PROMESSES
Le mot français « apologie» vient du grec apologia qui signifie « justification, défense ». L’apologétique chrétienne est la discipline dont le rôle est de défendre la foi chrétienne. Son but premier est de gagner à Christ des opposants, et non de remporter une joute verbale (cf. 1 Pi 3.15). Elle peut aussi soutenir et fortifier la foi des croyants (cf. Luc 7.22). Ces deux buts peuvent être atteints de deux façons différentes :
• en réfutant les objections élevées contre le christianisme (l’apologétique défensive ou négative),
• et en donnant des arguments qui viennent étayer la vision chrétienne du monde (l’apologétique offensive ou positive).
1. Les fondements bibliques de l’apologétique
La Parole de Dieu exhorte à être prêt à réfuter les contradicteurs (Tite 1.9), à les corriger avec douceur pour qu’ils parviennent à la connaissance de la vérité (2 Tim 2.24-25). L’Écriture encourage les croyants à être prêts à donner raison de leur espérance avec douceur et respect, en ayant bonne conscience (1 Pi 3.15).
Sur un plan plus concret, Dieu lui-même, au travers de la bouche de son prophète Ésaïe, suit une démarche apologétique : il s’appuie sur le fait qu’il annonce à l’avance ce qui va se réaliser pour démontrer qu’il est le seul vrai Dieu et que les idoles ne sont rien (És 45.21).
Jésus aussi fait œuvre d’apologète lorsqu’il affirme que ses œuvres témoignent qu’il est envoyé du Père (Jean 5.36), quand il invite à croire en lui à cause des œuvres qu’il accomplit (Jean 10.37-38) ou lorsqu’il reproche à ses disciples de ne pas croire ce qu’ont dit les prophètes, et leur montre comment les prophéties se sont réalisées en lui (Luc 24.25-27).
Les auteurs bibliques agissent aussi à diverses reprises en apologètes :
• L’évangéliste Luc affirme avoir vérifié avec soin ses sources, afin que le destinataire de son écrit puisse avoir la certitude des enseignements qu’il a reçus (Luc 1.3-4).
• L’apôtre Jean rapporte dans son Évangile les miracles de Jésus, pour qu’on croie qu’il est le Christ et qu’on ait la vie éternelle (Jean 20.30-31) ; dans sa première Épître, il cherche à montrer que son témoignage est fiable, en soulignant qu’il est un témoin direct de ce qu’il rapporte (1 Jean 1.1-3).
• L’apôtre Paul démontre d’après les Écritures que Jésus devait ressusciter (Act 17.2-3), et cherche à persuader ses auditeurs de ce qui concerne le royaume de Dieu ou Jésus (Act 19.8 ; 28.23).
Il défendait l’évangile (Phil 1.7,16) et cherchait à démolir les raisonnements qui s’élevaient contre la connaissance de Dieu, afin d’amener toute pensée captive à l’obéissance de Christ (2 Cor 10.4-5).
• Pierre affirme qu’il n’affabule pas, mais qu’il s’exprime en tant que témoin oculaire et auditif (2 Pi 1.16-18).
Le message du salut en Jésus-Christ s’adresse à tous les hommes, et c’est uniquement par une conviction et une foi personnelles qu’on peut s’approprier ce salut (Jean 3.16) : d’une certaine façon, la démarche apologétique permet de rendre plus responsable la démarche de la foi.
Un autre point qui soutient également l’apologétique chrétienne est l’affirmation biblique selon laquelle il existe une vérité absolue (Jean 17.17). En effet, nier cela aboutit logiquement à une vision relativiste ; alors il n’y aurait plus de sens à défendre une vision du monde parmi d’autres, puisque, en dernière analyse, toutes les visions du monde se vaudraient.
2. Les limites de l’apologétique
Les référentiels peuvent différer
Réalisons que même une argumentation qui nous semble extrêmement convaincante peut n’avoir aucun effet sur certaines personnes.
Comment décider de la validité ou non d’un argument ? Pour cela, il y a nécessité d’une norme qui pose les règles de la pensée et du savoir, comme la loi de non-contradiction, la loi du tiers exclu 1 , etc.
Lorsque deux personnes n’ont pas les mêmes règles, ce qui peut paraître un argument de poids pour l’une, peut n’avoir aucun sens pour l’autre.
Comment donner du sens à un fait ou un événement ? Cela dépend du « cadre interprétatif » adopté. Il est illusoire de penser que les événements ou les faits sont porteurs d’un sens évident, qui serait le même pour tout le monde. Des arguments basés sur des faits historiques n’auront probablement pas de poids face à un système de pensée qui considère que la réalité est illusion, ou relativement peu de poids dans une culture occidentale post-moderne où toute vérité est relative.
Démontrer de façon incontestable la véracité de la Bible est illusoire
Comme le message chrétien trouve sa source dans la Bible, vouloir démontrer la véracité du christianisme 2 revient à vouloir démontrer la véracité de la Bible.
Pour cela, il faut faire appel à l’autorité même de la Bible. Puisque cette dernière se présente comme étant la Parole d’un Dieu souverain omniscient éb 4.13) qui ne ment pas (Tite 1.2), nous devons renoncer à faire appel à toute autre autorité que la Bible elle-même pour prouver que son message est bien la vérité. Autrement, nous placerions l’autorité de la logique, de l’histoire, etc., au-dessus de celle de Dieu. Or, comme le souligne fort bien J.-M. Nicole, « tous les arguments visant à démontrer l’autorité absolue de quelque chose doivent tôt ou tard faire appel à cette autorité pour asseoir leur légitimité : autrement cette autorité ne serait ni absolue ni souveraine ». 3
L’être humain est fini et marqué par le péché
• Il n’est pas omniscient : Pour affirmer sans aucun doute possible que ce que nous croyons est la vérité, il nous faudrait être omniscient. En effet, seule une connaissance exhaustive du passé, du présent et du futur permet d’être certain que ce que nous croyons est bien en cohérence avec la globalité du réel. Puisque cette omniscience n’est pas humaine, il est dès lors évident que, sur un plan purement logique, nous ne pouvons démontrer de façon irréfutable que ce que nous croyons est bien la vérité 4.
• Sa raison ne peut être source de vérité absolue : Puisque l’être humain est marqué par le péché dans toutes les dimensions de son être, le péché conduit l’homme à interpréter de façon erronée les éléments qu’il a à sa disposition et qui témoignent de Dieu : face au témoignage de la création les hommes « se sont égarés dans des raisonnements absurdes, et leur pensée dépourvue d’intelligence s’est trouvée obscurcie » (Rom 1.21, BDS). Face aux miracles de Jésus certains ont conclu qu’il agissait par le prince des démons (Mat 12.24), et malgré le témoignage de leur conscience, les hommes appellent parfois le mal bien (És 5.20), etc.
• La création où il vit est déchue : Suite à la chute en Éden, la création a été soumise aux effets du péché (Rom 8.20-21) : l’univers qui s’offre à nos yeux est donc « un chef d’œuvre endommagé » 5, qui témoigne de façon imparfaite de son Créateur. « La nature humaine déchue est obligée de réfléchir sur une création déchue, ce qui introduit une double distorsion. Elle a pour effet de compromettre l’immédiateté naturelle de Dieu. En effet, l’œil qui observe est faussé, ainsi que l’objet observé. Cela ne signifie pas qu’aucune connaissance de Dieu ne soit accessible à l’homme, ou que celui-ci ne puisse avoir aucun sentiment de sa présence. C’est simplement reconnaître que cette connaissance est imparfaite, tronquée, confuse et assombrie. » 6
• L’être humain est limité par ses présupposés 7 :
Accepter de croire une hypothèse sur la base de preuves demande non seulement que cette hypothèse explique les données à notre disposition bien mieux que n’importe quelle autre hypothèse, mais aussi que l’hypothèse en question nous paraisse plausible. Si l’affirmation présentée ne nous paraît absolument pas plausible, alors même si nous n’avons pas de meilleure explication à proposer, il va nous sembler raisonnable de la rejeter à cause de sa trop grande improbabilité. Or ce qui détermine la plausibilité de l’hypothèse examinée, ce sont nos croyances les plus profondes, c’est-à-dire nos présupposés. Par exemple, pour croire en l’existence des miracles, il faut, au moins, que la possibilité de leur existence ne nous paraisse pas complémentent exclue. Si tel n’est pas le cas, alors il sera impossible de croire dans les miracles ! En d’autres termes, une personne qui aura comme présupposé le fait que tout doit avoir une explication naturelle ou que le surnaturel n’existe pas, n’acceptera jamais de croire que Jésus est ressuscité, même s’il s’agit de la seule « hypothèse » à même d’expliquer tous les faits à sa disposition à ce sujet. Cette personne préférera rejeter l’explication de la résurrection, même si elle n’en a pas de meilleure à proposer.
