PROMESSES

« Mais si quelqu’un possède les biens du monde, voit son frère dans le besoin et lui ferme ses entrailles, comment l’amour de Dieu demeure-t-il en lui ? Petits enfants, n’aimons pas en paroles et avec la langue, mais en action et avec vérité. »
1 Jean 3.17-18

Dans ces deux versets, Jean présente le thème de l’amour qu’il a introduit peu avant (3.10) et qu’il développera dans la suite (4.1-12). Le verset précédent (v. 16) donne en exemple le Seigneur Jésus. « Donner sa vie pour ses frères » (v. 16) a le sens de considérer les intérêts des autres plutôt que le sien. Il est clair que, au sens littéral, nous aurons rarement l’occasion de mourir pour quelqu’un. C’est pourquoi Jean parle ensuite de l’expression pratique de l’amour par ceux qui possèdent des biens et qui viennent en aide à ceux qui n’ont rien. Donner sa vie signifie alors « donner de ses biens ».

Ces deux versets parlent de l’application pratique de l’amour et de sa conclusion logique : le véritable amour (v. 17) consiste à assister le nécessiteux (v. 18). Telle est la preuve de l’amour selon Dieu. Reprenons plusieurs expressions de ces versets pour les détailler.

« Mais »

Jean montre par un exemple typique ce que ne doit pas être la conduite d’un vrai croyant qui, n’étant pas dans le besoin, ignore celui qui est réellement dans le besoin. Le mot traduit par « mais » marque le contraste frappant entre deux attitudes :

– d’une part, le dévouement poussé jusqu’à l’extrême (v. 16),

– d’autre part, une sécheresse de cœur indigne même d’un homme du monde !

« Quelqu’un »

Le pronom indéfini, joint à l’emploi du subjonctif grec, suggère une situation qui peut généralement arriver.

« Les biens du monde »

L’expression grecque (ton bion tou kosmou) signifie littéralement « les moyens d’existence de ce monde ». Elle désigne les aspects extérieurs de la vie, comme la nourriture, le vêtement, l’argent, qui aident à maintenir la vie. C’est l’ensemble des moyens de vie, mais cela ne sous-entend pas forcément de grandes possessions (cf. Marc 12. 44).

« Vois son frère dans le besoin »

Le verbe utilisé, thêorê, suggère plus qu’un simple coup d’œil ! Jean ne semble pas faire allusion à un regard indifférent, qui n’enregistre rien dans l’esprit de celui qui observe. Il parle ici d’un regard avisé, qui permet de bien saisir la situation de l’autre. C’est également une des caractéristiques de Jésus-Christ, notre Maître : les besoins des hommes exerçaient sur lui une attraction irrésistible. Il convient de noter qu’il n’est pas question des frères en général, mais d’un frère en particulier qui se trouve dans le besoin. Les besoins peuvent être matériels et corporels tout comme moraux et spirituels : le pauvre est celui qui n’a pas de maison ou d’argent, mais aussi celui qui est seul, qui manque d’affection, etc.

« Il lui ferme ses entrailles »

L’expression signifie qu’il ne manifeste pas de la miséricorde envers lui. Le mot grec rendu par « entrailles » désignait pour les Grecs le siège des émotions, et le siège de la miséricorde pour les Juifs (cf. Gen 43.30). Ici, comme souvent ailleurs dans le N.T., ce mot exprime la compassion. Il suggère un profond intérêt émotionnel ou une chaleureuse sympathie, une miséricorde active. Jean fait allusion à celui qui se figure qu’il lui coûterait trop cher d’aider son frère et qui décide de lui « fermer ses entrailles ».

La question que pose Jean engendre la réaction suivante : une telle personne n’a pas l’amour de Dieu en lui. Il convient ici de relever une ambiguïté, peut-être intentionnelle, de l’auteur. En effet, l’expression « l’amour de Dieu » peut se comprendre en grec de plusieurs façons :

– D’abord, l’amour qui vient de Dieu. Il s’agit d’une réelle expérience de l’amour divin, et qui doit se manifester à son tour envers les autres.

– Ensuite, il peut s’agir de l’amour pour Dieu. Un véritable amour pour le Seigneur doit également s’exprimer dans un amour concret pour les enfants de Dieu.

– Finalement, le troisième sens peut être celui de l’amour comme celui de Dieu.

Partant de la comparaison faite avec Christ (cf. v. 16), il pourrait être question d’un amour comme celui de Dieu. Dans le passage parallèle de 1 Jean 4. 20, le principe est encore plus explicite : Jean parle clairement de l’amour du croyant pour Dieu, ce qui cadre bien avec la deuxième possibilité. Ces divers sens se complètent plus qu’ils ne s’excluent. En tous les cas, celui qui n’aime pas son frère d’une manière pratique ne connaît rien de l’amour de Dieu. En effet, le fidèle en qui l’amour de Dieu demeure, aime son prochain, car c’est un feu qui réchauffe l’être tout entier et consume ce qui risquerait de s’y opposer.

Finissons par le verset 18. Jean utilise une fois de plus une expression d’amour dans sa relation avec ses lecteurs, qu’il appelle teknia (« petits enfants »). Il les convie à manifester leur amour d’une manière concrète : « Petits enfants, n’aimons pas en paroles ni avec la langue ». Il faut un acte, et pas seulement des expressions de sympathie. Comme le précise Jacques, « si un frère ou une sœur sont nus et manquent de la nourriture de chaque jour, et que l’un d’entre vous leur dise : Allez en paix, chauffez-vous et rassasiez-vous ! Et que vous ne leur donniez pas ce qui est nécessaire au corps, à quoi cela sert-il ? » (Jac 2. 15-16)

La vérité (fin du verset) refuse que l’amour reste superficiel. L’amour ne doit pas se contenter d’une simple apparence mais être ancré dans la réalité. Tel est l’amour qui répond à l’amour de Dieu manifesté en Christ. Le véritable test de l’amour n’est pas la profession verbale qu’on peut en faire.

Ainsi, l’idée principale du verset 17 est l’action qui s’impose. Jean condamne celui qui ferme ses entrailles à son frère nécessiteux, mais approuve l’attitude de celui qui agit comme le fit le bon Samaritain qui fut ému de compassion en voyant le voyageur blessé (Luc 10.33).


