PROMESSES
« Définir » qui est Dieu est une entreprise ardue, d’aucuns diraient présomptueuse. Comment nous, créatures finies, pouvons-nous dire qui est notre Créateur infini ? Il est néanmoins possible de tirer quelques affirmations simples sur Dieu à partir de la révélation écrite qu’il a faite de lui dans la Bible. Les sept affirmations retenues ont également, nous le verrons, des conséquences pratiques importantes.
1. Dieu est personnel (Ex 3.14)
Quand Moïse demande à Dieu qui il est, ce dernier lui répond : « Je suis celui qui suis » (Ex 3.14).
Par ce « je », Dieu se révèle dès le début comme un dieu personnel. Le Dieu des monothéistes se distingue radicalement des dieux impersonnels des religions orientales.
Dieu possède les attributs de la personnalité. Ceux-ci nous sont connus et sont définis par rapport à la personnalité de l’être humain. Les appliquer à Dieu constitue un anthropomorphisme, que la Bible nous autorise. Elle nous parle de son intelligence (Ps 147.5), de ses sentiments (Gen 6.6 ;
Jug 10.16) et de sa volonté (Ps 115.3).
De plus, Dieu est constamment désigné dans la Bible sous des noms et des pronoms personnels : implicitement, il se présente comme une personne.
Nous le voyons interagir avec les humains de façon personnelle : pensons à ses dialogues avec
Abraham ou Moïse.
Finalement, il s’est pleinement révélé dans la personne de Christ (Col 2.9).
La personnalité de Dieu est importante pour donner un sens à la vie, à l’univers et à l’homme : c’est parce que Dieu est un dieu personnel, avec qui je peux être en relation, que je trouve ma place — ce qui ne serait pas le cas s’il n’était juste qu’une influence ou une puissance.
En conséquence, je peux vivre une relation personnelle de communication avec lui, qui connaît mes besoins propres et qui interagit avec moi selon a propre personnalité.
2. Dieu est « un » (1 Tim 2.5)
L’unicité de Dieu est affirmée de diverses manières dans l’Écriture. Paul affirme : « Il y a un seul Dieu » (1 Tim 2.5 ; 1 Cor 8.6) et « Dieu est un seul » (Gal 3.20).
L’unicité de Dieu est la conséquence logique des diverses perfections de Dieu. Par exemple, il est impossible d’avoir deux êtres omnipotents : si l’un est tout-puissant, l’autre ne le sera pas, car sinon le premier ne le serait plus.
L’unité de Dieu va de pair avec la « simplicité » de Dieu. Par là, nous affirmons qu’il n’y a pas d’opposition entre les divers attributs divins, qui sont parfaitement cohérents. La seule « limitation » en Dieu est la cohérence de son être et de ses attributs. Cette simplicité signifie aussi qu’un attribut divin ne définit jamais complètement Dieu ; il ne se « partage » pas. Il n’est pas possible de le « disséquer » en qualités indépendantes l’une de l’autre.
Toutefois, le Dieu unique existe de façon plurielle dans des « personnes », comme en témoignent les pronoms utilisés par Jésus : « Moi et le Père, nous sommes un » (Jean 10.30 ; cf. 14.23). La nature de Dieu, en particulier son amour, impose cette réalité à son essence : le Dieu qui est amour trouve éternellement au sein même de la triunité qu’il constitue la possibilité de démontrer cet amour : « Le Père aime le Fils » (Jean 5.20).
En conséquence, s’il n’y a qu’un seul Dieu, nous devrions ne pas en avoir d’autre ! Le Décalogue l’imposait déjà et de nombreux textes réitèrent cette interdiction (e.g. És 45.21-22). Jean renouvelle cet avertissement : « Petits enfants, gardez-vous des idoles » (1 Jean 5.21). Notre « Dieu véritable » est celui qui s’est parfaitement révélé en Jésus-Christ son Fils.
Alors rejetons tout autre chose ou toute autre personne qui viendrait prendre la première place dans notre cœur (car, au fond, c’est cela, une idole !).
3. Dieu est éternel (Rom 16.26)
Dieu existe indépendamment du temps qu’il a créé : il « habite l’éternité » (És 57.15 Darby), et Moïse affirme : « D’éternité en éternité tu es Dieu » (Ps 90.2). Dieu n’a ni commencement
ni fin et il est libre par rapport à toute succession temporelle. Il contient en lui-même la cause du temps dont il a une connaissance parfaite.
Dans son être, dans ses perfections, dans son dessein, dans ses promesses, Dieu reste toujours, à tout moment, à toute époque, le même : « Dans le Père des lumières, il n’y a ni changement ni
ombre de variation » (Jac 1.17).
Si Dieu est immuable, il n’est pas pour autant immobile car il est aussi le Dieu vivant. S’il y a une parfaite stabilité en Dieu, il n’y a pas de fixité. C’est pour cela que l’Apocalypse l’appelle « celui
qui est, qui était et qui vient » — et non « qui sera » : il vient, il agit.
Tirons-en deux conséquences :
● Par rapport à son immuabilité : Dieu est le même dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament. Ce truisme n’est pas forcément évident pour tous : certains voient Dieu dans l’A.T. comme le Dieu vengeur en contraste avec le Dieu plein de grâce du N.T. Or c’est le même Dieu qui se présente dans toute l’Écriture. Les modalités de sa révélation s’adaptent à la progression de son plan du salut. Le N.T. introduit seulement une révélation plus complète du Dieu immuable, puisque, entre temps, Jésus Christ est venu.
● Par rapport au temps : « Nos temps sont en sa main » : si brève que soit notre existence à la lumière de l’éternité divine (Moïse le souligne bien dans son Psaume 90), elle n’échappe pas à la souveraineté de celui qui l’inscrit dans le temps, au moment voulu par lui et qui en mesure la
durée.
4. Dieu est vivant (1 Tim 4.10)
« Le Père a la vie en lui-même » (Jean 5.26), affirme Jésus. Dieu est « vie » dans le sens où, intrinsèquement, il « est », et il est actif (il « travaille » dit le contexte de ce verset). Dieu vit et
ne peut pas mourir : lui « seul possède l’immortalité » (1 Tim 6.16).
La vie qui est en Dieu s’étend au-delà de lui, dans sa création. Dieu est source de toute vie. Paul affirme aux Athéniens païens : « En lui nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Act.17. 28). C’est parce qu’il existe un Dieu vivant que nous existons en tant qu’êtres vivants. Notre existence à tous — croyants ou non — est liée à son action : « Le Dieu vivant est le Sauveur de tous les hommes, surtout des croyants » (1 Tim 4.10).
Tout homme tient sa vie physique du Dieu vivant, mais la vie, la vraie vie, la vie de « qualité éternelle », est d’être en relation avec le Dieu vivant : « la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent,
toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ » (Jean 17.3).
En conséquence, accueillons avec reconnaissance chaque jour de vie que Dieu nous donne sur la terre, et mettons-le à profit pour développer la vie éternelle que nous avons reçue de sa part sans attendre que cette vie trouve son plein développement dans notre corps immortel de résurrection.
***
À ces quatre affirmations sur l’« essence » de Dieu, s’ajoutent trois affirmations très simples mais ô combien profondes sous la plume du même apôtre Jean dans le N.T. Peut-être est-ce la moins mauvaise « définition » que nous puissions trouver de Dieu : Dieu est esprit, Dieu est lumière, Dieu est amour. Ces trois aspects forment le « trépied » de la révélation que Dieu donne de lui-même. Essayons maintenant de voir ce qu’il est possible de mettre derrière ces trois aspects.
5. « Dieu est esprit » (Jean 4.24)
Dieu est invisible
● Dieu ne peut se voir : Jésus ressuscité, lorsqu’il se présente à ses disciples, leur dit : « Un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’ai » (Luc 24.39). Un esprit n’est pas directement perceptible par nos sens. Dieu n’est donc pas visible :
il est le « roi des siècles, immortel, invisible, seul Dieu » (1 Tim 1.17 ; cf. Ex 33.20).
● Dieu s’est laissé voir historiquement, en Jésus. Dans l’incarnation de son Fils, le Dieu invisible a pris corps et a pu être vu, touché, par des humains (Jean 1.18 ; 1 Jean 1.1-2). Voir Jésus n’était autre chose que de voir le Père, Dieu dans sa plénitude sous forme humaine (Jean 14.9).
● Aujourd’hui, Dieu se laisse voir par des hommes et des femmes sauvés, renouvelés, possédant désormais la nature divine et qui reflètent par la puissance de l’Esprit en eux — même si ce n’est que partiellement — ce qu’est Dieu. Et, eux, à leur tour, ont une « vision » de Dieu, certes par la foi, spirituellement, qui est plus claire et plus nette que d’autres :« Heureux ceux qui ont le cœur pur,
car ils verront Dieu » (Mat 5.8).
● Dieu se laissera voir réellement, un jour : dans la béatitude de l’état éternel, les rachetés auront le privilège d’une vision directe, immédiate, éternelle, de Dieu : ils « verront sa face » (Apoc 22.4).
Dieu est omniprésent, omnipotent, omniscient
● L’omniprésence de Dieu signifie qu’il n’est pas limité par l’espace. Il est immanent et transcendant, à la fois présent dans toute sa création et en-dehors d’elle, sans qu’elle le limite ou le lie : « Ne remplis-je pas, moi, les cieux et la terre ? » (Jér 23.24).
La conséquence de cette omniprésence est inquiétante pour le pécheur qui ne peut pas le fuir (Ps 139.7-10), mais consolante pour le croyant qui sait Dieu toujours près de lui (Deut 4.7).
● L’omnipotence de Dieu signifie qu’il peut tout. « Notre Dieu est au ciel, Il fait tout ce qu’il veut » (Ps 115.3 ; cf. Ps 62.11 ; Job 42.2) et « rien n’est impossible à Dieu » (Luc 1.37). La puissance de Dieu met en action toutes ses autres perfections et leur donne efficacité. Dieu n’est limité que par l’harmonie de ses perfections ; il peut tout faire, sauf « se renier lui-même » : il ne peut donc pas mentir, être tenté, s’auto-anéantir, etc.
Une conséquence est que Dieu « peut faire, par la puissance qui agit en nous, infiniment au-delà de tout ce que nous demandons ou pensons » (Éph 3.20). Ayons davantage foi dans la toute-puissance de notre Père !
● L’omniscience de Dieu signifie qu’il sait tout. Il a une pleine connaissance de lui-même (Mat 11.27 ; 1 Cor 2.11) ; il sait tout sur sa création ; il sait tout sur tous les humains, leurs actions, leurs paroles, jusqu’à leurs pensées les plus intimes (Ps 33.15 ; 139.4 ; 94.11). Plus encore, non seule-
ment il sait, dans une connaissance immédiate, parfaite, complète, sans apprentissage, de façon réelle, ce qui est, mais Dieu sait ce qui aurait pu être (cf. Mat 11.21).
Une conséquence est qu’il ne nous sert à rien de lui cacher quoi que ce soit : « Tout est nu et découvert aux yeux de celui à qui nous devons rendre compte » (Héb 4.13). Il connaît nos circonstances, nos pensées, nos sentiments, nos émotions, mieux que nous-mêmes.
Ces trois attributs divins se relient à Dieu comme esprit car seul un être qui est esprit peut les avoir.
Dieu est saint
Les trois attributs de Dieu évoqués ci-dessus lui sont propres ; ils sont « incommunicables » et, même dans la nouvelle création, nous resterons des créatures finies, pas « omni- ». En cela,
Dieu est « saint », tout autre, transcendant : « Seul tu es saint » chantent les rachetés (Apoc 15.4).
Négativement Dieu est séparé de tout ce qui n’est pas en harmonie avec lui ; il est exempt de tout mal (Hab 1.13). Cet attribut rejoint l’aspect suivant : « Dieu est lumière et il n’y a point en lui de
ténèbres » (1 Jean 1.5).
En conséquence, nous sommes appelés à être saints comme lui (1 Pi 1.15-16), à reproduire ses qualités spirituelles, à refléter ses attributs communicables que nous allons voir.
6. « Dieu est lumière » (1 Jean 1.5)
Que mettre derrière ce mot de « lumière » ? Éphésiens 5.9 nous ouvre des pistes : « Le fruit de la lumière consiste en toute sorte de bonté, de justice et de vérité. » Détaillons ces trois attributs que Paul relie directement à la lumière.
Dieu est juste
La justice est à la fois un état et une action. Dieu est juste intrinsèquement (son état) et il exerce la justice en prononçant des jugements appropriés selon les lois — au sens le plus large du terme — qu’il a instituées. La justice de Dieu revient comme un refrain dans l’Apocalypse en relation avec ses jugements sur la terre : « Tu es juste, toi qui es, et qui étais ; tu es saint, parce que tu as exercé
ce jugement » (Apoc 16. 5).
La justice de Dieu nous est désormais imputée : « Il montre ainsi sa justice dans le temps présent, de manière à être juste tout en justifiant celui qui a la foi en Jésus » (Rom 3.26). Désormais les croyants sont eux-mêmes « la justice de Dieu » (2 Cor 5.21).
En conséquence, la justice de Dieu est la base de notre intercession.
Comme Abraham, nous pouvons plaider : « Celui qui juge toute la terre n’exercera-t-il pas la justice ? » (Gen 18.25) Même si nos demandes sont imparfaites, selon une appréciation partielle (voire partiale !) des situations, nous savons que lui agira toujours selon sa parfaite justice.
Dieu est vrai
Dieu est vrai en contraste avec des idoles inertes et illusoires (1 Thes 1.9). Dieu est stable, ferme, réaliste, sincère, non trompeur. Il est vrai dans ce qu’il dit et sa Parole est la vérité (Jean 17.17). Il ne peut mentir et tiendra ses promesses envers nous (Tite 1.2).
