PROMESSES
T. Ernest Wilson1 a écrit : « Le but de toute œuvre missionnaire des assemblées est de planter des églises néotestamentaires sur sol indigène, totalement autonomes, sans aucune domination étrangère, et dépendant du Saint-Esprit pour leur direction et progrès. Tandis qu’on poursuit des activités médicales, éducatives et sociales, l’objet principal n’en reste pas moins l’établissement de l’église indigène ».
Cette déclaration soulève un certain nombre de questions : Qu’entend-on par églises néo-testamentaires ? Quels principes le N.T. nous donne-t-il pour l’établissement de l’Église ? Ces principes fonctionnent-ils aujourd’hui ?
A. Principes directeurs
Qu’est-ce que l’Église ?
Trois mots grecs nous aideront à comprendre la signification de ce mot.
1. Ekklésia
Ce mot vient du verbe ekkaléô, qui signifie littéralement « appeler en dehors de ». Il désignait le gouvernement municipal d’Athènes, où des représentants de différents groupes dans la société étaient appelés pour, en quelque sorte, « sortir de leurs groupes » et se réunir, se trouver ensemble dans un but précis. Ainsi, l’Église n’est ni un bâtiment ni une institution mais un rassemblement de personnes qui ont quelque chose de très important en commun : elles ont répondu à l’Évangile, la Bonne Nouvelle du Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, qui est venu dans le monde, a souffert et est mort pour leurs péchés, puis est ressuscité. Elles se sont repenties de leurs péchés, ont mis leur confiance en Jésus, reconnaissant en lui leur Sauveur et leur Seigneur. Pardonnées et adoptées dans la famille de Dieu, elles sont rassemblées pour des raisons que nous évoquerons plus loin.
Le mot ekklésia est utilisé dans deux sens :
• Dans un sens universel, unissant tous les croyants partout et en tout temps en une seule grande famille spirituelle. Le Seigneur, par exemple, dit à Pierre « Je bâtirai mon Église » (Mat 16.18). Paul écrit que par l’Église « la sagesse de Dieu doit être connue » (Éph 3.10).
• Dans un sens local, faisant allusion aux croyants qui se réunissent à une époque et dans un lieu particuliers, où ils agissent comme une congrégation visible, tangible. Ainsi, notre Seigneur donne des instructions à l’église locale sur la manière d’exercer la discipline (Mat 18.15-20). De nombreuses fois, les apôtres adressent leurs lettres à des églises locales. Notre étude ici sera consacrée à cette utilisation du mot.
2. Koinônia
Koinônia vient de koinos : « commun ». Le mot parle de la communauté et de l’unité. Un exemple merveilleux nous est donné dans Actes 2.41-47, où les premiers chrétiens avaient tout en commun, tandis qu’ils se consacraient à l’enseignement des apôtres, à la communion fraternelle, à la fraction du pain et à la prière.
Cette communion dans l’unité s’exprime de plusieurs manières :
• la louange et l’adoration,
• la prière,
• l’évangélisation des non-convertis,
• l’édification des croyants,
• les conseils pastoraux,
• les services sociaux.
Notre Seigneur a donné à ses disciples un exemple de ce ministère « holistique » en enseignant, prêchant, nourrissant les affamés et guérissant les malades (Mat 9.35) ; puis il les a envoyés faire la même chose (Mat 10.1s).
3. Kuriakê
Kuriakê dérive de kurios : « Seigneur ». Il nous rappelle que l’Église appartient au Seigneur ! C’est lui qui l’a fondée, qui la bâtit et qui la dirige par l’intermédiaire de la Parole et du Saint-Esprit. Il n’a pas dit à Pierre : « Je bâtirai ton Église », pas plus que : « Tu bâtiras mon Église » ni même : « Vous bâtirez votre Église ». Non ! Il a dit : « Je bâtirai mon Église ! »
Autonomie de l’église locale
Alors que les apôtres missionnaires voyageaient et prêchaient l’Évangile, ils fondaient des églises locales, les laissaient sous la direction d’anciens, et les confiaient au Seigneur (Act 14.21-23). Les premiers chapitres de l’Apocalypse contiennent des lettres adressées par le Christ individuellement à sept églises différentes, chacune de celles-ci étant responsable directement envers lui.
Une église autonome, par définition, se gouverne elle-même. Elle n’est soumise à aucun synode, conseil ou hiérarchie, soit religieux soit politique. L’Histoire dénonce la tendance vers la centralisation d’autorité qui a marqué l’évolution malsaine, non-biblique, de l’Église au travers des siècles.
L’église locale doit-elle pour autant « se débrouiller seule », indépendamment de toute relation extérieure ? Pas du tout. Les églises locales ont besoin les unes des autres pour la communion fraternelle, la communication, la collaboration et la consultation. Le peuple de Dieu est appelé à former une famille spirituelle de frères et sœurs dans la foi qui donnent, reçoivent exhortation et encouragement spirituels. En conséquence, l’église, l’assemblée locale, apprend à être responsable directement envers le Seigneur, développe la force nécessaire pour repousser toute attaque hostile, et reste assez souple pour s’adapter à la culture locale. N’ayant pas d’autorité centralisée qui pouvait être directement visée, les assemblées en Allemagne pendant l’ère nazie ont été protégées de l’interférence par ce régime dictatorial. Il y a plus de 40 ans T. E. Wilson écrivit à ce propos : « À travers la brousse et dans pratiquement toutes les villes [de l’Angola], on peut trouver des rassemblements de chrétiens africains, complètement indigènes, qui se réunissent de la manière la plus simple, voire primitive, et cherchent à répandre l’Évangile parmi les leurs. Leur seule littérature est la Bible ou le Nouveau Testament traduit dans leur propre langue, un recueil de cantiques qu’ils aiment – car ils sont un peuple musical qui aime chanter – et peut-être un ou deux traités sur le baptême et l’ordre ecclésiastique […]. Il y a littéralement des centaines de tels groupes en Angola aujourd’hui, qui se multiplient constamment en nombre malgré les difficultés qui viennent de sources diverses 2 ».
En plus de son autonomie, l’église locale veille à son indépendance financière et à sa multiplication par l’évangélisation.
B. Gouvernement collégial
1. Anciens
Selon un texte déjà évoqué (Act 14.23), Paul et Barnabas « firent nommer » des anciens dans chaque église locale. Nous ne sommes pas renseignés sur la manière exacte dont il l’ont fait. Ils ont probablement respecté la coutume des synagogues juives. Paul écrit à « tous les saints en Christ-Jésus qui sont à Philippes, aux évêques et aux diacres » (Phil 1.1). Il exhorte les Thessaloniciens à « avoir de la considération pour ceux qui travaillent parmi vous, qui vous dirigent dans le Seigneur et qui vous avertissent » (1 Thes 5.12 ; Héb 13.17). Les anciens portent deux appellations :
• Presbuteros (litt. plus âgé) : indique la maturité de l’expérience spirituelle, et la sagesse ;
• Episkopos (du verbe episkopéô, veiller sur) : indique la nature de leur ministère de surveillants, capables de diriger l’assemblée.
Deux passages soulignent leurs qualités morales et spirituelles (1 Tim 3.1-7 ; Tite 1.5-9). La manière de les choisir est moins importante que la nécessité qu’ils soient reconnus par l’assemblée en vertu de leur caractère et de leur engagement actif dans la vie et le bien-être de l’église. Une pluralité d’anciens protège contre le danger de domination par un seul homme.
2. Diacres
Le mot diakonos est souvent utilisé à travers le Nouveau Testament, généralement dans le sens de « serviteur ». Paul reconnaît toutefois un groupe officiel d’hommes, à côté des anciens, qu’il appelle « diacres » (Phil 1.1). Leur origine remonte probablement au moment où les apôtres demandent à l’Église de choisir des hommes pleins de foi, du Saint-Esprit et de sagesse, qui les libéreraient de considérations pratiques, leur permettant de se consacrer à la prière et au ministère de la Parole (Act 6.1-7). L’expression « servir aux tables » semble indiquer qu’ils auraient le rôle d’être des aides, des serviteurs en choses pratiques3. Nous ignorons si la femme Phoebé était simplement une « servante » de l’église à Cenchrées, ou si elle avait le titre officiel de « diaconesse » (Rom 16.1-2).
C. Ministères multiples
Le ministère d’un seul homme ne peut jamais couvrir tous les besoins d’une église locale, car aucun homme ne possède toutes les qualifications indispensables. C’est la raison pour laquelle divers membres ont diverses « manifestations » du Saint-Esprit sous la forme d’un ou de plusieurs dons spirituels (charismes). Ce sujet mériterait une étude complète en soi, mais nous devons nous contenter ici d’un bref survol. Paul consacre plusieurs passages d’enseignement à ce propos 4 . Le but principal des ministères multiples est d’édifier les saints, de les conduire vers une unité plus grande, vers la maturité et la stabilité, de les exhorter, de les consoler, afin que, par la qualité de leur vie, ils confessent que « Jésus est le Seigneur ».
Le Saint-Esprit est souverain, et libre de distribuer les dons spirituels comme bon lui semble. Paul nous encourage à « aspirer aux dons les meilleurs » (1 Cor 12.31). Les dons d’importance primordiale, toujours valables, sont ceux qui équipent les évangélistes, les pasteurs-enseignants, les aides, les administrateurs, et qui permettent le discernement des esprits. Sans l’amour ces dons restent inutiles. Les croyants – anciens en particulier – devraient encourager les membres à s’engager activement dans la vie de l’église, montrant de cette manière qui possède l’aptitude pour quel ministère.
D. Sacerdoce universel des croyants
S. Ridout5 souligne que dans l’Ancien Testament le service religieux était centré sur l’adoration : le sanctuaire, la prêtrise, les sacrifices, les temps prescrits et les fêtes. Mais tout cela, dit-il, était provisoire et incomplet. Le Christ est venu, le voile a été déchiré, et nous avons maintenant la hardiesse d’entrer dans le lieu très saint par le sang de Jésus. « L’adoration chrétienne a sa source dans une œuvre de rédemption accomplie : son objet est Dieu le Père et le Fils ; sa place est la présence de Dieu ; sa puissance est le Saint-Esprit ; sa matière sont les vérités pleinement révélées dans la Parole de Dieu ; et sa durée est l’éternité ». Tous les croyants sont sacrificateurs (1 Pi 2.5,9) et seuls les croyants le sont ! Ridout de continuer : « La grande occasion pour adorer est quand les croyants sont réunis le premier jour de la semaine pour rompre le pain. La louange, sans être limitée à ce moment là, s’y exprime de la façon la plus complète […]. Le Seigneur est au milieu de nous pour conduire nos accents de louange (Héb 2.12). Le Saint-Esprit est présent pour guider, selon la Parole (1 Cor 14.25) ; et les symboles qui rappellent l’amour du Sauveur manifesté dans sa mort sont là pour être partagés. » Les sacrifices de l’Ancien Testament ont cédé la place à des « sacrifices spirituels » de louange dans le chant, la prière, la lecture et la méditation de la Parole, et la participation au pain et à la coupe.
E. Deux ordonnancs
Le Seigneur a institué le baptême d’eau (Mat 24.19) et le repas du Seigneur (Mat 26.17s). Le baptême du croyant par immersion, accordé à ceux qui le demandent comme une confession publique de leur foi en Christ et leur engagement envers lui, est un acte simple d’initiation, normalement administré par un ancien. Le repas du Seigneur est, dans les mots de S. Ridout, « une fête commémorative […] où le peuple du Seigneur, réuni auprès de lui, se souvient de son amour plus fort que la mort6 ».
