PROMESSES

« La gloire de Dieu, c’est de cacher les choses (Pr 25.2). » Parfaitement sage, Dieu ne nous cache pourtant rien par simple caprice. Il ne nous révèle rien, si ce n’est par pure grâce et par souci de notre suprême bonheur, qui consiste à le reconnaître comme seul Sauveur et Seigneur, et à le servir éternellement.

Or, notre race n’entre pas de bon gré dans ce plan divin. Il y a tant d’autres voix prêtes à étouffer la Parole de Christ. Subjuguée en Éden par le discours du diable, notre humanité continue de s’enflammer pour les mystères qu’elle croit pouvoir dérober (Pr 9.13,17), pour l’indépendance et les bienfaits qu’elle espère acquérir au contact des puissances occultes. Mais Dieu a barré ce chemin. L’arbre de la vie (Gen 3.24) ne sera accessible qu’aux rachetés de Christ (Apoc 22.2), non aux tricheurs.

Quant à nous, les chrétiens, reconnaissons qu’il nous est parfois difficile de marcher par la foi, de nous satisfaire des choses que Dieu veut bien nous révéler et de ne pas chercher à « monter dans la bergerie » par un autre côté que par la seule porte, Jésus-Christ (Jean 10.1). Le danger nous guette d’accoupler la foi en Dieu à toutes sortes de fabulations, de raisonnements humains et charnels, ou à des expériences religieuses purement subjectives. Mais c’est alors que nous risquons d’ouvrir l’Église à l’infiltration de très obscurs « passagers clandestins (1 Cor 10.20)».

Pour nous en dissuader et surtout pour nous rappeler les moyens de combattre ces égarements (dans le monde ou dans l’Église), les articles de ce dossier nous ramènent à l’Écriture. Cet incommensurable « coffre » est, après tout, bien assez profond pour nous contenter : il recèle en effet le « mystère de Dieu, Christ, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la connaissance (Col 2.2b,3) ». Ne cherchons pas ailleurs la bonne part.

 


Sous la volée des crises qui nous frappent, beaucoup d’esprits flanchent. Nos lendemains s’annoncent tellement sinistres. Mais des voix se font entendre, tour à tour solennelles, avisées, expertes, rassurantes pour nous engager sur des chemins de salut. Qui suivre ? Nous écouterons en parallèle deux « urgentistes » de crises.

Le premier est le bouillant Stéphane Hessel. Né en 1917, cet homme a traversé de profondes épreuves : camps de concentration de Buchenwald et de Dora, combat dans la Résistance française. Ayant toujours relevé la tête, il a milité pour les causes qu’il estimait honorables. Il aurait contribué à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, mais il nous parlera ici à travers un texte qui a fait le tour du monde : Indignez-vous ! 1

Le second est le prophète Jérémie. Porteur du message de Dieu, il a « crié dans le désert » pendant plus de 40 ans (de 625 à 580 av. J-C.). Il nous a laissé deux livres bibliques, 57 chapitres au total. Les circonstances qui prévalaient à son époque sont analogues à celles de nos pays occidentaux déchristianisés. Le déclin du royaume de Juda préfigure le nôtre : abandon de la vérité révélée et de la foi ; désintégration spirituelle, morale, sociale et politique ; menaces de catastrophes sans précédent.

Confrontons donc les cinq points forts du programme de Stéphane Hessel au message de Jérémie :

a. Suivez le sens de l’histoire !

Hessel croit que l’histoire humaine tend vers un état idéal. Cette attitude positiviste2 et fortement arrimée à la pensée de G.W. Friedrich Hegel (1770-1831)3, n’est pas très éloignée des idéologies du progrès ou du matérialisme dialectique athée (Marx, Lénine etc.)4. Nous citons Hessel :

« L’hégélianisme [la philosophie de Hegel] interprète la longue histoire de l’humanité comme ayant un sens : c’est la liberté de l’homme progressant étape par étape. L’histoire est faite de chocs successifs, c’est la prise en compte de défis. L’histoire des sociétés progresse, et au bout, l’homme ayant atteint sa liberté complète, nous avons l’État démocratique dans sa forme idéale. » (p. 13)

Nous ferions donc route vers une sorte de paradis sans Dieu, purement horizontal, et sans autre sauveur qu’une humanité censée surmonter seule ses limitations et sa méchanceté. Cette foi en un Âge d’or n’est pas sans rapport de filiation avec la pensée judéo-chrétienne. C’est à celle-ci que nous devons le concept d’une « histoire » ordonnée vers une conclusion triomphale qui en éclaire le cours. Mais la ressemblance s’arrête là, car pour le croyant l’histoire a commencé quand Dieu a créé le monde5 et elle se déploie vers la fin que Dieu a fixée6. Le programme de cette destinée du monde, de sa naissance à son aboutissement, est cohérent parce que Dieu en est l’instigateur et le garant.

Or le credo de Hessel ne s’inscrit pas dans cette perspective, mais plutôt dans l’élan de la révolte originelle — attitude que la Bible dénonce sur tous les modes. Le Livre divin ne nous cache pas que dès les temps anciens, les hommes, même très religieux, ont tenu à piloter leur histoire de manière autonome. Leurs achèvements communs faisaient leur orgueil (Babel !) et les persuadaient qu’ils sauraient parer tous les coups du sort. Les crises et les désastres ont à maintes reprises rabaissé ces prétentions, mais dès le calme revenu, on s’affairait à nouveau comme si le Maître légitime du monde s’était éclipsé. C’était devenu l’habitude des Juifs du temps de Jérémie, et c’est pourquoi le prophète ne cesse de leur prédire avec larmes que sans un retour sincère à Dieu, ils ne pourront pas éviter la déroute (la prise de Jérusalem par Nébucadnetsar, la destruction du Temple et la captivité à Babylone). Hélas, les Juifs s’obstineront dans leur rébellion et le Seigneur infléchira leur histoire dans le sens du châtiment annoncé.

Selon la Révélation biblique générale, il y a ainsi dès l’origine deux « histoires » qui se bousculent :

–  L’histoire des incrédules qui s’acharnent à consacrer la primauté de l’homme : sous sa dernière forme, cette entreprise sera récapitulée et achevée dans l’effondrement du règne de « l’homme impie » — le « fils de perdition » (2 Thes 2.3), l’Antichrist.

L’histoire des croyants qui admettent la primauté de Dieu et du Fils de l’homme : elle aura pour couronnement le règne de Christ et la gloire éternelle (voir Jér 23.5-8 ; 30.4-11 ; 33.15 où l’avènement du Messie, le « germe juste » de David, est donné comme bonheur cible). Pour autant, le croyant n’est pas destiné à demeurer un simple spectateur de la misère d’ici-bas ; il est bien plutôt appelé à agir dans le monde en étroite relation avec son Maître divin. Jérémie l’avait appris pour lui-même : « Je le sais, ô Éternel ! La voie de l’homme n’est pas en son pouvoir ; ce n’est pas à l’homme, quand il marche, à diriger ses pas. » (Jér 10.23)

Hessel et beaucoup d’autres, en préférant voir l’histoire évoluer vers la glorification de l’homme par l’homme, hâtent (inconsciemment) la venue de la Crise majeure, au lieu de l’éloigner.

b. Engagez-vous !

Pour Hessel, il serait faux d’attendre la fin des crises les bras croisés. C’est pourquoi il insiste pour que nous nous engagions concrètement (comme il l’a fait lui-même) :

– en assumant notre responsabilité individuelle : « … le grand courant de l’histoire doit se poursuivre grâce à chacun. » (p. 12) « Sartre nous a appris à nous dire : ‘Vous êtes responsables en tant qu’individus.’ C’était un message libertaire. La responsabilité de l’homme qui ne peut s’en remettre ni à un pouvoir ni à un dieu. Au contraire, il faut s’engager au nom de sa responsabilité de personne humaine. » (p. 13)

– en agissant collectivement : « Il est évident que pour être efficace aujourd’hui, il faut agir en réseau, profiter de tous les moyens modernes de communication. » (p. 16)

Cela ressemble au bon sens. Dans une société où l’on déplore fréquemment l’égoïsme et l’absence d’engagement citoyen, on voudrait saluer un tel sursaut. Aucune des aptitudes préconisées par Hessel — de la prise de responsabilité citoyenne à l’action collective par le truchement de moyens de communication efficaces — ne saurait nuire à une construction démocratique bien comprise (même pour un croyant). Merci à Stéphane Hessel de nous rappeler ces évidences.