En conséquence, nous pouvons avoir une pleine assurance dans ce que Dieu nous dit, même si les apparences peuvent parfois nous faire douter.
Dieu est bon
Spontanément, nous ne relierions pas la bonté de Dieu avec son aspect « lumière », mais plutôt avec son aspect « amour ». Or c’est pourtant le lien que fait Paul dans le verset d’Éphésiens 5. Ne disons plus : « Dieu est lumière, MAIS Dieu est amour. » Il est lumière ET amour. En son être se concilient à tout moment de façon parfaite et non contradictoire la parfaite lumière et le parfait amour. Chacun de ses décrets, chacune de ses actions reflètent et son amour et sa lumière. Cet attribut de « bonté » permet de lier ces deux côtés de la nature de Dieu, au point que certains l’ont qualifié d’attribut par excellence de Dieu (cf. Ps 107.1 ; Marc 10.18). Avoir foi dans la bonté de
Dieu est un prérequis pour avoir une juste vision de qui il est.
La bonté de Dieu se manifeste dans toutes ses œuvres, comme en témoigne le refrain qui ponctue le récit de la création.
La bonté de Dieu est la disposition positive de Dieu envers l’homme.
Elle s’étend à tous (Ps 145.9) mais se montre de façon particulière envers les siens (Ps 73.1).
En conséquence, soyons persuadés que tout ce qui nous est donné de bon vient de Dieu (Jac .17). Nous qui sommes si volontiers ingrats, comptons les bontés si nombreuses dont il nous comble (cf. És 63.7).
7. « Dieu est amour » (1 Jean 4.8,16)
Dieu est esprit, lumière et amour. Jean répète ce dernier aspect. Peut-être est-ce celui qui nous vient le plus spontanément. Dieu est amour… mais l’amour n’est pas Dieu. Dieu est la source de tout amour humain mais ne divinisons pas l’amour ! L’amour selon Dieu est la recherche active constante du bien de l’objet aimé. Non pas sous la forme d’une indulgence naturelle, d’une aimable faiblesse, d’un sentiment diffus et mièvre, plus ou moins influencé par le caprice, la subjectivité
ou la passion. C’est l’amour volontaire, éternel, immuable d’un être parfait (Jér 31.3).
En conséquence, reposons-nous sur la certitude que rien « ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur » (Rom 8.39).
Il vaut la peine d’éclairer ce qu’est le grand amour en Dieu par plusieurs termes connexes :
● Sa grâce est l’amour généreux de Dieu envers ceux qui ne méritent rien, son cadeau sans contrepartie (cf. Éph 2.5-8).
● Sa miséricorde est l’amour de Dieu en réponse à la misère de l’homme, qui ne lui donne pas ce qu’il mériterait (cf. 1 Tim 1.13,16).
● Sa compassion est l’amour de Dieu en réponse à la détresse et aux difficultés de l’homme (cf. Rom 12.1).
● Sa patience est l’amour de Dieu qui attend la réponse de l’homme (cf. 2 Pi 3.9).
● Sa fidélité est l’amour de Dieu qui remplit ses engagements, qui accomplit ses promesses (cf. Deut 7.9).
En conséquence, quel que soit notre besoin, quelles que soient nos circonstances, il y aura toujours une facette adaptée de son amour pour nous !
Conclusion : un schéma bien limité
Sept mots, sept aspects de Dieu… Il y en aurait bien d’autres, car il ne sera jamais possible de « résumer » Dieu. Pour finir, récapitulons par un schéma les attributs liés à la nature du Dieu esprit, lumière et amour :
Il serait tout à fait possible d’arranger ces attributs de Dieu différemment. Dieu est tellement cohérent en lui-même que chercher à le représenter ainsi est forcément réducteur. Cherchons humblement, au travers de toute l’Écriture, à connaître un peu mieux celui qui en est l’auteur, qui nous attire à lui et fait de nous ses enfants. ■
Ézéchiel 14.12-23 :
La parole de l’Éternel me fut adressée, en ces mots :
La parole de l’Éternel me fut adressée, en ces mots : 13Fils de l’homme, si un pays péchait contre moi en se livrant à l’infidélité, et si j’étendais ma main sur lui, si je brisais pour lui le bâton du pain, si je lui envoyais la famine, si j’en exterminais les hommes et les bêtes, 14et qu’il y ait au milieu de lui ces trois hommes, Noé, Daniel et Job, ils sauveraient leur âme par leur justice, dit le Seigneur, l’Éternel.
15Si je faisais parcourir le pays par des bêtes féroces qui le dépeupleraient, s’il devenait un désert où personne ne passerait à cause de ces bêtes, 16et qu’il y ait au milieu de lui ces trois hommes, je suis vivant ! dit le Seigneur, l’Éternel, ils ne sauveraient ni fils ni filles, eux seuls seraient sauvés, et le pays deviendrait un désert.
17Ou si j’amenais l’épée contre ce pays, si je disais : Que l’épée parcoure le pays ! si j’en exterminais les hommes et les bêtes, 18et qu’il y ait au milieu de lui ces trois hommes, je suis vivant ! dit le Seigneur, l’Éternel, ils ne sauveraient ni fils ni filles, mais eux seuls seraient sauvés.
19Ou si j’envoyais la peste dans ce pays, si je répandais contre lui ma fureur par la mortalité, pour en exterminer les hommes et les bêtes, 20et qu’il y ait au milieu de lui Noé, Daniel et Job, je suis vivant ! dit le Seigneur, l’Éternel, ils ne sauveraient ni fils ni filles, mais ils sauveraient leur âme par leur justice.
21Oui, ainsi parle le Seigneur, l’Éternel : Quoique j’envoie contre Jérusalem mes quatre châtiments terribles, l’épée, la famine, les bêtes féroces et la peste, pour en exterminer les hommes et les bêtes, 22il y aura néanmoins un reste qui échappera, qui en sortira, des fils et des filles. Voici, ils arriveront auprès de vous ; vous verrez leur conduite et leurs actions, et vous vous consolerez du malheur que je fais venir sur Jérusalem, de tout ce que je fais venir sur elle. 23Ils vous consoleront, quand vous verrez leur conduite et leurs actions ; et vous reconnaîtrez que ce n’est pas sans raison que je fais tout ce que je lui fais, dit le Seigneur, l’Éternel (Éz 14.12–23).
La prophétie d’Ézéchiel sur les quatre fléaux
Jeune sacrificateur déporté en Babylonie, Ézéchiel reçoit une série de visions montrant la gloire de l’Éternel, dénonçant les péchés des Juifs restés à Jérusalem et annonçant le départ prochain de la gloire et la chute de la ville (Éz 1 à 11). Ensuite, dans une série de treize oracles, Ézéchiel développe les raisons du jugement du peuple.
Le troisième oracle (Éz 14.12-23) annonce quatre terribles fléaux que « le Seigneur, l’Éternel »1 va envoyer sur Jérusalem : la famine, les bêtes féroces, l’épée et la peste. Pour marquer l’irrévocabilité de sa décision, Dieu ajoute que la présence de trois hommes justes comme Noé (qui avait sauvé sa famille), Daniel (dont l’action avait permis d’épargner les sages de Babylone et ses trois amis) et Job (qui avait intercédé pour ses amis) ne pourrait même pas arrêter le jugement.
Dieu annonce qu’il n’épargnera qu’un « reste », pour témoigner du bien-fondé du jugement. Les exilés comprendront alors que les malheurs qui ont atteint Jérusalem sont mérités et seront « consolés ».
La réalisation historique
Après un cycle de révoltes et d’allégeances détournées envers l’Égypte, le petit royaume vassal de Juda est envahi par son suzerain, Nebucadnetsar, qui veut en finir avec lui. Au début de l’année 588 av. J.-C., les armées babyloniennes commencent le siège de Jérusalem qui durera environ deux ans (2 Rois 25.1-2).
Ce siège est dramatique et entraîne une famine aiguë (2 Rois 25.3). La fuite des soldats de l’armée juive et de son roi Sédécias se solde par une tuerie : les Babyloniens les font passer par le fil de l’épée. Selon la parole de Jérémie, leurs cadavres sont dévorés par les bêtes sauvages (Jér 34.20). La peste n’est pas spécifiquement mentionnée, mais le manque d’eau potable lors d’un siège entraîne généralement des maladies contagieuses ; Jérémie l’avait d’ailleurs prédit (Jér 21.6-7).
La raison des quatre fléaux
« Ce n’est pas sans raison » que j’envoie ces fléaux dit l’Éternel (Éz 14.23). Ces raisons, nous les trouvons dans la portion symétrique de cette section d’Ézéchiel, au chapitre 222 . Dieu y récapitule les péchés des habitants de Jérusalem (Éz 22.1-12) et y dresse un réquisitoire imparable contre toutes les classes de la société (Éz 22.23-31). Il justifie ainsi son jugement imminent (Éz 22.13-22).
Les versets 6 à 12 énumèrent quatre séries de péchés :
– des péchés sociaux (v. 6-7) : meurtres, mépris des parents, maltraitance des étrangers, oppression des faibles ;
– des péchés cultuels (v. 8-9) : mépris du sanctuaire, profanation du sabbat, calomnie, idolâtrie ;
– des péchés sexuels (v. 10-11) : impudicité, violence, adultère, inceste ;
– d’autres péchés sociaux (v. 12) : corruption, usure, extorsion
– et le péché suprême : l’oubli de Dieu.
Dieu se doit d’exercer sa justice, l’expression de sa juste colère envers le peuple qui porte son nom. Les quatre fléaux ne l’ont pas atteint par hasard ou arbitrairement.
Les reprises dans le N.T.
Les fléaux d’Ézéchiel se retrouvent dans plusieurs textes de l’A.T. [nopte]Dans des ordres variés et parfois en omettant l’un des quatre ou en le remplaçant par un autre. Cf. Lév 26.21-26 (les quatre y sont), 1 Chr 21.12 ; 2 Chr 20.9 ; Jér 21.7 ; 24.10, etc. (Jérémie omet souvent les bêtes sauvages) ; Éz 6.11 ; 7.15 ; 12.16 ; 33.27.[/note] qui concourent pour annoncer le jugement qui est finalement tombé sur le peuple de Jérusalem en 586 av. J.-C. Mais ce jugement local ne faisait qu’anticiper et mettre en évidence une situation bien plus générale.
Dans son discours sur la montagne des Oliviers, Jésus annonce que, jusqu’à son retour, « il y aura, en divers lieux, des famines » et des guerres (symbolisées par l’épée chez Ézéchiel).
Lorsque l’Agneau ouvre le livre scellé de sept sceaux, la rupture du quatrième fait paraître un cheval verdâtre monté par « la mort ». Elle a le pouvoir sur le quart de la terre de « faire périr les hommes par l’épée, par la famine, par la mortalité, et par les bêtes sauvages de la terre » (Apoc 6.8) — précisément les quatre fléaux d’Ézéchiel ! Ici comme souvent ailleurs, l’Apocalypse reprend des thèmes et des expressions des prophètes.
L’application à la situation actuelle
Le monde subit à une échelle bien plus large que le petit royaume de Juda les quatre fléaux d’Ézéchiel. Tous n’affectent pas simultanément et dans les mêmes proportions chaque nation à chaque époque. Toutefois les troubles qu’ils évoquent sont bien présents ! Le propos d’Ézéchiel donnait d’ailleurs un principe général qui allait bien au-delà du seul cas particulier d’Israël en –586 : « Si un pays… » (Éz 14.13)
La situation du monde en 2021 montre l’actualité des propos du prophète :
La « famine » ou les troubles économiques : en baisse jusqu’en 2015, la faim dans le monde tend à augmenter à nouveau. 9 % des êtres humains, soit environ 700 millions de personnes, sont sous-alimentés. La crise du Covid-19 renforce cette tendance négative. Au-delà des seuls problèmes de malnutrition, la baisse de croissance dans le monde observée en 2020 a été sans précédent depuis la Seconde guerre mondiale, avec son cortège de paupérisation, chômage, fragilité des entreprises, endettement des États, montée des inégalités, etc.
Les « bêtes sauvages » ou les troubles écologiques : le monde est en train de prendre conscience de la réduction dramatique et rapide de la biodiversité : plus des 2/3 des vertébrés auraient disparu depuis 1970 3. Le monde devient peu à peu un « désert ». Les zoonoses (maladies et infections transmises à l’homme par les animaux) ne cessent de se répandre : elles seraient la cause de 75 % des nouvelles maladies humaines. Même si l’origine exacte du Covid-19 n’est pas encore connue à la date de la rédaction de cet article, plusieurs indices pointent vers une transmission liée à la destruction de zones d’habitat primaire qui conduirait des animaux sauvages à se rapprocher des zones habitées et favoriserait les contacts potentiellement dangereux.
« L’épée » ou les troubles politiques : l’indice du risque politique publié par l’assureur-crédit français Coface montre un doublement en tendance du nombre de conflits dans le monde par rapport au début des années 1990. La montée des populismes, y compris dans des démocraties qui semblaient solidement établies, est une source grandissante de préoccupation, tout comme la dérive autoritaire d’autres régimes.
La « peste » ou les troubles sanitaires : l’actualité est telle qu’il n’est presque pas nécessaire de les mentionner ! Qui aurait pensé qu’une pandémie puisse infecter des centaines de millions de personnes, faire des millions de morts, face à l’arsenal médical dont le monde croit disposer ? D’autres maladies surgies récemment, comme le sida ou le virus Ébola, ont laissé démunis.
Comment réagir comme chrétiens dans un tel contexte ?
Quatre attitudes nous paraissent appropriées :
La prudence : il serait facile de s’ériger en procureur et de dénoncer tel péché comme cause évidente de tel fléau dans tel pays. Le lien direct que faisait Ézéchiel entre les drames que vivait Jérusalem et l’état moral de ses habitants n’est sans doute pas évident à tracer aujourd’hui. Les troubles évoquées ci-dessus touchent d’ailleurs, plus ou moins, tous les pays, et les péchés dénoncés par le prophète se retrouvent hélas partout.
