PROMESSES

« Que chacun se soumette aux autorités qui nous gouvernent, car toute autorité vient de Dieu. » (Rom 13.1)  « Que chacun se soumette aux autorités qui nous gouvernent, car toute autorité vient de Dieu. » (Rom 13.1)  

« À cause du Seigneur, soumettez-vous à toutes les institutions établies parmi les hommes. » (1 Pi 2.13)

Dans la bouche de Paul et de Pierre, ces deux impératifs appellent la soumission à toutes les autorités, sans condition ni interprétation possible du texte.

Dans les temps troublés que traversent nos sociétés, un individualisme exacerbé se développe et refuse, parfois ouvertement, toute autorité contraignante. Alors la perte des repères traditionnels, la violence des relations et le sentiment d’insécurité peuvent conduire à souhaiter un pouvoir, voire un homme, fort, capable de faire respecter la loi et l’ordre. La tradition légitimiste des chrétiens et le soutien de l’Église historique aux pouvoirs en place peuvent nous amener à manquer de discernement en donnant un caractère absolu et sans nuance à ces textes. Plusieurs raisons liées notamment à l’approche biblique du sujet de l’autorité invitent toutefois à la vigilance et à l’équilibre dans les choix éthiques liés à la soumission.
Afin d’éclairer la proposition d’une approche vigilante et peut-être moins inconditionnelle de la soumission, nous nous livrerons à un parcours très sommaire dans l’histoire de la royauté en Israël. Nous chercherons ensuite, dans la vie et les paroles de Jésus, quelques leçons sur l’autorité. L’exercice de celle-ci n’étant ni arbitraire ni absolu, nous essaierons d’en dégager le cadre biblique.

Un rapide parcours biblique

• L’origine

L’autorité souveraine et absolue est toujours la prérogative de Dieu et de lui seul (Job 33.12,13 ; Act 1.7 ; 1 Tim.6.15 ). L’homme n’a de liberté d’agir ou d’exercer une autorité sur d’autres que dans le cadre d’une délégation et dans la dépendance de Dieu (Gen 1.26, 28 ; 2.15-17 ; Jean 19.10,11). Le refus de la créature de dépendre de Dieu son créateur provoque en l’humain un esprit de convoitise et de toute-puissance, une volonté de domination de l’autre jamais satisfaite (Gen 3.16 ; 4.23) et la tentation d’usurper arbitrairement une autorité vite transformée en pouvoir autoritaire.

• La faillite de la royauté en Israël

La royauté en Israël est une initiative du peuple qui ne correspond pas au plan de Dieu. Le peuple manifeste le rejet de l’autorité divine et la volonté de se conformer aux nations voisines, même au risque d’y perdre sa liberté. Dieu accepte mais avertit le peuple et prévoit des contre-pouvoirs (la loi et le prophète) : le roi n’est pas au-dessus de la loi (dix commandements, Torah) et la présence des prophètes et des sacrificateurs évoque déjà une séparation des pouvoirs (Lire Deut 17.8-20 ; 28.36 et 1 Sam 8).
Le livre des Juges donne une illustration saisissante avec la demande des hommes d’Israël à Gédéon : « Domine sur nous […] et Gédéon leur dit : Je ne dominerai point sur vous […] l’Éternel dominera sur vous » (8.22,23). Malgré la prophétie de Jotham et la belle parabole des arbres et de l’épine, le peuple qui oublie son Dieu (8.34) n’hésite pas à confier son avenir à Abimélec, usurpateur sanguinaire. Le premier roi en Israël, autoritaire et violent, termine son règne dans les massacres de la première guerre civile.
Le long règne de Salomon, si bien commencé, se termine mal. Son fils Roboam ne comprend pas l’appel du peuple et le conseil des vieillards : 1 Rois 12 : « ton père a exercé une dure domination sur nous […] toi allège le dur service […] deviens serviteur de ce peuple ». Il n’écoute pas son peuple et préfère imposer une royauté plus autoritaire que son père. Ce sera l’origine de la division du peuple.
À la fin de l’histoire de la royauté en Juda, les prophètes Jérémie (22 et 23) et Ézéchiel (34) avertissent les souverains et les invitent à régner en justice, comme des serviteurs et des bergers de leur peuple.

Jésus et l’autorité, la vraie nature de l’autorité

La vie et la condamnation du Seigneur Jésus illustrent remarquablement la question de l’autorité

• La vie de Jésus met en évidence les deux points d’appui d’une vraie autorité

– Une légitimité conférée par la loi ou une autorité supérieure : Jésus est reconnu par Dieu lui-même publiquement : « Celui-ci est mon Fils bien aimé, en qui j’ai trouvé mon plaisir : Écoutez-le » (Mat 3.17 ; 17.5). Il montre sa puissance sur les esprits (Luc 4.36) et sur les éléments (Mat 8.27),
– Une qualité morale qui donne sa crédibilité à l’autorité : Jésus n’a jamais revendiqué l’autorité ou le pouvoir pour lui-même ni agi de manière autoritaire. L’autorité de Jésus repose sur une qualité morale irréprochable et une cohérence sans faille entre ses actes et sa parole ; elle se révèle dans le service, l’enseignement (Act 1.1 ; Mat 7.29) ; les paroles (Luc 4.32) ; l’attention et le respect des plus petits Elle s’impose sans autoritarisme comme une évidence (cf. appel des disciples Mat 9.9).     Jésus montre ainsi que l’autorité véritable n’a besoin ni d’attitude de persuasion, ni d’une position hiérarchique, ni de manipulation, ni de menace ou de recours à la force pour être reconnue et respectée.

• Jésus et les autorités de son temps

Les responsables religieux et civils de son temps se sont constamment confrontés à Jésus. Un homme dont l’autorité vraie et désintéressée mettait en évidence les dérives de l’autorité devenue un pouvoir au service de ceux qui le détiennent (Mat 23).
Très tôt les « autorités » religieuses ont cherché à se débarrasser de lui, n’hésitant pas pour cela à se compromettre avec des autorités civiles et militaires honnies, pour faire aboutir leur projet. Les unes et les autres se montrent alors capables d’agir au mépris de toute justice.
Devant les prétentions et l’opposition des autorités, religieuses en particulier, Jésus fait preuve de dignité, de courage et d’une résistance à tout ce qui entrave son ministère. Contrairement à ce qui a trop souvent été le cas de l’Église professante et des institutions religieuses, Jésus se place du côté des humbles et non du pouvoir en place et des puissants.
Les paroles et l’exemple du Seigneur nous invitent alors à une réflexion sur l’exercice de l’autorité et sur les conditions et limites de la soumission.

Autorité et soumission dans les différents types de relations

Dans chaque type de relation, l’invitation claire à la soumission est toujours accompagnée d’avertissements qui limitent l’exercice de l’autorité pour prévenir les dérives autoritaires et leur cortège d’injustices, d’abus et de maltraitance :

•   Dans le couple, la domination de l’homme sur la femme est le résultat du péché (Gen 3.16). L’homme et la femme sont chacun au service de l’autre dans un respect libre et réciproque (1 Cor 7.3-4) ; l’invitation faite aux femmes de se soumettre à leur mari est très soigneusement encadrée par le rappel de la soumission réciproque de chacun des conjoints et l’invitation insistante à un amour sans faille à l’image du Christ pour l’Église (Éph 5.21-33).

•   Dans la famille, l’autorité du père est pleinement reconnue ; elle est indispensable au développement harmonieux de la personnalité de l’enfant et à son éducation dans le Seigneur. La Bible lui fixe des limites avec l’invitation à la douceur (1 Tim 3.3), à ne pas décourager, provoquer ou exaspérer la fragilité de l’enfant (Éph 6.4 et Col 3.21).

