur, elle l’invita à Saint-Pétersbourg pour y faire part de ses convictions. Quand il reçut d’autres invitations semblables, il comprit que la porte de la Russie était ouverte pour lui.

Lord Radstock fit donc le voyage à Saint-Pétersbourg en hiver 1874, après des années de prière et d’attente. Sa prédication reposait entièrement sur la parole de Dieu. Non seulement il ne cherchait pas à captiver l’audience par un discours recherché, mais ne sachant pas bien le russe. il était obligé de s’adresser en anglais ou en français à des gens instruits appartenant généralement à la noblesse et qui fréquentaient une chapelle anglo-américaine. Certains d’entre eux commencèrent à s’ouvrir spirituellement, se repentirent, firent le pas de la foi en la rédemption par le sang de Christ et firent l’expérience de la joie résultant du salut trouvé.

2. Premières conversions

Quelques personnes s’étaient déjà converties, telles que la princesse Lieven mère, et le comte Korff, maître des cérémonies à la Cour, qui s’occupait déjà de la diffusion des Ecritures. D’autres avaient des ressentiments contre le prédicateur anglais, tels que le colonel Vassili Pachkof, ancien officier de la garde, homme du monde affable et immensément riche. Un soir que sa femme avait invité Lord Radstock chez eux, son mari dut l’entendre, bon gré mal gré, parler de ses expériences et de la joie du salut. L’entretien se poursuivit au salon après le dîner, ce qui déplut au colonel Pachkof; mais quel ne fut pas son agacement quand Lord Radstock proposa qu’on s’agenouille pour prier! Cependant, par politesse, il s’agenouilla aussi. Tout à coup, de façon totalement inattendue pour lui, il se rendit compte que ce qui avait été dit du fils prodigue le concernait personnellement: il était, lui, un fils prodigue, un pécheur perdu. Il comprit qu’à cause du sacrifice du Christ à la croix, Dieu lui accordait le pardon. Quand il se releva, Pachkof était un homme nouveau, racheté par le sang de Christ!

Vassili Alexandrovitch (c.-à-d. fils d’Alexandre) Pachkof commença maintenant à prêcher 1’Evangile en russe à un cercle sans cesse grandissant. Sa résidence sur le quai de la Néva devint un centre d’évangélisation où se pressaient pêle-mêle élégantes et cochers, riches et pauvres sur les chaises revêtues de soie. Les filles du colonel Pachkof, du comte Pahlen et de la princesse Galitzine avaient formé un choeur et interprétaient des chants de réveil.

Par la Parole proclamée avec clarté et une profonde conviction par Vassili Pachkof, le Saint-Esprit produisit des miracles de renouveau: des pécheurs se repentaient, des conversions eurent lieu, conversions qui opéraient une coupure entre « l’autrefois » et « le maintenant » et qui changeaient des vies, spectaculairement pour les uns, plus insensiblement pour les autres.

Pachkof visitait hôpitaux et prisons. Avec ses nombreux amis, il inaugura une série d’oeuvres sociales. Il y eut des cas de guérison par la prière et une possédée fut délivrée. Certaines conversions eurent du retentissement, notamment celles parmi les étudiants souvent révolutionnaires et nihilistes.

3. Progrès
Voici quelques flashes qui illustrent bien ce qui se passait alors:
– Le comte Bobrinsky, ministre des communications, entreprit de démontrer à Lord Radstock que la Bible était pleine de contradictions. Après quelque temps il confessa : « Chaque verset de la Bible que je citais pour appuyer mon argument devint une flèche contre moi. Maintenant, je suis né de nouveau. »
– La princesse Gagarine, ayant été convaincue par le tout est accompli de Jésus à la croix, se leva avec courage au milieu de connaissances et membres de sa famille pour répondre à un appel à la consécration.
– Une des conversions qui fit du bruit fut celle de la veuve du général Tchartkof, qui amena d’autres au Seigneur, dont une bohémienne qui se mourait à l’hôpital.
Plusieurs oeuvres virent e oui. Ainsi furent fondés une société de traités et un petit périodique, « Le travailleur russe ». De nombreux cantiques furent composés ou adaptés de l’anglais. Cela se passait sous Alexandre II, tsar tolérant qui était en contact avec les évangéliques et qui projetait une loi garantissant la liberté de conscience.
Grâce à l’orientation que sut donner Lord Radstock dès le début, les évangéliques russes sont restés fortement enracinés dans la parole de Dieu jusqu’à ce jour.

4. Conflits et opposition

Le réveil spirituel s’étendait non seulement à Saint-Pétersbourg, mais dans de nombreuses villes et en province. Le clergé de l’Eglise orthodoxe voyait avec déplaisir l’expansion de ce grand mouvement, où les prières aux saints et la vénération des icônes n’étaient plus pratiquées. Or en Russie, Eglise et Etat étaient profondément liés.

Le 1er Mars 1881 se produisit l’attentat qui coûta la vie au Tsar Alexandre II. Le gouvernement voyait des dangers partout et devint radicalement réactionnaire. Le jeune Tsar Alexandre III était sous l’influence du procureur du Saint-Synode, un grand ennemi du mouvement évangélique.

Pendant ce temps se produisirent, aux confins de l’immense Russie, des mouvements de réveil semblables, mais sous d’autres noms, et Pachkof rêvait d’une Alliance Evangélique qui les réunirait tous. Il loua un grand hôtel tout entier pour inviter des délégués de toute la Russie et paya les déplacements à ceux qui n’en avaient pas les moyens. Le 1er Avril 1884, près de cent délégués se réunirent, mais le troisième jour, ils furent tous arrêtés à la sortie par un important corps de police, enfermés dans la forteresse Pierre et Paul, puis renvoyés à leur lieu d’origine avec l’interdiction formelle de revenir. Le comte Korff, puis le colonel Pachkof furent convoqués par le ministre de la justice, pour les sommer d’arrêter toute activité religieuse, sous peine d’expulsion. Ne pouvant accepter cela, on leur donna deux jours pour quitter la Russie. Plus tard Pachkof mourut à Rome et Korff à Bâle.

En 1891, le ministre des cultes, Pobiedonostef, convoqua une grande conférence ecclésiastique à Moscou, tellement les autorités étaient alarmées devant les progrès rapides des hérésies baptistes, stundistes et « pachkovites ». Des statistiques prouvaient que sur les 41 diocèses, 28 étaient gravement « infectés » et que la « virulence de l’infection » était telle qu’elle dépassait la compétence du clergé. Y voyant un grave danger pour l’Etat, on imposa un code pénal dont je ne cite que l’article 196 « Celui qui répand les opinions des hérétiques ou dissidents ou les aide, sera puni de bannissement en Sibérie, Transcaucasie ou autres endroits éloignés de l’Empire.

On peut imaginer les persécutions, les emprisonnements, les transports inhumains, les camps en Sibérie, sans parler des tortures de beaucoup de ces « hérétiques ».

5. Des femmes qui portent le flambeau

A Saint-Pétersbourg, deux femmes continuaient avec un important groupe de croyants. La princesse Lieven mère reçut un jour la visite d’un adjudant général du tsar qui venait l’informer que le souverain ne désirait pas que les réunions continuent dans sa maison. La princesse parla très librement avec cet officier, que d’ailleurs elle connaissait, du salut en Christ et du bonheur d’être libéré, puis elle lui offrit un Nouveau Testament. Elle le chargea de demander à Sa Majesté à qui elle devait obéir en priorité: à Dieu ou à César ? La même démarche fut faite auprès de Mme Tchertkova, également veuve, et dont la résidence était un lieu de réunions évangéliques.

Quand on rapporta au tsar le résultat de ces démarches, il s’exclama: « On ne peut tout de même pas importuner ces deux veuves ! » C’est ainsi que les réunions chez elles continuèrent et même essaimèrent dans un autre quartier de la ville, où Mme Tchertkova avait fait transformer une villa en lieu de réunions.

Importunés par la surveillance de la police omniprésente, Kargel et Bobrinsky se retirèrent dans les provinces où ils continuèrent d’évangéliser. Quant aux réunions de Saint-Pétersbourg, elles se poursuivaient avec des frères qui, s’ils n’étaient souvent pas préparés, étaient brûlants de zèle.

6. Encouragements

Le passage de divers visiteurs encourageait et fortifiait les croyants, qui prenaient conscience de la grande communauté mondiale des rachetés.

Le Dr Baedecker, fameux évangéliste doté d’un flair de diplomate, obtint l’autorisation de visiter les croyants dans les prisons du Caucase et de la Sibérie, où il fit d’immenses voyages. Georges Muller, homme de foi bien connu, put lui aussi aller visiter et encourager les chrétiens persécutés.

La comtesse Hélène Chouvalof, épouse du chef suprême de la gendarmerie de l’Empire, était une femme originale. Croyante fervente, elle invitait des fonctionnaires supérieurs à dîner, dans le but de leur demander la grâce ou une réduction de peine pour tel ou tel croyant – et elle réussissait! En plus, elle organisait des réunions évangéliques au sous-sol de leur résidence, qui était donc celle du chef de la gendarmerie, alors qu’elles étaient strictement interdites…

7. Liberté religieuse de 1905

Suite à un soulèvement révolutionnaire de cette année, le Tsar Nicolas Il décréta la liberté de conscience. Ce fut en avril 1905 que, dans la grande salle de réunions de la princesse Lieven. un frère put donner lecture du manifeste accordant la liberté religieuse. Toute l’assemblée, les visages baignés de larmes de joie, se mit à genoux pour louer Dieu de ce cadeau si longtemps attendu.

C’est à cette époque que mon père était à l’oeuvre à Saint-Pétersbourg. Dans ses Mémoires, il raconte les événements extraordinaires de ces temps.

Rodolphe BRECHET


B. La situation contemporaine (suite)

4. L’unité évangélique et l’ocuménisme de Genève (COF)
      L’évolution décrite dans la première partie de cet exposé, conjointement avec la grâce de Dieu, a fait que les évangéliques sont sortis de leur dispersion. Dès le début du siècle, l’Alliance Evangélique Universelle a préparé une certaine unité. Plus tard, après six ans de prière et de contacts, le premier Congrès évangélique eut lieu à Berlin en 1966 (« Congrès mondial de l’évangélisation »).

      Depuis cette date, les évangéliques ont continué d’organiser des rassemblements internationaux importants et sont devenus une force considérable par une unification étonnante, non hostile. On peut dès lors parler d’un « ocuménisme évangélique » (okuméné = univers) qui s’est merveilleusement développé, dans un effort d’enlever des barrières traditionnelles et de mettre Jésus-Christ au centre de cette vision. A ce propos, citons le Congrès de Lausanne de 1974, qui fut le plus grand congrès universel des évangéliques, sous le sigle CIPEM (Congrès international pour l’évangélisation du monde); il en résulta la « Déclaration de Lausanne » qui eut un impact mondial. TEMA (The European Missionary Association) s’est voué à l’organisation de congrès missionnaires de jeunesse sur le plan européen; en Suisse, il y eut les deux « Jours du Christ » en 1980 et 1984.

      Plusieurs facultés de théologie évangélique ont été fondées, ainsi à Vaux-sur-Seine, à Aix-en-Provence et à Bâle (FETA: Freie evangelischtheologische Akademie). Ces facultés reflètent et stimulent la réflexion évangélique.

      L’unification massive des évangéliques dans le Tiers Monde, en Amérique et dans certains pays d’Europe a attiré l’attention du mouvement ocuménique qui, sans changer son cours, fait de gros efforts de relations humaines et de compréhension spirituelle pour se rapprocher des évangéliques.

5. Les zones intermédiaires
      Ce qui précède explique la formation de zones intermédiaires entre les courants principaux du protestantisme, d’autant plus que nous vivons dans un monde où domine le mythe de la neutralité et du compromis. Une autre tentation qui caractérise notre temps (temps de la fin?) est celle du relativisme humaniste où l’homme choisit son éthique et croit à l’unité universelle future.

      A part les oecuméniques ouverts aux évangéliques, surtout dans les pays à fortes églises d’Etat, il y a aussi les évangéliques ocuménisants, qui cherchent à gommer l’abîme qui sépare les deux groupes. Dans ce domaine, le côté affectif joue un grand rôle, ce qui n’a rien d’étonnant, vu que la foi chrétienne implique la personne entière du croyant. Et puis, il faut le dire il y a des ocuméniques sympathiques et des évangéliques parfois rébarbatifs.

6. Les évangéliques en Suisse
      a) Suisse alémanique
      La situation des évangéliques (Evangelikale) s’est fortement renforcée dans cette décennie, ce qui a provoqué un accroissement important des églises évangéliques. Cela est dû en grande partie au grand nombre d’églises libres (Freikirchen) et de communautés évangéliques en relation avec les églises d’Etat (chaque canton a son église, en général intégrée dans un de ses départements). Ces églises libres sont indépendantes de l’Etat. Parmi elles, mentionnons : Evangelische Gemeinschaft, Freie Gemeinde, Evangelische Brüderversammlung (Assemblée des Frères), Chrischona. Ces différentes églises se sont muées en une Communauté suisse de travail pour l’évangélisation (SAFE) qui contribue largement à l’unité des évangéliques. En 1984, SAFE admit en son sein les communautés pentecôtisantes qu’avant elle avait tenu à l’écart. Elle prépare une action commune au niveau des médias électroniques. Chaque année, des campagnes d’évangélisation sont organisées en Suisse Alémanique.

      b) Suisse romande
      Ici la situation des évangéliques est beaucoup plus faible, à cause de leur petit nombre et de leur division en groupuscules. L’influence de l’Eglise d’Etat, qui possède quelques leaders évangéliques remarquables, a été négative, d’une part à cause du barthisme antipiétiste qui a fortement influencé les théologiens des années 40 a 60, d’autre part à cause du voisinage du COE de Genève, dont l’influence a été en général neutraliste sinon pluraliste.

