PROMESSES

« Conduisez-vous avec sagesse envers ceux du dehors, et rachetez le temps. Que votre parole soit toujours accompagnée de grâce, assaisonnée de sel, afin que vous sachiez comment il faut répondre à chacun. »
Colossiens 4.5-6

Un dîner presque parfait

Lors d’un récent voyage en Côte d’Ivoire, j’ai été chaleureusement invité à un anniversaire surprise d’une collaboratrice de notre client. Lors du repas, certaines musiques ivoiriennes ont attiré mon attention : c’était en fait des chants de louange chrétien. Nous avons donc commencé à échanger librement sur les croyances de chacun des convives. Autour de la table se trouvaient une majorité de chrétiens de différentes confessions, deux musulmans, un traditionnaliste (proche de l’animisme) et mon collègue agnostique. Ce sujet de discussion est assez tabou dans l’espace public en France. En effet, sous couvert de laïcité, le partage de sa foi dans la sphère publique ou professionnelle peut paraître ostracisé. Il est pourtant autorisé, dans le respect de son interlocuteur bien entendu.

La soirée s’est prolongée avec un débat animé entre plusieurs chrétiens (dont moi-même) et le traditionnaliste. Il se plaignait de certains chrétiens qui sont trop sûrs d’eux et qui font du prosélytisme, à proprement parler, en venant même toquer aux portes des maisons très tôt le matin. Il questionnait les intentions profondes de tels chrétiens. Il est intéressant de se poser cette question : si nous évangélisons, qu’est-ce qui nous anime le plus ? La volonté de montrer aux autres que nous avons raison ou bien la volonté de partager le remède qui nous a guéris, par amour pour notre prochain ?

Recherchons le bon équilibre

Lorsqu’un disciple témoigne, il y a deux principaux écueils à éviter. D’un côté, on peut asséner la vérité de manière trop dure, sans amour. Nous serions alors comme « une cymbale qui retentit » en produisant un son confus (1 Cor 13.1). De l’autre, nous pouvons être tentés d’adoucir le message biblique, d’accentuer uniquement l’amour de Dieu pour essayer de laisser une porte ouverte au salut de notre interlocuteur, même s’il ne connaît pas Jésus. Pourtant Jésus n’a pas essayé d’arrondir les angles ni de relativiser sa propre importance quand il a déclaré : « nul ne vient au Père que par moi » (Jean 14.6). C’est à cet équilibre qu’encourage Paul en Colossiens 4.5-6. Ce verset décrit un savant mélange entre la « grâce », autrement dit la douceur du propos, et le « sel », qui représente la vérité de l’esprit, donnant le véritable « goût » à nos paroles.
Lors de cette soirée, j’espère que nous ne sommes pas tombés dans ces travers. En fin de compte, personne n’a changé de position. On pourrait en conclure que ces débats religieux sont infructueux et inutiles. Mais faire changer d’avis une personne ne devrait pas être le but premier de notre échange. Ne jugeons pas des fruits du témoignage que nous apportons. Obéissons simplement à la mission que le Christ nous donne : « Va dans ta maison, vers les tiens, et raconte-leur tout ce que le Seigneur t’a fait, et comment il a eu pitié de toi » (Marc 5.19).