•   Dans l’Église, le Seigneur Jésus, chef de l’Église, appelle des pasteurs / bergers, des anciens / surveillants ; il leur confère une autorité pour prendre soin de son troupeau et le protéger des doctrines erronées ou perverses (Act 20.28-31), de désordres moraux, des querelles vaines, des verbeux et des cupides (Tite 1.10,11) et de ceux qui veulent être les premiers (3 Jean 9). Les textes sont nombreux pour montrer l’importance de ce service et inviter les fidèles à la reconnaissance et à la soumission aux anciens (1 Tim 3-5 ; Tite). En même temps, les responsables sont mis en garde contre tout autoritarisme : l’édification est le seul but de l’autorité dans l’Église (2 Cor 10.8 ; 13.10) ; la délicatesse et la douceur caractérisent les responsables (1 Tim 5.1-3) ; ils ont des comptes à rendre (Héb 13.17) et ne doivent pas être dominants (1 Pi 5.3). L’exercice collégial des responsabilités devrait éviter le pouvoir personnel abusif.

•   Dans les relations professionnelles, les conditions de chaque époque ne permettent pas d’appliquer sans contextualisation aux employés d’aujourd’hui les exhortations adressées aux esclaves de l’antiquité gréco-romaine. Il est toutefois possible de retenir trois points significatifs : ­
-l’encouragement à la soumission et au respect du maitre, ­
-l’invitation à assurer tout service ou activité comme serviteur du Seigneur, dans la liberté intérieure d’un cœur dont Dieu demeure le motif premier, ­
-la réciprocité demandée aux employeurs avec l’interdiction de toute menace et injustice dans leur management (lire Éph 6.5-9 ; Col 3.22-4.1 ; Jac 5.4)

•   Dans les institutions civiles, tout en commandant la soumission à toutes les institutions établies, l’apôtre Pierre invite les croyants à se comporter en hommes libres. La liberté est ici mise en avant comme premier caractère des serviteurs de Dieu et non comme prétexte à un laxisme immoral (1 Pi 2.13-17). Cette attitude est le fruit d’un engagement devant Dieu dans la dignité de la personne et non dans la peur d’une autorité contraignante dont il est à craindre qu’elle ne devienne de plus en plus liberticide.

Autorité et soumission se vivent dans un cadre donné par Dieu

Les observations qui précèdent permettent de dégager quelques points de cadrage bibliques pour l’exercice de l’autorité :
• Dieu est souverain, unique source de l’autorité et objet premier et dernier de toute soumission. L’attitude du croyant est toujours devant Dieu d’abord (Deut 6.4,5 ;   Act 4.18-20) et à l’écoute de sa volonté.
• L’autorité n’est pas arbitraire mais soumise à un cadre légal : Dans l’Israël de l’Ancien Testament, la loi s’impose au roi comme à ses sujets (Deut 17.18-20). Aujourd’hui encore, de façon plus ou moins réussie, les États non tyranniques se présentent comme des États de droit.
• L’autorité est toujours au service de l’être humain pour son bien (Rom 13.4). Elle protège le plus faible de la loi du plus fort et permet le « vivre ensemble ». Elle n’est jamais au service d’une institution. Elle n’est pas une fin en soi, mais offre un cadre protecteur qui permet la croissance et vise à établir chacun dans sa liberté jusqu’à la maturité. Ainsi l’enfant mineur est soumis à l’autorité de ses parents ou d’un tuteur jusqu’à sa majorité (Gal 4.2).
• L’autorité et la justice sont indispensables à la vie collective (Ecc 8.11). Mais l’histoire biblique et l’histoire profane alertent continuellement sur le danger de dérive autoritaire vers le népotisme et le pouvoir personnel corrompu. L’utilisation de la force marque alors plutôt l’échec de l’éducation et de la transmission.
• Les paroles et l’exemple du Seigneur Jésus donnent l’antidote à cette tentation de la toute-puissance en montrant la vraie nature de l’autorité selon Dieu : que celui qui commande soit comme celui qui sert (Luc 22.26).

Le croyant et l’autorité, l’invitation à la soumission n’exclut pas la vigilance

• Le croyant est encouragé à ne pas se conformer à la pensée dominante formatée par des « influenceurs » et des média omniprésents, puis souvent traduite dans le Droit. Son intelligence est renouvelée en permanence pour discerner la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait. Le paragraphe introductif des chapitres 12 à 16 de la lettre aux Romains montre les caractères de la vie nouvelle dans l’Évangile et la puissance de l’Esprit. La soumission aux autorités (13.1-7) ne peut donc être inconditionnelle mais doit se vivre dans la vigilance et l’éclairage de ces textes.
•  Le Seigneur Jésus enseigne aux disciples, d’une part la primauté de la liberté de conscience devant Dieu (n’appelez personne votre père, un seul est votre chef, c’est le Christ) et d’autre part la vraie nature de toute autorité qui renonce à toute domination pour le service de l’autre dans l’humilité (Mat 23.8-12). Comme toujours il est important de ne pas esquiver la radicalité des paroles du Seigneur.
• Après la guérison de l’homme boiteux et la progression fulgurante de l’Évangile, les autorités religieuses interdisent aux disciples de parler ou d’enseigner au nom de Jésus. La réponse de Pierre et Jean établit d’abord un principe général : « Est-il juste, devant Dieu, de vous écouter, vous, plutôt que Dieu » avant de le décliner pour la situation du moment (Act 4.18-20).  Tous nos choix, notre éthique de vie (pas seulement la liberté d’annoncer l’Évangile) sont donc devant Dieu éclairés par sa Parole, avant toute soumission aux autorités.
• « Rendez à l’empereur ce qui est à l’empereur et à Dieu ce qui est à Dieu. » La réponse de Jésus au piège des religieux concerne le paiement de l’impôt (Marc 12.17). Il n’est pas du tout anodin que la première application que Paul tire du commandement de se soumettre aux autorités concerne le consentement à l’impôt et à son paiement (Rom 13.6,7). En particulier à une époque où évasion et fraude fiscales mettent en péril le budget des États, en appelons-nous à l’autorité seulement pour lutter contre les incivilités et l’insécurité ? La réponse de Jésus invite certainement d’abord à rendre à Dieu tout ce qui est à Dieu, manifestant là encore la primauté de la soumission à Dieu avant les autorités dans tous les aspects de la vie.

L’une des dernières paroles du Seigneur aux disciples nous servira de conclusion. Juste après le partage du repas et avant son arrestation, alors que déjà s’élevait entre eux le poison de la rivalité et de l’ambition : « Les rois des nations les dominent et ceux qui exercent le pouvoir se font appeler bienfaiteurs. Que cela ne soit pas votre cas […] que celui qui commande soit comme celui qui sert ? MOI, je suis au milieu de vous comme celui qui sert. » (Luc 22.24-30 – Colombe).

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« Heureux l’homme… qui trouve son plaisir dans la loi de l’Éternel et la médite jour et nuit ! Il est comme un arbre planté près d’un cours d’eau : il donne son fruit en sa saison… » (Ps 1.1-3).

Le livre des Psaumes, livre de la prière, s’ouvre par la déclaration que le bonheur humain trouve sa source et sa réalisation dans une relation quotidienne, jour et nuit, avec Dieu. Ce bonheur est lié à la méditation de la loi de l’Éternel, de la Bible. Dieu est un Dieu qui communique et qui parle à l’homme par la création, par les Écritures, par Jésus-Christ la révélation de Dieu, la Parole faite chair. Dieu parle, nous sommes invités à écouter avec attention et disponibilité. La méditation de la Bible nous amène à l’écoute de Dieu et ouvre à la prière comme une réponse d’amour à celui qui aime et parle le premier. Le bonheur est dans ce dialogue, face à face de l’homme avec Dieu dans l’intimité et le silence.