La démarche apologétique reste pourtant valide
Ces diverses limites ne doivent pas nous décourager !
La démarche apologétique repose sur des appuis bibliques (cf. § 1). De plus, les arguments apologétiques peuvent être des instruments dans la main de Dieu pour amener une personne à la foi, ou pour affermir le croyant dans sa foi. Ils créent un climat qui rend la foi attrayante, mais ne la suscitent pas. « Croire que » est une question intellectuelle qui peut s’appuyer sur des éléments rationnels, alors que « croire en » est une question existentielle pour laquelle il n’existe pas de test objectif de la vérité ; la foi n’est pas un simple assentiment intellectuel, c’est aussi et surtout une soumission de cœur.
C’est pourquoi, sans l’œuvre de l’Esprit dans le cœur, nos arguments les meilleurs et les plus convaincants resteront inefficaces pour amener au salut. Paul, fin apologète, souligne la nécessité que l’homme soit éclairé par l’Esprit de Dieu pour recevoir ce qui vient de Dieu (1 Cor 2.14). En fait, le message chrétien sera d’autant plus convaincant que notre perception de la réalité, de Dieu et de nous-mêmes sera correcte.
C’est pourquoi il faut que l’Esprit agisse en nous pour « annuler » les effets du péché et nous convaincre de la véracité de la vision biblique du monde.
3. Quelques principes apologétiques
Il n’existe pas de démarche apologétique universelle
Bien qu’il y ait un seul et unique véritable évangile (Gal 1.8), sa proclamation peut revêtir des formes assez différentes en fonction des interlocuteurs.
Paul se fait Juif pour les Juifs (1 Cor 9.20-22) et discute avec eux à partir des Écritures pour établir que Jésus est leur Messie. En face d’une foule païenne qui le considère comme un dieu parce qu’il vient de guérir un infirme, il leur parle du Dieu créateur. Face à des philosophes à Athènes, il s’appuie sur leurs croyances et cite certains de leurs poètes pour leur annoncer le message de l’Évangile (Act 14.8-18 ; 17.18-34).
L’apologète doit être à l’écoute de son interlocuteur afin de trouver des points de contact qui lui permettront d’adapter son argumentation pour qu’elle puisse être un outil le plus efficace possible dans les « mains de l’Esprit ». De façon générale, « les meilleurs apologistes pour une société donnée ont toujours été les produits de cette société, et non des gens qui se sont imposés à elle. Ceux qui vivent au sein d’une société partagent ses espérances, ses craintes, ses opinions et ses images. Ils peuvent donc sentir de façon quasi intuitive les points de contact sur lesquels ils pourront appuyer l’Évangile. » 8
L’apologétique doit s’appuyer sur une vie vécue avec Christ
L’apologète doit chercher à « bâtir des ponts » mais avec amour (1 Cor 8.1). Ainsi les apôtres exhortent à entreprendre une telle démarche avec douceur, respect, et honnêteté (1 Pi 3.15 ; 2 Tim 2.25) : douceur et respect envers la personne qui a des convictions différentes des nôtres, ainsi que sincérité dans l’argumentation proposée.
Cette sincérité conduit :
• d’une part, à faire preuve de suffisamment d’humilité pour reconnaître qu’on n’a pas d’explication pleinement satisfaisante à donner à tout ;
• d’autre part, à vivre en cohérence avec la foi défendue.
Limiter l’apologétique à des arguments purement intellectuels c’est oublier qu’une grande partie de sa force réside dans le vécu des croyants. Le cadre nécessaire à l’exercice d’une apologétique raisonnée est une « bonne conduite en Christ », une vie selon l’évangile (1 Pi 3.16). Ce n’est qu’ainsi que notre apologétique raisonnée pourra avoir toute sa force devant les non-croyants qui nous voient vivre. Sinon nos paroles risquent d’être perçues comme le reflet d’une certaine hypocrisie et perdront leur crédibilité !
Alors que la vérité objective de Dieu ne dépend pas des croyants, sa démonstration contemporaine semble bien en dépendre !
L’apologétique n’est pas une discipline avant tout intellectuelle. Le monde nous reconnaîtra comme disciples de Jésus si nous nous aimons (Jean 13.35).
Notre foi se démontre par nos œuvres (Jac 2.17-18).
C’est pourquoi l’apologète chrétien devrait être au moins autant concerné par son incarnation de l’Évangile — que ce soit dans sa vie personnelle ou dans sa vie collective — que par sa faculté à développer une argumentation intellectuelle. Il nous semble d’ailleurs que c’est dans les moments de vie les plus difficiles, qu’une incarnation cohérente du message de l’Évangile revêt une force apologétique particulièrement puissante.
En conclusion nous dirons que la meilleure apologétique est celle qui témoigne d’une intégrité intellectuelle et existentielle de l’Évangile ; il s’agit de celle de l’ensemble du peuple de Dieu parlant et agissant en loyaux disciples de Jésus-Christ, argumentant, vivant et mourant comme des sages témoins du chemin, de la vérité, de la vie.
3 grandes approches
1. L’apologétique classique
Cette approche se confie dans la raison humaine, qui est considérée comme étant universelle et capable de comprendre avec vérité la révélation naturelle de Dieu. Dieu a fait connaître aux hommes ses perfections invisibles, sa puissance et sa divinité par le biais de la création (Rom 1.19-20).
La méthode comprend deux étapes :
1- commencer par établir le théisme (existence de Dieu et de certains de ses attributs) à partir de la création,
2-démontrer que le véritable théisme est le christianisme à partir de l’histoire (faits relatifs à la résurrection de Jésus, prophéties réalisées, véracité de la Bible, etc.)
Quelques promoteurs : Thomas d’Aquin (1224/25-1274), W. L. Craig, J.-P. Moreland, N. L. Geisler, et en France C. Michon et P. Clavier.
Quelques faiblesses de cette approche
• Une confiance excessive dans la raison, qui a aussi été affectée par le péché qui l’obscurcit, rendant ainsi difficile l’accès à la vérité par elle.
• Des preuves qui sont plus des arguments ou des probabilités en faveur du christianisme, que des preuves dans le sens scientifique du terme.
• Des arguments en faveur de l’existence d’un être suprême insuffisants pour prouver que cet être suprême correspond bien au Dieu de la Bible.
• Une approche inopérante dans un cadre de pensée où la réalité est considérée comme étant une illusion (le bouddhisme par exemple).
2. L’apologétique empiriste
Cette approche part de l’expérience objective, principalement des faits historiques, pour en déduire l’existence de Dieu et la véracité du christianisme.
Cette démarche ne vise pas à donner des « preuves scientifiques », mais plutôt à montrer que la vision chrétienne du monde est plus probable que toute autre vision.
La méthode est inductive : à partir des faits, elle dégage des arguments, qui, en se complétant, pointent en faveur de la plausibilité de la vision chrétienne du monde. Implicitement, nous l’utilisons dans une multitude de domaines où nous nous contentons d’une connaissance vraisemblable, basée sur des données non prouvées, que nous jugeons plus probables que d’autres.
Quelques promoteurs : J. Mc Dowell, J. W. Montgomery, C. Pinnock.
Quelques faiblesses de cette approche
Les faits bruts ne sont pas porteurs de sens en eux-mêmes, et ce n’est que dans le cadre d’une vision du monde, et donc de certains présupposés, qu’ils peuvent être interprétés d’une façon ou d’une autre. Par exemple, l’examen des faits relatifs à la résurrection de Jésus présuppose de ne pas avoir exclu de sa vision du monde la possibilité du surnaturel.
3. L’apologétique présuppositionaliste
Cette approche insiste sur le rôle des présupposés : quelle que soit la vision du monde adoptée, elle s’appuie sur des présupposés, conscients ou inconscients. Or pour pouvoir penser correctement, l’homme doit penser selon les présuppositions bibliques. Cette approche met la foi à l’origine du raisonnement, et non à son aboutissement (cf. Prov 1.7). Elle évite de croire dans l’illusion d’un système de pensée qui serait neutre. Toute vision du monde repose sur des présupposés indémontrables et démarre donc par un pas de foi (dans certains présupposés). Même si le non-croyant ne veut pas le reconnaître, il est créature de Dieu ; c’est pourquoi même s’il déforme la vérité (Rom 1.18), il est obligé d’en retenir certains aspects pour pouvoir vivre au sein de cette création. Cela signifie qu’il est obligé d’accepter certaines incohérences internes à son système de pensée, ainsi qu’entre son système de pensée et sa façon de vivre. Le premier obstacle à la croyance en Dieu semble plus être d’ordre moral que d’ordre intellectuel, et l’humilité semble plus appropriée que les preuves pour conduire à la croyance en Dieu.