La responsabilité de Dieu, du disciple et de celui qui l’écoute

Paul distingue avec justesse et humilité les responsabilités des différents acteurs de l’évangélisation : « J’ai planté, Apollos a arrosé, mais Dieu a fait croître, en sorte que ce n’est pas celui qui plante qui est quelque chose, ni celui qui arrose, mais Dieu qui fait croître » (1 Cor 3.6-7).
Laissons à Dieu le travail du cœur que Lui seul peut réaliser. Notre responsabilité consiste seulement à « planter une graine » ou à « arroser » le témoignage de quelqu’un d’autre. Laissons aussi le temps à notre interlocuteur de digérer la discussion et de se positionner librement par rapport au message. Enfin, tirons profit de ces échanges pour progresser dans la ressemblance de notre Sauveur.
Me suis-je adapté à mon interlocuteur sans le juger ? « J’ai été faible avec les faibles, afin de gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous, afin d’en sauver de toute manière quelques-uns. » (1 Cor 9.22) Ai-je parlé en vérité ? « […] nous n’avons point une conduite astucieuse, et nous n’altérons point la parole de Dieu. Mais en publiant la vérité, nous nous recommandons à toute conscience d’homme devant Dieu » (2 Cor 4.2).
Ai-je parlé avec douceur et respect ? « Étant toujours prêts à vous défendre avec douceur et respect, devant quiconque vous demande raison de l’espérance qui est en vous » (1 Pi 3.15).
Ai-je répondu à la provocation par la provocation ? « Ne rendez à personne le mal pour le mal » (Rom 12.17).
Est-ce l’amour de mon prochain qui m’a poussé à parler ? « Car toute la loi est accomplie dans une seule parole, celle-ci : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Gal 5.14)
Mon comportement et mes actes sont-ils en accord avec mon témoignage ? « Petits enfants, n’aimons pas en paroles et avec la langue, mais en actions et avec vérité » (1 Jean 3.18).
Ai-je envie de prier pour son bonheur, pour son salut ? « J’exhorte donc, avant toutes choses, à faire des prières, des supplications, des requêtes, des actions de grâces, pour tous les hommes » (1 Tim 2.1).

Pour être heureux, vivons cachés ?

On pourrait être tenté d’être un disciple discret en se donnant une foule de « bonnes raisons » : je ne sais pas bien parler, je ne veux pas faire de prosélytisme ou mettre les gens mal à l’aise, j’ai peur de perdre des amis… Beaucoup de ces excuses ne sont souvent qu’une projection de nos peurs et s’avèrent erronées lorsqu’on se lance. Mais au fond, est-ce que le témoignage est une option ou un véritable devoir du disciple ?
On trouve dans la Bible des exemples de disciples, qui ne vivent pas leur foi au grand jour. C’est le cas de Joseph d’Arimathée et de Nicodème, qui étaient des disciples secrètement au début de leur chemin de foi. Être un disciple en secret n’est pourtant pas une option laissée par le Seigneur : « Car quiconque aura honte de moi et de mes paroles au milieu de cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l’homme aura aussi honte de lui, quand il viendra dans la gloire de son Père, avec les saints anges » (Marc 8.38, voir aussi Mat 10.32-33).
Heureusement, la Bible nous apprend que ces deux hommes ont finalement pris le risque de révéler leur foi, au moment où cela était pourtant le plus risqué pour eux :
« Après cela, Joseph d’Arimathée, qui était disciple de Jésus, mais en secret par crainte des Juifs, demanda à Pilate la permission de prendre le corps de Jésus. Et Pilate le lui permit. Il vint donc, et prit le corps de Jésus. Nicodème, qui auparavant était allé de nuit vers Jésus, vint aussi, apportant un mélange d’environ cent livres de myrrhe et d’aloès » (Jean 19.38-39).
La peur ne doit donc pas être une excuse pour se taire. Dans beaucoup de pays, les chrétiens persécutés assument leur foi de manière plus courageuse que dans certains pays de liberté religieuse.
Il serait certes plus confortable pour nous d’être des chrétiens du dimanche ou de la sphère privée. Mais on n’allume pas une lampe pour la cacher sous un seau ! (Mat 5.15).
Si nous risquons dans notre pays quelques moqueries pour notre témoignage, souvenons-nous que « nos légères afflictions du moment présent produisent pour nous, au-delà de toute mesure, un poids éternel de gloire… » (2 Cor 4.17).

