PROMESSES
REGARDS SUR L’OCCIDENT
Préambule: Le texte que vous allez lire ci-dessous est un condensé de notre livre en cours de rédaction, Le Retour du Romantisme. Entre le Romantisme du XIXe siècle et le Nouvel Age, il y a une évidente filiation occulte. En effet, l’homme romantique saisi par le désespoir et l’angoisse se tourne, non vers le Dieu créateur, mais vers des idoles «magiques» censées lui donner le bonheur de l’âme et un sens à son existence.
L’HOMME moderne, comme l’homme d’autrefois, s’inquiète de son devenir. Sans cesse, il se remet en question, sans cesse il cherche la vérité. Voguant au gré des idéologies ou des courants religieux, l’homme vit un perpétuel paradoxe: tantôt la science, tantôt la magie. Entre le matérialisme ambiant de notre société occidentale et l’attrait des philosophies ésotériques ou occultes, la ligne de démarcation est mince. Parfois, ces deux courants de pensée sont confondus. Loin de s’annihiler, ces forces apparemment antagonistes s’allient dans une interconnexion du naturel et du surnaturel. Des questions, lancinantes, se posent: «l’alliance entre la science et la métaphysique n’est elle pas l’ébauche d’un Homme nouveau? L’association entre la politique et la magie ne conduit-elle pas au totalitarisme ? Ou, plus exactement, à la venue de l’Homme magicien?»
L’homme moderne, comme l’homme d’autrefois, cherche désespérément des certitudes. Tantôt balancé vers le rationalisme, tantôt aspiré vers l’empirisme, l’homme abandonne ses repères et entreprend la conquête des sphères paranormales ou occultes. Car la magie, ce mot lourd de sens, revient en force dans notre société moderne. Fini le temps des sorcières et des hérétiques que l’on brûlait sur des bûchers. Aujourd’hui, l’ésotérisme (doctrine secrète réservée aux seuls initiés, donc occulte), a droit de cité au même titre que les religions ou les sectes. Le retour du religieux s’apparente à celui de l’occultisme ambiant et le rêve, toujours inassouvi, de l’homme reste le même, celui d’être l’égal du Créateur en devenant à son tour dieu.
Quête, pouvoir et devenir
L’histoire de la magie pourrait se résumer en un mot: ésotérisme. L’attrait du surnaturel, et surtout l’acquisition de pouvoirs occultes et paranormaux, ont été à l’origine de tous les multiples courants ésotériques. En effet, parallèlement à la tradition païenne, puis chrétienne, s’est développée à travers les âges, une autre tradition, la Tradition ésotérique, appelée aussi parallèle.
A la source de cette tradition, les religions païennes, mais aussi la philosophie et la mythologie grecques. Tous ces enseignements «traditionnels» (oraux ou écrits) se sont développés, amplifiés et ont donné naissance à une tradition nouvelle, celle de l’Occident. Synthèse de tous les courants orientaux et occidentaux, la Tradition ésotérique présuppose l’éternité et l’évolution de la matière considérée comme divine. Le panthéisme (Dieu est tout et tout est Dieu, toute chose dans la nature est divine) et le monisme (l’ensemble des choses se réduisent ultimement à un seul principe ou unité, par opposition au dualisme et au pluralisme) sont les deux fondements des courants occultes, et il est évident que cette pensée entre en contradiction absolue avec la Révélation du Dieu créateur. A cause de cette opposition va naître tout un concept philosophique, religieux et même politique. L’enjeu de cette lutte de l’homme contre Dieu n’est autre que la domination planétaire, et même cosmique de toute la Nature, autrement dit de la création divine. En fait, il s’agit tout simplement de refaire la création de Dieu, ceci par le moyen de l’alchimie.
Il ne faut pas s’y méprendre, l’alchimie n’est pas la chimie! L’alchimie est cette science occulte qui a pour but de créer la pierre philosophale et dont la finalité est de transmuer les métaux vils en or. Au niveau supérieur, l’homme, ce matériau brut, semblable à du plomb, peut sous l’effet d’actions supranaturelles devenir une matière parfaite, équivalant à de l’or pur. Au delà du symbole, nous constatons que la tentation de l’homme reste toujours la même, celle de parvenir à l’état de divin. La vieille promesse du serpent est toujours vivace et nous assistons de nos jours à une recrudescence de mouvements ésotériques, principalement alchimistes.
La quête de l’homme magicien
Dans son aveuglement et dans son désespoir, l’homme entreprend une quête quasi ininterrompue. Une recherche de bonheur parfait, une aspiration à surmonter ses limites temporelles ou spirituelles. Face aux grands défis de notre société, il est évident que l’homme cherche une voie qui lui permettrait de résoudre une fois pour toutes les problèmes de la vie. Le matérialisme, de même que la technique, ne sauraient posséder en eux-mêmes toutes les solutions miracles que l’homme serait en droit d’attendre. Les prodiges de la science, notamment dans le domaine de la génétique, impressionnent certes, mais trouveront tôt ou tard une limitation absolue. Car la matière reste toujours matière! Tandis que la «magie » est censée être atemporelle et douée de pouvoirs transcendants.
Notre société industrielle et technicienne, avec son néolibéralisme et son mondialisme économique et politique, arrive à un point de non-retour. Face à cette menace grandissante, la réaction se fait parfois violente. La vraie révolution ne se fait pourtant pas dans la rue, mais dans les salons, ou plus exactement en l’homme. La quête de l’apprenti magicien est intérieure, cachée. Elle présuppose une relation avec l’invisible, une véritable interconnexion entre le «naturel» et le «surnaturel».
Cette «interconnexion» a été réalisée par les ésotéristes du Moyen Age (alchimie, kabbale, etc.), mais aussi par la Rose-Croix au XVIIe siècle et plus tard par la théosophie, l’anthroposophie et le Nouvel Age. Mais, il ne faudrait pas oublier que l’ésotérisme a aussi touché le Romantisme, du moins certains auteurs romantiques, entre autres Victor Hugo ou Gérard de Nerval. Pire, une certaine forme de romantisme a été à l’origine du nazisme.
Victor Hugo ou l’apologiste de Satan
L’ouvre de Victor Hugo (1802-1885) est immense. Ses poèmes, ses épopées et ses narrations sont de véritables monuments littéraires. L’étendue des thèmes abordés place Hugo dans la catégorie des écrivains visionnaires. N’a-t-il pas dit lui-même qu’il était «fils de ce siècle» ? Et c’est vrai ! Victor Hugo n’est pas seulement devenu le chef de l’école romantique, mais aussi il a vécu intensément ce siècle tant sur le plan littéraire que politique. Un siècle de luttes révolutionnaires et de recherches métaphysiques marqueront cette époque, et aussi la vie de Victor Hugo 1.
Victor Hugo fut l’homme de multiples idoles. En tout premier lieu, l’Homme! Qui se confond avec le Peuple. En effet, toute la prose hugolienne tend vers l’Homme en quête de perfection divine. Pire, Hugo va plus loin et affirme sans ambages que la «Liberté est Satan comme elle est Dieu» 2. Satan est mis sur le même pied que Dieu!
La Légende des Siècles, Les Contemplations et La Fin de Satan sont les ouvres les plus marquées par la métaphysique ésotérique. Victor Hugo propose à l’humanité une vaste fresque de l’humanité, du début à la fin de son histoire. Il s’agit en fait d’une gigantesque épopée dont la source n’est autre que l’ésotérisme 3. L’homme évolue vers la perfection et ceci par le moyen de l’action bienveillante de Dieu qui pardonne les fautes de toutes les créatures, y compris celles de Satan!
Si Hugo fut un merveilleux écrivain, au style varié et alerte, il fut aussi le poète de Satan. Le romantisme de Hugo vira peu à peu vers les hautes sphères de l’occultisme. L’homme magicien que fut Hugo s’égara dans les méandres du spiritisme et s’écarta ostensiblement des principes chrétiens.
Pour Hugo, Satan porte un nouveau nom: Liberté. La «Liberté» hugolienne n’est autre que la révolte des peuples contre toutes les tyrannies humaines. Elle est «Révolution» et elle utiliserait à cet effet la France! La «Liberté» selon Hugo est en fait un éloge de l’ouvre de Satan, voire une communion intime avec l’Ennemi de Dieu. Ces vers tirés des Contemplations le prouvent:
«Et Jésus, se penchant sur Bélial qui pleure,
Lui dira: c’est donc Toi?
Et vers Dieu, par la main, il conduira ce frère,
Et quand ils seront près des degrés de Lumière
Par nous seuls aperçus,
Tous deux seront si beaux, que Dieu dont l’oil flamboie
Ne pourra distinguer, père ébloui de joie,
Bélial de Jésus.»
«Tout sera dit. Le mal expirera; les larmes
Tariront; plus de fers, plus de deuils, plus d’alarmes;
L’affreux gouffre inclément
Cessera d’être sourd, et bégaiera: Qu’entends-je?
Les douleurs finiront dans toute l’ombre; un ange
Criera: Commencement! »4
Ainsi, nous constatons que Victor Hugo considère Satan comme un frère et que celui-ci est associé à l’ouvre de salut, plus exactement à la réintégration et à la réconciliation de tous les êtres créés, des hommes pécheurs, de Satan et ses démons ! Satan serait donc un libérateur de l’humanité. La Création est restaurée dans sa pureté primitive, le mal n’existera plus, les douleurs cesseront et l’Homme sera rétabli dans sa nature originelle. L’ange, autrement dit le Grand Archange, dira alors: «Commencement!».
Nous voyons ici toute la philosophie ésotérique de Victor Hugo. Sa pensée est celle de tous les gnostiques et des rosicruciens: la négation du péché et des peines éternelles, le diable qui redeviendra bon 5 et la réintégration des âmes par la réincarnation.
Ce qui explique que Victor Hugo s’est adonné à un moment de sa vie aux tables tournantes et au spiritisme. Et nous pouvons dire sans crainte que Hugo fut l’écrivain magicien! Mais, il ne fut pas le seul.
Gérard de Nerval ou le romantique magicien
Gérard de Nerval 6 (1808-1855) a été en son temps un des précurseurs de la magie «réelle et irréelle». Comme tous les romantiques ou surréalistes du XIXe siècle (Lamartine, Hugo, Vigny, Musset, mais aussi Rimbaud, Verlaine, Baudelaire, Mallarmé, etc.), Nerval a pris le chemin douloureux de la quête de l’absolu. Toute son ouvre reflète un état de fragilité morbide et qui le conduira au suicide. Le romantisme de Gérard de Nerval, comme celui de Victor Hugo, n’est pas seulement la recherche des sentiments exacerbés, mais plus encore la pratique de l’occultisme, voire du spiritisme. Au delà du monde terrestre, Nerval cherche ardemment le bonheur parfait.
Le bonheur n’aura été pour lui qu’une longue illusion qui le mènera finalement à l’autodestruction. Il était le fils d’un médecin-adjoint de la Grande Armée. Il perd sa mère à l’âge de deux ans et, dès lors, privé d’affection maternelle, la vie de Nerval sera un perpétuel cheminement vers la «femme de rêve», autrement dit la femme parfaite ou «l’éternelle figure féminine». Après avoir traduit le Second Faust de Goethe, il se met à croire à la réincarnation. C’est le commencement d’une chute vertigineuse qui l’amènera de l’occultisme à la mort.
L’existence de Nerval est marquée par une recherche ésotérique. Dès 1843, lors de son voyage au Moyen- Orient, il découvre au pied des Pyramides et des monuments antiques, une autre forme de «spiritualité», celle de la Déesse Universelle, la Vierge éternelle. Le lien entre la femme fictive et la déesse s’établit. Désormais, Nerval va s’adonner aux sciences occultes et va collaborer à des revues occultistes, Le Diable rouge, Le Diable Vert, L’Almanach fantastique.
La vie de Nerval fut une continuelle aspiration au bonheur sublime, au bonheur matérialisé par la femme mythique idéalisée par les héroïnes romantiques nommées en l’occurrence Sylvie, Aurélie ou Aurélia. En fait, derrières ces beautés imaginaires, Nerval fait allusion aux déesses de l’Antiquité. La Vénus païenne, Cybèle, l’Isis égyptienne représentent pour lui des modèles féminins parfaits, insaisissables, fantasmagoriques, mais terriblement présents en lui au travers de ses rêves et de ses crises de folie.
«Je suis le ténébreux – le veuf, – l’inconsolé,
Le prince d’Aquitaine à la tour abolie;
Ma seule étoile est morte, – et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du tombeau, toi qui m’as consolé,
Rends-moi le Pausilippe 7 et la mer d’Italie,
La fleur 8 qui plaisait tant à mon cour désolé,
Et la treille où le pampre à la rose s’allie.
Suis-je Amour ou Phébus?… Lusignan 9 ou Biron?
Mon front est rouge encor du baiser de la reine;
J’ai rêvé dans la grotte où nage la sirène…
Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron 10:
Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée 11
Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.»
Le romantisme de Nerval est avant tout individualiste, mais ses idées ont fait des émules: des hommes et des femmes, mal dans leur peau et qui ont sombré dans la paranoïa, et finalement dans le suicide. Gloire et décadence de l’homme, la vie de Nerval est la preuve que la magie, la recherche des mondes invisibles, sont le chemin le plus sûr vers la déchéance et la mort.