La patience : elle est recommandée aux martyrs du cinquième sceau, qui suit la mention des quatre fléaux (Apoc 6.9-11). Les fidèles du temps d’Ézéchiel, tels Jérémie, subissaient eux aussi dans une mesure les conséquences de l’infidélité générale. Nous ne sommes pas immunisés contre les troubles qui secouent le monde, mais nous pouvons trancher par notre « espérance persévérante » (1 Thes 1.3) et notre confiance dans la souveraineté de notre Dieu. La compassion : au cœur du développement d’Ézéchiel, nous lisons cette exclamation divine : « Est-ce que je désire vraiment la mort du méchant ? » (Éz 18.23) Ayons le même cœur que notre Dieu pour être touchés des souffrances que ces fléaux entraînent et pour proclamer le salut toujours offert.
La justice personnelle : Noé, Daniel et Job « sauveraient leur âme par leur justice » disait le prophète. Nous qui nous savons justifiés devant Dieu, cherchons à vivre davantage en pratique à la hauteur de notre appel. Nous ne sommes pas immunisés contre les quatre catégories de péchés dénoncés par Ézéchiel ; mais, par l’action de l’Esprit en nous, nous pouvons vivre dès aujourd’hui la justice du royaume de Dieu (Mat 6.33 ; Rom 14.17), en attendant le jour où il sera pleinement établi et où tout fléau fera définitivement partie du passé.
- L’expression est caractéristique du livre : la combinaison hébraïque Adonaï Yahvé se trouve 287 fois dans l’A.T., dont 210 fois dans le seul livre d’Ézéchiel.
- Nous retenons l’approche de Brian Tidiman (Le livre d’Ézéchiel, tome 1, CEB, p. 174) qui démontre brillamment le plan en chiasme des 13 sections des ch. 12 à 24, avec au centre la démonstration de la responsabilité individuelle (Éz 18). À la section 3 (« De rares justes échapperont au jugement », 14.12-23) correspond la section 11 (« De rares hommes émergeront du creuset du jugement, 22.1-31).
- Rapport Planète vivante 2020 du WWF. Il s’agit des populations d’animaux, pas du nombre d’espèces différentes.
Corinthe au 1er siècle
La situation géographique de Corinthe
Corinthe est une ville située sur l’étroit isthme de terre qui sépare le Péloponnèse et l’Hellade, approximativement au centre de la Grèce actuelle. Deux ports en dépendaient : Cenchrée (Rom 16.1), à 6 km à l’est, sur le golfe d’Égine et Lechaion, à 3 km au nord, sur le golfe de Corinthe.
Corinthe était une ville très active, un centre commercial majeur, favorisé par sa situation géographique. Afin d’éviter un long contournement du Péloponnèse, les bateaux étaient transportés entre les deux golfes.
Corinthe était aussi renommée pour ses arts et ses techniques : plus industrieuse que sa voisine Athènes, elle ne comportait pas d’université de renom mais les habitants y partageaient néanmoins le goût des joutes verbales et des questions philosophiques.
La situation historique de Corinthe
Dans sa période grecque, Corinthe fut une ville florissante, la cité-mère de plusieurs colonies importantes, dont Syracuse. Elle fut l’alliée de Sparte contre Athènes pendant les guerres du Péloponnèse. À la suite d’un soulèvement, elle fut brûlée en –146 par les Romains.
Après un siècle, s’ouvrit la période romaine lorsque la cité fut rebâtie par Jules César en –44. Elle devint rapidement la cité grecque la plus prospère et la plus puissante, capitale de la province romaine de l’Achaïe, gouvernée par un proconsul ; avec environ 100 000 habitants, elle faisait partie des cinq plus grandes villes de l’Empire et, comme colonie romaine, elle disposait de liaisons fréquentes avec Rome4 .
La situation morale de Corinthe
Corinthe était réputée dans l’Antiquité pour être :
Un haut lieu de l’immoralité : Le temple d’Aphrodite (la déesse de l’amour et de la fertilité, liée à l’Astarté ou Astaroth des Phéniciens), situé à 600 m au sommet de la colline dominant la ville, était dédié à un culte comportant des orgies impures et de la prostitution sacrée ; on dit que mille prêtresses y officiaient. La ville, comme beaucoup de ports, était réputée pour sa vie dissolue : les visiteurs y venaient comme dans une ville de plaisirs, où les tarifs étaient élevés. Tout cela s’inscrivait dans le contexte général de la Grèce antique : l’homosexualité y était fréquente et l’infidélité conjugale était considérée comme normale.
Un haut lieu des loisirs : tous les deux ans, la ville était le siège des Jeux Isthmiques, les seconds en importance après les Jeux Olympiques.
Des parallèles sont faciles à tracer entre notre contexte culturel et celui des Corinthiens : développement économique, richesses, échanges faciles, sports et loisirs, licence morale…
L’actualité de cette Épître n’en est que plus grande.
L’enjeu de la contextualisation
Bien d’autres détails culturels pourraient être ajoutés : historiens et théologiens ont creusé et recreusé le contexte de l’Épître pour essayer d’expliquer les passages les plus délicats. Certainement, il est très utile de connaître l’arrière-plan des destinataires pour comprendre la lettre5 et de nouvelles découvertes apportent régulièrement des lumières sur telle portion jusque-là obscure.
Toutefois, il serait dommage de relativiser à outrance les enseignements de l’Épître en se retranchant derrière les spécificités de la situation des Corinthiens. Paul souligne d’entrée que la portée de sa lettre va au-delà de cette église locale pour concerner « tous ceux qui invoquent en quelque lieu que ce soit le nom de notre Seigneur Jésus-Christ, leur Seigneur et le nôtre » (1.2). Au cours de l’Épître, il répétera sous diverses formes qu’il leur donne le même enseignement qu’aux autres églises locales (4.17 ; 7.17 ; 11.16 ; 14.33 ; 16.1).
Comme toutes les Épîtres du N.T., 1 Corinthiens nous présente donc des vérités générales « en situation », dans un contexte particulier. Il faudra garder l’équilibre entre la relativisation du message liée à la contextualisation et le maintien de son universalité.
Naturellement, plus nous trouverons dans d’autres Épîtres des échos d’un enseignement donné ici, plus son universalité sera évidente. Et si, sur tel texte délicat, nous n’avons pas toutes les précisions que nous souhaiterions, peut-être est-ce une indication pour être prudent afin de laisser suffisamment de flexibilité aux adaptations propres à chaque contexte, à chaque époque, à chaque lieu.
L’apôtre Paul et l’église de Corinthe
La fondation de l’église
C’est au cours de son second voyage missionnaire que Paul a fondé l’église de Corinthe (Act 18.1-18 ; cf. 4.14-15). Il est resté dix-huit mois (de fin 50 à début 52), œuvrant d’abord comme fabricant de tentes pour subvenir à ses besoins avant de travailler à plein temps pour évangéliser et enseigner. Après son départ, Apollos y a développé un ministère fécond (cf. 3.6).
La situation de l’église
Au travers des Actes et des deux lettres qui nous sont conservées, il est possible de donner quelques caractéristiques de l’église au moment où Paul lui écrit :
Elle est grande : « un peuple nombreux » (Act 18.10).
Elle est jeune : quand Paul rédige 1 Corinthiens, vraisemblablement mi-54, cela fait tout au plus 4 ans que les plus anciens se sont convertis.
Elle est mixte : comme ailleurs, s’y côtoient des chrétiens d’origine juive et d’autres — majoritaires — d’origine païenne ; quelques chrétiens riches ainsi que beaucoup de pauvres et d’esclaves (cf. 1.26).
Elle est immature : Paul leur reproche d’être restés des enfants (14.20 ; 3.1) et d’être encore charnels (3.2-3).
Elle est orgueilleuse, fière de ses dons et de sa liberté (4.18 ; 5.2).
Elle est divisée entre factions rivales (11.18-19 ; 1.10-13).
Lettres et visites : les relations ultérieures
Après son départ, Paul a continué à entretenir des liens avec l’église de Corinthe, alimentés par des visites et des lettres. Le tableau ci-dessous tente de résumer les interactions complexes entre eux :
Date | Nature | Référence | |
visite | 50-52 | 1ère visite de Paul : fondation de l’église par Paul | Actes 18.1-21 52 |
lettre | 52 | Lettre de Paul aux Corinthiens : « 0 » Corinthiens | Je vous ai écrit dans la lettre… (1 Cor 5.9) |
lettre | 53 | Lettre des Corinthiens à Paul | Pour ce qui est des choses au sujet desquelles voum’avez écrit… (1 Cor 7.1) |
visite | 54 | Visite de Timothée | Je vous ai envoyé Timothée… (1 Cor 4.17) |
lettre | 54 | Lettre de Paul aux Corinthiens : 1 Corinthiens | |
visite | 54/55 | 2e visite de Paul, rapide : conflit | Cette 3° fois je suis prêt à aller auprès de vous… (2 Cor 12.14) |
lettre | 55 | Lettre « sévère » : « 1,5 » Corinthiens | Je vous ai écrit dans une grande affliction (2 Cor 2.4) |
visite | 55/6 | Visite de Tite | Dieu nous a consolés par la venue de Tite (2 Cor 7.6) |
lettre | 56 | Lettre de Paul aux Corinthiens : 2 Corinthiens | |
visite | 56/57 | 3e visite de Paul : finalisation de la collecte | Je vais à Jérusalem, étant occupé au service des saints ; car la Macédoine et l’Achaïe ont trouvé bon de subvenir, par une contribution, aux besoins des pauvres d’entre les saints qui sont à Jérusalem (Rom 15.25-26) |
Au total, cinq lettres ont été échangées, auxquelles s’ajoutent trois séjours de Paul et deux visites de ses associés. Lorsque Paul écrit sa Première Épître, il a déjà écrit une lettre aux Corinthiens et en a reçu une de leur part. De plus, il vient de leur envoyer Timothée pour essayer de régler certains points. Dieu n’a pas permis que ces deux lettres soient conservées, ce qui rend plus difficile la compréhension de certains points précis de l’Épître. En particulier, il semble que, à plusieurs reprises, Paul cite des extraits de la lettre des Corinthiens pour réfuter une partie de leur argumentation. 6
La structure de la lettre
La double occasion de la lettre
Paul a deux raisons pour écrire sa lettre :
Il a reçu des visites de chrétiens de Corinthe : les « gens de Chloé » sont venus avec des nouvelles alarmantes (1.11), qui corroboraient celles colportées par la rumeur publique (5.1 ; 11.18). D’autres frères de Corinthe sont également venus vers Paul (16.17). L’apôtre veut donc répondre à ces nouvelles inquiétantes (ch. 1 à 6).
Paul a aussi reçu une lettre de la part des Corinthiens et répond à leurs questions : « Pour ce qui concerne les choses au sujet desquelles vous m’avez écrit… » (7.1) La même expression « pour ce qui concerne » se retrouve litt. en 7.1,25 ; 8.1,4 ; 12.1 ; 16.1,12. Les ch. 7 à 16 sont consacrés à ces réponses.
Ainsi l’Épître se divise très simplement en deux grandes parties :
Introduction et action de grâces | 1.1-9 | |
A. Les problèmes à régler dans l’église à Corinthe | 1.10-6.20 | |
1. Le problème des divisions dans l’église | immoralité intellectuelle | 1.10-4.21 |
2. Le problème de l’inceste | immoralité sexuelle | 5.1-13 |
3. Le problème des procès entre frères | immoralité relationnelle | 6.1-11 |
4. Le problème du laxisme moral | immoralité corporelle | 6.12-20 |
B. Les questions posées par l’église à Corinthe | 7.1-16.18 | |
1. Les questions sur le mariage et le célibat | désordre moral | 7.1-40 |
2. La question sur la liberté chrétienne | désordre comportemental | 8.1-11.1 |
3. Les questions (implicites) sur l’ordre dans l’église | désordre liturgique | 11.2-34 |
4. La question sur les manifestations spirituelles | désordre charismatique | 12.1-14.40 |
5. La question (non formulée) de la résurrection | désordre doctrinal | 15.1-58 16.1-18 |
6. Les questions sur les prochaines visites à Corinthe désordre relationnel | désordre relationnel | 16,1-18 |
Conclusion et salutations | 16.19-24 |
Notons que Paul commence par le sujet des divisions dans l’église et il y consacre plus de 80 versets. Si nous avions dû écrire à une assemblée où plusieurs niaient la résurrection, où un cas d’inceste avéré était toléré, où les fidèles se faisaient des procès, où le repas du Seigneur était bafoué, etc., aurions-nous commencé par ce thème ? Sans doute pas ! C’est dire à quel point pour Paul ce problème était important. Nous considérons parfois avec légèreté les divisions dans l’église et déguisons des questions de personnes derrière des prétextes doctrinaux ; sachons, comme l’apôtre, les aborder de front. Le plan de l’Épître nous enseigne !
Le thème général de la lettre
1 Corinthiens est une Épître riche de sujets très variés ; elle se résume mal dans une formule lapidaire et l’on peine à y discerner un thème fédérateur unique. Les nouvelles reçues étaient diverses et les questions également ; aussi Paul est-il conduit à traiter de nombreux thèmes.
Néanmoins deux grandes lignes parcourent toute l’Épître et unifient les deux grandes parties :
Les conflits internes : ils se marquent par les divisions (1-4), les procès (6), les comportements lors du repas du Seigneur (11), les opinions sur les dons spirituels (12) et les carences de leadership (16), etc.
Les compromis culturels : les Corinthiens avaient beaucoup de peine à rompre avec leur arrière-plan, tant moral qu’intellectuel, que ce soit par rapport à la sagesse (1), à l’immoralité (6), au mariage (7), aux repas dans les temples (10), à la conduite des femmes (11), à la résurrection (15), etc.
