PROMESSES

Cet article est traduit du site : https://www.thepeopleofthebook.org/about/strategy/c1-c6-spectrum/

Cet article est la traduction française d’un article publié en anglais sur le site « The People of the Book » (le peuple du Livre).

Le spectre C1-C6 compare les types de « communautés centrées sur le Christ » (groupes de croyants en Christ) trouvés dans le monde musulman. Les six types du spectre sont différenciés par la langue, la culture, les formes de culte, la liberté de rendre culte avec d’autres et l’identité religieuse. Tous adorent Jésus comme Seigneur et les éléments essentiels de l’évangile sont les mêmes d’un groupe à l’autre. Le spectre tente d’aborder la grande diversité, qui existe dans le monde musulman en termes d’origine ethnique, d’histoire, de traditions, de langue, de culture et, dans certains cas, de théologie. Cette diversité signifie qu’une multitude d’approches sont nécessaires pour réussir à partager l’évangile et à implanter des communautés centrées sur le Christ parmi le milliard de fidèles de l’islam dans le monde. Le but du spectre est d’aider les implanteurs d’églises et les croyants d’origine musulmane à déterminer quel type de communautés centrées sur le Christ peut attirer le plus grand nombre de personnes du groupe cible à Christ et est le mieux adapté dans un contexte donné. Chacun de ces six types se trouve représenté actuellement dans une partie du monde musulman.[note]John Travis, Trimestriel Missions évangéliques, octobre 1998, p. 407 à 408.[/note]

Voici un bref résumé de chaque communauté centrée sur le Christ décrite dans le spectre :

C1

Les missionnaires établissent une église qui est fondamentalement identique à celle de leur pays d’origine. Les services sont menés dans la langue des missionnaires. Ils se disent « chrétiens » et ont très peu de liens culturels avec la région où ils implantent l’église.

C2

La même chose que C1, sauf que les services sont menés dans la langue locale.

C3

Ils ont introduit de nombreuses formes culturelles non religieuses de la région dans leur communauté telles que l’habillement, l’art, etc. Ils rejettent toujours les éléments religieux purement islamiques. Ils peuvent se réunir dans un bâtiment d’église traditionnel ou dans un endroit plus neutre sur le plan religieux. Ils se disent « chrétiens », mais essaient d’avoir une présence plus contextualisée dans la région.

C4

Ils sont semblables à C3, mais ils introduisent certains éléments religieux islamiques dans leur communauté – comme éviter le porc, prier dans un style plus islamique, porter des vêtements islamiques et employer la terminologie islamique. Ils se nomment eux-mêmes « ceux qui suivent Isa » ou une appellation synonyme. Leurs réunions ne se déroulent généralement pas dans des bâtiments d’églises traditionnels. Ils ne sont pas considérés comme musulmans par la communauté musulmane.

C5

Ils conservent leur identité légale et sociale au sein de leur communauté musulmane. Ils rejettent ou réinterprètent toutes les pratiques et doctrines islamiques qui contredisent la Bible. Ils peuvent ou non fréquenter la mosquée régulièrement, et ils partagent activement leur foi en Jésus avec d’autres musulmans. Ils peuvent se nommer eux-mêmes des musulmans qui suivent Isa al-Masih, ou simplement des musulmans. Ils peuvent être considérés par leur communauté comme des musulmans peu orthodoxes.

C6

Ils gardent leur foi secrète en raison d’une menace extrême de persécution, de souffrance ou de représailles légales. Ils peuvent adorer secrètement en petits groupes. Ils ne partagent généralement pas leur foi ouvertement et ont une identité 100 % musulmane.


Le propos de cet exposé

De nos jours, de nombreuses personnes sont convaincues que les grandes religions sont foncièrement toutes les mêmes. Elles enseigneraient toutes l’amour, la compassion et la manière d’être vertueux.

L’islam et le christianisme ne font pas exception à cette règle. Elles se ressemblent encore davantage que la plupart des autres religions. Toutes deux monothéistes, elles considèrent que Dieu est totalement souverain et tout-puissant. Il a créé les cieux et la terre et jugera chaque âme de façon juste et équitable.

Alors pourquoi, tout en leur reconnaissant quelques importantes similitudes, les savants et les véritables fidèles de chaque religion déclarent-ils sans équivoque qu’en réalité, contrairement à la croyance populaire, l’islam et le christianisme sont fondamentalement différents ? La raison principale est que les musulmans orthodoxes prétendent que leur livre sacré, le Coran, est l’exacte révélation de Dieu, que Mahomet est le plus grand et le dernier des prophètes (également appelé le « sceau des prophètes ») et que sa vie et ses enseignements étaient irréprochables.

Les chrétiens orthodoxes réfutent ces affirmations. Une des multiples raisons pour lesquelles les chrétiens rejettent l’islam est sa perception et sa façon de considérer les femmes.

  1. Les femmes selon Mahomet

Le mariage infantile

Les intellectuels islamiques affirment que leur prophète était d’une moralité éminente (Coran 68.4). Mais quand on examine les mœurs de Mahomet et sa conduite envers les femmes, il est particulièrement difficile de parvenir à une telle conclusion. En effet, après le décès de son épouse Khadija, qui a profondément affecté Mahomet, celui-ci épouse plusieurs femmes sur l’affirmation d’une révélation reçue de la part d’Allah. Il a été marié à onze femmes en même temps mais il en eut seize, si l’on considère deux esclaves (Marie et Rayhana) et quatre compagnes offertes à Mahomet pour satisfaire ses désirs sexuels.

Remarquons d’emblée qu’une de ses épouses, Aïsha, n’avait que 7 ans lorsqu’il l’épousa ; le mariage a été consommé alors qu’elle n’était âgée que de 9 ans. Il avait la cinquantaine à ce moment-là[note]Bukhari, La traduction des Significations de Sahih Al-Bukhari, trad. M. Muhsin Khan, Al-Medina, Université Islamique, vol. 5, livre 63, n° 3896 : cf. Bukkhari, vol. 7, livre 67, n° 5158.[/note]. En réponse à l’accusation que Mahomet était un pédophile, un grand nombre de musulmans soutiennent que Aïsha était en fait plus âgée et avait demeuré chez ses parents jusqu’à la puberté. Cette allégation n’a aucune légitimité lorsqu’on lit un commentaire fait par Aïcha elle-même dans un des livres du hadith : « Le Messager de Dieu m’a épousée quand j’avais 7 ans : mon mariage a été consommé quand j’en avais 9. »[note]Tabari, Abu Ja’far Muhammad bin Jarir, L’Histoire de al-Tabari, La victoire de l’islam, New York, State University of New York Press, 1997, p.7.[/note]

Un autre contre-argument couramment utilisé par les musulmans est que le concept de pédophilie n’existait pas au septième siècle en Arabie, les mariages infantiles étaient chose commune.[note]Hassaballa, Hesham A. & Helminski, Kabir. Islam, New York, Doubleday, 2006, p.160.[/note] Bien que l’idée de Mahomet, à la cinquantaine, ayant des relations sexuelles avec une enfant soit répugnante pour un esprit occidental actuel, Mahomet n’a rien fait d’illégal ou de contraire à la morale aux yeux des musulmans. Néanmoins, Mahomet symbolise pour les musulmans l’exemple suprême du comportement humain (cf. Coran 33.21) et qu’il était d’une « moralité éminente » (68.4). En conséquence et en vue d’imiter leur prophète, beaucoup de musulmans à travers le monde ont pris des jeunes filles pour épouses. Dans certains pays, cette pratique est bénie par la loi.[note]Comme par exemple dans l’article 1041 du Code civil iranien. Il est stipulé que les filles peuvent se fiancer avant l’âge de 9 ans et se marier à 9 ans. L’Ayatollah Khomeini a lui-même épousé une fille âgée de 10 ans alors qu’il en avait 28. VoirSarvnaz Chitsaz et Soona Samsami, « Les Femmes et les Filles iraniennes : Victimes de l’Exploitation et de la Violence » dans Rendre le Mal Invisible : Exploitation Sexuelle Globale des Femmes et des Filles, Donna M. Hughes et Claire M. Roche, éditeurs, La Coalition Contre le Trafic des Femmes, 1999. http://www.uri.edu.artsci/wms/hughes/mhviran.htm ; Amir Taheri, L’Esprit d’Allah: Khomeini et la Révolution Islamique. (Adler ad Adler, 1986), p. 90-91.[/note].

Les femmes – un traitement d’égal à égal ?

Une autre thèse avancée par les musulmans est le respect de Mahomet envers les femmes. Ils disent que bien qu’il eut de nombreuses épouses, ses relations n’étaient pas basées sur la luxure, mais sur l’amour et un profond respect. Le journaliste Haroon Siddiqui explique que Mahomet « ne montrait quasiment aucune pudeur concernant le sexe. « J’adore me faire beau pour la femme, autant que j’adore qu’elle se fasse belle pour moi. » « Je suis intéressé par trois choses : le parfum, la femme et la prière. » « Le mariage est la moitié de la religion. » »[note]Siddiqui Haroon, Être musulman, Berkeley, Groundwood Books, 2006, p. 115.[/note]

Prétendre que les mariages de Mahomet étaient basés sur l’amour et sur un profond respect pour les femmes, c’est ignorer de nombreux textes qui le décrivent comme un surhomme sexuel : « Gabriel apporta une bouilloire dont j’ai avalé le contenu, » dit-il, « et j’ai acquis une puissance pour les rapports sexuels, égale à celle de quarante hommes. »[note]Ibn Ishaq, Sirat Rasul Allah, [La Vie de Mahomet],New York: Oxford University Press, 1980, p. 439.[/note]

Les intellectuels musulmans déclarent également que le statut des femmes n’est pas aussi mauvais que ce que les médias occidentaux aimeraient nous faire croire. Alors qu’aux États-Unis et dans la plupart des pays d’Europe et d’Afrique, les responsables politiques sont des hommes, Haroon Siddiqui écrit : « Les musulmans ont volontiers confié leurs affaires à des femmes. L’Indonésie, la plus grande nation musulmane, a eu une femme dirigeante ; tout comme la seconde plus grande nation, le Pakistan ; ainsi que la troisième plus grande, le Bangladesh ; et la quatrième plus grande, la Turquie. ».[note]Siddiqui Harron, p. 97.[/note]  Au regard de ces statistiques, nous pourrions penser que le Coran fait davantage confiance aux femmes pour les fonctions politiques. Toutefois, lorsque nous examinons les paroles de Mahomet, ses préceptes contredisent de telles affirmations. Par exemple : « Un peuple qui remet sa direction entre les mains d’une femme ne réussira pas », ou « Je ne laisse derrière moi aucune cause de crainte, sauf pour les hommes, celle des femmes».[note]Siddiqui Haroon, p. 118.[/note] Certains musulmans érudits voient ces deux citations comme des déclarations d’ordre général, autorisant des exceptions dans le premier cas et comme une mise en garde contre les rapports sexuels illicites dans le second. À la lumière d’autres extraits du Coran et des hadiths, concilier ces affirmations est impossible. Le Coran admet clairement que les hommes sont supérieurs aux femmes. La Sourate 2.228 déclare : « Les hommes ont cependant une prédominance sur elles [les femmes]. »

Il existe bien trop de passages qui rabaissent les femmes, pour arriver à la conclusion que les textes du Coran et des hadiths honorent les femmes (Sourates 2.223, 4.3, 4.11, Haddith Bukhari, vol. 4, livre 59, no.3237, Haddith al-Mawardi,  Umdat al-Salik, al-Akham as-Sultaniyyah, m10.4 et m10.3). Sans aucun doute, les statuts de l’homme et de la femme dans le Coran sont différents.