      L’urgente nécessité de l’unité des évangéliques, que les médias traitent comme quantité négligeable, a commencé à se concrétiser en novembre 1983 par la constitution de la FREOE (Fédération romande d’églises et d’ouvres évangéliques) où siègent des extrêmes tels que l’Action biblique et des églises pentecôtisantes.

      L’attitude d’expectative de beaucoup d’Assemblées de Frères, qui forment la majorité des églises évangéliques de Suisse romande rend cette unification difficile et freine la formation d’une entité qui puisse être prise au sérieux par les autorités et les médias. Notre vou est que nos frères prennent mieux conscience de leur héritage spirituel et de leur identité, que les barrières traditionnelles puissent tomber, afin que le témoignage d’une unité évangélique dans notre région soit plus réel.

      Ndlr: En Août 1985 eut lieu, à Morges, un grand rassemblement pour fêter la fondation de l’Association des Assemblées de Suisse romande, qui réunit en son sein une quarantaine d’Assemblées de Frères antérieurement séparés en deux groupes distincts. Le vou du Dr. Bréchet, qui rédigea cet article en 1984, s’est ainsi réalisé.

C. Le témoignage évangélique

      Il s’agit de fixer des buts clairs et de travailler à « l’ocuménisme évangélique » qui s’étend au monde entier, ainsi que de rechercher des contacts réguliers avec le mouvement évangélique dans le monde, mouvement qui n’a pas de siège et qui s’oppose à une structuration rigide.

      Le témoignage évangélique doit faire honneur au Seigneur par sa position clairement biblique et doit être rendu dans un esprit d’humilité et de courage. S’il est exempt d’agressivité et d’esprit de confrontation, l’unité des évangéliques sera la meilleure réponse au libéralisme et au pluralisme théologique ambiant. Cela demande du courage dans un monde empreint de préjugés séculiers humanistes où l’on ne distingue souvent que « ocuméniques » et « sectaires ». Les évangéliques doivent se défendre d’être taxés d’obscurantistes religieux ou culturels, de « fondamentalistes » ou d’autres étiquettes péjoratives que les médias tentent de leur coller.

      Si les évangéliques veulent être le sel de la terre, ce qui est le devoir absolu de chrétiens, leur témoignage doit être fidèle à la Bible, sans aucune ambiguïté. Ceci dit, il doit aussi se faire dans le respect des particularités des nombreux groupes qui le composent. C’est un programme de compréhension et d’aide mutuelle dans l’amour du Christ.

      La soumission absolue des évangéliques à l’autorité de la Parole inspirée doit se refléter non seulement dans la théologie, mais aussi dans le domaine de l’éthique et de la vie sociale. Je ne citerai ici que deux noms qui sont devenus des symboles dans le monde évangélique Francis Schaeffer des Etats Unis et l’historien Pierre Chaunu, membre de l’Institut.

      Le témoignage évangélique ne peut ignorer les trois milliards d’hommes sans possibilité d’entendre le message de l’Evangile. Il doit s’inspirer de la vision des anciens piétistes: évangéliser le monde pour que le Roi vienne.

FIN

Rodolphe Bréchet



      Un ami pasteur m’ayant demandé ce que je pouvais lui dire sur l’identité des évangéliques, je veux tenter de cerner un actuel mais vaste problème, au risque de schématiser des aspects importants.

      Dans l’AT, le peuple d’Israël est sans cesse exhorté à remémorer les interventions de Dieu dans son histoire. Pour nous aussi, il est essentiel de regarder le passé afin de comprendre le présent. Au travers de toute l’histoire de l’Eglise, nous voyons la continuité étonnante et parfois paradoxale de l’action de l’Esprit de Dieu dans le monde.

      Le mysticisme du moyen-âge trouve une certaine continuité dans le réveil puritain-piétiste apparu dès le 17e siècle, à son tour précédé de la Réforme et des anabaptistes, suite à de nombreux mouvements de retour à la Parole de Dieu à travers l’Europe.

A. Aperçu historique

1. Le réveil piétiste-puritain

      Arndt (1555-1621), Spener (1635-1705) et Francke (1663-1722) en ont été les pères en Allemagne. De là le réveil passa dans le monde anglo-saxon, où il y eut un premier réveil en 1734 avec G.Whitefield, puis une deuxième vague en 1780. Whitefield eut un ministère étendu, également en Amérique. Les « pères pèlerins », piétistes hollandais et huguenots entre autres, avaient préparé le terrain et produit de nombreux écrits puritains-piétistes.

      En Europe, le comte N.L. de Zinzendorf (1700-1760) fut à l’origine du grand réveil morave de 1722. Le mouvement piétiste était marqué par un fort biblicisme, ce qui empêcha qu’il dégénère en humanisme religieux ou simple mysticisme. Un point central fut la « nouvelle naissance », l’expérience d’une relation personnelle avec le Seigneur. La lancée missionnaire moderne commença réellement avec les piétistes. Le piétisme représente un profond réveil spirituel d’évangélisation missionnaire mondial. La préoccupation sociale, celle des principes éthiques et de l’éducation chrétienne en furent les autres traits caractéristiques.

2. Les courants évangélique et ocuménique

      Pour ce qui concerne les 19e et 20e siècles, je renvoie au discours inaugural du Congrès de Lausanne: « Pourquoi Lausanne ?  » de Billy Graham. Parlant des causes de l’affaiblissement des églises, il dit: « L’Eglise a perdu beaucoup du zèle et de la vision des jours passés (New York 1900, Edinburgh 1910). En voici les trois raisons principales:

      1. La perte de l’autorité et du message de l’Evangile.
      2. La priorité accordée aux problèmes sociaux et politiques.
      3. Une même préoccupation avec une unité organique.
      Le premier courant était évangélique; le second était de caractère ocuménique. »

3. La tradition évangélique

      Elle a comme base l’inspiration et l’autorité absolue des Saintes Ecritures. Elle fait suite aux réveils des trois derniers siècles. Le mouvement évangélique a connu une croissance énorme dans le monde entier, surtout par les « conquêtes missionnaires ». L.Drummond écrivait: « La plus grande contribution des piétistes fut d’injecter l’esprit missionnaire dans la Réforma­tion. »

      Le réveil évangélique en Suisse romande a été décrit par Paul Perret et Jacques Blandenier. Le mouvement évangélique ne s’est pas forcément superposé aux structures d’églises historiques. Souvent il a provoqué l’éclosion d’églises libres et de communautés largement autonomes, dont plusieurs à tendance baptiste.

4. La tradition libérale

      Elle a abouti à ce qu’on appelle « ocuménisme », mot actuellement employé dans des sens très divers. Il présente les trois caractères mentionnés par Billy Graham. Après la deuxième Guerre mondiale, à la suite de diverses rencontres historiques, le Conseil ocuménique des Eglises (COE) fut fondé et structuré en 1948 à Amsterdam. Il a gagné de nombreuses églises comme adeptes. Marqué de libéralisme et de pluralisme, le mouvement ocuménique a provoqué des réactions fortes dans le monde évangélique, et l’a parfois figé.

      Dans le monde actuel, et surtout dans le Tiers-Monde, il y a partout deux camps très distincts:
      b) les ocuméniques, qui progressent surtout dans le sens socio­politique, avec l’idée utopique de l’unité universelle, donc avec un certain syncrétisme (Bangkok).

B. La situation contemporaine

1. Catholiques et protestants

      a) Le COE: Depuis sa formation, il y a un effort de rapprochement des deux côtés. Dans la première phase de l’ocuménisme, ce fut surtout la recherche de l’unité de l’Eglise. Le progrès de l’unité avec orthodoxes, églises de l’Est et de l’Ouest s’est enlisé depuis dix à vingt ans. Il y a près de 300 grandes et petites églises dans le COE. Dans la deuxième phase du COE, les relations entre catholiques et protestants ont été fortement influencées par l’humanisme, le dialogue avec les religions et idéologies de notre temps, et surtout l’évolution sociopolitique. A part cela, nous constatons une mutation frappante du côté catholique.

      b) Le mouvement de Taizé, surtout en Europe, recherche une unité par une spiritualité catholique dans un vide spirituel protestant.

      c) Le mouvement charismatique, d’origine piétiste-pentecôtiste, a connu un développement phénoménal, surtout parmi les catholiques, mais aussi chez les protestants. Il a contribué à combler un vide spirituel chez les deux. On peut parler d’un oecuménisme charismatique qui se situe loin du COE à Genève, mais qui met l’accent sur la dimension expérimentale au détriment de la dimension biblique et doctrinale.

2. Evolution actuelle de l’ocuménisme

      Il s’agit de la variété de Genève. Son évolution peut être schématisée ainsi: – années 40: unité – années 50: Eglise – années 60: théologie du développement et pensée humaniste – années 70: en plus un engagement politique – années 80: appel à la lutte active, voire armée, contre les dominations, nuance qu’on peut désigner par le terme « christo-marxisme » (christianisme teinté de marxisme). Cette évolution va de pair avec une diminution de l’effort d’évangélisation.

      Tout cela s’est réalisé avec le développement de nouvelles théologies: les « théologies populaires » telles que la théologie de libération, la théologie noire, le féminisme extrémiste. Ces mouvements idéologiques sont basés sur des expériences faites à partir de la situation en Amérique du Sud et ailleurs, et sur un intense travail théologique fait par les oecuménistes radicaux. On parle d’une « nouvelle compréhension contextuelle de la Bible », parfois liée à une « lecture matérialiste de la Bible » faite dans une vision « christo-marxiste » du royaume de Dieu.

      On peut dire qu’il y a un abîme entre ce que fut l’ocuménisme en 1948 et ce qu’il est aujourd’hui. Cet abîme se traduit aussi par un discours anti-évangélique plus net (Melboume, Vancouver), tandis qu’une fraction cherche des contacts avec le monde évangélique.

3. Les évangéliques et les confessions protestantes

      Le courant évangélique est entré dans les églises traditionnelles des pays scandinaves (piétisme de Finlande et de Norvège surtout), de la Grande-Bretagne (fraction évangélique dans la « Low Church ») et, partielle­ment, de l’Allemagne (mouvement « Eglise confessante », relevant de la déclaration de Barmen, dans les églises luthériennes et réformées). En France, il y a eu division dans l’église réformée. Nous parlerons de la Suisse plus loin.

      Un problème important est celui de la théologie de Karl Barth, qui a combattu à la fois le libéralisme et le piétisme. Ce n’est qu’à la fin de sa vie qu’il modifia sa position par rapport au piétisme. Le barthisme constitua, avant tout en Europe centrale, une barrière contre le courant évangélique, surtout dans les églises réformées. Aujourd’hui, avec la régression du barthisme, il y a un contact plus cordial entre réformés et évangéliques.

      Le changement de la situation se révèle toutefois dans le changement du vocabulaire. Dans les pays francophones, on distingue réformés, évangéliques et charismatiques. Dans les pays germanophones, un néolo­gisme fit son apparition: die Evangelikalen; ce mot fut réprouvé au début, mais il est largement utilisé aujourd’hui.

      Aux Etats-Unis, la situation est très différente, à cause de l’absence d’églises d’Etat. Cela constitue une différence fondamentale avec les églises d’Europe, particulièrement avec celles de la Grande-Bretagne, où il y a une coexistence entre évangéliques et églises d’Etat. L’absence de celles-ci aux Etats-Unis fait que les évangéliques y représentent une force considérable. Les grandes campagnes d’évangélisation qui eurent lieu aux Etats-Unis dans notre siècle y ont contribué à un renouveau spirituel, de sorte que les évangéliques forment la grande majorité du monde protestant, ce qui se répercute favorablement sur l’effort missionnaire. Il faut aussi mentionner le développe­ment de pointe d’une missiologie évangélique.

(à suivre)

Rodolphe BRECHET

Notice nécrologique

Le Dr. Rodolphe BRECHET, dont nous avons le privilège de publier l’article ci-dessus, est mort tout dernièrement à l’âge de 74 ans. Il servit le Seigneur en Angola, où il fit valoir ses capacités de médecin évangélique pendant 36 ans. Sa foi et sa consécration laisseront un souvenir durable.


QUELQUES OUVRAGES RECENTS
RETABLISSANT UNE INTERPRETATION
CHRETIENNE DE L’HISTOIRE DE
L’EUROPE

Il nous paraît utile de signaler quelques ouvrages historiques récents nous permettant enfin de percevoir clairement l’orientation foncièrement anti-chrétienne du développement et de l’interprétation courante de l’histoire européenne depuis la Renaissance des XVe et XVIe siècles. La plupart de ces ouvrages sont dus à la plume d’auteurs catholiques, car il n’existe guère d’ouvrages protestants ou évangéliques en français sur ces questions si importantes. Le lecteur fera les rectifications nécessaires.