1. La méditation de la Bible, un défi pour le chrétien aujourd’hui

La méditation de la Bible constitue un véritable défi pour le chrétien aujourd’hui. Ces deux mots sont en complet décalage avec l’évolution de la société :

  • La Bible, Parole de Dieu, « vivante et permanente », livre immuable au fondement d’une civilisation multimillénaire, livre inscrit au patrimoine mondial de l’humanité rencontre une société devenue « société de l’information » dominée par des médias omniprésents et de plus en plus agressifs, qui saturent notre espace personnel et collectif de messages de toute nature, dont ils organisent à la fois l’impression de nécessité absolue et l’obsolescence rapide (cf. Promesses n° 191).
  • La méditation est une invitation à prendre du recul pour écouter la voix de Dieu dans le silence et la solitude. Elle paraît en opposition avec la suractivité, le stress professionnel, la multiplication des sollicitations de tous ordres, souvent obligatoires ou incontournables, qui viennent accaparer la vie des femmes et des hommes de ce siècle.

La « révolution numérique » transforme insensiblement notre vie, notre mode de pensée, notre manière de lire et de traiter l’information et jusqu’à notre approche de la Bible :

  • La prédominance et le défilement toujours plus rapide de l’image prennent le pas sur le texte écrit et entament notre capacité à lire et réfléchir.
  • Nous disposons ou sommes sollicités à portée de clic par des ressources numérisées quasi sans limites, du meilleur au pire dans tous les domaines, y compris pour la lecture et l’étude biblique. Cela nous expose aux lectures en diagonales qui donnent priorité aux dernières nouveautés, aux contenus « clés en mains », faciles ou à l’utilité immédiate.
  • « Combien de connaissance nous perdons dans l’information et combien de sagesse nous perdons dans la connaissance » : le mot d’Edgar Morin, penseur contemporain non chrétien, prend tout son sens pour nous à la lumière des premiers chapitres du livre des Proverbes (1.1-6 ; 2.1-11 ; 3.13-23). Il trace en quelque sorte l’enjeu de la méditation de la Bible : écoute, réflexion, sagesse, comme chemin vers la connaissance de l’Éternel, source de vie et du bonheur…

2. La méditation de la Bible, un enjeu au cœur de la vie du chrétien

Certaines approches de l’Écriture laissent perplexe :

  • Celle qui consiste à s’appuyer beaucoup sur les très nombreux matériaux à disposition (publications spécialisées, logiciels d’étude biblique, prédications et cultes en ligne, etc.) au détriment d’une préparation et d’une appropriation personnelle, intériorisée du texte.
  • Celle qui cherche à actualiser au maximum l’usage de la Bible par le choix systématique de thèmes d’actualité accrocheurs ; la lecture des textes risque alors de s’orienter vers une écoute intéressée et utilitaire.
  • Celle qui s’inscrit dans la mouvance des spiritualités extrême-orientales, où la méditation est considérée comme une activité de l’esprit, un exercice mental qui consiste à rechercher la pure intériorité, le vide de soi et de ses pensées. Il s’agit d’une démarche centrée sur soi, sur l’homme, égocentrique en quelque sorte, alors que la méditation chrétienne a toujours un contenu, centré sur Dieu et sur Jésus-Christ, avec la Bible comme référence.

Les auteurs des Psaumes n’orientent pas leur méditation vers eux-mêmes mais sur Dieu (63.6) ; sur les œuvres et les actes de Dieu (77.6-12 ; 143.5,6) ; sur la loi, les décrets, la parole de l’Éternel (119.15,27,97,148).
La méditation de la Bible est un enjeu au cœur de la vie du chrétien. Elle n’est pas essentiellement une approche intellectuelle d’analyse soigneuse du texte biblique comme l’exégèse. Elle est l’écoute d’une parole de Dieu, plutôt que la recherche d’une parole sur Dieu.
L’Écriture, ici, est reçue comme un message de Dieu à l’homme, pour rencontrer Dieu personnellement, rencontrer Jésus-Christ et vivre de lui. Ainsi, la Parole de Dieu est un livre, mais, plus que cela, elle s’est révélée dans une Personne, le Verbe, Jésus-Christ (Jean 1). La méditation par la foi, sous l’action de l’Esprit Saint, dans la durée, sans précipitation, laisse la Parole de Dieu nous pénétrer comme une parole de vie.
Trois images liées à la Parole de Dieu aident à comprendre la nature de la méditation biblique et son importance pour la vie du chrétien :

  • Elle est une semence plantée en nous (Jac 1.21), origine et développement de la vie divine, qui prospère et porte du fruit (Deut 32.47 ; Mat 13.23) ; Jésus dit : «Les paroles que je vous dis sont Esprit et sont vie» (Jean 6.63). La semence est de Dieu, la méditation favorise la germination et le fruit (Ps 1.2,3). La parole fait vivre (Ps 119).
  • Elle est une nourriture qu’il faut ingérer, digérer, assimiler, apprécier la saveur et qui produit la croissance (Ps 40.8 ; Jér 16.15). Ce processus renouvelé, lent, secret, que les pères de l’Église appelaient rumination fait vivre et revivre en nous la Parole par la réflexion, la mémorisation et l’action de grâce.
  • La méditation sollicite et transforme l’être entier, l’intelligence, le cœur, les cinq sens : voir, écouter, toucher, sentir, goûter (Ps 77.6 ; 119.103), sont alertés pour aller de la lecture à la connaissance et de la connaissance à la proximité et à cette intimité avec Dieu où « ta loi fait mes délices. Combien j’aime ta loi, tout le jour je la médite. » (Ps 119.47,77,97).

3. Quelques jalons pour la méditation de la Bible

1. S’attendre à l’Esprit saint, se disposer à accueillir son action

C’est l’Esprit qui rend la Parole féconde, vivante en celui qui l’écoute, alors l’homme doit rechercher une attitude de docilité et d’écoute dépendante pour se détacher de lui-même. Il ne faut pas chercher à satisfaire des besoins précis, mais chercher Dieu, élever notre âme vers lui, être attentif, à l’écoute du Seigneur qui nous parle, comme suspendus à son amour.

2. Prendre la Bible et lire

À un moment fixé, à des heures et une durée régulière, dans le silence qui permet l’écoute, car toute écoute implique le silence, la solitude avec Dieu. La Parole de Dieu n’atteint pas les bruyants, mais les silencieux, disait Dietrich Bonhoeffer.

  • Lisons des passages déterminés, sans préférence, pas au hasard, sans écarter les textes obscurs.
  • Lisons avec assiduité et continuité, non en glaneurs distraits, mais en s’immergeant dans la Parole.
  • Lisons lentement, plusieurs fois, en cherchant à écouter avec le cœur et l’intelligence.

3. Chercher à travers la méditation

  • Réfléchir avec son intelligence, interpréter l’Écriture avec l’Écriture.
  • Relire pour faire résonner le message en soi, murmurer la parole pour qu’elle m’habite.
  • Ruminer les paroles, les mémoriser : « Goûtez et voyez que le Seigneur est bon » (Ps 34.9).
  • Se laisser imprégner, guérir intérieurement, émerveiller, attirer, regarder le Christ.
    Alors l’homme qui écoute la Parole devient peu à peu l’homme qui répond…

4. Prier le Seigneur qui m’a parlé

La lecture et la méditation conduisent au ravissement en Dieu. Remplis de la Parole, nous pouvons entrer en conversation avec Dieu. La Parole qui est venue en nous retourne à Dieu dans la prière. C’est comme une réponse dans l’humilité, la confiance et la franchise, réponse rendue possible parce que nous parlons à Dieu avec ses propres paroles. La Parole qui était auprès de Dieu est désormais en nous. Elle est lumière et vie au plus profond de nous. Plus besoin de crier, nous laissons cette parole monter au ciel paisiblement, sans bruit. C’est un entretien tranquille avec Dieu sans autre désir que de demeurer près de lui.