Battre sa femme

Certains passages du Coran sont très offensants, dégradants et insultants envers les femmes. Allah permet par exemple aux hommes de battre leurs femmes : « Les hommes ont autorité sur les femmes, en raison des faveurs qu’Allah accorde à ceux-là sur celles-ci […] Et quant à celles dont vous craignez la désobéissance, exhortez-les, éloignez-vous d’elles dans leurs lits et frappez-les ». (4.34). De nombreux théologiens ont soutenu que cette doctrine est davantage symbolique que littérale et qu’elle n’approuve pas la violence envers les femmes. De plus, ils disent que Mahomet n’a jamais battu ses épouses et qu’il combattait ce dogme. Nous devons donc nous demander, quelle partie du châtiment est symbolique plutôt que littérale. La seule interprétation possible est littérale et elle est corroborée par d’autres versets. Mahomet a dit : « Les femmes se sont enhardies envers leur mari » après quoi « il les autorisa à les battre. »[note]Spencer, Robert. Religion de Paix? Pourquoi le christianisme l’est et non l’islam, Washington Regnery Publishing, 2007, p. 189.[/note] Mahomet ajouta : « On ne demandera pas à un homme pour quelle raison il bat sa femme. »[note]Dawoud, Usan Abu, livre 11, n° 2141.[/note] L’affirmation qu’il n’a jamais battu aucune de ses épouses est également fausse. Un soir, alors que Mahomet était sorti, croyant que son épouse préférée, Aïsha, dormait, elle a décidé de le suivre à l’extérieur. Quand il découvrit ce qu’elle avait fait, il la frappa. Et Aïsha de conclure : « Il me frappa à la poitrine, ce qui me fit souffrir et ensuite il dit : Pensais-tu que Allah et son Apôtre te traiteraient injustement ? »[note]Muslim, Imam, Sahih Muslim : Les traditions dans les faits et gestes du Prophète Mahomet (1971), livre 4, n° 2127.[/note]

De nombreux musulmans reconnaissent l’existence du commandement. Le Dr Muzammil H. Siddiqi, ancien Président de l’Islamic Society of North America (Société Islamique d’Amérique du Nord) a dit : « Dans certains cas un mari peut prendre de légères mesures disciplinaires afin de corriger l’infraction morale de son épouse […] Le Coran est très clair à ce sujet. »[note]Steve Stalinsky et Y. Yehoshua, Les ecclésiastiques musulmans, sur les préceptes religieux à propos de battre sa femme, Middle East Media Research, Institute Special Report N° 2, 22 Mars 2004.[/note] D’autres apologistes islamiques soulignent qu’un mari ne doit battre sa femme que légèrement, de façon à ne pas lui causer de douleur ou laisser des marques[note]Spencer, p.190.[/note]. En mai 2007, le président de la grande et prestigieuse université musulmane Al-Azhar au Caire, ainsi que l’ancien Mufti d’Égypte, Ahmad al-Tayyeb, ont défendu cette pratique, en expliquant que « ce n’est pas vraiment la battre, c’est plus comme lui donner des coups de poing […] C’est comme la heurter ou la cogner. »[note]Spencer, p. 190.[/note]

Les femmes en enfer ?

Dans l’un des hadiths, le Prophète est prétendument allé au paradis et en enfer, et il a rendu compte de ce qu’il a vu : « J’ai observé le paradis et j’ai découvert que la plupart de ses habitants étaient les pauvres gens, et j’ai observé le feu [de l’enfer] et découvert que la majeure partie de ses habitants étaient des femmes. »[note]Bukkhari, vol. 8, livre, p. 76, n° 456.[/note]

Les académiciens islamiques affirment, que les révélations d’Allah s’adressaient spécifiquement aux épouses de Mahomet et que ces avertissements étaient plutôt adaptés aux sociétés arabes du VIIe siècle. Par conséquent, beaucoup de réformateurs islamiques ont soutenu, que les versets coraniques nécessitaient une réinterprétation à la lumière des nouvelles réalités sociales, culturelles et économiques du XXIe siècle. Une nouvelle interrogation nous presse : les femmes ne sont-elles pas toutes censées suivre le comportement des épouses du Prophète, puisqu’il représente le modèle idéal pour tous les musulmans pratiquants ? En outre, selon les musulmans orthodoxes, ce que le Coran prescrit, s’applique à chaque instant et en chaque lieu comme l’ordre révélé d’Allah.

Des épouses provisoires

Une des traditions de Mahomet, stipule qu’un mariage provisoire est autorisé pour les hommes. Elle mentionne qu’il « doit durer trois nuits, puis, s’ils ont envie de le poursuivre ils le peuvent mais s’ils veulent se séparer, ils le peuvent, aussi ».[note]Ibid. vol. 7, livre 67, n° 5119.[/note] Ce mariage provisoire, appelé Mut’a, est une disposition permettant aux hommes d’obtenir la compagnie d’une femme sur un court délai. L’autorisation de cette pratique est tirée de la Sourate 4.24 et du hadith : « Tu as été autorisé à faire le Mut’a [mariage], alors fais-le. »[note]Ibid. vol.7, livre 67, n° 5117-5118.[/note] La plupart des musulmans affirment que Mahomet abrogea cette clause ultérieurement. Or on ne trouve pas de preuve de cette allégation dans les écrits. Même s’il l’avait fait, ce précepte coranique, humiliant et désobligeant, continue d’être pratiqué dans certains pays musulmans sous forme de la prostitution dissimulée. En effet, une minorité de musulmans appelés les chi’ites, ont maintenu cette tradition, comme en Iran où les épouses provisoires sont permises. Robert Spencer a écrit : « les épouses provisoires ont tendance à se rassembler dans les villes sacrées chi’ites, où elles peuvent offrir de la compagnie à des séminaristes solitaires. »[note]Spencer, Robert. Le Guide Non Politiquement Correct de l’islam, Washington, Regnery Publishing, 2005, 74.[/note]

Le traitement spécial de Mahomet

De nombreux académiciens musulmans indiquent que Mahomet, puisqu’il était le Prophète d’Allah et qu’il a vécu à cette période précise de l’histoire, avait des privilèges qui ne s’appliquent pas aux autres croyants. Il a donc spécialement été autorisé à avoir le nombre de femmes qu’il désirait (cf. 33.50).

De la même manière, Mahomet a eu onze femmes en même temps, tandis que les musulmans ne peuvent en avoir que quatre. Mais alors, dans les écritures, quelles règles étaient destinées à Mahomet et quelles sont celles réservées aux croyants ?

III. Conclusion

Les musulmans considèrent Mahomet avec le plus grand respect et le voient comme le modèle parfait à suivre. Cependant, ses enseignements et sa façon de traiter les femmes n’ont pas toujours été des plus flatteurs. De plus, à deux reprises, le Coran dit qu’il était un pécheur (40.55 et 47.19).[note]Geisler, p. 178.[/note]

Par ailleurs, les écrits du Coran et des hadiths octroient indubitablement aux hommes un statut plus élevé qu’aux femmes. Malgré les arguments avancés par les musulmans libéraux, le Coran et les hadiths n’ont fait qu’engendrer de la douleur et de la détresse auprès des femmes à travers le monde. Voilà le prix que paient les femmes dans les pays islamiques au nom du statut de Mahomet, le modèle par excellence à suivre.


Allah : simplement le mot arabe pour « Dieu ».

Calife: successeurs spirituels choisis par les croyants de Mahomet.

Chahada : formule sacrée de l’islam : « J’atteste qu’il n’y a pas de divinité en dehors de Dieu et que Mahomet est son prophète ».

Charia : ensemble de toutes les lois islamiques qui gouvernent d’une manière absolue chaque secteur de la vie.

Chi’ites : litt. « partisans fidèles » ; ceux qui reconnaissent Ali, gendre et fils spirituel de Mahomet, comme son seul vrai successeur, au nom des liens du sang. Ils représentent environ 15 % des musulmans, et sont localisés surtout en Iran, Irak, Azerbaïdjan et Bahreïn, avec d’importantes minorités au Pakistan, en Inde, au Yémen, en Afghanistan, en Arabie saoudite et au Liban. Les dirigeants chi’ites considèrent les sunnites, comme corrompus et vendus au « grand satan » américain, d’où une des raisons du conflit entre les deux tendances majeures.

Coran :litt. « récitation » ; par dérivation mots que Muhammad aurait reçus d’Allah ; le livre sacré de l’islam.

Hadith : une vaste collection supplémentaire des « dires personnels » de Mahomet ou de ceux rapportés par ses compagnons après sa mort.

Hajj : pèlerinage obligatoire à la Mecque que chaque musulman doit faire au moins une fois dans sa vie.

Imam : chef musulman qui est capable de diriger la prière et d’interpréter le Coran dans une mosquée.

Injil : l’Évangile.

Issa : Jésus

Islam : mot d’origine arabe qui signifie « soumission » à Allah. Il désigne une religion, une culture, une philosophie communautaire, une pratique identitaire.

Musulman : « celui qui est soumis » à Allah.

Salafiste : celui qui veut retourner aux pratiques religieuses et guerrières de Mahomet à Médine.

Soufisme : mouvance mystique et ésotérique où l’on cherche à être « absorbé en Dieu » par un état d’« ivresse » spirituelle, une sorte d’extase,  considérée comme une sorte d’« extinction » de soi-même.

Sourate : chapitre du Coran. Les 114 sourates sont arrangées, après le prologue, de la plus longue à la plus courte.

Sunnites : litt. « le bon chemin », ceux qui croient que le vrai successeur compagnon du « Prophète » fut Abou Bakr, au nom du retour aux traditions tribales. Ils représentent environ 85% des musulmans.

Umma ou Oumma : ensemble de tous les musulmans du monde, sans limites géographiques ou ethniques.

 


À la suite du peuple juif, les chrétiens ont toujours confessé leur foi en un seul et unique Dieu. Mais ils ont ajouté que ce Dieu unique se révélait en trois personnes distinctes : Père, Fils et Saint-Esprit ! Ils ont désigné par le mot « trinité » cette vérité de foi, qu’ils n’ont cessé de méditer pour en avoir une intelligence précise. Saint Augustin, qui a vécu au Ve siècle et qui est considéré comme le représentant de la foi orthodoxe, écrivait : « Tous les interprètes de nos livres sacrés, tant de l’Ancien Testament que du Nouveau que j’ai lus, et qui ont écrit sur la Trinité, le Dieu unique et véritable, se sont accordés à prouver par l’enseignement des Écritures que le Père, le Fils et l’Esprit-Saint sont un en unité de nature, ou de substance, et parfaitement égaux entre eux. Ainsi ce ne sont pas trois dieux, mais un seul et même Dieu. »[note]Saint Augustin, De la Trinité, Livre I, ch. IV, 7, texte établi par Raulx, L. Guérin & Cie, 1868.[/note]

L’accusation de trithéisme

Mais l’on est surpris, lorsqu’on lit le Coran, rédigé au VIIe siècle, de découvrir une présentation de la trinité bien différente de ce qu’affirmaient les chrétiens. Il paraît alors évident que l’auteur du Coran n’avait qu’une idée très confuse de ce que les chrétiens croyaient. S’adressant à eux, Mahomet les interpelle : « Croyez donc en Allah et en ses messagers. Et ne dites pas : « Trois ». Cessez ! Ce sera meilleur pour vous. Allah n’est qu’un dieu unique » (Coran 4.171)[note]Les citations du Coran sont issues de la traduction réalisée sous la responsabilité du Roi Fahd, le Noble Coran et la traduction en langue française de ses sens, Complexe Roi Fahd pour la traduction du Noble Coran, sans date.[/note] Par l’emploi de ce « trois », l’auteur du Coran montre qu’il a compris de manière grossière la trinité comme un trithéisme. Voilà pourquoi, il finit le verset en appuyant sur l’unicité de Dieu. Cette erreur lui est venue du fait que les chrétiens parlent de trois personnes. Jamais aucun groupe de chrétiens n’a affirmé croire en trois dieux, mais tous ont confessé un seul Dieu en trois personnes.

Le même reproche se trouve dans la sourate La Table : « Ce sont certes des mécréants, ceux qui disent : « En vérité, Allah est le troisième de trois.» Alors qu’il n’y a de dieu qu’un Dieu unique ! » (Coran 5.73)L’auteur accuse donc les chrétiens de faire d’Allah un dieu parmi trois. Et toute reconnaissance d’un égal à Allah est une incrédulité et un acte impardonnable comme l’affirme ce verset : « Certes Allah ne pardonne pas qu’on lui donne quelque associé. À part cela, il pardonne à qui il veut. Mais quiconque donne à Allah quelque associé commet un énorme péché » (Coran 4.48). La trinité est interprétée alors comme un ajout à Allah de deux autres prétendus dieux.

La confusion sur la composition de la trinité

Si l’on interroge maintenant le Coran sur l’identité des trois dieux qui composent, selon les chrétiens, la trinité, voici sa réponse : Allah, Marie, Jésus ! L’auteur leur reproche en effet maintes fois de faire de Jésus et Marie deux divinités égales à Allah. Dans la sourate La Table, Dieu prend Jésus à témoin pour condamner cette grave erreur attribuée aux chrétiens : « Dieu dit : « Ô Jésus, fils de Marie ! Est-ce toi qui as dit aux hommes : Prenez, moi et ma mère, pour deux divinités en-dessous de Dieu ? » Jésus dit : « Gloire à toi ! Il ne m’appartient pas de déclarer ce que je n’ai pas le droit de dire. » (Coran 5.116) Jamais le Coran ne dit que les chrétiens croient en la trinité composée du Père, Fils et Saint-Esprit !