F. Ces principes fonctionnent-ils aujord’hui ?
En 1975, une guerre civile qui devait durer 27 ans a éclaté en Angola. Parmi les missionnaires qui devaient quitter le pays figuraient mes parents, qui avaient consacré plus de 50 ans à une œuvre paisible centrée sur Kavungu, à l’extrême est du pays dans la région du haut Zambèze. Ils ont mis deux valises dans leur voiture et sont partis vers le sud jusqu’en Zambie, laissant derrière eux toutes leurs possessions personnelles. Ils ont aussi laissé deux assemblées, des anciens formés et préparés pour l’épreuve, un dispensaire médical, une école primaire, et la Bible traduite dans la langue Luvale.
Ils se sont retirés, âgés de 75 ans, aux États-Unis, où ma mère est décédée en 1979, et mon père l’a rejointe 17 ans plus tard, âgé de 95 ans. La dernière fois que je l’ai vu, quelques mois avant son départ, il se demandait tristement s’il restait quoi que se soit de leurs labeurs. Il se pouvait que tous les croyants soient morts… J’ai écrit à une missionnaire de ma connaissance à Chavuma, juste de l’autre côté de la frontière en Zambie, lui demandant si elle avait des nouvelles. J’ai pu transmettre sa réponse stupéfiante à mon père, pour le consoler, juste avant son départ pour la gloire.
Alors que le pays était encore fermé aux blancs, des croyants africains avaient fait le voyage vers le nord, et étaient revenus pour dire que les réfugiés rentraient au pays afin de reconstruire à partir de zéro, et que des anciens des assemblées organisaient des retraites pour enseigner l’Écriture, en utilisant la Bible traduite en Luvale par mon père. Au milieu de toute cette souffrance atroce et du dénuement absolu, des maisons détruites et des champs dévastés, les églises se sont multipliées pour atteindre près de 70 congrégations en 2007. Aujourd’hui, vous représentez 500 000 croyants réunis dans 2 000 communautés locales à travers 15 des 18 provinces de l’Angola !
« C’est de l’Eternel que cela est venu : c’est un miracle à nos yeux. C’est ici la journée que l’Eternel a faite : à cause d’elle, soyons dans l’allégresse et la joie ! » Ps 118.23-24
1 Angola Beloved, Loiseaux Brothers, 1967, p. 15. T. Ernest Wilson fut un des missionnaires pionniers des Assemblées de Frères qui ont commencé une œuvre en Angola dès 1884.
2 In Angola Beloved, Loiseaux Brothers, 1967, p. 16.
3 Voir les qualités nécessaires décrites en 1 Tim 3.8-13.
4 Voir 1 Cor 12 à 14 ; Rom 12.3-8 ; Éph 4.1-16.
5 VThe Church and its Order According to Scripture, Loiseaux Brothers, 1915, pp. 42ss.
6 Op. cit. p. 36.
Ce que j’apprends de positif de l’église émergente
– Ils ont probablement raison de penser que le monde évangélique traditionnel est devenu plus théorique et théologique que pratique.
– Il n’y a rien de mal à s’exprimer dans la langue de sa culture.
– Ils veulent un culte qui s’appuie sur davantage de concret. J’avoue le désirer aussi, parfois. Ce que je crois comprendre, c’est qu’ils voudraient une adoration de type charismatique sans en adopter toutefois la théologie. Leur position de base est une sorte de flou, à mi-chemin entre l’univers charismatique très émotionnel et le froid des évangéliques conservateurs à la théologie rigide.
– Il y a du vrai dans le fait que des instituts bibliques traditionnels n’ont pas enseigné aux pasteurs à être pasteurs mais plutôt à prêcher. Cela a pu favoriser l’apparition de certains pasteurs émergents. Nous devons être plus impliqués dans la vie des gens.
– Ils prennent le temps de lire ce qui concerne leur culture, activité qu’ils définissent comme étant « missiologique ». Les traditionalistes ne font que lire la Bible, activité qu’ils définissent comme étant « théologique ». Il serait probablement plus sain de pratiquer un certain équilibre : étudier de manière rigoureuse la Parole tout en nous intéressant à notre culture. Évitons les extrêmes. Soyons « biblico-culturologique » (terme que j’invente).
– Ils ont soif d’adoration et de spiritualité : voilà un désir qui, dans nos milieux, manque de vie et d’expression et peut même paraître mort à certains moments. Nous craignons d’exprimer nos émotions comme si c’était un péché.
– Notre évangélisme traditionnel : une théologie surtout, mais faible au moment de l’appliquer dans le ministère. Leur évangélisme pragmatique : une pratique surtout, mais faible au moment de la fonder théologiquement. Le danger serait de retomber dans une de leurs expressions incomplètes de la foi. Encore une fois, cela devrait nous pousser à harmoniser la théologie et la pratique.
Ce que je perçois comme négatif dans l’église émergente
– Définir ce qu’est l’Église émergente est très difficile, et c’est précisément le problème de tout mouvement postmoderne : leur apparition est précisément liée au désir de se démarquer des concepts traditionnels. La vérité scripturaire énoncée en est affaiblie. Je crois même pouvoir dire que la vérité biblique devient très relative et sujette à être redéfinie. Leurs pensées sur des questions théologiques semblent fuyantes et difficiles à cerner.
– J’ai souvent l’impression qu’il ne s’agit que d’un reconditionnement de christianisme dans un emballage plus « cool ». Le vocabulaire est nouveau, il fait plus jeune et dans le vent, tout comme le fait de remplacer les chaises de l’église par des canapés rend la chose avant-gardiste. Ces pratiques affaiblissent le christianisme. Ceci dit, utiliser des canapés plutôt que des chaises, est-ce fondamentalement mauvais ? Non. Mais il se pourrait qu’ils aient tort de vouloir reconditionner la vérité au point de la modifier.
– Ils fuient toute confrontation. Tout le monde est accueilli, et il semble qu’il y ait un refus d’affronter le péché, alors que les prophètes de l’A.T. l’affrontaient courageusement avec aplomb. Mark Driscoll fait exception à cette règle. Il ose clamer la vérité en termes de « tout noir ou tout blanc ».
– Est-ce tout simplement une théologie emballée pour la rendre agréable et acceptable par le monde et ceux qui n’ont pas la foi ?
– Ils ont tendance à critiquer l’enseignement traditionnel des instituts bibliques.
– Leurs pasteurs se posent des questions théologiques à partir de la pratique et non de manière abstraite. Le problème, c’est qu’ils semblent induire leurs réponses théologiques en se fondant plus sur leurs opinions pratiques que sur la Parole de Dieu, ce qui est dangereux.
– Ils peuvent pousser leur désir de « mystère » un peu trop loin. Ils veulent une « vue plus dégagée de la part de la théologie », ce que l’on peut interpréter pour un « changement de théologie », c’est-à-dire un éloignement de la position du christianisme historique.
– Le mouvement semble dériver vers une théologie abstraite, où ce qui fait autorité ne vient pas de la Parole de Dieu mais de l’argumentation rationnelle et d’une apologétique faisant appel aux preuves externes (archéologie, réalisations de prophéties messianiques, etc).
David est plusieurs fois appelé le « berger » du peuple d’Israël (Ps 78.71-72). Il est ainsi le précurseur du bon Berger. Ceux qui ont une place de responsabilité dans l’Église sont aussi appelés à être pasteurs à leur tour (Jér 17.16 ; 1 Pi 5.1-5). De ce fait, l’histoire de David est bien apte, encore aujourd’hui à donner quelques indications utiles pour conduire le peuple de Dieu.
Cependant, la lecture et l’interprétation des livres historiques sont particulièrement délicates. Le N.T. indique clairement que ces livres contiennent un enseignement moral pour nous, aujourd’hui (1 Cor 10.11 ; Rom 15.4). Néanmoins, cet enseignement est rarement explicite et le texte ne donne pas souvent la façon dont Dieu apprécie les événements et les comportements des personnages1
De plus, s’y ajoute une distance temporelle et culturelle importante.
Tout cela incite à être prudent dans nos interprétations et à laisser place pour d’autres applications que celles proposées ici.
A. AVANT SON ACCESSION AU TRÔNE
Un potentiel
Dans les entreprises, se développent les « Comités de Développement de Carrière » (CDC) où les dirigeants essaient d’identifier les futurs leaders de l’entreprise en détectant les « potentiels ». Mais Dieu n’était pas d’accord avec le CDC que Samuel entreprend à Bethléhem (1 Sam 16.7). Dieu regarde au cœur, et il voit chez David des qualités de cœur pour son Dieu que sa vie lui permettra d’exprimer.
David a des dons naturels évidents : physiques (1 Sam 16.12a,18), musicaux (1 Sam 16.18), etc.
( Nos dons naturels sont à mettre au service de leur Donateur.
David est le huitième de sa fratrie et apparemment méprisé par ses frères. Ce n’est pourtant pas un obstacle dans sa vie ultérieure : il n’a pas été traumatisé par une enfance sans doute difficile.
( Dieu peut se servir valablement de toute personne, quels qu’aient pu être ses antécédents.
Un choix divin
– David était le roi selon le cœur de Dieu (1 Sam 13.14 ; 16.12b). Le choix de Samuel venait directement de Dieu.
( Dans le NT, Dieu « a établi dans l’Église » des personnes qu’il a qualifiées en vue de certaines fonctions (1 Cor 12.28). Le choix est divin, mais le chrétien doit accepter la place que Dieu lui donne : les deux vont de pair.
– David a reçu une onction particulière : « L’Esprit de l’Éternel saisit David, à partir de ce jour et dans la suite. » (1 Sam 16.13)
( Plus qu’autrefois, l’Esprit habite aujourd’hui en chaque croyant et le qualifie pour un service : si ce n’était son action directe pour nous permettre de remplir notre mission, nous ne pourrions pas y faire face.
– Peu après, David est amené à faire état de ses victoires secrètes quand il était berger (1 Sam 17.34-36). Son témoignage des luttes remportées est crédible, car Saül n’hésite plus à l’envoyer.
( Le choix divin qualifie, mais il ne peut aller qu’avec une préparation personnelle qui passe par des victoires remportées dans le secret.
Une reconnaissance publique
– Par Jonathan : David a vaincu Goliath. Jonathan, immédiatement après, s’attache à lui (1 Sam 18). Cet attachement sera plus fort que les manœuvres de Saül (1 Sam 20 ; 23). Jonathan aurait pourtant pu prendre ombrage des succès de David : il en avait lui-même remporté autrefois (1 Sam 14) et il était l’héritier naturel du trône ; mais il reconnaît le leadership de David et s’y soumet avec joie.
( La reconnaissance publique par d’autres responsables est indispensable pour que le leader puisse y jouer son rôle (Gal 2.9).
– Par le peuple : Le peuple « aimait » David (1 Sam 18.16).
( Le leader doit susciter l’affection de ceux qu’il est chargé de guider et cette affection vient naturellement si les gens sentent qu’il veut et cherche leur bien, et s’intéresse à eux. Il est reconnu par les membres de son église locale (1 Thess 5.12).
– Par Mical : Elle aussi aime David (1 Sam 18.20,28). David devient le gendre de Saül.
Une transition difficile
Mettons-nous à la place de Saül : il n’est pas facile de voir un jeunot avoir plus de succès que soi, de devoir laisser la place qu’on occupait depuis des années, etc. Saül en nourrit de la jalousie. Il se montre égocentrique. Il veut garder le pouvoir.