Quelques promoteurs : C. Van Til, G. Bahnsen, G. Clark, J. M. Frame, F. Schaeffer, K. J. Clark, A. Plantinga, N. Woltersstorff, etc.
Personnellement, il nous semble qu’une approche présuppositionaliste équilibrée donne un bon cadre théologique général au sein duquel l’ensemble des arguments développés dans les autres approches peuvent être utilisés. Il n’y a pas assez de preuves scripturaires pour dire que l’une ou l’autre des approches est la vue biblique, et il nous faut laisser mille fleurs apologétiques s’épanouir, en sachant adapter notre approche à nos interlocuteurs, tout en faisant preuve de droiture, d’humilité et de respect intellectuel.
- Ces lois philosophiques sont des principes logiques du raisonnement. Loi de non-contradiction : il est impossible d’affirmer à la fois « A est vrai » et « non A est vrai ». Loi du tiers exclu : il est impossible d’affirmer que ni « A » ni « non A » ne sont vrais.
- Nous parlons ici du christianisme en tant que reflet exact de l’enseignement biblique, et non du christianisme en tant que religion humaine.
- J.-M. Nicole, Précis de doctrine chrétienne, IBN, 1994, p. 30.
- D’ailleurs, cette affirmation ne se limite pas à la foi chrétienne, mais est vraie pour toute croyance humaine : lorsqu’un non-croyant exige de l’apologétique chrétienne qu’elle démontre avec une fiabilité absolue ce qu’elle défend, il est en train d’exiger une chose que ne vérifient pas dans l’absolu ses propres croyances !
- J.-M. Nicole, Précis de doctrine chrétienne, IBN, 1994, p.16.
- K. J. Clarck dans S. B. Cowan (dir), Five views on apologetics, Zondervan, 2000, p. 140-143.
- K. J. Clarck dans S. B. Cowan (dir), Five views on apologetics, Zondervan, 2000, p. 140-143.
- Alister McGrath, Jeter des ponts l’art de défendre la foi chrétienne, La Clairière, 1999, p. 45.
Affirmer que l’Esprit est Dieu, c’est entre autres affirmer qu’il est un être personnel. Pour étayer cette doctrine, nous allons dans un premier temps donner des appuis bibliques à la personnalité de l’Esprit, avant d’en mentionner d’autres qui soutiennent sa divinité. Enfin, nous indiquerons comment l’Esprit s’inscrit dans l’unité des personnes divines. Affirmer que l’Esprit est Dieu, c’est entre autres affirmer qu’il est un être personnel. Pour étayer cette doctrine, nous allons dans un premier temps donner des appuis bibliques à la personnalité de l’Esprit, avant d’en mentionner d’autres qui soutiennent sa divinité. Enfin, nous indiquerons comment l’Esprit s’inscrit dans l’unité des personnes divines.
L’Esprit est une personne
Il possède les caractéristiques d’une personne
Une personne peut être définie comme un « Je » capable de faire face à un « Tu ». De façon plus précise, la personnalité est caractérisée par la possession de la pensée, du sentiment, de la volonté ainsi que de l’existence comme centre individuel de conscience capable de relations avec d’autres personnes7 À la lumière de cette définition, la Bible montre que l’Esprit est bien une personne ; en effet :
– Il peut dire « je9 » et peut recevoir le titre personnel de Paraclet10 ;
– Il possède une pensée : il lui « paraît bon »11, il connaît12, etc. ;
– Il a des sentiments : il peut être attristé13 ;
– Il a une volonté : il empêche des hommes d’agir14, il ordonne15, il distribue des dons selon sa volonté16, etc. ;
– Il est capable de relations avec d’autres personnes : il enseigne17, il prie18, on peut lui mentir, le provoquer19, l’insulter20, etc.
Un point de grammaire grecque
En grec, le neutre est généralement utilisé pour des choses, alors que le masculin l’est pour des personnes. Or, en Jean 14.26 ; 15.26 ; 16.13, l’évangéliste utilise un pronom masculin (ekeinos) pour l’Esprit alors que la grammaire exigerait un neutre (ekeino). Pourquoi cela, sinon pour souligner la personnalité du Saint-Esprit ?
Réponse à quelques objections
Il est bon de répondre succinctement à plusieurs objections qui peuvent être soulevées quant à la personnalité du Saint-Esprit.
1. Le Saint-Esprit ne serait pas une personne puisqu’il est parfois présenté sous forme de réalités impersonnelles telles l’eau21, le vent22, le feu23, etc.
Lorsque l’Esprit est présenté ainsi, il s’agit de métaphores qui ne permettent en rien d’en déduire qu’il n’est pas une personne. En effet, un raisonnement semblable amènerait à conclure que Jésus n’est pas une personne puisqu’il se compare à du pain, à la lumière, à une porte, à un pied de vigne24, etc. !
2. L’Esprit ne serait pas une personne puisqu’il peut être répandu25, puisqu’on peut en être oint26 ou encore en être rempli27, etc.
Là encore, ces verbes sont employés dans le cadre de métaphores. Par exemple, c’est parce que l’Esprit est comparé à de l’eau qu’il peut être répandu28. Dès lors il devient clair que l’emploi de telles métaphores ne peut servir de preuve au fait que l’Esprit n’est pas une personne. Qui, en effet, oserait dire que l’auteur du Psaume 22 n’est pas une personne puisque ce dernier se compare à de « l’eau qui s’écoule » (Ps 22.15) ?
3. L’Esprit ne saurait être une personne, puisque Dieu peut en « ôter une partie29 », ou en répandre, ou encore en donner30.
S’il n’y avait que ces textes, on pourrait en effet conclure que l’Esprit est une « chose » et non une personne. Mais il existe des textes en bien plus grand nombre qui le présentent comme une personne31. Il faut donc comprendre cette notion quantitative au niveau des effets produits : dire que Dieu « ôte de son Esprit » à une personne signifie qu’elle bénéficiera « à un niveau moins élevé » des capacités que donne l’Esprit, mais ne signifie pas que Dieu « morcelle » son Esprit pour lui en enlever une partie !
Cette lecture est d’ailleurs confirmée par certains des textes en question. En effet, dans le livre des Nombres un même texte affirme que Dieu ôte de son Esprit à Moïse pour donner l’Esprit (et non « de l’Esprit ») aux anciens32 ; ou encore, dans le livre des Actes, où il est question de la Pentecôte, il est dit que Dieu a répandu de son Esprit sur les hommes, alors qu’un peu plus loin, ce même livre affirme que c’est l’Esprit (et non « de l’Esprit ») qui est tombé sur eux à ce moment là33.
L’approche proposée ci-dessus se trouve également confortée par la notion de plénitude de l’Esprit34 telle qu’elle apparaît dans le Nouveau Testament. Par exemple, le croyant est appelé à ne pas attrister le Saint-Esprit35, mais au contraire à en être rempli36. Dire que le croyant est rempli de l’Esprit signifie que l’Esprit peut « pleinement se manifester » dans sa vie, contrairement au moment où il est attristé et où sa liberté d’action est « entravée ». Le N.T. n’envisage donc pas « une présence morcelée » de l’Esprit, mais plutôt une présence qui va pouvoir se manifester à des degrés plus ou moins élevés.
L’Esprit est Dieu
La divinité de l’Esprit est clairement affirmée sous la plume de l’apôtre Paul qui écrit que le Seigneur est l’Esprit37.
D’autres textes bibliques la font ressortir de façon indirecte en montrant que le Saint-Esprit possède des attributs divins. L’Esprit est en effet omniscient puisqu’il connaît tout, même les profondeurs de Dieu38. Son omniprésence est affirmée par le psalmiste lorsqu’il souligne qu’il n’existe pas de lieu où il puisse échapper à la présence de l’Esprit de Dieu39. Le fait que l’Esprit de Dieu soit présent en chaque croyant va également dans le sens de son omniprésence. La toute puissance de l’Esprit ressort du fait que la venue de l’Esprit sur Marie est assimilée à la venue de la puissance de Dieu sur elle40. Enfin, l’auteur de l’épître aux Hébreux affirme l’éternité de l’Esprit lorsqu’il écrit que c’est par l’Esprit éternel que Christ s’est offert à Dieu43.
Ailleurs, elle ressort du fait que le Seigneur est assimilé à l’Esprit du Seigneur. Par exemple, le livre de Samuel affirme que l’Esprit du Seigneur s’est retiré d’avec Saül pour aller avec David, avant de dire plus loin que c’est le Seigneur qui s’est retiré d’avec Saül pour aller avec David44.
D’autres textes vont assimiler la présence du Seigneur à la présence de l’Esprit : l’auteur du Psaume 139 considère comme équivalente la présence du Seigneur avec celle de son Esprit45 et Jésus fait de même lorsqu’il dit à ses disciples que lui et son Père demeureront chez les croyants par l’Esprit saint qui sera en eux46.