Cette confusion subsiste jusqu’à aujourd’hui, transmise par des commentateurs musulmans parmi les plus grands. Ignorants totalement de la foi chrétienne, et dédaignant ce que les chrétiens disent à propos de la trinité, ils ont constamment recours au Coran pour présenter cette doctrine chrétienne. À titre d’exemple, Ibn Kathir, l’un des plus grands commentateurs, qui a vécu au XIVe siècle, commente ainsi ce verset : « Il s’agit des chrétiens en général selon les dires d’un bon nombre des ulémas[note]Un uléma est un théologien de l’islam.[/note], puis ils ont précisé que ceci concerne ceux qui déclarent qu’il existe trois hypostases: celle du Père, celle du Fils et celle du verbe […] Ce sont les Melchites, les Jacobins et les Nestoriens qui adoptent cette croyance. »  Ces quelques lignes, contenant nombre d’erreurs tant historiques que théologiques, révèlent une totale ignorance de l’enseignement des chrétiens.

L’erreur sur la divinité de Jésus

Le Coran va plus loin encore. En effet, entendant les chrétiens parler de Jésus comme le Fils de Dieu, l‘auteur en a déduit que les chrétiens prétendent qu’Allah a conçu avec Marie un enfant. Il n’a jamais réussi à percevoir le sens tout spirituel de cette expression. Le Coran avance plusieurs arguments pour réfuter la divinité de Jésus.

  1. Marie n’est qu’une créature

Pour lui, les chrétiens croient qu’Allah a eu des relations physiques avec Marie, engendrant d’elle Jésus. Et le Coran de corriger ce qu’il croit être la foi des chrétiens : « Le Messie, fils de Marie, n’était qu’un Messager. Des messagers sont passés avant lui. Et sa mère était une véridique. Et tous deux consommaient de la nourriture. Vois comme nous leur expliquons les preuves et puis vois comme ils se détournent » (Coran 5.75). L’auteur du Coran pensait que Marie était considérée comme une divinité par les chrétiens. C’est pour cette raison qu’il affirme qu’elle « consommait de la nourriture », car l’absorption des aliments implique l’humanité et donc est l’argument ultime pour rejeter la divinité de Marie.

  1. Dieu ne peut avoir de relation charnelle

Selon le Coran, Dieu ne peut pas avoir d’enfant, car son honneur serait atteint, puisque cet enfant ne peut être que le fruit d’une relation charnelle : « Il est trop glorieux pour avoir un enfant » (Coran 4.171). Et surtout, Dieu ne peut avoir d’enfant parce qu’il n’a pas de compagne : « Comment aurait-il [Allah] un enfant, quand il n’a pas de compagne ? C’est lui qui a tout créé, et il est omniscient. » (Coran 6.101) Ailleurs, il affirme : « Si nous avions voulu prendre une distraction, nous l’aurions prise de nous-mêmes, si vraiment nous avions voulu le faire » (Coran 21.17). Que signifie cette « distraction » ou ce « divertissement » ? Pour certains, ce mot signifie soit « la compagne », selon la langue du Yémen, soit des houris[note]Créatures féminines vivant au paradis, selon le Coran.[/note]  aux grands yeux. Pour d’autres interprètes, c’est l’enfant. Allah proteste contre les chrétiens qui lui attribuent une épouse et un enfant tout terrestres, en déclarant que s’il avait voulu un enfant ou une femme, ce n’est pas parmi les humains qu’il les aurait choisis, mais bien parmi les créatures célestes qui sont en sa présence. Si Allah avait voulu un enfant, il ne l’aurait pas conçu avec Marie, mais avec une femme de son monde. « Si Allah avait voulu s’attribuer un enfant, il aurait certes choisi ce qu’Il eût voulu parmi ce qu’Il crée » (Coran 39.4).

Les chrétiens, eux, affirment que Jésus est le Fils de Dieu éternellement préexistant dans le sein du Père ; il a pris sur lui la nature humaine, devenant pleinement un être humain. Mais le Coran les accuse plutôt de déclarer que Dieu a pris un enfant ou s’est donné un enfant en approchant Marie. « Les Juifs disent : “‘Uzayr est fils d’Allah” et les chrétiens disent : ”Le Christ est fils d’Allah”. Telle est leur parole provenant de leurs bouches. Ils imitent les dires des mécréants avant eux. Qu’Allah les anéantisse ! » (Coran 9.30) « Ils ont dit : “Allah s’est donné un fils !” Gloire à Lui ! Non ! mais c’est à lui qu’appartient ce qui est dans les cieux et la terre et c’est à lui que tous obéissent » (Coran 2.116). La violence de l’auteur vient de sa compréhension de l’expression chrétienne : « Jésus est le Fils de Dieu » dans un sens purement sexuel.

  1. Jésus est une créature d’Allah

Dans la sourate Myriam, qui raconte plusieurs épisodes concernant Marie et Jésus, la conclusion dénonce encore cette « erreur » prêtée aux chrétiens : « Tel est Issa [Jésus], fils de Marie : parole de vérité, dont ils doutent. Il ne convient pas à Allah de s’attribuer un fils. Gloire et Pureté à lui ! Quand il a décidé d’une chose, Il dit seulement : “Sois” et elle est » (Coran 19.35). Jésus ne peut être le Fils de Dieu car il est une création d’Allah. Il suffirait de lire les trois Cappadociens, qui ont vécu trois siècles avant la rédaction du Coran, pour trouver l’affirmation fondamentale formulée contre Arius : il n’y eut jamais un temps où Dieu n’était pas Père. La filiation n’a pas eu lieu au moment de la naissance de Jésus ; elle est en dehors du temps et de l’espace.

  1. Dieu n’a pas besoin de fils

Dieu ne peut avoir de fils donc pour la simple raison qu’il n’a pas de compagne, mais aussi parce qu’il est riche et donc au-dessus de ce besoin. « Ils disent : “Allah s’est donné un enfant.” Gloire à lui ! Il est le Riche par excellence. À lui appartient tout ce qui est aux cieux et sur la terre. » (Coran 10.68) L’enfant est considéré comme la plus grande des richesses. Mais Allah n’en a pas besoin, car il possède tout.

  1. Dieu n’est pas Jésus

Entendant les chrétiens affirmer que le Messie est Fils de Dieu et Dieu, l’auteur a conclu que, pour les chrétiens, Allah est le Messie Jésus. « Certes sont mécréants ceux qui disent : “Allah, c’est le Messie, fils de Marie.” » (Coran 5.17) Un peu plus loin, dans la même sourate, il ajoute : « Ce sont, certes, des mécréants ceux qui disent : “En vérité, Allah c’est le Messie, fils de Marie.” Alors que le Messie a dit : “Ô enfants d’Israël, adorez Allah, mon Seigneur et votre Seigneur.” » (Coran 5.72) Le Coran comprend donc que les chrétiens affirment que Dieu dans sa nature est un corps humain !

L’auteur ne voit pas la différence entre dire : « Allah c’est le Messie », et : « le Messie est Dieu ». La première affirmation réduit Dieu à l’humanité de Jésus et fait de la nature de Dieu une nature matérielle ; Dieu aurait alors réellement des mains, des jambes, des yeux… Or, les chrétiens affirment que Dieu est Esprit ! Par contre déclarer que « le Messie (Christ) est Dieu », c’est confesser l’incarnation : le Fils éternel de l’éternel Dieu s’est uni à la nature humaine en devenant homme parmi les hommes. Dieu ne s’est pas transformé en humain, mais il a pris sur lui la nature humaine tout en restant pleinement Dieu. Là où le Coran ne voit qu’un homme, les chrétiens voient celui en qui demeure la plénitude de la divinité corporellement (Col 2.9).

* * *

Le Coran reproche donc aux chrétiens plusieurs erreurs : trithéisme, trinité composée d’Allah, Marie et Jésus, adoption ou procréation d’un fils par relation sexuelle avec Marie…Il vient pour corriger les prétendues erreurs de ses prédécesseurs. Or le Coran imagine discuter avec les chrétiens, mais il leur attribue ou les accuse de croire des choses qu’ils n’ont jamais crues ou confessées… Bien sûr, les chrétiens ne se reconnaissent absolument pas dans ces accusations, pour la simple raison qu’ils n’ont jamais professé ce que l’auteur leur reproche[note]Rappelons que de nombreuses hérésies se sont répandues dans les premiers siècles sur la doctrine de la trinité. Elles ont été condamnées par les conciles des IVe et Ve siècles. Mais l’auteur du Coran a pu être induit en erreur et attribuer aux chrétiens des vues sur la trinité et sur Jésus qui sont précisément celles que les chrétiens ont combattues et dénoncées.[/note] !

D’ailleurs, comme pour prévenir ces accusations, des chrétiens avaient déjà écrit par avance leur défense dans de nombreux livres, avant même l’apparition de l’islam. Citons à titre d’exemple ce beau texte poétique de Grégoire de Nazianze, le théologien de la trinité, écrit vers 390 :

« Il y a un seul Dieu, sans principe, sans cause ; il n’est circonscrit par aucune chose qui a été, ou qui sera ; embrassant les siècles et infini ; de l’excellent et majestueux Fils Unique Père majestueux, n’ayant subi en engendrant le Fils, rien de ce qui se rapporte à la chair, puisqu’il est Esprit. Il y a un seul Dieu autre, mais non pas autre par la divinité, le Verbe de Dieu : de son Père il est le sceau vivant, le seul Fils de Celui qui est sans principe, de l’Unique l’Absolument-Unique, égal au Père…

Il y a un seul Esprit, Dieu issu du Dieu bon. Éloignez-vous, vous tous que l’Esprit n’a pas marqués de son sceau pour révéler sa divinité, mais dont le fond du cœur est méchant ou dont la langue est impure. »[note]Grégoire de Nazianze, PoemataArcana, I, I, v. 25-37 (traduction personnelle). J’ai choisi un texte poétique comme défi au Coran qui se veut un beau poème ![/note]


Cet article est tiré du site : www.info-sectes.org

L’énoncé du problème

On entend parfois dire que chrétiens et musulmans ont le même Dieu, ou que les différences qui existent entre eux ne sont pas essentielles et ne doivent pas masquer le fait qu’ils affirment les uns comme les autres l’existence d’un Dieu unique. Allah et Dieu seraient donc en quelque sorte des synonymes. Il arrive de même que l’on entende affirmer que christianisme et islam « partagent » Jésus, qu’il appartient aux deux religions. Ce souci de rapprochement, cette recherche de points communs sont très louables : ils procèdent d’une volonté de dialogue, de fraternité, et dénotent généralement chez ceux qui les expriment le vœu de se montrer ouvert et tolérant. Mais sont-ils fondés sur une connaissance des textes et de l’histoire ? Ces vœux ne sont-ils pas des vœux pieux ? Comment l’islam envisage-t-il ses rapports avec le christianisme ? Plus particulièrement, comment le Coran, texte sacré des musulmans, considère-t-il les chrétiens et leurs écritures saintes ?

Jacques Ellul disait que face à l’expansion de l’islam, « il ne faut pas réagir par un racisme, ni par une fermeture orthodoxe, ni par des persécutions ou la guerre. Il doit y avoir une réaction d’ordre spirituel et d’ordre psychologique (ne pas se laisser emporter par la mauvaise conscience) et une réaction d’ordre scientifique. Qu’en est-il au juste ? Qu’est-ce qui est exact ? La cruauté de la conquête musulmane ou bien la douceur, la bénignité du Coran ? Qu’est-ce qui est exact sur le plan de la doctrine et sur le plan de l’application, de la vie courante dans le monde musulman ? »[note]Jacques Ellul, Islam et judéo-christianisme, PUF, 2004.[/note]

Les textes sacrés

Remarquons d’abord que les chrétiens et les musulmans n’envisagent pas du tout leurs textes sacrés de la même manière. Pour les premiers, il s’agit de textes révélés, pour les seconds d’un texte éternel, incréé, intouchable. Il y a là différence non négligeable. Les musulmans aussi tiennent qu’ils ont reçu une révélation. Elle est conçue comme la transmission d’un texte préexistant. Dans cette transmission, le prophète ne joue aucun rôle actif. Il ne fait que recevoir des textes […] qu’il répète comme sous une dictée.

Outre son caractère sacré, une des particularités du Coran est qu’il s’approprie et islamise toute une série de personnages bibliques : Abraham, Isaac, Jacob, Noé, David, Salomon, Job, Joseph, Moïse, Aaron, Zacharie, Jean-Baptiste, Jésus, Elie, Ismaël, Elisée, Jonas et Loth y sont mentionnés (voir par exemple la sourate 6, versets 83 à 86), mais en tant que musulmans. La sourate 3, 67, quant à elle, dit explicitement : « Abraham n’était ni juif ni chrétien. Il était entièrement soumis à Allah (musulman). » Comme le signalent notamment Anne-Marie Delcambre et Daniel Sibony[note]Selon Daniel Sibony, « il n’y a pas de verset majeur du Coran dont on ne trouve le contenu dans la Bible ou le Talmud (hormis ceux qui parlent de Mahomet, puisqu’il est venu après ces textes) ». Il ajoute que « le Dieu du Coran, Allah, c’est le Dieu des Juifs une fois qu’il a décidé de les rejeter pour toujours » et fait l’hypothèse que « la haine du Coran contre les Juifs est l’exacte contrepartie de ceci qu’il a pris chez eux tout son contenu et qu’il ne le supporte pas ».[/note], le texte joue sur le double sens du mot arabe muslim, qui signifie « soumis » et aussi « musulman ». Cette particularité de la langue arabe permet au Coran d’islamiser toutes les grandes figures de la Bible et d’opérer un véritable renversement de la chronologie traditionnelle des religions. Le Coran « accueille » Jésus, Moïse et les prophètes hébreux d’une façon particulière : il les accueille, après en avoir fait des musulmans.