Il peut arriver que notre service soit contesté par quelqu’un qui s’accroche à sa fonction et perd de vue que le troupeau n’est jamais le sien, mais celui de Dieu.
David n’anticipe cependant pas le temps de Dieu : deux fois en position de tuer facilement Saül, il s’en défend vivement et refuse de porter la main sur celui qu’il considère toujours comme « l’oint de l’Éternel » (1 Sam 24 ; 26).
( Apprendre la patience pour attendre son temps est un exercice difficile, mais il permet d’acquérir une crédibilité qui, autrement, est entachée.
David en profite pour grandir : en témoignent les semaines passées auprès de Samuel à Naioth (1 Sam 19.18). L’expérience et l’influence du pieux conducteur durent être très bénéfiques au jeune David.
( Si notre service subit un contretemps, c’est peut-être une bonne occasion pour forger notre caractère par la patience, pour étudier plus, pour approfondir notre vocation, etc.
Un leader
– Il sait faire avec le peuple qu’il a : le ramassis de personnes qui s’agglutinent autour du fugitif en 1 Samuel 22.1-2 est loin de l’armée d’élite que David aurait pu souhaiter, mais il va s’occuper d’eux et en faire une troupe d’élite.
( Dans nos églises, nous aimerions bien n’avoir que des frères et des sœurs matures, fondés dans l’Écriture, engagés dans le service, équilibrés, etc., et nous avons affaire à des « bras cassés » qu’il nous faut aider, à des « bébés dans la foi » qui nécessitent des soins constants, etc. Sachons ne pas nous décourager, mais amener ceux qui nous sont confiés à grandir.
– Il ne refuse pas les recrues de choix : Abiathar a vu sa famille sacerdotale décimée et rejoint David avec l’éphod qui servait à interroger Dieu (1 Sam 22.20-23 ; 23.9). Il lui sera particulièrement utile dans ce temps d’errance.
( Sachons apprécier les chrétiens de qualité que Dieu met sur notre chemin et utiliser leurs talents.
– Il sait susciter les vocations : quand il s’agit d’accomplir une mission dangereuse dans le camp ennemi, David pressent deux de ses lieutenants (1 Sam 26.6), tout en laissant le choix. Abishaï se décide et David profitera de l’escapade pour lui montrer un magnifique exemple de grâce (1 Sam 26.8-11).
( Enseigner la grâce à de plus jeunes qui nous suivent est sans doute la plus grande leçon que nous puissions leur donner.
– Il sait partager avec équité : les guerriers victorieux des Amalécites ne voulaient pas partager le butin avec leurs frères trop fatigués pour aller jusqu’au bout. David, au contraire, édicte un principe d’égalité qui sera maintenu dans la suite (1 Sam 30.24).
( De même, Paul indique l’importance, dans le corps de Christ, d’avoir un « égal soin les uns des autres » (1 Cor 12.25). Le leader dans l’église devra être particulièrement attentif à ce que ce soit le cas, tant de sa part que de celle des autres.
Un écart
Il est triste de lire la compromission de David chez les Philistins d’Akish (1 Sam 27). Il est obligé de biaiser vis-à-vis de son hôte.
On peut bien penser que les dissimulations et les mensonges de David produiront des fruits amers bien plus tard : il est fort possible que la conduite de David ait influencé Absalom, qui agira envers son père de cette manière.
( Notre exemple parle plus fort que nos paroles, dit-on souvent — à raison. Un manque de droiture peut avoir des conséquences dramatiques dans l’avenir. Aussi exerçons-nous à être « irréprochables » (1 Tim 3.1).
Mais, une fois au bout de ses possibilités humaines, David se tourne rapidement vers Dieu. Quand ses soldats parlent de le lapider, il se fortifie instantanément en son Dieu (1 Sam 30.6).
( Un leader peut chuter, mais il sait se relever (Pr 24.16), sans rester paralysé par le poids de son écart. Pierre en sait quelque chose : une fois revenu de son reniement, il pourra continuer à être utile en affermissant ses frères (Luc 22.32).
B. APRÈS SON ACCESSION AU TRÔNE
Son intelligence des situations
– Vis-à-vis des anciens de Juda : David, victorieux des Amalécites, envoie immédiatement un cadeau à ceux qui l’avaient soutenu dans son errance (1 Sam 30.26). Il sait être reconnaissant.
– Vis-à-vis des gens de Jabès : ces courageux transjordaniens vont chercher les corps de Saül et de ses fils. David, dès qu’il l’apprend, les en félicite (2 Sam 2.5), sans montrer d’esprit de revanche par rapport à ceux qu’il aurait pu considérer comme des soutiens pour la dynastie ennemie. Au contraire, il prépare l’avenir.
– Lors de la mort d’Abner (2 Sam 3) : face au meurtre indigne du chef de l’armée adverse, David montre immédiatement son refus de telles pratiques et accorde des funérailles nationales à Abner. Là encore, il se montre « au-dessus des partis ».
– David, après avoir attendu la mort de Saül, puis sept autres années, est enfin roi sur Israël. Les anciens d’Israël savaient pertinemment que David était le choix de Dieu (2 Sam 5.2) et ils auraient pu reconnaître David plus vite, mais ce dernier a su attendre son temps.
( Comme David, un leader se doit d’agir avec droiture et ouverture, même vis-à-vis de ceux qui ne partagent pas toutes ces vues. Il doit avoir l’intelligence des situations pour désamorcer de possibles conflits par une attitude appropriée.
Ses qualités morales
– L’humilité : « David reconnut que l’Éternel l’affermissait comme roi d’Israël, et qu’il élevait son royaume à cause de son peuple d’Israël. » (2 Sam 5.12)
( Si quelqu’un a une position d’autorité, c’est que Dieu la lui a donnée et non pas pour lui-même, mais pour le peuple de Dieu. Comment alors s’en enorgueillir (1 Cor 4.7) ?
– La souplesse : face à deux attaques identiques des Philistins (2 Sam 5.16-25), David ne se repose pas sur la première victoire, mais interroge Dieu pour remporter la seconde, par un moyen tout différent.
( Une des qualités principales de l’ancien est de ne pas être « adonné à son sens », c’est-à-dire pas arrogant, pas borné, pas buté (Tite 1.7), mais ouvert à agir différemment, à se remettre en cause, si Dieu le montre.
– La générosité : l’attitude de David vis-à-vis de Méphibosheth est sans doute la meilleure illustration de la grâce dans l’A.T. (2 Sam 9). Au double titre de son ascendance et de son infirmité (2 Sam 5.8), le petit-fils de Saül n’avait rien à faire valoir. Mais David l’accueille magnifiquement.
( Un vrai leader sait passer au-dessus de préventions personnelles et se montre généreux envers tous, quels qu’ils soient.
– La spontanéité : face à l’arche qui arrive enfin à Jérusalem, David ne peut contenir sa joie et danse sans retenue (2 Sam 6.14-16). Mical lui en fait le reproche, mais David n’en a cure : son Dieu d’abord !
( Quand nous exprimons une louange spontanée dans l’église, nous dévoilons forcément l’intimité de notre vie spirituelle avec le Seigneur ; aussi encourageons-nous à le faire, pour la joie et le bien de tous.
Ses relations familiales
– Ses femmes : nous avons déjà noté que David avait commencé à en avoir plusieurs (2 Sam 5.13). Une fois roi, il continue à en ajouter, femmes de premier rang et concubines, contrairement à l’avertissement divin (Deut 17.17). Salomon imitera son exemple, en pire.
– Son mauvais exemple : inutile de revenir sur l’histoire de la femme d’Urie le Hétien (2 Sam 11), très connue. David, repris par Nathan, montre sa droiture par rapport à Dieu en reconnaissant rapidement sa faute (2 Sam 12.13).
( Agissons-nous toujours ainsi ou bien préférons-nous nous chercher des excuses ? Mais son inconduite vis-à-vis de Bath-Schéba peut expliquer (sinon excuser) l’attitude désinvolte d’Ammon vis-à-vis de sa demi-sœur Tamar, qui le conduira à sa perte (2 Sam 13). Une faute ne disqualifie pas définitivement (David n’est pas mort et il est resté roi), mais des conséquences surviennent.
– Son attitude par rapport aux fils de Tseruïa : Tseruïa était la sœur de David (1 Chr 2.15). David a toujours été faible et dépendant vis-à-vis du fier Joab et de ses frères (2 Sam 3.39). Il a manqué de courage pour prendre la mesure ferme qui s’imposait après le meurtre d’Abner.
( N’ayons pas deux poids et deux mesures en favorisant les personnes de notre famille, par exemple pour leur éviter une discipline ecclésiastique nécessaire.
– Ses fils : Absalom était beau, Adonija n’a jamais été contrarié (1 Rois 1.6) : David semble avoir été un père faible, avec des préférences coupables (2 Sam 19.4-5).
( L’ancien, avant de conduire l’église locale, doit prouver qu’il sait « bien diriger sa propre maison » et tenir ses enfants soumis (1 Tim 3.4).
Au final, c’est un constat d’échec que David dresse sur son lit de mort (2 Sam 23.5). Qu’il serait triste que nous ayons eu un rôle éminent dans l’église mais que notre vie de famille ait été un naufrage ! L’exemple de David nous avertit clairement.
Sa gestion des conflits
– L’évitement : au lieu de traiter Amnon comme il aurait dû l’être après sa conduite infâme, David est irrité… mais n’agit pas (2 Sam 13.21). La suite montrera une escalade dans les problèmes.
– Les demi-mesures : après le meurtre d’Amnon, Absalom s’enfuit, puis revient à Jérusalem, sous l’instigation du perspicace Joab. Mais au lieu de régler le sujet, David se contente de demi-mesures (2 Sam 14.24), ce qui va frustrer Absalom et faire le lit de sa révolte future.
– Les factions en germe : le schisme qui allait se concrétiser sous Roboam est déjà en germe dans l’altercation entre les hommes de Juda et d’Israël (2 Sam 19.41-43). Mais David semble ne se rendre compte de rien et n’agit pas.
( Sachons, comme leaders, traiter un problème à sa source, ne pas prendre des demi-mesures mais aller jusqu’au bout et détecter le plus tôt possible les racines d’une possible division, avant que la situation ne s’envenime.
Son administration au quotidien
– Des décisions prises sous influence ? Il est étonnant de lire que « les conseils donnés en ce temps-là par Achitophel avaient autant d’autorité que si l’on avait consulté Dieu lui-même » (2 Sam 16.23).
( Les conseillers sont utiles, mais le leader est avant tout responsable devant Dieu et aucun conseil, si bon soit-il, n’est à mettre au niveau de la Parole.
– Des négligences ? David semble avoir été meilleur guerrier qu’administrateur. La révolte d’Absalom a été favorisée apparemment par un manque de rapidité dans la justice (2 Sam 19.29).
( Un leader n’a pas forcément toutes les qualités ; aussi le modèle du N.T. est-il celui d’une collégialité dans la direction de l’église locale (Phil 1.1).
– Des injustices ? David n’a pas compris pourquoi Méphibosheth ne l’a pas accompagné en exil. Une fois détrompé, il propose de partager les biens de l’infirme avec Tsiba (2 Sam 19.29-30). Surprise : ce dernier a calomnié son maître et ne méritait pas un tel dédommagement !