Une lettre de sujets « chauds »
Une lettre actuelle
1 Corinthiens est une lettre de contestation… et une lettre contestée ! Nous y trouvons nombre de questions « chaudes », au 1er siècle comme au 21e ! Il est frappant que cette Épître, qui commence par une critique virulente de Paul contre les divisions, traite des sujets qui ont été le plus fréquemment la cause de divisions au cours de l’histoire de l’Église. Qu’il suffise de citer : la cène, le baptême de l’Esprit, le parler en langues, le rôle des femmes dans l’Église, l’excommunication, le don de prophétie, les relations sexuelles, le divorce, le célibat, etc.
Pour les traiter, Paul s’adresse à notre être entier : à l’intelligence (10.15), à la conscience (8.12) et au cœur (14.1).
1 Corinthiens est aussi l’Épître des « demi-versets ». Nous y trouvons des expressions qu’il est facile de sortir de leur contexte pour confirmer des idées a priori :
– « Celui qui ne se marie pas fait mieux » (7.38, Darby) pour imposer le célibat ;
– « Tout m’est permis » (6.12) pour justifier tout comportement ;
– « Je désire que vous parliez tous en langues » (14.5) pour faire de ce don le plus recherché et le plus universel ;
– « Tous revivront en Christ » (15.22) pour prouver l’universalisme, etc.
Il est ainsi possible de faire dire à Paul le contraire de sa pensée ! Bien souvent, les divisions dans l’Église sur les thèmes de notre lettre ont été le fait de groupes qui se sont focalisés sur un aspect de la vérité en l’érigeant en absolu au détriment d’une vision équilibrée de l’ensemble de la vérité chrétienne. En remettant ces « demi-versets » dans leur contexte, nous saisissons au contraire ce que l’Esprit veut nous communiquer.
L’étude de 1 Corinthiens nécessite donc une exégèse soigneuse basée sur une herméneutique solide. Et si des conclusions différentes des nôtres sur des points secondaires sont tirées par des chrétiens rigoureux, attachés à l’inerrance et à la toute-suffisance de l’Écriture, écoutons-les et gardons-nous de nous diviser sur ces sujets.
Une lettre christologique
Toutes les questions traitées dans 1 Corinthiens ne sont pas toutes réglées ni solubles simplement. Ne nous laissons cependant pas envahir par elles. Car, par-dessus tout, la lettre est centrée sur une personne : Jésus-Christ, crucifié (2.2) au début et ressuscité (15.20) à la fin. Il est présent à chaque page : il n’est pas divisé (1.13) ; il est notre pâque (5.7) et nous encourage à vivre dans la pureté car il nous a acheté à grand prix (6.20). Il est celui qui est mort pour mon frère (8.11), nous prenons la cène en mémoire de lui (11.24) et il est présent dans chaque membre de son corps (12.12,27).
Et Paul de conclure « christologiquement » : « Maranatha ! [Notre Seigneur, viens !] Que la grâce du Seigneur Jésus soit avec vous !
- D’où la longue liste de noms de Romains 16 (lettre écrite depuis Corinthe).
- En particulier sur les sujets concernant l’esclavage, la relation patron-client, la place des femmes, les coutumes idolâtres, etc. Pour une approche compétente, voir le commentaire d’un spécialiste, Ben Witherington III, Conflict and Community in Corinth: A Socio-Rhetorical Commentary on 1 and 2 Corinthians, Eerdmans, 1995.
- Les commentateurs ne s’accordent pas sur le nombre et l’étendue des citations. Parmi les plus sûres, citons : « Il est bon pour l’homme de ne pas toucher de femme » (7.1b), « Tout m’est permis » (6.12) ou « Nous avons tous la connaissance » (8.1b).
« Je vous ai enseigné avant tout, comme je l’avais aussi reçu, que Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures ; il a été enseveli, et il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures » (15.3-4).
Si l’on devait retenir un seul texte de cette longue lettre aux Corinthiens, ce serait peut-être celui-ci puisque, par l’expression « avant tout », Paul lui-même le met bien en évidence. Jésus-Christ, mort et ressuscité selon les annonces faites dans l’A.T., est le cœur de l’évangile.
Dans les quatorze chapitres qui précèdent ce verset, l’apôtre a abordé de nombreux sujets. Plusieurs seront détaillés à travers ce numéro : la discipline ecclésiastique, le mariage et le célibat, le repas du Seigneur, le parler en langues. Tous ces thèmes sont importants à leur place — mais seulement à leur place, qui n’est pas la place centrale.
La place centrale revient « avant tout » à Jésus-Christ. Nos prédications, nos études bibliques, nos lectures personnelles, nos pensées doivent « avant tout » commencer par lui, être centrées sur lui, nous ramener à lui — et alors tout le reste prendra sa vraie place.
« Le jour du sabbat, Jésus entra d’abord dans la synagogue, et il enseigna. Ils étaient frappés de sa doctrine ; car il enseignait comme ayant autorité, et non pas comme les scribes. […] Il commande avec autorité même aux esprits impurs, et ils lui obéissent ! » (Marc 1.21-22,27)
Dans la synagogue de Capernaüm, Jésus montre deux facettes de son autorité :
– Tout d’abord, l’autorité de sa prédication ne laisse personne indifférent. Faute d’autorité personnelle, les scribes se référaient à leurs prédécesseurs et renforçaient les prescriptions de la loi par leurs « commandements d’hommes » (Marc 7.7). Le Seigneur, lui, dit souverainement : « Mais moi je vous dis… » (Mat 5.22). Son autorité s’impose d’elle-même à tous.
– Immédiatement après, l’autorité de Jésus apparaît de façon encore plus impressionnante quand il chasse un esprit impur hors d’un démoniaque présent dans l’enceinte même de la synagogue.
La mission de Jésus consiste à libérer l’homme des chaînes qui l’entravent : chaîne physique de la maladie et de la souffrance, chaîne de l’emprise de Satan, chaîne de l’incompréhension de la vraie pensée de Dieu exprimée à travers sa parole. Les deux premières chaînes sont bien visibles, la dernière l’est beaucoup moins : c’est une chaîne « religieuse » !
Par ces exemples, le Seigneur nous montre ce qu’est la véritable autorité. Elle n’est pas synonyme de répression, de paralysie, de contrainte. Au contraire, l’autorité selon Dieu doit permettre à ceux dont on a la charge de se débarrasser de leurs chaînes pour vivre en liberté devant Dieu. Père ou mère, responsable dans une entreprise, ancien dans une église, etc., nous pouvons détenir une part d’autorité ; exerçons-la à l’image du Maître, pour libérer.
« C’est qui le chef ici ? »
Aucune entité n’est viable dans le temps sans structure d’autorité.
L’Église de Jésus Christ ne fait pas exception. Mais qui y détient l’autorité ?
L’Église7 étant à la fois une œuvre de Dieu et un ensemble d’êtres humains, l’autorité dans l’Église est à la fois divine et humaine.
L’autorité divine
Le N.T. présente l’autorité divine sur l’Église comme ressortant des trois personnes de la Trinité.
L’autorité de Dieu
Dieu est souverain sur toutes choses — et donc sur l’Église :
L’Église lui appartient : Paul demande aux anciens d’Éphèse de « paître l’Église de Dieu, qu’il s’est acquise son propre sang » (Act 20.28).
C’est lui qui enseigne la façon de « se conduire dans la maison de Dieu, qui est l’Église du Dieu vivant » (1 Tim 3.15).
Dieu y habite par son Esprit (Éph 2.22) et il a, de ce fait, pleine autorité pour décider « chez lui ».
L’autorité de Jésus-Christ
L’autorité de Jésus sur son Église est attestée à de multiples reprises par le N.T. :
C’est lui qui la bâtit (Mat 16.18).
L’Église lui est soumise. Paul présente cette soumission comme un fait, qui est à la fois un exemple et un motif pour la soumission dans le couple : « De même que l’Église est soumise à Christ »… (Éph 5.24).
La primauté de Christ dans la nouvelle création le place comme « tête (ou chef) du corps de l’Église » (Col 1.18).
Jésus-Christ est le fondement de l’Église, sa pierre angulaire (Éph 2.20).
Mais les textes, où l’autorité de Jésus sur son Église est la plus marquée sont les lettres aux sept églises locales de l’Apocalypse : C’est lui qui marche au milieu des sept chandeliers d’or, symboles de ces églises (Apoc 1.20) ; c’est lui qui se présente revêtu des multiples attributs de son autorité ; c’est lui qui scrute et estime l’état spirituel exact de chacune ; c’est lui qui prononce les avertissements nécessaires, pouvant aller jusqu’à la menace d’ôter le chandelier de sa place (Apoc 2.5).
L’autorité de l’Esprit saint
Ces mêmes sept lettres d’Apocalypse 2 et 3 se terminent par ce refrain : « Que celui qui a des oreilles entende ce que l’Esprit dit aux églises. » La parole du Fils de l’homme est transmise aux églises par la voix de l’Esprit.
L’Esprit habite collectivement dans l’Église et dans chaque église locale (1 Cor 3.16).
Il donne des ordres à l’Église et inspire ses décisions. Lors du « concile » de Jérusalem, la lettre de conclusion comporte cette expression : « Il a paru bon au Saint-Esprit et à nous » (Act 15.28). Les frères et sœurs rassemblés avaient la conviction que l’Esprit les avait dirigés pour la décision prise.
Peu de chrétiens contesteront les textes ci-dessus. Mais en pratique, qu’en est-il ? Avons-nous toujours conscience que nous sommes dans la maison de Dieu et pas chez nous pour faire ce qui nous semble bon ? que nos décisions doivent être guidées par l’Esprit et non lui être attribuées ex post ? que la seigneurie de Christ sur son Église passe aussi par la reconnaissance de son autorité sur chacun de ses membres ? etc. L’Église n’est pas avant tout une institution humaine mais une œuvre divine. Une crainte respectueuse, non dénuée d’une confiance heureuse, est donc appropriée quand nous parlons de l’Église, quand nous agissons dans l’église locale ou lorsque nous sommes amenés à y prendre des décisions.
L’autorité humaine
L’Église est avant tout une institution divine, mais composée d’humains et confiée à eux. À l’autorité divine, qui reste toujours ultime, s’ajoute aussi une autorité humaine, qui se décline sous trois aspects.
L’autorité des apôtres
Les apôtres forment une catégorie spécifique dans l’Église du N.T. Dans le groupe initial de douze, Judas a été remplacé par Matthias ; puis s’ajoute Paul, dont l’apostolat particulier est souvent mentionné en tête de ses lettres et longuement défendu dans 1 et 2 Corinthiens. D’autres apôtres, comme Barnabas (Act 14.14) ou Jacques le frère du Seigneur (Gal 1.19), sont également reconnus comme tels. Leur rôle principal semble avoir été de fonder de nombreuses églises, comme en témoignent les voyages missionnaires de Paul. 8
Si le seul fondement de l’Église est Jésus-Christ lui-même (1 Cor 3.11), le rôle des apôtres a été majeur. Paul, en changeant légèrement l’image, dit aux Éphésiens : « Vous avez été édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes, Jésus-Christ lui-même étant la pierre angulaire » (Éph 2.20).
Les apôtres disposaient de la part de Dieu d’une autorité unique. Pierre avait reçu du Seigneur les clés du royaume, qu’il utilisa pour ouvrir l’Église aux Juifs (Act 2), aux Samaritains (Act 8) puis aux païens (Act 10-11). Leur rôle prééminent explique leur mention en tête de la lettre conclusive du concile de Jérusalem (Act 15.22,23).
L’autorité spécifique des apôtres résidait avant tout dans l’enseignement normatif qu’ils donnaient aux églises, soit par oral, soit par écrit. Paul « ordonne dans toutes les églises » (1 Cor 7.17). Il délègue son autorité à certains de ses collaborateurs : « Dis ces choses, exhorte, et reprends, avec une pleine autorité », enjoint-il à Tite en mission difficile en Crète (Tite 2.15). « Déclare ces choses et enseigne-les » dit-il à Timothée en mission non moins difficile à Éphèse (1 Tim 4.11).
Cependant cette autorité réelle allait de pair avec une démarche pleine de grâce : « Nous aurions pu nous imposer avec autorité comme apôtres de Christ, mais nous avons été pleins de douceur au milieu de vous » (1 Thes 2.6,7). L’autorité des apôtres se recommandait avant tout par leur conduite.
À l’occasion, cette autorité pouvait malgré tout comporter une capacité de discipline. À des Corinthiens indifférents au mal moral présent parmi eux, Paul dit : « Pour moi, absent de corps, mais présent d’esprit, j’ai déjà jugé, comme si j’étais présent, celui qui a commis un tel acte. Au nom du Seigneur Jésus, vous et mon esprit étant assemblés avec la puissance de notre Seigneur Jésus, qu’un tel homme soit livré à Satan pour la destruction de la chair, afin que l’esprit soit sauvé au jour du Seigneur Jésus » (1 Cor 5.3-5). Il réitère dans sa seconde lettre à cette même église à propos des faux apôtres qui cherchent à dominer l’église : « Lorsque j’étais présent pour la seconde fois, j’ai déjà dit, et aujourd’hui que je suis absent je dis encore d’avance à ceux qui ont péché précédemment et à tous les autres que, si je retourne chez vous, je n’userai d’aucun ménagement. […] J’écris ces choses étant absent, afin que, présent, je n’aie pas à user de rigueur, selon l’autorité que le Seigneur m’a donnée pour l’édification et non pour la destruction » (2 Cor 13.2,10).