Assumons la “folie” de la prédication

Dans la Profession de foi du vicaire savoyard, Rousseau critique les religions révélées, l’autorité et la fiabilité du témoignage de la Bible. Il en appelle à la religion naturelle, croyance raisonnable que chacun peut découvrir dans son cœur. Beaucoup d’agnostiques modernes sont influencés par cette pensée et par un relativisme interdisant l’existence même d’une vérité révélée.
Dans un dialogue fictif avec un croyant, Rousseau écrit : « Dieu a parlé ! Voilà certes un grand mot. Et à qui a- t-il parlé ? Il a parlé aux hommes. Pourquoi donc n’en ai-je rien entendu ? Il a chargé d’autres hommes de vous rendre sa parole. J’entends ! ce sont des hommes qui vont me dire ce que Dieu a dit. J’aimerais mieux avoir entendu Dieu lui-même (…) »
Il est vrai que la mission de témoin du Christ n’est pas évidente. Pourquoi Dieu se sert-il de disciples humains, si faillibles, alors qu’il pourrait d’un mot se faire connaître à l’oreille de tout homme ? Mais qui sommes-nous pour expliquer à Dieu comment il doit parler aux hommes ? Si en Eden, Dieu parlait sans intermédiaire avec Adam et Eve, il aurait parfaitement pu couper toute relation avec l’humanité après
la chute. Il a cependant choisi des hommes pour se faire connaître. Cette méthode peut paraître humiliante pour Rousseau, mais justement, Dieu veut se révéler aux humbles. Si Dieu daigne envoyer un serviteur pour nous parler, c’est déjà une grande marque d’amour. Si un ministre vous parle de la part du président, vous plaindrez-vous que ce dernier ne s’adresse pas directement à vous ?
En réfutant l’existence d’une révélation unique de Dieu, sous prétexte d’intolérance des croyants qui la défendent, Rousseau finit par se créer son propre Dieu, sur mesure. Ironiquement, propre intolérance envers tous ceux qui ne se sont pas fabriqués le même Dieu que lui devient alors évidente.
Paradoxalement, même s’il reste sceptique, Rousseau est obligé de concéder ceci : « Je vous avoue aussi que la majesté des Écritures m’étonne, que la sainteté de l’Évangile parle à mon cœur » Plus encore, il ne peut nier l’historicité du Christ et va jusqu’à dire : « Oui, si la vie et la mort de Socrate sont d’un sage, la vie et la mort de Jésus sont d’un Dieu ».
Soyons donc des disciples visibles qui affirment avec Paul :« Je n’ai point honte de l’Évangile : c’est la puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit » (Rom 1.16).

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De tous les personnages bibliques, Job est l’un de ceux qui a traversé les souffrances physiques et morales les plus pénibles. Son histoire montre que le problème des fléaux et de la maladie n’est pas nouveau. Depuis l’entrée du mal dans le monde après la chute, l’humanité est touchée par ces épreuves qui soulèvent de nombreuses interrogations, parfois de la colère envers Dieu voire du désespoir. Ces fléaux sont-ils forcément un jugement divin pour le péché des hommes ? Si tel est le cas, pourquoi des hommes intègres et craignant Dieu seraient-ils atteints ?
Au milieu de toutes ses souffrances, la femme de Job lui conseille de maudire Dieu et de mourir. Ses amis moralistes lui expliquent que sa situation est certainement due à un péché caché. La douleur et le sentiment d’avoir été abandonné par Dieu semblent le terrasser, mais « en tout cela Job ne pécha point par ses lèvres » (Job 2.10).
À la fin du livre, Dieu répond enfin à Job. Il déploie devant ses yeux un tableau de l’étendue de sa gloire, de sa puissance et de sa souveraineté sur sa création. Dieu semble à nos yeux répondre à côté des questions existentielles lancinantes de Job. Pourtant Job s’en satisfait, car dans l’épreuve, il a rencontré son Créateur de manière plus intime : « Mon oreille avait entendu parler de toi ; mais maintenant mon œil t’a vu » (Job 42.5).
Face aux diverses épreuves que nous traversons, inspirons-nous de la patience de Job et encourageons-nous par l’heureuse issue de sa vie. Et si nous n’avons pas aujourd’hui toutes les réponses à nos « pourquoi », rappelons-nous cette pensée profonde d’Hudson Taylor : « Découvrir ce que Dieu me dit dans une période difficile est plus important que de sortir de cette période difficile. »

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« Toutes choses travaillent ensemble pour le bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qui sont appelés selon son propos. Car ceux qu’il a préconnus, il les a aussi prédestinés à être conformes à l’image de son Fils, pour qu’il soit premier-né entre plusieurs frères. Et ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés ; et ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés ; et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés. »  (Rom 8.28-30, Darby)