( Faisons attention à ne pas trancher trop rapidement, au risque d’injustices. Quant à l’attitude de Méphiboscheth, elle est admirable : si nous pouvions toujours adopter la même sur les questions d’argent…
Bien finir
– Les Philistins attaquent, mais David court le risque de livrer le combat de trop (2 Sam 21.16-17). Ses fidèles lui disent qu’il est temps maintenant pour lui de se retirer et David a la sagesse de le comprendre et de le faire. Il utilisera les derniers moments de sa vie pour laisser à Salomon un royaume en ordre.
( Heureux les leaders qui, comme David, ont des amis qui savent donner un tel sage conseil ! Sachons écouter et nous retirer.
– 2 Samuel 23 liste les hommes forts de David. Face à Goliath, Saül n’avait personne pour combattre (1 Sam 17.10). David a su former des combattants.
( Un vrai leader sait former la génération suivante, pour se retirer, confiant que la suite est assurée.
CONCLUSION
David a laissé une trace durable. Relevons trois aspects :
– Il a « en son temps servi au plan de Dieu » : 1 000 ans plus tard, Paul rendra à David ce beau témoignage.
( Dans une mesure bien sûr ô combien moindre que celle de David, qu’il puisse être dit de chacun de nous que nous avons été utiles au plan de Dieu dans notre génération.
– Il a préparé la suite : 1 Chr 29 indique tout ce que David a accumulé pour le futur temple que Salomon allait bâtir.
( Un vrai leader se montre peut-être avant tout dans la façon dont il prépare sa succession.
– Il a entrainé les autres à louer Dieu : Le « chantre agréable d’Israël », le « doux psalmiste », a laissé 75 psaumes inspirés. Depuis 3 000 ans, ils sont une source inépuisable de louanges pour le peuple de Dieu.
( Puissions-nous aussi laisser le souvenir d’hommes et de femmes qui ont loué Dieu et qui ont encouragé les autres à le faire à leur suite.
Dans le monde économique actuel, il n’est pas rare de voir une entreprise se recentrer sur son métier de base, son core business, après avoir tenté des diversifications parfois hasardeuses. Ces diversifications ont paru alléchantes dans un premier temps… Qui ne rêve pas de lancer un nouveau produit révolutionnaire ou un service novateur ? Ces diversifications se sont révélées destructrices, sur le point de conduire l’entreprise entière vers la faillite. Un nouveau directeur est alors nommé dont la tâche principale consiste souvent à revenir au métier de base : back to the basis.
Oserais-je suggérer qu’il est bon pour l’Église, particulièrement en Occident, de revenir aux bases et d’accomplir véritablement la mission que Dieu lui a confiée ? Revenir aux bases de l’Église néo-testamentaire, c’est ce que nous vous proposons à travers l’article de Frank Horton, « L’Église selon le Nouveau Testament » ainsi que celui de Scott McCarty « L’église d’Antioche ». Avec Paul Wells, « Le réveil, une utopie ? », nous croyons qu’un réveil est possible ! Enfin, avec l’article de Pierre Oddon, il a semblé bon de brosser un portrait de l’église émergente, issue d’un mouvement anglo-saxon et vivant ses premiers balbutiements en francophonie. John Glass en propose une évaluation et enfin, nous consacrons une chronique de livre à l’ouvrage de Don Carson : L’église émergente.
Quel est « le métier de base » de l’Église ? Les Actes et les épîtres de Paul proposent 5 missions essentielles :
• l’adoration,
• l’enseignement,
• la communion fraternelle,
• l’exercice des dons,
• l’évangélisation. Sommes-nous bien conscients des missions de l’Église telles qu’enseignées dans le N.T. ? Notre pratique s’en approche-t-elle ? Ce numéro est l’occasion de faire le point !
L’étude d’une église locale qui a existé il y a 2 000 ans est très intéressante ! Au iiie siècle av. J.-C., une importante communauté juive s’installe à Antioche, suite à diverses récompenses accordées par des rois Séleucides à leurs mercenaires juifs, sous forme de terrains.
La cité est la 3e ville importante de l’Empire romain (64 av. J.-C.). Elle devient un centre cosmopolite prospère entre le monde gréco-romain et les civilisations orientales sur les plans commerciaux, culturels, religieux et intellectuels.
A. Les débuts de l’église d’Antioche (Act 11.19-30)
1. En premier lieu, la persécution qui débute avec le martyr d’Étienne à Jérusalem (Act 7.59 ; 8.1) provoque la dispersion des convertis. Les chrétiens, hébraïques et anciens prosélytes grecs, fuient la persécution juive et se réfugient à Antioche, en Syrie.
2. En second lieu, les premiers immigrés sont majoritairement d’origine juive. Par réflexe communautaire, ils n’annoncent l’Évangile qu’aux Juifs (Act 11.19). Une minorité de langue grecque évangélise toutefois les Grecs, à cause de son origine (Act 11.19-20).
Quatre principes se dégagent de ce rapport apparemment banal :
a. Ils ont besoin des éléments de base de la vie quotidienne : logement, nourriture, emploi ;
b. Les immigrés, toutefois, semblent avoir comme principe d’évangéliser d’abord (Act 11.19) ;
c. Les convertis juifs se dirigent en toute logique vers les leurs. Leur effort est récompensé (Act 11.21) ;
d. Les convertis grecs vont aussi vers les leurs, avec les mêmes résultats. Chaque groupe s’adapte à son nouveau contexte culturel avec souplesse. Antioche est bien différente de Jérusalem ! Jusqu’à quel point sommes-nous flexibles, sans compromettre la doctrine ? Certaines églises se sont figées dans certaines pratiques héritées des siècles passés, sans reconnaître que la tâche primordiale est, non seulement la préservation de la doctrine, mais également le partage enthousiaste de l’Évangile.
Dans son évangélisation, chaque communauté s’adapte au contexte et à la culture de ses interlocuteurs :
• Les Juifs utilisent l’A.T. pour annoncer la parole messianique et prophétique – la Parole écrite ;
• Les Grecs annoncent la personne du Seigneur Jésus – la Parole vivante.
Que fait notre communauté pour l’évangélisation ? La pratiquons-nous avec l’enthousiasme que produit l’amour de Christ en nous pour les perdus ?
3. Le Seigneur, par son Esprit, opère des conversions (Act 11.21). Aucun truc particulièrement astucieux n’est utilisé, mais le zèle , l’Esprit, la Parole et le Seigneur rendent la récolte abondante. Voilà les leçons à retenir : l’obéissance des premiers croyants (notamment à l’injonction d’Act 1.8), la présence du Seigneur par l’Esprit, l’Évangile présenté et le sens de l’urgence quant au témoignage !
4. Les prédicateurs des deux ethnies présentent la même vérité avec une approche différente. De plus, ils prêchent dans les lieux populaires propres à la culture à laquelle ils s’adressent :
• les Juifs dans les synagogues où l’A.T. est lu (Act 17.17a),
• les Grecs dans les lieux publics (Act 17.17b, 21).
5. Tous sont attachés à Jésus-Christ seul comme Seigneur (Act 11.21, 23c). Il n’y a ni clan ni tradition humaine non biblique à suivre. Où en est-on dans notre assemblée ? Cherchons-nous à ne suivre que les voies du N.T. ? Notez bien que l’assemblée à Antioche, avant l’arrivée de Barnabas, n’avait aucune figure prééminente ni aucun ouvrier à plein-temps. Tous s’impliquaient, sur la base sans doute du modèle de Jérusalem (Act 2.42-48). Sommes-nous tous autant engagés (prière d’intercession personnelle, culte, étude biblique, réunions, évangélisation, aide aux autres, etc.) ?
6. Ce rassemblement, quoiqu’ethniquement hétérogène, est solidement attaché au Seigneur Jésus-Christ. Il est le ciment et le centre de tout et pour tous pendant assez longtemps (Act 11.21-22, 1 Cor 1.11-12).
7. Barnabas est la personne idéale pour aller enquêter sur ce nouveau phénomène – une œuvre commencée sans l’initiative des apôtres et à leur insu. Voici ses bonnes « lettres de créances » :
• son aptitude à faire du bien aux autres (Act 11.24a),
• sa connaissance de l’A.T. et de l’enseignement apostolique (Act 11.23c),
• sa connaissance du grec et de la culture grecque (Act 4.36),
• sa capacité à être rempli du Saint-Esprit (Act 11.24b),
• sa foi triomphante (Act 11.24),
• son discernement de l’œuvre de la grâce de Dieu (Act 11.23 ; il pouvait suivre la direction de l’Esprit au lieu d’essayer d’appliquer à la jeune église naissante le « système » qui fonctionnait à Jérusalem où il n’y avait que les juifs et prosélytes grecs sauvés – Act 11.23b. Sommes-nous aussi flexibles ?),
• sa joie de voir le Seigneur à l’œuvre et de constater l’engagement de tous auprès de lui (il n’est ni jaloux ni égoïste – Act 11.23c),
• sa vision et sa capacité à encourager les autres à suivre le Seigneur plutôt que des chefs de clan ou un « nom ». Le monde évangélique depuis la Réforme aime souvent porter la bannière de tel ou tel « grand nom » (1 Cor 1.11-13) au lieu de n’avoir que Jésus comme guide (Héb 12.2).
L’église locale naissante devient un objet de soins doctrinaux et pastoraux poussés avec l’envoi de Barnabas (Act 11.22), bien connu de tous à Jérusalem pour :
• sa connaissance biblique (Act 4.36),
• ses qualités pastorales (Act 4.36),
• sa générosité (Act 4.37),
• sa reconnaissance de l’autorité apostolique (Act 4.37).
8. Résultat de cette combinaison :
• Un corps multiracial, multiculturel, vibrant et vivant pleinement engagé dans l’évangélisation génératrice de nombreuses conversions (Act 11.24d). Notre communauté a-t-elle eu des conversions de païens ces dernières années ?
• La contribution temporaire d’un homme très capable (Act 11.24d) entraîne la croissance saine des convertis attachés uniquement au Seigneur. Le « dénominationnalisme » n’existe pas.
9. Pendant que l’œuvre de l’église locale se consolide et grandit considérablement, Barnabas reconnaît que la communauté dans laquelle il œuvre pourrait profiter avantageusement de l’aide d’autres serviteurs. Il va chercher Saul à Tarse pour en faire son partenaire dans l’enseignement.
Le fait que Barnabas puisse laisser l’assemblée, tandis qu’il entreprend d’Antioche à Tarse un voyage de plus de 250 kilomètres, démontre que le corps local pouvait bien fonctionner grâce à un enseignement sain et à sa vie sous la dépendance de l’Esprit. Une œuvre florissante peut se développer lorsque plusieurs frères capables d’enseigner et de faire des visites pastorales sont à l’œuvre et que tous participent, chacun selon son don, dans un esprit de complémentarité et non de compétition.
10. Le Saint-Esprit à travers Luc (l’auteur des Actes), met en évidence la nécessité (Act 11.26) :
• d’un enseignement constant et régulier,
• d’un nombre important de réunions régulières,
• d’un grand nombre de convertis assistant aux réunions d’enseignement, de prière et de communion fraternelle. Sans doute, les jeunes croyants de cette assemblée ont-ils besoin d’un soin particulier, de visites régulières, de réponses à leurs questions dues à leurs origines diverses et à un manque de connaissance biblique.
Une nouvelle dynamique se crée grâce à l’attachement de plusieurs à Jésus-Christ comme seul Sauveur et Maître. La ville en est grandement influencée. La nécessité de l’enseignement et ses conséquences sont primordiales pour que l’église puisse envoyer des missionnaires sans affaiblir l’œuvre locale (Act 11.22-26 ; 13.1-3).