5. Entrer dans la contemplation

Contempler, c’est voir toutes choses et tous les êtres avec le regard de Dieu. Les pages de l’Écriture dévoilent le Christ à contempler. Ni extase, ni expérience extraordinaire, c’est contempler celui qui est plus beau que les fils des hommes (Ps 45.3) ; celui qui est bon (Ps 119.68) ; celui qui pardonne et guérit (Ps 103.3). Il s’agit d’une expérience de foi, non d’une vision mystique (2 Cor 5.7). Nous contemplons la gloire du Seigneur et sommes transformés à son image (2 Cor 3.18).

6. Conserver la parole dans son cœur

Conservons, gardons, rappelons-nous heure après heure la parole reçue, le passage ou le verset médité. Ce souvenir de Dieu peut donner unité à la journée, au travail, à la vie sociale. Réveillons-nous, ne laissons pas s’endormir cette semence de la Parole déposée en nous.

7. N’oublions  pas : écouter, c’est obéir

Je m’engage à réaliser la Parole de Dieu. L’œuvre qui m’attend, c’est de croire et, par la foi, de montrer en moi le fruit de l’Esprit (Gal 5.22).

Conclusion

« Que la parole du Christ habite en vous dans toute sa richesse. » (Col 3.16)La pratique régulière de la méditation de la Bible, lecture priée à l’écoute de la Parole de Dieu par le Saint Esprit (Jean 14.26), est certainement d’une importance capitale. Elle est de nature à transformer notre vie, notre relation avec Dieu et notre service :

  • par une attitude face à l’information qui donne plus de place à la réflexion et à la sagesse,
  • par une approche de la Bible moins utilisée comme livre de recettes ou boîte à outils, mais reçue comme semence vivante, nourriture assimilée et puissance de transformation intérieure, par une approche de la prière moins liée à des demandes précises qu’à un entretien intime,
  • par une connaissance de Dieu, moins une connaissance purement intellectuelle sur Dieu qu’une relation de communion personnelle et d’adoration nourrie par la Parole,
  • par une conception du service, beaucoup plus envisagé comme le fruit de l’Esprit que des œuvres à accomplir,
  • par une vision de la vie qui rééquilibre la place de la pensée et celle de l’activité.

« Que les paroles de ma bouche et la méditation de mon cœur soient agréables devant toi, ô Éternel, mon Rocher et mon Rédempteur » (Ps 19.14, Darby ; 19.15 dans les autres versions)

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« L’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et ils ne feront qu’un. » (Gen 2.24)

« Honore ton père et ta mère afin que tu vives longtemps sur la terre. » (Ex 20.12)

Le débat sur le mariage des couples homosexuels et la dégradation régulière des liens familiaux, y compris dans les milieux chrétiens, nous interpellent aujourd’hui. Ce constat nourrit une tentation de repli sur la défense de la famille vue alors comme une institution traditionnelle en péril et une valeur morale menacée.

Une réflexion biblique nous invite plutôt à considérer la famille comme un projet à vivre. Un projet d’ordre créationnel et anthropologique certes, mais dont l’idéal demeure accessible avec le secours de la grâce de Dieu, la prière et une écoute confiante de la Parole.

Le texte fondateur de Genèse 2 est repris trois fois dans le N.T. à propos du divorce, de la prostitution ou de la fornication. Pour nous permettre d’échapper à ces pièges, l’Écriture nous ramène au projet divin, nous transmettant un message d’espérance et de possible guérison dans les réalités familiales.

Les versets en exergue invitent l’homme et la femme à s’attacher l’un à l’autre comme mari et femme, puis à s’engager comme père et mère dans l’aventure de l’éducation, avec le double sens de educare (« nourrir, instruire, avoir soin de ») et ex-ducere (« conduire dehors »). L’enfant devenu homme empruntera à son tour un chemin de rupture respectueuse et de liberté, signe de maturité et quittera ses parents pour fonder sa propre famille, héritier avec son conjoint de la grâce de la vie (1 Pi 3.7).

L’éducation et la transmission sont au cœur de cette double démarche apparemment contradictoire et une raison d’être pour la famille selon Dieu.

I. La famille, trois caractères qui favorisent la transmission

Trois caractères de la famille en font un espace privilégié pour la transmission : elle est un groupe humain de relations et d’attachement, une maison espace protecteur et elle s’inscrit dans la durée.

1. Un groupe humain en relation : liens et attachement

a. La famille est le lieu des premières relations, des liens essentiels.

Le livre de la Genèse les met en évidence entre réalisation et déchirements :

–  le lien conjugal : l’émerveillement d’Adam lorsque Dieu lui présente Ève dit le besoin et la valeur de ce lien d’alliance entre l’homme et la femme (Gen 2.23) ;

– le lien parental où se réalise la promesse divine : une postérité et la transmission possible de la bénédiction (Gen 12.2-3 ; 15.3-6) ; le récit biblique évoque aussi la souffrance des situations de stérilité et la puissance de Dieu en guérison ; il dit ainsi l’importance de l’enfant, pour les couples et pour Dieu ;

– le lien filial conduit Ismaël et Isaac (Gen 25.9) puis Jacob et Esaü (Gen 35.29), à surmonter leur antagonisme devant le tombeau de leur père ; il efface toute autre considération pour Joseph (Gen 45.3) ;

– le lien fraternel : l’insistance des questions que Dieu pose à Caïn au sujet d’Abel son frère et les pleurs de Joseph montrent le prix de ce lien (Gen 4 ; 49).

Ces liens tissent un réseau de relations variées, d’échanges et de solidarités. Ils rompent la solitude car « il n’est pas bon que l’homme soit seul. » (Gen 2.18)

b. La famille est l’espace de l’affection, de l’attachement, des soins indispensables à la croissance et à la vie.

Soulignons ici l’importance de l’amour maternel dans la construction de la personnalité et l’équilibre futur de l’enfant. La mère est la première personne perçue : les regards, le creux des bras et l’allaitement sécurisent le petit enfant ; regardé et aimé, il peut apprendre à aimer.

Dieu prend lui-même les caractères d’une mère et décrit très précisément la tendresse et la force de ce lien pour parler de son amour (És 66.10-14).

Dieu donne aussi l’exemple de l’amour paternel en Osée 11.1-4 : il aime son fils, lui enseigne à marcher, lui donne doucement à manger. Dans ce même passage, il le prend dans ses bras pour le guérir, le libère du joug, montrant par là son attention active pour conduire dehors, libérer, ceux qui ont manqué de tels soins ou ont souffert de maltraitance dans leur tendre enfance.

c. Ces relations ne peuvent pas se vivre sans respecter l’autre, le prochain, sans découvrir l’amour qui révèle Dieu lui-même.

La présence d’un autre à côté de moi me fait découvrir la double exigence de respect et d’amour du prochain. La famille peut reconnaître et transmettre ces valeurs.

 

Cet aspect de la famille comme groupe relationnel interroge notre manière de vivre ou de rencontrer les détresses affectives et le délitement des liens sociaux, en un temps où le développement extraordinaire des relations virtuelles via les réseaux sociaux se conjugue avec un individualisme et une solitude croissants.
En France, 12 % de la population vit seule et près de 40 % n’a pas de relations familiales soutenues : les plus jeunes, les plus âgés, les femmes, les plus pauvres sont les plus touchés. 1

2. La famille, ou la stabilité d’une maison

Dans la Bible, la famille est souvent vue comme une maison, un espace de stabilité :

– un abri, un refuge contre les périls, un espace protecteur, visible et connu ;

– une habitation où l’on trouve le plaisir d’un chez soi, l’accueil et l’hospitalité ;

– un lieu de repos et d’intimité, qui permet le ressourcement personnel.