Le livre des Actes, quant à lui, assimile le fait de mentir à Dieu au fait de mentir à l’Esprit : en effet, lorsqu’Ananias a menti à l’apôtre Pierre, ce dernier lui a dit qu’en mentant à l’Esprit saint, ce n’est pas à des hommes qu’il a menti, mais à Dieu47.
Pour certains auteurs du N.T., il est équivalent de dire que des paroles proviennent de Dieu et qu’elles proviennent de son Esprit. Par exemple, l’auteur du livre des Actes attribue au Saint-Esprit des paroles de Dieu rapportées par le prophète Ésaïe48. Ou encore, dans la lettre aux Hébreux, une affirmation du Psaume 95 est attribuée indistinctement à Dieu49 ou au Saint-Esprit50.
Dans la lettre aux Corinthiens, l’apôtre Paul relève que les croyants sont le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en eux51. Si l’Esprit n’était pas Dieu, il semble que l’apôtre aurait plutôt parlé du temple de l’Esprit.
Une utilisation particulière de la grammaire grecque dans un texte de l’Évangile de Matthieu appuie aussi la divinité de l’Esprit. En effet, avant son ascension, le Seigneur a demandé à ses disciples de faire des disciples en les baptisant « au nom » du Père et du Fils et du Saint-Esprit52. Selon la grammaire grecque, il faudrait employer un pluriel (« aux noms ») si les trois avaient un nom différent, propre à chacun. Pour le théologien Henri Blocher, le singulier signifie que les trois ont le même nom, celui du Dieu unique53.
Enfin, comme le relève Henri Blocher, « il est naturel de supposer que l’Esprit de Dieu est un seul être avec Dieu, comme l’esprit de l’homme ne se sépare pas de cet homme. Au cas où quelqu’un trouverait la logique de l’analogie trop “naturelle”, nous observons que l’apôtre lui-même la met en œuvre (1 Cor 2.10s). »{note]Henri Blocher, Fac étude, La doctrine du péché et de la rédemption, vol II, Vaux-sur-Seine, FLTE, 1997, p. 213.[/note]
En terminant ce survol des appuis bibliques à la divinité de l’Esprit, il apparaît une différence notable par rapport à la façon dont est affirmée celle de Jésus. En effet, si Jésus est présenté comme recevant adoration et prières, tel n’est pas le cas pour l’Esprit. Ce silence qui peut surprendre est probablement dû à la différence de rôle qui existe entre le Fils et l’Esprit : « Si l’Esprit n’est pas l’objet de l’adoration explicite (elle est implicite dans les textes trinitaires de caractère liturgique), si on ne le prie pas (malgré l’invocation d’Ézéchiel 37.9, qui montre qu’on peut s’adresser à lui), c’est qu’on distingue son rôle dans l’économie du salut : le Saint-Esprit est Dieu nous faisant le prier ! »54
L’Esprit est une des trois personnes de la Trinité
Les trois personnes de la Trinité ont des fonctions différentes dans leurs relations avec le monde, que ce soit dans l’œuvre de la création ou dans celle de la rédemption. On parle de « l’économie » de la Trinité, où « économie » a son sens ancien, d’organisation des activités.
Dans l’œuvre de la création, Dieu (le Père) est celui qui prononce les paroles créatrices, le Fils est celui par qui tout a été créé et en qui tout subsiste55, le Saint-Esprit planait sur la surface des eaux57, il œuvre pour la sanctification du chrétien58, il équipe le croyant pour le service59. Ces différents textes font ressortir un certain ordre au sein de la Trinité, une certaine subordination. En fait, le Fils et le Saint-Esprit sont égaux au Père dans leur être, mais ils lui sont subordonnés dans leur rôle. On parle d’égalité ontologique mais de subordination économique. Cette subordination doit être éternelle60.
En résumé, la distinction des personnes au sein de la Trinité touche au rôle de chacune et non à leur être. Chaque personne est réellement une personne, qui possède pleinement l’être de Dieu ainsi que tous ses attributs, sans en avoir de supplémentaires. Les personnes du Père, du Fils et du Saint-Esprit se distinguent donc par leurs relations interpersonnelles et par leurs relations avec le monde créé.
Nous n’arrivons pas à comprendre comment tous ces différents aspects peuvent s’articuler, mais cela ne doit pas nous surprendre : l’existence de trois personnes en un seul Dieu est quelque chose qui dépasse notre compréhension.
L’unité de l’Esprit avec le Père et le Fils
De même qu’il y a unité entre le Père et le Fils61, il y a unité :
– entre le Père et l’Esprit : le Père demeure dans ses enfants par l’Esprit qui est en eux62 ;
– entre le Fils et l’Esprit : Jésus demeure dans ses disciples par son Esprit qui est en eux63.
Père, Fils et Saint-Esprit sont donc un quant à leur être : il y a un seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit.
Quelques textes qui associent le Saint-Esprit au Père et au Fils
Différents textes associent les trois personnes de la Trinité. Par exemple, avant son ascension, Jésus demande aux siens de faire des disciples en les baptisant « au nom » du Père et du Fils et du Saint-Esprit64. Comme nous l’avons déjà vu, ce texte implique bien sûr la distinction des personnes et milite aussi fortement en faveur de la divinité des trois65.
À la fin de la seconde lettre aux Corinthiens, Paul appelle « la grâce du Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu, et la communion du Saint-Esprit »66 à être sur ses lecteurs. Ce texte qui implique la distinction des personnes milite aussi fortement en faveur de la divinité des trois en les associant intimement à travers une seule et même salutation.
D’autres textes associent également les trois personnes de la Trinité sans pour autant que des implications quant à la divinité des trois puissent en être tirées : lors du baptême de Jésus, les trois personnes de la Trinité sont présentes67 ; Jean le baptiseur souligne que Jésus dit les paroles que Dieu lui donne et que Dieu lui donne également son Esprit68 ; Jésus annonce à ses disciple qu’il va prier le Père pour que ce dernier leur envoie le Paraclet69 ; l’apôtre Paul souligne qu’il y a un seul Esprit, un seul Seigneur, un seul Dieu70, ou encore que c’est grâce au Fils que les croyants ont accès au Père par l’Esprit71 ; l’auteur de la lettre au Hébreux souligne que Christ s’est offert à Dieu par l’Esprit éternel72 ; l’apôtre Pierre, lui, souligne que les croyants sont élus selon le dessein de Dieu par la sanctification de l’Esprit pour obéir à Jésus-Christ73, ou encore que Jésus, qui s’est offert pour présenter les croyants à Dieu, a été vivifié par l’Esprit74.
L’Écriture est donc irréfutable : l’Esprit est une personne, l’Esprit est Dieu, l’Esprit est une des trois personnes de la Trinité divine.
- Cf. citation de Wainwright dans : Henri Blocher, Fac étude, La doctrine du péché et de la rédemption, vol. II, Vaux-sur-Seine, FLTE, 2001, p. 211.
- Act 13.2
- Jean 14.16-17
- Act 15.28
- 1 Cor 2.10-11
- És 63.10 ; Éph 4.30
- Act 16.6
- Act 13.2
- 1 Cor 12.11
- Jean 14.26
- Rom 8.26-27
- Act 5.3,9
- Héb 10.29
- Jean 7.37-39.
- Jean 3.8.
- Act 2.3-4.
- Jean 6.35 ; 8.12 ; 10.7 ; 15.1.
- Act 2.17 ; És 44.3.
- Act 10.38.
- Act 2.4.
- És 44.3.
- Nom 11.17,25.
- Jean 4.13..
- Certains s’appuient sur Proverbes 8 et 9 où la sagesse et la folie sont personnifiées pour dire que ce n’est pas parce que l’Esprit est présenté comme une personne qu’il en est nécessairement une. À cela nous répondons que le style de Proverbes 8 et 9 est poétique et qu’il est évident qu’il s’agit d’une personnification. Par contre, les nombreux passages qui présentent l’Esprit comme étant personnel ne s’inscrivent pas dans ce style littéraire et dans leur contexte, rien n’indique qu’il s’agisse d’une personnification !
- Nom 11.17,25, cité plus haut.
- Act 2.17 ; 11.15.
- Act 2.4 ; 6.3 ; 7.55, etc.
- Éph 4.30.
- Éph 5.18.
- 2 Cor 3.17.
- 1 Cor 2.10.
- Ps 139.7.
- Luc 1.35.
- Héb 9.14.41.
Un texte du livre de Job fait ressortir la divinité de l’Esprit en lui attribuant le pouvoir divin de création de l’être humain42Job 33.4. - 1 Sam 16.13-14 ; 18.12.
- Ps 139.7.