11. L’assemblée idéale est sensible à la parole de Dieu et sait agir en conséquence dans le domaine des offrandes. Les membres de l’assemblée sont issus de différents niveaux de vie et classe sociales (Act 11.27-30).
B. L’envoi de missionnaires depuis Antioche (Act 13.1-3)
1. Un seul corps local existait : l’unité régnait ! La communauté de croyants convertis était une entité solide parce qu’elle était centrée sur Jésus-Christ (Act 11.26 ; 13.1). Il semble que 11 ans se soient passés entre le début des conversions en 37 et l’envoi missionnaire en 48.
2. Le texte ne mentionne pas l’existence des anciens et des diacres mais insiste sur le ministère de la Parole (par les prophètes et par des docteurs), sur le ministère d’évangélisation et sur celui de l’enseignement. Nous avons besoin d’un retour aux pratiques de cette église néo-testamentaire : la prédication de la parole et l’évangélisation accompagnées par l’onction de l’Esprit.
3. Arrêtons-nous un instant sur les cinq hommes mentionnés dans Actes 13.1, car quelques leçons spirituelles en découlent :
• Barnabas. Juif de Chypre devenu chrétien, lévite fin connaisseur de l’Ancien Testament, instruit par les apôtres à Jérusalem. Quelqu’un d’important avec de grandes qualités spirituelles et un bon sens pratique (Act 4.36-37 ; 11.22-26).
• Siméon. Appelé Niger (un surnom latin signifiant « noir » ou de couleur de peau très foncée) met en évidence la belle harmonie régnant dans cette assemblée malgré la différence de race.
• Lucius de Cyrène. Son exemple met en évidence la capacité de travail de frères d’autres origines et d’autres « nationalités » (Act 11.20).
• Manahen (Menahen : « consolateur »). Homme cultivé, de bonne éducation en latin, en grec et en hébreu, faisant partie de l’élite de sa culture d’origine mais aussi de la culture romaine. Un jour, le Seigneur Jésus-Christ entre dans sa vie et il devient quelqu’un d’apprécié pour ses dons spirituels pour édifier la communauté des rachetés à Antioche.
En y ajoutant Saul, nous constatons que ces quelques frères fonctionnaient en une équipe solidaire, unie. Quelle bénédiction pour l’œuvre de Dieu, pour le Seigneur : harmonie, efficacité, amour, communion fraternelle ! Sans doute exerçaient-ils leur ministère à plein-temps (Act 13.2).
4. Le verbe « servaient » (leitourgountôn, qui a donné « liturgie ») est unique ici par le fait qu’il combine l’idée de service en tous genres et pour toutes sortes de personnes (Phil 2.25, 30 ; Rom 13.6). Il inclut aussi l’idée de service comme une adoration et une louange rendues à Dieu.
D’après le contexte, l’adoration du Seigneur dans la vie spirituelle des cinq frères semble être la base de leur service envers les autres (l’adoration sans service d’aide et sans évangélisation est un non-sens et pourrait même être hypocrite !). L’œuvre à Antioche est un exemple à suivre. La Parole, la prière, et l’évangélisation, le Saint-Esprit et des gens capables : quelle combinaison exquise !
Le jeûne occupe une place importante dans leur conception de leur activité pour le Seigneur et pour l’église locale. Ces hommes n’ont que Dieu pour ressource.
5. Ils témoignent généralement par le « un à un », là où se trouvent les croyants (motivés par l’amour de Christ, selon 2 Cor 5.14-15). Le texte ne parle pas des évangélistes, mais de tous ceux qui évangélisent (Act 11.19-21). Sommes-nous prêts à nous inspirer de la « méthode » d’Antioche ?
6. L’Esprit commande que les responsables mettent à part deux hommes. L’appel consiste à évangéliser en terre étrangère (terrain vierge de l’Évangile). L’emploi du mode moyen (en grec) signifie que c’est l’Esprit qui prend l’initiative. Pourquoi l’Esprit appelle-t-il ceux-là plutôt que d’autres ? Peut-être pour les raisons suivantes :
• Ils ont déjà travaillé ensemble ;
• Ils sont probablement célibataires ou veufs, donc disponibles pour le travail de missionnaires itinérants et pionniers ;
• Ils connaissent bien les Écritures, la prière, l’activité de l’évangélisation, et la soumission à l’Esprit ;
• Ils vont bénéficier de l’accord de toute l’assemblée.
Ils ont été formés de maintes manières avant d’être « lâchés dans la nature ». Un « envoyé » doit avoir plus qu’un appel. Il a besoin de formation biblique et pratique et avoir fait ses preuves avant.
7. Au travers de trois frères, c’est l’église locale qui impose les mains sur Barnabas et Paul (Act 11.20-26). L’imposition des mains dans le N.T. est un acte d’identification, de solidarité, d’amitié, de confiance. Cet acte ne confère pas de bénédiction surnaturelle spéciale, car :
• Barnabas a déjà été envoyé comme missionnaire (Act 11.22) ;
• Paul a vu le Seigneur ressuscité et a déjà reçu un appel spécial (Act 9.15-16). L’église à Antioche n’a rien à ajouter, excepté le témoignage par tous les convertis qu’ils acceptent la volonté du Saint-Esprit et qu’ils se sentent solidaires avec Barnabas et Paul pour leur voyage missionnaire.
8. Une fois de plus, jeûne et prière vont de pair (Act 13.3). Deux activités intimement liées mais si peu vécues en Occident. Trop enfoncés dans la facilité du matérialisme et trop habitués au confort, savons-nous encore jeûner et prier ?
9. L’église locale « laisse partir » Paul et Barnabas : c’est l’Esprit qui les envoie.
C. Le retour à Antioche de Paul et Barnabas (Act 14.26-15.29)
De retour à Antioche, l’équipe missionnaire formée de Paul et Barnabas rend compte de l’œuvre du Seigneur par l’Esprit pendant leur voyage. Par la suite, ils montent ensemble à Jérusalem pour traiter une importante question de doctrine.
1. Toute l’église locale est réunie (Act 14.27) pour entendre le rapport missionnaire du voyage qui a probablement duré d’avril 48 en septembre 49.
2. Barnabas et Paul reprennent leurs activités locales avant de repartir en voyage (Act 14.28).
3. J’aime la présence du mot « disciples » (Act 14.28). La conception du discipulat semble floue et peu actuelle en Occident. Nous avons besoin d’un retour aux récits de l’Évangile et aux Actes pour découvrir ce qu’est la vie de disciple.
4. Paul et Barnabas avaient été « recommandés » (Act 14.26). Le vrai missionnaire biblique est :
• recommandé par une église locale, même par plusieurs si possible (Act 16.1-2),
• recommandé pour une œuvre spéciale ou précise (attention au risque de « lâcher » un missionnaire comme un électron libre !),
• reconnu comme ayant atteint l’objectif déterminé (Act 14.27) :
– annoncer la parole (Act 13.5),
annoncer la doctrine du Seigneur (Act 13.12 ; 26-41),
annoncer le pardon des péchés et la justification par la foi (Act 13.38-41),
annoncer la lumière aux nations (Act 13.46-48 ; 14.15).
5. Ceux qui ont la capacité de contrer la mauvaise doctrine légaliste doivent le faire (Act 15.1-2a).
6. L’église avait une équipe de frères responsables mais discrets (pas de Diotrèphe, semble-t-il), qui conduisaient sainement la communauté (Act 15.2b). Sur une importante question de fond, l’église (Act 15.3a) envoie Paul et Barnabas à Jérusalem avec son équipe de témoins pour régler ce conflit doctrinal (Act 15.2c). Il existe ici un principe dans le cas où une assemblée est confrontée à une question de doctrine importante et que ses délibérations ne parviennent pas à satisfaire tout le monde : il est sage de chercher l’opinion neutre et objective de frères qui possèdent des références solides et ancrés dans l’enseignement biblique (Act 15.5-29) qui jugeront avec équité.
D. Le retour du concile de Jérusalem (Act 15.30-40)
Après avoir participé au concile doctrinal à Jérusalem, Paul et Barnabas reviennent à Antioche. Ce qu’ils font ensuite suit probablement ce schéma chronologique :
Première étape (Act 15.30-34)
• La lettre émanant de la communauté de Jérusalem est lue à toute l’assemblée (Act 15.30-31a).
• Tout le monde en ressort encouragé. Son contenu s’impose à tous car il est profondément ancré dans la vérité biblique (Act 15.31b).
• Jude et Silas, reconnus pour leur ministère prophétique, ajoutent à cette lecture plusieurs prêches d’encouragement (Act 15.32).
• La délégation de Jérusalem comprend que son ministère à Antioche arrive à sa fin et retourne à Jérusalem. Silas est le seul à sentir que sa présence pourrait être encore utile et reste à Antioche (Act 15.33-34).
Deuxième étape (Act 15.35)
Des frères connus et moins connus se rassemblent pour un même objectif : former une équipe d’enseignants. Tous enseignent et tous évangélisent en employant les paroles du Seigneur lui-même.
Troisième étape (Act 15.36-39)
L’équipe de Paul et Barnabas connaît une rupture à cause d’un différent. Barnabas veut récupérer son cousin Jean-Marc en lui donnant une seconde chance après son abandon peu glorieux lors du premier voyage (Act 13.13). Paul juge inopportun le choix de Barnabas. Le désaccord est tel que l’équipe d’origine est dissoute. Barnabas quitte Antioche et entame ainsi son propre second voyage missionnaire, avec Jean-Marc.
Quatrième étape (Act 15.40-41)
Une nouvelle équipe composée de Paul et Silas se met en place pour le deuxième voyage missionnaire. Les responsables expriment l’accord de toute l’église locale et bénissent au nom du Seigneur cette nouvelle équipe.
E. Fin du voyage missionnaire et début du troisième (Act 18.22-23)
À la fin de leur deuxième voyage missionnaire, Paul et Silas se rendent à Antioche (Act 18.22). Paul exerce son ministère d’enseignant probablement 6 mois (hiver 52 – printemps 53) à Antioche (Act 18.23). Paul et son équipe partent ensuite pour le troisième voyage missionnaire, lequel va durer environ 4 ans (53-57) et se terminer avec son arrestation au printemps 57 à Jérusalem.
Ainsi se termine les rapports étroits du grand apôtre Paul avec les frères et sœurs d’Antioche. Pendant plus de 10 ans, ils auront été en contact proche de Paul, d’automne 47 à mai 57.
Antioche est la première église pionnière mixte dont nous avons une référence dans le N.T. Une assemblée constituée de convertis d’origine juive et païenne. Il semble que l’Esprit a choisi l’église d’Antioche comme un « bon exemple » de ce que doit être un rassemblement efficace et digne pour représenter Christ devant les païens.
Le contexte historique
Le piétisme désigne un mouvement de renouveau religieux qui apparaît au xviie siècle en Allemagne luthérienne et s’épanouit pleinement au xviiie siècle en Europe. Peu connu en France, il a néanmoins fortement influencé le protestantisme évangélique européen jusqu’à nos jours.
De 1560 à 1650 environ, l’Europe est déchirée par des luttes religieuses, relayées par des conflits politiques. Beaucoup de chrétiens s’interrogent devant les horreurs commises de tous côtés : comment le message d’amour et de pardon du Christ peut-il conduire à de telles dérives ? Beaucoup en viennent à douter de la pertinence de l’Évangile. L’idée de tolérance pénètre chez de nombreux chrétiens qui relativisent alors les fondements bibliques. La foi personnelle, qualifiée de « subjective », fait place à une foi « objective » qui se résume à accepter une série de propositions suffisantes pour être un « bon chrétien ».