Ainsi l’islam « avale » ou englobe tout ce qui le précède et transforme a posteriori toute une série de personnages bibliques en musulmans. Déposséder les juifs et les chrétiens de leur mémoire est une curieuse façon de leur témoigner du respect. Pour un familier de la Bible, les figures bibliques citées dans le Coran nous paraissent à la fois identifiables et déformées. Abraham n’est pas Ibrahim, ni Moïse, Moussa.[note]Alain Besançon, préface au livre de Jacques Ellul,Islam et judéo-christianisme.[/note]Quand Mohammed lia le nom d’Allah aux récits pieux du judaïsme et du christianisme, ce fut pour l’islam une manière de les revendiquer comme siens. À la lumière des événements qui suivirent, l’allégation selon laquelle l’islam est la religion originelle et tous les prophètes précédents déjà des musulmans peut être considérée comme une tentative de s’approprier les récits des autres religions. L’effet produit est de dépouiller le christianisme et le judaïsme de leur mémoire.[note]Mark Durie, Issa, le Jésus musulman.[/note]

Autre trait caractéristique du Coran : tout en reprenant de nombreux récits bibliques (qu’il transforme ou simplifie parfois), il affirme que les juifs et les chrétiens ont falsifié leurs textes. Comme ils ont refusé de reconnaître la prophétie de Mahomet, ils sont accusés d’avoir été infidèles à ce que Dieu leur avait transmis et d’avoir falsifié le « message » que Dieu avait déjà fait « descendre » pour eux. Cette accusation de falsification à l’encontre des « gens du Livre » est répétée à de nombreuses reprises dans le Coran (sourates 2, 59 ; 2, 75 ; 2, 79 ; 3, 70-71 ; 4, 46 ; 5, 13 ; 5, 41). La falsification (tahrîf) des Écritures est considérée par l’islam comme une forme extrêmement grave de « corruption » ou de « forfaiture » (fasâd), qui peut être sanctionnée par la peine de mort. Le Coran considère donc les deux Testaments comme faux et falsifiés ; il prétend restituer les vraies Écritures, les textes authentiques, les textes tels qu’ils existaient avant leur falsification par les juifs et les chrétiens.

Un autre Jésus

Le Jésus du Coran n’a pas grand-chose à voir avec celui des chrétiens. Son message était l’islam pur, la soumission à Allah (sourate 3, 84); il a reçu sa révélation de l’islam sous la forme d’un livre, l’ Injil ou « Évangile » (sourate 5, 46) ; sa mère, Maryam, était la sœur d’Aaron et de Moïse (sourate 19, 28) ; il a annoncé la venue de Mahomet (sourate 61, 6) ; il n’a pas été tué ni crucifié, et ceux qui affirment le contraire mentent (sourate 4, 157) ; le jour de la résurrection, Issa lui-même témoignera contre les juifs et les chrétiens qui croient en sa mort (sourate 4, 159).

Les chrétiens sont parfois impressionnés par la place que tient Jésus dans le Coran. Mais ce n’est pas celui auquel ils ont donné leur foi. Le Jésus du Coran répète ce qu’avaient annoncé les prophètes antérieurs, Adam, Abraham, Lot, etc. : en effet, tous les prophètes ont le même savoir et proclament le même message, qui est l’islam. Tous sont musulmans. Jésus est envoyé pour prêcher l’unicité de Dieu. Il proteste qu’il n’est pas un « associateur ». « Ne dites pas Trois ». Il n’est pas le fils de Dieu, mais une simple créature. […]

Comme il est pour l’islam inconcevable qu’un envoyé de Dieu soit vaincu, Jésus n’est pas mort sur la croix. Un sosie lui a été substitué. Cette christologie, du point de vue chrétien, présente des marques mélangées de nestorianisme et de docétisme.[note]Alain Besançon, op. cit.[/note]  Le Jésus du Coran est un musulman qui appelle ses propres adeptes à rejeter leur idolâtrie et accuse les chrétiens d’avoir manipulé les Écritures. Il est […] faux de dire que le Issa (Jésus) du Coran ne fait qu’un avec le Jésus des Évangiles. Ce Jésus, réduit dans le Coran à un prophète purement humain, ne peut que choquer un chrétien, puisque ce statut est en discordance totale avec ce que relatent les Évangiles. […]

Dans le Coran, Jésus est le seul prophète qui soit présenté comme n’étant pas d’accord avec les doctrines de sa communauté. La sourate 5, au verset 116, est une véritable gifle pour les chrétiens, dont les croyances sont rejetées sans même être formulées correctement : Rappelez-vous quand Allah demanda : « Ô Jésus, fils de Marie, est-ce toi qui a dit aux hommes : prenez-nous moi, et ma mère, comme divinités en-dessous d’Allah ? » Jésus répondit : « Gloire à Toi, il n’est point de moi de dire ce qui n’est pas pour moi une vérité. » En d’autres termes, le Jésus-Isâ du Coran répudie ses adeptes, les chrétiens, en les accusant d’avoir faussé les Écritures. […] Il entend se séparer des croyances perverties de ses partisans ! En fait, ce qui est un comble, c’est que, dans le Coran, Jésus accuse lui-même ses adeptes – les chrétiens – de lui prêter des paroles qu’il n’aurait jamais prononcées. On croit rêver ! Le Coran refuse un Christ crucifié, comme il refuse un Christ ressuscité : pour lui, Jésus n’est qu’un prophète, ni plus ni moins honoré que les autres.[note]A.-M. Delcambre, op. cit.[/note]  Le Jésus des Évangiles est la base sur laquelle le christianisme s’est développé. En l’islamisant et en en faisant un prophète musulman qui aurait prêché le Coran, l’islam détruit le christianisme et s’approprie son histoire. Il agit de même envers le judaïsme.[note]Mark Durie, Issa, le Jésus musulman.[/note]

Fausse accusation

Dans le Coran, les chrétiens sont appelés « associateurs ». Pour l’islam en effet, le christianisme n’est pas un monothéisme à cause de la Trinité, laquelle consisterait à « associer » Dieu, Jésus et… Marie. Inutile de préciser que le christianisme n’a jamais envisagé la Trinité de cette manière, et qu’il s’agit là d’une déformation saugrenue d’un de ses dogmes majeurs. Quoiqu’il en soit, les « associateurs » se rendent coupables d’un péché irrémissible, le seul qui soit impardonnable. Sourate 4, 116 : « Allah ne pardonne pas qu’Il lui soit donné des Associés, alors qu’il pardonne, à qui Il veut, les péchés autres que ceux-là ». Les chrétiens sont des mushrikûn, c’est-à-dire coupables de shirk (« associationisme. »)

À l’accusation de falsification des Écritures (tahrîf), le Coran ajoute donc celle, plus grave encore aux yeux de l’islam, de « l’association à Dieu » (shirk). La doctrine de la Trinité est de la mécréance, du polythéisme, et un sort douloureux attend ceux qui y croient (sourate 5, 73). Les « associateurs » sont (avec les juifs) « les ennemis les plus acharnés des croyants » (sourate 5, 82). Cette corruption ne concerne pas ce que les hommes ont fait des Écritures données par Dieu, mais ce qu’ils disent de Dieu lui-même. Dans l’ordre de la corruption, le tahrîf est élevé, mais avec le shirk, on touche à l’inexpiable : cette faute est la plus grave qui se puisse imaginer selon le Coran.[note]Joseph Bosshard, Le Coran face au commandement « Tu ne tueras point », Enquête sur l’islam, Desclée de Brouwer 2004.[/note]

Conclusion

Il faut avoir l’humilité et le courage de dire qu’entre le christianisme et l’islam, il n’y a pas, sur le plan théologique, de points communs de dialogue. Comment dialoguer avec l’islam qui refuse énergiquement la Trinité, l’incarnation, la rédemption, tout ce qui constitue l’essence même du christianisme ? On ne pourra dialoguer que si les partenaires du dialogue ont du respect l’un pour l’autre, si chacun connaît sa propre histoire et reconnaît celle de l’autre, si chacun est animé du souci de la vérité historique. Les chrétiens, de leur côté, ont intérêt à s’instruire davantage sur leur religion que très souvent ils connaissent mal, mais également sur l’islam qu’ils connaissent encore plus mal.

En France […], dit Alain Besançon[note]Alain Besançon, op. cit [/note].

, l’installation de la religion du Coran s’est effectuée à petits pas et silencieusement. C’est tout récemment que les Français ont compris brusquement qu’elle posait un problème fort grave, puisqu’il s’agit, à terme, de la naissance sur leur territoire d’un autre pays, d’une autre civilisation. Surpris, ils réagissent de façon désordonnée, comme on l’a vu lors des discussions sur l’acceptation ou l’interdiction du voile musulman dans les écoles publiques. Ils ont l’excuse d’avoir été peu ou mal informés. Ils ont eu peur de tomber sous l’accusation d’intolérance religieuse, voire de racisme, bien qu’il ne s’agisse pas du tout de race mais de religion…

Il faudrait veiller à expurger du discours chrétien contemporain des expressions aussi dangereuses que « les trois religions abrahamiques », « les trois religions révélées » et même « les trois religions monothéistes » (parce qu’il y en a bien d’autres). La plus fausse de ces expressions est « les trois religions du Livre ». Elle ne signifie pas que l’islam se réfère à la Bible, mais qu’il a prévu pour les chrétiens, les juifs, les sabéens et les zoroastriens une catégorie juridique, « les gens du Livre », telle qu’ils peuvent postuler au statut de dhimmi, c’est-à-dire, moyennant discrimination, garder leur vie et leurs biens au lieu de la mort ou de l’esclavage auxquels sont promis les kafirs, ou païens. Qu’on emploie si facilement de telles expressions est un signe que le monde chrétien n’est plus capable de faire claire


Cet article reprend un chapitre du livre publié par Jamil Chabouh et Karim Arezki, L’islam, un regard chrétien, Croire et Lire, 2014.

Le premier fondement de la foi musulmane porte sur Dieu : il faut croire en lui avant toute autre chose. Tout comme la Bible, le Coran ne s’attarde pas sur la démonstration de l’existence de Dieu, il reprend d’elle la majorité des noms et attributs qu’elle lui attribue.

Le nom d’Allah

La théologie musulmane parle de « quatre-vingt-dix-neuf » ou de « cent moins un » noms de Dieu. Ces noms ne se trouvent pas tous dans le Coran mais la Tradition en indique un grand nombre dans deux listes différentes rapportées par al-Bukhari et Muslim[note]Pour aller plus loin, voir Daniel GIMARET, Les noms divins en Islam, Coll. « Patrimoines », Paris, Cerf, 1988, p. 85-94.[/note]. On trouve parmi eux : l’Unique, l’Éternel, le Souverain, le Parfait, le Juste, le Pur, le Premier, le Dernier, etc.[note]Pour aller plus loin, voir Daniel GIMARET, Les noms divins en Islam, Coll. « Patrimoines », Paris, Cerf, 1988, p. 85-94.[/note]

Le nom de Dieu qui revient le plus souvent dans le Coran est Allah. Ce nom a suscité parfois des réactions bien étranges. Considérant que ce nom est musulman, des autorités religieuses indonésiennes interdisent parfois aux chrétiens de l’utiliser dans leurs prières [note]. Voir la presse du début du mois de janvier 2010.[/note] alors que certains chrétiens évangéliques soutiennent que le nom d’Allah n’est pas biblique et ne devrait donc pas être utilisé pour désigner Dieu.

Selon les linguistes arabes, Allah vient d’une « contraction de l’article défini al et du mot ilah qui est le mot arabe pour “dieu”. Autrement dit, le nom Allah signifie « le Dieu”, l’unique Dieu. » [note]Moucarry CHAWKAT, La foi à l’épreuve, l’islam et le christianisme vus par un arabe chrétien, Québec, la Clairière, 2000, p. 74.[/note] D’autres spécialistes proposent de comprendre le nom d’Allah comme un nom propre. Nous rencontrons un peu le même phénomène avec Élohim, le nom hébreu utilisé pour Dieu dans l’Ancien Testament. Il est utilisé pour nommer le Dieu révélé, mais aussi pour désigner n’importe quel « dieu », comme le fait du reste notre mot en français ou encore « god » en anglais. Sur le plan purement linguistique « allah » ne nous donne pas plus de renseignement sur le Dieu auquel il fait référence. Dans la bouche des chrétiens et Juifs de langue arabe avant l’arrivée de l’islam, « Allah » était utilisé pour désigner le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Il n’est donc pas venu avec la religion musulmane mais a été employé par les monothéistes arabes bien avant.