- Jean 14.17,23.
- Act 5.3-4.
- Act 28.25.
- Héb 4.3.
- Héb 3.7-8.
- 1 Cor 3.16.
- Mat 28.19.
- Cf. Henri Blocher, Fac étude, Christologie, fascicule 1, Vaux-sur-Seine, FLTE, 1986, p. 169 ; La doctrine du péché et de la rédemption, vol. 2, p. 212.
- Ibid., p. 213.
- Col 1.16-17.
- , peut-être comme manifestation de la présence de Dieu au sein de la création.
Dans l’œuvre de la rédemption, le Père envoie le Fils et le Fils obéit au Père et meurt pour les péchés. Le Saint-Esprit qui est envoyé par le Père et le Fils, est celui qui applique la rédemption : il fait naître de nouveau56Jean 3.5-6. - Rom 8.13.
- 1 Cor 12.7.
- Si le Fils n’est pas éternellement soumis au Père dans son rôle de Fils, alors le Fils n’est pas éternellement Fils, et le Père n’est pas non plus éternellement Père, ce qui remettrait en cause l’immuabilité ontologique de Dieu. Cela semble confirmé par l’Écriture qui enseigne que lorsque tout aura été soumis à Christ, lui-même sera soumis au Père (1 Cor 15.28).
- Jean 10.30 ; 14.10-11.
- 1 Jean 3.24.
- Jean 14.16,23. Voir aussi les sept lettres d’Apocalypse 2-3 : au début de chacune, c’est Jésus qui parle, et pourtant toutes se terminent en demandant d’écouter ce que l’Esprit dit aux églises.
- Mat 28.19.
- Cf. Henri Blocher, Fac étude, Christologie, fascicule 1, Vaux-sur-Seine, FLTE, 1986, p. 169 ; La doctrine du péché et de la rédemption, vol. 2, p. 212.
- 2 Cor 13.13
- Mat 3.16-17.
- Jean 3.34.
- Jean 14.16.
- 1 Cor 12.4-6.
- Éph 2.18.
- Héb 9.14.
- 1 Pi 1.2.
- 1 Pi 3.18.
La démarche de l’auteur s’inscrit dans une autre perspective que celle de l’article précédent. Elle correspond à l’apologétique réformée calviniste. On la nomme « présuppositionnaliste », parce qu’elle met en avant le fait que toute vision du monde, y compris celle de la foi chrétienne, repose sur un certain nombre de présupposés, de partis pris. Aussi, la manière la plus efficace de « démontrer » la divine autorité de la Bible, c’est de conduire l’incroyant à la lire en laissant à Dieu la possibilité de se révéler en elle et de convaincre ce lecteurde la vérité de l’Évangile.
1. Possibilité et crédibilité d’une révélation divin
Comme la Bible n’est pas le seul livre à affirmer être Parole de Dieu, nous aimerions faire quelques remarques en lien avec la possibilité qu’un Dieu qui ne ment pas se révèle à l’être humain, ainsi qu’avec la crédibilité d’une telle affirmation.
Concernant la possibilité d’une telle révélation, nous ne pouvons pas, a priori, répondre à cette question. En effet, si le dieu qui existe est une force impersonnelle, alors une telle révélation n’est pas possible. Par contre, si le Dieu qui existe est un Dieu personnel, qui connaît les besoins de l’homme et l’aime, alors il faut s’attendre à ce qu’un tel Dieu se révèle à lui. D’une certaine façon,nous pouvons dire que ce n’est qu’une fois que l’être humain est en possession d’une « soi-disant révélation divine », qu’il peut juger si le dieu qui se présente dans cette révélation est effectivement un dieu susceptible de se révéler.
Venons-en maintenant à la question de la crédibilité d’une telle révélation : tout dépend de son contenu. Par exemple, si elle affirme que la réalité n’est qu’illusion, alors ce n’est pas à partir de nos sens que nous allons pouvoir juger de sa crédibilité. Cette idée mériterait d’être développée, mais comme notre sujet concerne la Bible en tant que révélation divine, c’est uniquement dans ce cadre-là que nous allons prolonger un peu cette réflexion. La Bible se présente comme Parole d’un Dieu d’amour, personnel, créateur, omniscient et souverain qui ne ment pas : en tant qu’être doué de personnalité, le Dieu de la Bible est donc susceptible d’entrer en relation avec l’être humain ; en tant que Créateur omniscient, il est à même de connaître les besoins profonds de l’être humain, et en tant que Dieu souverain qui « n’est pas un homme pour mentir » (Nom 23.19) et qui aime sa créature, il est à même de lui amener une réponse véritable qui comble ses besoins ! Le fait que le Dieu de la Bible se révèle à l’être humain est donc non seulement crédible, mais même tout à fait probable !
Si nous nous penchons maintenant sur la révélation qu’un tel Dieu pourrait faire, nous pouvons affirmer qu’elle doit être l’autorité absolue, puisqu’elle émane d’un Dieu souverain omniscient qui ne ment pas. Cela implique donc que nous devons renoncer à faire appel à toute autre autorité que la Bible elle-même15, pour statuer quant à sa crédibilité de révélation divine ;s’appuyer sur la logique, sur l’exactitude historique, etc., pour « prouver » que la Bible est la Parole de Dieu, c’est placer l’autorité de la logique, de l’histoire, etc., au-dessus de celle de la Bible. Comme le souligne fort bien le théologien Jules-Marcel Nicole, « l’autorité souveraine par définition ne peut dépendre que d’elle-même, autrement elle ne serait pas suprême ».42 En effet, « tous les arguments visant à démontrer l’autorité absolue de quelque chose doivent tôt ou tard faire appel à cette autorité pour asseoir leur légitimité : autrement cette autorité ne serait ni absolue ni souveraine ».45 Cette impossibilité de « prouver » que la Bible est Parole de Dieu par la raison humaine est renforcée par un autre facteur : puisque l’être humain est marqué par le péché dans toutes les dimensions de son être, cela signifie entre autres que sa raison ne peut prétendre être source de vérité absolue.56 Il n’est donc pas surprenant de constater que la Bible souligne la nécessité que l’homme soit éclairé par l’Esprit de Dieu pour recevoir ce qui vient de Dieu(1 Cor 2.14). Si la Bible est la vérité absolue qu’elle prétend être(Jean 17.17), ce n’est que par ses affirmations, éclairées par le Saint-Esprit, que nous pourrons être convaincus de son statut de Parole de Dieu, comme le relève justement le théologien Wayne Grudem :« C’est une chose d’observer que la Bible revendique à plusieurs reprises la qualité de Parole de Dieu. C’en est une autre d’être convaincu qu’elle possède vraiment une telle qualité. » Et, poursuit-il, « nous ne sommes vraiment convaincus de l’origine divine des paroles de la Bible que si le Saint-Esprit parle à notre cœur dans et par ces paroles et nous donne l’assurance intérieure que ces paroles nous sont adressées par notre Créateur. »64 En fait, « la Bible se montrera plus convaincante si notre perception de la réalité, de nous-mêmes et de Dieu est correcte. Le problème est qu’à cause du péché notre perception et notre analyse de Dieu et de la création sont erronées. Le péché est irrationnel et il fausse notre perception de Dieu et de la création.[…] Il est donc nécessaire que le Saint-Esprit agisse en nous et annule les effets du péché pour que nous puissions être persuadés que la Bible est bien la Parole de Dieu, comme elle le revendique elle-même. »65
Cela ne signifie pas que divers arguments en faveur de la véracité des Écritures ne puissent pas être avancés, mais ces arguments ne peuvent que rester seconds par rapport à l’autorité de la Bible. Par exemple, le fait que la Bible soit historiquement exacte, le fait qu’elle reflète une cohérence interne ainsi qu’avec la réalité, le fait que des prophéties se soient accomplies, le fait qu’elle transforme des vies, etc., ne constituent pas une preuve absolue de son origine divine.75 En effet, beaucoup de livres rapportent des faits qui sont vrais, mais cela n’en fait pas pour autant des écrits inspirés par Dieu ! Néanmoins, si la Bible émane effectivement du Dieu de la Bible,76 alors elle doit être historiquement exacte, alors elle doit manifester une cohérence interne ainsi qu’une cohérence avec la réalité, alors ses prophéties doivent s’accomplir, etc.