Qu’en est-il aujourd’hui ? Nulle part le N.T. ne suggère que les apôtres aient eu des successeurs ayant la même autorité. Paul, dans ses recommandations aux anciens d’Éphèse, les remet à « Dieu et à la parole de sa grâce » (Act 20.32). L’autorité apostolique est aujourd’hui celle de leurs écrits inspirés, conservés pour nous dans le N.T. C’est dans la fidélité à ce qu’ils nous enseignent que l’Église continuera à respecter l’autorité des apôtres.
L’autorité des anciens
Une église, pour pouvoir fonctionner correctement, doit avoir une structure d’autorité interne. L’illusion égalitariste, faussement étayée par des textes sortis de leur contexte, pourrait faire miroiter que tout membre, quelle que soit sa maturité, sa spiritualité, sa conduite, a la même autorité, mais tel n’est pas l’enseignement du N.T. Il indique dès le début que le fondement des premières églises s’est articulé autour d’anciens (Act 14.23).
Quatre termes sont employés dans le N.T. pour désigner des offices comparables 9 :
– « anciens » — qui met l’accent sur leur expérience chrétienne et leur maturité ;
– « surveillants » (traduit aussi par « évêques 10 ») — qui met l’accent sur leur l’intérêt aux personnes de l’église ;
– « conducteurs » — avec l’accent sur leur leadership et sur la direction ;
– « pasteurs » — qui met l’accent sur les soins à apporter aux membres.
Les anciens sont toujours mentionnés au pluriel ; ils forment un « corps » ou un « collège » (1 Tim 4.14 ; cf. Phil 1.1). Ils sont attachés à une église locale spécifique (Act 14.23 ; cf. Tite 1.5), sans autorité sur les autres églises, contrairement aux apôtres.
Ils ont certes une fonction de direction, à laquelle une autorité est attachée, mais l’accent particulier du N.T. tombe avant tout sur leurs qualités morales — d’où les listes d’aptitudes requises de 1 Timothée 3 et Tite 1 — et sur leur manière de se conduire. Ils doivent illustrer la parole du Seigneur : « Que le plus grand parmi vous soit comme le plus petit, et celui qui gouverne comme celui qui sert » (Luc 22.26). L’autorité d’un dirigeant politique est liée à sa fonction et non à ses qualités morales personnelles 11 tandis que, dans l’église, tout dirigeant doit se recommander « à tous égards » par une conduite irréprochable, en particulier lorsque le contexte est difficile (cf. 2 Cor 6.4-10). Les anciens ne doivent pas dominer sur leurs fidèles, mais être pour eux des modèles (1 Pi 5.3), en particulier dans leur esprit de service. Leur autorité ne s’impose pas de façon coercitive mais tient avant tout à l’Écriture qu’ils doivent enseigner avec fidélité et persuasion (1 Tim 3.2 ; Tite 1.9) et à l’amour qu’ils montrent pour le troupeau.
Le N.T. ne donne pas de liste de domaines où s’exerce directement l’autorité des anciens ; il laisse, ici comme ailleurs, une large place pour adapter les principes à l’infinie variété des situations locales. Il indique cependant que les membres d’une église doivent obéir aux anciens (Héb 13.17), en particulier les plus jeunes (1 Pi 5.5).
L’ensemble de l’église locale
L’Église est présentée comme composée de personnes qui bénéficient du même salut, possèdent le même Esprit et jouissent d’un égal accès direct au Père par Jésus (cf. Éph 4.4-6). Rien n’est plus éloigné de la pensée du N.T. que de distinguer des castes ou des catégories d’importance ou de sainteté différentes entre les chrétiens (cf. Jac 2.1-13). Même Pierre peut dire qu’il n’est qu’un ancien parmi d’autres (1 Pi 5.1). C’est pourquoi l’autorité dans l’Église, du point de vue humain, est avant tout confiée à l’ensemble des croyants. Quelques exemples pour illustrer ce point :
Lors du concile de Jérusalem, toute l’assemblée est impliquée : « Il parut bon aux apôtres et aux anciens, et à toute l’Église » (Act 15.22). L’église locale a donc autorité pour prendre des décisions engageantes pour l’ensemble.
Lors de difficultés entre frères, après une démarche personnelle puis à quelques-uns, Jésus dit : « S’il refuse de les écouter, dis-le à l’église ; et s’il refuse aussi d’écouter l’église, qu’il soit pour toi comme un païen et un publicain » (Mat 18.17). L’église est donc l’instance ultime pour exercer l’autorité.
Dans le cas de l’homme incestueux de Corinthe, Paul leur demande de s’assembler pour juger cet homme (1 Cor 5.4) et c’est bien « le plus grand nombre » qui lui a infligé le châtiment d’après 2 Cor 2.6. La discipline ecclésiastique ultime, l’excommunication, est donc du ressort de l’ensemble de l’église locale. Attendre l’unanimité est sans doute illusoire, mais il importe que la pensée commune émane d’une très large majorité des membres, après un examen sérieux et honnête de toute objection.
Une décision de l’église locale ou des anciens n’est pas infaillible et il peut s’avérer qu’elle doive être remise en question, à la lumière de nouveaux éléments, d’une conviction différente formée par l’Esprit ou d’une meilleure compréhension de l’Écriture. Le reconnaître n’affaiblira pas l’autorité — bien au contraire : Cela démontrera la soumission de l’Église à son Chef.
Conclusion
Selon le N.T., dans l’Église d’aujourd’hui, l’autorité ressort donc avant tout 1° de Dieu en Jésus, par son Esprit, à la lumière de sa Parole, mais aussi 2° des anciens reconnus de l’église locale et 3° de l’ensemble de la communauté. L’équilibre entre ces trois « pôles » d’autorité est délicat et l’histoire de l’Église témoigne des déséquilibres qui sont vite apparus en faveur de tel pôle au détriment des autres. Que chaque église locale, dans la prière et l’étude approfondie de la Parole, éclairée par les plus expérimentés que Dieu a mis à sa tête, vive paisiblement la mise en œuvre de cette autorité pour le bien de chacun des membres.
- Nous utiliserons la majuscule pour l’Église universelle et la minuscule pour une église locale.
- À noter au passage que rien dans le N.T. n’indique que l’église locale de Rome, qui a pris une telle importance au cours des siècles, ait été fondée par un apôtre ; bien au contraire, les attestations vont plutôt dans le sens d’une église qui n’a accueilli Paul (de façon certaine) ou Pierre (peut-être) que bien après sa création..
- Comparez Act 20.28 ; 1 Pi 5.1-2 ; Héb 13.7 pour apprécier l’équivalence.
- Le terme (retenu par la NEG) a pris au cours de l’histoire de l’Église une connotation trop différente du sens initial pour qu’on ne lui préfère pas ceux de « dirigeants » (BFC, Semeur) ou « responsables » (S21, PDV).
- Par exemple, Paul et Pierre enjoignent d’obéir au « roi » qui était Néron à l’époque, pas précisément un exemple de vertu morale !
LE VOCABULAIRE DE L’ÉLECTION
L’élection
Le mot « élection » vient du grec « ekloge » qui signifie « sélectionner, choisir, élire », avec une nuance de préférence pour l’objet choisi et de bénéfice retiré pour celui qui choisit.
La Bible évoque l’élection d’une nation (Rom 11.28) ou d’une personne pour une fonction particulière (Moïse et Aaron, Ps 105.26 ; David, 1 Sam 16.12 ; les apôtres, Luc 6.13-16 et Jean 6.70).
Pour la doctrine du salut, l’élection est le choix de certaines personnes pour la vie éternelle.
La prédestination
Le mot « prédestination » vient du grec « proorizo » qui signifie « marquer à l’avance, fixer les limites ». Dieu, par choix souverain, a marqué les croyants de toute éternité dans un but précis. La prédestination inclut des événements (Act 4.28), ainsi que l’état actuel ou futur de bénédiction de ceux que Dieu veut bénir
Dieu a prédestiné à :
– la gloire : « Nous prêchons la sagesse de Dieu, mystérieuse et cachée, que Dieu, avant les siècles, avait prédestinée pour notre gloire » (1 Cor 2.7) ;
– la conformité à l’image de Jésus Christ : « Ceux qu’il a connus d’avance, il les a aussi prédestinés à être semblables à l’image de son Fils, afin que son Fils soit le premier-né de beaucoup de frères » (Rom 8.29-30) ;
– l’adoption : « Il nous a prédestinés dans son amour à être ses enfants d’adoption par Jésus Christ, selon le bon plaisir de sa volonté » (Éph 1.5) ;
– la place d’héritier : « En lui nous sommes aussi devenus héritiers, ayant été prédestinés suivant le plan de celui qui opère toutes choses d’après le conseil de sa volonté » (Éph 1.11).
La préconnaissance
Le mot « préconnaissance » vient du grec « prognosis » qui signifie « connaître par avance ». Bien entendu, Dieu, dans son omniscience, connaît toute chose. Mais sa préconnaissance (ou prescience) est plus que cela : une connaissance (dans le plein sens relationnel biblique du terme) qui est préparée à l’avance (cf. Amos 3.2).
Dieu a préconnu :
– son Fils et sa mort : « Cet homme, livré selon le dessein arrêté et selon la prescience de Dieu, vous l’avez crucifié, vous l’avez fait mourir par la main des impies » (Act 2.23) ; « … Christ, comme d’un agneau sans défaut et sans tache, préconnu dès avant la fondation du monde, mais manifesté à la fin des temps pour vous (1 Pi 1.19-20, Darby).
– Israël : « Dieu n’a point rejeté son peuple, qu’il a connu d’avance » (Rom 11.2) ;
– les croyants : « … élus selon la prescience de Dieu le Père, par la sanctification de l’Esprit, afin qu’ils deviennent obéissants, et qu’ils participent à l’aspersion du sang de Jésus Christ » (1 Pi 1.2).
DIFFÉRENTES VUES DE L’ÉLECTION
Le pélagianisme
Historique
Pélage était un moine britannique, théologien à Rome (vers 350-vers 420). Il s’opposa aux vues d’Augustin, considérant que l’accent de ce dernier sur la totale corruption de la nature humaine et son corollaire, l’incapacité de l’homme, était à la fois démoralisante pour l’homme qui s’efforce de vivre justement et insultante pour Dieu. Ses thèses furent condamnées par le concile d’Éphèse (431).
Doctrine
Dieu a fait les hommes différents du reste de la création en ce qu’ils ne sont pas sujets aux lois de la nature. Ils sont libres de choisir. Ce don de Dieu doit être utilisé pour remplir le propos de Dieu. Chaque homme naît avec une volonté qui n’est pas orientée vers le mal. La chute d’Adam n’a pas d’effet direct sur la capacité de chaque homme de faire le bien et le mal, car il est une créature directe de Dieu. Le seul effet de la chute est celui d’un mauvais exemple. Dieu n’exerce non plus aucune influence directe sur l’âme. L’élection de Dieu ne se base que sur sa préconnaissance de la qualité de leur vie. Il est possible à un homme de vivre sans péché, car sinon, pourquoi Dieu aurait-il demandé d’être parfait (Mat 5.48).
Examen
Pourtant, la Bible montre que tout être humain a hérité d’une nature pécheresse (Rom 5.12 ; Éph 2.3) et que tous les hommes deviennent universellement coupables d’actes de péché dès qu’ils arrivent à l’âge de conscience. Aucun homme ne peut être sauvé par la qualité de sa vie (Gal 2.16 ; Rom 3.20).
L’augustianisme
Historique
En réponse à Pélage, Augustin d’Hippone (354-430) développa sa doctrine de l’élection. L’augustianisme eut une influence majeure sur Luther (ex-moine augustinien) et sur Calvin.
Doctrine
Adam est responsable de son acte de révolte. Mais son péché n’a pas été seulement le sien. Chaque homme est uni à Adam et participe ainsi à son péché. Puisque notre âme vient de nos parents, nous étions présents en Adam et nous avons péché en lui et avec lui. Sans la grâce de Dieu, nous sommes incapables de ne pas pécher et faire le bien requiert une grâce encore plus grande. Les hommes sont libres de choisir, mais simplement de choisir un péché ou un autre. La grâce de Dieu restaure notre liberté de ne plus faire le mal et de faire le bien. Quoique irrésistible, elle n’agit pas contre mais de concert avec notre volonté. Dieu, étant omniscient, sait précisément sous quelles conditions nous allons choisir librement ce qu’il veut et il agit de façon à produire ces conditions. Notre choix du salut est entièrement une conséquence de ce que Dieu a déjà voulu faire. Dieu choisit ainsi de donner la grâce à certains et pas à d’autres. Il a déjà fait ce choix de toute éternité et a choisi les élus pour remplacer en nombre exact les anges déchus. Dieu n’est pourtant pas injuste, car la justice de Dieu aurait dû condamner tout le monde ; en en sauvant certains, il fait acte de compassion : les damnés reçoivent ce qu’ils méritent ; les élus reçoivent plus qu’ils ne méritent.
Examen
La doctrine d’Augustin est davantage conforme à la pensée biblique12 et a été retenue comme orthodoxe par l’Église qui a rejeté celle de Pélage au concile de Carthage en 418.
Le calvinisme
Historique
Après Luther et sa controverse avec Érasme sur la liberté de l’homme, Calvin développa au XVIe siècle sa doctrine de l’élection, qui devint la doctrine officielle de la Réforme. Calvin fut fortement influencé par Augustin dans la formulation de ses convictions13 .
Doctrine
La doctrine de Calvin et de ses successeurs sur l’élection peut être résumée par l’acronyme anglais TULIP, qui résume les « cinq points du calvinisme » :
– Total depravity (dépravation totale) : Toute la race humaine est perdue, car pécheresse. Chaque individu est tellement pécheur qu’il est incapable de répondre à aucune offre de grâce. La condition humaine implique à la fois la corruption morale et la condamnation à une juste peine. Voir Éph 2.1-3 ; Jean 6.44 ; Rom 3.1-23 ; 2 Cor 4.3-4.