La vie de Nerval, comme celles de la plupart des romantiques, fut une tragédie. L’aspiration à découvrir un état supérieur, fait de félicité et d’exaltation, de sublime et d’élévation, se révèle en fin de compte un désastre tant moral que spirituel. La magie n’est pas une bonne fée qui apporte la joie de vivre. Ce sont plutôt l’anéantissement des espoirs de bonheur et de paix de l’âme qui sont au rendez-vous. Désormais, la mélancolie, le doute et la désolation sont le pain quotidien de ceux qui s’adonnent à la magie.
Le Groupe de Thulé ou l’Etat magicien
L’occultisme ambiant de la deuxième moitié du XIXe siècle, la formation de groupes ésotérico-militaires et surtout l’effondrement de l’Allemagne en 1918 ont favorisé le développement d’un «Etat magicien», avec à sa tête un magicien particulièrement redoutable, Adolf Hitler 12.
Le romantisme politique existe ! L’exemple le plus frappant, et le plus méconnu, est le National-Socialisme d’Adolf Hitler (1889-1945). Les racines idéologiques du nazisme plongent en effet dans les méandres des dieux pangermaniques, du romantisme allemand et de l’ésotérisme occidental. Toute la culture allemande a été empreinte des exploits des dieux pangermaniques et des chevaliers d’autrefois. L’héroïsme ou l’abnégation cachaient en réalité un mythe tenace de l’âme allemande: l’apparition du surhomme ou Homme Nouveau. Les antécédents historiques sont significatifs et montrent bien que la culture allemande a été sous-tendue par l’occultisme ambiant.
Ainsi, la Sainte Vehme (ou Terre Rouge), l’ancêtre spirituel du National- Socialisme, était une société secrète judiciaire fondée à la fin du Moyen Age et dont les buts étaient d’exercer une justice rapide envers les citoyens coupables de crimes. La justice du Vehme était expéditive: ou l’acquittement, ou la peine capitale! Société secrète, avec cérémonies initiatiques et dont l’occultisme est le fondement idéologique, la Sainte Vehme a été l’objet de la vénération des Romantiques allemands, mais aussi le fondement des méthodes d’extermination des S.S. durant la Seconde guerre mondiale. La justice de la Sainte Vehme et celle du Troisième Reich avaient un point commun, celui du pouvoir de l’homme sur l’homme.
L’Homme magicien va se retrouver chez Heinrich Heine (1797-1856), l’un des plus grands romantiques allemands 13. Juif d’origine, il se fait baptiser dans une église luthérienne et il espère se faire une place dans les cercles littéraires allemands. Cependant, et après avoir vainement cherché du travail dans son pays, il s’établit à Paris, peu après la Révolution de 1830. Là, sa poésie engagée, empreinte des thèmes des combats politiques et philosophiques, va s’exprimer totalement. Car Heine est le poète de la liberté et, au delà de la magie des mots, Heine parle de l’Homme nouveau qui sauvera l’Allemagne. En effet, dans son livre De l’Allemagne, publié en 1844, le poète n’hésite pas à écrire ces lignes «prémonitoires» qui trouveront un siècle plus tard un accomplissement tragique:
«C’est l’Homme qu’attend le peuple allemand. L’Homme qui lui rendra enfin la vie et le bonheur, le bonheur et la vie après lesquels il a si longtemps aspiré dans ses songes. Combien tardes- tu, toi que les vieillards ont annoncé avec un brûlant désir, toi que la jeunesse attend avec tant d’impatience, toi qui portes le spectre divinatoire de la liberté et la couronne impériale sans croix?» 14
La tentation de l’homme magicien, c’est l’Homme Nouveau, le surhomme de Friedrich Nietzsche (1844- 1900), doué de tous les pouvoirs, occultes et politiques. L’Homme magicien est en même temps le chef de l’Etat magicien! Le spiritualisme occulte et le politique s’uniront plus tard lors de l’avènement d’Adolf Hitler à la tête de l’Allemagne.
La montée en puissance du nazisme ne peut s’expliquer que par son origine occulte, et plus précisément par l’influence du Groupe de Thulé 15. Ce cercle d’initiés fut à l’origine du National-Socialisme et, par là, de la prise du pouvoir par Hitler en 1933. De nos jours, nous assistons à la résurgence de «cercles» dit de Thulé et dont l’idéologie est identique au nazisme.
Thulé est une île mythique que le navigateur grec Pythéas de Marseille découvrit en 323 av. J.-C. Située au nord de la Grande Bretagne, sous le cercle polaire 16. Thulé était, paraît-il, un lieu merveilleux, où poussait le blé et où les abeilles prospéraient. Le récit de Pythéas fascina tout l’Occident 17, à tel point que le mythe de Thulé survécut à l’oubli et fut repris bien plus tard par le romantisme et l’ésotérisme 18.
Le genèse du Groupe de Thulé se situe peu avant le début de la Première Guerre mondiale. Un certain Rudolf von Sebottendorf 19 (1875-1945) était membre d’une société secrète fondée en 1912, l’Ordre des Germains (Germanorder). Très rapidement, il devient le responsable pour la Bavière. Mais, très rapidement l’association prend du recul et se sépare peu à peu de l’ordre. Un nouveau groupement voit le jour le 17 avril 1918 à Berlin sous le nom de «Groupe de Thulé» 20.
Il s’agissait d’une société de type maçonnique avec une forte tendance à l’ésotérisme empirique. L’aspect religieux, notamment apocalyptique, est présent. L’Apocalypse et le Nouvel Age sont proclamés, une société nouvelle est annoncée: la détresse des Germains prendra fin, un nouveau germanisme verra le jour.
Le message pseudo-messianique de von Sebottendorf porta ses fruit et, en novembre 1918, pas moins de 250 personnes adhérèrent à l’association. Peu de temps après, le Groupe de Thulé compta parmi ses membres des gens comme Alfred Rosenberg (1893- 1946), le théoricien du Nation-Socialisme, Alfred Hess (1894-1987), le futur no 2 d’Hitler, Hans Frank (1900-1946), le «bourreau de la Pologne », etc.
Le romantisme politique d’Alfred Rosenberg, que partageait Rudolf Hess, fut l’une des causes de l’avènement du Troisième Reich. En effet, Rosenberg rêve d’un grand empire nordique, de race et de sang purs. A la fois religieux et romantique, Rosenberg rêve d’un Etat idéal dans lequel le Führer serait l’Homme magicien, en mesure d’apporter aux peuples allemand et nordique le bonheur et la paix. Puisant ses idées dans l’ouvre de Houston Stewart Chamberlain 21 (1857-1927), dans la musique de Richard Wagner (1813-1883) et dans les écrits de Joseph Arthur de Gobineau 22 (1816-1882), Rosenberg se distinguera par son néo-paganisme et exercera sur les idéalistes du parti nazi, et sur Hitler en particulier, une profonde séduction romantico-politique, celle de la germanisation des autres peuples. Le mythe de l’Aryen, celle d’une race noble, est tenace, même de nos jours.
Le romantisme politique du Groupe de Thulé ne fut en définitive qu’un échec sanglant. L’Homme magicien 23, en l’occurrence Adolf Hitler, devait être le fondateur d’un Reich qui devait durer 1000 ans! Ce furent douze ans de règne absolu et, certainement, la plus grande tragédie de l’histoire des hommes. Le bonheur promis par Hitler et consorts ne fut que larmes et désespoir.
Ainsi donc, le romantisme et la politique peuvent cohabiter, et parfois s’unir, sous le thème du bonheur. Les romantiques aspirent à un monde harmonieux, à la disparition des inégalités tant sociales que juridiques et à la découverte de l’Homme et de l’Univers. Le romantisme politique n’est autre que l’application de l’idéalisme romantique. La Révolution française, celle de Robespierre, voulait le bonheur de l’homme. mais ce fut la guillotine qui fonctionna à plein régime. La Commune déclencha un fol espoir de liberté et de justice sociale. mais ce soulèvement se termina par une répression féroce avec comme final le massacre devant le «Mur des Fédérés». Combien d’hommes et de femmes sont-ils morts au nom de la liberté et du bonheur ? Les propos de Francis A. Schaeffer résonnent alors au plus profond de notre conscience: «Notre génération est avide d’amour, de beauté, de signification. Une «poussière de mort» recouvre tout» 24. Et, pourtant, la vie des hommes continue. sans Dieu.
Du Romantisme au Nouvel Age
Les exemples cités démontrent que Victor Hugo et Gérard de Nerval, comme la plupart des Romantiques 25, ainsi que les maîtres du Troisième Reich, Alfred Rosenberg en particulier, ont été des précurseurs de la future Grande Babylone.
Car une nouvelle humanité s’annonce peu à peu, celle de l’ère post-chrétienne. Le Dieu créateur est évacué au profit de la Nature, sorte de dieu impersonnel; le Dieu sauveur est remplacé par l’Homme qui pense, en vertu de son évolution psychique, se sauver par lui-même; le Dieu seigneur est substitué à l’homme qui se prend pour dieu. Notre civilisation occidentalisée connaît sans doute sur le plan spirituel sa crise la plus grave depuis la Réforme. Le «religieux» occulte et ésotérique est en train de préparer la venue de celui qui sera l’Homme magicien par excellence, l’Antichrist. Face à ce raz-de-marée «religieux», face aux persécutions et face au relativisme ecclésiologique, le chrétien doit être averti des dangers futurs qui le menacent.
Ce terrain nouveau se met déjà en place. C’est la pensée initiatique ou occulte dénoncée par George Orwell 26 (1903-1950), prônée par Fritjof Capra 27, Theodore Roszak 28, Marilyn Ferguson 29, etc. qui prédomine de nos jours dans les milieux intellectuels et scientifiques. L’ésotérisme ambiant de la Rose-Croix et du Martinisme ont été l’un fondements du romantisme et, plus tard, de la Théosophie et du Nouvel Age. Ces «spiritualités » sont maintenant considérées comme des mystiques honorables. Et pourtant, toutes ces philosophies métaphysiques et parapsychologiques sous-tendent l’avènement de l’Homme nouveau, autrement dit l’Homme magicien.
Le romantisme est toujours vivant de nos jours et a véritablement pris son essor sous les traits du Nouvel Age. Ce que les romantiques ont entrevu ou pressenti, les adeptes du Nouvel Age le mettent en application à une échelle planétaire. Le Nouvel Age touche aussi à tous les niveaux et à tous les domaines de la vie ou de la science, l’écologie et la médecine en particulier. L’ésotérisme ambiant, celui de l’Energie, commence a être pris au sérieux par les scientifiques. Par ailleurs, la génétique, et notamment la technique du clonage, est en train de nous préparer un Homme nouveau, qui sera peut être l’Homme magicien à venir.
Tout comme pour les romantiques autrefois, le dieu de ce siècle n’est autre que la Nature. Et derrière cette Nature se cache l’Ennemi de nos âmes, Satan en personne. Le plus grand malheur de l’homme, c’est de se tourner vers des créatures, en l’occurrence des démons, plutôt que vers le Créateur. C’est l’homme qui cherche à dominer par lui-même et sur luimême. C’est l’homme à la recherche de puissance, de bonheur, d’inspiration, et pour lui tous les moyens sont bons. Ce sera la quête de l’infini, de l’invisible ou de l’Energie. Au delà de l’angoisse et des affres de l’inquiétude, des échecs et des espoirs déçus, le magicien persévère dans le chemin qui mène à la mort éternelle.
Face aux désastres humains de notre société, il est bon de savoir que Dieu est le maître de l’Univers, de la Terre et de l’humanité. L’homme a été créé, non pas pour déifier la Nature, mais pour adorer son Créateur. Car, il ne faut pas oublier que le péché, faute entièrement imputable à l’homme, a brisé notre relation avec Dieu. La Bible dit: «Le salaire du péché, c’est la mort» (Rom 6.23a).
Dieu aurait pu laisser l’homme à son désenchantement. Mais, dans sa grâce infinie, Dieu «a envoyé son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle » (Jean 3.16). Ainsi, la solitude de l’homme est brisée par la venue de Christ, ceci en vertu de sa vie, de sa mort et de sa résurrection. En lui, nous avons une vie nouvelle. Notre destin est dans les mains de notre Seigneur. Pas de pouvoirs magiques, mais une Présence! «En effet, écrit F.-A. Schaeffer, notre vocation ne consiste pas seulement à glorifier Dieu, mais aussi à jouir de sa présence, à être en communion personnelle avec lui, remplis par lui et accomplis en lui» 30.
Le véritable Homme nouveau n’est pas le Magicien doté de pouvoirs surnaturels, mais le Christ, l’envoyé de Dieu, l’homme parfait qui, pour nous sauver de la mort spirituelle, a été fait péché pour nous (2 Cor 5.21). En Christ, nous sommes devenus des créatures nouvelles (2 Cor 5.17). Désormais, le chrétien qui veut glorifier son Sauveur, Jésus-Christ, ne recherchera plus le pouvoir, mais l’humilité. Car la Bible dit: «Avant la ruine, le cour de l’homme s’élève; mais l’humilité précède la gloire» (Prov 18.12).
Finalement, au lieu de nous laisser impressionner par les manifestations de fausse puissance dont notre époque est friande, tournons nos regards vers le «grand Oublié de notre siècle», Jésus-Christ, la seule espérance pour un monde qui va à la dérive.