Le Psaume 132 donne ces caractères à l’habitation de Dieu. Il fait partager cette bénédiction à ceux qui le craignent. Ce lieu protégé est propice à la pensée et facilite la transmission.

 

Cet aspect de la famille nous confronte au défi de la précarisation croissante de la société et aux détresses qu’entraînent les problèmes de logement.
Ceux qui peuvent profiter d’une maison bienfaisante doivent garder à l’esprit la souffrance de ceux qui sont sans domicile fixe, caractérisés par un sigle : SDF. La souffrance aussi des enfants pour qui la maison est synonyme de vide affectif, d’instabilité, de misère, de maltraitance. Nous ne pouvons peut-être pas apporter toutes les solidarités nécessaires, mais nous pouvons être attentifs à écouter, avec amour et humilité, sans juger ou stigmatiser.
Jésus entre en sympathie avec ceux-là : « Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas accueilli. » (Jean 1.11) Quand il s’écrie : « Les renards ont des tanières mais le fils de l’homme n’a pas un endroit où reposer sa tête » (Mat 8.20), il montre comment le manque d’un lieu peut atteindre à la dignité de la personne.

 

3. La famille est inscrite dans la durée

La maison est une demeure, une habitation dans la durée et la stabilité.

Une transmission véritable vise à construire l’être par la connaissance et la sagesse, la réflexion et l’intelligence (Prov 2.1-12). Apprendre, s’instruire, est différent de communiquer ou récolter des informations.

L’éducation dans la famille ne vise pas à modeler des comportements de conformité, mais à guider l’enfant vers la maturité qui est connaissance de Dieu, liberté confiante de l’amour, connaissance et respect de soi et de l’autre (Marc 12.28-34).

Tout cela n’est possible que dans le temps long que peut offrir une famille. Nous devons reconnaître et accepter pour nous et nos enfants la lenteur de ce processus, une génération, analogue à la croissance d’un arbre.

Il faudra du temps à ma petite fille pour comprendre que l’amitié vraie ne se gagne pas par l’imitation des codes vestimentaires tyranniques à la mode. Il faudra du temps, des années peut-être, à mon petit-fils pour apprendre à gérer sa colère et des émotions qui pourraient blesser.

Or la famille permet de s’inscrire dans la durée parce que :

–  Deux liens d’appartenance contribuent à sa continuité : – le lien du sang, – le lien d’alliance conclue avec l’autre, différent (autre sexe, autre famille) : ce lien apporte la richesse de la diversité, mais il est fragile car il repose sur un libre choix des conjoints ; il a besoin d’être renforcé par le mariage qui réunit l’engagement des époux et l’engagement de la société envers eux.

– La famille se vit dans une chronologie longue marquée par des événements forts. Naissance, croissance, union, procréation, mort, inscrivent l’enfant à la rencontre de deux lignées parentales, père et mère, qui l’aident à se repérer en intégrant la différence des sexes et la différence des générations.

– Les générations successives, parents, grands-parents, arrières grands-parents jalonnent le temps. Ils aident l’enfant à acquérir des repères, à compter ses jours et ainsi grandir dans la sagesse (Ps 90.12).

Le Psaume 78.1-8 rassemble jusqu’à cinq générations liées par la transmission de la grandeur de Dieu et de ses œuvres, plutôt que par la nostalgie d’un passé prétendument meilleur (Ecc 7.10).

 

Cet aspect de la famille lié à la durée ne doit pas nous conduire, comme les pharisiens, à nous enorgueillir d’un nom, d’une lignée ancestrale connue (Jean 8.33,41) ou d’une descendance nombreuse. Notre vie est comme une vapeur et ne dépend que de la grâce et de la souveraineté de Dieu (Ps 39 ; 90).
Il ne doit pas nous empêcher de respecter les familles dites recomposées où les lignées familiales ne sont pas toujours longues, linéaires et faciles à retracer.
Il nous interroge aussi sur notre rapport au temps dans une civilisation de l’immédiateté, de la rapidité, de l’accélération et de l’obsolescence des objets, mais aussi des informations, des idées et des personnes.

 

II. Transmettre la connaissance de Dieu et l’amour du prochain

En Israël, le culte domestique associait toute la famille et suscitait les questions des enfants : « Ton fils t’interrogera… » Celles-ci orientent vers les deux axes fondamentaux de la foi et de la piété : la connaissance de Dieu et l’amour du prochain.

1. La connaissance de Dieu et de l’œuvre du salut

–  Des rites observés (la Pâque, Ex 12.25-27 ou la fête des pains sans levain, Ex 13) amènent la question : « Que signifie pour vous ce rite ? » La réponse donne le sens : « Dieu a sauvé nos familles », occasion de raconter la délivrance de l’Éternel.

– Les paroles du Seigneur « seront dans ton cœur » (Deut 6.6) : le sommaire de la loi doit faire l’objet d’un enseignement convaincu au fils et au petit-fils.

– Des signes de mémoire : les pierres dressées au Jourdain (Jos 4) invitent à toujours témoigner de la gloire de Dieu dans l’œuvre de salut.

Les rites de la foi chrétienne (baptême, cène, culte familial), la Parole de Dieu, la mémoire de sa grâce invitent de même à une pédagogie de la transmission dans la durée ; celle-ci passe par :

–  la conviction du cœur : pour ne pas transmettre seulement des règles formelles,

– l’exemplarité qui donne crédit à l’enseignement, surtout quand on a montré ses limites et que l’on sait reconnaître ses erreurs,

– l’illustration de la foi et la prière dans la vie quotidienne,

– la participation des enfants à la piété familiale,

– la répétition régulière.

 2. L’attention à autrui et le respect de l’autre : l’amour du prochain

Dès le début de la Genèse, l’histoire d’Abel et de Caïn nous enseigne : « Où est ton frère ? Qu’as-tu fait de ton frère ? Suis-je le gardien de mon frère ? La voix du sang de ton frère crie vers moi… » Les questions sont brèves mais fortes et riches de sens. Dieu attend que je me préoccupe de mon frère, que je sache où il est, que je sois prêt à faire quelque chose de bon pour lui.

Cela s’apprend dans la fratrie pour s’élargir au prochain, la famille humaine.

Le cinquième commandement place le respect du père et de la mère au cœur du décalogue et de la loi (Ex 20.12 ; Lév 19.3), au carrefour des relations avec Dieu et des relations avec autrui. Ainsi l’apprentissage de l’amour, du vivre ensemble, l’appropriation de la règle d’or (Mat 7.12), la découverte des limites (en premier lieu le respect de l’autre), commencent dans la famille. Le souci d’autrui me vient du souci que quelqu’un a eu de moi : comme je suis aimé, j’aimerai et j’estimerai.

Cette transmission est d’ordre spirituel. Elle ne concerne pas essentiellement les usages sociaux, les habitudes culturelles ou matérielles. La connaissance transformatrice de Dieu et l’amour du prochain s’adressent à l’être intérieur et à la foi : c’est « tout ton cœur, toute ton âme, toute ta force ».

III. La famille, école de la dépendance, école vers la liberté

En s’attachant l’un à l’autre, l’homme et la femme fondent le groupe familial. Pour l’enfant à naître c’est le lieu de la tendresse, des soins. C’est aussi une école pour l’apprentissage des limites, l’acceptation et la découverte de l’autre ; pour l’enseignement de la crainte, de l’amour et de la connaissance de Dieu.

Pour quitter son père et sa mère l’enfant devenu adulte aura eu besoin de sa famille comme d’une école de la liberté pour être peu à peu guidé vers la maturité, l’autonomie et la responsabilité.

1. Le groupe que l’on fonde, une école de la dépendance

La famille, comme groupe que l’on fonde, constitue pour l’enfant qu’elle accueille l’école des limites et de la dépendance.