Toutefois, en admettant qu’une entreprise citoyenne responsable soit à même d’infléchir durablement le cours des choses, il faut déplorer que Hessel tienne à la découpler de toute subordination à un « pouvoir » ou à un « dieu »7. Ce message (auquel l’humanisme existentialiste nous a bien préparés) pénètre de plus en plus les esprits. En ouvrant un journal au hasard, on l’entend fréquemment. Un exemple : un journaliste interpelle un homme politique suisse, Dick Marty8: « Chômage, tensions internationales, crises, révolutions, beaucoup parlent de l’année qui commence comme celle de tous les dangers. Faut-il avoir peur de 2012 ? » Réponse de l’intéressé : « Non. La peur est mauvaise conseillère, on le sait. […] Croyons en nous et cessons d’avoir peur de tout. » D. Marty admet ensuite que 2012 pourrait tout de même réserver de mauvais moments : « …je peux aussi m’imaginer que le mouvement des indignés […] a le potentiel de provoquer un embrasement brutal. Une sorte de Mai 68 planétaire… » Il revient néanmoins à son credo : « Malgré tout, je reste convaincu que l’humanité retient les leçons de l’histoire et ne retombera pas dans la folie de la guerre. »

Au prophète Jérémie qui mettait ses compatriotes en face de leur inconduite et de leur infidélité à l’égard de l’Éternel, il fut souvent rétorqué en substance : « Nous savons ce que nous voulons, ce que nous faisons, et où nous allons. Le malheur ne nous atteindra pas. Nous saurons l’éloigner par des alliances politiques, par des accommodements avec les envahisseurs, par le paiement de tributs ; si cela ne suffit pas, nous recourrons à la résistance armée. »

Arrogance présomptueuse en réalité, car les coups de semonce à l’adresse des habitants de Juda n’avaient pas manqué : le départ en captivité du Royaume du nord (Israël) avait sonné sa fin plus de cent ans auparavant (722 av. J-C.) ; de plus, au cours du ministère de Jérémie, une première déportation du peuple de Juda avait démontré la vulnérabilité de celui-ci (605 av. J-C.). Si les Juifs avaient pris à cœur la Parole révélée, ils auraient compris que leur « histoire contemporaine » ne passait de crise en crise que parce qu’ils avaient « abandonné la source d’eau vive pour se construire des citernes crevassées, qui ne retiennent pas l’eau » (cf. Jér 2.13). Mais on avait pris l’habitude de banaliser ce diagnostic, de sorte que les sacrificateurs ne servaient plus l’Éternel, les dépositaires de la Loi ne le connaissaient plus, les chefs politiques lui étaient infidèles, et les prophètes prophétisaient par de faux dieux. Le tout sous le couvert d’une piété dévoyée (cf. Jér 2.8). Or Jérémie revient sans cesse à la charge pour tenter de rattacher les malheurs du temps à leur cause première — non une quelconque fatalité, mais la décision, de la part de la majorité, de s’affranchir du Dieu de l’alliance et de courir après les dieux étrangers (Jér 2.17-25 ; 3.13 ; 31.32b, et al.). Le zèle du prophète s’épuisant en vain, l’Éternel s’interroge : « Pourquoi mon peuple dit-il : Nous sommes libres, nous ne voulons pas retourner à toi ? » (Jér 2.31b)

Hessel, en nous appelant à une action autonome affranchie de toute dépendance à l’égard du Dieu de la Bible, distille le même poison que l’impie Juda d’autrefois. Il emboîte le pas à plusieurs générations qui se sont progressivement détournées de la Lumière pour chercher ce qu’on aime par facilité (Jér 2.33) et pour suivre les penchants malsains du cœur naturel, ou ses illusions (Jér 11.8 ; 13.10 ; 16.12 ; 23.17 ; 37.9).

c. Indignez-vous !

À 93 ans, Hessel nous exhorte : Indignez-vous haut et fort…

–  contre le matérialisme et l’injustice : « … le pouvoir de l’argent, tellement combattu par la Résistance9, n’a jamais été aussi grand, insolent, égoïste, avec ses propres serviteurs jusque dans les hautes sphères de l’État… L’écart entre les plus pauvres et les plus riches n’a jamais été aussi important… » (p. 11, voir aussi p. 14) ;

contre ceux qui ne raisonnent qu’à court terme, dans leur intérêt immédiat : « Il est grand temps que le souci d’éthique, de justice, d’équilibre durable devienne prévalent. Car les risques les plus graves nous menacent. » (p. 21) ;

contre le totalitarisme : « Car là est bien l’enjeu au sortir de la Seconde guerre mondiale : s’émanciper des menaces que le totalitarisme a fait peser sur l’humanité. » (p. 15)10 ;

contre le productivisme à outrance : « La pensée productiviste, portée par l’Occident, a entraîné le monde dans une crise dont il faut sortir par une rupture radicale avec la fuite en avant du « toujours plus », dans le domaine financier mais aussi dans le domaine des sciences et des techniques11. » (p. 20, 21)

S’émanciper d’un matérialisme étouffant, de l’oppression de l’ultra-libéralisme, de la course effrénée à la production et à la consommation, du tout-économique : voilà des objectifs qui semblent d’autant plus légitimes que les failles du système sont patentes : l’Occident « chrétien » est un Titanic (ou un Costa Concordia) luxueux en perdition.

Le discours de Hessel, encore une fois, a des résonances quasi-bibliques. Que l’on se souvienne des paroles de Christ à l’égard du culte de Mammon, à l’adresse des marchands du Temple, ou des harangues de Jérémie contre les oppresseurs du peuple. Lorsqu’il s’en prend par exemple au roi de Juda et à ses acolytes : « Ainsi parle l’Éternel : Pratiquez le droit et la justice ; délivrez des mains de l’oppresseur celui qui est exploité ; ne maltraitez pas l’immigrant, l’orphelin et la veuve ; n’usez pas de violence et ne répandez pas de sang innocent dans ce lieu. » (Jér 22.3) « Malheur à celui qui bâtit sa maison en dépit de la justice, et ses chambres hautes en dépit du droit ; qui fait travailler son prochain pour rien, sans lui donner son salaire. » (Jér 22.13) « Tu n’as des yeux et un cœur que pour ton intérêt, pour répandre le sang innocent et pour exercer une oppression écrasante. » (Jér 22.17) Voilà une indignation de feu, et engagée : Jérémie, en proférant ces paroles, court le risque de se voir exécuté sur le champ !

Discerner derrière les injustices et les crises financières de graves manquements moraux est devenu un refrain courant. Comme Hessel, le philosophe Richard David Precht, dans son ouvrage L’art de ne pas être égoïste12, reconnaît en 2012 que « l’avidité » est une cause de nos crises financières. Toutefois, il impute ensuite l’origine de ce travers à l’économie globalisée, aux échanges devenus trop rapides et anonymes. Selon lui, ce sont là les raisons qui ont conduit les gens à se comporter de manière cupide (et stupide). Precht croyant par ailleurs que nous ne sommes ni bons ni mauvais par nature, mais qu’en général nous ne supportons pas d’être pris en défaut, il garde bon espoir. Il suffirait de moraliser la vie publique, d’en faire voir les règles de bon fonctionnement et l’avantage de s’y soumettre pour infléchir les comportements dans le sens d’une évolution plus morale. La solution aux crises passerait donc par un retour à une forme de « patriotisme social », de « transformation citoyenne13 » à l’échelle de notre communauté locale. Precht, comme Hessel et tous les héritiers de 178914, ont beau jeu de tenir ce discours, car les inégalités et la corruption mettent nos démocraties de plus en plus en péril.

Leur tort n’est pas de stigmatiser les injustices, mais c’est de ne pas aller assez profond dans la recherche des racines du mal, et de la découverte du vrai remède. On est prêt à beaucoup de remises en question sociopolitiques aujourd’hui, à beaucoup de révisions déchirantes, à condition de n’établir aucun lien entre les crises et le rejet délibéré de la Révélation de Dieu en Jésus-Christ. Jérémie, en son temps, se voyait fréquemment confronté à des pseudo-réformes de la part des « moralistes » de Juda, car ces derniers ne manquaient pas de mettre en avant leurs plans de sauvetage. Le bilan de leurs initiatives est en réalité bien négatif : « Car du plus petit d’entre eux jusqu’au plus grand, tous sont âpres au gain […] Ils soignent à la légère la blessure de mon peuple : Paix ! Paix ! disent-ils ; et il n’y a point de paix. » (Jér 6.13a,14) « Tes prophètes ont eu pour toi des visions vaines et fades ; ils n’ont pas mis à nu ta faute afin de détourner de toi la captivité ; ils ont eu pour toi la vision d’oracles vains et décevants. » (Lam 2.14) En d’autres termes, si vous prétendez vous attaquer aux vrais problèmes, il vous faut être capables et d’accord de les reconnaître, et non vous contenter, comme le fit le roi Jehojakim, d’éliminer sans honte la Parole de Dieu parce qu’elle ne flatte pas votre orgueil (Jér 36.1-26).

d. Évitez le découragement !