P.R.
1 Le XIXe siècle fut le siècle des Réveils (Genève, Eglises Libres, expansion du méthodisme), mais aussi celui de la prolifération des mouvements ésotériques, parmi lesquels figurent le Martinisme de Louis- Claude de Saint-Martin (1743-1803) repris par Papus (1865-1916) et la théosophie de Mme H.P. Blavatsky (1831-1891).
2 P. Zumthor, Victor Hugo, poète de Satan, p. 238, Robert Laffont, Paris, 1946.
3 Il est probable que Victor Hugo ait été influencé par le manichéisme.
4 V. Hugo, Contemplations, p. 409, Gallimard, Paris, 1973.
5 Hugo a écrit cette fameuse phrase: «Satan est mort; renais, ô Lucifer céleste».
6 De son vrai nom Gérard Labrunie. Nerval est un pseudonyme tiré d’un clos familial.
7 Promontoire de la baie de Naples. Ce lieu rappelle à Nerval des moments heureux…
8 Cette fleur est l’ancolie, de couleur mauve et violette, symbole de la tristesse et emblème de la folie.
9 Epoux de la fée Mélusine.
10 Selon la mythologie grecque, «Fleuve des morts, traversé par Orphée».
11 Héros mythologique grec, prototype du poète, Orphée était doué de pouvoirs extraordinaires, et en particulier la magie.
12 Sa ville natale, Braunau-sur-Inn avait la réputation de produire de nombreux voyants ou médiums.
13 A son sujet, le chancelier Bismarck a un jour déclaré au Reichstag: «N’oubliez pas, Messieurs, qu’il est, après Goethe, l’auteur des plus beaux lieder en langue allemande».
14 H. Heine in M.-F. James, Les précurseurs de l’Ere du Verseau, 143, Editions Paulines, Montréal, 1985.
15 Nous retrouvons ce mot chez Hector Berlioz (1803-1869), Complainte du roi de Thulé dans la Damnation de Faut. Gérard de Nerval traduisit de Goethe la Ballade du roi de Thulé. Jean Laude (1922- 1983), professeur d’histoire de l’art à Paris écrivit en 1964 Les Plages de Thulé. De même, Villaespesa Francisco (1877-1936), poète espagnol, composa un poème intitulé La Copa del rey de Thulé; etc.
16 Les chercheurs sont de nos jours très divisés sur l’existence de cette île. Certains pensent qu’il s’agit des îles Shetland, d’autres l’Islande. Les ésotéristes pensent à l’Hyperborée ou à l’Atlantide.
17 Virgile (70-19 av. J.-C.) écrivit l’Ultima Thule in Georgiques, 1, 30.
18 Le philosophe et homme d’Etat Sénèque (4 av. J.-C.-65 apr. J.-C.) écrivit dans Médée ces lignes: «Dans les siècles futurs, une heure viendra où l’on découvrira le grand secret enfoui dans l’océan. On retrouvera la puissante île, Téthys, de nouveau, dévoilera cette contrée. Et Thulé, désormais, ne sera plus le pays de l’extrémité de la terre.»
19 De son vrai nom, Alfred Rudolf Glauer.
20 Le nom de Thulé fut donné par un membre du Germanorden, Walter Nauhaus, ceci au référence au «berceau mythique des Aryens» et à l’«Atlantide blanche et pure des grands Germains blonds aux yeux clairs».
21 Ecrivain anglais connu pour être le père du racisme. Il professait l’idée que l’Allemagne devait dominer sur le monde entier.
22 Ecrivain français, auteur d’un Essai sur les inégalités humaines.
23 Marie-France James écrit: «. il demeure que Hitler recelait des capacités médiumniques qui l’ont, pour une part, servi et, pour l’autre, assujetti à des influences incontrôlables» (in Les précurseurs de l’Ere du Verseau, p. 161).
24 F. A. Schaeffer, La mort dans la Cité, p. 18, La Maison de la Bible, Genève, 1974.
25 Parmi lesquels Chateaubriand, Lamartine, Vigny, Blake, etc.
26 Romancier anglais, auteur de 1984.
27 Auteur du best-seller Le Tao de la Physique.
28 Professeur d’histoire en Californie, auteur de l’Homme planète.
29 Journaliste américaine, auteur des best-sellers Les Enfants du Verseau et La Révolution du cerveau.
30 F. A. Schaeffer, ibid., p. 18.
REGARDS SUR L’OCCIDENT
Note liminaire. En exclusivité pour les lecteurs de Promesses, nous vous présentons un court extrait de notre prochain livre Le Retour du Romantisme, à paraître dans le courant de l’an 2000. Notre ouvrage est en cours de rédaction et ne comportera pas moins de 250 pages et une très importante bibliographie, ainsi qu’une discographie et une filmographie. Nous nous excusons d’ores et déjà de la présentation un peu hachée de notre texte, qui sera complété avant l’édition définitive.
Le thème de notre premier chapitre est celui du retour à la Nature. L’homme romantique d’hier et d’aujourd’hui recherche le bonheur, l’harmonie et la paix dans les sentiments, -et ceci par le moyen de la création (nature), de l’art (littérature, musique, cinéma) ou de l’occultisme (en particulier le Nouvel Age). Notre démarche est de montrer que la réaction romantique de la fin du XVIIIe et du XIXe siècles se retrouve en cette fin du XX’ dans tous les secteurs de notre société. Bonne lecture a chacune et à chacun!
A. Redécouvrir la Nature?
L’homme moderne est à la croisée des chemins. Face à toutes les dérives du monde industriel et technique, le simple citoyen manifeste ses états d’âme par une peur à peine dissimulée. Cela se manifeste de diverses façons, entre autres par le découragement, la lassitude, et surtout par une inquiétude grandissante face à l’avenir. Par contre, les "jeunes loups", les "décideurs., les financiers sont beaucoup plus optimistes. Pour eux, le monde actuel, même si la crise économique perdure, va retrouver son essor dans les prochaines années. Mais quelle que soit la position des uns et des autres, le tronc commun qui les unit, c’est le bonheur de l’homme sur cette terre.
Le bonheur est, selon les romantiques, la quiétude et qualité de vie morale et surtout sentimentale qui tend vers un idéalisme, voire un perfectionnisme de l’âme humaine et, par conséquent, de la Nature. Il s’agit donc de la capacité de l’homme à vivre un bonheur parfait fait d’amour et de passion. Cette quête n’est que la poursuite d’un. paradis idyllique, perdu à tout jamais, du moins sur cette terre. Car la Nature est, pour les romantiques, le but ultime à atteindre, synonyme de bonheur perpétuel, sinon éternel.
Cependant, le romantique est un mélancolique. Non pas un déprimé chronique, mais un être tourmenté en recherche perpétuelle de devenir et de plénitude, mais aussi de beauté et d’esthétique. C’est la raison pour laquelle les romantiques du XIXe siècle et les néo-romantiques d’aujourd’hui ont en commun le même objectif, celui de redécouvrir la Nature, c’est-à-dire le Paradis retrouvé, source inextinguible de félicité et de bonheur.
Car l’homme moderne a le sentiment profond de s’être égaré dans les méandres d’une société sans âme ni sensibilité. Les mythes et les idéologies se sont succédés sans jamais apporter de réponse satisfaisante. Pire, il semblerait qu’à l’approche du troisième millénaire, l’espoir de voir une société plus heureuse et épanouie s’envole et que le pessimisme ambiant gagne du terrain.
Notre société moderne, celle de l’informatique, est en train de perdre son âme. L’homme n’est plus considéré comme une personne à part entière, mais comme un numéro anonyme ou pire, comme un code-barres. Aller dans une banque retirer de l’argent et faire une minute de causette ne sera bientôt plus qu’un souvenir du passé; l’homme, en l’occurrence le guichetier, sera tôt ou tard remplacé par la machine. Et voilà la question, bête au premier abord, mais affreusement réaliste: peut-on parler à la machine? Evidemment, non! Alors, dans ce cas- là, puisque les relations humaines sont de plus en plus restreintes, ne vaudrait-il pas mieux "parler" à la Nature?
La Nature n’est autre que la création divinisée. Selon les premiers philosophes grecs issus de l’école ionienne, l’eau serait à l’origine de toute chose. Pour Thalès de Milet, l’air, la terre et le feu procéderaient de l’eau, substance vivante, et elle serait donc une matière primordiale capable de se transformer sous l’influence d’un dieu, tandis que Héraclite d’Éphèse pensait que la matière principale était l’air. Par contre, Anaximandre croyait que la seule substance primordiale était la matière infinie et éternelle et que celle-ci était seule capable de produire des êtres nouveaux. Les lignes directrices de l’école ionienne ont profondément influencé notre civilisation occidentale. La notion de "matière. était très importante. En effet, les trois philosophes ioniens croyaient qu’une substance unique était à l’origine du monde. Cette philosophie de la matière semble être le très lointain point de départ d’une autre philosophie de la vie, le Romantisme.
B. Dépasser la Nature?
Le Romantisme n’est autre qu’une philosophie qui met la "matière", ou plutôt l’Homme, au centre du monde et de l’Univers. Le panthéisme des romantiques n’est que la conséquence de la négation du Dieu créateur. Bien que non philosophique, le pan- théisme romantique met en évidence que l’homme recherche la vérité et un sens à son existence terrestre. Il s’agit en fait de répondre à cette lancinante question: "Quelle est la place de l’homme dans l’Univers ?" La tension entre la Nature et l’Absolu est à son comble. Le romantique, tout comme l’homme d’aujourd’hui, est partagé dans son âme comme dans son intelligence. Cette fracture est que l’homme "sent. la Nature, mais ne se l’approprie jamais! "Le panthéisme [romantique], écrit Peyre, fut rarement érigé en doctrine philosophique et n’avait pas à l’être. Implicitement, il niait une création ex nihilo par le fiat d’un dieu, puisque la nature active et la nature passive (naturans et naturata de Spinoza) étaient envisagées comme consubstantielles et toutes deux également éternelles. Il sentait l’univers comme un grand être en mouvement, aspirant toujours à plus de vie et à plus de conscience. Chez les écrivains et artistes romantiques, ce panthéisme instinctif et sentimental exprimait l’impatience de toutes barrières, l’énergie du créateur qui veut vivre de la vie des choses, devenir elles et les laisser pénétrer en lui. L’imploration de Shelley2 au vent d’ouest est restée célèbre: " Sois moi, ô toi l’indomptable", et son désir éperdu de pouvoir se confondre avec le nuage ou le flot"3.
Le romantique, comme l’homme d’aujourd’hui, éprouve le besoin de se dépasser lui-même et, bien entendu, les autres aussi. Ce dépassement est propre au mouvement romantique: il consiste essentiellement à se dépasser par rapport aux .éléments de la nature" et, plus encore, à la Nature. C’est ce que Beethoven fit dans ses symphonies. Si ses premières œuvres ressemblaient à de la musique classique, sa neuvième symphonie atteindra des sommets inimaginables et les problèmes d’interprétation sont réels, notamment pour les choristes, et pour les solistes en particulier. Ce perpétuel dépassement est conforme à l’esprit romantique. Perpétuellement insatisfait, le compositeur cherche un nouveau souffle dans la création comme dans la recherche de la beauté esthétique ou du bonheur quasi ininterrompu au travers de l’écriture musicale. Cette recherche de perfection n’est que le moteur de toute son œuvre symphonique et son désir le plus grand est de promouvoir un espoir pour le monde entier. , À ce propos, Beethoven n’écrivait-il pas dans une lettre cette phrase qui démontre la démesure du Romantisme: "Je voudrais étreindre le monde " Désir de spiritualité intense, certes, mais aussi désir de se surpasser par rapport à la Nature, et même à Dieu. .. De son côté, Gustav Mahler, compositeur post-romantique longtemps méconnu et qui a écrit des symphonies gigantesques, dont la Troisième, la plus longue, dure près de cent minutes, avait une certaine idée de la Nature. Ne faisait-il pas remarquer à Bruno Walter qu’il lui était déconseillé d’admirer le magnifique paysage où il avait composé sa symphonie ? Face à l’interrogation de son assistant, Mahler répliqua de façon surprenante: "C’est inutile, j’ai tout emprunté pour le mettre dans ma Troisième!"4
Ce désir de puissance est toujours vrai de nos jours. L’homme moderne est constamment à la recherche de la performance. Il cherche à dominer la Nature, ou plutôt la création de Dieu. Ce perpétuel dépassement représente pour l’homme un danger non né gligeable. Il aurait tendance à se sen- tir invulnérable, à se croire meilleur que les autres, voire indispensable, et même égal ou supérieur à Dieu. Hier comme aujourd’hui, l’orgueil des hommes est le même, et cela se manifeste aussi dans le monde des arts. Gustav Mahler disait à son amie, la violoniste Nathalie Bauer-Lechner à propos de la définition du mot " symphonie": " Le terme " Symphonie" veut dire pour moi: construire un monde avec tous les moyens techniques existants."5 Le rêve de tous les romantiques, d’hier et d’aujourd’hui, est de créer un autre monde, un Monde Nouveau, un paradis terrestre où l’harmonie régnerait entre l’homme et la Nature. Le rêve de Mahler est aussi celui de milliers d’hommes et de femmes en quête de solidarité, de justice sociale et d’égalité.