Le nouveau-né a besoin des soins attentifs et permanents de sa mère puis de son père. Il est complètement dépendant et acquiert très lentement l’autonomie. Après quelques mois, il apprend à se distinguer de sa mère même s’il reste auprès d’elle. Il faut pour cela le moment douloureux mais indispensable du sevrage.

Le court Psaume 131 décrit admirablement cette étape fondamentale : « N’ai-je pas soumis et fait taire mon âme, comme un enfant sevré auprès de sa mère ? » (v. 2, Darby) Le sevrage est la première limite imposée à l’enfant ; il coïncide avec la première conscience de son identité propre. Il permet de mettre en place une alimentation de croissance. Il installe la sérénité et la paix, fruits de l’acceptation, l’humilité et la dépendance.

Le but de l’éducation apparaît ici clairement : protégé et entouré d’affection, l’enfant apprend peu à peu l’existence des frustrations liées au fait qu’il est un être créé et limité. Même profondément aimé, il ne peut obtenir tout ce qu’il désire. Il n’est ni le premier, ni le seul, ni le centre du monde.

L’apprentissage de la frustration et celui de l’obéissance ne sont pas un but en soi, mais une discipline aimante vers la maturité et le bonheur. Dès ce moment les parents apprennent que l’enfant ne leur appartient pas, il est un être humain à part entière et son éducation n’a pas pour but la satisfaction personnelle de ses géniteurs.

Ce temps est aussi celui de fixer le cadre, les règles qui appellent l’obéissance.

« Les parents doivent être des parapets de protection pour l’enfant en posant à bon escient les interdits nécessaires à sa sécurité et à celle d’autrui ; cela lui permet de vivre sa vie d’enfant en sachant que quelqu’un veille sur lui, saura le protéger contre lui-même ou contre un danger extérieur. » (M. de Hadjetlaché)2

Le père et la mère ensemble enseignent dans la famille (Prov 1.8). Il semble toutefois que l’énoncé de la règle ou de la norme relève davantage de la responsabilité du père (Éph 6.4 ; Col 3.21). La règle ainsi énoncée n’est pas une prescription à sens unique mais un échange à trois : le père ne parle pas pour lui mais se préoccupe de deux autres : du fils qui doit des comptes et le respect au père et à la mère ; du frère ou du prochain que l’enfant apprend à servir.

Les mêmes textes (équilibre divin !) invitent ainsi le père à ne pas s’affirmer lui-même. Il s’agit ici d’éviter que cette école de la soumission ne devienne un espace de domination et de manipulation qui entraverait la maturation psychique.

2. Le groupe que l’on quitte, une école de la liberté

Ayant prit conscience de ses limites, l’enfant va pouvoir peu à peu être encouragé à l’autonomie. Comme Dieu le fait pour le croyant, l’instruction devient conseil et regard bienveillant mais distancié ; il faut lâcher la bride et ne plus guider le jeune pas à pas, puisqu’il n’est plus sans intelligence (Ps 32.8,9).

Pour reprendre la métaphore de l’arbre, c’est en détachant progressivement la jeune pousse de son tuteur que l’adulte se déploie librement.

Le père reconnaît en son fils un être humain à part entière, un sujet libre et non un rival potentiel à qui se mesurer.

Il s’agit de construire peu à peu un juste rapport entre l’autorité et la liberté. Les parents apprennent ici, parfois douloureusement, que l’essentiel de la vie de leur enfant commence quand il quitte la maison. Toute leur tâche était tournée vers la réussite de cet envol hors du nid.

Galates 4.1-11 nous apprend la richesse de ce temps de rupture. Comme un deuil, il permet à leur enfant d’entrer en possession de l’héritage. Il peut reconnaître alors plus facilement la valeur de ce que ses parents voulaient lui transmettre et que peut-être il refusait jusque là. Comme le croyant avec Dieu son Père, il peut entrer dans une relation de fils dans la conscience de l’amour et dans la certitude de son identité propre.

Ce n’est plus élever un enfant mais aider à faire advenir le futur père, la future mère. Pour qu’il soit capable d’être libre, d’aimer, de s’attacher, de quitter, de fonder pour vivre, témoigner et transmettre à son tour.

En guise de conclusion

Nous pourrions aujourd’hui être tentés de nous replier sur la défense de la famille comme une valeur traditionnelle menacée et en voie de disparition.

Peut-être est-il plus opportun de nous appliquer à mieux connaître, vivre et témoigner humblement de la richesse du projet divin : la famille est le lieu privilégié, avec l’Église, la famille de Dieu le Père, pour transmettre la connaissance de Dieu et l’alliance de vie et d’amour qu’il a établie avec l’homme.

Quel témoignage aujourd’hui pour une famille chrétienne, sinon un témoignage pour Dieu avec la saveur du sel et la douceur de sa grâce ? Il nous faut souhaiter ce projet pour nos familles et nous y engager. Mais cela ne suffit pas, nous avons besoin de faire confiance à Dieu et de le prier. Lui seul peut nous faire vivre la famille comme il l’a voulu.

Nous terminons avec les propos de France Quéré : « La question n’est pas de soupirer après une tradition à la fois suspecte et insaisissable, faire de la famille un instrument moralisateur de la société. La question est de savoir si la famille est toujours capable, en son cercle intime, d’enseigner chacun de ses membres à se faire le prochain de ses proches et de le préparer à de plus amples fraternités. Au fils, la Parole dit : “Tu honoreras ton père et ta mère.” Au frère, “Qu’as-tu fait de ton frère ?” Aux époux, “L’homme s’attachera à sa femme et ils ne feront qu’une chair.” Au père, “Va dire à tes fils que…” Chaque fois le message est celui de l’amour. »3

1Rapport sur les solitudes, Fondation de France.
2 Les citations de Monique de Hadjetlaché et de France Quéré (voir note 3) n’impliquent pas que la rédaction de Promesses avalise toutes les approches ou les positions de ces auteures. Certaines idées de France Quéré en 1991 (www.protestants.org/?id=2401) préparent les prises de position pro-avortement de la Fédération Protestante de France, notamment : l’embryon n’est qu’une « personne humaine potentielle ». Ce concept est évoqué de manière critique dans l’article de ce numéro sur l’avortement. (NDLR)
3France Quéré, La famille, La Table Ronde, 2007.

 

Écrit par


Le rédacteur, maintenant âgé, d’un périodique chrétien, aimerait bien passer le témoin. Le directeur d’un centre de vacances évangélique cherche régulièrement de nouveaux moniteurs. Des anciens cherchent de l’aide pour répondre aux besoins de leur église locale… Hélas, beaucoup d’éventuels candidats à la relève paraissent suivre les réunions et les activités de l’église en consommateurs occasionnels, absorbés, piégés par le rythme effréné et les obligations de la société. Aussi la vie de l’église continue de ressembler à un tournoi de tennis où deux joueurs s’épuisent à se renvoyer une balle sous le regard de quelques spectateurs. Pourtant, nombre de jeunes, de nouveaux convertis pleins de zèle, se sont dévoués quelque temps… pour finir par se décourager et rejoindre les rangs du « public » sans avoir trouvé l’accompagnement et l’espace nécessaires à une bonne reprise du témoin.