– Unconditional predestination (prédestination inconditionnelle) : Dieu est totalement souverain et les hommes ne peuvent rien lui reprocher de ses actions. Voir Mat 20.1-15 ; Rom 9.20-21. Dieu a choisi certaines personnes pour leur donner une faveur spéciale : celle d’être ses enfants spirituels et de recevoir la vie éternelle. Ce choix ne dépend absolument pas d’un quelconque mérite de l’homme. Ce choix ne dépend pas non plus de la préconnaissance divine que tel homme croira. Les successeurs de Calvin, Théodore de Bèze et d’autres après lui, ont maintenu la « double prédestination » : Dieu a nommément choisi certains pour être sauvés et d’autres pour être perdus ; il a opéré une décision active dans les deux cas.
– Limited atonement (expiation limitée) : Le salut opéré par Jésus Christ ne concerne que les élus seuls.
– Irresistible grace (grâce irrésistible) : La capacité de venir à Jésus ne dépend que de l’initiative du Père. Voir Éph 1.4-5 ; Jean 15.16 ; Jean 6.44,65 ; Act 13.48.
– Perseverance of the saints (persévérance des saints) : L’élection divine est efficace : tous ceux qui sont élus seront certainement sauvés et persévèreront dans la foi jusqu’à la fin.
Des nuances notables (en plus ou en moins par rapport à la position ci-dessus) se sont développées depuis Calvin parmi ceux qui se réclament de sa doctrine. Avant d’évaluer le calvinisme, il faut étudier l’autre doctrine de la Réforme.
L’arminianisme
Historique
Jacob Arminius (1560-1609) était un pasteur hollandais qui avait étudié sous Théodore de Bèze (successeur de Calvin et tenant d’un calvinisme plus extrême que son maître)14 . Professeur à l’université de Leyde, il fut accusé de semi-pélagianisme. Ses vues furent reprises et accentuées par John Wesley.
Doctrine
Comme pour le calvinisme, l’arminianisme possède différentes nuances.
– Dieu désire que tout homme soit sauvé. Ce désir s’exprime à la fois par des affirmations claires (voir Éz 33.11 ; 2 Pi 3.9 ; 1 Tim 2.3-4 ; Act 17.30) et par le caractère universel de nombreux commandements de Dieu et de nombreuses invitations divines (voir És 55.1 ; Mat 11.28). Si Dieu n’a pas vraiment l’intention de sauver toute personne, son offre n’est pas sincère.–
Tout homme est capable de croire. Si tel n’était pas le cas, les invitations universelles au salut n’auraient pas grand sens. Pour concilier ce point logique avec la totale dépravation de la nature humaine, il faut tenir compte de la grâce prévenante de Dieu qui restaure dans tout homme une capacité suffisante pour qu’il puisse faire le choix de se tourner vers lui. Comme Dieu a donné cette grâce à tous, chacun est capable d’accepter l’offre du salut.
– L’élection est le choix de Dieu pour le salut. Les élus sont ceux que Dieu, dans sa connaissance infinie, a préconnus : il a vu qu’ils accepteraient l’offre de salut faite en Jésus (voir Rom 8.29 ; 1 Pi 1.1-2) et il les a prédestinés à ce salut. Dieu n’a pas créé des robots soumis à une force externe irrésistible, Dieu, mais il a volontairement accepté de laisser le libre choix à l’homme.
– Cette vision de l’élection réhabilite l’importance éthique d’une conduite juste et l’urgente nécessité de la mission. Si les élus sont sauvés de toute façon, est-il nécessaire de les évangéliser ?
Résumé :
L’ordre des décrets divins
Les théologiens évangéliques utilisent parfois pour clarifier leurs nuances sur l’élection les mots savants de : supralapsarianisme, infralapsarianisme, sublapsarianisme. Ils désignent différentes façons de voir l’ordre logique (et non historique) des décrets de Dieu.
Voici l’ordre retenu par chaque vision :
Supralapsarisme | Infralapsarisme | Sublapsarisme | Arminianisme |
1. Dieu a choisi de sauver les élus et de condamner les perdus | 1. Dieu a créé les êtres humains | 1. Dieu a créé les êtres humains | 1. Dieu a créé les êtres humains |
2. Dieu a créé à la fois les élus et les perdus | 2. Dieu a permis la chute des élus et des perdus | 2. Dieu a permis la chute des élus et des perdus | 2. Dieu a permis la chute des élus et des perdus |
3. Dieu a permis la chute des élus et des perdus | 3. Dieu a choisi de sauver les élus et de condamner les perdus | 3. Dieu a pourvu en Christ à un salut suffisant pour tous | 3. Dieu a pourvu en Christ à un salut suffisant pour tous |
4. Dieu a pourvu en Christ au salut seulement des élus | 4. Dieu a pourvu en Christ au salut des seuls élus | 4. Dieu a choisi les élus pour recevoir ce salut | 4. Dieu sait par avance qui va accepter ce salut |
5. Dieu a envoyé l’Esprit pour appliquer le salut aux élus | 5. Dieu a envoyé l’Esprit pour appliquer le salut aux élus | 5. Dieu a envoyé l’Esprit pour appliquer le salut aux élus | 5. Dieu a élu ceux qui acceptent le salut |
Ces quatre visions sont avant tout des constructions intellectuelles qui ne sont pas directement tirées d’un ou plusieurs textes bibliques, mais cherchent à faire une classification logiquement acceptable.
UNE VUE DE SYNTHÈSE ?
L’équilibre dans la doctrine de l’élection
Les arguments des calvinistes et des arminiens reposent à la fois sur des textes clairs des deux côtés et sur des arguments logiques tirés de la théologie proprement dite et de l’anthropologie bibliques. Il n’est donc pas possible de porter l’anathème sur les tenants de ces positions.
Une conciliation logique totalement satisfaisante semble illusoire. Dans le salut, la souveraineté de Dieu et la responsabilité de l’homme coexistent. Il semble que Dieu ait voulu laisser « en tension » ces deux côtés de la doctrine du salut. L’équilibre est très délicat, car le chemin de crête est très étroit et il est extrêmement facile de verser d’un côté ou de l’autre.
Les points à rejeter
Du calvinisme
La double prédestination : La Bible ne fait jamais un parallèle strict entre l’élection des croyants et la réprobation des perdus. De plus, il n’est jamais dit que les perdus seront condamnés à la mort éternelle à cause d’un choix divin, mais à cause de leur incrédulité (Jean 3.18) et de leurs œuvres (Apoc 20.12).
La limitation du sens de la foi : La foi n’est pas un simple don divin qui suivrait la régénération. Elle est le moyen de la régénération, donné par Dieu, mais dont l’appropriation dépend de l’homme et met en œuvre sa responsabilité.
Une vision un peu caricaturale de la souveraineté divine : La Bible maintient la distinction entre la volonté divine et la permission divine. L’occulter risquerait de faire de Dieu l’auteur direct du mal.
De l’arminianisme :
La limitation de l’élection à la seule préconnaissance : La Bible indique un choix de Dieu souverain, antérieur et non subordonné à sa préscience (même si cette dernière est bien réelle).
La restauration liée à la grâce prévenante : La Bible ne semble pas indiquer une action distincte de l’Esprit pour neutraliser la dépravation humaine.
La possibilité de perdre le salut : Mettre trop l’accent sur la responsabilité humaine, peut conduire à ébranler la pleine certitude du salut en présentant la réelle possibilité d’apostasie. Or nul ne pourra persévérer jusqu’à la fin sinon par la grâce donnée par Dieu.
Quelques affirmations visant à l’équilibre
– Dieu a souverainement choisi par grâce pure de sauver certains hommes, alors que tous méritent sa colère et la perdition éternelle. Aucune contrainte extérieure ne l’y conduit, mais c’est un pur acte de miséricorde, indépendant du mérite de ceux qui en bénéficient.
– Tout homme est pleinement responsable devant Dieu de ses actes et, en particulier, de recevoir ou non l’offre du salut qui lui est faite. Son état de pécheur ne l’empêche pas de choisir de répondre positivement.
– Une fois qu’il a cru, le croyant réalise avec admiration qu’il avait été élu de toute éternité (sans qu’il le sache auparavant) et que la foi qui l’a amené au salut est en elle-même un don de Dieu. La seule façon qu’il ait de connaître son élection est de répondre à l’appel qui lui a été fait.
– Il est possible à la fois de prier Dieu pour le salut de quelqu’un (pour qu’il « le tire ») et de répondre à l’ordre qui nous est donné de présenter l’Évangile à cette même personne (car c’est peut-être le moyen même que Dieu va utiliser pour l’attirer à elle) (Jean 6.44). Une parole de Jésus me semble résumer ces deux aspects : « Tous ceux que le Père me donne viendront à moi ; et je ne mettrai point dehors celui qui vient à moi » (Jean 6.37).
Les implications de l’élection
– Une nouvelle vision de la souveraineté de Dieu : Nous pouvons être émerveillés devant le plan grandiose que Dieu lui-même a élaboré pour notre salut et qu’il nous ait élus, préconnus, prédestinés personnellement de toute éternité !
– Une confiance dans la fermeté du salut que Dieu nous accorde : Si l’élection de Dieu est de toute éternité, elle nous conduira sûrement dans l’éternité « future ». Nous sommes donc assurés que le salut offert n’est pas conditionnel ou instable, mais solide et basé en Dieu.
– Un nouveau zèle pour évangéliser : L’action missionnaire est précisément le moyen que le Dieu souverain a choisi pour amener au salut les élus (sans que nous sachions qui ils sont). Dieu n’a pas seulement choisi le but mais aussi le moyen.
- Même si certains détails ne sont pas convaincants : par exemple, nulle part la Bible n’égale le nombre des élus avec le nombre des anges déchus.
- Dans l’Institution chrétienne, Calvin cite plus de 3 000 fois Augustin.
- Cette vision a aussi été prônée par Mélanchton un peu plus tôt, grand théologien et ami de Luther, qui a abandonné l’augustinisme.
Le titre de ce numéro de Promesses porte en lui-même le thème de cet article : il y a des pauvres et des riches, et donc des inégalités. À partir de quelques données statistiques, nous essayerons de fournir des éléments de cadrage sur le partage des ressources, tant en termes de flux (les revenus) que de stock (le capital possédé), entre pays et au sein d’un même pays. Pour chaque thème, nous ébaucherons une appréciation chrétienne basée sur les principes bibliques.
Les inégalités de revenus entre pays
Le développement économique a été très inégal suivant les pays au cours de l’histoire. Au Moyen-Âge, on estime que la richesse produite était plus élevée en Chine qu’en France. Les découvertes du XVe siècle et le développement commercial qui a suivi, puis les révolutions industrielles ont propulsé l’Europe loin devant, ainsi que plusieurs de ses anciennes colonies (États-Unis, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande). Plus récemment, la manne pétrolière a placé plusieurs pétromonarchies du Moyen-Orient parmi les pays les plus riches.
Le plus frappant est que l’échelle des pays selon leur PIB ne coïncide pas avec celle de leurs ressources naturelles : plusieurs pays parmi les mieux dotés (par exemple, la RDC) sont parmi les plus pauvres.
Le Qatari moyen a produit en 2019 une richesse 183 fois plus importante que l’habitant moyen du Burundi.
Ces inégalités sont source de tensions internationales qui vont aller croissant en raison de la mondialisation (qui fait miroiter sur le smartphone les pays occidentaux comme des paradis faciles) et de la croissance démographique de certains pays (en particulier en Afrique sub-saharienne).
L’appréciation chrétienne
La Bible relie parfois la prospérité avec la sagesse du gouvernant (cf. Prov 29.4 ; Ecc 10.17). Cette règle souffre de nombreuses exceptions, mais on peut constater que l’incurie des gouvernants explique une partie significative des inégalités entre pays. L’exploitation coloniale a laissé des traces durables, mais ne suffit pas à tout expliquer.
Le chrétien prendra à cœur la situation de pays, même lointains, où les conditions de vie sont difficiles ; il gardera intacte sa capacité d’indignation quand la justice et l’équité sont bafouées. Une attention à la provenance de sa consommation, l’intérêt porté au commerce équitable, etc., sont des petits pas pour aider à réduire ces inégalités. Sur un plan plus collectif, des initiatives chrétiennes comme le Défi Michée ou le SEL15 visent à interpeller et à sensibiliser sur les traitements injustes dans le monde.
Les inégalités de revenus à l’intérieur d’un pays
Qu’il y ait des inégalités de revenus en fonction de la responsabilité endossée, des efforts fournis, des capacités, etc., n’est pas en soi choquant. C’est l’amplitude des écarts qui pose question.
La part des revenus des plus riches tend à s’accroître dans un même pays :
Un indicateur est la croissance vertigineuse des rémunérations des grands patrons : il y a ne serait-ce que 20 ans, il était souvent de l’ordre de 20 fois le salaire moyen de l’entreprise. Aujourd’hui des multiples de 100 fois ne sont pas rares !
Les mesures prises par les gouvernements libéraux (surtout anglo-saxons) au début des années 1980 pour relancer la croissance après les deux chocs pétroliers ont conduit à baisser le taux de prélèvement maximal des plus riches. La théorie douteuse du « ruissellement » supposait que l’enrichissement des plus aisés conduirait à l’enrichissement des autres strates de la société ; il a été démontré qu’elle était fausse.
L’appréciation chrétienne
Le chrétien est à juste titre révolté par les écarts entre riches et pauvres. Avec lucidité, il comprend que ces différences sont liées aux « structures de péché » induites par la condition actuelle de l’homme. Au-delà d’une éthique personnelle qui a toute son importance sur ce thème, il promouvra les politiques visant à réduire ces inégalités et il se réjouit de l’existence dans de nombreux pays de mesures correctrices, qui visent, par des procédés de redistribution, à combler une (petite) partie des écarts de revenus (cf. 2 Cor 8.15).