Notre société va dans le même sens. Nos dirigeants politiques, de même que les scientifiques de tous bords, ambitionnent de recréer le monde, et même la création! Le génie génétique, la manipulation de l’ADN, sont pour les hommes de science les plus grandes tentations humaines de notre siècle: Ces apprentis sorciers ont-ils vrai- ment la volonté de changer l’ordre créationnel et, de ce fait, refaire la création de Dieu ? On pourrait en douter.
Refaire la création non pas scientifiquement, mais par la transformation du cœur et des sentiments, n’est-ce pas là le programme des néo-romantiques? Car, à ce niveau-Ià, il ne s’agit plus de science à l’état pur, mais de "science métaphysique"6 qui rejoint parfaitement, du moins dans l’esprit, la pensée des romantiques. Pour les "méta-scientifiques", comme pour les romantiques, la nature devient Nature. En d’autres termes, le but des hommes de tous les temps est de recréer un paradis terrestre ou, du moins, une terre où l’humanité pourra vivre enfin en paix et en osmose avec la Nature.
Ce rêve utopique n’est pas venu d’un coup de baguette magique, loin de là. C’est plutôt le fruit d’une longue évolution de la pensée philosophique à travers les âges. Cependant, la plupart des historiens situent l’avènement du courant romantique au XVIIIe siècle. Reprenant l’héritage de la philosophie grecque et de l’occultisme du Moyen Age, les philosophes des Lumières ont ébauché un système de pensée basé sur l’Homme, et dont le Romantisme reprendra toute l’essence dans sa doctrine.
C. Les Lumières et la Nature
La philosophie des Lumières est à l’origine de tous les multiples mouvements de pensée contemporains que nous connaissons. Parmi tous ces courants: le Romantisme et, plus tard, l’Existentialisme, point ultime de la pensée des Lumières. Bien qu’il soit en désaccord avec la pensée rationaliste, le Romantisme y puise en grande partie son inspiration tout en y apportant une touche de sensibilité et d’humanité. Le Siècle des Lumières, celui des Montesquieu, Voltaire, Rousseau, mais aussi de Goethe, Novalis, Fichte, Byron, de Quincey, etc. et tant d’autres, se caractérise notamment par un puissant mouvement de révolte contre l’autorité et le rationalisme, mais aussi par le retour à la Nature et à la religion naturelle.
Le Retour à la Nature, selon les Lumières, n’est autre que la divinisation de l’homme. Il se place au centre de l’Univers et il se veut autonome, indépendant de toute forme de contrainte, religieuse en particulier. L’homme des Lumières aspire à la liberté et aux défoulements des sentiments. Un seul répondant à toutes ces soifs libertaires: la Nature! Ou plutôt, la Nature divinisée, promue au rang de médiatrice. Le Dieu créateur, qui est aussi le Dieu de la Grâce et de la Loi, est évacué sans autre forme de procès. Désormais, le Dieu bon7, qui est incarné dans la Nature, et l’homme épris d’indépendance vont voguer ensemble vers une destinée faite de rêves et de tragédies.
Pour les Lumières, la Nature est assimilée à la Raison et, de ce fait, l’osmose entre ces deux éléments se traduirait par une vie heureuse empreinte de félicité et de bonheur quasi perpétuel. Pour les philosophes des Lumières, il doit y avoir un retour à la Nature, car celle-ci est bonne et elle n’est pas corrompue par les agissements des "civilisés". En d’autres termes, il faut redécouvrir le mode de vie des "sauvages" et autres "primitifs" afin d’y retrouver toutes les vertus qui animaient nos ancêtres, c’est-à-dire entre autres la liberté et le bonheur. Les délices de l’existence ou le ravissement de l’âme devant la grandeur majestueuse d’une montagne sont autant de motifs pour s’attacher à la Nature. Car la Nature serait bonne…
Non seulement la Nature est bonne, mais elle peut être vécue aux tréfonds de l’être, elle ne peut être découverte que par les sens psychiques de l’homme. La foi en un Dieu transcendant, tout comme l’intelligence, fait place à un nouveau dieu, le cœur de l’homme qui découvre la Nature. C’est l’idole de l’homme romantique. "Les nouveaux mots d’ordre, écrit le philosophe norvégien Jostein Gaarder, étaient: "sentiment", "imagination ", "expérience " et "nostalgie ". Certes le sentiment n’avait pas été complètement mis de côté par les philosophes du siècle des Lumières, rappelons-nous Rousseau, mais ce n’était que pour faire contrepoids à la raison. Ce qui n’était qu’accessoire devint dorénavant essentiel dans la culture allemande8. Ce courant de pensée devait par la suite s’étendre à une partie de l’Europe occidentale, la France en particulier.
D. Jean-Jacques Rousseau et la Nature
Jean-Jacques Rousseau, l’un des premiers pré-romantiques9, a mis au centre de ses préoccupations l’homme par rapport à la Nature. Pour lui, le bonheur, c’est de retrouver en soi l’âme universelle, c’est-à-dire retrouver ses "origines ", sources de vertus et de pureté. Cette recherche du bonheur a conduit Rousseau dans les méandres d’une spiritualité déiste et humaniste, celle d’un christianisme acceptable et qui met l’homme au centre.
Rousseau mena une vie errante durant une bonne partie de sa vie. Ses "voyages à pied " sont justement célèbres. La vie errante et solitaire de l’écrivain fut source d’inspiration et de réflexion. Ses ouvrages autobiographiques fourmillent d’allusions à la Nature. Pour lui, la Nature n’est que Nature, c’est-à-dire le paysage sans les humains ou, plus exactement, la "nature primitive". C’est une sorte de paradis terrestre. Ses sentiments vont vers les lacs, les montagnes, mais aussi les torrents impétueux et les pentes escarpées.
Toute la pensée sur la Nature de Jean-Jacques Rousseau est notamment mise en évidence dans les Confessions et les Rêveries d’un promeneur solitaire. Plus que des pensées, il s’agit d’un témoignage à la fois saisissant et déchirant. Rousseau, l’homme solitaire et incompris de la plupart de ses concitoyens exprime en des termes poignants sa vérité devant le mystère de l’existence.
Rousseau trouve sa source d’inspiration au cours des nombreux voyages qu’il fait. Il y trouve un bonheur quasi parfait. Le temps qui passe, le vécu et le présent sont fusionnés. Rousseau l’exprime en peu de mots: "]e suis, en racontant mes voyages, comme fêtais en les faisant; je ne saurais arriver10".
Rousseau est un romantique en ce sens qu’il vit le passé au présent par l’écriture: C’est plus qu’un souvenir, fut-il bon, mais une reconstitution de l’événement. Le "je suis" trouve son équivalent au "j’étais". Pour l’auteur, la notion du temps face à la Nature est abolie, et c’est là précisément que se place le bonheur rousseauiste, un bonheur illusoire et futile. Le bonheur ne se situe plus dans le temps, mais hors du temps… sur la terre! C’est la recherche du temps heureux, mais ce temps s’évanouit dans la durée. Sans cesse, ‘Rousseau est ramené à la réalité, mais toujours il fuit dans ses perpétuelles rêveries. Car la Nature a ses limites, elle ne saurait être l’objet d’une adoration perpétuelle. Tout voyage terrestre a une fin. Penser ou revivre la Nature au passé n’est que le signe d’une absence de vraie spiritualité.
Les voyages de Rousseau font penser au voyage de notre vie. Le passé est fini, le présent nous échappe et le futur est incertain. Nombre de nos contemporains s’angoissent face au temps qui passe et se tournent très souvent vers le passé. Un passé révolu, mais toujours vivant fait de rêves et parfois d’illusions. Les exemples de gens à la redécouverte du passé sont innombrables. Le passé devient sans cesse un sujet d’actualité.
Prenons le cas du Moyen Age. Depuis des années, cette période de l’histoire exerce sur bon nombre d’hommes et de femmes un attrait irrésistible. Et certains, dans un enthousiasme désarmant, se sont mis à l’œuvre pour construire un château féodal avec des matériaux anciens, et ceci pour une durée de 25 ans! Fabuleux projet, mais à quoi bon? Ce n’est pas la construction du château qui nous étonne, mais les moyens utilisés et surtout la durée de la construction. Consacrer plus d’un tiers de sa vie pour un château! Ce romantisme-là s’exprime dans le temps, ou plutôt dans la qualité du temps vécu! Au- delà du rêve, ces nouveaux bâtisseurs se sont donné du "bon temps., et en construisant cet édifice, ils revivent le temps d’autrefois. ils oublient le temps présent, le béton armé et le bruit infernal des machines, pour vivre une aventure humaine loin des tumultes et des scandales de notre société moderne. Pour ces constructeurs d’un autre âge, le rêve devient certes une réalité, mais ce n’est en définitive qu’une fuite dans le temps. Car, pour un seul château, combien d’autres constructions nouvelles qui vont défigurer des quartiers entiers? Le temps aura fait d’ici-là ses ravages. .,
L’exemple de Rousseau est explicite sur plus d’un point. Il montre bien que notre pèlerinage terrestre est une marche vers notre Créateur, et non pas vers une hypothétique Nature. Loin d’être une corvée, la marche chrétienne est une grâce qui nous permet d’adorer et de louer le "créateur des cieux et de la terre. dans la vérité. L’apôtre Jean écrivait: "Je n’ai pas de plus grande joie que d’apprendre que mes enfants marchent dans la vérité." (3 Jean 1.4). La Bible nous parle sans cesse de joie, synonyme de bonheur vrai. L’apôtre Paul l’affirme sans détours: "Au reste, frère soyez dans la joie, perfectionnez-vous consolez-vous, ayez un même sen ment, vivez en paix; et le Dit d’amour et de paix sera avec vous" (II Cor 13.11). La vie chrétienne, en effet, est une vie de progression dans la connaissance de Dieu. Et le résultat sera l’amour, la joie et la paix… Que désirer de plus?
E. Un retour à la Nature?
L’un des signes les plus caractéristiques du nouveau Romantisme est retour aux vieilles traditions oublié d’autrefois. Dans sa recherche de souvenirs, l’homme scrute le passé, son passé, afin de découvrir les
richesses et les beautés d’une époque à jamais révolue. Cette rétrospective des années d’or du Romantisme est une tentative de se replonger dans passé afin de revivre des moments inoubliables. Ce fut le cas de Rousseau. Et plus encore de Lamartine.
1. La consolation par la Nature?
Alphonse de Lamartine (1790-1869) fut sans doute le premier, à exprimer son attachement à la Nature. Ses œuvres poétiques atteignent un sommet de sensibilité et de grandeur. Pour lui les mots traduisent un état spirituel dans lequel l’amour brisé et l’inquiétude religieuse alternent. Mais au lieu de chercher Dieu dans la Bible, Lamartine se tourne vers la Nature. Lamartine croit, en effet, que la Nature est source de quiétude et de bonheur Pour lui, seule la Nature est médiatrice entre l’Homme et le monde quasi divinisé. La Nature peut en effet le comprendre et le consoler. Cette confusion entre le créé et le Créateur est pour lui fatale. Et pourtant, "Lamartine, écrit Henri Peyre, multiplie les hymnes au Créateur en 1820 et 1830, mais avec une facilité qui éveille bien des soupçons sur la sincérité et l’intensité de sa foi"11.
Son poème Le Vallon illustre fort bien sa confiance envers la Nature, symbolisée ici par ce vallon situé dans les montagnes du Dauphiné, près du Grand-Lemps, chez son ami Virieu. Ce poème, "conçu un 8 août" en souvenir de Julie Charles12, décrit la quiétude, mais aussi le mystère de la Nature représentée par un magnifique vallon au fond duquel coulent deux ruisseaux. Lamartine compare sa propre existence à ces ruisseaux. L’écoulement des filets d’eau l’émeut, son "âme est troublée", car la vie "coule" si vite. La strophe quatre exprime les sentiments à la fois profonds et contradictoires du poète:
"La source de mes jours comme eux s’est écoulée; Elle a passé sans bruit, sans nom et sans retour; Mais leur onde est limpide, et mon âme troublée N’aura pas réfléchi les clartés d’un beau jour."
Le vallon est considéré comme une personne, un interlocuteur. Lamartine s’adresse personnellement au "vallon de son enfance" et aux "beaux lieux". Ici, la Nature est plus que de la matière, elle est une création métaphysique dans laquelle la matière et l’esprit sont fusionnés. L’idée de fusion est très présente chez Lamartine. N’écrit-il pas:
"Là, deux ruisseaux cachés sous des ponts de verdure Tracent en serpentant les contours du vallon;
Ils mêlent un moment leur onde et leur murmure, Et non loin de leur source ils se perdent sans nom."
Ou encore:
"De lumière et d’ombrage elle t’entoure encore: Détache ton amour des faux biens que tu perds; Adore ici l’écho qu’adorait Pythagore, Prête avec lui l’oreille aux célestes concerts."
Le dieu de la Nature se manifeste dans ces deux ruisseaux. Lamartine est en communion avec ce "dieu". Et pourtant, ces ruisseaux se perdent. .. Cruelle illusion! Le dieu des romantiques, la Nature, n’est qu’un dieu impersonnel qui fuit dans l’espace et le temps. Le bonheur de Lamartine n’est déjà plus. ..Quant à la référence à Pythagore, elle est, à bien des égards, fort explicite. En effet, Pythagore, de même que ses disciples, se sont intéressés à la musique. Pour eux, la musique est à l’origine de l’harmonie universelle qui régit le monde par des mouvements réguliers. Le monde en tant que système cosmogonique serait donc régi par l’harmonie musicale métaphysique.