Il nous faudrait d’abord avoir une juste perception de ce que fut l’histoire chrétienne de l’Europe. Toute l’oeuvre extraordinairement riche de l’historienne française, Régine PERNOUD (que certains considèrent comme l’un des premiers historiens de notre époque), depuis son premier ouvrage de synthèse, « Lumière du Moyen Age », datant de 1944 (Grasset, 1981), jusqu’à son admirable « La femme au temps des cathédrales » (Stock, 1980) et « Les Saints au Moyen Age » (PIon, 1984), nous a appris à revoir l’interprétation humaniste courante de l’histoire médiévale. Les institutions, la culture et toute l’histoire de la période que nous appelons, depuis la Renaissance, « Le Moyen Age », sont de manière absolument évidente marquées par l’influence profonde et durable du christianisme. Pour les historiens de la Renaissance, le « Moyen Age » représente une période de régression de la civilisation entre ces deux périodes « bienheureuses » qu’auraient été l’Antiquité romaine et grecque, païenne, et le renouveau païen de la Renaissance. Le Moyen Age, entre la chute de l’Empire romain et la Renaissance aux XVe et XVIe siècles, d’inspiration païenne de l’Antiquité, était considéré comme une période de ténèbres, d’obscurantisme, d’inculture et de barbarie. Pour ces historiens, qui nous ont tous marqués de leur interprétation de l’histoire, le retour aux valeurs antiques du paganisme représentait la « renaissance » de la vraie civilisation. Ainsi calomniait-on mille ans de civilisation chrétienne en Europe. En prolongeant dans le domaine culturel leur anti-catholicisme doctrinal, spirituel et ecclésiastique parfaitement justifié, les historiens réformés et évangéliques ont malheureusement trop souvent tout simplement adopté cette interprétation païenne et anti-chrétienne de l’histoire. C’est pour de telles raisons que le XVIIIe siècle, siècle anti-chrétien s’il en fut, avec son idolâtrie de la raison de l’homme libérée des contraintes de la Parole de Dieu, siècle révolté contre Dieu, est par tous nommé le siècle des « lumières ». De la même manière, le journal du parti communiste de l’Union Soviétique est appelé « Pravda », ce qui signifie « vérité » en russe. Cette interprétation de l’histoire est devenue l’interprétation officielle de notre passé. Elle valorise systématiquement toutes les conquêtes d’un humanisme anti-chrétien aux dépens du christianisme. L’aboutissement catastrophique en est aujourd’hui le nihilisme destructeur et suicidaire que nous voyons partout. La meilleure introduction à cette révision chrétienne de l’histoire médiévale est le petit livre de Régine PERNOUD, « Pour en finir avec le Moyen Age » (Points-Histoire, 1979), qui dégonfle admirablement toutes les baudruches éculées de l’historiographie humaniste. C’est un ouvrage à lire et à faire lire.

Le petit livre de Henri CHARLIER, « Création de la France » (Dominique Martin Morin, 1982), nous fait comprendre de façon admirable à quel point le christianisme imprégnait tous les aspects de la vie sociale, politique et culturelle de l’Europe chrétienne au Moyen Age. Si la Réforme fut une « réformation » des déformations doctrinales, spirituelles et ecclésiastiques de ‘Eglise de la fin du Moyen Age et du début de la Renaissance, sur le plan culturel elle marque une forte continuité avec le christianisme médiéval.

Jeanne d’Arc, avec son « Dieu premier servi », fut typiquement une figure médiévale les réformateurs avec leur « Soli Deo gloria » appartiennent à une même famille. En fait des Luther, des Calvin, des Viret, des Knox sont par bien des aspects des figures anachroniques dans un siècle marqué par la renaissance d’un humanisme orgueilleux. Des hommes comme Agrippa d’Aubigné et Gaspard de Coligny, et même un Henri IV, sont des preux qui ont survécu à l’âge de la féodalité, à l’honneur seigneurial. Tous avaient cette vision de la souveraineté de Dieu sur toutes choses qui marquait si fortement la vie de l’Europe médiévale jusqu’au début des temps modernes. Les catholiques de la Renaissance, par contre, s’étaient alliés de mille manières avec l’esprit moderne du nouvel humanisme paganisant. Par exemple, la Pléiade avait allié sans peine un catholicisme farouchement anti-réformé avec un attachement foncier aux valeurs impies de l’antiquité païenne. Par contre, la grande poésie réformée française du XVIe siècle allant de Clément Marot (1495-1544) et Théodore de Bèze (1519-1605) jusqu’à l’oeuvre immense et terrible d’Agrippa d’Aubigné (1552-1630), est beaucoup plus proche de la poésie religieuse et morale du Moyen Age telle qu’on la trouve chez un Rutebeuf (Xllle siècle), un Eustache Des-champs (XIVe siècle) ou même un François VilIon (XVe siècle), que de la tradition esthétisante de la Renaissance et d’une partie de la poésie des époques baroques et classiques (1). Il en est de même pour la musique du Psautier huguenot, si proche de la musique grégorienne. Cette continuité entre la civilisation chrétienne du Moyen Age et celle de la Réforme pourrait être démontrée de maintes manières.

Dans son dernier ouvrage, « Lettre ouverte à ceux qui ont mal à la France » (Albin Michel, 1985), le père R.-L. BRUCKBERGER, connu pour ses livres d’inspiration profondément biblique tels « La Révélation de Jésus-Christ » (Grasset, 1983), « Lettre ouverte à Jésus-Christ » (Livre de Poche, 1973) et son admirable traduction des Evangiles, « L’Evangile » (Albin Michel, 1976), pour n’en nommer que quelques-uns, nous livre aujourd’hui une révision déchirante de l’interprétation officielle de l’histoire de l’Europe depuis le XIVe siècle. Il voit en effet que le mal dont nous souffrons a commencé, non à la Réforme ou à la Renaissance, ou encore plus récemment à la Révolution française, mais déjà aux Xllle et XIVe siècles avec la réapparition dans les universités de l’enseignement du droit romain. A partir de cette époque, le droit romain a été utilisé, comme au temps de l’empire des Césars, à savoir pour justifier le droit d’user et d’abuser, non seulement de ses propres biens, mais aussi du pouvoir politique, ce qui est parfaitement contraire à l’enseignement de la Bible, qui affirme que, tout appartenant à Dieu, tout doit être géré par nous selon la loi divine. Bruckberger voit dans cette révolution légale commencée au XIVe siècle l’origine d’un capitalisme dénaturé, car libéré de la loi de Dieu, totalement égocentrique et ainsi en opposition au véritable capitalisme biblique de gestion des biens de ce monde pour Dieu et dans le but de faire fructifier la création pour le bien des hommes (voyez « Le capitalisme: mais c’est la vie! », PIon, 1983). Mais Bruckberger y voit également l’origine de l’Etat totalitaire moderne. Celui-ci, en passant en France par les légistes de Philippe le Bel, la monarchie de droit divin à la Louis XIV – inconnue au Moyen Age en dehors de la papauté -, a abouti à l’absolutisme des majorités démocratiques sans Dieu ni loi. La souveraineté, qui en fin de compte n’appartient qu’à Dieu, a ainsi été usurpée par les hommes. Son ouvrage, qui est la synthèse de nombreuses recherches historiques récentes sur ces questions, doit beaucoup à l’ouvrage monumental et indispensable de Régine PERNOUD, « Histoire de la bourgeoisie en France » (2 vols. Points-Histoire, 1981). Pour notre part, il nous semble qu’il faudrait chercher à pousser l’analyse plus loin encore, car le mal remonte, comme l’indique Francis SCHAEFFER dans son livre « Démission de la raison » (La Maison de la Bible, 1965), à l’introduction par Thomas d’Aquin (1225-1274) de la pensée d’Aristote dans la théologie de l’Occident. Il aurait également pu citer l’ouvrage magistral de Bertrand de JOUVENEL, « Du Pouvoir. Histoire naturelle de sa croissance » (PlurielPoche), qui retrace l’histoire du développement en Occident de la puissance absolue de l’Etat Moloch, sans Dieu ni loi, dont l’Apocalypse nous parle de manière impressionnante sous la figure d’une bête terrifiante.

Cette bête a fait sa première apparition spectaculaire sur la scène de l’histoire avec la Révolution française, prototype de tout le mouvement moderne contre le Christ et contre son influence dans notre monde. C’est ce caractère foncièrement et primordialement anti-chrétien de la Révolution française que décrit l’historien français Jean DUMONT dans son livre fortement documenté, « La révolution française, ou les prodiges du sacrilège » (Critérion, 1984). Il y démontre de façon convaincante que le coeur de la Révolution se trouvait dans son anti-christianisme. Face à d’autres manifestations de ce même esprit révolutionnaire, le grand théologien luthérien berlinois, converti du judaïsme au Christ, J-J. STAHL (1802-1861), écrivait en 1 852 ces paroles saisissantes:

« La Révolution est le rationalisme extérieur; le rationalisme est la révolution intérieure. L’un et l’autre sont la maladie mortelle de notre siècle. On dit que le rationalisme est de l’incrédulité: c’est faux, il croit en l’homme. On dit que la Révolution est le renversement de l’autorité: c’est faux, elle entend seulement que l’homme soit l’unique source du pouvoir et l’unique but de la société. L’un et l’autre affranchissent de Dieu l’homme ; l’un aboutit nécessairement à l’émancipation de la chair et au communisme ; l’autre à l’apothéose de la raison humaine tous deux à l’homme de péché prédit par St. Paul ». F.-J. Stahl: Was ist die Revolution ? (1852)

C’est cet immense danger que cherche à éclairer le père R.-Th. CALMEL dans son ouvrage « Théologie de l’histoire » (Dominique Martin Morin, 1984). Nous y trouvons un remarquable effort pour rejoindre la vision biblique de l’histoire telle qu’elle fut développée par Saint-Augustin dans la « Cité de Dieu ». C’est un ouvrage qui nous ouvre les yeux sur la présence si active et si puissante dans le monde moderne de l’esprit de l’anti-christ. Nous ne saurions trop recommander la lecture de ce livre, ceci malgré quelques aspects plus spécifiquement catholiques dont il faudra faire abstraction.

Pour terminer, nous vous signalons un ouvrage universitaire d’inspiration biblique et évangélique qui traite également des progrès inquiétants d’un esprit antichrétien dans notre civilisation. Il s’agit de la thèse remarquable de Jean-Pierre GRABER, « Les périls totalitaires en Occident » (La pensée universelle, 1983). J.-P. Graber cherche à identifier et à analyser les causes et les processus qui sont en train de conduire nos sociétés occidentales au totalitarisme. Le problème est analysé dans une perspective systématiquement chrétienne, ce qui est étonnant pour un ouvrage universitaire. Les causes de cet immense danger sont étudiées dans l’ordre suivant: l’évacuation de Dieu; la désagrégation des normes éthiques et des institutions traditionnelles ; le développement d’un droit purement sociologique ; la tension inévitable entre les tendances diverses d’une société pluraliste sans vrai consensus ; la régression de la liberté économique et de la propriété individuelle ; les virtualités totalitaires d’une société technicienne ; l’influence de la subversion ; finalement, la croissance constante de la puissance de l’Etat.

Comme Bruckberger, nous ne voyons pas la désintégration d’une civilisation qui a voulu se construire hors du dessein de Dieu, sans lui et en opposition ouverte à sa bonne Loi, comme une catastrophe irrémédiable. Un tel monde doit disparaître, car il a renié la source même de la vie et tous les fondements d’une véritable civilisation.

Ceux qui se tournent vers Dieu et qui gardent ses Paroles, c’est-à-dire sa Loi, par la force du Saint-Esprit qui leur a été donné, sont fondés sur un roc immuable, et sur ce roc peuvent construire pour l’avenir de manière durable. Mais, comme le dit Bruckberger dans son dernier ouvrage, pour sortir de l’impasse universelle actuelle:

« Il faut revenir à la religion, à la famille, à la propriété garantie de la liberté individuelle, à l’honneur du travail et de l’invention et à leur juste récompense, source fatale, mais tout à fait honorable, d’inégalités puisque tous n’ont pas le même génie et qu’il est juste que le laborieux réussisse mieux que le paresseux. »

Et il ajoute:

« Mais la confusion des esprits est telle, les résultats du socialisme et du communisme sont si désastreux pour la liberté et la dignité de l’homme, le Goulag est devenu une menace tellement proche pour le monde entier, qu’il nous faut commencer par le commencement, c’est-à-dire le retournement de l’homme vers Dieu. Soljénitsyne écrivait dans « Le Point » du 13 mai 1983: « Il est en vain de chercher une issue à la situation du monde, sans tourner notre conscience repentante vers le Créateur de toutes choses. Aucune autre issue ne s’éclairera, nous n’en trouverons pas, hors la quête opiniâtre de la douce main de Dieu que, dans notre inconscience, nous avons rejetée ». » (p. 124-125).