L’auteur, marié et père de deux enfants, a été professeur à l’Institut Supérieur Théologique de Bunia (ISTB), en République Démocratique du Congo (RDC). Actuellement il poursuit ses études de maîtrise en théologie à la NEGST (Faculté de théologie évangélique, Nairobi Evangelical Graduate School of Theology). Il est aussi traducteur des COHETA News, forum par courrier électronique pour un échange périodique de nouvelles, d’informations et de ressources issues de la COHETA (Conseil pour l’Homologation des Etablissements Théologiques en Afrique), des institutions en liaison avec cette dernière ainsi que des écoles théologiques, des organismes de soutien et des personnes intéressées. Son siège est à Jos (Nigeria). La COHETA est une agence de la commission chargée de la formation théologique et chrétienne de l’AEA (Association des Évangéliques en Afrique).

INTRODUCTION

Le pardon est un vaste sujet. Il comprend beaucoup d’aspects, entre autres : le pardon divin, le pardon humain, le pardon accordé par une communauté telle qu’une église. Dans la présente réflexion, je voudrais considérer le pardon humain, c’est-à-dire le pardon mutuel entre les hommes. Pourtant, la notion du pardon ne peut pas être valablement discutée si elle est abordée comme un concept abstrait. Ainsi, le contexte du pardon qui fait l’objet de ma réflexion est celui de la République Démocratique du Congo (RDC), mon pays d’origine, qui fait face à de sérieux problèmes dus aux multiples révolutions armées et guerres civiles. L’Ituri, une région située au nord-est du pays, n’y fait pas exception. Les gens vivent leur vie quotidienne avec les conséquences alarmantes de l’engrenage : les champs, les maisons, les écoles, les bâtiments des églises et hôpitaux sont, soit détruits, soit pillés, soit incendiés. Bien plus, il y a eu de terribles pertes en vies humaines. La société aussi bien que l’Église, croyants et incroyants, sont négativement affectés à tel point qu’ils trouvent très difficile de se pardonner les uns aux autres. Il est très curieux de constater que la plupart de ceux qui ont de la peine à pardonner sont des chrétiens. Pourquoi une telle attitude parmi les chrétiens ? Comment l’Eglise peut-elle, à travers son programme d’éducation, ouvrir à ses membres l’opportunité d’une nouvelle vie de qualité, les libérant ainsi de leur tendance à vouloir se justifier devant Dieu et devant les hommes ? Le pardon peut-il guérir nos éventuelles plaies et nous aider à rétablir nos relations avec les autres? Une vie de pardon a-t-elle vraiment le pouvoir de transformer notre culture et notre société? Que pouvons-nous faire pour augmenter notre capacité de pardonner ?

Telles sont les quelques questions autour desquelles s’articule cette réflexion. J’ai groupé les pistes de réflexion en cinq points. Le premier considère l’exigence du pardon mutuel, le second analyse la nature du pardon, le troisième traite quelques conceptions erronées du pardon, le quatrième esquisse les fondements du pardon mutuel, et le cinquième concerne l’enseignement biblique sur le pardon et son implication sur l’Église du Christ et la communauté de l’Ituri.

EXIGENCE DU PARDON

Comme précédemment mentionné, il est très curieux de constater que la plupart de ceux qui ont de la peine à pardonner sont des chrétiens. Ils justifient une telle attitude en prétendant qu’il y a une condition sine qua non et fondamentale préalablement exigée par le pardon divin ! Ils se réfèrent à Luc 17.3-4 : « … Si ton frère a péché, reprends-le ; et s’il se repent, pardonne-lui. Et s’il a péché contre toi sept fois dans un jour, et que sept fois il revienne à toi, disant: ‘Je me repens’, tu lui pardonneras. » Ainsi, ils avancent que le pardon de Dieu est conditionnel ; il est conditionné par la repentance. Ce qui revient à dire que ceux qui nous offensent doivent tout d’abord regretter leurs fautes et ainsi demander pardon. L’Archidiacre Temple fait allusion à un tel argument presque populaire quand il déclare : « Il est souvent dit que la doctrine de notre Seigneur est celle du pardon gratuit avec la seule condition de la repentance… »1

Cette exigence semble être en accord avec les principes éthiques. Ainsi, vu qu’il existe une condition fondamentale et préalable au pardon de Dieu, l’opinion populaire est que ceux qui nous ont offensés doivent obligatoirement regretter le tort qu’ils commettent contre leurs victimes, se repentir et ainsi demander pardon.

NATURE DU PARDON

Huit mots dans les Écritures saintes contiennent l’idée du pardon. Trois d’entre eux se retrouvent dans l’Ancien Testament (kipper, nasa et salah), et cinq dans le Nouveau Testament (aphesis, hilaskomai, apoluô, kaluptô, charizomai). Il convient de mentionner ici que, pour les termes de l’Ancien Testament, nasa est utilisé pour le pardon divin et le pardon humain, alors que kipper et salah se réfèrent uniquement au pardon divin.2

S’agissant de ceux du Nouveau Testament, aphesis est le plus commun. Il revient quinze fois et est généralement rendu par ‘pardon’. Le verbe, avec le même sens, est très commun : il revient quarante fois. Charizomai est seulement employé par Luc (Luc 7.21 ; Act 3.14, etc.) et par Paul. Ce dernier seulement l’emploie dans le sens de ‘pardon des péchés’ (cf. 2 Cor 2.7 ; Eph 4.32 ; Col 2.13; 3.13). L’idée de base pour tous les deux est celle du pardon gracieux de Dieu. Dans la pensée de Paul, le mot exprime essentiellement l’idée selon laquelle Dieu nous pardonne gratuitement toutes choses (cf. Rom 8.32). C’est dans ce contexte que Grider affirme qu’aucun livre religieux, excepté la Bible, enseigne que Dieu pardonne le péché complètement. 3 De tout ceci que pouvons-nous alors retenir du concept de« pardon » dans le sens biblique du mot ?