L’homme moderne est constamment à la recherche de la consolation qui pourrait soulager ses douleurs et ses misères morales ou spirituelles. La vie est dure, parfois intolérable et il est juste et louable de chercher la consolation. Une parole, une présence sont sources de tranquillité du cœur et de l’âme. Les romantiques, de même que la plupart des hommes d’aujourd’hui, cherchent désespérément la paix du cœur et de l’âme dans un lieu idyllique. Lac, rivière, forêt, montagnes, etc. Trouver refuge en un endroit bucolique, lieu de paix et d’amour, voilà le but ultime auquel l’homme aspire.
Mais cette contrée paradisiaque pourrait se transformer un jour en tragédie. Car la nature se venge, dit-on, et les faits divers relatés par la presse nous le rappellent très souvent.
Au contraire le message de la Bible est celui de la consolation. L’apôtre Paul nous le rappelle constamment. Pour lui, la consolation ne peut venir que de Dieu. Elle est source de bénédiction, d’amour, de joie, de paix dans notre être tout entier. Cette consolation n’est pas liée aux sentiments, mais à notre union spirituelle à Dieu. "Que le Dieu de la persévérance et de la consolation vous donne d’avoir les mêmes sentiments les uns envers les autres selon Jésus-Christ…" (Rom 15.5); "Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation" (II Cor 1.3); "Si donc il y a quelque consolation en Christ, s’il y a quelque soulagement dans l’amour, s’il y a quelque communion d’esprit, s’il y a quelque compassion et quel- que miséricorde…" (Phi 2.1); "Que notre Seigneur ]Jésus-Christ lui-même, et Dieu notre Père, qui nous a aimés, et qui nous a donné par sa grâce une consolation éternelle et une bonne espérance…" (il Thes 2.16); etc.
Parce que les romantiques ont cherché la consolation dans la Nature, ils n’ont trouvé que la mélancolie, la tristesse et finalement la mort. Quel contraste avec l’enseignement de la Parole de Dieu!
2. La Nature médiatrice?
Il est quasiment impossible d’expliciter, du moins dans le détail, le Romantisme, ce vaste courant de pensée qui a embrassé tant de domaines, et en particulier, l’histoire, la littérature, la musique et la peinture. A l’origine, le Romantisme de la fin du XVIIIe siècle était un courant sentimental, né de la chevalerie et du christianisme du Moyen Age, en réaction au classicisme du XVIle siècle. Ce Romantisme-là se nourrissait de 1 ‘héroïsme des chevaliers et de la beauté de la création symbolisée notamment par cette fleur mythique qu’est la rose. L’esprit chevaleresque allié au christianisme sentimental a donné naissance à une nouvelle religion, le Romantisme. Bien entendu, il ne s’agit pas d’un culte révélé, mais d’un nouvel état d’esprit, d’une vision destinée à changer l’homme, et le monde. Cette motivation de changement s’exprime dans le besoin d’absolu, la soif de liberté, la révolte contre la médiocrité et aussi le renouveau de l’esthétique et de la beauté. Le Romantisme est avant tout la révolte de l’homme face au machinisme froid et à l’injustice de plus en plus criante de notre société dite "démocratique et moderne". Si la Machine communique des informations, par contre elle ne peut pas dialoguer. La Nature, au sens où les romantiques l’entendent, pourrait .dialoguer. avec l ‘homme et, par conséquent, lui transmettre un message.
Si la Machine est logique et froide, la Nature serait sensible et vivante. En vertu de ce concept panthéiste, l’homme est irrésistiblement attiré vers la beauté et le charme sublime de la Nature et, de ce fait, va entretenir avec elle une relation intime et personnelle. Peu à peu, l’homme va voir dans la Nature le seul confident capable de l’aimer et de le comprendre. Seul au milieu de la forêt, ou au bord d’un lac, le romantique va ouvrir son âme et son cœur à la Nature. Son désespoir et sa détresse vont s’épancher et seul un écho, imperceptible aux oreilles humaines, va répondre à toutes ses peines. Une résonance venant de la montagne, du bois ou du lac va donner à l’homme une certitude quasi absolue que seule la Nature est capable de guérir les maux de son âme. C’est ainsi qu’insensiblement la Nature remplace le Dieu créateur… La boucle est bouclée: l’homme romantique a changé de dieu et désormais un autre médiateur se présente, la Nature.
Friedrich von Hardenberg dit Novalis (1772-1801) est le type du romantique mystique qui, en l’espace de trois années (1796-1801), a écrit l’essentiel de son œuvre. Une œuvre tragique et fulgurante qui va laisser une marque indélébile dans le Romantisme à venir.
Le parcours de Novalis est classique. Né dans une famille piétiste, il découvre une spiritualité faite de lectures bibliques et de cultes quotidiens et fait ses premiers pas dans la contemplation. Après des études de droit à Iéna, puis à Leipzig, il travaille comme administrateur des Salines. Sa vie de fonctionnaire va basculer peu de temps après. En 1795, il se fiance avec Sophie von Kühn, alors âgée seulement de treize ans. Un merveilleux été se déroule. ..Mais des sombres nuages s’amoncellent. Sophie tombe gravement malade, et meurt à l’âge de quinze ans. Cette séparation douloureuse va plonger Novalis dans un océan de douleurs, mais aussi de réflexions.
Son journal intime est un chef d’œuvre de mélancolie morbide qui met en évidence la douleur inconsolable de l’âme humaine face à la mort. Face à ce problème insoluble, Novalis part en quête d’un intermédiaire, d’une force de félicité qui est symbolisée par une "Fleur bleue" ou la "déesse voilée de Saïs". Mais, derrière ces symboles, se cache Sophie, la bien-aimée, qui, peu à peu, se mue en une sorte de déesse. Finalement, pour Novalis, il y a "Christ et Sophie"13, c’est-à-dire que la place de Sophie14 a une telle importance dans la vie de Novalis qu’elle peut être considérée comme un mythe, et même comme une religion.
La courte vie de Novalis (il ne vécut que 29 ans) illustre le drame de l’homme romantique. Son idole est – et restera – la Nature, ici symbolisée par Sophie. Le schéma de sa courte existence est classique: le Dieu personnel de l’enfance de Novalis s’estompe et fait place à un autre dieu, le Héros romantique. C’est un être tourmenté, déchiré, meurtri qui vit une perpétuelle contradiction entre ses aspirations et son époque. De plus, le Héros romantique est toujours placé sur une ligne de démarcation, à savoir la vie et la mort, le désir de vivre et celui de se suicider ou de mourir jeune, etc. il est évident que tout cela ne peut aboutir qu’à une impasse, voire à des dérapages. En effet, il y a chez l’homme romantique une tension perpétuelle entre deux états contradictoires: d’un côté la création, le spirituel, le Dieu personnel; de l’autre, la Nature (panthéisme), le mysticisme et le déisme. La grandeur du Créateur est réduite à la création, et même à la créature.
3. Une Nature froide et ingrate ?
Si Lamartine ou Novalis voguent au gré de sentiments quasi religieux en- vers la Nature, il n’en est pas de même pour Alfred de Vigny. Revers de la médaille ou tout simplement retour à la réalité, la pensée de Vigny étonne. Alors que, pour tous les romantiques, la Nature a une âme, il semblerait que Vigny prenne le contre-pied de ses collègues.
Le poème La Maison du Berger exprime en effet au plus haut degré la déception d’Alfred de Vigny face à la Nature. Pourtant, et Vigny partage ici l’opinion de tous les écrivains de son temps, la Nature, décrite ici comme une personne, est belle et magnifique. Cependant, la Nature est dépourvue d’âme, ou du moins de sensibilité. Vigny n’y va pas par quatre chemins. Pour lui, la Nature est .froide" (vers 1) et ses "splendeurs vaines" (vers 5), autrement dit vides. Cette Nature, autrefois chérie, devient insensible, voire égoïste devant la douleur de l’homme mortel. Vigny n’écrit- il pas cette pensée qui manifeste réellement un état de crise chez lui: .Vivez et dédaignez, si vous êtes déesse. (vers 4). La douleur du poète envers cette "terre ingrate" (vers 16) et "muette" (vers 14) est profonde. Il ne comprend pas, et, à défaut de comprendre, il s’écrie: " Vous ne recevrez pas un cri d’amour de moi " (vers 7).
La douleur de Vigny est aussi celle des gens que nous côtoyons chaque jour. Combien d’hommes et de femmes ont vainement cherché dans la Nature une consolation, une espérance, une certitude. Tout comme Lamartine et ses condisciples, ils ont cru de tout cœur que le bonheur se trouvait en un lieu idyllique près d’un bois ou d’un cours d’eau, loin du bruit et du vacarme urbains. Les citadins sont en effet de plus en plus nombreux à quitter les villes pour aller habiter à la campagne. Alors qu’au XIXe siècle, la ville était le lieu de la réussite sociale, du moins pour certains, le phénomène est de nos jours inverse.
Selon une enquête récente, les Français aspirent de plus en plus à .retourner aux sources.. Près de 43% préféreraient vivre à la campagne contre 16% à la ville; ceux qui désireraient habiter une petite commune rurale sont de loin les plus nombreux ( 44%) contre 9% dans les grandes villes de province et seulement 5% dans une ville de la banlieue parisienne. Ces chiffres sont révélateurs de la transhumance ville-campagne.
La vie est un perpétuel recommencement, un incessant aller-retour. Trouver une raison de vivre en ville ou à la campagne, tel est le leitmotiv de tous les hommes. L’homme a mal à son lieu, il a mal à sa vie quotidienne, il a mal à son être. ..Ce mal-vivre est réel et nul ne peut l’ignorer. Le malaise et la déprime sont croissants et personne n’ose faire un diagnostic, sauf quelques courageux intervenants, comme Jacques Neyrinck15ou Jan Marejko16. Ainsi va notre monde… À la dérive!
En guise de conclusion
L’Ecclésiaste avait écrit ces paroles d’une brûlante actualité: "Ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera, il ny a rien de nouveau sous le soleil" (Ecc 1.9). Le Romantisme est de retour. Sous l’impulsion du courant écologiste et du Nouvel Age, le néo-romantisme se manifeste maintenant au milieu de nous. Nos contemporains ont la hantise que le Printemps silencieux17 devienne un jour une réalité et que la Terre devienne invivable. Comme les romantiques d’autrefois, nous souffrons de voir notre société sombrer dans un matérialisme de plus en plus dur et empreint de libéralisme sauvage. Mais, loin de nous réfugier dans la Nature, nous tournons les regards de la foi vers le Dieu vivant, et son Fils Jésus-Christ.
Si les promesses de la Nature sont illusoires, par contre celles de Dieu sont vraies. Paul l’apôtre, une fois de plus, le souligne avec force: "Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle création. Les choses anciennes sont passées; voici, toutes choses sont devenues nouvelles" (II Cor 5.17). Pour l’avoir ignoré, les romantiques n’ont connu que le désespoir et le néant. Quelle leçon! A nous d’en tirer les conséquences et de vivre une spiritualité pleine et épanouie en Christ, notre Sauveur et Seigneur. Alors, le romantisme ne sera plus.
1 Thalès de Milet (VIe siècle av. J.-C.) et Anaximène (570-526) de même que Héraclite d’Ephèse (576-480) furent les principaux représentant de l’école ionienne tandis que Parménide (515-450) et Zénon d’Elée (489-460 le furent pour l’école Eléate.
2 Percy Bysshe Shelley (1792-1822), poète anglais romantique. Il écrivit notamment La reine Mab, Prométhée délivré, L’Ode au vent d’ouest.
3 H. Peyre, Qu’est-ce que le Romantisme, pp. 183-184, Presses Universitaires de France, Paris,1979.
4 M. Vignal, Mahler, p. 61, Solfèges/Seuil, Paris, 1966.
5 H. L. de La Grange, Gustav Mahler, p. 507, Tome Il, Fayard, Paris, 1979. C’est nous qui soulignons.
6 Que Rudolf Steiner, le fondateur de l’Anthroposophie, appellera "science spirituelle".
7 Autrement dit le Déisme, c’est-à-dire la croyance en l’existence de Dieu, mais sans référence à une révélation.
8 J. Gaarder, Le Monde de Sophie, p. 365.
9 Avec lui, nous pouvons citer Bernadin de Saint-Pierre (1737-1814), un des créateurs de l’exotisme, et même André Chénier (1762-1794), dont certains des poèmes préfigurent Chateaubriand et Lamartine.
10 J.-J. Rousseau, Les Confessions, livre quatrième, p. 227, Gallimard Folio, Paris, 1973.
11 H. M. Peyre, Ibid., p. 164,.
12 Femme d’un physicien anglais. Elle rencontra Lamartine en 1816 à Aix-Ies-Bains et elle eut une brève
liaison avec lui. Ils promirent de se rencontrer l’année suivante. Mais, atteinte de tuberculose, elle ne put venir dans la cité thermale et Lamartine l’attendit en vain. Julie Charles devait mourir quelques mois plus tard. Par la suite, Lamartine écrira son fameux poème intitulé Le Lac tandis que Julie Charles deviendra dans son œuvre "Elvire" la femme idéalisée.