Les inégalités de patrimoine
Ce qui est vrai des revenus l’est aussi du patrimoine — et dans une proportion souvent supérieure. Une étude de 2017 menée par l’ONG Oxfam et le Crédit Suisse aboutit à des différences vertigineuses16 :
- La concentration des richesses est extrême : 62 milliardaires posséderaient autant que la moitié des humains, soit 3,5 milliards de personnes.
- La plupart des habitants de la Terre n’ont presque pas (ou pas du tout) de patrimoine : 80 % de la population mondiale devrait se contenter de posséder 5,5 % des richesses.
- Les écarts tendent à s’accroître : 82 % de la richesse créée en 2017 a profité aux 1 % les plus riches : les politiques accommodantes menées par les banques centrales depuis la crise de 2008 ont conduit à une inflation du prix des actifs17 qui a bénéficié avant tout à ceux qui avaient déjà des actifs.
Les pays en développement sont ceux où ces inégalités de patrimoine sont les plus criantes : le patrimoine détenu par les 1 % les plus riches représentait 58 % du total des patrimoines du pays en Inde ou au Brésil, contre 18 % au Japon, 25 % en France et 42 % aux États-Unis.
L’appréciation chrétienne
Accumuler à l’excès est un travers humain que les prophètes (És 5.8), Jésus (Luc 12.18) ou les apôtres (Éph 5.5) ont dénoncé18. Même si, dans certains pays, les impôts sur la fortune, les taxes sur les successions ou sur les biens immobiliers, réduisent un peu les écarts, les disparités restent choquantes. Les dispositions relatives au jubilé qui visaient pour Israël à corriger les biais inévitables vers l’accumulation sont difficiles à transposer aujourd’hui, mais montrent la voie.
La réduction globale de la pauvreté dans le monde
Si les constats précédents sont plutôt désespérants, il convient néanmoins de relever que la pauvreté a fortement reculé ces dernières décennies. En 25 ans (1990-2015), la proportion des personnes vivant en « absolue pauvreté »19 est passée de 37 % à 9,6 % des humains (soit quand même 700 millions de personnes de trop !). Sur une plus longue échelle, la réduction est encore plus spectaculaire :
Cette baisse est d’autant plus remarquable qu’elle s’inscrit dans une dynamique démographique sans précédent : entre 1820 et 2015, la population mondiale est passée de 1,1 à 7,5 milliards d’individus ! Elle a été spectaculaire en Asie — moindre en Afrique qui concentre aujourd’hui la majorité des plus pauvres.
L’appréciation chrétienne
La concomitance de la réduction de la pauvreté et de l’augmentation de la population a démenti les prophéties pessimistes de Malthus (un pasteur anglican !). Par la grâce généreuse de notre Dieu, il a été possible à des milliards de personnes de manger désormais à leur faim et d’accéder aux biens indispensables — même si ce fut au prix d’une consommation des ressources naturelles à un rythme effréné et non soutenable. Le chrétien s’en réjouit, sans se faire d’illusions sur une hypothétique abolition de la pauvreté ; il se rappelle la parole du Maître : « Des pauvres, vous en aurez toujours autour de vous. » (Marc 14.7, Semeur)
Conclusion
La Bible (et surtout le N.T.) insiste davantage sur les comportements individuels que sur les réformes structurelles. Les appréciations qu’en tant que chrétiens nous pouvons porter sur les grands enjeux actuels concernant les richesses nous conduisent à œuvrer, chacun dans notre mesure, dans le sens du « bien » et du « mieux ». Elles ne doivent cependant faire de nous ni des juges « externes » d’un système que nous estimerions condamné (nous y participons tous, nolens volens !), ni des zélateurs ardents de réformes destinées à retrouver le « paradis sur terre » (dont nous savons l’impossibilité tant que le règne effectif de Jésus ne sera pas établi).
- Voir les sites : https://www.selfrance.org/ et http://michee-france.org/
- Les critiques méthodologiques qui ont pu être relevées contre cette étude ne remettent pas en cause la pertinence des constats.
- Ce terme désigne l’ensemble des biens (immobilier, actions, or, liquidités, etc.).
- Cette dénonciation ne s’oppose pas à une épargne de précaution mesurée, que d’autres textes bibliques encouragent plutôt.
- L’ « absolue pauvreté » est une condition dans laquelle le revenu du ménage est inférieur au niveau nécessaire pour maintenir un niveau de vie de base (nourriture, logement, logement). La Banque mondiale estime ce niveau à 1,90 $ par jour (en parité de pouvoir d’achat).
Le plan général du livre
Le livre de Job a un plan simple à établir. Un épilogue en prose (42.7-17) répond à un prologue en prose également (1.1-2.13), encadrant une longue partie centrale en vers (3.1-42.6).
Trois cycles de dialogues entre Job et ses trois amis couvrent la majorité de la partie centrale (3-26)20 . Job prend d’abord la parole21 pour prononcer une lamentation, avant que ses « amis » entament leurs cycles de reproches auxquels Job répond pied à pied.
Suivent deux discours de Job introduits par la formule : « Job prit de nouveau la parole sous forme sentencieuse et dit : … » (27.1 ; 29.1) jusqu’à ce qu’on trouve la mention : « Fin des paroles de Job. » (31.40b)
Un quatrième ami, Elihu, prend alors la parole et prononce un long discours ponctué par trois adresses à Job (33.1, 31 ; 37.14) et une pause (36.1), délimitant ainsi cinq sections.
Enfin Dieu prend la parole à deux reprises, : « L’Éternel répondit à Job du milieu de la tempête et dit : » (38.1 ; 40.1) ; chaque discours divin est suivi par une courte réponse de Job.
Le livre peut ainsi se répartir ainsi en 7 parties :
A. Prologue : les épreuves de Job…………………………….. 1.1-2.13
B. Lamentation de Job……………………………………………. 3
C. 3 cycles de dialogues entre Job et ses 3 amis ………….4-26
D. Monologue de Job ……………………………………………….27-31
C’. Discours d’Elihu …………………………………………………32-37
B’. Réponse de Dieu du milieu de la tempête ……………..38-42.6
A’. Épilogue …………………………………………………………….42.7-17
Une structure en chiasme apparaît ainsi naturellement, avec l’épilogue (A’) qui répond au prologue (A) et le discours d’Élihu (C’) qui répond aux dialogues entre Job et ses amis (C). Nous reviendrons après sur la correspondance entre la lamentation initiale de Job (B) et la réponse de l’Éternel (B’). Le monologue final de Job occupe ainsi la partie centrale (D) : c’est dans ces chapitres que Job reprend et résume (si l’on peut dire, car la partie est longue !) ses griefs contre Dieu et la justification de sa bonne conduite en face des accusations de ses amis.
La correspondance entre le prologue et l’épilogue
Ces deux parties se répondent non seulement par leur style (en prose), mais de façon extraordinairement précise dans leur déroulé :
Prologue
.a. Introduction : la vie juste de Job (1.1)
..b. Les enfants de Job : 7 fils et 3 filles (1.2)
…c. Les troupeaux de Job : 7 000 brebis, 3 000 chameaux, 500 paires de bœufs, 500 ânesses (1.3)
….d. Le festin : les enfants (frères et sœurs) de Job font un festin (1.4-5)
…..e. Les afflictions de Job commencent (1.6-2.10)
……f. Les 3 amis de Job, dont le nom est donné, viennent vers Job pour le consoler (2.11)
…….g. Les 3 amis sont silencieux 7 jours et 7 nuits (2.12-13)
Épilogue
…….g. Les 3 amis sont repris par Dieu et doivent offrir 7 taureaux et 7 béliers (42.7-8)
……f. Les 3 amis, dont le nom est donné, viennent vers Job pour qu’il intercède pour eux (42.9)
…..e. Les afflictions de Job sont finies (42.10)
….d. Le festin : les frères et sœurs de Job font un repas avec lui (42.11)
…c. Les troupeaux de Job : 14 000 brebis, 6 000 chameaux, 1 000 paires de bœufs, 1 000 ânesses (42.12)
..b. Les enfants de Job : 7 fils et 3 filles (42.13-15)
.a. Conclusion : la vie longue de Job (42.16-17)
Le livre de Job s’achève donc par une espèce de « retour à la case départ » — en mieux même puisque le Seigneur accorde à Job de retrouver sa richesse initiale (mais multipliée exactement par deux) et exactement le même nombre d’enfants (mais avec des filles encore plus jolies). C’est presque trop beau pour être vrai. Si la vie de tous les malheureux qui se retrouvent si bien dans les propos parfois désespérés de Job finissait en « happy end », on le saurait !Pourtant la symétrie entre la conclusion et l’introduction montre de façon prophétique à chacun de ceux qui souffrent aujourd’hui que la souffrance et le mal ne se perpétueront pas à toujours. Ce que Job a connu à la fin de sa vie de façon matérielle, tous les croyants qui passent par l’épreuve le connaîtront de façon certaine quand, dans les nouveaux cieux et la nouvelle terre, il n’y aura plus « ni deuil, ni cri, ni peine » (Apoc 21.4). L’aboutissement ne sera pas seulement une longue vie bien remplie, mais la vie éternelle. Le nombre d’années de vie supplémentaires de Job le suggère peut-être : 140 se décompose en 2 x 7 x 10 : une double (2) plénitude (7) pour l’homme (10). Alors, pour reprendre le propos de Paul, « nos légères afflictions du moment présent produiront pour nous, au-delà de toute mesure, un poids éternel de gloire » (2 Cor 4.17).
La correspondance entre la lamentation de Job et la réponse de Dieu
Loin d’être un artifice pour arriver à un plan intellectuellement satisfaisant, la correspondance entre le chapitre 3 et les chapitres 38 à 41 est frappante.
Le chapitre 3 comprend deux parties : tout d’abord, Job formule une suite de souhaits — de malédictions plutôt — sur le jour de sa naissance introduits par « que » (3.2-10). Il enchaîne ensuite sur des « pourquoi » (3.11-23) sur la raison de sa naissance et, plus généralement, de celle des souffrants, avant une brève conclusion sur sa situation présente (3.24-26).
C’est presque point par point, en reprenant les mots même utilisés par Job, que l’Éternel va répondre à son fidèle. « Les paroles de Dieu préparent le terrain au rétablissement de Job en le forçant à retirer la malédiction qui pèse sur les débats depuis le chapitre 3. Job a prononcé une malédiction sur son “jour” et il a invoqué ceux qui savent réveiller le léviathan. Dieu somme Job d’assumer le rôle de dieu et de voir quelle autorité il serait capable d’exercer au cours d’une journée — ou sur tout autre aspect du cosmos (38.12 et suiv.). Job avoue son impuissance (40.3-5). Ensuite, Dieu réveille le léviathan et demande à Job s’il est prêt à l’affronter (41.1 et suiv.). Encore une fois, Job admet son impuissance (42.1-6). » 22
Un commentateur a calculé que plus de 60 mots différents employés par Job dans le ch. 3 se retrouvent dans le discours divin des ch. 38 à 41, souvent à plusieurs reprises. Au total, les correspondances seraient supérieures à 140.
En voici trois, parmi les plus caractéristiques — outre le léviathan :
Job souhaite « que les étoiles de son crépuscule s’obscurcissent, que [la nuit] attende en vain la lumière, et qu’elle ne voie point les paupières de l’aurore ! » (3.9). Dieu évoque la création où « les étoiles du matin éclataient en chants d’allégresse » (38.8), puis il va nommer plusieurs constellations d’étoiles (38.31-32).
Job se sent sans force (3.17) et Dieu lui parle de la force qu’il a mise dans sa création, que ce soit pour le buffle (39.14), le cheval (39.24) ou le béhémoth (40.11).
Job se recroqueville dans ses peurs : « Ce que je crains, c’est ce qui m’arrive ; ce que je redoute, c’est ce qui m’atteint » (3.25), tandis que Dieu lui oppose l’audace du cheval : « Il se rit de la crainte, il n’a pas peur. » (39.25)
Oui, Dieu a vraiment répondu à Job en lui apparaissant et en lui ouvrant une autre perspective, ô combien plus grande, celle de ses desseins glorieux (38.2). Job l’a bien compris et conclut : « Je reconnais que tu peux tout, et que rien ne s’oppose à tes pensées. — Quel est celui qui a la folie d’obscurcir mes desseins ? — Oui, j’ai parlé, sans les comprendre. » (42.2-3).
Le cœur du livre : le discours sur la sagesse (ch. 28)
Le plan général du livre donné ci-dessus place au centre le monologue de Job des chapitres 27 à 31, avec ses deux parties, 27-28 et 29-31. Or de nombreux commentateurs ont relevé la singularité du chapitre 28, magnifique discours sur la sagesse. Il est donc possible de l’isoler du chapitre 27 et de diviser le monologue en trois sections, dont le chapitre 28 serait le centre — et, de facto, le centre de tout le livre. Le sommet qu’est le chapitre 28 qualifie le livre de Job comme faisant partie des « écrits de sagesse ». Plus qu’une narration historique23 , il s’agit d’une réflexion de sagesse, à l’instar des Proverbes ou de l’Ecclésiaste. Et le livre de Job doit être lu et interprété à cette lumière. La sagesse « doit être comprise comme ce qui donne ordre et cohérence »24 à la création de Dieu ; aussi n’est-il pas étonnant que ce soit en dépeignant quelques traits de sa création que Dieu s’adresse finalement à Job.
Un indice corrobore la mise en évidence du chapitre 28 comme centre du livre. Ce chapitre se termine par ce propos que Job met dans la bouche de Dieu : « Voici, la crainte du Seigneur, c’est la sagesse ; s’éloigner du mal, c’est l’intelligence. » Cette maxime fait directement écho au premier verset du livre : Job « craignait Dieu, et se détournait du mal » (1.1b). Mais il a fallu que Job passe par des expériences ô combien douloureuses pour percevoir vraiment ce qu’est la sagesse divine et faire complètement confiance à un Dieu dont la sagesse dépasse totalement sa compréhension limitée — « des merveilles qui me dépassent et que je ne conçois pas » (42.3b), conclut Job.