Une réaction immédiate pousse à accuser le déclin général, le matérialisme de la société, les effets du post-modernisme, le manque d’engagement de la génération montante. Nous savons cependant par l’Ecclésiaste que le présent n’est pas forcément pire que le passé (Ecc 7.10). Il est plus sage de se remémorer, chacun pour soi, l’urgence de notre mission. Paul résume celle-ci à l’attention de Timothée, en lui rappelant sa responsabilité : « Ce que tu as entendu de moi… confie-le à des hommes fidèles qui seront capables, à leur tour, d’en instruire d’autres. » (2 Tim 2.22) Le texte cité évoque bien la course de relais et ses enjeux :

  • – des coureurs préparés, compétitifs : Paul, Timothée, des hommes fidèles, d’autres en formation ;
  • – un témoin à transmettre bien identifié : « Ce que tu as entendu de moi, ce que je t’ai confié » ;
  • – une compétence, un savoir-faire pour transmettre : « des hommes fidèles … capables d’instruire ».
  • L’équipe américaine de relais 4 x 100 mètres aligne des coureurs parmi les plus rapides du monde. Elle pouvait prétendre à la médaille d’or aux Jeux olympiques de Pékin. Pourtant, elle a été éliminée sans gloire. En tête de la course, les troisième et quatrième relayeurs ont manqué leur transmission et laissé tomber le témoin. Ce n’est pas la qualité des athlètes qui est en cause, mais leur capacité à se transmettre en pleine course le précieux bâton. La transmission est certainement aujourd’hui l’un des enjeux les plus sérieux pour ceux qui ont à cœur le renouvellement et l’édification du peuple de Dieu.

    Ce souci jalonne toute la Bible. Plusieurs exemples nous instruisent : Moïse et Josué ; les lévites ; Élie, Élisée et les fils des prophètes ; Jésus et ses disciples ; Paul et ses compagnons : Timothée, Tite, et d’autres encore. Les dernières paroles du Seigneur Jésus à ses disciples, les secondes lettres de Paul à Timothée et de Pierre nous encouragent, à leur suite, à considérer attentivement l’importance cruciale de ces questions. Qui est concerné ? Que transmettre ? Quels liens entre formation et transmission ? Que signifie passer le témoin dans la perspective du service chrétien ? Comment le faire ? Ces lignes proposent quelques pistes de réflexion.

    La transmission du témoin : qui doit s’en charger ?

    La transmission n’est pas l’affaire de quelques élites blanchies sous le harnais et de quelques brillants élèves d’instituts bibliques renommés. C’est l’affaire de tous les chrétiens puisque tous sont appelés à servir, tous ont reçu un don, un service à faire valoir pour l’édification du corps de Christ. Toutefois, les bergers, les enseignants et les anciens paraissent plus particulièrement investis de cette tâche (Éph 4.12, 1 Tim 4 et 1 Pi 5).

    La transmission du témoin : dans quelle perspective ?

    Dieu nous appelle à collaborer avec lui pour préparer ceux qui formeront et serviront l’Église de demain. Nous n’avons pas à former des imitateurs qui sachent seulement perpétuer les activités et les formes telles que nous les avons toujours vécues.

    L’apôtre Paul travaillait lui-même constamment à trois niveaux distincts pour l’édification harmonieuse du corps de Christ :

  • – il annonçait l’Évangile pour que de nouvelles personnes soient sauvées (Col 1.23, 1 Thes 1.5-10) ;
  • – il se préoccupait de la croissance spirituelle des jeunes enfants de Dieu pour qu’ils parviennent à la maturité (Éph 4.13-14, Col 1.28-29, 2 Tim 3.17) ;
  • – il s’attachait à préparer, à équiper pratiquement ces croyants. Il s’agissait d’en faire des serviteurs utiles à leur place « en vue du perfectionnement des saints, pour l’œuvre du service, pour l’édification du corps de Christ » (Éph 4.11-12). C’est pourquoi il recommandait à Timothée : « Attache-toi à la lecture, à l’exhortation, à l’enseignement » (1 Tim 4.13), afin qu’il devienne un « soldat », un « laboureur », un « ouvrier », un « homme de Dieu parfaitement équipé » (cf. 2 Tim 2. 4-17).
  • Si elle vise ces trois objectifs, la transmission entre les générations et entre les serviteurs pourra se faire de manière continue et enrichissante.

    La transmission du témoin : oui, mais quel témoin ?

    On ne peut transmettre que des choses que l’on a reçues et dont on est pleinement convaincu (cf. 2 Tim 1.13-14 ; 3.14 ; 2 Pi 1.12). Les spécialistes de la formation professionnelle utilisent volontiers cette formule : « Transmettre un savoir, un savoir-être et un savoir-faire ». Inconsciemment, ils appliquent le modèle biblique – un programme complet qui concerne l’intelligence, le cœur et la pratique :

    1) Savoir : il s’agit des connaissances objectives, fondées sur l’enseignement de la Parole de Dieu écrite, inspirée, soigneusement étudiée et interprétée (1 Tim 4.6 ; 2 Tim 3.15-16 ; 2 Pi 1.16-21). Le socle des savoirs à transmettre est la doctrine des apôtres :

  • l’Évangile, puissance de Dieu pour le salut (1 Tim 1.11-17 ; 2 Tim 1.8-9 ; 1 Pi 1.3-21) ;
  • Jésus-Christ, Fils de Dieu manifesté en chair, Seigneur et Sauveur (1 Tim 3.16 ; 2 Pi 1.3, 16-17 ; 3.18) ;
  • l’Assemblée (Église) du Dieu vivant, maison de Dieu (Act 20 ; 1 Tim 3.15).
  • 2) Savoir-être : la connaissance du coeur, pas seulement intellectuelle, mais subjective, expérimentale, liée à une piété personnelle exigeante qui forme, transforme, fortifie par l’attachement à Christ ; qui aide à revêtir le caractère de serviteurs par une transformation intérieure continue (Rom 12. 1-3). Paul demandait à Timothée de s’exercer à la piété (1 Tim 4.7-16), de s’imprégner de l’Écriture pour être enseigné, convaincu, corrigé, instruit, accompli (2 Tim 3.16), et Pierre encourageait les chrétiens, participants de la nature divine, à joindre à leur foi, entre autres choses, la force morale (2 Pi 1.5-11).

    3) Savoir-faire : la connaissance n’est acquise que si elle est mise en pratique et peut être transmise. Comment préparer chacun selon le don ou le service reçu, selon ses aptitudes ? N’est-il pas nécessaire de personnaliser la formation différemment pour celui qui veut faire l’œuvre d’un évangéliste, pour celui qui aime la collaboration technique, ou pour ces autres qui se destinent à l’enseignement des enfants, ou aux soins pastoraux ? Paul recommandait à Timothée de rechercher des hommes fidèles et capables, préparés à accomplir des œuvres bonnes (2 Tim 1.2). Pierre précise que ceux-ci ne devraient pas être sans activité, ni sans fruit (2 Pi 1.8).

    La transmission du témoin : quand et comment ?

    La transmission s’accomplit parfois dans des circonstances difficiles. Elle doit s’adapter aux situations morales et sociales défavorables, c’est pourquoi Paul et Pierre ont pris soin de décrire prophétiquement l’évolution de la chrétienté et du monde où nous sommes appelés à vivre et à témoigner (2 Tim 3 et 4 ; 2 Pi 2 et 3).

    Recevoir le témoin requiert l’acquisition de compétences pratiques, selon les situations. Ces compétences se développent peu à peu dans la proximité d’un maître-serviteur, tuteur ou coach aimé et respecté ; celui-ci enseigne, donne l’exemple et accompagne la prise de responsabilités de plus en plus grandes, et de moins en moins protégées. Il s’agit d’entraîner à l’autonomie le disciple du Seigneur jusqu’à ce qu’il devienne un homme de Dieu capable de porter le témoin et d’instruire les autres à son tour.