13 Novalis, Journal Intime, p. 65, Mercure de France, Paris, 1997.
14 Que Novalis appelle "notre chère morte, l’éternellement bonne" ! in Journal intime, p. 52.
15 Ancien professeur de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), auteur d’un excellent ouvrage intitulé Le Huitième jour de la Création.
16 Professeur de philosophie à Genève. Auteur de La Cité des morts.
17 C’est le titre d’un livre de Rachel Carson paru dans les années 60. Le courant écologiste est né peu après.
Remarquablement bien écrit, ce livre laisse planer la menace qu’un jour peut être les oiseaux ne chan- teront plus et que le printemps sera peut-être pour toujours silencieux…
L’histoire de l’Eglise est sans doute la discipline la plus négligée dans nos Eglises. Certes, tous connaissent plus ou moins la Réforme, Martin Luther ou Jean Calvin, mais combien sont-ils ceux qui ont entendu parler de Jonathan Edwards ou de David Brainerd ? Là, il faut le reconnaître, seule une minorité de chrétiens cultivés savent qui ont été ces personnages. Et pourtant, depuis l’avènement de la fameuse «Bénédiction de Toronto», les noms de Jonathan Edwards et de David Brainerd apparaissent comme jamais dans notre littérature francophone.
Jonathan Edwards (1703-1758) a été avec George Whitefield l’instrument de Dieu dans le Great Awakening (Grand Réveil) qui éclata vers 1735 à Northampton. Aussitôt après, le Réveil prit une extension remarquable et toute la Nouvelle- Angleterre fut touchée par ce mouvement. En 1740, le Réveil atteint son point culminant: des conversions à Christ par milliers, mais aussi une opposition violente de la par des adversaires d’Edwards et surtout le début des manifestations psychiques débridées.
Grand Réveil et «Bénédiction de Toronto»
Un livre récernrnent paru (Embrase nos coeurs) défendant la cause des partisans de la «Bénédiction» affirme que les expériences religieuses de Jonathan Edwards, comme celles du «Grand Réveib>, seraient identiques à celles de la «Bénédictions de Toronto». L’auteur de cet ouvrage, Guy Chevreau, membre de la «Vineyard Airport», cite abondamment Jonathan Edwards, et sa femme Sarah, pour appuyer sa thèse. C’est ainsi que 250 ans après le Great Awaneking, Chevreau déclare sans ambages qu’Edwards aurait approuvé les extravagances de la «Bénédiction de Toronto».
Jonathan Edwards aurait-il été en accord avec la «Bénédiction de Toronto» ? Sur ce point, le revivaliste américain est catégorique: le Grand Réveil s’est éteint à la suite des débordements psychiques. Ce cinglant démenti ne vient pas d’un historien, mais du principal intéressé lui-même ! Lisons une lettre qu’il écrivit en 1743, soit un peu plus de deux ans après le Réveil de Northampton, en 1741:
«Les mois d’août et septembre ont été les plus remarquables de cette année là. Il y avait des convictions et des conversions de pécheurs et de grands réveils parmi les professants et des manifestations extérieures extraordinaires. Il était très fréquent de voir une maison pleine de cris, d’évanouissements, de convulsions, tant la détresse d’une part, et l’admiration et la joie, d’ autre part, étaient grandes».
C’est un fait, et Jonathan Edwards lui-même le reconnaît: les réunions de Réveil étaient parfois entachées d’excès psychiques. Au moment des faits, les phénomènes psychiques et physiques n’étaient ni encouragés ni combattus par le revivaliste. Faut-il en déduire pour autant que les expériences religieuses du «Grand Réveil» étaient comparables à celles de la «Bénédiction de Toronto»? Et surtout, ces manifestations extérieures ont-elles contribué au développement du Réveil?
Sur ces questions, lisons avec attention la suite de la lettre d’Edwards: «Mais par la suite, en 1742, nos amis entendirent parler ou furent témoins de ce qui se passait ailleurs, où les manifestations visibles étaient plus sensationnelles, et ils en conclurent que ce qui se passait ailleurs était bien supérieur à ce qui se passait ici. Ces gens nous dépassaient par leurs extases, par leurs émotions et par un zèle véhément, qu’ils appelaient la hardiesse pour Christ, et nos amis en conclurent qu’ils avaient pénétré plus avant dans la grâce, et qu’ils avaient une plus grande intimité avec le ciel. Ceci donna à beaucoup de nos amis des idées malheureuses et profondément enracinées, dont il est long et laborieux de se débarrasser…»
Edwards est bien conscient de la situation. Mieux, il prend position: «II ne faut pas regarder à l’intensité des émotions religieuses, mais à leur nature. Quelques-uns de ceux qui ont eu de grands ravissements de joie et ont été «remplis» d’une manière extraordinaire, et dont le corps même a succombé, ont manifesté leur caractère chrétien, dans leur conduite, beaucoup moins que d’autres, restés tranquilles, sans faire tant de démonstrations extérieures.»
Les propos de Jonathan Edwards sont confirmés par ceux de David Brainerd (1718-1747), évangéliste parmi les Indiens d’Amérique du Nord et dont l’abnégation et le dévouement furent admirables. Ces lignes, extraites de son Journal, doivent nous inciter à la réflexion: «Il n’y a pas eu de «fausse religion», pas d’agonies corporelles, de convulsions, de hurlements hystériques, d’évanouissements ou de phénomènes analogues, pas de transes ou de visions…, mais l’ouvre de la grâce s’est faite avec une grande sobriété et pureté… Malgré de grandes souffrances et une grande angoisse pour le salut de leur âme, ils ne manifestaient aucun désespoir maladif».
Peu avant sa mort, il écrivit ces lignes: «Insiste toujours en disant que les expériences ne valent rien, que les joies sont illusoires, si le ton général de la vie du nouveau converti n’est pas la spiritualité, la vigilance et la sainteté».
Faut-il parler de révisionnisme historique?
Deux thèses se heurtent. La première, celle de Guy Chevreau, affirme que les excès psychiques constituent une «base historique» pour la «Bénédiction de Toronto»; la deuxième, celle de John Mc Arthur (1) et la nôtre, pense plutôt qu’il n’y a aucun lien entre Northampton et Toronto.
L’histoire n’est pas une science exacte. L’histoire n’est pas simplement connaissance des faits ou de dates, mais elle est aussi interprétation. Aussi, il y a danger de considérer un événement historique avec ses propres lunettes! c’est-à-dire avec ses propres intuitions ou présupposés.
-Jonathan Edwards était un calviniste convaincu. Pour lui, la doctrine de l’élection, de la souveraineté de Dieu et de la déchéance totale de l’homme était fondamentale. Rien de tel dans la pensée de Chevreau: l’homme est au centre et Dieu n’a qu’à agir. Cette façon de penser et de faire est, à notre avis, consternante. Où est le Dieu souverain? Où est le Dieu d’ordre?
-Un calviniste croit en l’inspiration totale de l’Ecriture (Sola Scriprura) et, de ce fait, à sa pleine efficacité. C’est pourquoi tous les hommes de Réveil de tendance calviniste (1. Edwards, G. Whitefield, A. Monod, F. Neff, I. Cailler, etc.) n’ont jamais privilégié l’expérience par rapport à la Parole. C’est plutôt le contraire qui s’est produit: l’expérience spirituelle a toujours été soumise au critère de la Parole. Cela a été le cas pour Edwards et Brainerd. Est-ce le cas pour Toronto? A la lumière de ce que nous avons vu et entendu, nous nous permettons de douter…
-L’histoire le démontre aisément: tous les Réveils ont capoté à partir du moment où les excès psychiques sont apparus. A partir du moment où le «Grand Réveil» dégénéra en des manifestations psychiques incontrôlées, le fanatisme religieux vit le jour et, suite logique des événements, une division se produisit et le Réveil s’éteignit. Pourquoi Chevreau ne mentionne-t-il pas ce fait historique pourtant incontestable?..
-Un fait est évident, et cela nous trouble profondément: le révisionnisme historique fait son entrée dans les milieux chrétiens. Jonathan Edwards, le calviniste convaincu, le prédicateur de la grâce souveraine de Dieu, deviendrait sous la plume de pseudo-historiens un charismatique arminien! (2) Cette simple constatation nous fait frémir. Après l’histoire, ce sera quoi?..
Réveil et repentance
Finalement, nous devons nous rendre à l’évidence que la «Bénédiction de Toronto» a été dès son origine une excroissance du charismatisme américain, et non un courant de Ré veil digne de ce nom. Pour nous, un Réveil commence toujours par un retour à la Parole qui a pour conséquence un mouvement de conversions et des vies transformées et dont la base est la repentance, c’est-à-dire une profonde conviction de péché. Cette repentance amène l’homme à la vie nouvelle en Christ et cela se traduit par un comportement nouveau, empreint de sagesse et de discernement. Dans tous les cas, la maîtrise de soi -qui est un fruit de l’Esprit -doit être au centre de toute vie chrétienne.
Comme disait quelqu’un: «Mieux vaut être rempli du Saint- Esprit dans le quotidien de notre existence plutôt que de tomber à la renverse sur la moquette!»
(1) Nous recommandons vive- ment à nos lecteurs la brochure de John Mc Arthur, La Bénédiction de Toronto, Maison de la Bible, 1995.
(2) Arminianisme: doctrine qui enseigne que l’homme peut se déterminer au salut, ou à la perdition, par sa propre volonté.
Chronique de livres
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Paul Ranc
Le Réveil spirituel, quel chrétien digne de ce nom ne le désire-t-il pas, pour lui-même comme pour l’Eglise? Nous comprenons fort bien ce désir, car l’Eglise vit aujourd’hui des temps difficiles. L’oecuménisme, le psychologisme, l’occultisme, le Nouvel Age, etc. constituent un réel danger pour les églises. Mais, pour nous, il y a réveil et réveil.
Dans nos églises évangéliques se développe un courant se réclamant du réveil et qui porte le générique de «troisième vague». S’agit-il d’un réveil spirituel ou bien d’un mouvement de séduction et d’erreur? Face à cette redoutable question, Wolfgang Bühne, très connu outre-Rhin, donne, avec sagesse et discernement, des réponses claires propres à susciter la réflexion chez le lecteur.
L’ouvrage se divise en deux parties:
-L’évangélisation de puissance, une analyse pertinente de la théologie de la «troisième vague».
-L’évangélisation de puissance à la lumière de la Bible, une réponse biblique, mesurée et équilibrée, face aux prétentions énormes des tenants de cette nouvelle «vague».
Mais quelle est cette «troisième vague» ? Bühne décrit avec concision ce qu’est ce courant. Le X Xe siècle aurait été marqué par deux «vagues»de réveil: le pentecôtisme au début du siècle et le mouvement charismatique dans les années soixante. Ces deux vagues se sont brisées contre les évangéliques non- charismatiques. La «troisième vague» reprend les théologies pentecôtiste et charismatique et tente de les imposer à ceux qui sont réfractaires. La troisième vague espère ainsi gommer les barrières doctrinales et ecclésiastiques. Des évangélistes comme John Wimber, Paul Yonggi Cho, C. Peter Wagner et Reinhard Bonnke sont les précurseurs de ce mouvement qui commence à prendre de l’ampleur.
Ce qui caractérise ce mouvement, ce sont bien entendu le parler en langue, la prophétie et la guérison, mais aussi «des apparitions d’anges dans les salles de réunions»; les résurrections des morts seraient courantes, de même que les membres amputés qui repousseraient (pp.9-10)!
Une autre technique de «réveil» est la visualisation. Paul Yonggi Cho et Reinhard Bonnke la pratiquent. Nous admirons chez Bühne l’art d’utiliser les citations: «Les rêves et les visions, écrit Cho, constituent les matériaux avec lesquels l’Esprit Saint va travailler. Je dis toujours que les rêves et les visions sont le langage du Saint-Esprit» (p. 59); Cho dit encore: «Les visions et les rêves constituent l’élément central de ma philosophie chrétienne…»
Nous apprenons que le maître à penser de Cho n’est autre que le Dr Robert Schuller, le plus célèbre «théologien» de la pensée positive avec Norman Vincent Peale (p. 55). Robert Schuller a préfacé le livre très controversé de Cho, La Quatrième Dimension. Quant à Bonnke, il a subi l’influence de T. L. Osbom, le très connu «évangéliste» de la prospérité (p.75 ss.).
Le résultat est logique. L’expérience est mise pratiquement sur le même pied que la Bible. Peter Wagner le dit clairement: «Au fond, la théologie n’est ni plus ni moins qu’un essai humain pour expliquer d’une manière raisonnable et systématique la parole et l’action de Dieu. Deux sources lui sont essentielles : la Bible et l’expérience chrétienne» (p. 28).
La seconde partie de l’ouvrage est apologétique. Les signes et les miracles, la guérison, la délivrance, l’évangile de la prospérité, etc. sont l’objet d’une brève mais sérieuse étude. Face à la «troisième vague», il y a une «alternative biblique». Cette alternative est proposée sous forme de «vignettes» (adoration, dons de l’Esprit, plénitude, prière, etc.). Ces exposés ont le mérite d’être clairs et de susciter une saine réflexion chrétienne. La conclusion de Bühne, que nous partageons pleinement, montre bien qu’une «prédication radicalement évangélique, un amour brûlant pour le Seigneur, pour sa parole et pour les perdus» sont la base de tout réveil digne de ce nom.