Hessel sait qu’on ne gagne pas la guerre d’un coup de baguette magique. La guerre se gagne d’abord sur le terrain des sentiments, des dispositions intérieures, du cœur de l’individu. Là, il faut affronter :

–  l’indifférence : «…dans ce monde il y a des choses insupportables […] La pire des attitudes est l’indifférence, dire « je n’y peux rien, je me débrouille ». » (p. 14) ;

–   le défaitisme : ce défaut pousse l’individu à croire la victoire très improbable, mais Hessel admet que sur ce point il jouit d’un avantage personnel, car la nature l’a doté d’un  « optimisme naturel, qui veut que tout ce qui est souhaitable soit possible… » (p. 13) ;
–   le désespoir : pour écarter cette tournure d’esprit, Hessel s’appuie sur J-P. Sartre (1980) : « Il faut essayer d’expliquer pourquoi le monde de maintenant, qui est horrible, n’est qu’un moment dans le long développement historique, que l’espoir a toujours été une des forces dominantes des révolutions et insurrections, et comment je ressens encore l’espoir comme ma conception de l’avenir15 . » (p. 19) Et Hessel de conclure : « Nous sommes à un seuil, entre les horreurs de la première décennie 16 et les possibilités des décennies suivantes. Mais il faut espérer, il faut toujours espérer. » (p. 21)

Les pourvoyeurs d’espoir ont depuis longtemps compris qu’ils trouveraient dans notre intarissable soif de mieux le plus puissant levier (« comme l’Espérance est violente ! » disait Apollinaire dans Le Pont Mirabeau). Source étonnante de motivation et de persévérance, l’irrationnel espoir est aussi générateur des plus grandes catastrophes humaines qui soient : les chimères du IIIe Reich sont encore dans toutes les mémoires, comme celles des « paradis » communistes. L’espoir fait vivre, et parfois mourir. Certains deviennent martyrs-terroristes par espoir, et derrière la rhétorique des marchands d’espoir se cache tout un arsenal instable17 . L’espoir est hélas capable d’une obstination qui peut aller jusqu’au déni de réalité. Sinon, comment comprendre qu’une société investisse autant d’espoirs dans des capacités dont sa propre histoire lui a amplement démontré la vanité ? Non, Monsieur Hessel, tout ce qui est souhaitable n’est pas forcément possible. Il est même préférable que certains de nos vœux ne soient jamais exaucés.

Les contemporains de Jérémie avaient la démangeaison d’écouter des visionnaires démagogues, mais trompeurs parce que passant à côté de l’Espérance véritable (cf. Jér 50.7b). Ainsi en était-il des prophètes autoproclamés Hanania ou Chemaya qui juraient la fin prochaine du joug babylonien, inspirant au peuple « une fausse confiance » (Jér 28.15 ; 29.31).

Notre génération trouverait le plus grand profit à se tourner vers Dieu. Nous sommes toujours à une croisée des chemins que Jérémie décrit ainsi : « Maudit soit l’homme qui se confie en l’être humain, qui prend la chair pour son appui, et qui écarte son cœur de l’Éternel ! Il est comme un misérable dans le désert, et il ne voit pas arriver le bonheur […] Béni soit l’homme qui se confie en l’Éternel, et dont l’Éternel est l’espérance (ou : la confiance, l’assurance) ! Il est comme un arbre planté près des eaux, et qui étend ses racines vers le courant ; il ne voit pas venir la chaleur et son feuillage reste verdoyant ; dans l’année de la sécheresse, il est sans inquiétude et il ne cesse de porter du fruit. » (Jér 17.5-8). Oh ! si les crises pouvaient ramener l’Occident déboussolé vers le Dieu Sauveur, vers l’espérance indestructible du juste règne de Jésus-Christ (cf. 1 Tim 1.1) !

e. Soyez patients et compréhensifs !

Hessel sait que celui qui veut changer le monde et qui s’indigne avec passion risque de voir son zèle basculer dans la sauvagerie. Prévoyant, il assortit donc son ordre de marche de conseils de sagesse et de modération. En voici le condensé. Cultivez donc :
–    la non-violence : « Je suis convaincu que l’avenir appartient à la non-violence, à la conciliation des cultures différentes. » (p. 19)
–    la compréhension mutuelle, la patience : « Le message d’un Mandela, d’un Martin Luther King trouve toute sa pertinence dans un monde qui a dépassé la confrontation des idéologies et le totalitarisme conquérant. C’est un message d’espoir dans la capacité des sociétés modernes à dépasser les conflits par une compréhension mutuelle et une patience vigilante. » (p. 20)
Avec Mandela et M. Luther King, nous sommes dans la droite ligne d’un Gandhi (1869-1948), d’un Jules Romains (1885-1972), d’un Lanza del Vasto (1901-1981) et de tous ceux qui prônent un avenir fondé sur le respect universel de la nature, des hommes entre eux et des différentes cultures18 . Hessel prêche une fois encore des vertus « chrétiennes » — et non des moindres. Approuvons avec lui la valeur d’un comportement empreint de retenue et de considération, de volonté d’écoute et de service mutuel.
Mais ces vertus n’auront de vie que si d’abord nous nous laissons saisir par le Prince de la vie. C’est pourquoi Jérémie, loin de préconiser des traitements palliatifs à son peuple en crise, les enjoint au nom de Dieu : « Revenez, enfants rebelles, car c’est moi votre maître ! » (Jér 3.14 ; Es 3.14 dit : « Convertissez-vous et revenez ! » Revenir et se convertir sont ici synonymes.) Le prophète ajoute un peu plus tard : « Revenez, fils rebelles, je vous guérirai de vos inconstances (ou : je pardonnerai vos infidélités) ! » (3.22) Voilà dans nos temps la priorité en matière de lutte contre les crises. Car en effet, comment manifester une patience et une compréhension mutuelle authentiques si nous ne nous sommes jamais convertis à Jésus-Christ ? Si nous ne sommes jamais venus à Dieu dans la repentance, dans la foi, et dans l’acceptation de sa souveraineté sur nos vies ? Si Dieu n’a pas fait de nous de nouvelles créatures par le don du Saint-Esprit ? La nature humaine ne peut par elle-même « dépasser les conflits » qu’elle engendre et attise sans fin.
Du reste, comment agirions-nous en vrais amis de notre prochain sans éprouver ni respect ni admiration pour l’Homme par excellence, Jésus-Christ ? Que valent notre justice et notre gentillesse si nous n’avons pas foi dans le Serviteur frappé à notre place pour nous accorder la vie éternelle, si nous ne sommes pas en communion avec lui par sa Parole et par son Esprit ?

Et si l’indignation de Dieu était salutaire ?

En parcourant en parallèle l’opuscule de Stéphane Hessel et le livre de Jérémie, nous avons désiré rappeler l’insuffisance d’une compréhension à courte vue des crises qui secouent notre monde. Nous désirons surtout souligner qu’il y a mieux que d’échapper à l’inconfort de tel ou tel coup dur de l’existence : c’est d’entendre le langage et l’appel de Dieu cachés dans notre souffrance. À l’époque de Jérémie, bien des avis s’exprimaient sur les périls du moment et leurs remèdes. Le prophète chargé de transmettre la pensée de Dieu fut rejeté par ses voisins, par sa famille, par les chefs religieux, par ses amis, par tout le peuple, par les ministres et par le roi. Son vœu le plus profond restait de voir son peuple échapper à la ruine et retrouver sa place devant Dieu. Ce vœu ne fut jamais exaucé. Sa mission lui pesait au point qu’il fut parfois terrassé par un découragement et une perplexité extrêmes. Pourtant, son témoignage ouvrait grand la porte à la repentance et à une possibilité de pleine restauration spirituelle. À travers Jérémie, Dieu plaidait pour éclairer à nouveau son peuple, pour le ramener à sa véritable vocation, pour l’arracher à ses ennemis, et pour le bénir. Dieu n’agit-il point ainsi en nos temps, puisque le message du salut, de la grâce et de la rédemption complète en Jésus-Christ est encore proclamé ?

Simultanément, « les signes des temps » ne trompent pas, ils sont graves : l’heure n’est pas aux demi-mesures spirituelles. Un peu d’indignation, un peu de morale, un peu de religiosité, un peu de tolérance, et des consensus planétaires ne suffiront pas à endiguer les débordements de méchanceté et d’impureté de notre génération. La seule « sortie de crise » sérieuse a été offerte et exposée au monde entier. Y aura-t-il encore des hommes avisés pour en profiter ? Du temps de Jérémie en tout cas, il s’en est trouvé quelques-uns19 . Serons-nous de ceux qui discernent qu’aucun message n’est comparable à l’Évangile pour libérer les cœurs de l’esclavage du mal, pour asseoir une ferme espérance et pour surmonter les crises ?