Par « pardon » nous comprenons le fait d’accorder l’amour à celui qui nous a offensé. Il est un don d’amour gratuit, une grâce. C’est une libération sans caution ; celui qui pardonne renonce à ses droits et refuse la vengeance. Il offre l’amour quand l’ennemi s’attend à la haine, il ne tient pas rigueur des fautes passées. Le pardon restaure le présent, nous guérit pour l’avenir et nous libère du passé.4 Ainsi qu’on peut le constater, le pardon est un processus, un processus dont le premier pas consiste à abandonner la vengeance contre quelqu’un ou contre un groupe de personnes. L’expérience de Marion Partington est très pertinente et tombe bien à propos ici. Marion Partington avait une sœur qui s’appelait Lucy Partington. Cette dernière a été lâchement assassinée par la famille West en décembre 1973.5 Racontant ce douloureux événement, Marion dit : « Je pense que ce que je suis en train d’apprendre sur le pardon est qu’il est un long processus ; et il est prétentieux et hypocrite pour moi de penser que je peux pardonner à la famille West avant que je ne puisse accepter dans ma propre vie les gens qui me doivent le pardon ainsi que ceux-là à qui je dois le pardon.»6

Il découle de ce qui précède que le pardon est une expérience, une expérience dynamique. Rachel Henderlite la décrit comme « l’expérience d’être enlevé d’un état à un autre. »7

QUELQUES CONCEPTIONS ERRONÉES DU PARDON

1. Pardonner à quelqu’un ne veut pas dire que l’offense dont on est victime n’a pas d’importance ; d’autant plus que, dans la perspective divine, le péché reste péché – qu’il soit grand ou petit.
2. Le pardon n’est pas synonyme d’oubli. Pardonner ne garantit pas la capacité d’oublier complètement. En fait, il est difficile de pardonner à quelqu’un quand on se souvient en son cœur du tort dont on est victime. Il est possible de revivre l’événement, soit éveillé soit en rêve.
3. Pardonner à quelqu’un ne veut pas dire que l’offenseur a changé d’attitude, ni qu’on peut tout de suite se fier à lui. Cela peut prendre assez de temps avant que l’on soit prêt à lui faire pleinement confiance.
4. Le pardon n’exclut pas la justice. La Bible parle de la responsabilité des criminels vis-à-vis de leurs fautes (Rom 13.3-4).

FONDEMENTS POUR LE PARDON MUTUEL

En fait, beaucoup de chrétiens ne sont pas disposés à pardonner à leurs offenseurs. Pourtant, il y a bien des raisons pour pardonner.

1. Raison relationnelle. Dans le but de restaurer sa relation avec Dieu et la fraternité, le chrétien devrait logiquement démontrer l’expression de sa disponibilité à offrir le pardon à quiconque en a besoin. Ainsi, il devrait se libérer de sa colère contre son offenseur en vue de rétablir sa relation avec Dieu aussi bien qu’avec ses semblables (Marc 11.25 ; Mat 6.12).
2. Raison curative. Si nous ne pardonnons pas à notre prochain, nous permettons à l’amertume de croître dans notre cœur, ce qui portera atteinte à notre santé, nous fera souffrir mentalement (cf. Héb 12.15).
3. Raison spirituelle. Jésus est un exemple parfait à suivre. Il a porté les péchés de l’humanité sur la croix, pardonnant à ceux qui le tuaient. Notre refus d’accorder le pardon à nos offenseurs prouverait que nous n’avons pas encore compris la signification de la mort de Jésus sur la croix (Mat 8.1-35). En tant que chrétiens, nous devrions clairement faire preuve de la magnanimité du pardon de Dieu, eu égard à nos péchés et aux blessures causées par les guerres incessantes, et considérant l’immensité de notre dette devant Dieu, dette que nous ne pouvons même pas payer par nous-mêmes. Temple a bien raison quand il déclare:
« A Lui [Dieu] nous devons chaque moment de notre temps et chaque gramme de notre force… Il pardonne gratuitement, à moins que nous bloquions son pardon par notre propre refus de pardonner les blessures relativement insignifiantes que nos semblables peuvent commettre contre nous ».8
4. Raison d’obéissance. Nous sommes appelés à pardonner aux autres par obéissance à la Parole de Dieu. C’est Dieu qui le recommande (Mat 6.14-15 ; Jac 2.13). Autrement nous donnerions à Satan accès à notre cœur (cf. Eph 4.26-27).
5. Raison héréditaire. Si nous refusons de pardonner aux autres, nous transmettons à la génération future un héritage de vengeance ethnique. C’est-à-dire que nous apprenons à nos enfants, parfois sans le savoir et sans le vouloir, à haïr un autre groupe de personnes. Le danger est que ce comportement se prolonge sans répit pendant des générations.9

ENSEIGNEMENT BIBLIQUE SUR LE PARDON ET LA NÉCESSITÉ D’UNE THÉOLOGIE DU PARDON POUR L’ÉGLISE ET LA COMMUNAUTÉ

L’idée du pardon est centrale dans le message chrétien. Je suis d’accord avec H. D. McDonald quand il estime qu’aucun autre thème ne résume mieux le contenu et l’étendue de l’Évangile que celui du pardon.10 Il ajoute même que le christianisme peut être désigné « l’évangile du pardon ».11 Les Écritures révèlent que le pardon de Dieu est conditionnel, dans la mesure où Dieu pardonne à ceux qui se repentent. Jésus abonde aussi dans le même sens (cf. Luc 17.2-3 : « S’il se repent, pardonne-lui »). L. Gregory Jones révèle que selon la tradition chrétienne, Jésus avait pris la vision hébraïque du pardon et l’avait poussée d’un pas. Il avait proposé une culture radicale, laquelle ne serait pas limitée par des frontières éthniques, religieuses ou politiques, une culture dans laquelle nos relations avec les autres devraient être définies et ajustées par notre reconnaissance continuelle de l’amour de Dieu qui pardonne chacun de nous et le monde entier.12

En principe, avant que nous offrions le pardon à nos offenseurs, nous devrions attendre d’eux leur bonne volonté et disponibilité à venir auprès de nous pour demander pardon. Mais alors que faire si l’offenseur ne vient pas vers nous ? Que faire s’il ne se repent pas ?

En tant que chrétiens, nous devrions être prêts à aller au-delà même du principe éthique biblique explicite. Nous sommes appelés à pardonner inconditionnellement13. Ce qui revient à dire que nous sommes appelés à pardonner même à ceux qui ne reconnaissent pas et ne regrettent pas leurs fautes. Nous sommes appelés à pardonner qu’importe le prix à payer. En offrant le pardon à nos offenseurs, nous devons être prêts à subir les humiliations, moqueries, insultes et dédains dont nous pouvons être objets de la part des autres. Tel est exactement ce que Dieu attend de nous, et exactement ce que Jésus sous-entend dans son enseignement sur le pardon. Bien qu’un tel message ne ressorte pas explicitement dans les Écritures Saintes, voilà implicitement ce que Dieu nous enseigne.

Il est très impérieux pour l’Eglise en Ituri de façonner une théologie orthodoxe du pardon mutuel, une théologie nécessaire et pour l’Eglise et pour la communauté toute entière. Le développement d’une telle théologie s’avère nécessaire pour au moins deux raisons: tout d’abord, elle nous aidera à bien gérer le conflit politique et/ou ethnique persistant, qui a ses sources dans le passé; deuxièmement elle nous aidera à prévoir l’avenir et à changer notre perspective pour le futur.