Jean-Marc BERTHOUD


(1) Sur la poésie réformée des XVIe et XVlle siècles, si méconnue aujourd’hui, il est utile de signaler les ouvrages suivants:
Albert-Marie SCHMIDT: Etudes sur le xvle siècle (Albin Michel, 1967)
Michel JEANNERET: Poésie et tradition biblique au X/le siècle (corti, 1969).
Jacques PINEAUX: La poésie des protestants de langue française de 1559 à 1598 (KlincKsieck, 1971)



L’Abri, le 31 mars 1983


Cher Jean-Marc,

Je voudrais d’abord m’excuser de répondre si tardivement à votre lettre si pleine d’égards. Elle est arrivée juste après notre départ pour les Etats-Unis où Edith et moi-même avons donné une série de conférences.

J’ai lu votre lettre avec un grand intérêt et je suis très impressionné par votre argumentation. Il me semble que sur le fond nous sommes entièrement d’accord.

Dans le début sur le rôle précis joué par le christianisme dans la fondation des Etats-Unis, nous trouvons, en fait, trois éléments différents:

1) Il y a d’abord une fausse idée de ce qu’est la spiritualité. Cette erreur conduit les chrétiens à croire que tout intérêt pour le monde qui nous entoure et toute activité y relative, et cela plus particulièrement dans le domaine politique et civil, sont inévitablement suspects.

2) Plus inquiétante encore est l’apathie incroyable de la plupart des gens. Il ne faut surtout pas déranger les habitudes de nos concitoyens. Les chrétiens réagissent malheureusement de la même manière.

3) Et il existe une école d’historiens chrétiens qui défendent un point de vue peu équilibré.

La discussion actuelle implique plus spécialement ce troisième groupe. Ils sont cependant peu nombreux comparés à ceux qui ont été influencés par « A Christian Manifesto » ou d’autres écrits semblables et qui comprennent à quel point le Christ et les Ecritures ont influencé la culture, non seulement des Etats-Unis, mais de toute l’Europe du nord, ce qui inclut, bien sûr, la Suisse. Malheureusement, certains de ces derniers sont tombés dans une autre erreur. Ils ont, pour ainsi dire, baptisé toute l’histoire, et en particulier celle des pays protestants, du nom de chrétien. Ils ont en conséquence tendance à oublier que les fondateurs des Etats-Unis, par exemple, ou les chrétiens engagés dans les partis politiques en Angleterre au XIXe siècle n’ont pas toujours été ce qu’ils auraient dû être, pour la simple raison qu’ils n’étaient tout simplement pas des chrétiens. C’était le cas, par exemple, du déiste Jefferson. Mais il serait facile de démontrer que même un déiste comme Jefferson possédait une culture biblique que l’on trouve difficilement aujourd’hui.

Une autre faiblesse provenait du fait que ceux qui ont fondé les Etats-Unis avaient indubitablement une philosophie politique chrétienne beaucoup moins complète qu’un Abraham Kuyper (1). Ainsi, les historiens chrétiens de cette école ont tendance à comparer les théories politiques relativement peu élaborées des pères fondateurs des Etats-Unis à la pensée politique plus systématique d’Abraham Kuyper. En conséquence, ils réagissent très fortement, allant jusqu’à prétendre que dans la fondation des Etats-Unis toute influence chrétienne était absente. Lorsqu’on lit les écrits de ces historiens, on n’y trouve aucune indication de l’immense différence de fait entre les conséquences de la révolution américaine, qui partait d’un consensus chrétien général, et celle des Révolutions française ou russe, où l’influence de la pensée chrétienne était entièrement absente.

La gravité d’une telle position ne provient pas simplement d’une analyse théorique peu équilibrée, ce qui ne serait qu’un problème académique. Non, le résultat d’une telle attitude – tant aux Etats-Unis qu’en Europe, où de tels livres sont lus – est de diminuer l’immense différence entre la situation qui prévalait aux Etats-Unis et dans le nord de l’Europe il y a seulement quelques années, et la situation actuelle. Une telle attitude historique diminue l’énergie et le sens des responsabilités de ceux qui doivent affronter la situation que nous connaissons aujourd’hui. Il ne s’agit pas d’une simple discussion théorique, mais d’une attitude dont les effets sont pernicieux, d’autant plus que cette interprétation de l’histoire tend à renforcer les deux autres aspects du problème: d’une part, il y a ce faux piétisme qui considère tout ce qui n’est pas « spirituel » comme suspect d’autre part, cette a pathie épouvantable des non-chrétiens aussi bien que des chrétiens eux-mêmes. A la lumière de cette situation, j’étais très heureux de lire votre analyse, qu’il m’a semblé important de poursuivre.

Cette interprétation mène à des résultats destructeurs dans des domaines où autant vous que moi-même avons été conduits à appeler les chrétiens à assumer toutes leurs responsabilités devant le Seigneur vivant, et cela dans tous les aspects de la vie il s’agit particulièrement de s’opposer à la terrible désintégration culturelle que nous constatons aujourd’hui. Pour prendre un exemple, dans le dernier numéro de la revue « His » publiée par l’lnter-Varsity Fellowship (2) aux Etats-Unis, nous trouvons un article intitulé: « Qui a peur de l’humaniste sécularisé? » En voici la conclusion: « Il nous faut tout simplement vivre comme nous le devons, utilisant nos dons pour assumer nos responsabilités de citoyens et de consommateurs chrétiens. Si nous le faisons, ce croque-mitaine qu’est l’humaniste sécularisé disparaîtra peut-être de lui-même ». L’article traitait constamment l’humaniste sécularisé de croque-mitaine. Il est évident que c’est tout le contraire qu’il nous faut. Nous savons bien qu’un immense effort est nécessaire pour amener les chrétiens à faire quelque chose, et voici qu’on les encourage à suivre leur petit bonhomme de chemin, espérant que le croque-mitaine disparaîtra de lui-même. Ce qu’il nous faut, c’est voir s’il nous est possible d’amener les chrétiens d’aujourd’hui à agir sur la place publique ou si leur apathie permettra une décomposition encore plus grande de notre culture, notre société et des autorités qui nous gouvernent.

Comme vous le savez, je me suis plusieurs fois référé à Witherspoon (4) dans mon livre. Quiconque se donne la peine de lire ses sermons, en particulier les sermons devant le Congrès continental (5), se rendra compte sans peine que sa pensée politique était beaucoup moins élaborée que celle d’un Kuyper. Mais il est impossible de ne pas remarquer également l’immense culture chrétienne non seulement d’un Witherpoon lui-même, mais des hommes auxquels il s’adressait et avec lesquels il travaillait. Pour ceux qui connaissent la puissance de ‘Evangile et la façon dont fonctionne l’intelligence humaine, il serait bien naïf d’imaginer qu’une telle prédication n’ait point porté de fruits. Le fruit en est évident quand nous comparons l’esprit de la révolution américaine à celui des lumières du XVIIIe siècle français.

Il est instructif de relever en passant que malgré le fait que la Hollande d’Abraham Kuyper pouvait se prévaloir d’une pensée politique chrétienne beaucoup plus élaborée, elle se trouve aujourd’hui dans un bien pire état que les Etats-Unis. Il serait utile de se demander pourquoi.

Certains historiens, non contents d’avoir fait disparaître toute influence chrétienne de l’histoire des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et d’autres pays, vont jusqu’à prétendre que la Réformation elle-même n’était rien d’autre qu’une des manifestations de l’esprit de révolte de la Renaissance contre toute autorité. On entre alors non seulement en contradiction avec la vérité historique, mais on s’oppose aussi à la vérité que Dieu ressuscita pendant la Réformation, et aux conséquences de cette réforme pour nos pays d’Europe du nord.

A la page 12 de votre lettre, vous écrivez que le « thème principal de l’histoire de l’Occident depuis 250 ans est celui de l’érosion graduelle de cette base chrétienne de nos diverses sociétés. » C’est cette affirmation-là que nient ces hommes.

Me référant à la fin de votre lettre, je dirais que la pensée de Witherspoon n’était, en fait, pas vraiment rationaliste, bien que, comme je l’ai déjà dit, sa réflexion politique n’était certainement pas aussi clairement développée que celle de Kuyper.

Que je termine cette lettre en disant à quel point j’ai été touché par la fin de la votre. Je suis heureux que mes travaux aient pu vous être utiles. Nous devons prier les uns pour les autres au fur et à mesure que nous avançons dans le combat qui est devant nous. Je suis vraiment reconnaissant de l’aide que j’ai pu vous apporter.

Edith se joint à moi pour vous envoyer, à Rosemarie et à vous-même, nos salutations les plus chaleureuses.


Dans l’Agneau,
Francis A. Schaeffer

1) Abraham Kuyper: théologien, philosophe et homme d’état hollandais (1837 – 1920).
2) Equivalent des G.B.U. (Groupes Bibliques Universitaires).
3) Université évangélique prés de Chicago.
4) John Witherspoon: président de ce qui est l’actuelle Princeton University (1723 – 1794).
5) Les Congrés continentaux furent les rassemblements des représentants des colonies américaines lors de la Guerre d’indépendance contre l’Angleterre.


Lausanne, le 31 décembre 1982

Cher Monsieur Schaeffer,

Mercredi, nous avons eu le plaisir d’avoir Pierre (1) chez nous pour la soirée. Plus tôt dans la journée, il était monté à l’Abri rendre visite à Larry et Nancy (2). Nous avons parlé du débat suscité dans les milieux évangéliques par votre ouvrage « A Christian Manifesto » (3) et mon frère suggéra de vous communiquer les points principaux de notre conversation. J’ai évidemment une connaissance plutôt superficielle de l’histoire américaine, bien que j’aie pu, de temps à autre, tirer grand profit de la tradition puritaine et calviniste de votre pays au travers des écrits d’hommes tels que Dabney (4) et Thornwell (5), ainsi que par des études de F. Nymeyer (6) sur Calhoun (7). Je dois beaucoup aux écrits du Dr. R. J. Rushdoony (8) dont les travaux ont si fortement oeuvré à rétablir une pensée calviniste sur les questions publiques.

Il semblerait que la discussion sur votre livre tourne principalement autour de deux points:
– Quelle était l’orientation du consensus chrétien à l’époque de la guerre américaine d’indépendance?
– Les arguments d’hommes tels que le pasteur Witherspoon (9), ainsi que ceux d’autres pères fondateurs, n’avaient-ils pas été de nature essentiellement rationaliste et humaniste, se fondant sur les « Droits de l’homme » plutôt que sur la révélation divine ?

Les problèmes que vous soulevez sont, bien sûr, également propres à l’histoire européenne et, plus particulièrement, à l’histoire de la Suisse, bien que notre contexte et nos circonstances particulières soient manifestement autres que celles qui ont prévalu aux Etats-Unis.

J’aimerais dire d’emblée que ma connaissance du rapport entre la foi chrétienne et la vie de la société dans le contexte européen me conduit à confirmer, avec reconnaissance envers Dieu, ‘analyse générale que vous exposez dans le « Manifesto ». Je serais peut-être plus réservé sur les conditions qui rendent nécessaire, ou même obligatoire, la désobéissance civile des chrétiens qui veulent rester fidèles à la foi. Mais ici beaucoup dépend de l’intensité de la tyrannie exercée par les autorités civiles. N’ayant aucune connaissance des écrits de Witherspoon, je ne peux guère m’exprimer sur l’orthodoxie calviniste de sa pensée politique. Mais, partant de notre contexte suisse et européen, je pourrais formuler quelques réflexions sur la possibilité d’un consensus historique chrétien.

Il est certain que, dès le IVe siècle, les institutions et le système légal de l’Empire romain ont été profondément influencés, et même modifiés par l’Evangile de Jésus-Christ. Au fur et a mesure que progressait l’évangélisation de l’Europe, cette influence chrétienne sur les affaires publiques s était répandue sur tout le continent européen, des îles britanniques à la Russie. La vision chrétienne de la loi de Dieu influença profondément le droit commun ainsi que les institutions de la chrétienté médiévale. Cette influence chrétienne sur le droit et sur la politique européenne du Moyen Age pourrait sans doute être documentée de manière détaillée, mais je me limiterai à un seul exemple. Le lien féodal entre le Seigneur et son vassal est tout à fait incompréhensible hors du contexte établi par l’alliance biblique. Michel Villey (10), dans de nombreux livres et articles, a documenté cette influence de manière détaillée. Les écrits de cet auteur sont particulièrement significatifs du fait qu’il est un adversaire décidé de toute influence directe de la révélation sur le droit, défendant plutôt le retour à un type de droit naturel fondé sur le modèle romain.

Mais avec le retour du droit romain et la redécouverte de la pensée politique d’Aristote (11) par Thomas d’Aquin (12), et plus particulièrement avec le nominalisme (13) de ses successeurs, Marsile de Padoue (14) et Guillaume d’Ockham (15), une vision autonome de la politique et du droit gagnait du terrain. Comme l’histoire de ce développement n’est pas simple, il n’est pas possible ici d’entrer dans les détails mais selon Villey, les pays de la Réforme ont vu un renouvellement très important de l’influence biblique sur le droit. Les écrits de Luther (16), et encore plus les écrits de Bucer (17), de Calvin (18) et de Viret (19) confirment indiscutablement l’appréciation de Villey. Dans une certaine mesure, la contre-réforme est allée dans une direction semblable. Cette influence biblique sur le droit semble avoir été particulièrement importante dans les colonies puritaines de la Nouvelle Angleterre. Il me semble qu’un consensus chrétien général aurait prévalu aux Etats-Unis jusqu’à la guerre d’Indépendance et au-delà. Il est également important de se rappeler que la révolution américaine, fondamentalement différente de la Révolution française, fut précédée par un grand réveil, conséquence de la prédication d’hommes tels que Jonathan Edwards (20) et George Whitefield (21).