2. Nécessité d’une révélation écrite
Le Dieu de la Bible étant radicalement différent de l’être humain et de tout ce qui existe dans la création, il faut qu’il se révèle à l’homme pour que ce dernier puisse le connaître. Cette nécessité est également liée à la présence du péché qui conduit l’homme à avoir une perception faussée de la réalité(Rom 1.21). Nous pouvons encore ajouter, que pour avoir une connaissance certaine de la vérité, l’homme doit avoir accès à une révélation inspirée par ce Dieu qui ne ment pas. En effet, lui seul connaît avec exactitude tous les états passés, présents et futurs de ce qui existe ; or pour posséder une connaissance absolument sûre, une telle omniscience est indispensable, sinon rien ne permet de garantir que ce qui est estimé comme une vérité sûre ne sera pas corrigé par une nouvelle donnée à venir ! 77
La Bible affirme que Dieu s’est révélé à l’être humain de diverses façons :
–par la création qui témoigne de sa gloire(Ps 19.1), de sa puissance et de sa divinité(Rom 1.20), et au travers de laquelle il témoigne de ses bienfaits envers les hommes(Act 14.16-17) ;
–par la conscience de l’homme qui révèle quelque chose de la volonté divine, puisque même les païens ont une certaine notion du bien et du mal(Rom 2.14-15).
En théologie, on parle de la révélation générale de Dieu : elle témoigne à tout homme de l’existence de Dieu, de sa puissance et de sa gloire, ainsi que de l’existence du bien et du mal.
Dieu se révèle aussi de façon plus précise, au travers d’événements surnaturels : les théologiens parlent de la révélation spéciale de Dieu. Ainsi Dieu se manifeste dans l’histoire, que ce soit par le biais d’événements comme l’Exode(Ex 9.16), ou que ce soit directement à des personnes comme Abraham(Gen 12.1), Moïse(Ex 33.11)et bien d’autres. Ces manifestations qui peuvent se faire par le biais d’apparitions physiques de Dieu(Gen 18.1-2), de voix audibles(Deut 5.24), de visions ou de rêves(Nom 12.6), ou encore par l’intermédiaire d’anges(Héb 2.2), ont un caractère ponctuel : par exemple, au temps de Samuel, la parole de l’Éternel était rare et les visions peu fréquentes (1 Sam 3.1). Elles ne concernent pas non plus tous les hommes : nous avons mentionné que Dieu s’était révélé à certaines personnes, et l’Écriture affirme qu’il a révélé ses paroles à Jacob, ses ordonnances à Israël et qu’il n’a pas agi de même pour toutes les nations qui ne connaissent pas ses ordonnances(Ps 147.19-20). Ces révélations de Dieu aux Israélites se sont faites tout au long de l’histoire de ce peuple : Dieu ne s’est pas dévoilé en une seule fois, mais de façon progressive, révélant toujours plus de choses au fil du temps, et permettant que beaucoup de ces révélations soient rapportées dans sa révélation écrite, la Bible.
Toutes ces manifestations préparaient la révélation ultime de Dieu, qui, après avoir parlé à plusieurs reprises et de plusieurs manières, a finalement parlé en Jésus-Christ dans les derniers jours (Héb 1.1-2) : il est l’image du Dieu invisible(Col 1.15), celui qui fait connaître ce Dieu que personne n’a vu(Jean 1.18), celui qui donne l’intelligence pour connaître le Dieu véritable (1 Jean 5.20), ou encore celui qui révèle le Père(Mat 11.27).
Pour que l’ensemble de ces révélations nous soient accessibles et compréhensibles, Dieu a choisi de se révéler à nous par sa Parole écrite, la Bible. Cette « nécessité » choisie de Dieu nous paraît être en lien avec plusieurs points. Tout d’abord, les révélations dans l’histoire ainsi que celle en Jésus-Christ, ont eu lieu à un moment donné de l’histoire et ne sont pas directement accessibles à toute personne qui vit à une autre époque : par sa Parole écrite, Dieu permet qu’elles traversent les âges.
Ensuite, cela nous paraît aussi être lié à la présence du péché dans le monde. En effet, suite à la chute en Éden le sol a été maudit(Gen 3.17)et la création a été soumise aux effets du péché et aspire à en être délivrée(Rom 8.20-21) : la création qui s’offre à nos yeux est donc « un chef d’œuvre endommagé »,78 qui témoigne de son Créateur de façon imparfaite.
De plus, l’homme est marqué par le péché, ce qui le conduit à interpréter de façon erronée les autres révélations qu’il peut avoir à sa disposition : par exemple, face au témoignage de la création, les hommes « se sont égarés dans de vains raisonnements, et leur cœur sans intelligence a été plongé dans les ténèbres »(Rom 1.21) ; face aux miracles de Jésus, certains en ont conclu qu’il agissait par le prince des démons(Mat 12.24), et malgré le témoignage de la conscience, les hommes appellent parfois le mal bien(És 5.20), etc. L’homme avait donc besoin d’une référence claire qui lui permette d’interpréter correctement les différentes révélations de Dieu et c’est, nous semble-t-il, ce que Dieu apporte à travers la Bible. Ainsi, comme le remarque W. Grudem :« Le chrétien qui considère la Bible comme la Parole de Dieu échappe au scepticisme philosophique quant à la possibilité d’acquérir une connaissance certaine avec notre intelligence limitée. En ce sens donc, il est correct de dire que, pour nous qui ne sommes pas omniscients, la Bible est nécessaire pour connaître quelque chose avec certitude. »79 Il faut néanmoins garder à l’esprit que notre état de pécheur, qui peut nous conduire à mal interpréter les autres révélations divines, peut aussi nous conduire à des interprétations erronées de la vérité divine exprimée dans l’Écriture.
Pour terminer, nous relèverons qu’à travers sa Parole écrite, Dieu explicite et développe les autres révélations en y inscrivant des pensées qui ne seraient jamais venues à l’esprit de l’homme (1 Cor 2.9-10). Si la révélation générale témoigne de Dieu, elle ne permet pas à l’homme de savoir comment il peut être réconcilié avec Dieu ;la Bible, elle, permet de connaître le chemin du salut en Jésus-Christ : elle nous apprend que c’est par la grâce de Dieu, par le moyen de la foi en Jésus, que nous pouvons être sauvés(Éph 2.8), et que la foi naît de la parole du Christ entendue(Rom 10.17). Cette révélation écrite nous est aussi nécessaire pour vivre le salut qu’elle révèle : c’est par elle que nous sommes régénérés (1 Pi 1.23), nous avons besoin des paroles de Dieu pour vivre(Mat 4.4), c’est par « le lait non frelaté de la parole » que nous grandissons dans le salut (1 Pi 2.2), c’est par elle que Dieu nous révèle ce qu’il attend de nous pour que nous le pratiquions(Deut 29.28), etc.
La brève réflexion que nous venons d’avoir montre qu’il est tout à fait probable que le Dieu de la Bible se révèle à l’être humain, et que, si la Bible est réellement sa Parole comme nous le croyons, c’est uniquement en nous mettant à son écoute avec l’aide de l’Esprit, que nous pourrons avoir une certitude à son sujet.
- Ou Dieu lui-même puisque la Bible est sa Parole
- J.-M. Nicole,Précis de doctrine chrétienne, (IBN, 1994), p. 30
- Wayne Grudem,Théologie systématique, (Excelsis, 2010), p. 63-64
- Il est important de garder cela à l’esprit, car c’est principalement sur la base de la raison humaine qu’au XVIIe siècle, des philosophes et théologiens ont commencé à contester l’autorité et la fiabilité de l’Écriture
- W. Grudem, op.cit., p. 62
- W. Grudem, op.cit., p. 64-65
- Ces remarques indiquent que l’auteur conçoit l’approche « évidentialiste » (voir l’article précédent) comme complémentaire de la sienne. Nous croyons que la Bible elle-même, en parlant des choses de Dieu, cherche à nous toucher tantôt par des arguments « évidentialistes », tantôt par des invitations à laisser tomber nos présupposés pour les remplacer par les vues de l’Esprit. Il y a complémentarité de moyens persuasifs, sans hiérarchie. (NDLR)
- Le Dieu de la Bible se présente comme le Dieu créateur de toutes choses, comme un Dieu qui connaît toutes choses (passées, présentes et futures), comme un Dieu qui ne ment pas : la Bible ne peut donc qu’être en cohérence avec la réalité
- Par exemple, une personne peut être « certaine » que des choses sont de la même teinte, jusqu’au jour où elle va apprendre qu’elle est daltonienne.
- J.-M. Nicole,op.cit., p. 16
- W. Grudem, op.cit., p. 111
La Bible est un livre qui est étudié depuis des siècles, et il en existe aujourd’hui toutes sortes de lectures : par exemple, la lecture fondamentaliste soutient que le texte inspiré doit être interprété littéralement ; les lectures libérales rejettent la pleine inspiration de la Bible ; les lectures idéologiques cherchent à légitimer des luttes sociales ou politiques, etc. Si un seul et même texte peut aboutir à des lectures si diverses, c’est parce que ces approches mettent en œuvre des méthodes d’interprétation qui divergent entre elles, et non parce que le texte n’aurait pas un sens bien défini1. C’est pourquoi, il nous paraît essentiel de nous interroger sur le cadre interprétatif qui découle du statut de « Parole de Dieu » de la Bible. Auparavant, nous ferons deux remarques générales : l’une concernant la notion de lecture non littérale, l’autre relative à la notion d’approche neutre d’un texte.