Le fait que nous soyons chrétiens devrait nous donner le pouvoir et la capacité de pardonner aux autres, ayant nous-mêmes fait l’expérience du pardon de Dieu. Ceci nous permettrait de nous approcher de Jésus et de lui demander de guérir les blessures de notre cœur. Ayant expérimenté la guérison et ayant reçu le pouvoir de l’Esprit, nous devrions sentir le désir naturel d’offrir le pardon inconditionnel aux autres. Nous devrions tout de même nous rappeler constamment les conséquences néfastes de notre refus d’accorder le pardon à nos semblables, conséquences sur notre santé physique et mentale (Héb 12.15), conséquences vis-à-vis de Dieu (Marc. 11.25 ; Mt 6.12). Pardonner à quelqu’un non seulement nous libère de l’amertume qui peut croître dans notre cœur, mais peut constituer un moyen utile que Dieu peut utiliser dans son processus pour conduire cette personne à se repentir (Act 7.60 ; 8.1).

CONCLUSION

La compréhension la plus générale et commune de la nature du pardon, telle que rencontrée ces derniers temps dans la tradition chrétienne en Ituri – après une longue période de violences de toutes sortes – est la suivante: pas de pardon sans repentance. En effet, les discussions qui font rage dans l’Eglise chrétienne tournent sur cette question : faut-il pardonner aux gens avant que ceux-ci se repentent ? Il me semble que cet esprit de réticence découle de l’emphase et de l’importance primordiale que l’on accorde à la justice. Pourtant, on oublie la vérité selon laquelle le pardon est avant tout possible à cause de la mort de Jésus-Christ. La Bible nous demande de pardonner à ceux qui nous ont fait du tort. Ceci inclut tous les faits de guerre et autres souffrances infligées dont nous sommes victimes. Je crois que si nous devons suivre l’exemple de notre Seigneur Jésus-Christ, nous devons offrir le pardon sans condition. Bien entendu, la personne ayant commis le tort ne pourra pas à vrai dire expérimenter ledit pardon à moins qu’elle reconnaisse sa faute. Le pardon n’est possible qu’à cause de l’œuvre infinie de Jésus-Christ. Par là donc, en tant que disciples et imitateurs de Christ, étant nous-mêmes ceux qui ont un standard plus élevé dans le monde, nous sommes tous conviés à nous dépouiller, à nous humilier, à nous dépasser, et ainsi à adhérer à l’école du pardon horizontal, c’est-à-dire à pardonner aux individus, aux autorités politico-militaires et administratives entraînées dans des situations politiques injustes, lesquelles nous ont affectés personnellement ou collectivement.

1Temple, cité par E. Basil, The Forgiveness of Sins, Edinburgh, T & T Clark, 1937, p. xi.
2J.K. Grider, « Forgiveness » in Evangelical Dictionary of Theology, édité par Walter A. Elwell, Grand Rapids, Michigan, Baker Book House, 1984, p.421.
3Ibid.
4Fédération Protestante d’Haïti, Urgence et exigence de la réconciliation, Port-au-Prince, Haïti, 1994, p.29.
5David Self, “Enfolding the Dark” in Forgiveness and Truth: Explorations in Contemporary Theology, édité par Alistair McFadyen et Marcel Sarot, Edinburgh: T & T Clark, 2001, p.157.
6Marion Partington, citée par Self, p.159.
7Rachel Henderlite, Forgiveness and Hope, Richmond, Virginia, John Knox Press, 1961, p. 74.
8Temple, cité par E. Basil, The Forgiveness of Sins. Edinburgh, T & T Clark, 1937, p. xi.
9Richard W. Baggé et al., L’Eglise qui guérit au milieu des traumatismes, s.l., Wycliffe Bible Translators, 2003 rév., p.30.
10H.D. McDonald, Forgiveness and Atonement, Grand Rapids, Michigan : Baker House, 1984, p.7.
11Ibid.
12L. Gregory Jones, cité par Michael E. McCullough, Steven J. Sandage, Everrett L. Worthington, Jr., To Forgive Is Human, Downers Grove, Illinois, Inter-Varsity Press, 1997, p.16.
13N.d.l.r.: Les deux articles Pardonnez-vous réciproquement comme Dieu vous a pardonné en Christ de Philippe Juston et À l’école du pardon mutuel d’Isaac Mbabazi Kahwa sont complémentaires. Une lecture superficielle pourrait donner au premier abord l’impression qu’ils sont contradictoires. C’est loin d’être le cas.
Le premier présente le pardon humain à l’image du pardon divin. La justice de Dieu doit être satisfaite. Christ est mort pour pardonner les pécheurs et celui qui s’approche de Dieu doit saisir le Seigneur Jésus-Christ par la foi et premièrement confesser ses péchés pour saisir la réalité du pardon.
Le second article affirme d’abord la doctrine de la repentance et du pardon, à l’instar du premier auteur de l’article ; mais, ayant vécu les événements à Bunia du conflit ethnique au Congo, il souligne surtout l’aspect de notre pardon inconditionnel envers celui qui nous a offensé. C’est un enseignement implicite dans les Écritures que Jésus a mis en pratique et que les apôtres ont poursuivi.
En conclusion, le pardon gratuit en vertu de la mort de Jésus-Christ pour nos péchés et nos offenses par la foi, nous libère aussi de l’amertume, des ressentiments envers l’offenseur, si nous confessons tout cela au Seigneur, et nous rend capables de l’aimer et de lui pardonner dans notre cœur, même s’il ne vient pas vers nous pour se repentir. Notre devoir est « d’aimer notre prochain comme nous-mêmes » (Mat 22.37-40).
Quant à l’offenseur, il répondra lui-même de ses actes devant Dieu un jour. Peut-être saisira-t-il aussi un jour la grâce de Dieu offerte au même titre qu’à nous !
D’autre part, il incombe aux autorités qui sont instituées par Dieu – quel que soit le régime (l’Épître aux Romains avait été écrite par Paul sous le règne du cruel empereur Néron) – de maintenir l’ordre, protéger les faibles et punir celui qui fait le mal (Rom 13.1-4) ; à ce titre, c’est à ces autorités d’apprécier la responsabilité de celui qui a commis un crime. Toutefois, c’est Dieu qui jugera tout homme en dernier lieu.
Le pardon vu donc sous ses divers aspects inclut la repentance et la discipline et finalement le jugement. L’Église en tant que « lumière du monde » et « sel de la terre » appliquera donc le pardon mutuel, ou le « pardon horizontal » sur la base du pardon « vertical » offert par Jésus-Christ crucifié à tous et accordé à quiconque croit en lui et confesse ses péchés. (H. Lüscher)


L’auteur, marié et père de deux enfants, a été professeur à l’Institut Supérieur Théologique de Bunia, en République Démocratique du Congo. Il a dû fuir avec sa famille les combats inter-ethniques meurtriers qui font rage dans la région. Nous lui sommes reconnaissants pour ce message de paix et de réconciliation que l’Eglise du Christ doit proclamer et vivre au sein d’un monde en quête de paix.