L’initiateur du piétisme : P. J. Spener (1635-1705)
Philipp Jacob Spener naît dans une famille luthérienne alsacienne. Il fait des études à la faculté de théologie de Strasbourg pour devenir pasteur. Il y exerce son ministère, puis à Francfort sur le Main, Dresde et Berlin.
Déçu par une vie d’église qu’il juge formelle, il rassemble les chrétiens sincères dans des « collèges de piété », petites assemblées d’édification mutuelle. Il espère ainsi réveiller l’Église luthérienne. De fait, ces réunions donnent un nouvel élan qui ébranle le luthéranisme établi. L’afflux de fidèles est tel qu’il faut bientôt leur trouver un qualificatif, on les appelle alors les « piétistes ».
En 1675, Spener publie un ouvrage de rénovation religieuse qui a un grand retentissement : les Pia desideria (« Vœux pour introduire davantage de piété »). Le livre se divise en trois parties.
La première décrit le triste état de l’Église luthérienne.
Les chrétiens luthériens, après la disparition des grands initiateurs de leur mouvement, eurent tendance à considérer les textes conciliateurs (Confession d’Augsbourg, Articles de Smalkalde, Catéchismes, traités et propos de Luther, Formule de Concorde) comme source privilégiée d’autorité. Cent ans après la Réforme, beaucoup de luthériens n’avaient qu’une connaissance très approximative des Saintes Écritures. Ils versèrent alors dans le formalisme.
Spener, lui aussi, affirme la nécessité de revenir à des textes comme celui de la Confession d’Augsbourg. Mais, dit-il, cela ne suffit pas. Si les pratiques ne sont pas des actes de foi, elles deviennent un piège subtil. Pour Spener, la doctrine de l’Église luthérienne reste vraie, mais la vie de l’Église et de ses membres est défaillante.
La seconde partie annonce un avenir meilleur pour l’Église luthérienne.
En effet, si les croyants vivent l’Évangile au quotidien, juifs et catholiques se convertiront en présence d’un témoignage aussi lumineux. Le trait caractéristique du piétisme est dévoilé : la sanctification. Pour Spener, quel que soit l’état de ruine de l’Église, le Saint Esprit a toujours la même puissance qu’aux temps apostoliques. Il peut donc opérer l’œuvre de conversion et de sanctification indispensable au renouveau de l’Église luthérienne.
La troisième partie propose six solutions concrètes.
1. Répandre la Parole de Dieu
« Le précieux travail de la Réformation a consisté à ramener les gens à la Parole de Dieu qui avait été presque jetée aux oubliettes. […] Toute l’Écriture […] devrait être connue de la communauté. »
Les communautés devraient se familiariser avec l’ensemble de la Bible, à la fois par la lecture privée et par des études bibliques communes.
2. Remettre en usage l’ancienne forme apostolique des assemblées
Spener regrette que le sacerdoce universel du croyant soit tombé en désuétude. Selon 1 Corinthiens 14, il rappelle qu’il n’est pas réservé à un seul homme de prêcher. Spener propose donc un entretien fraternel sur le texte lu : l’étude biblique communautaire est née !
3. Pratiquer le vrai christianisme
« Le savoir n’est absolument pas suffisant dans la vie chrétienne. Celle-ci réside beaucoup plus dans la pratique et surtout, notre cher Sauveur nous a bien recommandé l’amour comme vrai signe distinctif des disciples. Si nous réussissions à faire surgir parmi nos chrétiens un amour ardent les uns pour les autres d’abord et pour tous les hommes ensuite, alors presque tout ce que nous revendiquons est accompli. »
4. Se défier des controverses religieuses
Elles conduisent trop souvent à des divisions injustifiées du point de vue biblique. Pour autant, il ne s’agit pas de renier ses convictions !
« Nous attacher à nous consolider, à nous fortifier dans la vérité que nous avons reconnue. Mais dans cette vérité chrétienne, il y a l’amour. ».
5. Changer la formation des pasteurs
Spener dénonce les facultés luthériennes de théologie qui forment des controversistes et pas des pasteurs. Spener souhaite que les étudiants produisent « des diplômes attestant non seulement leur savoir, mais une vie de piété. »
6. Veiller au contenu des prédications
Elles doivent amener les inconvertis au salut et nourrir la vie spirituelle des paroissiens.
« La chaire n’est pas l’endroit où l’on doit étaler son art avec magnificence. On doit prêcher la Parole du Seigneur avec simplicité, mais avec force. »
Le piétisme au xviiie siècle
Zinzendorf (1700-1760) et les frères moraves
Le comte L. Zinzendorf naît dans une famille noble. Son père, ministre et conseiller à la cour de l’Électeur de Saxe, à Dresde, rencontre Spener. Il entre dans le mouvement piétiste et envoie son fils, Ludwig, étudier à l’université de Halle, fondée par les piétistes. Ainsi, tout jeune, Zinzendorf a baigné dans le piétisme. Il héberge sur ses terres la communauté des Frères moraves de Hernnhut, qui s’organise assez rapidement en église indépendante de l’Église luthérienne. Tournée vers l’évangélisation, elle envoie des missionnaires dans 24 pays et crée un réseau d’églises un peu partout dans le monde.
John Wesley (1703-1791) et le méthodisme
L’Église anglicane, anémiée spirituellement, a besoin d’un renouveau religieux. John entend suivre les traces de son père pasteur. Il fait des études à Oxford, est ordonné en 1728 pour exercer son ministère au sein de l’Église anglicane.
John, son frère Charles, G. Whitefield, et quelques camarades d’étude, décident de mener une vie chrétienne « méthodique ». Ils fondent le « Holy Club » (« club de la sainteté »). La « méthode » rappelle la discipline monastique du Moyen Âge : lever à 5 heures, jeûne deux jours par semaine, une journée consacrée à la prière…
En 1735, John s’engage comme missionnaire auprès des Indiens en Géorgie, colonie américaine. Sur le bateau, il rencontre un groupe de frères moraves. Leur foi vivante, leur joie communicative, leur dévouement pour les autres l’impressionnent beaucoup.
La mission en Géorgie se solde par un échec. Au lieu d’apporter l’Évangile aux Indiens, il se retrouve pasteur de paroisse. John rentre à Londres, raconte son expérience à un pasteur morave qui lui dit : « Il te manque la foi ! » John comprend qu’il n’a pas vécu l’expérience d’une vraie conversion. En mai 1738, il se confie au Seigneur et écrit peu après : « Je sentis que j’avais foi dans le Christ, le Christ seul pour mon salut. Je reçus l’assurance qu’il avait effacé mes péchés. » Désormais Wesley prêche dans les églises anglicanes la justification par la grâce et la sanctification qui en découle. Son message ne convient pas à sa hiérarchie qui lui interdit de prêcher en chaire. Alors Wesley annonce l’Évangile en plein air à des foules d’ouvriers du textile, des mines, aux pauvres et aux exclus. Avec son ami Whitefield, Wesley inaugure l’évangélisation de masse, réunissant jusqu’à 30 000 personnes.
La rupture avec l’Église anglicane se produit en 1784, les wesleyens sont alors appelés « méthodistes ».
L’originalité du piétisme
D’une manière générale, le piétisme a renoué avec les thèmes clés de la foi chrétienne, notamment le salut de l’homme pécheur grâce au sacrifice du Christ sur la croix, en insistant sur la repentance et la régénération.
Les piétistes, marqués par la lutte contre la philosophie des Lumières (la raison humaine devient la source d’autorité), influencés par la sentimentalité romantique individualiste, affirment avec force que le christianisme est une affaire d’expérience personnelle, de « cœur », avant d’être une doctrine.
La piété personnelle
L’importance de la nouvelle naissance, de la sanctification, du culte personnel et familial (lecture de la Parole, de la prière, du chant) a été réaffirmée.
Le piétisme favorise un christianisme conçu comme décision personnelle. Cette mise en avant du « je » alimente l’hymnologie et de nombreuses biographies, qui devient un genre littéraire très en vogue.
L’importance de la Bible
Le commentaire biblique (souvent linéaire) donne toute son importance à la Bible et remplace la somme théologique.
Toutefois, l’insistance sur l’expérience personnelle (souvent opposée à la réflexion théologique et à l’exégèse biblique, jugées trop intellectuelles) constitue un danger qui n’a pas toujours été évité et qui a pu conduire à des dérives doctrinales (par ex. la double sanctification chez Wesley).
La piété collective
Le piétisme a inauguré les groupes d’étude biblique, véritable révolution à une époque où le « ministre » avait souvent le monopole de la parole.
Sous l’influence du piétisme, le chant communautaire évolue. Zinzendorf et les frères moraves accentuent le lien entre le croyant et les souffrances du Christ. John et Charles Wesley composent environ 6000 cantiques. Quelques-uns ont été traduits en français, notamment, « Seigneur, que n’ai-je mille voix ? » Les cantiques se substituent aux psaumes chantés.
Dans plusieurs « cantates et passions », le luthérien J.S. Bach, fait dialoguer l’âme du croyant et le Christ. Cette complicité, proche de la familiarité, détone par rapport à l’austérité d’autres compositions. Il s’agit là d’un héritage du mouvement piétiste.
Par ailleurs, les frères Wesley, pasteurs, pour un temps encore, de l’Église anglicane, vont permettre la prière libre dans l’assemblée. Une nouveauté qui a survécu jusqu’à nos jours.
Les piétistes adoptent aussi un langage particulier : les titres de civilité font place à l’appellation de « frères » ou « sœurs ». Sont particulièrement prisés les mots « âme », « cœur », « vivant » (un témoignage « vivant »), « bienheureux », « réveillé »…
Le rapport à l’Église
Le piétisme modifie la conception de l’appartenance ecclésiastique : être membre de la communauté chrétienne ne consiste plus en premier lieu à se soumettre aux doctrines et aux pratiques de l’Église, mais à se rattacher à la communauté des chrétiens sincères et authentiques.
L’importance de l’expérience personnelle conduit à la réhabilitation des laïcs dans l’Église. En effet, pour les piétistes, un ministre n’est pas accrédité dans le ministère par un diplôme ou une ordination, mais par sa piété. Un laïc, dont la moralité est reconnue, peut exercer un ministère public.
La mission
Les fondateurs du mouvement se sont beaucoup impliqués dans l’évangélisation des foules et dans la mission hors d’Europe. Tout chrétien converti doit travailler à répandre l’Évangile et à propager la foi. Le colportage de journaux et de petits traités se développe. Les sociétés d’édition de Bibles diffusent de nouvelles traductions (Ostervald surtout).
L’aide matérielle aux plus démunis n’est pas négligée. L’amour du prochain retrouve ainsi la dimension sociale rappelée si souvent dans les Écritures.
L’influence du piétisme jusqu’à nos jours
Le piétisme a fortement marqué les Églises anglo-saxonnes et les mouvements de Réveil qui ont suivi.
En France, la pensée théologique des réveils n’est pas autonome ; elle dépend de la Grande-Bretagne (Wesley, Wilcox, Haldane, Darby…), de l’Allemagne (Spener) et de la Suisse (Ostervald, A. Bost, Empeytaz, Neff,…).
Le piétisme a été diffusé en France au xviiie siècle par des pasteurs luthériens comme J. F. Nardin (1687-1728), du pays de Montbéliard, dont les milliers de sermons ont été repris par de nombreux « évangéliques » comme F. Neff (Hautes Alpes), J. F. Vernier (Dauphiné), etc.