1 Indigène éditions, 34080 Montpellier France, 11e édition, janv. 2011. Hessel l’a complété depuis par deux autres opuscules : Le chemin de l’espérance (sept. 2011) et Engagez-vous (déc. 2011).
2 Le positivisme, fondé par Auguste Comte (1798-1857), évolua d’une philosophie scientiste vers une forme de religion dont la devise était : « L’Amour pour principe, l’Ordre pour base et le Progrès pour but. »
3Hessel dit avoir été un « fervent disciple du philosophe Hegel » (p. 13).
4 Plus loin S. Hessel refuse cependant de restreindre l’idée de progrès à ses composantes technologique, productiviste et consumériste. Il inclut dans le progrès une dimension morale et écologique.
5Jérémie le rappelle aussi : « Ainsi parle l’Éternel […] : C’est moi qui ai fait la terre, les hommes et les bêtes qui sont à la surface de la terre, par ma grande puissance et par mon bras étendu, et je donne la terre à qui cela me plaît. » (Jér 27.4b,5 ; cf. 32.17 ; 33.2)
6 Dieu lui-même revendique cette prérogative, aussi bien en ce qui concerne ses jugements (Jér. 11.8b ; 23.20 ; 25.13 ; 30.23,24) que ses desseins de grâce (Jér 29.10-14) L’annonce du retour d’exil est une préfiguration du salut d’Israël à la fin du « temps des nations », et une image de la rédemption des hommes perdus mais prêts à revenir à Dieu dans la repentance et la foi. Jérémie 18.1-17 résume bien les deux réalités de la sévérité et de la bonté de Dieu (cf. Rom 11.22).
7 C’est le Dieu de la Bible aussi qui est visé par cette « liste noire ». Tendance dans l’air du temps : sous prétexte de neutralité laïque, on cherche aujourd’hui à biffer toute référence à Dieu des chartes politiques (au niveau de l’Union européenne ou au niveau des nations de l’Ouest), à vider les fêtes chrétiennes de leur substance dans les écoles, dans les administrations, dans les entreprises, etc.
8 L’Illustré, 02/2012, p. 54, 56.
9; La Résistance française pendant la Seconde guerre mondiale, bien sûr
10 Le seul gouvernement« totalitaire » que Hessel dénonce avec persistance et véhémence, c’est celui d’Israël, État dont il conteste l’existence même. Étrange de la part d’un homme dont le père juif est mort victime de l’hitlérisme. Indignez-vous contient quelques pages (p. 17, 18) contre la politique israélienne à l’égard des Palestiniens. Hessel y stigmatise sans nuances l’opération militaire Plomb durci contre Gaza et le Hamas (2008-09). Il maintient ses positions jusqu’à ce jour (voir son livre Le rescapé et l’exilé, Éd. Don Quichotte, Paris, mars 2012), mais semble ignorer que R. Goldstone s’est rétracté, en avril 2011, sur le rapport accusateur qu’il avait établi pour le Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Par ailleurs, Hessel est d’ordinaire très discret sur les violations des droits de l’homme dans d’autres pays notoirement oppresseurs (Syrie), ou sur les persécutions des chrétiens en terre d’islam. Nous avons volontairement laissé de côté ces « particularités » de la pensée hessélienne pour ne pas allonger.
11 Sur plusieurs de ces points, Hessel s’accorderait avec Denis de Rougemont, un des concepteurs de la construction européenne d’après-guerre (voir L’avenir est notre affaire, Ex Libris, Lausanne et Zürich, 1977).
12 Editions Belfond, Collection Esprit Ouvert, Paris, janvier 2012.
13 Ce qu’un conseiller en gestion environnementale, Michel Stevens, appelle le « principe de responsabilité civile universelle », clé supposée de la lutte contre le réchauffement climatique (cité dans Le Temps, no 4260, 22 mars 2012).
14 Parmi tous les « moralistes » actuels qui me semblent entrer dans cette catégorie, je mentionnerai A. Comte-Sponville, grand lecteur des stoïciens et de Spinoza (voir Le bonheur désespérément, Éditions Librio, Paris 2009), et Jules Ferry, qui admet que toute philosophie est une forme de salut par soi-même, sans l’aide de Dieu (Apprendre à vivre, Paris, Plon 2006, p.90).
15 J-P. Sartre, « Maintenant l’espoir… (III) » in Le Nouvel Observateur, 24 mars 1980.
16 …du XXIe siècle.
17 A. Camus en a bien souligné la dangereuse absurdité dans L’homme révolté (NRF Gallimard, 1968, p.182-291). Camus constate que le terrorisme comme arme politique ou idéologique est en réalité une hideuse manière pour l’homme de démontrer ce dont il est capable lorsqu’il se prend pour Dieu.
18 Ce « respectdes autres » entraîne aujourd’hui l’exclusion de ceux qui s’opposent au « politiquement correct » (du moins dans nos pays dits « avancés »). Ainsi, les chrétiens qui s’indignent de l’emprise des lobbies homosexuels ou pro-avortement seront vilipendés et parfois poursuivis comme des intolérants de la pire espèce… 19
19 Parmi ceux-ci : le roi Josias ;Baruch, le secrétaire de Jérémie ; Ébed-Mélek, le chambellan éthiopien ;  Achikam, prince de Juda et quelques anciens ; Nebuzaradan, chef des gardes chaldéens ; les Récabites ; et même Nébucadnetsar (Jér 39.12,13 ; cf. Dan 2.47 ; 3.28-33 ; 4..31-34 ; 5.21. Un homme revêtu d’une grande autorité politique doit à plus forte raison  se courber sous l’Autorité divine qui le préserve de la démesure et inspire ses décisions).


Dans certaines lettres officielles, cette formule se mêle parfois aux salutations finales. Lorsque l’expéditeur est sincère, cette « considération » exprime un intérêt réel et respectueux envers le destinataire.

Dans l’Épître aux Hébreux, c’est plutôt l’auteur qui nous invite à considérer avec beaucoup d’attention, de respect et de foi le sujet principal de son message. Et l’auteur véritable, c’est Dieu. Comment nos contemporains réagiront-ils à cet appel ? Notre époque est celle de l’attention brève, du butinage de surface. En général, seuls l’intérêt immédiat et les divertissements captivent les cœurs… Mais soyons positifs : le Saint-Esprit peut réveiller les esprits.

« Considérez… » : à quatre reprises revient cet impératif dans la lettre aux Hébreux. Il correspond à quatre verbes grecs qui se complètent :

– 3.1 « Considérez… Jésus. » Le verbe original signifie (comme dans Luc 6.41) : observer soigneusement, percevoir, remarquer. Pour détecter le Jésus véritable parmi la foule des faux messies, des représentations issues de l’imagination plutôt que de la Révélation, il faut observer avec sérieux le portrait qu’en dresse le texte biblique.

– 7.4 « Considérez combien il est grand… [ce Melchisédek qui préfigure Jésus] » Le verbe original signifie : être spectateur. L’auteur de la lettre a un sujet sublime à nous exposer. Si nous aimons les spectacles grandioses, ne manquons pas celui-ci : il est à la dimension de Dieu même. Ce n’est pas de la poudre aux yeux.

– 12.3 « Considérez … celui qui a enduré de la part des pécheurs une telle opposition… » Le verbe original signifie : considérer avec attention, réfléchir. Si nous voulons nous pénétrer de l’exemple du Seigneur et comprendre ses souffrances, il s’agit de ne pas passer à la légère sur sa lutte corps et âme contre Satan et le péché. Notre capacité à persévérer dans le combat en dépend.

– 13.7 « Considérez l’issue [de la vie de ceux qui vous ont transmis l’Évangile] ». Le verbe original signifie : regarder attentivement. Le grand thème de l’épître est la suprématie de Christ, mais pour autant, il n’est pas inutile de méditer sur la vie de ceux qui ont vécu en fidèles porte-parole du divin Berger. Nous retiendrons de leur exemple qu’il est possible et désirable de croire en Christ jusqu’au bout du voyage.


« Dieu est avec moi, pour moi » : voilà une persuasion rassurante. Pour prix d’un tel appui, on s’astreindra bien à quelque discipline, à un credo, à un sacrifice occasionnel. Cette piété universelle est aussi celle des religions polythéistes. L’enjeu est alors d’amadouer les divinités, propices ou malveillantes, en vue d’une coexistence pacifique.

Le Dieu de la Bible est-il pour autant réductible à une puissance surnaturelle accommodante ? À une sorte de « contrôleur du ciel » dont la fonction se résumerait à nous piloter à distance ? À un surintendant de nos biens et de nos santés, tout dévoué à notre cause ? La vie chrétienne se résume-t-elle à un partenariat impersonnel ? Une telle conception déformerait gravement la nature, les plans et les projets de l’Éternel. Le Dieu de Jésus-Christ n’a pas besoin de mercenaires. Le Tout Suffisant ne fait pas de clientélisme.

Pourtant, il revendique bel et bien le nom d’Emmanuel, Dieu avec nous. Pour mériter ce titre, il n’a pas refusé d’assumer toutes les conséquences de notre Chute, toutes les offenses que les pécheurs révoltés ont pu commettre envers lui, toute la folie de notre race. Achevant son œuvre par sa mort à la croix et par sa résurrection, le Fils de Dieu a ouvert les portes de sa maison à ceux qui croient en lui. Adoptés comme des fils, ceux-ci sont accueillis dans la présence même du Père (Héb 10.19-22).

Peut-on dès lors tolérer que la vie chrétienne se limite à un contrat de bon voisinage avec Dieu ? Dieu cherche le cœur de l’homme, sa présence, ses affections, ses pensées. La créature régénérée par l’Esprit de Dieu est rendue capable d’aimer son Dieu, de vivre avec lui, en lui, pour lui (Éph 3.14-19). Mais cette histoire d’amour doit se construire, s’éprouver. Les pages qui suivent nous encourageront à cultiver notre intimité avec Celui qui nous appelle à la communion de son Fils et à son royaume (1 Cor 1.9 ; 1 Thes 2.12).


« Qui a cru à ce qui nous était annoncé ? » (És 53.1) ; « Nul ne cherche Dieu… » (Rom 3.11b)

Qui veut encore du salut de Dieu ?

Il y en a tant d’autres. Parce que le temps presse, le monde grouille de plans de salut : « Normal, nous sommes adultes et savons ce qui est bon… »

La planète est malade mais il est souhaitable qu’elle survive : nous la protégerons, la nettoierons, et punirons vertement les pollueurs !

Les peuples et leurs chefs se chamaillent sur une poudrière : nous négocierons, pratiquerons l’« ingérence humanitaire » ou les sanctions économiques.

Les familles et la société volent en éclats : qu’on déstructure donc, qu’on légitime l’échec et les déviances, puis retapons les ruines de bric et de broc.

La misère, les inégalités, les épidémies font des ravages : sauve qui peut, et ne nous attardons pas sur les causes profondes du mal !