Ces dernières années, les conflits dans le monde connaissent une flambée vertigineuse. Presque chaque continent est touché, et l’Afrique plus que les autres : nos pays doivent faire face à de sérieux problèmes dus aux multiples révolutions armées et guerres civiles. L’Ituri, une région située au nord-est de la République Démocratique du Congo, n’y fait pas exception. Les causes de ces conflits sont diverses, entre autres, ethniques.

Ces conflits ont des conséquences dramatiques et laissent des blessures qui font logiquement souffrir, provoquant la colère, la rancune, voire même la vengeance. Chacun cherche à faire soi-même justice. La situation que nous vivons en Ituri actuellement est telle que si une personne tue son prochain, les membres de famille de la victime cherchent alors à se venger en tuant deux personnes de la famille du meurtrier. Il est même arrivé que les habitants d’un village incendient un village appartenant aux gens d’une tribu rivale, et que pour se venger, les habitants du village sinistré incendient à leur tour plus d’un village.

L’engrenage est facile à constater. Le Docteur Fred Beam dit à ce propos : « Il ne faut pas être extraordinaire pour constater que les gens nous font du mal. C’est ce mal qui est rappelé et qui sert de germe pour la guerre et le conflit. On considère que le mal qu’on nous fait justifie nos actes de représailles. » 1

Le conflit ethnique constitue l’une des réalités africaines, et ses conséquences sont très alarmantes : la société aussi bien que l’Eglise, croyants et incroyants, sont tous négativement affectés. Quelle réponse chrétienne pertinente donner face à un tel défi ? Dans ma réflexion, je poursuis trois buts :

o faire comprendre l’étendue et les enjeux des conflits auxquels nous devons faire face ;
o montrer que ces conflits, loin d’honorer Dieu, empêchent toute forme de progrès ;
o exhorter les chrétiens à devenir actifs dans la recherche d’une solution durable plutôt que d’être pessimistes et passifs.

I. LE CONFLIT ETHNIQUE

La vie quotidienne engendre de nombreuses tensions entre individus ou groupes de personnes. Lorsque celles-ci ne sont pas acceptées, gérées et réglées, elles peuvent dégénérer en conflits violents. Certains de ces conflits sont d’ordre ethnique ou tribal.

Lorsqu’il y a conflit, la volonté de Dieu est que l’homme se repente et qu’il y ait la paix (Héb 12.14). Le seul moyen efficace pour rétablir la paix parmi les hommes reste la réconciliation. C’est dans ce contexte que Packer déclare : « L’âme humaine a été créée de sorte qu’elle ne peut trouver satisfaction et repos dans les seules choses matérielles et tangibles. Sans la réconciliation avec Dieu, sans harmonie avec le plan divin, l’homme ne peut acquérir la joie du salut et la paix avec Dieu et les hommes » 4.

Dieu veut nous confier le ministère de la réconciliation. Il fait de nous les ambassadeurs de Christ, qui supplient les hommes en tous lieux d’être réconciliés avec lui (2 Cor. 5.18). Dieu n’aime pas les conflits qui divisent la société, et encore moins ceux qui divisent la communauté chrétienne.

II. UNE REPONSE CHRETIENNE AU CONFLIT ETHNIQUE

« Vous êtes le sel de la terre … », dit le Seigneur (Mat 5.13). Une question primordiale s’impose : quel rôle l’Eglise est-elle en train de jouer pour la reconstruction des murs écroulés de l’Afrique ?

Le défi africain est plus spirituel qu’ethnique, politique ou économique. La situation de l’Afrique présente à l’Eglise en Afrique, comme à l’étranger, un défi et une opportunité. Ainsi, il est temps que l’Eglise y réponde, et d’une manière décisive, de peur que l’ennemi ne continue à gagner du terrain. Nous sommes appelés à présenter au peuple africain tout le conseil de Dieu : un message de réconciliation, d’humilité, de pardon, d’amour.

1. Un Message de réconciliation

Par « réconciliation » nous comprenons l’action de rétablir accord, harmonie et amitié entre deux personnes brouillées. Bref, c’est le retour à l’état premier, au point de départ.5

La mission principale de Jésus-Christ dans le monde était une œuvre de réconciliation avec Dieu. De même, nous devrions viser la réconciliation des perdus avec leur Sauveur, car c’est là le fondement de la stabilité aux divers échelons de la société. La Parole de Dieu est claire à ce sujet ; elle déclare : « Mieux vaut un morceau de pain sec, avec la paix, qu’une maison pleine de viandes, avec des querelles ».6 Jésus a dit : « Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu ».7

La réconciliation constitue le message central de l’Evangile de Jésus-Christ. L’apôtre Paul déclare : « Car si, lorsque nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils, à plus forte raison, étant réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie ! »8. C’est seulement sous la croix de Jésus-Christ que les Hemas peuvent être réconciliés avec les Lendus, les Lendus avec les Biras, les Nyaris avec les Lendus, les Hundes avec les Banyamulenges9, les Tutsis avec les Hutus, etc.

Voilà la tâche que le Seigneur nous a donnée. On s’en décharge trop facilement sur les autorités ou sur les organisations séculières. Aussi longtemps que l’Eglise de Christ ne s’applique pas à chercher la paix, chaque membre s’y engageant en particulier, l’unité de l’Esprit sera difficile à démontrer. Celui qui veut la paix cherchera comment apaiser toute sensibilité blessée et tout sentiment ulcéré10. Le peuple de Dieu n’a pas besoin d’être blessé. Jésus a déjà été blessé pour lui.

2. Un message d’humilité

C’est par manque d’humilité que de nombreux problèmes surgissent dans nos sociétés et se transforment en conflits. Or, la Bible nous invite à l’humilité. En Rom 12.16 nous lisons : « Ayez les mêmes sentiments les uns envers les autres. N’aspirez pas à ce qui est élevé, mais laissez-vous attirer par ce qui est humble… ».