En somme le nom « allah » ne permet pas d’établir à lui tout seul une différence objective entre la conception de Dieu dans l’islam et dans le christianisme.

Il est bien plus important d’examiner la vision de Dieu dans ces deux religions pour pouvoir établir les convergences et les divergences.

L’unicité divine

Le thème de l’unicité divine traverse tout le Coran et la tradition musulmane. Il est tellement important que pour Mohamed, tous les péchés peuvent être pardonnés par Allah, excepté celui de l’association* (al-Ichtirak) (Q 4.48, 116). La première partie de la confession de foi (chahada) qui doit être prononcée pour devenir musulman lui est consacrée : « Je confesse qu’il n’y a pas d’autre divinité que Dieu. »

À l’époque de Mohamed, les Arabes, polythéistes, adoraient trois déesses (Lat, Uzza et Manat : Q 53.19-20), considérées comme « filles d’Allah » : al-Lat, veut dire « la Déesse », est adorée à Ta‘if (près de La Mecque), al-‘Uzza, qui veut dire « la Toute-Puissante », est célébrée à Nakhla (près de Riyad) par les Qorayshites, et le culte de Manat, qui est une divinité du « destin et de la mort », est rendu à Yathrib qui deviendra la Ville du Prophète (Médine).

Le prophète de la nouvelle religion s’érige contre cette mentalité polythéiste, prêchant l’unicité divine : Dieu est Un. Cette doctrine (tawhid) deviendra la plus importante dans l’enseignement de Mohamed. On peut noter ici l’influence de la secte des hanifa [note]Georges PEYRONNET, L’islam et la civilisation islamique, VIIe – XIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 1992, p. 20.[/note]  (qui veut dire : séparatistes) sur Mohamed qui l’a fréquentée avant de devenir prophète. Cette secte était constituée d’ermites ascétiques qui professaient un monothéisme pur. Ils enseignaient aussi que les Arabes sont descendants d’Abraham par Ismaël. Ces deux points seront repris par Mohamed.

La Bible et l’islam professent clairement un Dieu unique. Toutefois, alors que la Bible témoigne d’un Dieu UN et de trois personnes divines (Père, Fils et Saint-Esprit), l’islam ne fait aucune place à la diversité au sein de la divinité.

Le Coran présente Dieu comme n’ayant pas d’enfant (Q 17.111) ni de femme (Q 6.101).

C’est un Dieu Unique (Q 37.4 ; 41.6) : il est Unique dans sa divinité (wahid) et Un dans sa nature divine (ahad).

La sourate 112 résume à elle seule cette doctrine (tawhid) :

Au nom d’Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux.

  1. Dis : Il est Allah Un (ahad).
  2. Allah, l’indivisible (samad)
  3. Il n’a pas engendré, n’a pas été engendré.
  4. Et personne n’est égal à lui.

Chaque verset évoque, positivement ou négativement, l’unicité de Dieu.

Samad est ici traduit par « indivisible ». Il faut alors comprendre qu’en Dieu il n’est point de « creux ». Il est « sans mélange d’aucune sorte, sans aucune possibilité de divisions en parties ».[note]Louis GARDET, L’islam, Religion et communauté, Paris, Desclée De Brouwer, 1970, p. 56.[/note]

Le troisième verset proclamant que « Dieu n’a pas engendré, n’a pas été engendré » peut porter soit sur la nature divine soit sur les personnes divines :

Nature divine : Si on considère que ce verset se réfère aux termes ahad du verset 1 et samad du verset 2, c’est la nature divine qui est en cause. Dans ce cas-là, on se retrouverait en face d’une déclaration semblable à celle de la Bible en Deutéronome 6.4 : « Écoute Israël, le Seigneur notre Dieu, le Seigneur est UN. » D’ailleurs le terme ahad (UN) de la sourate est quasiment identique à celui (hébreu) du Deutéronome. Jésus a cité ce texte du Deutéronome (Marc 12.28-31) [note]Ibid. p.57 : Le concile de Latran définit la nature divine comme « suprême Réalité incompréhensible et ineffable… et qui seule est principe de toute chose, sans qui, rien d’autre ne pourrait être ; et cette Réalité n’engendre pas et n’est pas engendrée ».[/note]. Les premiers ciblés étaient les polythéistes mecquois qui adoraient plusieurs divinités mais par la suite ils ont été utilisés contre les Juifs et les chrétiens à cause de leur refus de reconnaître la valeur scripturaire des révélations que Mohamed a reçues. La déception de Mohamed face à ce refus est telle qu’il délivre la fameuse sourate at-Tawba (sourate du Repentir), assez violente, dans laquelle il accuse les chrétiens et les Juifs de l’associationnisme : « Les Juifs disent : « Uzayr (Esdras) est fils d’Allah » et les chrétiens disent : « Le Christ est fils d’Allah ». Telle est leur parole provenant de leurs bouches. Ils imitent le dire des mécréants avant eux. Qu’Allah les anéantisse ! Comment s’écartent-ils (de la vérité) ? » (Q 9.30).

Nature et personne divines : À partir de là, l’affirmation que Allah est un (ahad) ne porte pas uniquement sur la nature divine mais aussi sur les personnes divines, ainsi la doctrine de la Trinité se retrouve mise en cause. De nombreux autres textes coraniques professent de toute manière que Dieu n’a pas de lien « familial » avec les humains (Q 19.88-92 ; etc.).

Si la sourate 1 ouvre la prière musulmane, la 112 est souvent utilisée comme la sourate complémentaire pour deux raisons : (1) parce que c’est la plus courte, et lorsque vous répétez ces textes quatre ou parfois sept fois dans la même prière cela peut jouer sur le plan psychologique ; (2) pour le message central qu’elle véhicule.

A-t-on affaire au même Dieu dans la Bible et le Coran ? Kenneth Cragg[note]Kenneth CRAGG, The Call of the Minaret (New-York : Oxford University Press, 1964 Galaxy ed.), p. 35.[/note] propose de distinguer entre le sujet et le prédicat dans la comparaison entre le Dieu de la Bible et l’Allah du Coran : nous avons bien affaire au même Dieu-Sujet mais pas au même « contenu », puisque le Dieu du Coran n’est pas « Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ ».

Henri Blocher propose de faire comme l’apôtre Paul face aux dieux des Athéniens (Actes 17) : préciser que le Dieu de la Bible se fait connaître uniquement en Jésus-Christ. Ainsi, « nous pouvons dire ‘Allah, nous pouvons dire “il n’y a pas d’autre Dieu qu’Allah”, si nous marquons assez qu’il n’est connu que par Jésus, son Apôtre, son Verbe, son expression personnelle et éternelle au sein de l’être divin, qui s’est fait homme pour nous les hommes et notre salut, qui a fait l’expiation des péchés par son sang, une fois pour toutes. La vie éternelle, c’est ceci : connaître Dieu, et le connaître Lui ! »[note]Henri BLOCHER, « L’Évangile et l’islam : relever le défi théologique », Fac Réflexion, n° 28, septembre 1994, p.17.[/note] Une fois que ces précisions sont apportées, les chrétiens s’exprimant en arabe dans leur prière peuvent appeler librement Dieu Allah sans motif de conscience. Cela rend justice aussi bien à l’histoire qu’à la théologie.


Sujet complexe et sensible, l’islamophobie signifie « l’hostilité envers l’islam, les musulmans » (Larousse), et renvoie vers « une peur, ou une vision altérée par des préjugés, de l’islam, des musulmans ».

Préambule

La prise de position qui suit ne conteste pas qu’il existe un problème de société, de politique, de culture et de religion, en relation avec l’islam. Les actes de violence, de terrorisme — qu’ils s’exercent à l’extérieur ou à l’intérieur de la communauté musulmane — sont tous condamnables, ainsi que toute forme d’antisémitisme. Le but de cet article est d’attirer l’attention sur une dérive dangereuse, constatée parmi les chrétiens, et qui peut nous entraîner — en toute bonne foi — dans un militantisme pseudo-spirituel aux relents nauséabonds.

Introduction

L’idée d’une menace de l’islam a été semée il y a moins de dix ans dans les médias, ce phénomène a été observé et détaillé dans un certain nombre d’ouvrages de sociologues. Il ne fait aucun doute que la montée de l’islam pose un certain nombre de questions mais les chrétiens devraient être porteurs d’une réponse spirituelle à ce sujet, en se gardant de toute forme d’islamophobie.

D’où vient l’islamophobie moderne ?

C’est un outil de propagande qui distille le dosage nécessaire à la manipulation de l’inconscient collectif : une mesure de vérité, une mesure de mensonge, une mesure de peur. C’est le principe de la séduction.

Lorsqu’on présente des objections pertinentes à son argumentaire, l’islamophobe oppose invariablement la mesure de vérité qu’il contient, mêlée à certaines exagérations. Des chiffres, des statistiques auxquelles on fait dire un peu ce qu’on veut, des réalités aussi, mais qui sont incomplètes. On montre ce qu’il faut, et on cache le reste. L’islamophobe conteste presque systématiquement les versions officielles, qui ne reflètent jamais, selon lui, la réalité de la situation. Et toute personne remettant en cause sa vision est bien sûr identifiée comme non objective, manipulée, voire manipulante. L’islamophobe « achète » tout ce qui corrobore sa thèse, et toutes les données anxiogènes que les médias véhiculent à ce propos.

Comment le chrétien peut-il garder son équilibre ?

Il faut dépasser la lecture émotionnelle et superficielle de la question, où le bruit devient une info, et où la peur acquiert le statut de réalité.  Il est nécessaire — indispensable — d’effectuer un minimum de recherches et de contrôle de l’information.

Que disent les Écritures ? Que dit l’eschatologie ? Les perspectives que semblent dessiner les circonstances actuelles peuvent-elles s’accorder avec la vision biblique ? Le conseil de Dieu doit être notre source, et la révélation de l’Esprit notre nuée. Alors peuvent s’ouvrir des horizons prophétiques réels, et la réalité peut apparaître.

Pour répondre à la question posée en titre de paragraphe, le chrétien est appelé à acheter de Dieu « un collyre pour oindre ses yeux », afin qu’il puisse voir. Ceux qui se contentent de s’alimenter à des sources islamophobes reçoivent le collyre du monde, celui qui est vendu par le prince de ce monde. L’entrée dans la vision de Dieu ne se fait pas toute seule, et elle n’est pas sans prix. Il faut donc prendre conscience qu’il faut abandonner le ministère prophétique du perroquet, qui ne fait que répéter sans comprendre, qui diffuse et propage dans le corps de Christ des toxines spirituelles dangereuses.

Quels sont les vrais défis du christianisme ?

L’islam est-il le défi du christianisme du XXIe siècle ? Est-ce scripturairement plausible ? Pouvons-nous fonder bibliquement et prophétiquement une telle assertion ?

La vraie question n’est-elle pas plutôt que l’islam est un défi pour nos sociétés occidentales post-modernes ? C’est-à-dire pour ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui « la culture chrétienne » à savoir : les lambeaux du christianisme véritable ? La question qui se pose n’est-elle pas simplement celle de l’avenir de sa religion face à la montée de celle du voisin ? Les sociétés christianisées sont en recul, mais cela n’a rien à voir avec l’islam : nous sommes entrés dans le temps où « les hommes ont l’apparence de la piété, tout en ayant renié ce qui en faisait la force » (2 Tim 3.5). C’est la description d’une apostasie de société, qui accompagne celle du corps des croyants, de l’Église.

Le chrétien islamophobe argumente : Mais l’islam n’est-il pas dangereux ? N’a-t-il pas pour projet de conquérir le monde ?

Et toi, n’espères-tu pas que ta religion s’imposera dans le monde ? Et même que le monde s’en portera mieux ? Comme le musulman, tu penses que ta religion amènera la paix…

Les musulmans ne respectent pas vraiment les enseignements de leur livre saint ? De même bon nombre de chrétiens. Les musulmans réfléchissent à des stratégies d’islamisation de masse ? Comme les chrétiens. Les musulmans aspirent à établir une société musulmane ? Les chrétiens y travaillent depuis bien plus longtemps. Les musulmans comptent dans leurs rangs des hommes violents qui sont prêts à tuer pour la cause de leur religion ? Oui, c’est vrai … et les chrétiens ne sont pas en reste, malheureusement. Leur histoire est plus ancienne, c’est toute la différence. Mais il y a du sang, beaucoup de sang, sur les mains du christianisme, il ne faudrait pas l’oublier, avant de se (re)prendre pour les croisés de Dieu.