L’avenir est sombre, il faut bien se divertir : buvons et mangeons, éclatons-nous, oublions…

Nous ne voulons pas vieillir ni mourir : bougeons, gesticulons, soignons-nous, et puis embaumons-nous avant l’heure…

De vagues questions métaphysiques nous effleurent sournoisement : méditons, soyons zen, tentons l’ésotérisme.

La corruption et le crime se banalisent : pourquoi ne pas s’endetter, spéculer, frauder, tricher, voler plus que les autres ?

On ne veut plus de Jésus-Christ ni de son Évangile : on va bien se contenter de champions, de stars, de Führers, de messies, et d’évangiles de pacotille. C’est l’illusion qui compte.

Mais sommes-nous réellement condamnés à ne pas nous laisser trouver par Celui qui seul est Amour, Bienveillance et Miséricorde ; Sainteté, Justice et Pureté ; Force, Génie et Beauté ; Vie, Sagesse et Lumière ; unique Dieu Éternel ? À supposer que Lui-même se porte garant de tout notre salut, temporel et éternel…


C’est en ces termes qu’en octobre 2010 un journaliste décrivait l’opération réussie du sauvetage des trente-trois mineurs chiliens bloqués depuis des mois à plus de 600 mètres sous terre. Le monde entier a assisté en direct à un exploit technologique, à une formidable démonstration de solidarité internationale, voire à un miracle, à la réponse divine aux prières en faveur des sinistrés. Que d’espoir, que de ferveur, que d’acharnement et d’habileté ont été investis pour arracher ces quelques hommes à la mort. On ne peut que s’émerveiller d’un tel dévouement — et dénouement.

Des nouvelles plus… terre à terre ont suivi cette apothéose, calmant les excès d’enthousiasme. À la surface, des réalités pénibles attendaient les héros : nuées de journalistes en mal d’exclusivités, conditions matérielles aussi précaires qu’avant l’accident, avenir professionnel compromis, et pour certains, l’obligation de répondre d’anciennes liaisons extraconjugales. L’épilogue n’est malheureusement pas à la hauteur du glorieux sauvetage.

Mais il est un sauvetage autrement paradoxal, déconsidéré par la plupart de nos contemporains ; de lui dépend pourtant la vie du corps, de l’âme et de l’esprit de chacun de nous. Dieu a daigné en faire son travail prioritaire. La portée de cette œuvre immense est actuelle et éternelle. Son aboutissement est certain, et elle n’implique aucun lendemain qui déchante. Comment peut-elle être à ce point méconnue de tant de « mortels » prêts à s’émouvoir de la résurrection provisoire de trente-trois mineurs ? Les pages de ce numéro tentent de réhabiliter le seul salut « sans comparaison dans l’histoire de l’humanité », le salut en Jésus-Christ.  

Claude-Alain Pfenniger


À QUI LE DIEU SOUVERAIN  FAIT-IL GRÂCE ?

Aujourd’hui comme par le passé, beaucoup de croyants sont entraînés dans des controverses autour de la question : « Si notre salut dépend entièrement de la souveraine volonté de Dieu, qui peut y prétendre ? Comment des êtres totalement déchus à cause de leur nature corrompue peuvent-ils entrer dans les vues de Dieu, y adhérer, et aimer un Dieu contre lequel ils sont naturellement révoltés ? » Évidemment, les réponses divergent, même si les chrétiens exaltent généralement la souveraine volonté de Dieu, et sa grâce imméritée.

Parce qu’apparemment des hommes moralement supérieurs (tel le « jeune homme riche ») se rebiffaient à l’idée de suivre Christ, les disciples eux aussi étaient troublés. Dieu refuserait-il le salut aux hommes de bonne volonté ? son amour serait-il préférentiel ? Ils demandèrent à Jésus : « Alors qui peut donc être sauvé ? » Celui-ci leur répondit : « Aux hommes cela est impossible, mais à Dieu tout est possible. » (cf. Mat 19.16-30 ; Marc 10.17-27 ; Luc 18.18-27) Que la « parabole » qui suit puisse aussi en rassurer quelques-uns.

 

Le jeune Morosus, esprit critique, inquiet, mais assez droit, rencontre par quatre fois son oncle Beatus, qui a sa petite conviction sur le sujet.

1er entretien

Morosus – Certains prétendent, mon oncle, que Dieu ne sauve que quelques individus. On surnomme ceux-ci les « élus ». J’ai l’impression que je n’en suis pas, et ça me dérange.

Beatus – Tu souhaiterais donc que Dieu s’intéresse à ta destinée éternelle ?

M. – Je n’en sais rien. Mais je ne me sens pas beaucoup de sympathie à l’égard d’un Dieu incapable d’assurer le bonheur de la majorité de ses créatures. Et s’il n’est pas indifférent à leur sort, quels sont alors ses sentiments envers elles ? Est-il fâché, ou enclin au favoritisme ?

B. – C’est vrai que les relations entre la race humaine et Dieu portent les traces d’un très ancien malheur. Car, selon le Livre de Dieu, l’histoire humaine a mal tourné lorsque nos premiers parents, traités avec tous les honneurs par leur Maître divin, lui ont grossièrement désobéi. Le Créateur les avait pourtant prévenus : la transgression entraînera votre mort. Depuis cette lointaine offense, Dieu a fermé l’accès direct à sa glorieuse présence, et tous les hommes naissent pour mourir, au terme d’une existence terrestre menacée par la peur, la douleur, l’incompréhension et la haine. Ton trouble proviendrait-il du souvenir de cette rupture ?

M. – Oui, peut-être… mais mon oncle, si le Roi divin a mis sa menace à exécution en étendant la punition à toute la descendance d’Adam et Ève, s’il s’est enveloppé d’une indignation éternelle, nous abandonnant à notre sort, pourquoi quelques-uns finiraient-ils par échapper au verdict ?

B. – Avant de te répondre, cher neveu, je te demande de considérer ceci : ta vie jusqu’à ce jour a été relativement épargnée. Il y a aussi eu des jours pleins de soleil, des fêtes et des rencontres joyeuses, de bonnes choses à goûter, de belles contrées à découvrir, tu as appris un métier ; et, le mois prochain, tu épouses Alba, la plus douce des fiancées.

M. – Que veux-tu dire par là ? Notre vie actuelle serait-elle comme un sursis accordé à des condamnés qui s’ignorent, ou pire, une illusion de succès avant la nuit éternelle ?

B. – Je te prie plutôt de reconnaître que Dieu n’a pas exterminé notre race dès ses débuts peu probants ; on dirait même qu’il s’est efforcé de la conserver malgré elle.

M. – N’aurait-t-il donc pas eu le courage de sa sévérité ?

B. – Hypothèse non recevable : au temps de Noé, il a fait disparaître toute l’humanité, sauf huit personnes. Sa colère à l’égard des méchants est une réalité terrifiante.

M. – Mais, mon oncle, si Dieu n’a pu se résoudre à nous anéantir tout à fait, et en gracie même quelques-uns, a-t-il été contraint de se renier lui-même, ou de se contredire ?

B. – Non, si Dieu était inconstant, il ne serait plus Dieu. La Bible nous laisse cependant comprendre que Dieu n’est pas seulement mû par sa volonté de justice et de vérité ; la compassion et le désir de faire du bien à ses créatures sont en lui. Il est aussi Père dans l’âme.

M. – Dans ce cas, mon oncle, et pour prévenir tout ennui, Dieu eût été bien inspiré de créer des hommes capables d’obéir au doigt et l’œil…

B. – … comme des oiseaux migrateurs, des nuages, ou des machines, en somme. Mais voudrais-tu ressembler à ceux-ci, mon neveu ?

M. – Assurément pas. Toutefois je les envie de pouvoir remplir exactement la mission pour laquelle ils ont été faits. Pas de mauvais choix, pas de regrets, pas de questions impossibles !

B. – Là, je te rejoins : remplir sa mission, atteindre le but sans détour, sont des objectifs que tout esprit sensé peut approuver, n’est-ce pas ?

M. – Oui, mais en ce qui me concerne, je ne me connais pas de mission, et quant à ma raison d’être…

B. – Nous voici au bon niveau. Je crois que je peux maintenant revenir à ta question : « Si Dieu en veut à la race humaine, pourquoi certains échappent-ils au verdict ? » La Bible entière démontre que tous les hommes sont par nature également pécheurs et privés de toute prétention à la faveur de Dieu. Nul ne saurait donc se croire le droit d’être élu sans se tromper lourdement. Mais allons, mon neveu, je sais que tu ne te fais pas assez d’illusions sur toi-même pour croire que Dieu te doive sa faveur particulière. Toutefois, tu doutes des critères, des intentions et des méthodes de Dieu. Et si je t’annonçais que Dieu, lui, croit en la possibilité de ton salut, et qu’il cherche à t’en convaincre ?

M. – Des preuves, mon oncle, des preuves.

B. – Eh bien, tu ne me caches pas ton malaise existentiel, tu t’avoues en manque de lumière, tu n’es pas satisfait de ton fragile bonheur quotidien.

M. – Je ne vois pas le rapport !

B. – Admettre sa pauvreté, son ignorance, c’est déjà la porte ouverte à une intervention extérieure. Et logiquement, pour rétablir une relation normale avec le Dieu offensé, il faut être prêt à lui laisser l’espace et l’initiative d’une réconciliation.