Plan détaillé
A. Prologue : les épreuves de Job 1.1-2.13
B. Lamentation de Job
C. 3 cycles de dialogues entre Job et ses 3 amis 4-26
Cycle 1 4-14
Éliphaz 4-5
Réponse de Job 6-7
Bildad 8
Réponse de Job 9-10
Tsophar 11
Réponse de Job 12-14
Cycle 2 15-21
Éliphaz 15
Réponse de Job 16-17
Bildad 18
Réponse de Job 19
Tsophar 20
Réponse de Job 21
Cycle 3 22-26
Éliphaz 22
Réponse de Job 23-24
Bildad 25
Réponse de Job 26
D. Monologues de Job 27-31
1er monologue 27
Discours sur la sagesse 28
2nd monologue 29-31
C’. Discours d’Élihu 32-37
B’. Réponse de Dieu du milieu de la tempête 38-42.6
1re réponse de Dieu 38-39.35
1re réponse de Job 39.36-38
2nde réponse de Dieu 40-41
2nde réponse de Job 42.1-6
A’. Épilogue : les bénédictions de Job 42.7-17
- Le 3e cycle ne comprend pas de discours de Tsophar. Certains ont cru devoir l’introduire avant 27.13, mais il s’agit d’une pure conjecture.
- « Après cela, Job ouvrit la bouche et maudit le jour de sa naissance. » (3.1)
- A.Cooper, « Narrative Theory and the Book of Job”, Studies in Religion 11 (1982), p. 39-43, cité par D.A. Dorsey, The Literary Structure of the Old Testament: A Commentary on Genesis–Malachi, p. 170). Le présent article doit largement à ce dernier ouvrage.
- Même si nous retenons pour notre part l’historicité du personnage de Job.
- John H. Walton, Job, NIVAC, p. 294. Nous recommandons tout le développement de cet auteur sur le ch. 28 qui est très pénétrante.
La Bible présente maints exemples d’hommes et de femmes de foi. Mais elle est aussi un livre réaliste et elle n’occulte pas les moments de doute de ses héros.
La Bible présente maints exemples d’hommes et de femmes de foi. Mais elle est aussi un livre réaliste et elle n’occulte pas les moments de doute de ses héros.Face aux multiples questions que soulève cette épineuse question du doute — Est-ce un péché de douter ? Faut-il nier le doute ? Le doute peut-il être utile ? — quelques exemples bibliques nous donneront des éléments de réponse. Pour chaque exemple, nous essayerons d’identifier d’où vient le doute, la façon dont il se montre, le moyen par lequel le croyant en est sorti et les « bénéfices » qu’il a pu en retirer.
Élie — ou le doute du découragé (1 Rois 19)
D’où vient son doute et comment se montre-t-il ?
La journée avait été sur-occupée : le prophète Élie avait rassemblé le peuple sur le Carmel, bâti un autel de grosses pierres, fait descendre le feu du ciel, égorgé 400 prophètes, prié avec instance, couru devant le char d’Achab pendant des dizaines de kilomètres. Et le voilà, quelques jours plus tard, découragé, sous un genêt, demandant à Dieu de mourir, doutant de sa mission, de lui-même, du peuple… (cf. 1 Rois 18-19)Le découragement d’Élie, qui est parfois aussi le nôtre, a sans doute plusieurs causes :
– On peut être pris par sa mission: on se donne à fond pour un travail pour Dieu et, quand il est fini, on se retrouve désemparé. Peut-être parce que le service pour le Maître a surpassé dans notre cœur le Maître du service.
– On peut être déçu du résultat de son travail : Élie espérait ramener le peuple à Dieu, mais il doit constater qu’en dépit de ses exploits du Carmel, Achab reste inféodé à Jézabel. Il n’a pas été plus efficace que ceux qui l’ont précédé.
– On peut cultiver le sentiment que tout repose sur soi : dans son réquisitoire contre son peuple, Élie multiplie les « je » en contraste avec les « ils ». Se croire indispensable et se voir incapable de tout faire, amène à une tension intérieure difficile à vivre.
– On peut manquer de mise en perspective : Élie avait courageusement fait face à 400 hommes et s’enfuit maintenant devant une seule femme.
Les conséquences sont la fuite devant ses responsabilités (qui avait dit à Élie que son service était fini ?), une vision biaisée et injuste de la réalité (Élie avait-il oublié qu’il n’était pas tout seul ?25 ), jusqu’à vouloir même mourir.
Comment sortir du doute ?
Dieu vient aider lui-même son prophète en lui envoyant un ange. Un frère ou une sœur découragé a souvent besoin d’un messager (autre sens du mot ange) de la part du Seigneur pour l’aider à repartir. L’ange apporte des éléments tangibles (un gâteau, une cruche). Le découragé est fortifié par un retour à la réalité concrète.
Mais ce qui a fait sortir Élie du doute est ce que Dieu lui a dit à l’entrée de la caverne du Sinaï. Le découragé, le moment venu, a besoin d’entendre la vérité sur Dieu et sur lui-même. S’il est dans cet état, c’est qu’il avait sans doute une vision faussée du Dieu qu’il servait ;or l’Éternel n’était pas seulement le Dieu de justice mais aussi le Dieu de grâce. Et lui-même, Élie, n’était pas le seul fidèle. Acceptons de revoir notre conception de Dieu et faisons un peu moins tout tourner autour de notre petite personne.
Quel bénéfice en retirer ?
« Va, reprends ton chemin », dit l’Éternel à Élie. Pour sortir du découragement, il est bon de retourner à l’activité. Mais pas à la suractivité. C’est pourquoi Élie doit partager son service avec Élisée qui lui succédera. Ainsi Élie comprend que tout ne repose pas sur lui. Servons Dieu dans notre mesure, dans notre temps, en étant conscients que c’est lui qui demeure et qui agit. Élie a bien compris la leçon, puisqu’il commence par oindre son successeur.
Job — ou le doute de l’éprouvé (livre de Job)
D’où vient son doute et comment se montre-t-il ?
Job a vécu une succession de drames : matériels avec la perte de ses biens, familiaux avec la mort de ses enfants, personnels avec sa maladie. Il est envahi par l’amertume, devant une souffrance qu’il juge imméritée.
Ses « amis » (Dieu nous garde de tels amis !) le suspectent de s’être très mal conduit pour mériter pareil sort. Alors Job se met à douter : il sait qu’il n’a pas commis de grave péché ; c’est donc que Dieu est injuste. Il s’isole et interpelle Dieu en le sommant de s’expliquer.
Une épreuve particulièrement douloureuse peut ébranler la foi, la confiance en Dieu. L’homme de la rue dira : « Mais qu’ai-je fait au bon Dieu pour mériter tout cela ? » Le chrétien ne le formulera pas ainsi, mais le pensera… L’épreuve devient tentation26 . Ai-je eu raison de croire dans un Dieu qui permet de telles circonstances ?
Comment sortir du doute ?
Après les longs plaidoyers de Job, Dieu intervient lui-même et lui parle de sa grandeur, de sa création. L’antidote à ce type de doute n’est pas l’explication de la souffrance — que Dieu ne donne pas — mais la vision de la souveraineté de Dieu. Laissons nos « pourquoi » et même nos « pour quoi » pour nous abandonner entre les mains d’un Dieu tellement plus grand, plus puissant, plus sage que nous, et qui nous aime, en dépit de tout.
Quel bénéfice en retirer ?
La fin du livre de Job est étonnante avec une happy end presque trop belle pour être vraie. Elle est là pour nous faire comprendre que le bonheur peut encore être présent. L’épreuve peut nous envahir au point de ne plus discerner les aspects positifs de la vie, alors que la joie cohabite souvent avec la souffrance (relisons l’Épître aux Philippiens pour en avoir la démonstration).
Dieu a demandé à Job de prier pour ses amis indélicats. Si notre épreuve a été renforcée par des consolateurs fâcheux, ne laissons pas l’amertume à leur encontre s’ajouter à notre douleur, mais intercédons pour ceux qui ont créé ou accentué le doute.
Asaph — ou le doute de l’aigri (Ps 73)
D’où vient son doute et comment se montre-t-il ?
Asaph enrage. Les méchants autour de lui prospèrent et lui souffre. Le sentiment de l’injustice du monde l’envahit. Il ne comprend pas le silence apparent de Dieu, son inaction. Il en vient jusqu’à dire : « C’est donc en vain que j’ai purifié mon cœur, et que j’ai lavé mes mains dans l’innocence. » (Ps 73.13).
Ce doute peut naître facilement dans notre cœur car, avec l’évangile, nous attendons volontiers la prospérité… Telle chrétienne voit ses collègues en couple et reste célibataire par fidélité au Seigneur. Ou tel entrepreneur chrétien perd des marchés parce qu’il refuse de verser un pot-de-vin. Etc. Effectivement, la foi implique des « sacrifices » et les refuser conduit à l’amertume qui avait envahi Asaph. De multiples questions se pressent alors à notre esprit : ai-je bien fait de confier ma vie au Seigneur ? Pourquoi ne récompense-t-il pas mes renoncements ? Quand va-t-il permettre que je sorte de cette situation ?
Comment sortir du doute ?
La première étape consiste à ouvrir son cœur à Dieu, comme le fait Asaph dans son Psaume. Disons tout ce que nous ressentons à Dieu, même les pensées dont nous ne sommes pas très fiers — il les connaît déjà parfaitement ! À la suite des psalmistes, nous constaterons la vertu apaisante de cette transparence.
La seconde étape nous amène à « pénétrer dans les sanctuaires de Dieu » (Ps 73.17). Il s’agit d’une façon poétique de désigner des moments de communion avec le Seigneur. Asaph saisit l’ampleur des plans de Dieu qui vont jusque dans la gloire. Mettre les circonstances en perspective de l’éternité permet de les relativiser. Connaître Dieu, vivre en relation avec lui devient un « bien » supérieur à la prospérité temporaire des méchants.
Quel bénéfice en retirer ?
Asaph voit sa relation avec Dieu transformée. Au lieu d’attendre les dons, il fait ses délices du Donateur. Et il peut « raconter toutes les œuvres » de son Dieu. Sa perspective s’est élargie, sa connaissance de Dieu approfondie. Transformons ainsi nos aigreurs en louanges !
Jean-Baptiste — ou le doute du déçu (Mat 11)
D’où vient son doute et comment se montre-t-il ?
Jean est dans une situation personnelle difficile : emprisonné par Hérode, il croupit dans un cachot alors qu’il avait drainé des foules considérables au Jourdain lorsqu’il prêchait le baptême de repentance. Il sent que son service est bientôt fini. Et Jésus qui ne fait rien pour lui. Se serait-il trompé sur son compte, lui qui le prenait pour le Messie tant attendu qui allait délivrer le peuple (Mat 11.2-3) ?
Nous pouvons connaître de tels moments de doute. Notre service peut s’arrêter brutalement ou ne pas porter les fruits escomptés. Nous nous trouvons dans une « prison » morale. Le Seigneur n’agit pas comme nous l’attendions et nous sommes déçus, déstabilisés, découragés… Pis, nous nous mettons à concevoir des doutes sur la réalité divine : « Es-tu vraiment celui que j’attendais ? » Ces doutes peuvent aller de l’existence même de Dieu à la remise en cause d’un de ses attributs, comme sa bonté, sa sagesse ou sa puissance.
Comment sortir du doute ?
Jean a la bonne réaction : il envoie ses disciples à Jésus. Si nous sommes en « prison »nous-mêmes, cherchons de l’aide auprès d’amis et demandons-leur de parler à Jésus pour nous, de nous aider à renouveler notre vision du Seigneur. D’une manière plus générale, ne gardons jamais nos doutes pour nous-mêmes mais ouvrons-nous à d’autres qui sauront nous aider à voir les choses sous un autre angle. Et même si nous ne pouvons pas réaliser tous nos plans, Dieu le sait ; abandonnons-lui nos projets interrompus ou les fruits de notre service.
Quel bénéfice en retirer ?
Immédiatement après, Jésus rend un témoignage extraordinaire à propos de Jean (Mat 11.7-11) : « plus qu’un prophète », « pas de plus grand que Jean-Baptiste » ! Loin de critiquer Jean pour ses doutes, il le met en valeur. Tirons-en un principe important : celui qui doute n’est pas disqualifié !
La réponse de Jésus a permis à Jean de mieux comprendre la réalité de l’action de Dieu. Il n’agit pas forcément selon nos schémas, mais il fait tout concourir à son but d’amour.
* * *
D’autres exemples bibliques pourraient allonger cette liste — et ce numéro de Promesses en présentera quelques-uns. Mais relevons l’importance de la vision de Dieu : si le doute naît, c’est en général qu’elle est faussée ; si le doute s’efface, c’est qu’elle est corrigée.
Élie voyait un Dieu justicier ; Job pensait que Dieu était contre lui et Asaph qu’il était injuste ; Jean-Baptiste était déçu de Dieu dans ses attentes. Dieu est venu les rencontrer au fond de leur doute et il a changé leur vision : Élie a rencontré le Dieu de grâce ; Job a été amené à voir la souveraineté du Créateur ; Asaph est entré dans les sanctuaires pour y contempler l’action finale du Très-Haut et Jean-Baptiste a été encouragé par les miracles du Seigneur qu’on lui a racontés.
Nos propres doutes ne cadrent peut-être pas exactement avec ceux de ces fidèles d’autrefois, mais, au sein de notre perplexité, recherchons la face du Seigneur, demandons-lui de renouveler notre vision de sa personne et de son action — et comme autrefois, il répondra !
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