Deux questions préalables
La lecture non littérale : une porte ouverte à toutes les interprétations ?
Face au danger du subjectivisme, la tentation peut être grande de penser que la seule lecture acceptable de la Bible est la lecture « littérale »2 . Or il est clair que les paroles de Jésus lui-même ne doivent pas toujours être comprises de cette façon : ainsi en est-il lorsqu’il dit à Nicodème qu’il lui faut naître de nouveau (Jean 3.3), ou lorsqu’il propose à la femme samaritaine de lui donner à boire (Jean 4.10), ou encore lorsqu’il encourage à manger sa chair et boire son sang (Jean 6.53). En fait, « pour que Dieu se fasse comprendre, il n’est pas nécessaire qu’il parle un langage littéral au sens restreint, mais qu’il parle le langage ordinaire. Or le langage ordinaire n’est pas littéral […] Le langage biblique doit donc être interprété selon l’usage et les conventions de langage en cours à l’époque de rédaction de chaque texte, et non pas selon la préconception illusoire qu’est le littéralisme.3 » Une lecture non « littérale » ne conduit donc pas à un subjectivisme total, puisque le processus d’interprétation se fait en tenant compte des conventions linguistiques, littéraires, culturelles, etc. qui existaient lorsque le texte a été écrit. Bien sûr, si aucun élément n’oriente vers l’abandon du sens « littéral », c’est ce sens qu’il faut retenir. Cela semble d’ailleurs ressortir de ce que dit Paul aux Corinthiens, lorsqu’il affirme ne pas leur écrire autre chose que ce qu’ils lisent et comprennent (2 Cor 1.13). Avec une telle ligne de conduite, nous nous garderons du subjectivisme total qui permet de faire dire au texte ce qu’on veut bien lui faire dire, ainsi que du présupposé littéraliste, qui en ne tenant pas compte de certaines données culturelles et linguistiques, peut conduire à des lectures erronées.
L’interprétation d’un texte peut-elle être neutre ?
Bien que l’interprétation d’un texte dépende de conventions et de facteurs bien précis, elle dépend aussi de nos présupposés4. Par exemple, celui qui nie l’existence des miracles considérera que les récits bibliques qui parlent de miracles sont des mythes ou des légendes. Comment dès lors est-il possible d’adopter les présupposés bibliques, si toute interprétation est fonction des présupposés de l’interprète ? Plusieurs éléments de réponse peuvent être donnés.
Tout d’abord, il faut relever qu’aucun lecteur ne peut échapper totalement au sens du message divin. En effet, d’un côté, personne n’échappe complètement à la connaissance de Dieu et de la vérité, ne serait-ce que par le biais de la création (Rom 1.19-21) et de la conscience (Rom 2.15) ; d’un autre côté, l’Écriture permet de rendre sage le simple (Ps 19.7) et de lui donner du discernement (Ps 119.130).
Ensuite, s’il est vrai que l’interprète est influencé par ses présupposés dans sa compréhension du texte, ces derniers ne l’empêchent pas de percevoir que d’autres lectures existent, mais ils lui font simplement écarter celles qui sont en conflit avec eux.
Enfin, l’Esprit peut conduire l’interprète à accepter une nouvelle compréhension du texte étudié, l’amenant à modifier certaines de ses croyances et sa compréhension d’autres textes bibliques. Il existe ainsi une spirale vertueuse, qui, à force d’aller-retour entre le texte et sa compréhension corrigée, amène progressivement le lecteur à une compréhension plus juste des Écritures.
Il est vrai que toute interprétation présuppose certaines convictions doctrinales, comme l’inspiration de la Bible par exemple. Cela induit une interprétation des Écritures, de laquelle est ensuite tirée une théologie, qui à son tour va influer sur l’interprétation des textes. Mais comme le relève J. Packer, « ce n’est pas un cercle vicieux, du point de vue logique, car ce n’est pas un système qui permet de présupposer ce qui serait à prouver, mais une suite d’approximations successives, méthode fondamentale à toutes les sciences.5 »
C’est donc en partant de la conviction que la Bible est pleinement Parole de Dieu et parole humaine6, que nous allons maintenant réfléchir au cadre interprétatif que cela induit.
La Bible est Parole de Dieu : implications herméneutiques
Un texte divin
• Un texte accessible
En tant que Créateur, Dieu connaît bien mieux que nous nos limites, aussi pouvons-nous avoir la certitude que, s’il a décidé de se révéler à nous par le biais de la Bible, alors il s’agit d’un texte qui nous est accessible.
En même temps, la Bible contient des textes difficiles à comprendre (2 Pi 3.16), ainsi que des enseignements qui correspondent aux différents stades de la maturité chrétienne (Héb 5.12), ce qui nous incite à chercher la pensée de Dieu en progressant dans notre compréhension des Écritures.
• Un texte vrai, sans erreur, sans contradiction
Dieu ne ment pas (Nom 23.19), aussi nous pouvons avoir la certitude que ce qu’il dit est la vérité. Comme il est également omniscient (Héb 4.13) et immuable dans son être (Jac 1.17) et ses desseins (Ps 33.11), rien de ce qu’il affirme n’est susceptible d’être à corriger à cause du fait qu’il ne connaîtrait pas telle ou telle chose du passé, du présent ou de l’avenir, ou du fait qu’il aurait changé d’avis. Par conséquent, tout ce qu’il y a dans la Bible est vrai, et ne peut ni se contredire, ni contenir d’erreur.
Tout texte biblique doit donc être interprété à la lumière du reste de l’Écriture, en accord avec le reste de l’Écriture. Il s’agit d’une règle fondamentale de l’herméneutique chrétienne : l’Écriture interprète l’Écriture. Jésus lui-même a appliqué ce principe en répondant au diable, « il est aussi écrit », lorsque ce dernier cherchait à le faire chuter en lui citant un verset de l’Ancien Testament (Mat 4.6-7).
• Un texte qui fait autorité
Dieu est le Seigneur des seigneurs (Deut 10.17), c’est-à-dire celui qui a autorité sur toutes choses. Puisque la Bible est sa Parole, tout ce qu’elle dit doit avoir pleine autorité pour nous : c’est notre pensée qui doit s’incliner devant certains enseignements qui paraissent paradoxaux (existence du mal et parfaite bonté de Dieu ; responsabilité humaine et souveraineté divine), et non la Bible qui doit être « revue et corrigée » pour répondre à nos critères de logique.
Dans le même ordre d’idée, nous ne pouvons souscrire aux approches herméneutiques qui affirment par exemple, qu’il faut faire le tri dans la Bible entre ce qui est parole d’homme et ce qui est véritablement Parole de Dieu, et ce, quel que soit le critère de tri retenu (cohérence scientifique, distinction entre faits historiques et ce qui est du domaine de la foi, etc.). En effet, en agissant de la sorte ce n’est plus le texte biblique qui a autorité sur l’interprète, mais c’est ce dernier qui prend autorité sur le texte biblique, c’est-à-dire, finalement, sur Dieu lui-même !
• Un texte qui délimite ce que nous pouvons connaître de Dieu
Dieu n’appartient pas au domaine du créé, puisqu’il est le Créateur de toutes choses et qu’il est Esprit (Jean 4.24). Nous ne pouvons donc le connaître que dans la mesure où il se révèle à nous, et nous ne pouvons connaître de lui que ce qu’il a décidé de nous révéler (Deut 29.29). Gardons-nous donc de chercher à aller plus loin que ce que Dieu a décidé de nous révéler, en nous égarant dans des spéculations, notamment lorsque cela concerne sa personne.
• Un texte qui peut nous dépasser
Les pensées de Dieu nous dépassent (És 55.8-9), non seulement parce qu’il est Dieu, mais également parce que notre perception des choses est faussée par le péché (Éph 4.17-18), et que notre connaissance est limitée (1 Cor 13.12). Aussi, c’est avec une grande humilité qu’il nous faut aborder le texte biblique, en sachant accepter certaines affirmations claires que nous n’arrivons pas à « mettre en équation ».
• Un texte dont le sens peut dépasser la pensée de son auteur humain
Les auteurs humains rédigeaient leurs écrits en étant inspirés par Dieu, aussi est-il tout à fait possible que le texte biblique puisse avoir un sens qui dépasse celui qu’ils avaient en vue lors de sa rédaction. L’Écriture elle-même en témoigne, lorsqu’elle dit que les auteurs de l’Ancien Testament se sont interrogés sur les temps et les circonstances auxquelles se rapportaient certaines choses qu’ils écrivaient sous l’inspiration de l’Esprit (1 Pi 1.10-12).