M. – Qui te dit que mon cas l’intéresse ?

B. – Je le prends au mot. Laisse-moi te citer son Livre : « Dieu, notre Sauveur, veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité »1  ; « [Le Seigneur] ne veut pas qu’aucun périsse, mais que tous arrivent à la repentance »2  ; et par la bouche de son prophète, il s’écrie : « Est-ce que je désire avant tout la mort du méchant ? […] N’est-ce pas qu’il se détourne de sa voie et qu’il vive ? »3 En d’autres termes, Dieu nous appelle tous, toi y compris, à passer de la condition de pécheurs perdus à celle de sauvés pardonnés.

M. – Tu cherches ainsi à me convaincre que je peux librement choisir d’entrer dans le cercle restreint des élus, et cela pour la seule raison que Dieu le désire et qu’il me suffit d’y consentir ! Ton système est séduisant, mais je ne vois pas comment je changerais de conduite au point de me comporter en saint irréprochable. Du reste, je n’ai pas même envie de ressembler à un saint, ou de me soumettre à un Dieu parfait. Tout ça me dépasse, et ne me ressemble pas. Au revoir, mon oncle, il faut que je me change les idées…

2ème entretien (trois jours plus tard)

M. – Cette fois, je tiens le problème par le bon bout ! Des amis alternatifs m’ont donné un tuyau inédit : ils m’ont conseillé de changer de « paradigme », histoire de voir les choses sous un autre angle. Il paraît que je dois laisser tomber les questions métaphysiques traditionnelles. D’après eux, le vrai salut, c’est de s’ouvrir à l’instant présent, au « cosmos » et au divin en nous. Nous sommes donc tous élus, et tous ces discours sur le péché et sur un Dieu fâché contre nous ne font que voiler la réalité de notre immense potentiel humain.

B. – Je t’ai rarement vu si enthousiaste, mon neveu. Te voilà donc comblé.

M. – Oui, mon oncle, et même soulagé.

B. – Pourtant, en grattant un peu, je discerne dans tes propos révolutionnaires un a priori bien plus âgé que le christianisme ou que les premiers textes bibliques.

M. – Sois plus clair.

B. – Ça s’appelle l’idolâtrie, ou si tu préfères, l’installation de soi sur le trône de Dieu. Tu deviens délibérément ton propre arbitre, ton propre sauveur, ta propre fin. Ce que tu ne sais pas, c’est que tous ceux qui s’enferment dans ce « culte » se constituent bourreaux d’eux-mêmes, car immanquablement l’ « orgueil précède le désastre. »4

M. – Toujours le verset à propos… Mais c’est vrai que jusqu’à ces derniers jours, je n’avais jamais vraiment réussi à positiver mon image de moi-même. Je me demande comment j’en suis arrivé à un si rapide changement. Quelque chose au fond de moi a sans doute trouvé la philosophie de mes amis rassurante, et je l’ai prise pour moi.

B. – Pour ma part, je ne m’étonne pas que tu aies vite jugé cette vision du monde très à ton goût.

M. – Là, tu m’étonnes ! Suggères-tu que j’ai choisi la voie de la facilité ?

B. – Évidemment ! La conversion par laquelle doivent passer les humains pour atteindre au salut est tout bonnement surhumaine, hors de ta portée ou de la mienne. Elle implique un changement de nature, une nouvelle naissance spirituelle. C’est ce que Jésus a expliqué à un théologien qui présumait qu’il pouvait entrer dans la sphère de Dieu par ses propres capacités, moyennant un certain respect, bien sûr. Il ressort de cet entretien que tout candidat au salut, même un spécialiste en religion, doit recevoir la vie spirituelle qui lui manque, car nous sommes par nature sourds et aveugles aux pensées de Dieu, et nous cherchons plutôt à esquiver sa justice souveraine.5 Souviens-toi : tu m’as dit que tu ne te sentais pas l’envie de devenir un saint ou de te soumettre à un Dieu parfait. Signe que ta conscience (et non mes discours uniquement !) te perturbe : elle t’avertit qu’il n’y pas de communion ni d’harmonie profonde entre ton monde et celui de Dieu, et tu ne sais comment réduire la fracture — à moins d’évacuer Dieu, si c’était possible.

M. – Hélas, mon oncle, l’harmonie avec le « cosmos », avec les autres, et avec soi-même est déjà un projet colossal, alors s’arranger avec Dieu…

B. – J’ai bon espoir pour toi. Il faut seulement que tu désespères de toi-même, et que tu donnes enfin à la notion de salut sa seule et unique dimension.

M. – J’y réfléchirai, mon oncle, car j’ai un peu peur que la découverte du divin en moi me demande plus de temps que je n’en ai encore… Et pour ce qui concerne l’harmonie avec les autres et avec le « cosmos », je redoute que mon mariage avec Alba ne soit pas la garantie d’un bonheur sans nuages : quand on voit tous ces divorces, ces crises et ces catastrophes…

3ème entretien (trois jours plus tard)

M. – Pardonne-moi, mon oncle, car je t’ai déjà beaucoup cassé les oreilles avec mes palabres. Je reconnais que ma nouvelle philosophie n’a pas de fondement plus crédible que n’importe quelle forme d’auto-persuasion. Autant se prendre pour la réincarnation de Napoléon ! Je m’en veux d’être pareillement inconsistant. J’ai parfois le sentiment d’être capable de vouloir une chose, et l’instant d’après son contraire. Je veux et je ne veux pas. Dieu me préoccupe et m’irrite. Je lui reproche de ne pas accorder d’office le salut à toutes ses créatures (mais à vrai dire, je ne suis pas au clair sur ses intentions, et de toute manière, je n’ai pas un très grand souci de « justice sociale » ou « d’égalité de traitement ») ; en même temps, je recule devant la possibilité de rejoindre les élus.

B. – Le Dieu dont je te parle a envoyé son fils pour sauver le monde6  ; plus précisément, « Christ est venu pour sauver les pécheurs »7 , car ces derniers sont perdus. Perdus pour l’éternité, mais aussi dans le temps présent : désorientés, déconnectés de la vie de Dieu, malheureux.

M. – Je ne refuserais pas que ce Dieu me donne la volonté de croire à tout cela, et la capacité de vivre selon ses désirs. Peut-être que si je pouvais me convaincre que je suis perdu, je trouverais l’élan nécessaire pour y croire.

B. – Ce n’est pas à toi de te fabriquer une sincérité, une conviction, une persuasion. Sais-tu qui était Jésus-Christ ?

M. – Le plus grand élu probablement, le Fils unique de Dieu, un homme exceptionnel, à ce qu’on raconte. Il paraît qu’il est allé sur la Croix à cause d’une erreur judiciaire, et qu’il est ressuscité.

B. – Sais-tu quelles furent ses dernières paroles avant de mourir ?

M. – Entre autres, quelque chose comme : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

B. – Il a donc appris ce que signifie se sentir rejeté, disqualifié par les hommes, momentanément privé de sa parfaite communion avec Dieu. Et quelles paroles encore ? Te souviens-tu : « Tout est accompli » ? Et si ce « tout » incluait réellement tout ce qu’il nous est impossible d’accomplir ? Réfléchis donc : si les hommes pouvaient se sauver eux-mêmes, comme le prétendent les humanistes ou tes amis alternatifs, Jésus aurait pu se contenter de rester au Ciel, et s’épargner la Croix. Mais qu’a-t-il porté en versant son sang ? Non ses propres fautes, mais nos péchés. Non ses inconséquences, mais nos trahisons lamentables. Non, sa volonté défaillante d’obéir au Père, mais la nôtre. Non son incapacité à faire l’œuvre de Dieu, mais notre impuissance à agir justement. Non son insensibilité à l’Esprit de Dieu, mais notre dureté de cœur. Non sa capitulation devant la mort, mais notre néant. Et qu’a-t-il obtenu par sa résurrection et son retour auprès du Tout-puissant ? Ô pauvre Morosus, écoute-moi : le droit d’offrir à tous les hommes le salut, la purification et le pardon acquis à ce grand prix, et de devenir leur bon Berger, leur Seigneur tout suffisant, en les conduisant jusque dans l’intimité de son Père céleste.8

M. – Si Jésus a vraiment réalisé cet exploit, comment se fait-il que si peu en profitent ? Dieu avait-il réellement besoin d’un tel sacrifice, devait-il s’infliger pareil supplice pour ne sauver que quelques-uns ?

B. – Il l’a fait pour deux raisons, mon neveu : premièrement, parce que le sauvetage d’une seule âme d’homme ne peut être opéré sans la mort expiatoire d’une victime parfaite. Ainsi en a décidé le Juge suprême ; ainsi le sacrifice a-t-il été offert par le Dieu de miséricorde. Deuxièmement, parce que Dieu aime tous les hommes : il a donné ce qu’il avait de plus cher pour qu’aucune âme ne se sente exclue de cet amour. Il a donc payé pour tous, afin que la lumière luise pour tous, que tous soient attirés à lui, et que « quiconque croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle ».9

M. – L’idée de l’amour et de la grâce Dieu, aussi réels que sa souveraine justice ou que sa force, cette idée me frappe et m’arrête, mon oncle. Il me semble que c’est exactement ce dont j’ai besoin, et en même temps, ce message me semble encore trop beau pour moi. Je crains sérieusement de ne pas être éligible, car, comme le déclarait un pasteur, il y a beaucoup d’appelés, mais peu sont élus.10

B. – Dieu donne la foi à ceux qui la lui demandent. Par le Saint-Esprit, il peut te convaincre de péché, de justice et de jugement ; plus encore, il peut aussi t’accorder un cœur nouveau qui te permettra d’appeler Dieu « Père » et de l’aimer à ton tour. Puisque tu ne peux franchement écarter l’idée de Dieu, pourquoi ne ferais-tu pas cette prière d’un homme qui voulait croire, mais pensait ne jamais pouvoir le faire avec la sincérité requise : « Je crois, Seigneur, viens au secours de mon incrédulité »11  ? Le Seigneur l’exauça.