Il n’y a point d’amour qui n’ait pour racine l’humilité. Paul dit aux Ephésiens : « Je vous exhorte donc … à marcher d’une manière digne de la vocation qui vous a été adressée, en toute humilité et douceur, avec patience, vous supportant les uns les autres avec amour ».11 Cette même exhortation est donnée aux Philippiens (cf. Phil 2.1-11).

Ainsi, nous voyons combien l’humilité nous fera supporter les faiblesses les uns et des autres. Elle conduit les chrétiens à la repentance et à l’amour. Elle empêche les disputes et la vaine gloire. L’humilité nous aide à vivre ensemble, sans être divisés. Quelle excellente réponse au conflit ethnique !

3. Un message de pardon

Le « pardon » est le fait d’accorder l’amour à celui qui nous a offensé. Il est un don d’amour gratuit, une grâce. C’est une libération sans caution : celui qui pardonne renonce à ses droits et refuse la vengeance. Il offre l’amour quand l’ennemi s’attend à la haine, il ne tient pas rigueur des fautes passées. Le pardon restaure le présent, nous guérit pour l’avenir et nous libère du passé.12

D’une part, nous sommes dans l’obligation de demander sincèrement pardon à celui que nous avons offensé. D’autre part, nous devons d’accorder le pardon à notre frère, selon l’ordonnance du Seigneur en Marc 11.25 : « Et, lorsque vous êtes debout faisant votre prière, si vous avez quelque chose contre quelqu’un, pardonnez, afin que votre Père qui est dans les cieux vous pardonne aussi vos offenses. » Une attitude de pardon est essentielle pour que notre prière soit efficace (Matt 6.12).

Lorsque Pierre demande à Jésus : « Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère, lorsqu’il péchera contre moi ? Sera-ce jusqu’à sept fois ? » Jésus réplique : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois »13. Ceci implique qu’aucune limite ne devrait être fixée dans le pardon. Dieu qui pardonne nos offenses ne tient pas compte de nombre de nos fautes : autant de fautes, autant de pardons. Paul reprend une exhortation de ce genre aux chrétiens d’Ephèse (Eph 4.32). Voilà encore une réponse pertinente face au défi des conflits ethniques.

4. Un message d’amour

L’amour est la base de toute entreprise de réconciliation. L’amour de Dieu n’est pas limité à quelques-uns, mais ce précieux don est offert au monde entier (Jean. 3.16). Nos sociétés et nos églises africaines actuelles sont en proie aux conflits ethniques à cause d’un amour orienté vers certains groupes au détriment d’autres groupes. Un tel amour est à proscrire, car il n’est pas de Dieu.

L’amour chrétien consiste à donner sa vie pour l’autre plutôt que de la lui enlever (1 Jean 3.16). Un tel amour est patient et n’entretient aucune pensée vengeresse, même lorsqu’il est maltraité. Il fait preuve de retenue, de maîtrise de soi face à la provocation.

III. CONCLUSION

Le continent africain doit faire face à de nombreux problèmes, dont celui du conflit ethnique. Or, ces défis entravent le progrès, il est donc temps de nous ‘lever et de bâtir’. En tant qu’ambassadeurs de Christ, nous sommes appelés à défendre la cause de son gouvernement : nous sommes appelés à transmettre fidèlement et dans toute sa richesse l’Evangile de notre Maître.

Dans un monde comme celui-ci, déchiré par les conflits, nous sommes conviés à proclamer un message de paix, de réconciliation, de pardon, d’humilité et d’amour manifestés en Jésus-Christ, le Prince de la Paix. La division, le tribalisme, la haine, les conflits n’ont pas de place dans le témoignage chrétien. C’est ainsi que l’Eglise aura joué son rôle fondamental : celui de transformer le monde. Elle aura réellement été le sel de la terre et la lumièredu monde.

Face à ce défi, que l’Eglise ne se laisse pas distraire ; qu’elle ne fléchisse pas, laissant l’avantage à Satan. Gloire à Dieu car nous n’ignorons pas ses desseins !

1 Fred Beam, "Combien coûte l’emprisonnement?" in Servir (Alexendra Park, Bristol, Angleterre: AIM International, Mars Avril 2001).
2 J.F. Collange, L’Intolérance et le droit de l’autre (Genève: Labor et Fides, 1992), p.75.
3 Jacques & Claire Poujol, Les Conflits : Origine, évolutions, dépassement(La Bégude de Mazenc, France: éd. Empreinte, 1989), p.13.
4 J.I. Packer, La Volonté de Dieu (Paris: éd. La Voix de l’Evangile, s.d.), p.17.
5 Fédération Protestante d’Haïti, Urgence et exigence de la réconciliation(Port-au-Prince, Haïti, 1994), pp.22-23.
6 Prov. 17.1, cp. 15.17.
7 Matt 5.9.
8 Rom 5.10.
9 Les Hemas, les Lendus, les Nyaris, les Hundes, les Banyamulenges sont des ethnies que l’on retrouve au nord-est de la République Démocratique du Congo.
10 E.A. Nida, Coutumes et cultures anthropologiques pour mission chrétienne (Neuchatel : éd de Groupes Missionnaires, 1978), p.101.
11 Éph 4.1-2.
12 F.P.H., Urgence et exigence de la réconciliation, p.29.
13 Mt. 18.21-22.


La République Démocratique du Congo (RDC) connaît la guerre civile depuis 1998. Les armées étrangères (Ouganda, Rwanda et Burundi) sont alors entrées à l’Est du Congo pour essayer de renverser feu le président Laurent-Désiré Kabila. Leur tentative de renversement du pouvoir a échoué. Dans l’Est du pays (la région occupée par les opposants à Kabila), d’autres petites rébellions se sont encore manifestées, se dressant les unes contre les autres, bien que toutes sous le patronage des armées soit ougandaise (dans la région de l’Ituri), soit de la coalition burundo-rwandaise (dans la région du Nord-Kivu et Sud-Kivu). En Ituri, cette crise politique a fait renaître le conflit ethnique entre les Lendus (tribu majoritaire formée essentiellement de cultivateurs) et les Hemas (tribu minoritaire formée essentiellement d’éleveurs). Ma famille appartient à la tribu Hema.

Bref, la situation était empoisonnée. Ce désordre politique a fait beaucoup de victimes, surtout entre les Hemas et les Lendus. De part et d’autre, les pertes en vies humaines et en dégâts matériels furent incalculables.