Une autre vision du monde

En adhérant aujourd’hui aux thèses qui remettent à l’ordre du jour une mentalité de « croisés de l’Occident » (en opposant les blocs religieux), les chrétiens, piégés par une considération émotionnelle du sujet, deviennent complices d’un dispositif dans lequel la haine occupe une place centrale. C’est un aveuglement. Pourquoi ?

– Parce que tout ce qui nous conduit à nourrir une vision de haine, fut-ce à l’égard de nos ennemis, est dans l’esprit de l’antichrist. De même, tout ce qui nous pousse à maudire l’autre trahit son origine impure. Car lorsque le chrétien qualifie la religion de son voisin de « nazislamisme », et traite le musulman de « peste brune », il l’insulte, il le maudit. Jésus enseigne : « Bénissez ! ne maudissez pas » (Rom 12.14 ; Mat 5.44).

– Parce que si l’islam connaît incontestablement une progression dans nos sociétés, c’est peut-être parce que Dieu a quelque chose à voir avec ce phénomène : « … si tu n’obéis point à la voix de l’Éternel ton Dieu, … il arrivera que toutes ces malédictions viendront sur toi, et t’atteindront … L’étranger qui est au milieu de toi, montera au-dessus de toi bien haut, et tu descendras bien bas » (Deut 28.15,37,43).

La véritable question chrétienne

La véritable question chrétienne n’est pas de chercher à identifier les menaces qui entourent « le camp des saints », mais encore et toujours … d’offrir nos corps (et nos pensées) en sacrifice vivant, car nous ne nous appartenons pas, puisque nous avons été rachetés (Rom 12.1-2 ; 1 Cor 6.19).

Aujourd’hui, toutes les « sentinelles » qui pensent faire œuvre utile en nous annonçant la catastrophe du siècle, la menace ultime, sont aussi toxiques que celles qui sont revenues de Canaan en faisant fondre le cœur du peuple, et en détruisant la foi en Dieu (Deut 1.28). Parce que l’enjeu tourne toujours autour de la foi, vise toujours la foi : « Nous sommes comme des sauterelles, ils sont comme des géants », le problème n’était pas ce peuple de géants, mais ce peuple de nains de la foi. Tel est le message de l’islamophobe, comme un poisson dans son bocal : il voit le monde au travers d’une loupe grossissante.

Le problème du christianisme ne vient pas de l’extérieur, mais de l’intérieur. En effet, si le peuple de Dieu qui est sorti d’Égypte a péri dans le désert (la génération des hommes de guerre), ce n’est ni à cause des circonstances, ni à cause de leurs ennemis, mais c’est à cause de leur incrédulité face aux défis que leur lançait la Parole de Dieu.

De même, sachons nous souvenir que ce qui a mis un terme à la pratique du judaïsme traditionnel, et ce qui a détruit le temple, ce ne sont pas les Romains, mais ce sont les Juifs eux-mêmes. La Parole de Dieu du Deutéronome (ch. 28 et 29) les a rattrapés inexorablement. Et quand bien même un croyant averti de cette époque serait parvenu à comprendre, au moyen de la prophétie qui avait été donnée à Daniel, que Rome était une des Bêtes, en discernant sa date d’émergence et ses points faibles, cela n’aurait rien changé à l’issue. Car il n’y avait aucun appel à combattre contre la vague romaine, mais plutôt contre la vague de rébellion intérieure, contre le refus de reconnaître et d’honorer la souveraineté de Dieu. Pour nous aujourd’hui, nous devons entendre ce même message, afin d’accorder à Christ les droits qu’Il s’est acquis par le sang de la croix. Et ce message, cet appel de Dieu, parcourt les écrits prophétiques de presque toutes les époques.


Le mot Évangile, commence par la lettre « É » ; les cinq suggestions présentées ici aussi. Qu’elles puissent nous aider à faire connaître aux musulmans l’Évangile, le plus précieux trésor au monde.

Écouter

Lorsque nous parlons de l’Évangile à des musulmans, c’est presque un réflexe : nous abordons très vite les questions théologiques qui divisent (trinité, identité de Dieu, ou salut). Les musulmans, habitués comme nous à ces argumentations, font de même. Mais vu leur diversité individuelle, culturelle, sociale et religieuse, d’autres préoccupations avouées ou secrètes occupent l’esprit des musulmans (Il est important de se le rappeler dans un monde qui pense que l’identité des musulmans se limite à leur religion et à la guerre sainte).

Ces autres préoccupations sont pour nous des occasions à saisir de parler de notre foi. Jésus a révélé la gloire de Dieu dans les situations les plus terre à terre : la maladie d’un enfant (Jean 4.46), le manque de nourriture (Mat 14.13-21), la poursuite de richesses (Luc 18.22), ou la peur de la mort (Luc 18.18).

Sommes-nous assez sensibles aux préoccupations des musulmans, qui sont les mêmes que celles des autres êtres humains. Notre témoignage devrait les aider à voir comment Jésus est intervenu dans de telles circonstances, dans les Évangiles ou dans notre vie personnelle. Il ne faut pas hésiter à mentionner Dieu. La majorité des musulmans sont très à l’aise de l’inclure dans les conversations de tous les jours. Mais encore faut-il que nous soyons nous-mêmes si fortement attachés à Dieu que nous ayons des choses à leur raconter.

Éclaircir

Les innombrables écrits théologiques de l’islam accumulés durant quinze siècles contiennent de nombreuses références au christianisme. Dès l’origine, l’islam a cherché à se positionner par rapport aux chrétiens présents dans la région et à qui le Coran et les traditions musulmanes ont emprunté de nombreuses pensées et pratiques. Malheureusement, les faits, récits et personnages bibliques cités sont souvent tronqués ou déformés. Nous devons aux musulmans ces éclaircissements même si, de prime abord, ils n’en ressentent pas le besoin, étant donné que, selon eux, le Coran est la dernière révélation et corrige les erreurs de la Bible.

Tout chrétien ne se sentira pas forcément équipé pour fournir des éclaircissements. Heureusement, de nos jours, il existe beaucoup d’ouvrages chrétiens qui abordent ces questions. N’hésitons pas à consulter diverses sources, même contradictoires, car ce débat qui se déroule depuis quinze siècles est très complexe. L’étude de l’islam ne doit pas nous faire oublier de sonder la Bible, de bien la connaître pour pouvoir répondre aux questions des musulmans.

Savoir défendre notre foi avec douceur et respect (1 Pi 3.15) ne s’acquiert pas du jour au lendemain. Suivons l’exemple de Jésus qui a longtemps côtoyé les religieux de son époque pour éclaircir leurs incompréhensions alors qu’ils étaient tout aussi réfractaires que les musulmans à accepter le salut par Christ.

Estimer

De nos jours, les relations entre chrétiens et musulmans sont souvent caractérisées par une peur mutuelle. Celle-ci est parfois justifiée dans le cas de terroristes disant agir au nom de l’islam. Mais les peurs peuvent également être infondées, véhiculées par l’ignorance de l’autre. Nos jugements sont aussi faussés par les demi-vérités ou les dires de pseudo-experts de l’islam.

Comment passer de la peur initiale du musulman et de l’islam à l’amour du prochain dont nous parle la Bible ? Dans l’amour, il y a des étapes que nous ne pouvons pas brûler. Estimer le musulman me paraît un bon début.  L’estime c’est prendre en compte le musulman, ne pas l’ignorer, reconnaître qu’il a de la valeur, que nous partageons la même humanité et qu’il peut m’apporter quelque chose. C’est le traiter comme soi-même. L’estime de l’autre fait partie intégrante du témoignage, puisque l’amour de Dieu est le fondement de l’Évangile : nous aimons notre prochain parce que Dieu nous a aimés le premier.

Échanger

À la suite de siècles de disputes sur les questions de la foi, les musulmans sont souvent hermétiques à nos discours. Dans ce cas, il faut inviter les musulmans à voir, toucher, sentir, goûter la vie chrétienne in situ, au milieu des chrétiens.

Les Évangiles parlent de faire « voir » nos bonnes œuvres (Mat 5.16). Voir, toucher, goûter, la transformation que Dieu opère dans la vie des chrétiens, exige que l’on se rencontre, que l’on se fréquente, que l’on passe du temps ensemble.

Malheureusement, beaucoup de musulmans hésitent à entrer dans une église (tout comme nous, chrétiens, hésitons parfois à entrer dans une mosquée).

Dans ce cas, pourquoi ne pas créer des lieux de rencontre en dehors de nos églises, des espaces et des activités nouvelles où les musulmans auront l’occasion de voir de leurs propres yeux notre relation à Dieu et notre foi en action : que ce soit dans les quartiers, les lieux de travail, les loisirs que nous partageons avec les musulmans, partout où la vie nous amène à nous rencontrer.

Émerveiller

Les Psaumes ne se lassent de chanter les merveilles de Dieu (Ps 96.3 ; 107.15 ; 145.5) et les foules qui suivaient Jésus étaient souvent dans l’émerveillement (Luc 7.37). Malheureusement, dans le témoignage auprès des musulmans, cet émerveillement s’est estompé à la suite des relations tendues, des persécutions, du terrorisme, des guerres, et des restrictions imposées aux églises en pays musulmans. L’époque de Jésus n’était pas si différente. Et pourtant sa venue a été considérée comme une bonne et joyeuse nouvelle (Luc 2.10). Les paroles de Jésus et ses miracles suscitaient l’émerveillement. L’action de Dieu était source de joie (Act 8.8). Elle l’est encore. Dieu est le même hier, aujourd’hui et éternellement. Il agit dans l’ordinaire et l’extraordinaire, mais son action est toujours source d’émerveillement. (Même le Coran affirme que Jésus a guéri des malades et fait revivre des morts (Sourate 5.110).) Il se peut que nous soyons intimidés par le témoignage à rendre aux musulmans, mais si nous nous confions en Dieu, nous imprégnant de sa Parole, priant avec ferveur, et témoignant de notre foi, nous verrons Dieu émerveiller les musulmans.


« L’islam, première religion en France ? » titrait Le Figaro en 2012. En tout cas, les musulmans sont 4 à 5 fois plus nombreux que les protestants et les évangéliques réunis ! Sur la terre entière, un habitant sur cinq est musulman.

Quel regard avoir sur ceux qui croient au Dieu créateur, mais refusent le Seigneur Jésus qui a dit : « Nul ne vient au Père que par moi » ?

« En attendant de pouvoir expliquer convenablement le christianisme au musulman, il semble utile de chercher à expliquer l’islam au chrétien, non pour lui présenter une foi alternative, mais pour lui faire sentir quels sont les besoins qui restent inassouvis dans le cœur des musulmans et qui constitueront autant de points de départ pour l’œuvre de la grâce de Dieu, manifestée en Jésus Christ notre Sauveur. » (Paul Gesche). C’est l’ambition de ce numéro.

En particulier, comment les musulmans voient Dieu, Père, Fils et Saint Esprit ou quelle est la place des femmes dans la religion musulmane ou comment Dieu agit pour sauver ceux qui sont droits au travers d’un témoignage. La Bible a-t-elle été falsifiée comme ils le prétendent ?

Il est souvent difficile d’aller évangéliser dans les pays musulmans, mais quelle opportunité d’en avoir tellement à côté de nous. Aussi voyons le musulman comme « mon prochain », comme l’écrivait Charles Marsh.

Comment les aider ? Certainement, avant tout, en les aimant. Pour cela, plusieurs articles de ce numéro nous proposent des pistes concrètes.

Bonne lecture !


« Je n’ajoute foi ni au pape ni aux conciles seuls… Je suis lié par les textes scripturaires que j’ai cités et ma conscience est captive des paroles de Dieu… Je ne puis autrement, que Dieu me soit en aide. » Cette déclaration de Luther devant ses accusateurs, lors de la diète de Worms (1521), donne le ton à la Réforme. Que reste-t-il de cette fidélité au Texte sacré ?

À cette question, les représentants actuels du protestantisme répondent souvent : « Le sens de la liberté individuelle ! » Et de rappeler que la Réforme a contribué au grand mouvement d’émancipation qui, non sans douleurs, a conduit à la reconnaissance des droits fondamentaux de l’être humain, de nos libertés démocratiques… et à l’individualisme des innombrables « vérités » auto-fabriquées.

Faut-il donc incriminer le « libre examen » de la Bible ? Et toute forme de « libre examen » est-elle salutaire.

1) Définitions actuelles et domaines d’application du libre examen

Dans son acception moderne, le « libre examen » est une démarche qui se fonde sur une conviction : tout homme est libre de se forger son opinion sur tout sujet qui l’intéresse.