Un tel consensus chrétien a prévalu en Suisse jusqu’au milieu du XIXe siècle, et cela en dépit de l’apostasie spirituelle et théologique d’un grand nombre de pasteurs libéraux dans nos cantons réformés. Mais petit à petit, des influences étrangères à la Bible commençaient à dominer la culture générale de notre pays. Le système légal suivit ce déclin de l’influence chrétienne, quoique de manière moins rapide. Cette influence rationaliste sur notre droit devint plus marquée lors de l’unification des systèmes légaux propres à nos différents cantons dans la première moitié de ce siècle. Mais même dans le code pénal et civil fédéral ainsi remaniés, l’on peut clairement discerner l’influence profonde du christianisme. Les défenseurs de notre héritage légal chrétien pendant cette période venaient essentiellement des cantons catholiques. Leurs arguments étaient tirés d’un droit naturel de type chrétien. La plupart des protestants étaient marqués ou par le dualisme kantien, ou par le piétisme spiritualiste. En France, le Code Napoléon, bien que contenant encore des éléments de l’héritage chrétien, était fondé sur une philosophie rationaliste fortement marquée par des éléments de droit romain. Les fruits de cette déchristianisation de notre système légal ne se sont cependant clairement manifestés que récemment. Des lois sont maintenant préparées, avec l’approbation d’experts ostensiblement « chrétiens », tels que le professeur Louis Rumpf, qui fut pasteur de la défunte Eglise libre du canton de Vaud et, après l’union des églises, professeur d’éthique à la Faculté de théologie de Lausanne, et de conseillers fédéraux catholiques tels que Kurth Furgler. Ces hommes, animés par l’esprit néo-orthodoxe et moderniste apostat, minent ainsi notre héritage chrétien commun.

Je crois que nous pouvons en conséquence affirmer que ce consensus chrétien était une réalité historique clairement documentée tant en Europe qu’aux Etats-Unis. Le thème principal de l’histoire de l’Occident depuis 250 ans est celui de l’érosion graduelle de cette base chrétienne de nos diverses sociétés. Cette déchristianisation du droit est donc essentiellement due à un courant de pensée rationaliste d’origine nominaliste, courant qui a abouti à couper la société de toute influence transcendante. Une telle coupure est caractéristique de l’idéalisme kantien (22). Cet idéalisme philosophique a provoqué autant de dommages dans le droit que dans la théologie, la philosophie et les sciences elles-mêmes. Le chemin qui aboutit à notre sécularisation actuelle passe par l’humanisme culturel de Thomas d’Aquin. Villey décrit de façon remarquable cette histoire tragique de la révolte juridique de l’homme contre Dieu, le législateur souverain des nations de ce monde.

Je voudrais maintenant examiner un deuxième argument contre votre « Manifesto », à savoir l’affirmation que la pensée des pères fondateurs de la république américaine était faussée par le naturalisme rationaliste du siècle des lumières. Il est évident que personne ne peut nier que les « lumières » aient en effet exercé une influence considérable sur la pensée de certains des pères fondateurs. Benjamin Franklin (23) et Thomas Jefferson (24) en sont les exemples principaux. Mais la pensée de ces hommes doit être comprise dans le cadre intellectuel calviniste de l’époque. Le consensus chrétien qui prévalait alors considérait l’homme comme déchu et foncièrement enclin au mal il affirmait qu’il fallait en conséquence établir dans le nouvel état une division des pouvoirs. Ainsi fut établie la séparation des pouvoirs judiciaires, exécutifs et législatifs. Dans cette perspective pessimiste de la nature déchue de l’homme, perspective foncièrement chrétienne, il devenait également important de maintenir la fragmentation des colonies en autant d’Etats confédérés souverains. La popularité immense des « Federalist Papers », où était farouchement défendue la séparation des pouvoirs et l’autonomie substantielle des Etats confédérés, témoigne de manière éclatante en faveur de l’existence aux Etats-Unis, à la fin du XVIIIe siècle, d’un tel consensus profondément chrétien. Ces mêmes principes fédéralistes et séparatistes sont à la base de la Confédération helvétique ils sont à l’antipode de la bureaucratie centralisant caractéristique de la tradition d’optimisme naïf issu de la Révolution française, inspirée par l’humanisme. L’homme d’état et philosophe anglais Edmund Burke (25) comprit parfaitement cette opposition. Au Parlement anglais, il soutint la révolution américaine en appuyant les revendications des colonies. Remarquablement conséquent dans sa pensée politique, il s’opposa quelques années plus tard, avec encore plus de force, à l’utopie rationaliste et totalitaire de la Révolution française.
Quelques remarques relatives aux « Droits de l’homme » seraient sans doute ici utiles. Une doctrine des « Droits de l’homme », dont la première formulation publique se trouve dans la « Déclaration des droits » promulguée pendant la révolution américaine, est une notion dont l’emploi est fort dangereux. Elle ne peut être utilisée par les chrétiens que si elle est explicitement fondée sur les droits préalables de Dieu et de l’homme tels qu’ils sont définis par la loi divine. Même le prétendu « Droit à la vie » n’est pas un absolu abstrait. Un tel droit doit être lié explicitement à l’enseignement détaillé de la loi de Dieu, afin de ne pas mettre l’embryon innocent sur le même plan que le meurtrier qui l’assassine. La loi de Dieu autorise la peine de mort, la légitime défense et la guerre défensive. Certains disent que le thème des droits de l’homme a été importé en Europe d’Amérique pour y devenir un levier universel de révolution. Il me semble plutôt que cette théorie tire son origine de la pensée du siècle des lumières et, plus précisément, des cercles où fermentait l’idéologie révolutionnaire si justement analysée par Augustin Cochin sous le nom de « Sociétés de pensée » (26). Des Américains comme Benjamin Franklin (un franc-maçon notoire) ayant assimilé ces idées pendant leur séjour en France, les introduirent dans les colonies américaines, où elles furent adoptées dans une perspective plus chrétienne. Des Français comme Lafayette (27), qui avaient participé à la guerre d’Indépendance, rapportèrent en Europe les formulations américaines des droits de l’homme maintenant auréolées du prestige d’une révolution réussie. Mais Burke ne fut pas trompé par cette ressemblance apparente. Il prit parti pour les colonies américaines, qui défendaient en réalité non des « droits » rationnels abstraits, mais leurs droits historiques contre l’usurpation totalitaire de la couronne et du Parlement anglais. Burke s’opposa à l’idéologie des droits de l’homme de la Révolution française, vu que ces droits n’avaient de fondement ni dans l’histoire de la France ni dans la loi de Dieu. Ils étaient devenus la machine de guerre intellectuelle d’une révolution totalitaire sanguinaire. D’une manière très semblable, le polémiste et écrivain catholique anglais, G.K. Chesterton, n’hésita pas, au début de ce siècle, à s’opposer aux visées impérialistes du nationalisme d’inspiration hégélien de son pays lors de la guerre des Boer. Par contre, quand cet impérialisme nationaliste racial poussa l’Allemagne à des visées expansionnistes lors de la première Guerre mondiale, il défendit vaillamment son propre pays.

Il me semble qu’à l’époque de la guerre d’Indépendance, il existait en Amérique un consensus essentiellement chrétien accompagné de quelques éléments humanistes. Par contre, le consensus derrière la Révolution française – et cela même dans le clergé et l’aristocratie – était surtout celui de l’humanisme du siècle des lumières. En i 789, l’héritage politique chrétien avait pratiquement disparu de la vie publique française. Ceci fut sans doute l’un des fruits les plus amers de la Révocation de l’Edit de Nantes, de ce mépris pour la loi et la justice dont témoigne l’usage abusif de la « raison d’Etat », qui plaçait la royauté française au-dessus des lois du royaume et même de la loi de Dieu. La conséquence d’une telle divinisation de l’Etat fut une persécution sauvage de la foi chrétienne. Nous voyons aujourd’hui que le pouvoir en France favorise fortement cette tradition tyrannique. La volonté générale, la voix de la « majorité », se place au-dessus de toute loi transcendante, et au-dessus des lois du pays elles-mêmes. Nous avons là un signe certain de l’auto divinisation de l’homme.
Mais nous devons poursuivre ce raisonnement un peu plus loin. D’un point de vue biblique et chrétien, le droit naturel n’est pas en soi inévitablement erroné. Après tout, même si la « nature » est aujourd’hui dans un état corrompu, elle reflète encore néanmoins de nombreux aspects positifs de la création de Dieu. La loi divine est la loi établie par Dieu pour sa création ; dans ce sens, elle peut être légitimement appelée « la loi de la nature ». La tradition rationaliste autonome de notre occident commence indubitablement avec Thomas d’Aquin. Dans un sens, le nominalisme est héritier du réalisme thomiste dont les universaux ne sont plus uniquement ceux de la Bible, mais un mélange d’universaux grecs (Aristote et Platon) et bibliques. En conséquence, la pensée thomiste ne correspond pas de manière satisfaisante ni à l’ordre de la création ni à la pensée de Dieu. Mais Thomas d’Aquin, dans son ambiguïté complexe, a également été à l’origine d’une autre tradition de pensée de droit naturel en harmonie avec la loi de Dieu. C’est ce que nos amis catholiques traditionalistes appellent « le droit naturel et chrétien ». Ainsi le juriste suisse L. Bagi affirme, dans une défense remarquable de la légitimité du droit de propriété écrite dans la perspective de ce droit naturel: « Nous sommes convaincus que la légitimité et le caractère obligatoire d’une règle juridique procèdent de certains principes supérieurs de justice et d’une conformité avec l’ordre établi par le Créateur. Nous sommes fermement convaincus de la force obligatoire des prescriptions du droit naturel fondé sur une justice transcendant la volonté humaine » (28). De même Jean Madiran, dans le quotidien français « Présent », attaque le remboursement des frais d’avortement par la Sécurité Sociale du point de vue du droit naturel, en citant explicitement le sixième commandement: Tu ne commettras pas de meurtre. Dans un numéro plus récent de ce même journal, Jean Madiran écrit: « Au regard des valeurs absolues, tous les partis sont à gauche, plus ou moins. – A gauche de qui ou de quoi ? – A gauche du droit naturel (et chrétien)… Fondamentalement, les partis se distinguent les uns des autres en ce qu’ils grandissent plus ou moins, ou tout à fait, le droit naturel (et chrétien): c’est-à-dire le Décalogue intégral » (29). Et il ajoutait quelques semaines plus tard: « On nous parle des droits de l’homme comme si les hommes étaient nés enfants trouvés et destinés à mourir célibataires. On passe toujours sous silence le premier droit des peuples, condition des autres droits: le droit d’être gouverné selon la loi naturelle et en vue du bien commun naturel. Ce premier droit est l’indispensable condition politique de la juste définition et du sage exercice de tous les autres droits » (30).

Comme la création appartient à Dieu, la loi de cette création ne peut pas ne pas être la loi de Dieu. C’est pour cela que la création sera libérée de la servitude de la corruption pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu, de ceux donc qui ont la foi et l’obéissance (Rom 8.21). La révélation générale, quoique ayant besoin des précisions et des corrections qu’a apportées la Bible, révélation spéciale de Dieu, ne s’oppose jamais à la Parole écrite de Dieu. Ainsi Burke, partant du point de vue d’un droit naturel radicalement opposé au naturalisme du siècle des lumières, est parvenu à des conclusions que nous chrétiens tirons directement de la Bible. La raison n’est pas en elle-même notre ennemi. Thomas d’Aquin lui-même distinguait la droite raison d’une raison corrompue. Notre raison est faussée par le péché et a une tendance à l’erreur. En conséquence, elle n’est pas finalement digne de confiance, mais il ne faut cependant pas en conclure que cette faculté, que Dieu nous a donnée et dont la finalité légitime est de connaître la vérité, soit en elle-même mauvaise. Le péché dérègle notre usage de la raison et notre chair refuse volontairement le témoignage de notre raison, mais le péché n’abolit ni ne détruit cette faculté créée par Dieu. Ainsi la foi ne s’oppose pas à la raison, mais la fonde, l’éclaire et la rectifie.

Il me semble que le débat engagé sur cette question du consensus chrétien avec nos frères évangéliques américains n’est pas d’abord de nature historique. Il s’agirait bien plutôt d’un désaccord fondamental de nature théologique. La question n’est pas: « Y avait-il un consensus chrétien dans les colonies américaines à l’époque de la guerre d’ Indépendance ? » mais plutôt: « Y a-t-il jamais eu, peut-il jamais y avoir dans ce monde méchant et déchu, un consensus chrétien dans une nation ? » Nous verrons sans doute ces mêmes évangéliques s’opposer à l’idée qu’une nation chrétienne soit possible, c’est-à-dire qu’une nation puisse être influencée par la loi chrétienne jusque dans ses structures juridiques et politiques. La notion de chrétienté leur est totalement réfractaire. Pour eux, ce qu’ils appellent « l’Eglise constantinienne » est sans doute la pire des corruptions du christianisme. Cette perspective historique et théologique est évidemment accompagnée d’une notion foncièrement individualiste tant du salut que de la vie en société, et d’une méconnaissance complète de l’idée biblique, si importante, d’alliance divine. Le Dieu de ces chrétiens ne semble pas être le Seigneur des seigneurs, le Maître souverain des nations ou le Créateur et le Sustentateur de l’univers. Ainsi est éliminée à priori toute possibilité même d’une vision économique, politique, juridique ou sociologique fondée sur la loi de Dieu. Mais quoi que puissent dire ou faire les hommes, Dieu demeure le Seigneur souverain de toutes ses créatures.