Après avoir lu l’ouvrage de Bühne, nous sommes obligés d’admettre que la «troisième vague» n’est pas un courant de réveil. Le réveil est un message de repentance, de conversion et de sanctification pour l’individu et pour l’Eglise. Ce message repose sur la seule parole de Dieu, la Bible, et aussi sur la sainteté de Dieu. George Whitefield, John Wesley, Jonathan Edwards, David Brainerd, Adolphe Monod, Charles Spurgeon et bien d’autres l’avaient compris. Il semble, hélas, que ce ne soit pas le cas des Wimber, Wagner , Cho et Bonnke…
La Troisième vague. ..Le plus grand réveil de l’histoire de l’Eglise, un livre a offrir à tous les chrétiens, charismatiques ou non-charismatiques!
Nous avons déjà parlé de George Whitefield et de Jonathan Edwards. Aujourd’hui, nous continuons nos articles sur Ies Réveils avec John Wesley, un des pionniers du «réveil méthodiste».
Le réveil méthodiste fut l’un des plus grands réveils de tous les temps, mis à part la Réforme. il a eu pour auteurs deux hommes, George Whitefield et John Wesley.
Une Angleterre corrompue
Ce renouveau spirituel a bouleversé la vie de tout un peuple à tel point qu’on a pu dire que Wesley a sauvé l’Angleterre d’une véritable faillite spirituelle et morale! Au début du l8e siècle, le Royaume d’Angleterre vit des moments effroyables. La corruption et la dégradation des moeurs ont atteints des sommets inimaginables et la spiritualité est quasi nulle. La raison de cet état catastrophique s’explique aisément: l’Eglise anglicane a été emportée par la vague de fond du déisme (1). Le déisme est la révolte de l’homme contre le dogmatisme de l’Eglise. La raison humaine s’émancipe et devient autonome par rapport à Dieu et à sa Parole. Les conséquences sont logiques: l’homme cherche à comprendre le monde par sa seule raison. Le déisme croit à l’existence de Dieu, mais il n’interviendrait plus dans les affaires des hommes. La foi au Dieu transcendant et révélé est ainsi évacuée. Les évêques délaissent leurs diocèses et font de la politique, tandis que les fidèles sont livrés à des prêtres qui hésitent à célébrer le culte ou à prêcher.
Si les églises anglicanes vont au plus mal, les autres églises (baptistes, presbytérienne, etc.) subissent les assauts de la philosophie déiste et l’arianisme fait des ravages dans les paroisses. Quant aux pasteurs, ils ont cessé de combattre…
Sur le plan social enfin, c’ est le désordre complet. Le niveau moral des Anglais est très bas, la police est impuissante devant le raz-de-marée de la criminalité. Dans bien des régions, c’est la débauche et la violence, surtout parmi la population ouvrière. Les mineurs de fonds sont qualifiés de «sauvages».
L’Angleterre est-elle perdue? Mais non! Dieu va susciter Whitefield, puis Wesley. Le miracle se produit. Des centaines de milliers de personnes se convertiront à Christ et seront délivrées de l’alcool et la débauche. Ce sera le réveil méthodiste.
L’enfance de Wesley
John Wesley est né en 1703 dans une famille pastorale anglicane. Il était le quinzième des dix-neuf enfants de Samuel et Suzanne Wesley. Son enfance fut marquée à jamais par l’amour et l’abnégation de sa mère. Cette femme admirable, fille du célèbre pasteur Satriuel Annesley et vingt-quatrième enfant d’une famille de vingt-cinq, se consacra tout entière à l’éducation de ses enfants. A l’âge de cinq ans, chaque enfant devait apprendre l’alphabet. Une fois l’alphabet appris, et dès le lendemain, l’enfant apprenait à lire la Bible! Chaque semaine, Suzanne Wesley avait un entretien spirituel avec chacun des enfants.
Chercher la volonté de Dieu en tâtonnant…
Il n’est pas étonnant que le jeune Wesley voulut à son tour servir Dieu. En 1720, Wesley commença ses études au collège de Christ à Oxford où il apprit le latin, 1’hébreu, le grec et le français. En 1725, il fut ordonné diacre et, l’année suivante, il devint suffragant dans la paroisse de son père. En 1729, il devint, enseignant au Lincoln’s College, où il enseigna les lettres.
C’est pendant ce séjour à Oxford que le frère de John Wesley, Charles, fonda une association religieuse d’entraide et de piété religieuse. Bientôt John Wesley en devint le chef. George Whitefield fréquenta également ce groupe dont les membres furent appelés «méthodistes» par dérision.
Mais Wesley voulait aller plus loin. Son zèle missionnaire l’amena en Géorgie. Au cours de son voyage, il rencontra des chrétiens moraves; il fut très impressionné par leur foi et leur sérénité face aux dangers de la traversée. Son séjour en Géorgie fut un échec. Il voulait convertir les Indiens, mais il n’était pas encore converti! Ce fut pour lui une douloureuse remise en question.
L’expérience décisive de Wesley
John Wesley se convertit le 24 mai 1738, quatre mois après son retour d’ Amérique, au cours d’une réunion d’édification. C’est en écoutant un texte de Luther (L’introduction de l’ épître de Paul aux Romains) que Wesley se donna entièrement à Christ. Son coeur se «réchauffa» et il reçut l’assurance du pardon des péchés et du salut.
Wesley était dans l’oeuvre de Dieu depuis treize ans. Son zèle et son dévouement étaient extraordinaires, mais les fruits maigres. Il fallut ni plus ni moins qu’une authentique conversion à Dieu pour que sa vie puisse être transformée. Depuis lors, sa vie et son ministère furent radicalement changés et les fruits abondants.
Un ministère extraordinaire
A partir de ce moment-là, sa vie se confond avec le Réveil méthodiste. John Wesley fut l’infatigable prédicateur du Réveil. Il sillonna sans cesse l’Angleterre. Il parcourut 400’000 km à cheval (soit 9 fois le tour de la terre!). Il prononça pas moins de 50’000 sermons et ses auditoires dépassaient parfois 20 à 30′ 000 personnes, chiffre énorme pour l’ époque, quant on sait que la population en Angleterre atteignait tout juste les huit millions d’habitants.
Bien entendu, le ministère de Wesley suscita une violente opposition. En 1743, à Wednesbury, une émeute frénétique se déclencha contre lui et ce fut par miracle qu’il réchappa à la foule déchaînée. Par ailleurs, il dut se séparer de l’Eglise anglicane. En effet, l’évêque de Bristol lui avait interdit de prêcher dans son diocèse. L’ironie des événements fit que la première chapelle méthodiste fut construite à Bristol!
La controverse arminienne
Nous ne pouvons pas passer sous silence la séparation de John Wesley avec son compagnon de combat, George Whitefield à propos de la doctrine de la prédestination. Wesley était «arminien» (2) tandis que Whitefield état «calviniste». Ce fut Wesley qui mit le feu aux poudres en publiant un traité De la Libre Grâce. Wesley réfutait avec une extrême violence la doctrine de la prédestination. Il déclarait notamment que «cette doctrine est tout à fait blasphématoire», qu’«elle fait se contredire la révélation», qu’«elle rend la prédication vaine», etc. Whitefield répondit avec sagesse et pondération. Malgré cela, les hommes se séparèrent en 1741.
Cette controverse, au demeurant fort regrettable, ne nuisit pas au développement du Réveil. Wesley et Whitefield, chacun de leur côté mais en se respectant mutuellement, servirent Dieu avec beaucoup de zèle. Dieu, en dépit de l’imperfection des hommes, était le vainqueur.
La fin de Wesley
Wesley est mort à l’âge avancé de 88 ans. Jusqu’au bout, il a été actif au service de son Maître. A 80 ans, il se levait à 4 heures du matin pour prier; à 83 ans, il travaillait près de 15 heures par jour; à 87 ans, presque aveugle, il continua de prêcher! Enfin, le Seigneur reprit son serviteur. Ses dernières paroles furent: «Ce qu’il y a de meilleur, c’est que Dieu soit avec nous.»
Wesley a laissé son monumental Journal qui est le journal de bord du Réveil du 18e siècle. Ses oeuvres complètes ne comportent pas moins de 32 volumes! Mais surtout, il a été l’homme qui par son rayonnement spirituel a «sauvé» l’Angleterre d’un véritable naufrage spirituel. On peut estimer, en effet, que près d’un million de personnes ont été touchées par la grâce de Dieu!
Dans une des dernières lettres de John Wesley, il écrivait: «Donnez- moi cent prédicateurs qui ne craignent que le péché et ne désirent que Dieu, et je ne me soucie pas plus que d’un fétu qu’ils soient pasteurs ou laïques; ils ébranleront les portes de l’enfer et établiront le royaume des cieux sur la terre».
NOTES:
(1) Le déisme est la doctrine qui admet l’existence d’un Dieu, sans référence à un dogme ni à une religion révélée.
(2) Arminius (1560-1609 ), théologien hollandais, s’opposait à la doctrine calviniste de la prédestination et de la persévérance finale. Selon lui, la grâce n’était pas irrésistible et l’homme, dans une certaine mesure, pouvait répondre positivement à l’appel de Dieu. La doctrine arminienne fut condamnée au Synode de Dordrecht en 1618. Les fameux «Canons de Dordrecht» explicitent la position calviniste de l’élection et de la persévérance finale.
Qui connaît Jonathan Edwards? Peu, de nos jours. Et pourtant, lors d’un sondage d’opinion publique effectué en… 1900, seul Georges Washington, le premier président des Etats-Unis, remporte le plus de suffrages devant le pasteur Jonathan Edwards! Mais qui est cet homme, contemporain de Whitefield, très connu outre-atlantique et pratiquement inconnu dans nos pays francophones d’Europe? D’autant plus étonnant que les superlatifs qui lui sont attribués sont énormes. Jugez plutôt: «le plus grand revivaliste de l’Amérique», «le plus brillant interprète de Calvin» ou encore «le porte-parole du peuple de Dieu en Amérique»!
Une conversion en trois semaines
Jonathan Edwards est né en 1703 dans le village d’East Windsor, dans le Connecticut. Fils et petit-fils de pasteur, seul garçon d’une famille de onze, il a toujours manifesté une piété personnelle. Lorsqu’il était enfant, il aimait construire des cabanes au milieu des champs afin de pouvoir s’y retirer et prier. A l’âge de treize ans, il partit faire des études à Yale. Par la suite il étudia la théologie. Le souvenir que laissa Edwards fut celui d’un étudiant «sobre, renfermé, austère et rigide»…
Après avoir terminé ses études de théologie, il fut invité en 1722 par une petite église presbytérienne de New-York. C’est là qu’il se convertit: Selon ses biographes, sa conversion dura trois semaines! Trois semaines de luttes et de combats qui l’amenèrent à une profonde transformation spirituelle. Sa piété connut une nouvelle ferveur et ce fut pour lui le point de départ d’un ministère fructueux.
Jonathan Edwards quitte New-York en 1723 et devient répétiteur à Yale. Il tombe sérieusement malade et il s’en remettra difficilement. Puis il exercera une suffragance dans le village de Bolton. Enfin, en 1727, il se fixe à Northampton où il devient le pasteur de l’église presbytérienne. C’est là qu’Edwards épousera Miss Sarah Pierrepoint, «une jeune dame animée par ce Grand Etre qui a fait le monde et le gouverne». Les Edwards y vivront un mariage heureux et auront onze enfants.
Le «Grand Réveil»
Au moment de l’installation du pasteur Edwards, la situation religieuse de la Nouvelle Angleterre était catastrophique. Le puritanisme était froid. Par ailleurs, c’était le relâchement religieux et Edwards en souffrait beaucoup. Il cherchait vainement un remède capable de réveiller ses paroissiens…
Jonathan Edwards pria alors pour le Réveil. Il s’imposa une vie sévère et stricte: lever à quatre heures (cinq heures en hiver) et treize heures par jour dans son bureau pour méditer la parole de Dieu et pour prier! Ce qui ne l’empêchait pas de faire des visites et de s’occuper de sa famille. Le résultat ne se fit pas attendre…
Le pasteur de Northampton comprit progressivement que le danger venait de la confusion qu’il y avait entre l’Eglise et le monde. L’Eglise, en perdant contact avec les réalités spirituelles, devient amorphe et insensible aux appels de Dieu. Le libéralisme doctrinal et le relâchement des moeurs en sont les premières conséquences.
En 1734-35, sa paroisse fut touchée par le «Great Awakening». Edwards, saisi par le Réveil, donna alors des sermons qui déclenchèrent toute une série de conversions. La «moisson des âmes» était telle que le village de Northampton devint «une cité sur la montagne». Le message d’Edwards était centré sur deux points: la corruption totale de l’homme et la grâce souveraine de Dieu. Ce qui était extraordinaire, c’est qu’Edwards n’était pas un prédicateur doué de dons vocaux (comme ce fut le cas pour Whitefield), mais sa voix était faible et parfois à peine audible. Ce qui n’empêcha pas ses auditeurs d’être saisis par une profonde conviction de péché, et parfois de crainte et de tremblements…
En 1741, c’est l’embrasement du «Grand Réveil». Toute la Nouvelle Angleterre est enflammée par le feu du Réveil. La venue de George Whitefield va accentuer la flamme et cela va se traduire par un très important mouvement de conversions. De l’avis des historiens, le «Grand Réveil» – qui durera jusqu’à 1760 – a profondément bouleversé le paysage religieux de la Nouvelle Angleterre, et même des Etats-Unis.