Le célèbre savant Henri Poincaré (1854-1912) va plus loin : il fait de ce principe la condition de la pensée bien orientée : « La pensée ne doit jamais se soumettre, ni à un dogme, ni à un parti, ni à une passion, ni à un intérêt, ni à une idée préconçue, ni à quoi que ce soit, si ce n’est aux faits eux-mêmes, parce que, pour elle, se soumettre, ce serait cesser d’être. »[note]Propos tenus en 1909 dans le cadre de l’Université libre de Bruxelles, qui se présente elle-même dès 1834 comme le sanctuaire du libre examen.[/note]

Poincaré énonce ici l’idéal de la méthode scientifique moderne, de la démarche dialectique « objective ». Elle se veut universelle et prétend éclairer toute question de morale, de religion, de relations humaines, etc. Son radicalisme soulève trois questions. Au nom de quel « dogme » le libre examen écarte-t-il tous les dogmes ? Où trouver le « libre exaministe » affranchi de tout préjugé ou de toute passion ? Qu’appelle-t-on « les faits eux-mêmes » ?

Mais pour comprendre le libre examen dans son développement historique, revenons à des temps plus lointains.

2) Le libre examen en Occident jusqu’à la Réforme

   a) A l’aube du christianisme

La méthode d’investigation du philosophe grec Socrate (470-399 av. J.-C.) correspond au premier recours systématique au libre examen.[note]Voir « L’idole de l’homme rationnel », dans Promesses no 130 (oct. – déc. 1999).[/note] Examen tellement libre qu’il est parfois perçu par ses contemporains comme subversif ou impie ! Mais derrière son attitude critique envers les institutions politiques, sociales et religieuses, Socrate vise à une connaissance du monde et de soi authentique, convaincu qu’on ne peut rien construire sur la fausseté.

Les écoles philosophiques ultérieures feront la part belle à l’observation pré-scientifique et au discours dialectique. Bien que divisées, elles pratiquent chacune une forme de libre examen qui leur est propre. Ce goût du libre examen accompagne généralement la croyance en un fonctionnement autonome de la pensée humaine et en une possibilité d’échapper aux fausses persuasions.

La Grèce engendre aussi un concept qui influencera la perception du libre examen au cours de toute l’histoire du christianisme : le concept d’« acte volontaire » tel que défini par Aristote (384-322 av. J.-C.) dans son Éthique à Nicomaque. En établissant que nous sommes capables d’actes spontanés (déterminés par nous-mêmes) et intentionnels (dirigés vers un but), Aristote fait de nous des êtres moralement responsables.

700 ans plus tard, l’évêque Augustin d’Hippone (354-430 apr. J.-C.) va intégrer ces éléments dans ses réflexions théologiques pour développer sa notion de « libre arbitre de la volonté ». Il y voit une faculté datant de la Création, à l’origine de notre capacité de bien ou mal faire. Et par conséquent, de notre responsabilité devant les hommes et devant Dieu.[note]Cf.De libero arbitrio.[/note]  Mais plus tard Augustin, devant la montée des hérésies pélagienne[note]Le moine irlandais Pélage (360 ?- 422 ?) ne croyait pas à la doctrine du péché originel. Il accordait par conséquent plus d’importance au libre-arbitre qu’à la grâce, estimant l’homme capable de faire le bien par lui-même et de contribuer ainsi à son salut.[/note] ou semi-pélagienne[note]Les « semi-pélagiens », tels Vincent de Lérins, Jean Cassien ou Faustus de Riez tentèrent d’atténuer les thèses de Pélage en décrivant la volonté humaine comme malade, mais capable de chercher Dieu sans l’aide du Saint-Esprit. Selon eux, la volonté peut faire un premier pas spontané vers Dieu, auquel ce dernier répond en apportant guérison intérieure et salut progressif. Le libre arbitre est ici le déclencheur du salut.[/note], se mettra à enseigner qu’à cause du péché originel, l’homme est devenu entièrement esclave de ses penchants corrompus. En péchant, l’homme opère néanmoins de vrais choix personnels, dont il est responsable. Seule la grâce peut le sauver du naufrage de son libre arbitre. Or, déclarer corrompu le libre arbitre de la volonté, c’est anéantir les prétentions des philosophes.

Au cours des siècles, les diverses obédiences chrétiennes autant que les écoles philosophiques vont établir pour les uns des dogmes, pour les autres des systèmes de pensée dépendant de leur conception particulière du libre arbitre. Un libre arbitre intact et autonome permettra une religion ou une philosophie de tendance humaniste. Un libre arbitre corrompu justifiera un christianisme entièrement tourné vers la grâce, le rôle de l’homme dans la rédemption étant réduit à la foi seule. Un libre arbitre inexistant ouvrira la porte à des perspectives déterministes ou fatalistes.

   b) Vers la Renaissance

L’époque d’Augustin et une bonne partie du Moyen Âge sont marquées par les controverses esquissées ci-dessus. Plusieurs ouvrages sur le libre arbitre sont rédigés, et des conciles stigmatisent les hérésies pélagiennes et semi-pélagiennes[note]

Conciles de Carthage et de Milève en 416, de Carthage en 418, d’Éphèse en 431, d’Orange en 529.[/note]. L’influence augustinienne va dominer pour longtemps dans l’élaboration de la théologie catholique[note]Cf. son ouvrage : « La Cité de Dieu ».[/note].

Une position finit par supplanter celle d’Augustin au sein du système romain : celle de Thomas d’Aquin (1225-1274), auteur d’une Somme théologique monumentale[note]La pensée de Th. d’Aquin y est organisée selon les méthodes de la scolastique médiévale. Cette forme de pensée dialectique se propose de philosopher dans le but de conforter la théologie catholique, mais en s’inspirant largement de la vision particulière d’Aristote. Voir point II,1.[/note]. Par la place de choix que celui-ci accorde à la raison naturelle, estimée capable de découvrir certaines réalités surnaturelles sans l’aide de la Révélation, il réintroduit un libre arbitre semi-pélagien : « la faculté de la volonté et de la raison » (facultas voluntatis et rationis)[note]C’est encore la position officielle du Vatican. Cf. « Catéchisme de l’Église catholique » (Mame/Plon, 1992), I, chap.1 (L’homme est « capable » de Dieu), point 3, § 36 : « La Sainte Église, notre mère, tient et enseigne que Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être connu avec certitude par la lumière naturelle de la raison humaine à partir des choses créées. »[/note]. Dès lors, le catholicisme va de plus en plus atténuer la doctrine du péché originel au profit d’une religion apparemment optimiste quant au potentiel de la nature humaine, mais où le salut n’est plus la prérogative exclusive de la grâce et de la puissance de Dieu.

Au cœur de ce système, le libre examen sera mis sous le boisseau, car tout ce que doivent croire et faire les croyants pour parvenir à la sainteté sera prescrit d’en haut[note]C’est-à dire par le pape, par le magistère et par une tradition qui constitue la seule interprétation agréée de la Bible. Bien que la lecture de la Bible soit recommandée aux fidèles depuis Vatican II (1962-65), rien n’a fondamentalement changé quant à ses modalités d’interprétation. Voir « Catéchisme » I, chap. 2, art. 2, point 3, § 85 : « Le Magistère de l’Église ».[/note], les fidèles ordinaires étant éloignés de l’instruction et de la lecture personnelle de la Bible — et le « salut des âmes » devenant la source intarissable de l’enrichissement du clergé…

Or, la monopolisation du savoir et du pouvoir par l’Église ne correspond pas aux aspirations de tous. Après l’an 1000, un nombre grandissant de religieux s’insurgent contre l’opulence de l’Église et contre les sacrements prétendument salvateurs. Entre le Xe et le XIIe siècles, l’hérésie cathare se dresse contre Rome, avant d’être extirpée dans le sang. Surgissent aussi des « marginaux suspects » comme Pierre Abélard, Maître Eckhart, Marsile Ficin. Mais la Renaissance et la Réforme sont en marche : des dissidents découvrent que, sur la base de leur compréhension personnelle de l’Écriture, nombre d’enseignements et de pratiques de l’Église contredisent scandaleusement le message évangélique. Citons le prêtre défroqué Pierre de Bruys (XIIe s.) ; Amaury de Bène (mort en 1207) ; Pierre Valdo (1140-1217) ; John Wyclif (1331-1384) ; Jan Hus (1369-1415) ; Jérôme Savonarole (1452-1498). Les idées de ces quatre derniers annoncent la Réforme. Tous ces dissidents subiront les foudres de Rome.

3) Époque de la Réforme

Deux formes de libre examen y sont pratiquées :

   a) Le libre examen humaniste.

Le courant humaniste, savant, artistique et libéral, est tout entier habité par la foi en l’Homme devenu « la mesure de toutes choses ». Le libre arbitre y va de soi et le potentiel humain, stimulé par les grandes découvertes, par les progrès des sciences, par la technique de l’imprimerie, par le développement économique, par la redécouverte de la culture antique et par une confiance très forte en l’avenir, ce potentiel donc semble illimité. Le libre examen et l’étude en général sont pratiques normales au sein de la classe supérieure. Pendant le Quattrocento italien, Rome voit dans les performances du génie humain la meilleure démonstration de la vigueur du libre arbitre — pour autant que les créateurs, même pétris de réminiscences « païennes »[note]Comme Michel-Ange, dont certaines œuvres religieuses (Voûte de la chapelle Sixtine ; Chapelle funéraire des Médicis) laissent apparaître un mélange de concepts néoplatoniciens et de christianisme.[/note], travaillent à la grandeur de l’Église.

Sur les instances du pape, le savant Erasme (1467-1536) rédige son Traité du libre arbitre. Selon cet auteur, la volonté naturelle bien orientée peut produire de bonnes œuvres ; elle « coopère » avec la foi pour obtenir le salut.

Mais Rome est parfois dépassée par les thèses hérétiques de certains « libres exaministes » et les heurts sont inévitables. L’histoire se souvient des déboires de Pic de la Mirandole, de Giordano Bruno, de Nicolas Copernic, de Galilée.

   b) Le libre examen réformé.

Les réformateurs Luther et Calvin ne parlent pas tant de libre examen que d’examen (Prüfung chez Luther) au sens où l’Écriture le recommande dans 1 Thes 5.21 : « Examinez toutes choses et retenez ce qui est bon » et dans 1 Cor 2, tout le chapitre, conclu par : « L’homme spirituel juge de tout et il n’est lui-même jugé par personne. » (v.15) Dans leur optique, il s’agit d’un exercice de discernement spirituel réservé à ceux qui ont reçu le Saint-Esprit par la conversion et qui lisent la Parole de Dieu avec le désir d’y obéir ( 2 Cor 13.5). C’est une expression du « sacerdoce universel » des croyants (cf. 1 Pi 2.4,5,9).

L’examen ainsi défini est incompatible avec l’orgueil d’un libre arbitre auto-suffisant. Luther dans sa réponse à Erasme (Traité du serf-arbitre, c.-à-d. « de la volonté esclave ») et Calvin dans son Institution de la religion chrétienne (Livre II, chap. 2) affirment catégoriquement la nullité du libre arbitre dans la rédemption. La Chute a disqualifié celui-ci. Toutefois, Calvin admet que l’homme conserve « un certain désir de connaître la vérité » (II, 2, 12) et que son intelligence ne travaille pas en vain lorsqu’il « s’occupe des réalités terrestres » : vie de la cité, manière de bien diriger sa famille, sciences techniques, philosophie, arts libéraux (II, 2, 13). Il va jusqu’à déclarer « qu’on trouve certaines pensées générales concernant l’honnêteté et l’ordre civil dans l’esprit de tous les hommes. » Ces facultés sont un bienfait de la grâce commune de Dieu (II, 2, 14). Mais, à juste titre, Calvin n’aurait jamais admis que nos aspirations à la vérité ou à l’harmonie civile puissent suffire au fonctionnement d’une cité idéale ou à notre salut personnel.

Calvin exhorte donc le chrétien à ne pas négliger l’exercice des dons naturels que Dieu lui a faits (et la capacité critique, le discernement, le bon sens en font partie), mais en même temps l’enjoint à constamment sonder les Écritures pour nourrir sa foi. Ce double exercice amènera les réformateurs à mettre sur pied un système éducatif ouvert à tous, dans le but de valoriser le travail et la solidarité sociale ; parallèlement, ils encourageront l’instruction chrétienne, la diffusion à large échelle de la Bible et d’ouvrages théologiques. Le système, en Europe et au delà, en donnera de multiples preuves d’excellence[note]Lire à ce sujet « L’obsession calviniste » de G. Mützenberg (Labor & Fides, Genève, 1979).[/note].

4) De la Réforme à nos jours

Quelles furent les conséquences de l’examen de la Bible par tout un chacun, examen dénoncé par l’autorité romaine comme une des grandes tares du protestantisme ?