La situation a atteint son paroxysme le 6 mars 2003, quand des bandes sont entrées dans la ville de Bunia. Cette incursion tourna vite en chasse à l’homme, et beaucoup de gens sont morts ce jour-là. Avec ma famille, nous avons échappé de justesse, tandis que d’autres étaient tués, et que des maisons et magasins étaient systématiquement pillés et brûlés. La maison que nous habitions a été littéralement pillée et saccagée. Tout a été détruit ou emporté, y compris mes livres et des copies de Promesses. Je n’ai conservé que quelques livres de mon bureau à l’ISTB2.

Heureusement, juste un jour avant le drame, j’avais réussi à évacuer ma famille et nous avions trouvé refuge ailleurs. J’avais pu emporter mes diplômes, ma Bible, et quelques petites affaires. Mais surtout, nous avions eu la vie sauve.

J’ai appris ultérieurement que les assaillants étaient venus plusieurs fois me chercher par mon nom à mon ancien domicile. Ils voulaient tout simplement me tuer ainsi que toute ma famille.

Ils avaient sérieusement menacé mon voisin croyant, l’accusant de me cacher! Mais grâce à Dieu, sa vie fut épargnée. Quand je repense au mal que les hommes se sont fait les uns aux autres lors de ces journées, les larmes me coulent des yeux d’elles-mêmes, sans que j’en aie tout de suite conscience. Mais Dieu est grand, et je le loue du fond de mon cœur car sa bonté est manifeste dans la mesure où quand le trouble vient, Il est le refuge, et Il connaît ceux qui se confient en Lui (Nah 1.7).

Mais ce 6 mars, alors que les balles retentissaient çà et là, et que les assaillants entraient dans les maisons, nous avions déjà quitté cet endroit avec ma famille pour chercher un nouveau refuge. Avec la famille d’un étudiant, nous avons passé là trois semaines, toujours dans la crainte d’attaques éventuelles ou d’enlèvement.

Notre secrétaire de direction, ainsi que sa mère, furent lâchement assassinées après le pillage de leur maison dans l’enceinte de la propriété de l’ISTB. Avant de m’enfuir de mon nouveau refuge, j’avais suspendu ma jaquette contre un mur. Curieusement quelques balles furent tirées dans ma chambre, détruisant la jaquette en question. Je me suis souvent imaginé que notre sœur en Christ et sa mère étaient mortes pour que j’aie la vie sauve, mais Dieu ne m’a jamais confirmé cette hypothèse.

Comme la situation continuait à empirer, nous avons jugé utile de nous réfugier à Kampala. Dieu nous ouvrit le chemin le 21 mars 2003. C’était le seul salut pour les rescapés Hemas de cette époque.

Malgré la profondeur du traumatisme que nous avions vécu, nous avons toujours prié que Dieu nous ouvre les portes pour continuer les études. A vrai dire, je n’étais pas sûr que ce serait la même année. Eh ! bien, Dieu nous a surpris ! Voilà qu’il vient de nous ouvrir les portes de la NEGST3. Il faut reconnaître que le défi matériel est là, car nous ne bénéficions pas de bourses pour étudier ici ! Mais jusqu’à ce jour, la grâce de Dieu a pourvu !

En dépit de la tragédie que ma famille a traversée, nous louons Dieu, car c’est lui seul qui nous aide à évacuer tout ressentiment et toute amertume à l’égard de quiconque. C’est l’affaire du Seigneur, lui qui a dit: "A Moi la justice, à Moi la rétribution". Il saura au temps opportun agir comme Il l’entend selon sa volonté divine.

Nous avons passé à Limuru deux jours de retraite spirituelle bien nécessaire, Jeannette et moi4. Nous essayons d’aider nos enfants à oublier tout ce passé amer, mais nous sommes étreints quelques fois, lorsque les enfants en font mention dans leurs prières pour la situation à Bunia et spécialement pour les membres de nos familles et amis qui y sont restés.

1 L’auteur a été professeur à l’Institut Supérieur Théologique de Bunia, en République Démocratique du Congo. Il est marié à Jeanette. Ils on deux filles, Grâce et Georgine. Voir son article dans ce numéro Une réponse chrétienne aux conflits ethniques.
2 L’Instutut Supérieur Théologique de Bunia.


VIE CHRÉTIENNE

L’auteur de l’article, de nationalité congolaise, est marié et père de deux filles. Il est professeur à temps plein à l’Institut Supérieur Théologique de Bunia, en République Démocratique du Congo. Il est aussi Ancien d’une église évangélique à Bunia. Il est auteur de plusieurs exposés théologiques et animateur d’émissions évangéliques de deux radios locales.

«Mais si quelqu’un possède les biens du monde, voit son frère dans le besoin et lui ferme ses entrailles, comment l’amour de Dieu demeure-t-il en lui? Petits enfants, n’aimons pas en paroles ni de langue, mais en action et avec vérité» (1 Jean 3. 17, 18). Dans ces deux versets, Jean poursuit le thème de l’amour qu’il a introduit peu avant (3. 10) et qu’il développera dans la suite (4. 1-12). Le verset précédent (v. 16) donne l’exemple du Seigneur Jésus. «Donner sa vie pour ses frères» (v. 16) a le sens de voir les intérêts des autres plutôt que le sien propre. Il est clair que, au sens littéral, nous aurons rarement l’occasion de donner notre vie, de mourir, pour un autre… C’est pourquoi Jean parle ensuite de l’expression pratique de l’amour par ceux qui ont des biens et qui viennent en aide à ceux qui n’en ont pas. Donner sa vie dans ce sens signifie «donner de ses biens».

Les deux versets que nous allons étudier nous parlent de l’application pratique de l’amour et de sa conclusion logique: le véritable amour (v. 17) consiste à assister le nécessiteux (v. 18). Telle est la preuve de l’amour selon Dieu. Reprenons plusieurs expressions de ces versets pour les détailler.

«Mais»: Jean montre par un exemple typique ce que ne doit pas être la conduite d’un vrai croyant qui, n’étant pas dans le besoin, prive celui qui est réellement dans le besoin. Le mot traduit par «mais» marque le contraste frappant entre deux attitudes:
– d’une part, le dévouement poussé jusqu’à l’extrême (v. 16);
– d’autre part, une sécheresse de cœur indigne même d’un homme du monde!

«Quelqu’un» : ce pronom indéfini, joint à l’emploi du subjonctif, suggère une situation qui peut éventuellement arriver.

«Les biens du monde» 1 désignent les aspects extérieurs de la vie, comme la nourriture, le vêtement, l’argent, qui aident à maintenir la vie. C’est l’ensemble des moyens de vie, mais cela ne sous-entend pas forcément de grandes possessions (cf. Marc 12. 44).