Introduction historique

Depuis les débuts de l’histoire de l’Église, la question de la conciliation de la souveraineté de Dieu et de la liberté humaine se pose et donne lieu à de nombreuses interprétations. Pour parler du salut, les auteurs bibliques parlent à la fois de prédestination, de choix divin mais aussi de la responsabilité des hommes à ne pas s’endurcir et à s’engager dans la vie chrétienne. Les passages en question font souvent la part belle à l’une ou l’autre des perspectives, selon le contexte, et peuvent donner l’impression que l’apôtre Paul (qui est le seul à utiliser le terme de prédestination avec Luc) ne cherche pas à harmoniser ces deux réalités. Certains pensent que la souveraineté divine et le libre-arbitre se situent sur deux plans différents, comme le Christ est à la fois pleinement Dieu et pleinement homme, et qu’on ne peut concilier intellectuellement ces deux réalités. Ces aspects du salut seraient comme deux droites parallèles qui ne se rencontrent pas. Mais Paul semble réussir à concilier pleinement les deux aspects ; n’a-t-il pas laissé un indice permettant de les relier ?
C’est avec Augustin, père de l’Église très influent du IVe siècle, que la controverse va prendre de l’importance et une tournure philosophique autant que théologique. Dans ses polémiques avec les manichéens, il affirme d’abord haut et fort le libre-arbitre humain comme principale cause du péché et du mal. Puis, dans sa célèbre controverse avec le moine Pélage, qui nie la doctrine du péché originel et affirme que l’homme peut faire de lui-même les bons choix pour arriver au salut, il va développer sa doctrine de la prédestination qui semble ne plus laisser aucune place au libre-arbitre humain. Pélage va être condamné par l’Église, mais pour autant la doctrine de la prédestination inconditionnelle d’Augustin ne sera pas véritablement ratifiée comme un dogme de l’Église (jusqu’à aujourd’hui, ce point fait débat dans l’église catholique comme chez les protestants).On remarque que, dans les contextes de forte polémique, les discours se durcissent et que ce n’est pas toujours là qu’on trouve la vision la plus équilibrée sur une question. Au moment de la Réforme, on se retrouve dans une situation similaire : l’hérésie du salut par les œuvres et du commerce des indulgences doit être enrayée. Luther (moine de l’ordre augustinien) puis Calvin vont s’approprier la vision augustinienne de la prédestination, comme condition sine qua non du salut par la grâce seule, sans aucun mérite de l’homme. Calvin fait même un pas de plus en assumant pleinement le côté négatif associé au choix divin et parlera de double prédestination : les uns sont choisis pour la vie, les autres destinés à la mort, selon le bon plaisir divin.1
Dès les débuts de la Réforme protestante, Érasme (qui restera du côté catholique) va remettre en cause cette vision en polémiquant avec Luther. Mélanchton, le grand théologien et ami de Luther, d’abord fervent défenseur de la vision augustinienne, va progressivement nuancer son propos jusqu’à redonner à l’homme une véritable responsabilité face à la souveraineté divine. Un peu plus tard, Arminius, disciple réputé de Calvin, suivra le même chemin.
Ainsi, nous aborderons un des nœuds de la question sur laquelle l’interprétation des réformateurs diverge. La prédestination divine est-elle inconditionnelle, comme l’affirment Luther et Calvin ? Ou bien la prédestination est-elle conditionnée par la prescience divine de l’acceptation ou du rejet de la foi ? C’est ce que défendent Mélanchton et Arminius. On appelle souvent la première position « calviniste » ou « réformée », et la deuxième position « arminienne » ou « wesleyenne » (en référence à Jacobus Arminius puis John Wesley qui ont soutenu ces interprétations).
Nous nous concentrerons donc principalement sur l’articulation entre les concepts de prédestination et de prescience dans la Bible.

Les références à la prédestination

Le mot « prédestiné » correspond dans le grec à « proorizo », qui est composé de « pro » (avant) et « orizo » (marquer les frontières ou limites / déterminer, décréter, cf. Luc 22.22).Ce sujet a fait couler beaucoup d’encre, et pourtant ce mot n’apparaît que six fois dans la Bible :

• Deux fois, il concerne directement le conseil divin éternel (ou décret) d’envoyer Jésus pour notre salut (Act 4.28 ; 1 Cor 2.7)
• Quatre fois, cela concerne les chrétiens directement. Cette notion est alors rattachée à la préconnaissance divine dans les deux premiers versets, et à Jésus Christ dans les quatre versets. Aucune mention d’une prédestination négative (réprobation) dans ces passages (Rom 8.29,30 ; Éph 1.5,11).