M. – Et si je fais comme lui, qui me garantit que je saurai vivre comme un saint par la suite ? Est-ce que ma « nouvelle naissance » fera de moi un surhomme, un serviteur qui obéit toujours avec le plus parfait dévouement ? L’Esprit de Dieu me mènera-t-il de manière irrésistible par les chemins de Dieu ?

B. – Dieu promet à ses fils et à ses filles d’adoption de se charger de leur éducation : par son Esprit bien sûr, mais plus spécifiquement par sa Parole, dans la prière, par les circonstances, par d’autres croyants, par les épreuves, par les victoires — par sa victoire et sa grâce surtout. Qu’il te suffise de le croire. Mais sache que de la même manière que Dieu incline ton cœur et tes pensées vers sa solution dans l’affaire de ton salut éternel, de la même manière il dirigera tes voies et ton âme tout au long de ton voyage : Dieu sera avec toi dans la barque, mais ta confiance sera exercée, afin que tu te fortifies en lui. C’est à cela même que les hommes sont appelés et élus.12

M. – Quel privilège, mon oncle, mais quel impressionnant programme ! Ces choses me tarabustent … et je crois que j’ai besoin d’être seul pour y réfléchir.

4ème entretien (un jour plus tard)

M. – Mon oncle, j’ai craqué. J’ai compris, très tard dans la nuit, que Dieu voulait me sauver de moi-même et de la ruine éternelle. En parcourant l’Évangile que tu m’avais offert, j’ai été saisi par l’insistance de Jésus : « Venez à moi » ; « Pourquoi ne me croyez-vous pas ? » ; « Suivez-moi ! », et beaucoup d’autres appels semblables. Dieu m’a poussé à lui confesser toute ma misère, toutes mes résistances, toute mon incrédulité et mes nombreux péchés, et je l’ai fait, avec l’espérance qu’il m’entende. Aujourd’hui, j’ai une certitude inconnue jusqu’à présent : Dieu m’a pardonné et a fait de moi son enfant !

B. – C’est pour cet instant que j’ai prié, mon cher neveu. Tu as bien fait de ne pas douter de la réalité de l’amour de Dieu envers toi, malgré toutes tes réticences, et ta réponse de foi lui permet désormais de déverser sur ta vie la plénitude des promesses réservées aux élus, car, comme le dit l’Écriture, le « juste vivra par la foi ». Par la foi en Christ seul, en Dieu seul. Pour fêter ce recommencement, je t’appellerai désormais Optimus.

M. – Va pour Optimus ! Et moi je vais de ce pas en informer mon Alba bien-aimée.

 

  1. 1 Tim 2.3b,4
  2. 2 Pi 3.9b
  3. 3 Ez 18.23
  4. Prov 16.18
  5. Jean 3.3-12
  6. Jean 3.17
  7. 1 Tim 1.15
  8. Col 1.13,14,21,22
  9. Jean 3.16
  10. Mat 22.14
  11. Marc 9.24
  12. Eph 1.3-14

LE MONDE EST-IL ENCORE SOUS CONTRÔLE ?

.Claude-Alain Pfenniger.

Claude-Alain Pfenniger est membre de la rédaction de Promesses

La question est de plus en plus d’actualité. Mais il y a bien longtemps que les hommes cherchent à se rassurer.

Dans ce but, les uns ont choisi l’enquête scientifique. Leurs investigations aboutissent généralement à la conclusion que le monde naturel est régi par des lois stables. Les variations passagères, les catastrophes, les phénomènes affligeants (la souffrance, la maladie, la mort) ou les « dégâts collatéraux » de l’activité humaine (pollution, destruction de l’équilibre écologique), ne peuvent empêcher l’ordre de prévaloir. La démarche de ces chercheurs ne les amène pas forcément à admettre Dieu : beaucoup se satisfont de constater que notre univers obéit à une logique immuable et impersonnelle.

D’autres choisissent l’approche historique : observant la famille humaine, ils découvrent qu’il y est surtout question de ruptures, de conflits, de surgissement et d’anéantissement de civilisations. Les fléaux sont récurrents : corruption, exploitation, misère, inégalités criantes, violence, crises, révolutions. Malgré les conquêtes de la science, malgré des réalisations sociales ou techniques étonnantes, l’impression globale est chaotique. D’où leur malaise : mais qui donc gouverne le monde des hommes ? qui mène le jeu ? Les hommes eux-mêmes, un Dieu à la logique incompréhensible, des forces destructrices, le diable ?

Enfin les esprits post-modernes : las de balancer entre les deux positions résumées ci-dessus, ils s’orientent souvent vers l’irrationnel, vers le messianisme mystique du Nouvel-Âge, ou sombrent dans le cynisme.

Et si nous cherchions à savoir ce que dit la Bible sur la souveraineté de Dieu ? La vision d’ensemble la plus cohérente et la plus rassurante ne se trouverait-elle pas plus sûrement auprès de l’ultime Connaisseur de ce mystère ?


Jacques, dans son Épître, s’adresse à des chrétiens d’origine juive dispersés dans l’Empire romain (1.1). Une grande distance le sépare de la majorité d’entre eux. Il n’en connaît personnellement qu’une partie. Il se fait visiblement du souci à cause des problèmes qui se manifestent parmi ces croyants : querelles, immoralité, matérialisme, désobéissance à la Parole de Dieu, discrimination envers les frères de condition modeste, dureté de cœur, avarice, présomption, etc. Il a des choses sévères et solennelles à leur communiquer. Peut-être même sent-il son esprit s’irriter à cause de tous les manquements dont sont capables ses coreligionnaires. Et pourtant…

Un détail ne devrait pas manquer de frapper tout lecteur attentif. Plus que tout autre auteur des Épîtres du Nouveau Testament, Jacques s’adresse à ses destinataires sur le ton du cœur à cœur le plus ardent. À quinze reprises il emploie l’expression « frères » ; dans neuf cas, il complète par l’adjectif possessif, « mes frères » ; dans trois autres cas, il dit même « mes frères bien-aimés ». Par comparaison, l’apôtre Paul, dans toutes ses Épîtres, ne dit « mes frères » que deux fois, et « (mes) frères bien-aimés » que trois fois.

Ce détail nous révèle beaucoup sur l’attitude de « Jacques, serviteur de Dieu et du Seigneur Jésus-Christ » (1.1). Animé par l’amour de Dieu et de ses frères dans la foi, l’apôtre fait entendre sans détour ses inquiétudes, ses reproches, ses cris d’alarme. Mais à aucun instant il ne s’élève au-dessus de ses frères ; il agit comme si ces croyants lointains, si peu conséquents, étaient embarqués avec lui sur un navire dont le salut dépendait de tout l’équipage, dont lui-même fait partie. Puissions-nous aujourd’hui nous inclure dans cette fraternité, et ne pas douter qu’à travers les exhortations de Jacques, c’est Dieu lui-même qui cherche à faire de tous ses enfants bien-aimés des croyants matures, heureux dans leur marche chrétienne (1.25), prêts pour le retour du Seigneur (5.7,8).


Chronique de livre

Ce commentaire de l’Épître de Jacques est une traduction (version originale : Be mature, Cook Communications Ministries, 4050 Lee Vance View, Colorado Springs, USA, 1978) parue aux éditions BLF Europe, Rue de Maubeuge, 59164 Marpent, France, 2006. L’ouvrage fait partie de la collection « Soyez » qui s’efforce de couvrir tout le Nouveau Testament, chaque commentaire portant un titre analogue. Par exemple : Soyez épanouis – Colossiens ; Soyez justes – Romains ; Soyez sages – 1 Corinthiens, etc. Warren W. Wiersbe est un pasteur, professeur, auteur et conférencier de renommée internationale.

a) Le motif

Warren W. Wiersbe nous dévoile d’entrée de jeu le motif profond de son livre :
« Si nous vieillissons tous, nous ne grandissons pas tous en maturité. Il existe une grande différence entre l’âge et la maturité. Dans l’idéal, nous devrions grandir spirituellement à mesure que nous avançons en âge. Mais trop souvent, la réalité est différente. Les problèmes qui résultent de l’immaturité se retrouvent dans notre vie personnelle, familiale et d’église. Comme pasteur, je constate qu’elle est à l’origine de la majorité des problèmes. Si les chrétiens croissaient normalement, ils pourraient devenir des vainqueurs plutôt que des victimes. » (Préface, p. 7)

b) Le but de l’Épître L’Épître

de Jacques s’attaque à cette anomalie. Le mot « parfait », plusieurs fois utilisé dans cette lettre, doit cependant être bien compris. S’appliquant à l’état idéal du croyant (« afin que vous soyez parfaits et accomplis, et qu’il ne vous manque rien », 1.4b ; cf. Héb 6.1), ce terme n’indique pas une sorte d’infaillibilité permanente réservée à une élite : « Quand [Jacques] parle d’un homme parfait, il ne parle pas d’un homme sans péché, mais d’un homme adulte, mature et équilibré. » (p. 15)

c) Démarche générale

Se conformant à la démarche de Jacques, Warren Wiersbe prend soin, avant d’entrer dans le vif des problèmes pratiques, éthiques ou relationnels, de rappeler qu’il est primordial de se souvenir d’où proviennent nos ressources : de Dieu (1.5,17,18) et de sa Parole révélée (1.22-25). C’est là que résident la force et le courage d’agir. Au chrétien qui sait qu’il manque de maturité, mais désire croître spirituellement, l’auteur rappelle en effet dès les premières pages l’importance d’user du « miroir » de la Parole de Dieu, et de la pratiquer avec persévérance. C’est la Parole qui doit nous sert de jauge, non la comparaison avec d’autres croyants (p. 20).