Le problème de la Cène
La discipline religieuse était stricte, pour lui comme pour les autres. Cela l’amena à une profonde réflexion théologique qui dura vingt ans. Il étudia en particulier la doctrine de la Sainte-Cène. Il se posa ainsi la question: «Faut-il donner la Cène à tous, convertis et inconvertis» ? Edwards arriva à la conclusion que seuls les régénérés pouvaient prendre le pain et le vin. Ce virage de sa pensée a été le commencement de ses ennuis.
Jonathan Edwards ne donnait plus la Cène à ceux dont la conversion était douteuse et il s’attira de solides inimitiés. Il tint bon et il poussa même à aller scruter la vie personnelle de ses paroissiens! Bien entendu, cela déclencha un tollé, mais le réveil ne s’éteignit pas pour autant.
Ces mesures furent peu prisées par un certain nombre de paroissiens. Après une longue crise, Edwards se résolut à donner sa démission, bien qu’il eût encore huit enfants à charge.., Il vécut alors dans un état de grande pauvreté à Stockbridge. Sa femme et ses filles furent obligées de confectionner des éventails en papier pour les vendre. Malgré cela, Edwards continua son activité d’évangélisation parmi les Indiens. Cependant, l’activité principale d’Edwards fut la rédaction d’ouvrages théologiques de grande valeur (1). Il publia entre autres un traité dans lequel il développa ses vues sur la discipline dans l’Eglise. Incroyable, mais vrai: quelques années après, ce traité fut accepté dans la plupart des églises réformées américaines.
A la fin de l’année 1757, il fut nommé président d’un collège. Il mourut peu après, le 22 mars 1758, emporté par la petite vérole. Sa femme Sarah, qui avait été admirable de courage et d’abnégation, ne lui survivra que quelques mois.
Le message de Jonathan Edwards
Il est impossible de décrire ici la pensée de Jonathan Edwards. Son oeuvre est immense et sa théologie renferme des trésors inestimables (2). Soulignons cependant qu’il a été, comme Whitefield, le proclamateur de la grâce. Toutes ses prédications et ses livres portent la trace indélébile de la grâce de Dieu. Le salut est pure grâce et il est l’oeuvre du Dieu souverain. En d’autres termes, cela signifie qu’Edwards croit en la corruption totale de l’homme. Le revivaliste américain va loin: il dit que la chute n’est pas une «blessure locale», mais un cataclysme! Tout est corrompu chez l’homme, même sa volonté et son intelligence. Edwards met donc en évidence deux points: La souveraineté absolue de Dieu et la dépravation totale de l’homme. Ainsi, Jonathan Edwards se situe dans la lignée de Calvin.
Dieu d’abord
Jonathan Edwards a été tout au long de sa vie le type même du pasteur de réveil. Il a été celui qui a prêché l’équilibre entre la foi du coeur et la raison. Pour lui, le but de la vie chrétienne, c’est de connaître Dieu avec son coeur comme avec son intelligence renouvelés par l’Esprit. En découvrant Dieu et sa volonté, l’homme régénéré manifeste la «vertu parfaite» et glorifie ainsi son Créateur.
Edwards a été un instrument du «Grand Réveil» américain, mais il a payé le prix de sa fidélité à Dieu. Parce qu’il a mis Dieu à la première place, et en particulier à cause de ses positions évangéliques sur la Cène, il a connu des années d’épreuves et de dénuement.
Quelle leçon pour nous? Nous désirons un Réveil? C’est bien. Mais sommes-nous vraiment prêts à en payer le prix? Edwards, Whitefield et bien d’autres l’ont fait. Et nous, sommes- nous prêts à suivre leur exemple?
Notes
(1) Parmi les titres, citons: L’investigation sur le libre arbitre, La défense de la grande doctrine chrétienne du péché originel et surtout L’histoire de l’oeuvre de la Rédemption.
(2)A l’attention de ceux qui lisent l’anglais, nous signalons que la plupart des ouvrages de Jonathan Edwards sont constamment réédités. A quand une édition française ?
Note liminaire
Cet article, le premier d’une série consacré aux Réveils, est le résumé d’une conférence que l’auteur a donnée en août 1991, à Champfleuri, près de Grenoble. Les lecteurs de Promesses auront ainsi le «privilège» de lire en avant-première quelques extraits de la Théologie du Réveil que Paul Ranc est en train de préparer.
Un des plus grands hommes de Réveil de tous les temps, et certainement le plus méconnu de tous, du moins dans nos pays francophones, est sans conteste l’Anglais George Whitefield.
Le Réveil du XVlIIe siècle, appelé aussi «Réveil méthodiste», le plus grand mouvement de renouveau spirituel après la Réforme, a pour chef de file George Whitefield, et non John Wesley (1). Certes, nous ne portons pas atteinte à Wesley, mais rendons à César ce qui est à César: Whitefield est le père de l’évangélisation des foules.
Sa jeunesse
George Whitefield est né le 16 décembre 1714 à Gloucester dans une famille d’humble condition. Durant un certain nombre d’années, il aida sa mère à tenir un hôtel, puis ce fut son frère qui assura la gestion de l’établissement.
A l’âge de 18 ans, il fut admis à l’Université d’Oxford, en qualité d’étudiant pauvre. Tout en étudiant, Whitefield devait servir ses condisciples plus fortunés. C’était une obligation. Il mena une vie solitaire, partagée entre l’étude et les austérités.
Il entra enfin en contact avec les frères Wesley(1) qui l’acceptèrent dans leur groupe de prière et de piété. Il en devint un des membres les plus zélés. Trop même, il les surpassa par ses excès! Il finit même par en tomber malade!
En 1735, il se convertit à Christ. Il fit une expérience spirituelle décisive qu’il appela «sentiment de réconciliation». Sur ce point, Whitefield, au contraire de Wesley, se montre très réservé. On ne sait qu’une seule chose: c’est que du jour au lendemain, son message devint percutant!
Il est consacré diacre de l’Eglise anglicane en 1736 et il prêcha son premier sermon dans la cathédrale de sa ville natale.
En 1738, il part aux Etats-Unis, en Georgie, pour évangéliser les Indiens, mais revient en 1739 en Angleterre pour une collecte. La même année, il fut consacré pasteur.
Un prédicateur de Réveil
Il se mit à prêcher le Réveil Pour la première fois, un pasteur de l’Eglise anglicane osa prêcher en plein air, sur un terril ! Aux mineurs de Kirigswood! Un acte de courage inouï: les mineurs étaient redoutés et redoutables. Ils étaient violents, voleurs, vindicatifs, etc. Bref, c’est un vrai «quart-monde», à la puissance 10!
Il prêcha aussi à Bristol à des foules énormes. Les gens de Bristol étaient, si l’on en croit les historiens, «une population grossière et à demi-sauvage»! Il obtient de grandes victoires spirituelles. Les mineurs, les gens les plus méprisés de l’époque, se convertirent par milliers. «Les coeurs étaient touchés» disait Whitefield, les larmes coulaient et les joues noires des mineurs étaient marquées de traces blanches. ..Dieu avait agit de façon souveraine pour l’éternité.
Les auditoires de plus de 20’000 personnes n’étaient pas rares! Sa voix avait une portée extraordinaire: 1 à 2 kilomètres! Le chant à près de 3 kilomètres! ! Plus de 30’000 personnes pouvaient entendre sa voix sans peine…
Un ministère itinérant
Conséquence logique des activités de Whitefield: toutes les portes de l’Eglise anglicane se fermèrent à lui. Le clergé voyait en lui un fanatique. Malgré cela, Whitefield fut magnifique de courage et de volonté. Bien qu’il fût de santé fragile (il fallait parfois le monter sur le cheval tant il était faible!), il continua son ministère itinérant. Très souvent, il parcourait 80 km pour prêcher. Il recommençait le lendemain… Durant 30 ans, il a exercé un ministère itinérant des plus féconds.
George Whitefield était doué d’une éloquence extraordinaire. Même ses adversaires l’admiraient. Très souvent, les larmes aux yeux, Whitefield exhortait les auditeurs à se convertir. Ses appels à la repentance étaient pathétiques et beaucoup de gens étaient saisis d’une profonde conviction de péché et se tournaient vers Christ.
Whitefield traversa six fois l’Atlantique, il créa un orphelinat en Georgie et visita toutes les stations où se trouvaient les Anglais. Partout, il y avait des foules énormes et des milliers de conversions extraordinaires.
En 1741, il se sépare de John Wesley à propos de la doctrine de la prédestination, mais les deux hommes continueront à entretenir des relations fraternelles. Par ailleurs, les Eglises fondées par Whitefield et Wesley poursuivront 1e même travail sous le même nom: «Eglise méthodiste» !
Whitefield meurt en 1770 d’une crise d’asthme, près de Boston laissant derrière lui une oeuvre immense. Son service funèbre fut suivi par une foule en larmes. La veille encore, il avait prêché fort tard et des âmes avaient été sauvées.
L’esprit méthodiste calviniste subsiste encore de nos jours dans le Pays de Galles. ll y a encore des «églises méthodistes calvinistes».
La théologie de Whitefield
George Whitefield, premier prédicateur méthodiste, était un calviniste! C’est sans doute Jonathan Edwards(2) qui l’influença à cette façon de penser. Sa vie comme sa prédication furent empreintes du thème central de l’élection: A ce propos, Whitefield écrivit ces lignes qui résument toute sa doctrine:
«Je bénis Dieu qui, par son Esprit, m’a convaincu de notre élection éternelle par le Père et par le moyen du Fils, de notre libre justification par le moyen de la foi en son sang, de notre sanctification comme en étant la conséquence, et enfin de notre persévérance et notre glorification finales, qui sont le résultat de tout cela. Je suis persuadé que Dieu a soudé tous ces points; ni les hommes, ni les anges ne pourront les disjoindre»(3).
Ainsi donc, la théologie de Whitefield, comme le seront plus tard celles de Félix Neff, César Malan ou Adolphe Monod, est celle de la souveraineté de Dieu. La conversion, la justification, la sanctification et la glorification découlent de la grâce imméritée de Dieu, source de l’élection. On peut donc affirmer sans crainte que Whitefield a été le prédicateur de la Grâce.
La passion des âmes de Whitefield
Whitefield était un homme hors du commun. Sa foi et son rayonnement étaient extraordinaires et manifestaient au sens propre du terme l’enthousiasme. La vue des foules immenses faisait vibrer en lui les cordes de l’émotion et lui inspiraient les accents les plus poignants. Il avait véritablement l’amour pour les âmes perdues, un sentiment que nous aurions tendance à ignorer de nos jours..
Whitefield n’était pas un théologien, ni un organisateur. Il n’avait ni une grande intelligence ni une grande culture. C’était avant tout le prédicateur du Réveil. Mais ses prédications étaient fouillées et surtout profondes. Il savait trouver le mot juste pour convaincre et amener les âmes à la repentance. Dieu avait choisi un homme faible pour en faire un des plus grands prédicateurs de l’histoire de 1’Eglise.
Ce qui manque à notre Eglise aujourd’hui, c’est un Whitefield! Un homme rempli de la connaissance de Dieu, saisi par la passion des âmes qui se perdent et revêtu d’un esprit de sagesse et de force. Prions ardemment pour que Dieu nous envoie un homme de cette trempe! Alors le Réveil sera peut être une réalité…
Notes
(1) Le Réveil méthodiste de John et Charles Wesley fera l’objet d’un article dans Promesses.
(2) Le Réveil de la Nouvelle Angleterre de Jonathan Edwards sera traité dans un prochain numéro de Promesses.
(3) G. Whitefield, Letters, vol. I, 1771, réimpr. The Banner of Truth Trust, 1976, 9. 129.
Titre: | «A l’écoute du réveil» (270 pages) |
Auteur: | Gabriel Mützenberg |
Editeur: | Editions Emmaüs, 1989 |
On connaît la Réforme. On sait ce qu’est le Réveil du 19e siècle. Qu’y a-t-il entre les deux? Le lecteur moyen, souvent même cultivé et ne détestant pas l’Histoire, n’en a pas une idée exacte. Peut-être a-t-il entendu parler de l’orthodoxie protestante, du rationalisme, voire du piétisme. Mais tout cela reste vague.
C’est ce flou que Gabriel Mützenberg entend dissiper. Y réussit-il? Ceux qui ont apprécié «L’obsession calviniste», «Henri Dunant le Prédestiné», «La Réforme, vous connaissez?» et nombre d’autres publications, le diront peut-être en se laissant entraîner à nouveau de découverte en découverte, de réveil en réveil. Mais gageons qu’après avoir suivi l’auteur dans son survol de trois siècles, de Calvin à l’Alliance évangélique, ils garderont l’envie, stimulés par ce qu’ils auront appris, d’en savoir plus encore.
Nous recommandons vivement la lecture de cet ouvrage. Nous l’avons lu et nous le trouvons passionnant.
Paul Ranc
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