«Dans le besoin» : le verbe utilisé2 suggère plus qu’un simple coup d’œil! Jean ne semble pas faire allusion à un regard indifférent, qui n’enregistre rien dans l’esprit de celui qui observe. Il parle ici d’un regard clairvoyant, qui permet de bien saisir quelle est la situation de l’autre. C’est également une des caractéristiques de Jésus- Christ, notre Maître: les besoins des hommes exerçaient sur Lui une attraction irrésistible. Il convient de noter qu’il n’est pas question des frères en général, mais «d’un frère en particulier qui se trouve dans le besoin».

Les besoins peuvent être matériels et corporels, tout comme moraux et spirituels: le pauvre est celui qui n’a pas de maison ou d’argent, mais aussi celui qui est seul, qui manque d’affection, etc.

«Il ne manifeste pas de la miséricorde envers lui» (littéralement: «il lui ferme ses entrailles»). Le mot grec rendu par «entrailles»3 désignait pour les Grecs le siège des émotions, et le siège de la miséricorde pour les Juifs (cf. Gen 43. 30). Ici, comme souvent ailleurs dans le N.T., ce mot exprime la compassion; il suggère un profond intérêt émotionnel ou une chaleureuse sympathie, une miséricorde active. Jean fait allusion à celui qui se figure qu’il lui coûterait trop cher d’aider son frère et qui décide de lui «fermer ses entrailles»4.

La question que pose Jean engendre la réponse: une telle personne n’a pas l’amour de Dieu en lui. Il convient ici de relever une ambiguïté, peut-être intentionnelle, de l’auteur. En effet, l’expression «l’amour de Dieu»5 peut se comprendre de plusieurs façons:

‚ D’abord, l’amour qui vient de Dieu. Il s’agit d’une réelle expérience de l’amour qui vient de Dieu, amour qui doit se manifester à son tour par celui exprimé envers les autres.
‚ Ensuite, il y a l’amour pour Dieu. Un véritable amour pour le Seigneur doit également s’exprimer dans un amour concret pour les enfants de Dieu.
‚ Finalement, le troisième sens peut être: l’amour comme celui de Dieu.

Partant de la comparaison faite avec Christ (cf. v. 16), il pourrait être question d’un amour comme celui de Dieu. En 1 Jean 4. 20, passage parallèle à celui- ci, où le principe est encore exprimé plus explicitement, Jean parle clairement de l’amour du croyant pour Dieu, ce qui cadre bien avec la deuxième possibilité, pour laquelle d’ailleurs j’opterais. D’ailleurs, ces divers sens se complètent plus qu’ils ne s’excluent. En tous les cas, celui qui n’aime pas son frère d’une manière pratique ne connaît rien de l’amour de Dieu. Effectivement, le fidèle en qui l’amour de Dieu demeure, aime son prochain, car c’est un feu qui réchauffe l’être tout entier et consume ce qui risquerait de s’y opposer…

On en vient alors au v. 18. Finalement, avec encore une expression de son amour et de sa relation avec ses lecteurs, qu’il appelle «teknia» («petits enfants»), Jean les convie à manifester leur amour d’une manière concrète : «Petits enfants, n’aimons pas en par oles ni de langue» 6. Il faut un acte, et pas seulement des expressions de sympathie, comme le précise Jacques: «Si un frèr e ou une sœur sont n us et manquent de la nour riture de chaque jour , et que l’un d’entr e vous leur dise: Allez en paix, chauf fez-vous et rassasiez-vous! et que v ous ne leur donniez pas ce qui est nécessaire au corps, à quoi cela sert-il?» (Jac 2. 15,16) Aussi la vérité (à la fin du verset) veut-elle que l’amour ne reste pas superficiel, ne se contente pas d’une simple apparence, mais qu’il soit un amour réel, un amour qui répond à l’amour de Dieu manifesté en Christ. Le véritable test de l’amour n’est pas la profession verbale qu’on peut en faire: «ni de langue» montre que cette exhortation est nécessaire.

Ainsi, l’idée principale du verset 17 est l’action qui s’impose. Il condamne donc celui qui ferme ses entrailles à son frère nécessiteux, et il approuve par contre l’attitude de celui qui agit, à l’image du bon Samaritain qui, voyant le voyageur blessé, fut ému de compassion (Luc 10. 33).

Plus largement, dans ce chapitre, l’apôtre appuie son argumentation par une série de contrastes:
• Diable – haine – tue – manifeste la mort éternelle – montré dans le cas de Caïn.
• Dieu – amour – se sacrifie – manifeste la vie éternelle – montre l’exemple de Christ.

Il oppose ainsi la vérité au mensonge, c’est-à-dire la réalité à l’apparence.

Nous venons de parler de la preuve du véritable amour. L’apôtre Jean nous affirme la nature de celui qui peut manifester un tel amour: un véritable enfant de Dieu, c’est-à-dire celui en qui l’amour de Dieu demeure. Deux questions s’imposent:
– A qui manifester cet amour? Assurément en priorité au nécessiteux, c’està- dire à celui qui est réellement dans le besoin.
– Comment le manifester? En pratique et non en théorie.

Sommes-nous vraiment enfants de Dieu, dignes de ce nom? Faisons-nous réellement preuve de cet amour dont parle Jean dans le passage ci-dessus? Combien de fois l’avons-nous montré à l’égard des frères en difficulté? Et d’autre part, sommes-nous réellement «nécessiteux » pour mériter un tel amour fraternel et pratique?

Notes :
1 L’expression grecque («ton bion tou kosmou»), signifie littéralement «les moyens d’existence de ce monde» pour dire tout simplement «les biens de ce monde».
2 «thêorê», dont l’infinitif veut dire «voir», est ici au subjonctif.
3 «ta splagchna», seul emploi de ce mot dans les écrits de l’apôtre Jean. Dans le N.T., ce mot se retrouve une fois au sens littéral (Act. 1. 18) et 9 autres fois au sens figuré (Luc 1. 78; 2 Cor. 6. 12; 7. 1; Phil. 1. 8 ; 2. 1; Col. 3. 12; Phm 7, 12, 20).
4 Littéralement de «fermer ses entrailles contre lui».
5 «hê agapê tou theou».
6 La combinaison «pas de paroles… ni de langue», est une figure de rhétorique appelée «hendiadys», laquelle souligne la stérilité d’un amour qui s’exprime par des paroles seulement, sans une réalisation concrète face aux besoins.