Il se pourrait que votre étude contienne quelques imprécisions historiques. Peut-être que Witherspoon avait certaines tendances rationalistes ou plutôt inclinait vers une pensée de droit naturel comme celle de Burke. Je n’en sais rien. Quelques corrections de détail sont peut-être nécessaires pour une édition ultérieure. Mais d’une chose je suis sûr. De telles erreurs de détails éventuelles ne sont aucunement la cause véritable des objections parfois acerbes de nos frères évangéliques. Ce sont des prétextes qui servent a justifier un refus beaucoup plus profond de l’idée même d’un Dieu souverain de toute la création et en particulier d’un Dieu providence de toutes les nations. En réalité, ces nations, comme la création tout entière, appartiennent à Dieu qui, lui, est capable dans sa grâce et au travers de la fidélité du peuple de l’alliance, de les rendre bien plus conformes à sa Parole que nous ne pouvons me-me l’imaginer. Je dois confesser que pendant un certain nombre d’années j’ai moi-même rejeté certains de vos arguments philosophiques les plus essentiels et les plus justes sous le prétexte qu’on y trouvait des incohérences. Mais la raison véritable de mon refus se trouvait dans un désir d’échapper aux implications de votre réfutation fondamentale de l’idéalisme philosophique. Dieu soit loué qu’aujourd’hui je suis parvenu à des positions plus sensées et je dois vous remercier pour la sûreté biblique, et la précision et l’équilibre de vos positions dans les domaines de la philosophie, la science, le droit et la politique. Je ne comprends que trop bien la violence des réactions que vos écrits peuvent susciter dans des cercles chrétiens, ayant moi-même éprouvé des sentiments agressifs semblables à l’égard des positions si fidèles à la Bible que vous avancez. Je ne peux que louer le Seigneur de ce qu’il vous a donné la force, le courage et la sagesse d’avancer dans ces terrains difficiles, où il fallait affronter des disciplines qui n’étaient pas les vôtres professionnellement et où il est impossible pour l’amateur chrétien de parvenir à une compétence véritablement académique. Dieu emploie en effet les choses faibles et folles de ce monde pour confondre les sages et les puissants.

Que le Seigneur vous donne de le glorifier encore davantage à mesure qu’il vous accorde force et sagesse dans la nouvelle année: c’est ce que Rosemarie et moi vous souhaitons.

Avec mes salutations les plus cordiales en Christ,
Jean-Marc Berthoud

1 Pierre Berthoud, ancien collaborateur de Francis Schaeffer à l’Abri: professeur d’Ancien Testament à la Faculté Libre de Théologie Réformée d’Aix-en-Provence dont il est actuellement le doyen.

2 Larry Snyder, collaborateur de l’Abri.

3 Francis Schaeffer: « A Christian Manifesto », Crossway Books, Westchester, 1982.

4 Robert Dabney (1820 – 1898), théologien calviniste du sud des Etats-Unis, auteur de nombreux ouvrages descendant d’Agrippa d’Aubigné.

5 J.H. Thornwell (1812 – 1862), théologien réformé du sud des Etats-unis.

6 Frederic Nymeyer, économiste et apologiste calviniste contemporain.

7 Politicien et philosophe américain du XlXe siècle.

8 R.J. Rushdoony, théologien et philosophe réformé américain contemporain.

9 Pasteur réformé de la fin du xvIIIe siècle.

10 M. villey: « La formation de la pensée juridique moderne », Montchrestien, Paris, 1975, p. 718.

11 Aristote, philosophe grec du Ve siècle av. j-c.

12 Thomas d’Aquin (1225 – 1274), théologien et philosophe du Xllle siècle.

13 Nominalisme: système de pensée où les mots ne se rapportent pas ~ l’essence des choses mais seulement au sens que nous voulons leur donner.

14 Marsile de Padoue, théoricien politique du XIVe siècle.

16 Martin Luther (1483 -1546).

17 Martin Bucer (1491 – 1551), célèbre réformateur strasbourgeois.

18 Jean calvin (1509 – 1564).

19 Pierre viret(1511-1571), réformateur du pays de Vaud, ami et collègue de calvin

20 Jonathan Edwards (1703 – 1758>, théologien et évangéliste réformé américain.

21 George Whitefield (1714 – 1770), prédicateur et évangéliste réformé anglais qui exerça une partie importante de son ministère dans les colonies américaines.

22 L’idéalisme kantien coupe tout rapport entre la pensée des hommes et l’essence des choses, qui pour lui est inaccessible. Ainsi la « justice » est un impératif catégorique de l’homme seul la justice véritable, celle de Dieu, est totalement inaccessible a l’homme.

23 Benjamin Franklin (1706 – 1790). politicien et homme d’état américain.

24 Thomas Jefferson (1743 – 1826), un des fondateurs des Etats-Unis et l’un de ses premiers présidents.

25 Edmund Burke (1729 – 1797), politicien et écrivain britanique.

26 Augustin cochin (1876 – 1916): « Les sociétés de pensée et la démocratie moderne », copernic, Paris, 1978.

27 Marquis de La Fayette (1757 – 1834), soldat et homme politique français.

28 L. Bagi: « La garantie constitutionnelle de la propriété ». Nouvelle bibliothèque de droit et de jurisprudence (Lausanne), 1956, p. il

29 Présent No. 683 (5.10.1984).

30 Présent No. 704 (5.6.12.1984).


Le mot « théologie » vient du grec ancien et se compose de « Théos » qui signifie « Dieu », et de « logos » – « discours »,. qui se traduit ici plutôt par « connaissance ». Etymologiquement, théologie veut donc dire : connaissance ou science de Dieu.

Comment peut-on connaître Dieu ?

A. Une première source de connaissance est la création, laquelle témoigne d’un Créateur tout-puissant et merveilleusement intelligent, ainsi que l’exprimait le psalmiste: « Les cieux racontent la gloire de Dieu, et l’étendue manifeste l’oeuvre de ses mains »(Ps. 19: 2).

Dans le Nouveau Testament, l’apôtre Paul écrit: « Ce qu’on peut connaître de Dieu est manifeste, Dieu le leur ayant fait connaître. En effet, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’oeil nu, depuis la création du monde, quand on le considère dans ses ouvrages » (Ro. 1 : 19-20).

B. Une deuxième source de connaissance est la conscience, qui, elle, parle d’un Dieu juste et saint. « Les païens qui n’ont point de loi… montrent que l’oeuvre de la loi est écrite dans leur coeur, leur conscience en rendant témoignage, et leurs pensées s’accusant ou se défendant tour à tour » (Ro. 2: 14-15). Il est en outre rappelé que « Dieu a mis dans le coeur de l’homme la pensée de l’éternité » (Eccl. 3: 11).

C. Ces deux sources ont toutefois été atteintes par les conséquences de la chute de l’homme dans le péché, et dès lors « la création a été soumise à la vanité » (Ro. 8 : 20). La conscience souillée n’est pas un guide sûr, car « Il n’y a point de juste, pas même un seul… tous sont égarés, tous sont pervertis » (Ro. 3: 10-11).

D. Dieu s’est alors révélé à l’homme par la Bible inspirée de Lui, selon qu’il est écrit: « Toute Ecriture est inspirée de Dieu, et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour instruire dans la justice, afin que l’homme de Dieu soit accompli et propre à toute bonne oeuvre » (2 Tim. 3: 16-17).

La bonne théologie est donc celle qui a pour règle absolue la Bible, et celle-ci s’interprète par elle-même, sous l’action du Saint-Esprit, agissant dans le coeur et l’esprit du croyant.

Situation actuelle

Notice de la rédaction. -Il est à remarquer que notre frère en Christ. M. Beauverd, ne donne dans ce deuxième chapitre de son étude, que quelques exemples. Ils ont été choisis entre beaucoup. Ce n’est là qu’un coup d’oeil restreint de la situation générale dans nos pays dits christianisés. A nous de prendre garde.

Nous vivons dans un temps où, hélas, le plus souvent, les théologies humaines ont pris le pas sur la théologie biblique. On a vu apparaître les « théologies de la mort de Dieu », puis, plus récemment encore, les « théologies de la violence », distinguant entre ce qu’on a appelé la « bonne violence », révolutionnaire et marxiste, et les « mauvaises violences », c’est-à-dire toutes celles qui ne vont pas dans le sens de l’histoire comme le conçoit le communisme !

Sous prétexte d’ouverture au monde, on a élaboré des « théologies de la révolution », oubliant que « la sagesse de ce monde est folie au- près de Dieu » (I Cor. 3: 12).

La théologie biblique insiste sur le fait que « Dieu est au ciel et l’homme sur la terre » (Eccl. 5 : 1 ). Certains « théologiens », de trahison en trahison, ont fini, à la suite de Feuerbach, par considérer que ce n’est pas Dieu qui a créé l’homme à son image, mais plutôt l’homme qui aurait créé Dieu à la sienne, et que, finalement, l’homme serait Dieu !

Sans aller aussi loin, et comme le relève Jean Brun dans son excellent livre « A la recherche du paradis perdu », le plus souvent, dans les églises officielles, il n’est plus de bavardage répétant qu’il faut agir, ou d’idée aberrante, qui ne soient aussitôt consacrés par la formule rituelle: « A travers les outrances d’une telle attitude, des questions nous sont posées et chacun doit « se sentir concerné ». Il suffit qu’une chose existe pour qu’elle soit aussitôt tenue pour « valable » et pour « faisant problème ». On gobe ainsi n’importe quoi avec la préoccupation anxieuse de ne pas laisser invendu le dernier produit offert sur la place! …Le christianisme (ou plutôt une certaine chrétienté) met aujourd’hui un point d’honneur à aller chercher ses aliments dans ce qui lui est essentiellement étranger ».

Comme le disait déjà Kierkegaard: « Tout ce qu’autrefois on regardait avec horreur comme des manifestations d’une rébellion impie devient aujourd’hui la marque d’une nature profonde et géniale » !

La plupart des théologiens, consciemment ou non, lisent les Saintes Ecritures à la lumière de présupposés philosophiques qui sont totalement étrangers à la Révélation. St-Augustin s’écriait autrefois: « Qui veut donner le sens de l’Ecriture et ne le prend point de l’Ecriture, est ennemi de l’Ecriture ».

On parle, à tort (surtout !) et à travers (souvent !) de « démythologiser » la Bible, dans la plupart des facultés de théologie. En fait, comme l’écrit encore excellemment Jean Brun: « La véritable démythologisation dont la théologie devrait assurer la direction, est celle qui consisterait à faire prendre conscience aux hommes que les trois grands mythes du 20e siècle sont l’histoire, la science et la politique. Leur faire prendre connaissance de cela serait leur donner vraiment un sens critique ».

A l’heure actuelle, la plupart des théologiens préfèrent rechercher les « conduites suicidaires, nourrir le plus grand nombre possible de chevaux de Troie et devenir les courtisans de tous les philosophes…  »

Sous certaines latitudes, on parle d’une « théologie de l’authenticité », cachant mal un désir de retour au paganisme. D’autres fois, et sous prétexte de lutter contre le matérialisme, on déclare que le moment serait venu d’unifier les religions monothéistes, ce qui ne pourrait aboutir qu’au syncrétisme et à l’antichrist.

Ce sont ces diverses et contradictoires théologies humaines qui vident les églises et qui sont coupables de la déchristianisation croissante de l’Europe. L’écrivain et historien français Pierre Chaunu, professeur à la Sorbonne, écrit au sujet des grandes églises historiques, dans son remarquable livre « La Mémoire et le Sacré » : « La crise la plus importante de ce temps est la crise des églises… Elles ont perdu en 15 ans (en Occident) la moitié de leur audience… Les grandes églises officielles ont perdu, ce qui est infiniment plus grave, les neuf-dixièmes du contenu du message traditionnel… L’affaiblissement et la perversion du discours des églises chrétiennes est l’élément clé de la crise de notre civilisation ».

Que faire dans cette situation ? Comment réagir ?

Il n’y a pas d’autres remèdes que ceux préconisés par la Parole de Dieu. Pour le croyant individuel et engagé dans le combat de la foi et pour la foi, il y a l’exhortation de l’apôtre Paul en 2 Tim. 4: 2-4: « Prêche la Parole, insiste en toute occasion, favorable ou non, reprends, censure, exhorte, avec toute douceur et en instruisant. Car il viendra un temps où les hommes ne supporteront pas la saine doctrine; mais ayant la démangeaison d’entendre des choses agréables, ils se donneront une foule de docteurs selon leurs propres désirs, détourneront l’oreille de la vérité, et se tourneront vers les fables».
Pour l’Eglise chrétienne dans son ensemble, que faire ?
Il n’ya pas d’autre chemin que celui de l’humiliation, de la repentance et du retour à « la parole et au témoignage » et à la fidélité aux « sentiers anciens »
, ainsi qu’il est écrit dans Esaïe 30: 21 : « Tes oreilles entendront derrière toi la voix qui dira… voici le chemin, marchez-y ».