Ceci étant posé, Warren Wiersbe excelle à nous rendre désirable la pleine bénédiction découlant de l’obéissance à la Parole, et de la dépendance du « Père des lumières » (1.17). L’auteur parvient à nous persuader qu’une vie spirituelle en progrès est possible pour tous, qu’elle est belle et hautement désirable (alors que le diable cherche toujours à nous convaincre du contraire), et que se soumettre à Dieu, c’est faire fuir l’ennemi, pour voir Dieu s’approcher de nous et pour goûter au vrai contentement (cf. 4.6-10).

d) Plan et méthode

Warren Wiersbe s’attache à décrire, dans divers domaines de notre existence, ce que maturité veut dire. Voici comment il énumère les principales caractéristiques du croyant mature (p. 16) . En parallèle, dans la colonne de droite, nous indiquons les titres des chapitres du commentaire correspondant à cette liste.

Le croyant mature…
I. est patient dans l’épreuve (chapitre 1)
1.Difficultés extérieures : 1.1-12
2. Tentations intérieures : 1.13-27
Ch. 1 Il est temps de grandir
Ch. 2 Transformer les épreuves en triomphes
Ch. 3 Comment faire face à la tentation
Ch. 4 Cessez de vous faire des illusions
II. met en pratique la vérité (chapitre 2)
1. La foi et l’amour : 2.1-13
2. La foi et les œuvres : 2.14-26
Ch. 5 L’homme riche et l’homme pauvre
Ch. 6 Fausse foi Ch.
III. contrôle sa langue (chapitre 3)
1. Exhortation : 3.1-2
2. Illustration : 3.3-12 (Six métaphores sur la langue)
3. Application : 3.13-18
Ch. 7 Un fauteur de trouble si petit…
Ch. 8 Où trouver la sagesse
IV. sème la paix et non la discorde (chapitre 4)
1. Trois guerres : 4.1-3
2. Trois ennemis : 4.4 -7
3. Trois avertissements : 4.8-17
Ch. 9 Comment mettre fin aux querelles
Ch. 10 Soyez prévoyants
V. prie dans les difficultés (chapitre 5)
1. Difficultés financières : 5.1-9
2. Difficultés physiques : 5.10-16
3. Difficultés nationales : 5.17-18
4. Difficultés dans l’église : 5.19-20
Ch. 11 Des paroles qui valent leur pesant d’or
Ch. 12 La puissance de la patience
Ch. 13 Prions

e) Style

Le style dynamique de Wiersbe reste toujours accessible et concret. À l’instar de Jacques lui-même, dont la langue abonde en images, l’auteur sait assaisonner ses commentaires d’illustrations et d’exemples qui font mouche. Quelques échantillons :

Illustrations tirées de la Bible ?

à propos de la soumission de notre volonté (p. 28) :

Dieu ne peut travailler en nous sans notre consentement. Nous devons lui soumettre notre volonté. Les personnes matures ne s’opposent pas à la volonté de Dieu mais l’acceptent volontiers et y obéissent avec joie. Elles « font de (toute) leur âme la volonté de Dieu » (Éph 6.6). Si nous tentons de surmonter les épreuves sans soumettre notre volonté, nous serons, au bout du compte, plus semblables à des enfants immatures qu’à des adultes matures. À ce sujet. Jonas est un bon exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Dieu a ordonné à Jonas de prêcher la repentance aux païens de Ninive, et il a refusé. Dieu a dû réprimander Jonas pour que le prophète accepte la mission qu’il lui avait confiée. Mais il n’a pas obéi de tout son cœur. II n’est pas sorti grandi de cette expérience. Comment le savons-nous ? Parce qu’au dernier chapitre du livre de Jonas, le prophète réagit comme un enfant gâté ! II est assis à l’extérieur de la ville à bouder en espérant que Dieu enverra son jugement. II est impatient envers le soleil, le vent, le ricin, le ver et même envers Dieu.

Illustrations tirées de l’expérience pastorale ?

à propos du combat contre la tentation (p. 39) :

La vie chrétienne est une question de volonté et non d’émotions. J’entends souvent des croyants dire : « Je n’ai pas envie de lire la Bible », ou encore : « Je n’éprouve pas l’envie d’aller à la réunion de prière. » Les enfants agissent selon leurs désirs, les adultes en fonction de leur volonté. Ils agissent en fonction de ce qui est bien, peu importe s’ils en ont envie ou non. Cela explique pourquoi les croyants immatures cèdent facilement à la tentation : ils laissent leurs émotions décider pour eux. Plus vous exercerez votre volonté à dire « non » à la tentation, plus Dieu sera au contrôle de votre vie : « Car c’est Dieu qui opère en vous le vouloir et le faire selon son dessein bienveillant. » (Phil 2.13) ?

à propos de la langue (p. 85) :

Un ami pasteur m’a parlé d’une dame de son église qui avait une solide réputation en matière de commérage. Elle passait la journée accrochée au téléphone à raconter les derniers ragots à qui voulait l’entendre. Elle est allée voir le pasteur un jour pour lui dire : « Pasteur, le Seigneur m’a montré que le commérage était un péché dans ma vie. Ma langue me cause des ennuis ainsi qu’aux autres. » Mon ami savait qu’elle n’était pas sincère parce que ce n’était pas la première fois qu’elle lui disait ce genre de chose. Prudemment, il lui demanda : « Alors, que comptez-vous faire ? » Elle lui répondit très pieusement : « Je veux déposer ma langue sur l’autel. » Mon ami lui dit alors, très calmement : « Il n’existe pas d’autel assez grand », et la laissa réfléchir là-dessus.

Illustrations de type anecdotique

à propos de ce qui inspire nos paroles (p. 95) :

J’ai entendu parler d’un homme qui se disait croyant. Un jour il s’est mis en colère au travail et a lâché quelques jurons. Mal à l’aise, il s’est tourné vers son collègue et lui a dit : « Je ne sais pas ce qui m’a pris, ça ne me ressemble pas ! » Avec sagesse, son partenaire a répondu : « Ça te ressemble sûrement, sinon ça ne serait pas sorti de toi !

à propos des riches et de leurs abus de pouvoir (p. 138) :

Bien souvent, les riches détiennent aussi le pouvoir politique et sont en mesure d’obtenir ce qu’ils veulent. Dans une bande dessinée, j’ai lu un jour ceci : « Quelle est la règle d’or ? », demandait l’un des personnages. Et l’autre de lui répondre : « Celui qui a l’or décide des règles ! » Jacques a demandé : « Les riches ne vous oppriment-ils pas et ne vous traînent-ils pas devant les tribunaux ? » (2.6) Mentionnons encore une qualité de l’ouvrage. Warren Wiersbe ne se fixe pas uniquement sur l’Épître de Jacques, mais il circule largement dans l’Écriture tout entière, citant très à propos des textes qui appuient ses commentaires.

f) Annexes

L’ouvrage se termine par des questions d’étude, chapitre par chapitre, et par une traduction complète de l’Épître (Version Parole vivante).

g) Réserves

L’interprétation de quelques termes peut prêter à discussion, mais ce sont des accidents isolés. Par exemple, nous avons de la peine à suivre Warren Wiersbe lorsqu’il traduit, en Jac 3.17, par « résolu » ce que Second avait rendu par « sans partialité » : le terme original (ad?????t??) veut pourtant bien dire « sans parti pris, impartial ».

Quelques affirmations sont excessives. Par exemple, à propos des « œuvres de la chair » (Gal.5.19) : « Ce sont [les œuvres] accomplies par les gens qui ne sont pas sauvés et qui vivent pour l’ancienne nature. » On doit rappeler ici qu’il arrive malheureusement aux croyants de « marcher selon la chair », et que les épîtres du N.T. sont partiellement nées de la nécessité de lutter contre ce triste état.

D’autres passages sont parfois un peu réducteurs. Par exemple, à propos de la tentation : « Une tentation est l’occasion d’accomplir une bonne chose par un mauvais moyen, en désaccord avec la volonté de Dieu. » (p. 36) Ne peut-on pas aussi être tenté d’accomplir des choses mauvaises par pure méchanceté, des choses perverses par pure perversité, des choses folles par pure folie

En bref

Malgré les quelques remarques ci-dessus, l’ensemble de l’ouvrage vaut largement son acquisition. Son étude est de nature à remettre en selle tout croyant bloqué dans son évolution spirituelle, mais désireux de ne se priver d’aucune occasion d’atteindre le but que le Seigneur ambitionne pour lui.