Le terme de prédestination est souvent utilisé comme synonyme du mot élection (« ekloge » en grec) qu’on retrouve sept fois dans le Nouveau Testament et du verbe associé « eklegomai » (dix-neuf mentions). Il faut cependant être très prudent et les replacer dans leur contexte, car ces termes ne sont pas toujours relatifs au salut individuel des hommes. Par exemple, Judas a été « choisi » par Jésus (Jean 6.70). De même l’élection d’Israël ne peut pas être comprise comme la parfaite analogie de la prédestination au salut des hommes, car c’est d’abord une vocation temporelle (le peuple « lumière des nations » duquel devait sortir le Sauveur). Nous ne détaillerons pas ici tous les emplois de ces mots.

Les références à la prescience ou préconnaissance

Ces termes n’apparaissent que sept fois dans le Nouveau Testament :

  • Le terme « prognosis » n’apparaît que deux fois. La première fois en Act 2.23 à propos du salut en Jésus et la deuxième en 1 Pi 1.2 à propos des élus. Nous comparerons ces deux passages plus loin.
  • Le terme « proginosko » apparaît cinq fois dans la Bible. Trois fois il concerne indubitablement une simple connaissance de fait à l’avance (Act 26.5 ; Rom 11.2 ; 2 Pi 3.17), une fois il concerne Jésus (1 Pi 1.20) et une fois les croyants (Rom 8.29).

La définition qu’on donne au mot proginosko influe grandement sur l’interprétation des textes. La position calviniste donne à ce mot un sens uniquement relationnel et électif. Si tel est le cas, alors il peut être pris comme synonyme du mot « prédestiné » dans cette position (ce qui rend le développement de l’apôtre en Rom 8.28 redondant). Le choix des élus serait alors arbitraire, ayant son fondement mystérieux en Dieu qui ne ferait nullement appel à son omniscience. La position de Frédéric Godet, théologien et exégète du XIXe siècle, me paraît la plus équilibrée :
« Il n’y aura donc rien d’arbitraire dans le décret de la volonté divine, dont Paul parle dans ce passage : car il repose sur un acte d’intelligence. C’est un décret dicté par la sagesse divine, non un pur acte d’amour. L’amour non fondé sur une connaissance ne serait pas même de l’amour ; ce ne serait qu’une simple attraction instinctive, dont l’idée est indigne de Dieu.  Sur quoi porte cette préconnaissance ? Serait-ce uniquement sur la future personnalité des élus, indépendamment de toute qualification morale de leur personne ? Cette réponse nous ramènerait à l’arbitraire du bon plaisir que Paul lui-même veut écarter.»2

 L’articulation entre la prescience et la prédestination

Étudions maintenant le rapport qui existe entre la prédestination et la prescience divine par les textes bibliques :

  • Actes 2.23 : « ayant été livré par le conseil défini (grec : boule orizo) et par la préconnaissance de Dieu, – lui [Jésus], vous l’avez cloué à une croix. »

Pour Jésus, le conseil défini, autrement dit le décret déterminé d’éternité par Dieu, est logiquement placé avant la prescience de Dieu. En d’autres termes, Dieu détermine d’abord le moyen de notre salut en Jésus, et il sait d’avance que les hommes le rejetteront et permettront l’exécution du plan par leur méchanceté.
Observons maintenant les deux versets qui concernent les croyants :

  • Rom 8.29 « Car ceux qu’il a préconnus, il les a aussi prédestinés »
  • 1 Pi 1.2 : « élus selon la préconnaissance de Dieu le Père »