La promesse et l’appel divins retentissent: « Si mon peuple sur qui est invoqué mon nom s’humilie, prie, et cherche ma face, et s’il se détourne de ses mauvaises voies, – je l’exaucerai des cieux, je lui pardonnerai son péché, et je guérirai son pays » (2 Chron. 7 : 14).



* * *


Le 14 mai 1948, conformément à de nombreux textes prophétiques de la Bible, l’Etat d’Israël était proclamé et reconstitué.

Le 7 juin 1967, Jérusalem, capitale historique du pays, retombait sous la juridiction juive. La parole de Jésus, en Luc 21 : 24, se réalisait alors. « Ils (les Juifs) tomberont sous le tranchant de l’épée, ils seront emmenés captifs parmi toutes les nations (ceci s’est produit en l’an 70 de notre ère, pendant et après la prise de la ville par l’armée du prince romain Titus, fils de l’empereur Vespasien) et Jérusalem sera foulée aux pieds par les nations, jusqu’à ce que les temps des nations soient accomplis ». Ce texte implique clairement que le temps des nations touchera à son terme dans la période où cette cité cessera d’être « foulée aux pieds par les nations.

Ces prophéties sont devenues Histoire dans notre génération et se sont réalisées littéralement. Devrait-il en aller autrement pour celles qui sont encore futures ? Nous ne le pensons pas.

Une grande promesse est alors faite par Jésus à ceux qui vivront ces événements: « Quand vous verrez ces choses arriver, sachez que le royaume de Dieu est proche » (Luc 21 : 31).

Ce qui est relatif à Israël étant généralement bien connu et ayant été souvent développé dans ce journal, nous nous arrêterons plus longuement sur une autre prophétie en vole de réalisation et faite par Jésus, relativement à l’état du monde, juste avant son retour.

« Ce qui arriva du temps de Noé arrivera de même à l’avènement du Fils de l’homme » (Mat. 24 : 37). Quelles furent donc les caractéristiques du temps de Noé ? Nous en trouvons au moins quatre en Genèse 6: 1-13.

L’expansion démographique

1) « Lorsque les hommes eurent commencé à se multiplier sur la face de la terre ». Aujourd’hui, celle-ci est si rapide qu’en moyenne chaque seconde voit la naissance de trois bébés, soit 180 à la minute dans le monde! Par année, et compte tenu des gens qui meurent, ce sont actuellement 80 millions de nouvelles bouches à nourrir qui débarquent ainsi sur notre globe !

2) L’explosion d’une sexualité en dehors de la volonté de Dieu. « Les fils de Dieu virent que les filles des hommes étaient belles et ils en prirent pour femmes parmi toutes celles qu’ils choisirent ». On sait que les villes d’Amsterdam, Bruxelles et Paris comptent davantage de prostituées qu’il n’y a au total de missionnaires évangéliques sur la terre entière! La pornographie se répand comme une lèpre impure sur le monde, notamment par les films, les journaux et de plus en plus souvent par la télévision. Toujours plus fréquemment, le vice n’est plus condamné, mais excusé, blanchi, quand il n’est pas recommandé par des éducateurs pervertis !

3) Une civilisation matérialiste et brillante. « Ce sont ces héros qui furent fameux dans l’antiquité ». Nous vivons dans une civilisation qui se détourne de plus en plus du vrai Dieu et manifeste une ingratitude croissante à son égard. Un agriculteur chrétien accueillait un jour chez lui des citadins. Au début du repas, il pria et remercia Dieu pour la nourriture. Ses invités marquant leur étonnement, il leur déclara: « Voyez-vous, chez nous, seuls les cochons et les vaches ne remercient pas quand on leur donne quelque chose! ».

Les connaissances humaines doublent tous les dix ans et l’on estime qu’il y a dans notre génération davantage de savants vivants qu’il yen a eu au total, depuis que le monde existe, dans toutes les générations qui nous ont précédés. Cela est, par ailleurs, l’accomplissement de la prophétie de Daniel, au chapitre 12, verset 4, qui dit: « Au temps de la fin, la connaissance augmentera ».

4) Explosion de violence. « La terre était pleine de violence ». Les statistiques les plus récentes prouvent que la criminalité augmente de façon incroyable un peu partout. Les « mass-media » véhiculent constamment des nouvelles et images pleines de violence, et la peur croît.

Des guerres, révolutions et désordres de toutes sortes font couler le sang de multitudes de gens sur le globe.

Assurément, Israël et l’état du monde indiquent qu’il est minuit moins une à l’horloge prophétique. Cher lecteur, êtes-vous prêt pour le retour prochain de Jésus-Christ ? Lorsque le Maître reviendra, vous trouvera-t-il « veillant et priant », oeuvrant pour Lui, vivant dans sa communion chaque jour et marchant dans l’obéissance à Sa Parole ?

Si le Saint-Esprit nous montre quelque chose qui n’est pas à la gloire du Seigneur dans nos vies, confessons-le à Dieu sachant » que si nous confessons nos péchés. il est fidèle et juste pour nous les pardonner », car « le sang de Jésus nous purifie de tout péché », afin qu’à Son retour. Jésus puisse nous dire: « C’est bien, bon et fidèle serviteur… entre dans la joie de ton maître ».

* * *


Sa simplicité – Sa force – Son exemple

Plusieurs chrétiens se sentent aujourd’hui un peu nostalgiques quand ils lisent le Nouveau Testament. Les choses semblaient alors tellement simples. Que voyons-nous aujourd’hui ? De grandes et puissantes organisations religieuses qui se mêlent de réformes politiques et sociales. La simplicité et la spiritualité de l’église primitive ont-elles disparu pour toujours ?

Au cours des âges, il y a eu des groupes de croyants qui se sont détournés du courant principal de la chrétienté et ont décidé de prendre les Saintes Ecritures comme seul guide. Ils ont été en grande partie ignorés par le christianisme institutionnalisé, mais ils ont connu une vraie bénédiction spirituelle et la grande joie de plaire à leur Seigneur en agissant ainsi.

L’attraction vers une personne

Les premiers disciples étaient unis, non parce qu’ils étaient membres d’une organisation, mais par leur amour pour la même personne. Ils avaient entendu l’appel du Seigneur et ils étaient devenus ses disciples (Mt. 4 : 18-29). Leur vie entière était centrée sur lui; ils apprenaient de Lui, ils Lui obéissaient, ils L’aimaient. Cette relation qu’ils avaient avec Lui était une relation personnelle. Elle se manifestait par une loyauté qu’on oserait presque qualifier de fanatique. Pierre exprimait le sentiment de tous les autres disciples lorsqu’il a dit: « Quand il me faudrait mourir avec toi, je ne te renierai pas » (Mt. 26 : 35).

Après l’ascension de Jésus-Christ, les nouveaux disciples ont été abreuvés du même esprit. Ils prêchaient au nom de Jésus-Christ (Ac. 4: 12, 18); ils baptisaient en son nom (Ac. 10: 48); ils s’assemblaient en son nom (Mt. 18: 20); ils faisaient des miracles en son nom (Ac.3 : 6); ils défiaient l’opposition en son nom (Ac. 4: 18-20); ils souffraient joyeusement pour son nom (Ac. 5: 41). Est-il surprenant que le monde ait commencé à les appeler « chrétiens » ? (Ac. 11 : 26).

Les croyants qui saisissent aujourd’hui cet esprit délaissent toute étiquette ecclésiastique et se réjouissent de porter le nom de Christ devant le monde. Ils ne désirent employer, que les termes que l’on trouve dans la Bible pour désigner les chrétiens, tels que croyants, frères, saints. Pour eux, l’Ecriture est encore valable: « Et quoi que vous fassiez, en parole ou en oeuvre, faites tout au nom du Seigneur Jésus…» (Col. 3: 17).

Soumission à la Parole

Pour les croyants des premiers temps, la seule autorité était la Parole de Dieu. L’Ancien Testament existait déjà et le Nouveau Testament, qui était en train d’être rédigé, furent reconnus comme ayant la même autorité (II Pi. 3: 15-16). Les apôtres insistaient sur l’enseignement des nouveaux convertis (Ac. 2 : 42). Leur Seigneur ne leur avait-il pas commandé de leur enseigner « à observer tout ce que je vous ai prescrit » (Mt. 28 : 20). Les vies vécues autrefois indépendamment de Dieu devaient maintenant être modelées selon l’enseignement de la Parole (Ro. 6: 17).

L’enseignement était l’activité la plus importante lors des réunions de l’église primitive (Ac. 2 : 42). La Parole devait éclairer chaque aspect de la vie. Ceux qui avaient vécu dans les ténèbres devaient maintenant marcher dans la lumière (1 Jn 1 : 6, 7). II n’y avait pas de recours à une autorité supérieure. « Si quelqu’un croit être prophète ou inspiré, qu’il reconnaisse que ce que je vous écris est un commandement du Seigneur » (I Co. 14 : 37). Ceux qui veulent aujourd’hui suivre le modèle de l’église primitive doivent insister de nouveau sur l’autorité absolue et inchangée de la Parole de Dieu pour tout ce qui concerne la foi et la conduite. Si Dieu n’avait pas parlé, l’homme n’aurait jamais vraiment pu connaître la vérité spirituelle.

Direction par les anciens

Les églises primitives étaient comme des familles. Les familles du peuple de Dieu. Certaines étaient jeunes dans la foi et d’autres avaient davantage de maturité dans la connaissance du Seigneur et de sa Parole (I Jn 2 : 13, 14). Dans chaque famille, il doit y avoir une direction et c’est la même chose pour l’église locale. Après qu’une église avait été formée et qu’elle se fût réunie pendant un certain temps, les premiers missionnaires revenaient et désignaient ceux qui étaient qualifiés pour diriger l’assemblée (Ac. 14 : 21-23). Plus tard, les qualifications requises pour une telle direction spirituelle ont été données en détail par écrit pour les générations futures (Tit. 1 : 5-9 ; 1 Ti. 3 : 1-7). Pour être un dirigeant, il faut avoir une bonne connaissance de la Bible, être moralement au-dessus de tout reproche et savoir diriger sa maison.

Ces dirigeants étaient appelés anciens ou évêques (c’est-à-dire surveillants) et ils étaient les pasteurs du troupeau. Ils avaient une lourde responsabilité. Un jour, ils devront rendre compte du travail qui leur était confié (Hé. 13: 17). Dans chaque église locale, cette responsabilité reposait sur un groupe d’hommes; il n’y avait jamais un seul ancien ou un seul pasteur. « Le salut est dans le grand nombre de conseillers » (Pr. 11 : 14). Les premiers missionnaires confiaient chaque église à la charge de tels anciens. A ce moment, il n’y avait pas d’autorité plus élevée, ni fédération d’églises, ni évêque en charge d’un diocèse ou de surintendant au-dessus d’une région. C’était merveilleusement simple. La direction était laissée entre les mains d’hommes spirituels de l’endroit, qui étaient le plus en mesure de prendre les décisions concernant l’oeuvre qui avait été confiée à leurs soins.

Liberté pour le Saint-Esprit

Chaque église locale était donc confiée aux soins d’un groupe d’anciens qui avaient les Ecritures comme guide (Ac. 20 : 32). Les apôtres avaient une très grande confiance en la suffisance de la Parole de Dieu pour la direction et la croissance spirituelle des croyants (II Ti. 3: 16, 17). En plus de les laisser avec un livre, ils les laissaient avec la certitude que le Saint-Esprit continuerait à travailler dans leur coeur et dans leur vie. « Je suis persuadé que celui qui a commencé en vous cette bonne oeuvre la rendra parfaite (complète) pour le jour de Jésus-Christ » (Ph. 1 : 6).

Le Seigneur lui-même leur avait promis, avec la venue du Saint-Esprit, une puissance pour témoigner (Ac. 1 : B). Ils avaient connu d’une manière merveilleuse cette puissance qui les avait rendus capables de parler avec assurance pour Jésus-Christ, malgré l’opposition (Ac. 4: 19, 20). C’est ainsi que l’évangile s’est répandu à travers l’empire romain comme une traînée de poudre allumée par l’Esprit de Dieu. Quand les apôtres laissèrent de petits groupes de chrétiens derrière eux, ils l’ont fait avec l’assurance que le Saint-Esprit, qui les avait conduits à Christ, continuerait de les diriger et de les fortifier. I1s croyaient que le Saint-Esprit leur donnerait les dons spirituels nécessaires à la croissance des chrétiens (Ep.4 : 11; 1 Co. 12 : 4-7). On enseignait à chaque chrétien qu’il était utile et qu’il avait une fonction à accomplir dans l’église locale (I Co. 12: 12). Chacun réalisait qu’il était désormais le temple du Saint-Esprit (I Co. 6 : 19) et que la vie de Dieu devait s’exprimer en lui.