    Ce scénario n’est pas tiré d’un ouvrage de management à la mode ; il ressort de plusieurs exemples de la Bible :

    a) Josué apprit et servit longtemps dans la proximité immédiate de Moïse (Ex 33.11) ; en même temps, il fut très tôt appelé à une responsabilité significative comme chef de l’armée opposée à Amalek. Inexpérimenté, il fut protégé et encouragé par la présence et par l’intercession de Moïse (Ex 17.8-16). Il apprit de ses propres erreurs (Nom 11.24-29). Choisi pour explorer le pays de Canaan, il démontra sa foi et sa fidélité à Dieu et à Moïse lors d’une tragique mise à l’épreuve, et se vit ainsi fortifié dans sa capacité à conduire le peuple (Nom 13 et 14). Il était dès lors successeur potentiel de Moïse, mais allait servir loyalement à ses côtés trente-huit ans encore. Le moment venu, Moïse lui transmettra le témoin dans une triomphante cérémonie d’adieux (Deut 31-34).

    b) Les leçons du Seigneur à ses disciples dans l’Évangile de Marc sont un modèle : « Il appela à lui ceux qu’il voulait… Il les établit pour être avec lui et les envoyer. » (Marc 3.13-14 ; Jean 15.16) Il les envoie avec une mission et des ressources (Marc 6.7-13). Au retour, Jésus les invite auprès de lui pour un temps de compte rendu et de repos (6.30-32). Puis il leur confie à nouveau des responsabilités et les implique dans son travail (6.34-44). Il les met à l’épreuve dans la tempête (6.45-52) ; puis sans désespérer d’eux, il continue à les solliciter (8.1-9). Jusqu’à la fin, il continuera ainsi à les préparer par une alternance d’enseignement, d’exemple donné, d’incitation à la pratique. Au moment de les laisser poursuivre sa mission, il les prend avec lui, s’oubliant lui-même dans un ultime service d’amour, pour un séminaire exceptionnel de transmission (Jean 13-17).

    c) La relation de Paul avec Timothée, son enfant dans la foi, confirme la démarche biblique de transmission. L’apôtre est à l’origine de sa conversion (env. 46-48 ap J.-C.). Assuré par l’église locale de l’engagement authentique de Timothée, Paul en fait son compagnon de voyage (env. 50-52 ; Act 16.1-2 ; 17). Tout au long de son ministère, l’apôtre entretiendra avec lui une relation de communion particulièrement féconde. En même temps, il lui confiera des responsabilités de plus en plus importantes :

  • à Thessalonique, pour affermir et encourager l’assemblée dans l’épreuve (env. 51 ap J.-C., 1 Thes 3) ;
  • à Corinthe, pour enseigner et corriger des erreurs (env. 55-56 ap J.-C., 1 Cor 4.17) ;
  • à Éphèse, pour conduire, édifier, enseigner (env. 63-64, 1 Tim 1.3-4 ; 3 ; 5) ;
  • à Rome pour consoler et accompagner Paul lui-même (66 ap J.-C., 2 Tim 4.9-13).
  • La transmission du témoin : comment la faciliter ?

    L’appel, la formation, le service sont d’abord l’œuvre de Dieu, et une expérience cachée entre le serviteur et son Maître (Jean 15.5 ; 16 ; 1 Cor 4.1-5). Mais parallèlement à cette préparation, directement dépendante de la relation du chrétien avec son Père céleste, qu’est-ce qui peut favoriser concrètement le passage du relais au sein de l’assemblée ? Les exemples qui suivent permettent d’esquisser une stratégie pour faciliter cette transition :

    Une transmission progressive

    La transmission du témoin ne devrait pas attendre le moment où celui qui faisait presque tout cède la place à celui qui ne faisait presque rien, mais plutôt correspondre à une prise de responsabilité partagée et progressive. De plus, l’avenir étant plus important que le passé, la transmission devrait être pensée d’abord en fonction de celui qui reçoit le témoin. Telle devrait être l’orientation d’un serviteur expérimenté et encore capable d’accompagner un jeune serviteur qui s’engage. Car que vaut une transmission de témoin arrachée à la dernière minute à un serviteur à bout de souffle, ou improvisée par un responsable déjà âgé, peut-être lassé d’avoir longtemps attendu ? Paul est converti depuis une quinzaine d’année et Timothée depuis cinq ou six quand il le prend avec lui. C’est après seulement dix ans de vie chrétienne que Timothée reçoit la difficile mission de Corinthe.

    Une transmission confiante

    Gardons-nous de considérer les jeunes avec crainte, ou avec un quelconque mépris, avec condescendance (1 Cor 16.11 ; 1 Tim 4.12). Accordons-leur délibérément et très tôt notre confiance. Ils sont promesse de fruit et de renouvellement si nous savons les protéger, les aider à grandir dans la foi et à devenir parties prenantes dans le service.

    Une transmission empreinte de discernement

    Beaucoup d’exemples bibliques montrent que les serviteurs utiles ont été appelés précisément par le Seigneur ou par d’autres serviteurs. On peut en déduire que le relais se transmet, davantage qu’il ne se prend, mais ce fait met l’accent sur la responsabilité de bien connaître le troupeau (Pr 27.23), de discerner les dons reçus, la foi, l’engagement des plus jeunes et puis de susciter, d’encourager, d’informer, peut-être de désigner ou d’inviter à partager précisément tel ou tel service. Il ne s’agit évidemment pas de faire précocement pression sur qui que ce soit. La transmission ne revêt pas une forme particulière, chaque situation est différente : Moïse demande à Josué de choisir des hommes pour combattre Amalek (Ex 17.9), les apôtres demandent aux frères réunis de choisir parmi eux des personnes capables de s’occuper des veuves (Act 6.3), et parfois même l’Esprit Saint intervient pour mettre à part deux serviteurs pour un ministère particulier (Act 13.2,3).

    Une transmission doublée d’une mission

    Paul envoyait ses compagnons pour des missions précises. La première lettre à Timothée comme l’Épître à Tite sont de véritables cahiers des charges pour la conduite de l’église locale. De plus, l’apôtre prenait soin d’informer les bénéficiaires de la mission afin de protéger ses collaborateurs (1 Cor 16.10-12).

    Une transmission dans l’unité de l’Esprit

    Paul et Pierre étaient très attachés au maintien des liens noués avec ceux qui poursuivaient le ministère. Leur intercession était continuelle. La seconde Épître de Paul à Timothée et la deuxième Épître de Pierre sont des testaments spirituels qui complètent la formation commencée. Ces textes encouragent les « transmetteurs » d’aujourd’hui à rester concernés, solidaires, pour assurer un soutien moral et rester disponibles envers les collaborateurs plus jeunes.

    Une transmission sans tyrannie

    On retrouve ici la nécessité de respecter le lien primordial entre le serviteur et son Maître divin. Ce qui est transmis est un travail pour Dieu, pas un fond de commerce ou une entreprise personnelle. Ainsi Paul laisse place à l’initiative de ses compagnons. Il accepte que ses frères aient une vision différente de la sienne (1 Cor 16.12). Il est heureux des comptes-rendus missionnaires qu’il reçoit, et malgré les avertissements ou les exhortations dispensés à ses jeunes collaborateurs, il n’est jamais question de contrôle ou de reprise en main. Belle leçon de confiance pour la transmission aujourd’hui.

    La transmission du témoin : un cap délicat

    Ceux qui reçoivent le témoin des mains d’un serviteur plus ancien doivent être attentifs et faire preuve d’une grande délicatesse de cœur. Le moment peut être douloureux pour celui qui cède sa place. Ce n’est pas sans raison que Paul laisse percer sa fragilité et souhaite ardemment la présence de Timothée. Seuls ceux qui traversent ces moments peuvent dire la difficulté à accepter complètement des limites nouvelles, l’émotion douloureuse de voir d’autres continuer l’oeuvre de leur vie, avec tout ce qu’elle a coûté de joies et de peines, l’appréhension devant le mystère de leur propre mort. Alors l’exemple de Paul et de Pierre parlant précisément l’un de « sa course achevée », l’autre du « temps de déposer sa tente » devient très riche. Les deux apôtres trouvent les ressources pour dépasser leur propre situation, pourtant difficile. Ils sont capables de voir au-delà d’eux-mêmes, de leur propre vie, pour se préoccuper encore des autres et de la continuation de l’œuvre de Dieu.

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