Pour les élus c’est l’inverse, Dieu connaît d’avance quelque chose qui n’est pas nommé ici, ce qui conduit à les élire (ou choisir). Cette préconnaissance de quelque chose est la seule explication biblique qui nous est donnée pour éclairer le choix des élus par Dieu. Quelle pourrait donc être cette raison sur laquelle Dieu s’appuie pour faire un choix éclairé et non arbitraire ? Serait-ce la prescience des éventuelles bonnes œuvres futures des hommes ? Non, car « nulle chair ne sera justifiée devant lui par des œuvres » (Rom 3.20). Que reste-t-il qui nous relie à Jésus (puisque nous sommes choisis en lui d’après Éph 1) et qui ne soit pas basé sur les œuvres ? La foi, évidemment. La foi est le moyen par lequel Dieu veut mettre en œuvre son plan de salut (Phil 3.9). S’il est vrai que la foi n’est pas directement nommée en 1 Pi 1.2 par l’apôtre, elle est le thème central des versets suivants (1 Pi 1.5 à 13). En conclusion, il y a bien un déterminisme, un choix divin, de sauver des individus mais ce choix est éclairé par sa préconnaissance de la foi de chaque individu, que Dieu contemple car Il est hors du temps.

La foi : un don de Dieu ?

La foi (grec : pistis) revient à deux cent vingt-huit reprises dans le Nouveau Testament ! Le concept désigné par ce mot est donc plus difficile à cerner car son usage est large.
Pour éviter tout mérite à l’homme, la position réformée affirme que la foi est un pur don de Dieu, et qu’elle n’est donnée qu’aux élus. Ce décret devrait alors se formuler ainsi selon Godet : « Toi tu croiras ; toi, tu ne croiras pas » alors qu’il propose une formulation bien plus biblique « Tu adhères par la foi à celui que je te donne pour Sauveur ; il t’appartiendra donc tout entier, et je ne te laisserai point que je ne t’aie rendu parfaitement semblable à Lui, l’homme-Dieu. »
Godet conclue ainsi : « Non seulement donc, dans la pensée de saint Paul, la pleine liberté humaine dans l’acte de croire n’est pas exclue, mais elle y est même impliquée. Car elle seule motive la distinction clairement établie entre les deux actes divins de la préconnaissance et de la prédestination. »
Rien n’indique dans les passages que nous avons étudiés une telle prédétermination de la foi chez les individus. Le verset souvent avancé pour justifier cette vision du don de la foi est celui d’Ephésiens 2.8,9. Nous citerons une partie de la réponse du théologien contemporain Egbert Egberts :
« Qu’est-ce qui est le don de Dieu, la foi, ou le fait que Dieu sauve par le moyen de la foi ?  Le « cela » ne correspond pas forcément à la foi, mais s’explique mieux pour l’ensemble de la phrase qui précède. Si Paul avait voulu rendre très clair qu’il parlait de la foi comme étant le don de Dieu, il se serait servi du pronom démonstratif féminin. Le pronom neutre, traduit par « et cela », qu’il utilise, a un sens correspondant à notre « et tout ça ». La foi deviendrait alors une œuvre ? À Dieu ne plaise ! La foi est l’opposé même des œuvres au verset 9. Si cela venait de nous, et donc de nos œuvres, nous aurions de quoi nous vanter ? Mais il n’y a aucune raison de se vanter, car le salut que l’on reçoit par la foi est un don de Dieu. 3»
Un deuxième problème de la vision de la foi comme un pur don divin est le retournement du concept de la foi exposé dans la Bible. Dans la vision calviniste, la régénération (nouvelle naissance) est nécessaire pour qu’un homme puisse avoir la foi. La foi devient une sorte de moyen second alors que le travail divin a déjà été entièrement accompli en l’homme. La Bible montre au contraire que la foi précède la régénération comme l’expliquait très bien Paul-André Dubois,4.
Nous ne pourrons pas détailler ici tous les aspects de la foi biblique, mais il semble parfaitement biblique d’admettre une coopération entre Dieu qui fait naître la foi, la fortifie et l’homme qui y obéit ou la rejette (Rom 1.5 ; 1 Tim 4.1 ; 6.10 ; Héb 3.19 ; 4.2, etc.). Nous pensons que c’est cette possibilité qui fonde une véritable responsabilité humaine. Sinon, comment Jésus, sachant que Dieu n’a pas voulu donner la foi à certains, pourrait-il affirmer : « Celui qui croit en lui n’est pas jugé, mais celui qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. » (Jean 3.18) Jean Chrysostome l’exprimait ainsi : « Dieu attire celui qui veut être attiré. »