  1. Deux faits historiques s’imposent

      a) Positivement:
Les pays qui acceptèrent la Réforme vécurent une nette amélioration de leur qualité de vie, de leur niveau général d’instruction et se distinguèrent par leur ouverture au progrès. Au niveau individuel, ceux qui passèrent par une vraie conversion construisirent leur vie sur le fondement d’une Parole lue, comprise et pratiquée. Jusqu’au XXIe siècle, des millions d’individus de par le monde (dans la frange évangélique du protestantisme surtout) ont approché la Révélation biblique de la même manière et confessent encore les cinq « Soli »[note]

Sur « les cinq Soli », voir Promesses no 137 à 141, sept. 2001 à sept. 2002.[/note].  La Bible reste le livre le plus traduit, le plus répandu et le plus lu.
      b) Négativement
Dans leur camp, les réformateurs ne parvinrent pas toujours à contrôler avec mesure toutes les errances des « libres exaministes » de l’Écriture. Ils eurent leurs hérétiques (Servet, Castellion, les sociniens) qu’ils réprimèrent parfois brutalement. Des groupes entiers de la mouvance réformée s’affrontèrent : les anabaptistes, parce qu’ils professaient notamment des convictions fidèles à l’enseignement biblique sur la question du baptême, furent persécutés à la fois par les protestants et par les catholiques.

Une dissension en particulier va secouer la théologie réformée : la querelle arminienne, autour du libre arbitre ! Le fondateur de ce mouvement, Arminius (1560-1609), estimait que le libre examen avait la priorité sur les positions des Églises (réformées ou non). Pour cette raison peut-être, on lui a prêté des vues pélagiennes ou semi-pélagiennes, ce qui semble inexact[note]

Pour une étude approfondie, voir « Jacob Arminius, Theologian of Grace », de K.D. Stranglin et Th.H. McCall (Oxford Univ. Press, 2012), p. 151-164.[/note]. Arminius croyait en la dépravation totale de l’être humain, en la nullité du libre arbitre et au salut par la grâce seule (il professait les cinq « Soli »), mais il affirmait que nul ne sera sauvé sans un acte de foi personnel en Christ. Cet acte n’est possible, selon Arminius et selon l’Écriture, que sous l’effet conjugué de la Parole et de l’Esprit, et en vertu de la seule grâce divine. La grâce rend au pécheur repentant la capacité (non naturelle) de se soumettre à Christ librement. L’acte de foi, parce que « de foi », n’est pas une « œuvre de la loi » (cf. Éph 2.8,9). Les thèses d’Arminius seront combattues par les calvinistes ; le synode de Dordrecht (1618) tentera de mettre fin à ce débat en formalisant les positions calvinistes.

Le protestantisme ne présente donc pas une façade unie.

Qu’en déduire ? Que le libre examen de la Bible est un facteur d’épanouissement spirituel et social, sûrement, mais ne débouche pas facilement sur la concorde : chaque chrétien, chaque église s’y conforme imparfaitement (cf. 1 Cor 13.9-12). Aussi les polémistes catholiques ont-ils eu beau jeu d’attribuer la division du monde protestant au libre examen biblique. Mais pour que la charge ait du poids, il faudrait que la compréhension doctrinale de l’Écriture, version romaine, soit convaincante. Or, quel exemple de cohésion, de fidélité à la Parole de Dieu, de crédibilité de ses plus hauts représentants nous donne l’histoire du totalitarisme romain, truffé d’abus, de doctrines « exotiques » et de scandales ?

À partir du XVIIe siècle, le monde occidental va favoriser une notion optimiste et humaniste du libre arbitre : l’homme, soit par sa raison, soit par sa subjectivité émotionnelle ou par ses intuitions deviendra toujours plus le fondement de toutes choses. Le libre examen de la Bible sera remplacé par le droit de statuer personnellement sur tout. Cette évolution s’observe dans :

– le scientisme et le rationalisme (Bacon, Descartes, Locke, Leibniz, Voltaire, Montesquieu, Kant, Hegel, Comte). De cette tendance naîtront des mouvements parfois antagonistes : déisme, positivisme, naturalisme, évolutionnisme, libéralisme économique, marxisme.

– le préromantisme et le romantisme (Hume, Rousseau, Goethe, Chateaubriand, Hugo et sa nébuleuse). Cette tendance fournira des éléments moteurs au socialisme, aux mouvements d’émancipation, aux idéologies de droite comme de gauche, à l’existentialisme… et à l’individualisme contemporain.

Parallèlement aux religions officielles, diverses pensées se côtoient — et en tête, la mouvance républicaine, révolutionnaire et laïque. Chacune, étrangement, affiche une double ascendance : d’un côté, des valeurs héritées du christianisme (salut, liberté, égalité, fraternité, justice, solidarité, vérité, etc.) et de l’autre des concepts empruntés à diverses traditions philosophiques ou religieuses non chrétiennes[note]Illustre exemple : le messianisme de V. Hugo dans « La Fonction du Poète » (« Les Rayons et les Ombres », 1840).[/note]. Le libre examen touche à tout et dès le XVIIIe siècle, se rêve « encyclopédique »[note]Un des auteurs de l’Encyclopédie, Condorcet (1743-1794), déclare de manière très lyrique : « Mais aujourd’hui qu’il est reconnu que la vérité seule peut être la base d’une prospérité durable, et que les lumières croissant sans cesse ne permettent plus à l’erreur de se flatter d’un empire éternel, le but de l’éducation ne peut plus être de consacrer les opinions établies, mais, au contraire, de les soumettre à l’examen libre de générations successives, toujours de plus en plus éclairées. » Trois ans plus tard, Condorcet s’empoisonne pour éviter l’échafaud… (Cf. « Cinq mémoires sur l’instruction publique », 1791, Garnier-Flammarion, 1994, chap. V du premier « Mémoire : L’éducation publique doit se borner à l’instruction », point 3.)[/note].

Globalement, on est très loin de l’anthropologie et de la théologie des réformateurs. La foi dans le progrès se renforce, en dépit des horreurs des révolutions successives. Quant au libre arbitre, on y croit diversement. Pour J.-J. Rousseau, la libre interprétation de la Bible est fondamentale, mais il ne suit ni le pape ni les réformateurs ; il récuse l’inspiration de l’Écriture, en nie plusieurs doctrines, et penche pour un Dieu sensible au cœur[note]Voir « La profession de foi du Vicaire savoyard » (1762).[/note]. Spinoza déclare que le libre arbitre n’existe pas ; Diderot en débat à l’infini dans Jacques le Fataliste et son maître (1796).

   2. Comment protestants et catholiques traversent-ils cette période ?

      a) Du côté catholique
Pour endiguer les progrès de la Réforme, le pouvoir romain, toujours étroitement accouplé aux puissances séculières, met en place sa Contre-Réforme, crée la Compagnie de Jésus (les Jésuites) en 1534, réactive l’Inquisition. S’ensuivent les impitoyables Guerres de religion (huit entre 1562 et 1598 !), des massacres, des trêves rompues, un fameux édit révoqué (1685), des centaines de milliers de protestants jetés hors de France, etc.

Le libre examen de la Bible sera longtemps très encadré : le simple fidèle, moyennant autorisation expresse de ses supérieurs religieux, ne lit que des traductions autorisées, munies de notes explicatives catholiques. Des punitions sont prévues pour les contrevenants[note]Voir « l’Index du Concile de Trente » (1564), règle 4.[/note].

Depuis ces sombres années, l’Église de Rome, souvent clouée au pilori par les Lumières et contestée par d’innombrables mouvements libertaires, a dû faire son aggiornamento[note]

Le terme, qui signifie « mise à jour », a été utilisé par Jean XXIII pendant ce concile. Il voulait exprimer le fait que l’Église était disposée à se réformer, mais sans rupture avec la Tradition. Le concile a ainsi donné l’impression que l’Église catholique allait devenir plus « démocratique » en favorisant par exemple certains ministères laïcs ou en encourageant chacun à la lecture biblique. Le toilettage n’a rien changé au fond.[/note] sans attendre le concile Vatican II (1962) : au sein des officines vaticanes, une armada de têtes pensantes ont soigneusement scruté les tendances du temps pour répondre aux détracteurs de la manière la plus efficace, et de nos jours, la plus diplomatique.

Désormais, les autorités vaticanes ne sont plus avares d’éloges sur les « apports utiles » de la Réforme. On se demande mutuellement pardon. Le ton se veut conciliant, la pensée œcuménique, le vocabulaire évangélique, même la justification par la foi semble faire l’unanimité[note]Voir la « Déclaration conjointe sur la doctrine de la justification » publiée par la Fédération luthérienne mondiale et l’Église catholique, 1998.[/note]. Mais que nul n’en doute : le centre est à Rome, le pape au sommet, le catéchisme la règle, le magistère en place, et la Congrégation pour la doctrine de la foi (qui en 1965 a remplacé les institutions héritées de l’Inquisition) est seule compétente pour protéger la doctrine et les mœurs[note]Voir notes 9 et 10 de cet article.[/note]. Quant aux « frères séparés » protestants, ils sont les bienvenus à la maison.
      b) Du côté protestant
Les Églises officielles, à de notoires exceptions près, vont subir l’influence des tendances humanistes et rationalistes. Une lente dérive vers le libéralisme théologique et vers une vision de la foi de plus en plus « privée » s’y manifeste. Le libre examen se déconnecte des questions centrales de la Révélation, résumées en Rom 3.23,24 : « Car tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu ; et ils sont gratuitement justifiés par sa grâce, par le moyen de la rédemption qui est en Jésus-Christ. » La Bible sera, surtout dans la deuxième moitié du XIXe siècle, soumise à la critique d’un libre examen guidé par la raison souveraine et excluant le surnaturel.

La distance critique prise par le protestantisme académique à l’égard de la Révélation biblique se module selon plusieurs écoles, mais ce qui frappe, c’est l’insistance sur la liberté individuelle, sur un libre examen élargi aux dimensions d’une religion coupée sur mesure. À témoin, ce commentaire de l’Oratoire du Louvre (de tendance protestante libérale) : « L’Église Réformée de France est une église chrétienne appartenant à la famille du protestantisme. Elle professe une religion fondée sur la Bible et la relation personnelle avec Dieu. La liberté individuelle lui semble une valeur fondamentale. Ce n’est pas l’Église qui détermine ce qu’il faut croire ou faire. Dans le protestantisme, il n’y a pas d’autorité dogmatique, ni d’excommunication, ni de commandements d’ordre éthique. Cela implique que chacun est responsable de sa foi et de son comportement et est appelé à réfléchir par lui-même pour construire ses propres convictions à partir de la Bible. [… À propos de la Réforme] Par conséquent il fallait enseigner une foi qui soit de confiance en Dieu et de relation personnelle avec lui plutôt que d’obéissance à l’Église et d’adhésion aveugle à sa doctrine. Le protestantisme né de cette Réforme du christianisme a progressivement façonné un individu nouveau, conscient de sa liberté de chrétien, et une société nouvelle fondée sur la responsabilité [note] https://oratoiredulouvre.fr/protestantisme.php en déc. 2016. Dans la citation, c’est nous qui soulignons.[/note] ».

Un libre arbitre (un ego ?) surdimensionné, un minimum de contrôle ecclésiastique et un libre examen fondateur de « ma vérité » : voilà le programme. Est-ce bien cela ?

5) L’examen vital que Dieu a prévu

Nous, chrétiens évangéliques, nous réclamons souvent de l’esprit et de la méthode des Réformateurs. Qui d’entre nous ne confesse pas que la Bible est sa seule norme de foi et de conduite ? Or, en moyenne, nous la fréquentons de moins en moins, nous contentant de rudiments ou de divertissements. Aussi constituons-nous de plus en plus des proies faciles pour les marchands d’évangiles frelatés, et notre témoignage se perd. Il est urgent que nous redécouvrions notre héritage « réformé », que nous y replongions nos racines et y retrouvions la joie, la maturité spirituelle et l’espérance qui devraient nous caractériser (cf. Éph 4.11-16).

Si nous sommes conscients qu’un libre examen comme celui que prêchait Henri Poincaré (cf. point I) n’est pas recevable en matière de foi, pratiquons donc résolument le nôtre. À nous d’« examiner » sous le regard de Dieu, sans jamais chercher à « dominer » notre sujet. Le « fait » de notre observation, c’est Christ. Le but de notre recherche, c’est son règne et la gloire de Dieu. Notre guide, c’est l’Esprit. Notre héritage, le salut et la vie éternelle – la vraie liberté. À l’exemple des Réformateurs, soyons persuadés que l’exploration de la Parole de Dieu est l’examen vital dont tout le monde a besoin. Et pour cela, laissons l’auteur de la Révélation nous sonder et nous examiner sans condition (cf. Ps 26.1-3 ; 139.23,24 ; Héb 4.12,13 ; Pr 2.1-11). Cet examen est sûrement le meilleur antidote aux égarements du « chacun faisait comme il lui semblait bon. » (Jug 21.25b).