Ces églises primitives encourageaient le développement des dons de chaque personne. Il n’y avait pas de division entre un clergé et les laïcs et la prédication n’était pas réservée à une classe privilégiée. La plupart des réunions étaient sans cérémonie et p1usieurs y prenaient part. Tous les hommes avaient la liberté de prier publiquement (I Ti. 2 : B). (Dans les réunions mixtes de l’église, c’est les hommes qui prenaient la parole, (1 Co. 14: 34). Différents frères pouvaient proposer un cantique, donner un enseignement ou une exhortation. De cette façon, des dons variés commençaient à se développer et à se faire connaître au groupe (I Co. 14 : 26). Avec le temps, certains étaient reconnus comme prophètes ou enseignants. Toutefois il y avait toujours moyen pour une nouvelle voix de se faire entendre et pour un nouveau don de se manifester (I Co. 14: 31). Il n’est pas surprenant que Paul compare l’église à un corps dans lequel chaque membre a une fonction à remplir (Eph. 4: 11-16).

Le repas du Seigneur

Dans Ac. 2 : 42 nous voyons les différentes activités qui avaient lieu lors des réunions des églises primitives: « Ils persévéraient dans l’enseignement des apôtres, dans la communion fraternelle, dans la fraction du pain et dans les prières ». L’enseignement, la communion fraternelle, la fraction du pain (le repas du Seigneur) et la prière, voilà ce qui constituait leurs réunions. Le commandement du Seigneur: « Faites ceci en mémoire de moi » était encore très frais à leur mémoire. Au début dans leur amour et leur ferveur, ils se rappelaient peut-être chaque jour du Seigneur (Ac. 2 : 46). Plus tard, les églises ont pris l’habitude de prendre le repas du Seigneur chaque dimanche (Ac. 20 : 7).

C’était le moment le plus important de leurs réunions, un moment d’adoration intense, alors que plusieurs frères conduisaient l’assemblée dans la prière et que l’on partageait le pain et la coupe. Les coeurs étaient attendris dans la présence de Dieu en se souvenant de l’agonie du Sauveur sur la croix. Le pain et la coupe n’étaient que des symboles pour rafraîchir la mémoire: le pain, le corps meurtri du Seigneur Jésus; la coupe, son sang répandu. Les églises primitives attisaient souvent leur amour pour le Seigneur en se souvenant de Lui de cette manière. Les chrétiens d’aujourd’hui ont terriblement besoin d’un attachement semblable à Jésus-Christ (I Co. 11 : 23-26).

Le retour du Seigneur

Quand les chrétiens quittaient la table du Seigneur, les larmes aux yeux, c’était pour affronter un monde hostile. Leur coeur était plein d’amour les uns envers les autres (Ac. 2 : 44, 45). Ils se souciaient grandement de ceux qui n’avaient pas encore reçu Jésus-Christ, car ils savaient que sans Lui les hommes sont condamnée (Ac. 4: 12). Ils évangélisaient partout, parlant aux hommes de leur merveilleux Sauveur. Ils étaient connus comme des hommes qui attendaient… qui attendaient le retour du Seigneur Jésus-Christ.

Aucun groupe ne peut se dire vraiment chrétien s’il n’est pas marqué par une foi profonde dans le retour de Jésus-Christ. « Vous vous êtes convertis à Dieu, en abandonnant les idoles pour servir le Dieu vivant et vrai et pour attendre des cieux son Fils…» (I Th. 1 : 9, 10). Chaque église se considérait comme une colonie de pèlerins en route vers le ciel, attendant avec persévérance le retour de son Roi (Ph. 3 : 20). Alors, et seulement alors, tous leurs espoirs seraient réalisés. C’était la « bienheureuse espérance » qui remplissait leur coeur et les faisait chanter. La dernière prière de la Bible est prononcée avec cet ardent soupir: « Amen! Viens, Seigneur Jésus! » (Ap. 22 : 20).

Simplicité, spiritualité, puissance… on a la nostalgie des premiers temps de l’église. Et pourtant, Dieu est toujours le même et, au cours des âges, de petits groupes de chrétiens sont revenus à la simplicité de l’église primitive et y ont trouvé la bénédiction de Dieu. « Si vous savez ces choses, vous êtes heureux, pourvu que vous les pratiquiez » (Jn 13: 17).
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« Vous anéantissez la Parole de Dieu par la tradition » [Marc 7: 13)

Tout groupement humain, communauté ou nation, a établi au cours de son existence, des règles de vie sociale, civile ou politique. Ainsi se sont établies des coutumes et tout spécialement des traditions religieuses ou empreintes de religion.

Malgré une position de départ unique en son genre, le peuple juif n’a pas échappé à cette évolution. La Loi divine, reçue par l’intermédiaire de Moïse, a été complétée par une masse importante de traditions.

En général, on désigne les cinq premiers livres de la Bible, soit le Pentateuque, comme étant la Loi du Dieu éternel et créateur. Ces livres ont ainsi formé la constitution de l’Etat théocratique (dont Dieu exerce l’autorité) d’Israël.

Cette loi était essentiellement spirituelle et morale. Elle réglait la vie de l’homme face à Dieu et face au prochain. Elle comprenait aussi certaines règles à observer, face aux nations voisines. Du haut des cieux, Dieu dirigeait, Dieu protégeait.

Les traditions

dont nous parlons ci-dessus sont des règles, des adjonctions humaines. On constate souvent que les traditions sont faciles à suivre, plus faciles que l’obéissance à des lois morales ou spirituelles. Un ensemble de traditions modulait la vie du peuple d’Israël. Les chefs du peuple, les anciens, les scribes, surveillaient attentivement toute la population et élevaient la voix à toute faute, à toute infraction aux coutumes admises, aux traditions.

Or, l’Ancien Testament était fort précis à ce sujet. Deut. 4: 2 dit ceci: « Vous n’ajouterez rien à ce que je vous prescris, et vous n’en retrancherez rien, mais vous observerez les commandements de l’Eternel, votre Dieu, tels que je vous les prescris ». La même recommandation se retrouve au ch. 12: 32 : « Vous aurez soin de faire tout ce que je vous commande ; vous n’y ajouterez rien, et vous n’en retrancherez rien ». La même pensée est encore présente au dernier chapitre de l’Apoc. 22 : 18-19 : « Je le déclare à quiconque entend les paroles de la prophétie de ce livre: si quelqu’un y ajoute quelque chose, Dieu fera venir sur lui les fléaux décrits dans ce livre. Si quelqu’un retranche quelque chose des paroles du livre de cette prophétie, Dieu lui ôtera sa part de l’arbre de vie et de la cité sainte décrits dans ce livre ».

Au temps de Jésus-Christ,

le peuple juif était fortement attaché à la religion de ses pères. Politiquement, ils étaient sous la domination d’une nation étrangère, Rome. Or, pour cultiver leur cohésion, leur culture propre, pour garder leur entité nationale, la majorité des Juifs se pressaient autour du temple. Ils mettaient en pratique leur religion, adorant le vrai Dieu et gardant jalousement leurs traditions. L’apôtre Paul leur rend ce témoignage tt qu’ils avaient du zèle pour Dieu » (Rom. 10: 2). Mais, ajoute-t-il, « ignorants qu’ils sont de la justice de Dieu, c’est leur propre justice qu’ils cherchent à établir » (v. 3).

Au moment opportun,

le Fils de Dieu, venu pour habiter parmi les hommes et continuer l’oeuvre divine, a confirmé la loi transmise par Moïse. « Ne pensez pas que je sois venu pour abolir la Loi ou les Prophètes ». « Je ne suis pas venu pour abolir, mais pour accomplir » (Mat. 5: 17). Il a voulu, il a tenu à se dégager de toute la tradition humaine. « Ne vous laissez pas séduire par la philosophie et par ses vaines subtilités, inspirées des traditions humaines et des principes du monde, et non des enseignements du Christ » (Col. 2 : 8). II s’est trouvé en opposition avec l’église établie tout au long de son ministère. Pourquoi ? parce qu’elle voulait lui imposer ses règles, ses traditions. La rupture s’est située à ce point. En voici quelques exemples :

Lévi

En Marc 2: 15-22, nous assistons à l’appel de Lévi (Matthieu) par le Seigneur. Tout joyeux, Lévi invite Jésus avec ses disciples et tous ses amis, tant péagers que « pécheurs » (pour reprendre le terme de la Parole). Le scandale, pour les scribes et les pharisiens, consistait dans le fait que Jésus acceptait sans réserve, mais au contraire avec joie, de partager le repas avec tout ce monde! Un monde de gens au ban (à l’écart) de la société: des réprouvés, des repoussés, des gens dont on se détourne… Dont la synagogue ne voulait plus !

Jésus révèle la différence qu’il y a entre leur conception et son message. Ce dernier apporte la nouvelle de la rédemption, du paiement de la dette due par l’homme à Dieu. Il apporte le pardon aux pauvres, aux ignorants, aux délaissés. Il apporte un regard d’amour vers l’homme perdu, parce que condamné. Jésus maintient et confirme la valeur et la pérennité de la loi divine donnée par Moïse, tout en proclamant sa liberté d’annoncer le salut éternel au pécheur, mais en protestant contre les « fardeaux pesants » dont les chefs religieux « chargent les épaules des hommes » (Mat. 23 : 4) .

Epis arrachés

Au même chapitre 2 de Marc, il nous est dit que les disciples ayant eu faim, avaient arraché quelques épis un jour de sabbat. Ce fait, admis dans le cours de la semaine, était interdit (tradition) le jour du sabbat: car il était considéré comme travail de moisson. Scandale pour les Juifs. Jésus leur répond et leur cite un exemple de l’Ancien Testament – le repos du sabbat n’a pas été donné pour imposer des règles religieuses, mais pour le bien spirituel et physique du peuple.

Les mains propres


En Marc 7 : 1-8, nous trouvons un nouveau groupe de pharisiens qui, avec des scribes, surveillent les gestes de chacun. Ils remarquent ainsi qu’une partie des disciples omettent de se laver les mains avant le repas. Scandale: ils n’observent pas la tradition des anciens !

Jésus leur fait remarquer qu’il est peu de chose d’observer un rite, une coutume si bonne soit-elle. C’est dans une tout autre catégorie qu’il faut chercher ce que Dieu aime: des coeurs qui L’honorent en vérité! Qu’est-ce qu’un geste: se mettre à genoux, faire un signe de croix, ne pas faire d’oeuvre le jour du sabbat ou du dimanche, réciter des Pater ou des Ave en comptant un chapelet, purifier extérieurement « la coupe », le corps, si le coeur n’y est pas ? On peut parfaitement apprendre tout cela, sans être sauvé par le sang de Christ! On peut avoir l’apparence et non la réalité. Dieu disait, par la plume d’Esaïe : « Ce peuple ne s’approche de moi qu’avec la bouche, il ne m’honore que des lèvres, tandis que son coeur se tient éloigné de moi; la crainte qu’il a pour moi n’est qu’une LEÇON QUE LES HOMMES LUI ONT APPRISE (Esaïe 29: 13) .

Combien sont dans ce cas: une leçon qui est stabilisée dans la tête et qui n’a aucune influence sur le coeur.

L’histoire nous apprend

que les tendances décrites ci-dessus n’ont pas manqué dans le christianisme. Dès les premiers siècles (voir Galates 5), certains ont désiré placer les chrétiens sous un joug, joug de coutumes, de règlements, d’interdictions ou d’adjonctions. De ce fait, la véritable essence du christianisme a été voilée; le chemin qui mène à Dieu est devenu incertain. Par la volonté de faux docteurs, d’hommes qui ont fait intentionnellement profession de foi en Christ, diverses hérésies ont été propagées. Parfois aussi, par le concours de vrais chrétiens, désireux de bien faire, des règles ou des coutumes sont devenues des articles de foi ou de structure et ont finalement influencé l’église tout entière.

La solution de facilité

Dans certains pays, bien des églises sont nées du labeur de nombreux missionnaires. Beaucoup d’entre elles sont aujourd’hui absolument libres, ne dépendant que de Christ. – Or, « c’est pour la liberté que Christ nous a affranchis… ne vous remettez pas sous le joug de la servitude ». Toutes les églises chrétiennes courent le même danger, soit de se placer sous une servitude quelconque: un jour une solution de facilité est proposée et acceptée, un usage devient coutume, la coutume devient tradition, la tradition devient obligation, exigence… IL y a tant de possibilités de créer, au sein d’un groupement religieux, un nouveau cadre dans lequel s’inscrit la marche, la vie de la communauté. Après avoir abandonné les mille et une coutumes (et obligations) du paganisme, il est triste de retomber dans un autre esclavage: « Faites ceci, ne faites pas cela ». Recourant à des pratiques religieuses pour étayer ou justifier votre foi, « vous vous détachez du Christ ». Faut-il s’étonner de découvrir le fait que tant de braves personnes faisant partie de la communauté ne sont plus du tout sûres de leur salut (I’ont-elles jamais été ?).

Hors des murs

Christ a contesté la structure externe de l’appareil religieux de son temps. Il a été repoussé – hors des murs – de Jérusalem. A son tour, le vrai chrétien, parce que chrétien, est contesté s’il lutte selon les indications de l’Evangile. Mais qu’il veille à l’être pour des raisons bibliques. Christ, face aux pharisiens et congédiant la femme surprise en adultère (Jean 8: 3), a proclamé sa liberté de condamner ou de pardonner. Il n’a pas donné liberté à la licence, mais il a offert la liberté de ne plus pécher, soit de vivre selon Dieu.

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