Conclusion

Si l’on ne veut pas admettre que Dieu prédestine selon la prescience de la foi des hommes mais que ce choix trouve sa source en Dieu seul, sans faire appel à son omniscience, on tombe inéluctablement dans le concept de double prédestination. Certains tenteront, de manière louable, d’amoindrir et de dissymétriser l’élection positive et la damnation, mais Calvin lui-même parlait assez durement de ces personnes dans son Institution de la Religion Chrétienne, où il affirme haut et fort la symétrie évidente de ces choix. En effet, si Dieu choisit de donner la foi à certains, qu’il n’est empêché par rien de donner cette foi aux autres mais ne le fait pas, les deux choix vont naturellement de pair comme l’affirme Calvin. Le réformateur exhorte alors à arrêter toute enquête pour comprendre ce choix et à l’accepter simplement.  Certes, Dieu serait juste même s’il agissait ainsi, car tous ont péché et méritent la mort. Cependant, ne serait-ce pas une auto-limitation importante de sa miséricorde ? Pour quelle raison ne sauverait-il pas tout le monde ? Le sacrifice de Jésus ne serait pas suffisant pour la propitiation de tous les hommes ? Dieu ne veut-il pas que tous les hommes soient sauvés ? (1 Tim 2.4) N’est-il pas le sauveur du monde (Jean 4.42), de tous les hommes, et en particulier des croyants (1 Tim 4.10) ? 5
On voit bien que la réprobation ne doit être fondée que sur la responsabilité humaine. Ce n’est que cette responsabilité pleine et entière, et non un décret hypothétique de réprobation qui peut expliquer que tous ne soient pas sauvés si l’on ne veut pas tordre les versets qui montrent que la grâce de Dieu n’est pas un cadeau privé, réservé à des privilégiés.
Deux visions de Dieu s’opposent alors. Du côté calviniste, Dieu contrôle et décrète tout ce qui arrive, dans les moindres détails. Cela donne l’impression qu’il auto-limite son amour aux seuls élus pour faire éclater sa gloire et montrer qu’il n’est pas obligé d’accorder son pardon à tout le monde. Dans une vision arminienne, Dieu semble auto-limiter sa souveraineté par amour, il attire l’homme tout en lui laissant le moyen de le rejeter. Par sa prescience, il reste cependant parfaitement au contrôle du monde et de son plan.
Enfin, un des problèmes principaux de la vision calviniste soulevé par Arminius est celui de l’origine du mal. Dans la vision calviniste, Dieu détermine et décrète tous les évènements. Le mal, chaque péché et même la chute de l’homme ont été décrétés par Dieu. Pour Arminius, cela fait de Dieu l’auteur du mal, car la chute n’est pas seulement permise et prévue avec ses conséquences, mais voulue et décrétée. Une cohabitation est heureusement possible malgré ces divergences. Il faut se rappeler que les motivations de ces deux interprétations sont bonnes. La vision calviniste cherche à garantir la souveraineté et la gloire de Dieu, et ne cherche pas en général à faire de Dieu l’auteur du mal. La vision arminienne cherche à accentuer l’amour universel de Dieu pour les hommes, elle ne cherche pas à accorder un quelconque mérite à l’homme mais plutôt à le responsabiliser pleinement dans son rejet de Dieu.
Pour finir, rappelons-nous que la doctrine de la prédestination doit rester source d’encouragements, d’assurance et non de doute. Nous pouvons louer Dieu de nous avoir prédestiné à un tel avenir glorieux en Christ.

  1. Institution de la Religion Chrétienne, Jean Calvin ; livre 3, chapitre 21 : « De l’élection éternelle : par laquelle Dieu en a prédestiné les uns à salut, et les autres à condamnation. »
  2. »
  3.  Une « tulipe » peu ordinaire, Le Calvinisme en question, Egbert Egberts, Editions l’Oasis, 2016
  4. La nouvelle naissance précède-t-elle la foi ?, Paul-André Dubois, Promesses, 2011
  5. La position calviniste tente d’échapper à ces objections en limitant la portée du mot ‘tous’ en le définissant comme « tous les genres d’hommes » à la suite d’Augustin. Plusieurs, comme le pasteur John Piper, imaginent deux volontés distinctes en Dieu, qui voudrait et ne voudrait pas sauver tous les hommes sous différents aspects. Pour une réponse détaillée à ces objections, consulter par exemple le livre d’Egbert Egberts déjà mentionné.

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