Au xixe siècle, les mouvements de réveil, influencés par le méthodisme de Wesley, ont pris le relais pour transmettre l’héritage piétiste.
Que reste-t-il du piétisme aujourd’hui ?
Nombre de communautés évangéliques ont su garder les valeurs bibliques « revisitées » par le piétisme (conversion et sanctification personnelles, autorité de la Parole…). Mais l’importance accordée à l’expérience personnelle, à la critique systématique de la théologie et de l’Église institutionnelle a conduit trop souvent à des dérives regrettables (ghettoïsation, divisions injustifiées, appauvrissement spirituel…).
Le piétisme ? Une belle leçon d’histoire porteuse d’interrogations pour nous aujourd’hui !
CINQ PRIORITÉS POUR LA COMMUNAUTÉ
Permettez-nous de vous parler de cinq domaines qui nous semblent prioritaires dans la vie communautaire.
La louange ( Cultiver un esprit de louange dans nos diverses rencontres. Notre louange glorifie Dieu, encourage notre prochain, et nous aide à garder une bonne attitude.
Le service ( Encourager chacun à trouver un service qui corresponde à ses dons. Ainsi, nos vies seront utiles au Seigneur, ainsi qu’à nos frères et sœurs.
Le témoignage ( Encourager et équiper le plus grand nombre à partager l’évangile auprès des personnes qu’il côtoie. Un objectif personnel, communautaire et intercommunautaire.
Le culte ( Vivre des cultes de qualité, spirituels et dynamiques. Vivre un culte édifiant. Le culte est la carte de visite de l’Église.
La prière ( La prière est un élément essentiel, tant au niveau personnel que communautaire. Nous désirons persévérer dans ce domaine. La prière, faite avec foi, est très efficace. Dieu se plaît à exaucer les prières de foi de son Église.
Que ces quelques jalons vous permettent d’avancer dans la foi et l’obéissance à la volonté de Dieu !
Voici un ouvrage racontant de manière simple, vivace et touchante, l’épopée héroïque des Vaudois du Piémont et du Lubéron. C’est une réédition de l’ouvrage Il y avait des géants. Écrit pour les jeunes, ce livre se base sur des faits historiques ; il abonde en anecdotes authentiques sur les persécutions des Vaudois, l’héroïsme de leur foi, leurs souffrances et le triomphe de l’Évangile. De nombreuses figures marquantes des Vaudois y sont mentionnées.
L’ouvrage est réparti en cinq parties :
– « Au temps des trouvères et des troubadours (1160 – 1215) » ;
– « L’Israël des Alpes » (1488 – 1489) ;
– « Au temps de la Réforme (1535 – 1561) » ;
– « Un nouveau Josué » (1655) ;
– « La glorieuse rentrée » (1686 1690).
Nous y trouvons également des annexes intéressantes :
– quelques extraits du catéchisme des anciens Vaudois du XIIe siècle ;
– un très ancien traité polémique vaudois qu’on peut rapprocher des cinq formules résumant les convictions des Réformateurs du XVIe siècle ;
– l’origine des Vaudois ; – le témoignage d’un inquisiteur ;
– les sites vaudois ;
– quelques noms de famille vaudois ;
– la préface de Rubens Saillens pour la première édition de 1935.
C’est un livre édifiant et instructif pour tout âge, qui encourage à rester ferme dans la foi et la confiance en Dieu, même dans des situations difficiles. Nous le recommandons vivement.
Éditions EXCELSIS,
Quartier le Clot,
26450 Charols (France),
216 pages.
Tél. : (33) 04 75 91 81 81 Fax : (33) 04 75 90 43 18
Courriel : ed.excelsis@gmail.com
en coédition avec Daniel Oddon du site www.info-bible.org
Le rédacteur, maintenant âgé, d’un périodique chrétien, aimerait bien passer le témoin. Le directeur d’un centre de vacances évangélique cherche régulièrement de nouveaux moniteurs. Des anciens cherchent de l’aide pour répondre aux besoins de leur église locale… Hélas, beaucoup d’éventuels candidats à la relève paraissent suivre les réunions et les activités de l’église en consommateurs occasionnels, absorbés, piégés par le rythme effréné et les obligations de la société. Aussi la vie de l’église continue de ressembler à un tournoi de tennis où deux joueurs s’épuisent à se renvoyer une balle sous le regard de quelques spectateurs. Pourtant, nombre de jeunes, de nouveaux convertis pleins de zèle, se sont dévoués quelque temps… pour finir par se décourager et rejoindre les rangs du « public » sans avoir trouvé l’accompagnement et l’espace nécessaires à une bonne reprise du témoin.
Une réaction immédiate pousse à accuser le déclin général, le matérialisme de la société, les effets du post-modernisme, le manque d’engagement de la génération montante. Nous savons cependant par l’Ecclésiaste que le présent n’est pas forcément pire que le passé (Ecc 7.10). Il est plus sage de se remémorer, chacun pour soi, l’urgence de notre mission. Paul résume celle-ci à l’attention de Timothée, en lui rappelant sa responsabilité : « Ce que tu as entendu de moi… confie-le à des hommes fidèles qui seront capables, à leur tour, d’en instruire d’autres. » (2 Tim 2.22) Le texte cité évoque bien la course de relais et ses enjeux :
L’équipe américaine de relais 4 x 100 mètres aligne des coureurs parmi les plus rapides du monde. Elle pouvait prétendre à la médaille d’or aux Jeux olympiques de Pékin. Pourtant, elle a été éliminée sans gloire. En tête de la course, les troisième et quatrième relayeurs ont manqué leur transmission et laissé tomber le témoin. Ce n’est pas la qualité des athlètes qui est en cause, mais leur capacité à se transmettre en pleine course le précieux bâton. La transmission est certainement aujourd’hui l’un des enjeux les plus sérieux pour ceux qui ont à cœur le renouvellement et l’édification du peuple de Dieu.
Ce souci jalonne toute la Bible. Plusieurs exemples nous instruisent : Moïse et Josué ; les lévites ; Élie, Élisée et les fils des prophètes ; Jésus et ses disciples ; Paul et ses compagnons : Timothée, Tite, et d’autres encore. Les dernières paroles du Seigneur Jésus à ses disciples, les secondes lettres de Paul à Timothée et de Pierre nous encouragent, à leur suite, à considérer attentivement l’importance cruciale de ces questions. Qui est concerné ? Que transmettre ? Quels liens entre formation et transmission ? Que signifie passer le témoin dans la perspective du service chrétien ? Comment le faire ? Ces lignes proposent quelques pistes de réflexion.
La transmission du témoin : qui doit s’en charger ?
La transmission n’est pas l’affaire de quelques élites blanchies sous le harnais et de quelques brillants élèves d’instituts bibliques renommés. C’est l’affaire de tous les chrétiens puisque tous sont appelés à servir, tous ont reçu un don, un service à faire valoir pour l’édification du corps de Christ. Toutefois, les bergers, les enseignants et les anciens paraissent plus particulièrement investis de cette tâche (Éph 4.12, 1 Tim 4 et 1 Pi 5).
La transmission du témoin : dans quelle perspective ?
Dieu nous appelle à collaborer avec lui pour préparer ceux qui formeront et serviront l’Église de demain. Nous n’avons pas à former des imitateurs qui sachent seulement perpétuer les activités et les formes telles que nous les avons toujours vécues.
L’apôtre Paul travaillait lui-même constamment à trois niveaux distincts pour l’édification harmonieuse du corps de Christ :
Si elle vise ces trois objectifs, la transmission entre les générations et entre les serviteurs pourra se faire de manière continue et enrichissante.
La transmission du témoin : oui, mais quel témoin ?
On ne peut transmettre que des choses que l’on a reçues et dont on est pleinement convaincu (cf. 2 Tim 1.13-14 ; 3.14 ; 2 Pi 1.12). Les spécialistes de la formation professionnelle utilisent volontiers cette formule : « Transmettre un savoir, un savoir-être et un savoir-faire ». Inconsciemment, ils appliquent le modèle biblique – un programme complet qui concerne l’intelligence, le cœur et la pratique :
1) Savoir : il s’agit des connaissances objectives, fondées sur l’enseignement de la Parole de Dieu écrite, inspirée, soigneusement étudiée et interprétée (1 Tim 4.6 ; 2 Tim 3.15-16 ; 2 Pi 1.16-21). Le socle des savoirs à transmettre est la doctrine des apôtres :
2) Savoir-être : la connaissance du coeur, pas seulement intellectuelle, mais subjective, expérimentale, liée à une piété personnelle exigeante qui forme, transforme, fortifie par l’attachement à Christ ; qui aide à revêtir le caractère de serviteurs par une transformation intérieure continue (Rom 12. 1-3). Paul demandait à Timothée de s’exercer à la piété (1 Tim 4.7-16), de s’imprégner de l’Écriture pour être enseigné, convaincu, corrigé, instruit, accompli (2 Tim 3.16), et Pierre encourageait les chrétiens, participants de la nature divine, à joindre à leur foi, entre autres choses, la force morale (2 Pi 1.5-11).
3) Savoir-faire : la connaissance n’est acquise que si elle est mise en pratique et peut être transmise. Comment préparer chacun selon le don ou le service reçu, selon ses aptitudes ? N’est-il pas nécessaire de personnaliser la formation différemment pour celui qui veut faire l’œuvre d’un évangéliste, pour celui qui aime la collaboration technique, ou pour ces autres qui se destinent à l’enseignement des enfants, ou aux soins pastoraux ? Paul recommandait à Timothée de rechercher des hommes fidèles et capables, préparés à accomplir des œuvres bonnes (2 Tim 1.2). Pierre précise que ceux-ci ne devraient pas être sans activité, ni sans fruit (2 Pi 1.8).
La transmission du témoin : quand et comment ?
La transmission s’accomplit parfois dans des circonstances difficiles. Elle doit s’adapter aux situations morales et sociales défavorables, c’est pourquoi Paul et Pierre ont pris soin de décrire prophétiquement l’évolution de la chrétienté et du monde où nous sommes appelés à vivre et à témoigner (2 Tim 3 et 4 ; 2 Pi 2 et 3).
Recevoir le témoin requiert l’acquisition de compétences pratiques, selon les situations. Ces compétences se développent peu à peu dans la proximité d’un maître-serviteur, tuteur ou coach aimé et respecté ; celui-ci enseigne, donne l’exemple et accompagne la prise de responsabilités de plus en plus grandes, et de moins en moins protégées. Il s’agit d’entraîner à l’autonomie le disciple du Seigneur jusqu’à ce qu’il devienne un homme de Dieu capable de porter le témoin et d’instruire les autres à son tour.
Ce scénario n’est pas tiré d’un ouvrage de management à la mode ; il ressort de plusieurs exemples de la Bible :
a) Josué apprit et servit longtemps dans la proximité immédiate de Moïse (Ex 33.11) ; en même temps, il fut très tôt appelé à une responsabilité significative comme chef de l’armée opposée à Amalek. Inexpérimenté, il fut protégé et encouragé par la présence et par l’intercession de Moïse (Ex 17.8-16). Il apprit de ses propres erreurs (Nom 11.24-29). Choisi pour explorer le pays de Canaan, il démontra sa foi et sa fidélité à Dieu et à Moïse lors d’une tragique mise à l’épreuve, et se vit ainsi fortifié dans sa capacité à conduire le peuple (Nom 13 et 14). Il était dès lors successeur potentiel de Moïse, mais allait servir loyalement à ses côtés trente-huit ans encore. Le moment venu, Moïse lui transmettra le témoin dans une triomphante cérémonie d’adieux (Deut 31-34).
b) Les leçons du Seigneur à ses disciples dans l’Évangile de Marc sont un modèle : « Il appela à lui ceux qu’il voulait… Il les établit pour être avec lui et les envoyer. » (Marc 3.13-14 ; Jean 15.16) Il les envoie avec une mission et des ressources (Marc 6.7-13). Au retour, Jésus les invite auprès de lui pour un temps de compte rendu et de repos (6.30-32). Puis il leur confie à nouveau des responsabilités et les implique dans son travail (6.34-44). Il les met à l’épreuve dans la tempête (6.45-52) ; puis sans désespérer d’eux, il continue à les solliciter (8.1-9). Jusqu’à la fin, il continuera ainsi à les préparer par une alternance d’enseignement, d’exemple donné, d’incitation à la pratique. Au moment de les laisser poursuivre sa mission, il les prend avec lui, s’oubliant lui-même dans un ultime service d’amour, pour un séminaire exceptionnel de transmission (Jean 13-17).
c) La relation de Paul avec Timothée, son enfant dans la foi, confirme la démarche biblique de transmission. L’apôtre est à l’origine de sa conversion (env. 46-48 ap J.-C.). Assuré par l’église locale de l’engagement authentique de Timothée, Paul en fait son compagnon de voyage (env. 50-52 ; Act 16.1-2 ; 17). Tout au long de son ministère, l’apôtre entretiendra avec lui une relation de communion particulièrement féconde. En même temps, il lui confiera des responsabilités de plus en plus importantes :
La transmission du témoin : comment la faciliter ?
L’appel, la formation, le service sont d’abord l’œuvre de Dieu, et une expérience cachée entre le serviteur et son Maître (Jean 15.5 ; 16 ; 1 Cor 4.1-5). Mais parallèlement à cette préparation, directement dépendante de la relation du chrétien avec son Père céleste, qu’est-ce qui peut favoriser concrètement le passage du relais au sein de l’assemblée ? Les exemples qui suivent permettent d’esquisser une stratégie pour faciliter cette transition :
Une transmission progressive
La transmission du témoin ne devrait pas attendre le moment où celui qui faisait presque tout cède la place à celui qui ne faisait presque rien, mais plutôt correspondre à une prise de responsabilité partagée et progressive. De plus, l’avenir étant plus important que le passé, la transmission devrait être pensée d’abord en fonction de celui qui reçoit le témoin. Telle devrait être l’orientation d’un serviteur expérimenté et encore capable d’accompagner un jeune serviteur qui s’engage. Car que vaut une transmission de témoin arrachée à la dernière minute à un serviteur à bout de souffle, ou improvisée par un responsable déjà âgé, peut-être lassé d’avoir longtemps attendu ? Paul est converti depuis une quinzaine d’année et Timothée depuis cinq ou six quand il le prend avec lui. C’est après seulement dix ans de vie chrétienne que Timothée reçoit la difficile mission de Corinthe.
Une transmission confiante
Gardons-nous de considérer les jeunes avec crainte, ou avec un quelconque mépris, avec condescendance (1 Cor 16.11 ; 1 Tim 4.12). Accordons-leur délibérément et très tôt notre confiance. Ils sont promesse de fruit et de renouvellement si nous savons les protéger, les aider à grandir dans la foi et à devenir parties prenantes dans le service.
Une transmission empreinte de discernement
Beaucoup d’exemples bibliques montrent que les serviteurs utiles ont été appelés précisément par le Seigneur ou par d’autres serviteurs. On peut en déduire que le relais se transmet, davantage qu’il ne se prend, mais ce fait met l’accent sur la responsabilité de bien connaître le troupeau (Pr 27.23), de discerner les dons reçus, la foi, l’engagement des plus jeunes et puis de susciter, d’encourager, d’informer, peut-être de désigner ou d’inviter à partager précisément tel ou tel service. Il ne s’agit évidemment pas de faire précocement pression sur qui que ce soit. La transmission ne revêt pas une forme particulière, chaque situation est différente : Moïse demande à Josué de choisir des hommes pour combattre Amalek (Ex 17.9), les apôtres demandent aux frères réunis de choisir parmi eux des personnes capables de s’occuper des veuves (Act 6.3), et parfois même l’Esprit Saint intervient pour mettre à part deux serviteurs pour un ministère particulier (Act 13.2,3).
Une transmission doublée d’une mission
Paul envoyait ses compagnons pour des missions précises. La première lettre à Timothée comme l’Épître à Tite sont de véritables cahiers des charges pour la conduite de l’église locale. De plus, l’apôtre prenait soin d’informer les bénéficiaires de la mission afin de protéger ses collaborateurs (1 Cor 16.10-12).
Une transmission dans l’unité de l’Esprit
Paul et Pierre étaient très attachés au maintien des liens noués avec ceux qui poursuivaient le ministère. Leur intercession était continuelle. La seconde Épître de Paul à Timothée et la deuxième Épître de Pierre sont des testaments spirituels qui complètent la formation commencée. Ces textes encouragent les « transmetteurs » d’aujourd’hui à rester concernés, solidaires, pour assurer un soutien moral et rester disponibles envers les collaborateurs plus jeunes.
Une transmission sans tyrannie
On retrouve ici la nécessité de respecter le lien primordial entre le serviteur et son Maître divin. Ce qui est transmis est un travail pour Dieu, pas un fond de commerce ou une entreprise personnelle. Ainsi Paul laisse place à l’initiative de ses compagnons. Il accepte que ses frères aient une vision différente de la sienne (1 Cor 16.12). Il est heureux des comptes-rendus missionnaires qu’il reçoit, et malgré les avertissements ou les exhortations dispensés à ses jeunes collaborateurs, il n’est jamais question de contrôle ou de reprise en main. Belle leçon de confiance pour la transmission aujourd’hui.
La transmission du témoin : un cap délicat
Ceux qui reçoivent le témoin des mains d’un serviteur plus ancien doivent être attentifs et faire preuve d’une grande délicatesse de cœur. Le moment peut être douloureux pour celui qui cède sa place. Ce n’est pas sans raison que Paul laisse percer sa fragilité et souhaite ardemment la présence de Timothée. Seuls ceux qui traversent ces moments peuvent dire la difficulté à accepter complètement des limites nouvelles, l’émotion douloureuse de voir d’autres continuer l’oeuvre de leur vie, avec tout ce qu’elle a coûté de joies et de peines, l’appréhension devant le mystère de leur propre mort. Alors l’exemple de Paul et de Pierre parlant précisément l’un de « sa course achevée », l’autre du « temps de déposer sa tente » devient très riche. Les deux apôtres trouvent les ressources pour dépasser leur propre situation, pourtant difficile. Ils sont capables de voir au-delà d’eux-mêmes, de leur propre vie, pour se préoccuper encore des autres et de la continuation de l’œuvre de Dieu.
Les trois réflexions qui suivent ont été réunies grâce à l’aimable collaboration de « Famille, je t’aime », une association de service née du besoin de répondre efficacement aux problèmes de la famille d’aujourd’hui. Elle se veut partenaire des églises pour œuvrer auprès des familles. Plus d’informations : www.famillejetaime.com
Grands-parents : vous êtes importants
Être grand-parent, quel privilège ! Par la valeur de votre exemple, vous transmettez un message important, à nous et à nos enfants.
Votre rôle est bienfaisant à cause de la richesse de votre vécu. Vous avez été confrontés aux épreuves de la vie, vous les avez traversées avec courage, mais parfois dans la souffrance : le chômage, la maladie, les difficultés familiales. Vous pouvez apporter à la jeune génération soutien et encouragement. Par la valeur de votre exemple, vous transmettez à vos enfants et petits enfants un message vital : celui de la persévérance et de l’espérance. C’est une vraie richesse! Grands-parents, ne vous croyez pas inutiles, votre famille a besoin de vous.
Aujourd’hui, il arrive que les grands-parents habitent loin de leurs petits enfants. Les distances ne doivent pas empêcher de garder le contact. A vous de le créer et de le maintenir en envoyant des courriers ou en téléphonant (même sur « Skype », et à l’aide d’une « webcam » si vous avez découvert ces nouveautés) pour leur montrer votre intérêt pour ce qui les concerne : sport, loisirs, musique, école.
Votre accueil ou vos visites pendant les vacances, en prévoyant un programme adapté, leur fera sentir combien ils ont de la valeur pour vous.
Alors profitez de ce que vous pouvez jouer pleinement votre rôle de grands-parents. Votre amour sans condition va marquer durablement chacun de vos petits enfants ! Ils en ont tellement besoin ! Ces occasions de transmettre votre amour, un vrai un cadeau de Dieu pour eux !
Être un exemple
A Noël, nous étions tous réunis autour de la table : enfants et leurs conjoints, et tous les petits enfants. Nous étions 21 personnes. À un moment donné, alors que nous étions entourés de rires et parfois de pleurs, mon épouse Patricia me dit : « Tout cela à cause de nous ! ». J’ai répondu : « Oui, et même si c’est loin d’être parfait, c’est formidable ! Aujourd’hui il y a dans notre société 19 disciples de Jésus-Christ en plus, et je sais que ce n’est pas encore fini.»
Cela m’a rappelé ce que l’apôtre Paul a dit un jour aux chrétiens de Corinthe : « Soyez mes imitateurs, comme je le suis moi-même de Christ. » (1 Cor 11.1) Même si je n’ai jamais exprimé ces paroles devant mes enfants ou mes petits enfants, je prie que mon coeur, mon attitude, mes actions et mes paroles les expriment tous les jours de ma vie et leur donnent envie de devenir disciples du Christ !
Quel défi et quelle motivation Dieu nous donne de vivre chaque jour que nous passons sur terre : susciter autour de nous des disciples de Jésus-Christ afin que l’Évangile soit semé jusqu’aux extrémités de la terre… en commençant par notre propre famille !
Arrête de râler
Le dimanche, il prêchait souvent. Il parlait d’un Dieu fidèle, qui prend soin de ses enfants, qui agit avec sagesse et ne se trompe jamais. Mais au quotidien, son fils le voyait se rebiffer au moindre contretemps et se battre rageusement pour faire plier les circonstances à ce qu’il voulait. Pour son fils, il était difficile, dans ces conditions, de laisser la direction de sa vie à un Dieu qui s’ « amuse » ainsi à mettre des bâtons dans les roues. C’est en voyant ultérieurement vivre d’autres hommes qu’il changea sa vision de Dieu et se décida à lui faire confiance.
S’il est un domaine où nos enfants remarquent aisément notre incohérence, c’est bien celui de la confiance en Dieu. Ils oseront lui faire confiance dans la mesure où nous lui ferons confiance. La confiance en Dieu n’est pas une option. Elle est le fondement de notre vie, et donc de notre vocation.
J’ai toujours été frappé par l’apparente dureté des paroles de Jésus lorsque, au beau milieu d’une tempête, il s’adresse à ses douze compagnons costauds, expérimentés, en train de hurler de peur à ses côtés : « Pourquoi avez-vous si peur ? Votre foi est bien petite ! » (Matt 8.26) Non, ils n’avaient pas raison d’avoir peur ! Jésus était là !
Je crois que la confiance s’apprend et se vit avant tout dans le détail de notre quotidien si imprévisible et bousculé. S’engager à accepter les contretemps montrera à nos enfants que Dieu a vraiment autorité sur nos vies.
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