• Un texte progressif et cohérent
Même si le message biblique forme un tout cohérent, la révélation se complète progressivement de la Genèse à l’Apocalypse : la notion de révélation progressive est donc un point à garder à l’esprit lors de l’interprétation du texte biblique.
• Un texte qui peut être actualisé
Le fait que Dieu ne change pas (Jac 1.17) donne le fondement à la pratique herméneutique qui consiste à actualiser le texte dans le cadre de notre situation présente. En effet, puisque Dieu demeure le même dans son être, cela signifie que ce qu’il exprime de sa volonté et de ses attentes dans la Bible reste valable pour nous aujourd’hui, dans la mesure bien sûr, où nous prenons en compte le contexte7 du texte dans l’actualisation que nous en faisons.
L’interprète : soumis à Dieu et ouvert à l’œuvre de l’Esprit
Lire la Bible avec un cœur endurci en obscurcit le sens, et ce n’est que lorsqu’on se tourne vers le Seigneur qu’on la comprend mieux (2 Cor 3.14-16). Cela n’est pas surprenant, car celui qui est né de Dieu a son Esprit qui habite en lui (Rom 8.9), et qui œuvre en lui pour transformer son intelligence afin qu’il soit à même de comprendre la volonté de Dieu (Rom 12.2) et de s’y conformer.
Affirmer qu’il faut se tourner vers Dieu pour comprendre sa Parole ne signifie pas qu’elle serait intellectuellement incompréhensible pour le non-croyant. Ce dernier peut avoir une certaine compréhension du message biblique, mais, s’il ne veut pas accepter ce qu’il a compris et s’endurcit, alors cela le conduit à des pensées obscurcies (Éph 4.18). Il est donc essentiel de se tourner vers Dieu avec prière, pour lui demander de nous aider à comprendre sa Parole (cf. Éph 1.16-18 ; Col 1.9), et cela d’autant plus qu’en étant l’auteur du texte, c’est lui le plus à même de nous expliquer ce qu’il a voulu nous dire !
Un tel état d’esprit de la part de l’interprète présuppose qu’il fasse preuve d’humilité et de droiture lorsqu’il aborde le texte biblique (cf. Mat 11.25), mais aussi qu’il soit prêt à se laisser remettre en question, puisqu’un des rôles des Écritures est de « redresser » (2 Tim 3.16, Semeur).
La Bible écrite par des hommes : implications herméneutiques
Les outils de l’étude
La notion biblique d’inspiration renvoie à une action surnaturelle de Dieu qui s’accomplit au travers de la culture, des facultés, du travail et de la personnalité des auteurs. C’est pourquoi les outils utilisés pour interpréter des textes non inspirés vont pouvoir être utilisés pour l’interprétation d’un texte biblique. Il est toutefois essentiel de garder un point fondamental à l’esprit, savoir que leur utilisation ne pourra se faire qu’à l’intérieur du cadre spécifique délimité par l’origine divine de la Bible.
La connaissance de l’auteur, du but de son écrit, de ses destinataires ainsi que du contexte (social, religieux, politique, historique, etc.) dans lequel il l’a rédigé, sont autant d’éléments qui peuvent apporter un éclairage précieux sur la compréhension de son écrit.
La langue et la culture
Quant au texte, il a été rédigé dans une culture et une langue données, d’où l’importance de prendre en compte les contextes linguistique, situationnel et littéraire pour bien le comprendre.
Par exemple, en hébreu, la forme des verbes ne renvoie pas d’abord au temps de l’action (passé, présent, futur), mais à l’état de l’action : le parfait (ou accompli) renvoie à une action accomplie alors que l’imparfait (ou inaccompli) renvoie à une action qui n’est pas encore terminée. Ainsi, pour l’hébreu ancien « le parfait peut fort bien se rapporter à l’avenir — en se plaçant du point de vue d’un observateur futur (passé prophétique) — et voir une action passée incomplète en se situant à un moment donné du passé. C’est toujours le contexte, et non le verbe, qui détermine le temps d’une action. “Un enfant nous est né” peut se rapporter au passé, au présent ou au futur.8 »
Ou encore, la culture hébraïque peut exprimer le comparatif par le biais d’une opposition : lorsque Jésus dit qu’il faut haïr sa propre famille pour pouvoir être son disciple (Luc 14.26), il est clair que celui qui appelle à aimer non seulement ses amis, mais aussi ses ennemis (Luc 6.32-35), ne peut ici exhorter à la haine envers les siens. Jésus dit simplement que celui qui veut être son disciple doit être prêt à le faire passer avant sa propre famille. Cette lecture est confirmée par le passage parallèle de Matthieu où Jésus dit que celui qui aime les siens plus que lui n’est pas digne de lui (Mat 10.37).
Nous terminerons par un dernier exemple : lorsque Jésus annonce qu’il restera trois jours et trois nuits dans le tombeau avant de ressusciter (Mat 12.40), il ne voulait pas dire qu’il allait y rester trois fois vingt-quatre heures. Dans la culture juive de l’époque, l’expression « un jour et une nuit » était une expression qui servait à désigner un jour, et tout jour entamé était compté comme un jour dans leurs calculs. Voilà pourquoi tout en étant ressuscité le dimanche matin alors qu’il avait été mis au tombeau le vendredi après-midi, Jésus est bien resté trois jours et trois nuits dans le tombeau. C’est bien ainsi que les pharisiens avaient compris les choses, puisqu’en se souvenant que Jésus avait dit qu’il ressusciterait après trois jours, ils demandent à ce que le sépulcre soit gardé jusqu’au troisième jour, et non qu’il soit gardé à partir du quatrième jour (Mat 27.63-64).
Une bonne compréhension d’un écrit nécessite de tenir compte de son contexte situationnel, c’est-à-dire de son contexte historique, politique, culturel, social, religieux, géographique, etc. Dans le cas de la Bible, les textes ont été rédigés dans une culture très différente de la culture occidentale, et cela, il y a 20 à 35 siècles ! Il y a donc un énorme « fossé historique et culturel » à franchir pour arriver à une interprétation la plus correcte possible des Écritures.
Le style littéraire
Une bonne compréhension d’un texte passe par la connaissance de sa fonction9, ainsi que de son contexte littéraire10. Il est évident qu’on ne va pas interpréter de la même façon un écrit poétique, narratif ou apocalyptique.
Néanmoins il ne faut pas perdre de vue que les règles ou les styles pour un genre défini peuvent varier d’une langue à l’autre, et peuvent même évoluer au cours du temps. Par exemple, les règles de la poésie hébraïque étant différentes des règles de la poésie française, il serait erroné de porter un jugement sur la poésie biblique d’après les normes de la poésie occidentale. Comme l’écrit P. Courthial, « les formes et les genres littéraires occidentaux ou (et) modernes auxquels nous sommes habitués nous conditionnent ; aussi l’interprète devra-t-il veiller à ne pas se laisser induire en erreur par des rapprochements abusifs.11 »
Il est important aussi, d’avoir conscience que la Bible utilise des figures de langage, car une lecture « au pied de la lettre » de textes qui sont rédigés en employant des figures de style conduit à des non-sens, ou à des interprétations erronées. Par exemple, l’hyperbole, couramment employée dans la Bible, consiste en une exagération délibérée des traits d’une idée ou d’une réalité : l’auteur du Psaume 119 écrit que ses yeux versent des torrents d’eau (Ps 119.136), le livre du Deutéronome parle de villes fortifiées jusqu’au ciel (Deut 1.28), l’évangéliste Jean affirme que, si on voulait écrire tout ce que Jésus a fait, alors le monde entier ne serait pas assez grand pour contenir tous ces livres (Jean 21.25), etc. La prise de conscience qu’il s’agit de conventions de langage permet de dédouaner les auteurs de mensonge ou de travestissement de la vérité.
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Dans le rapide survol que nous venons de faire, nous avons relevé que l’interprétation d’un texte dépend des présupposés de l’herméneute. Néanmoins, même parmi les personnes qui acceptent la pleine inspiration de la Parole de Dieu, force est de constater qu’il n’y a pas toujours unanimité d’interprétation. Ces divergences ne doivent pas nous décourager, mais au contraire nous stimuler à interpréter sa Parole avec une approche herméneutique qui soit la plus rigoureuse possible, en étant respectueuse du double statut des Écritures : pleinement et entièrement Parole de Dieu, mais aussi pleinement parole d’homme. Elles doivent également nous pousser à nous tourner vers Dieu avec humilité, pour lui demander son secours pour interpréter sa Parole. Et par dessus tout, ne perdons pas de vue que la bonne compréhension des Écritures ne saurait être une fin en soi, puisque l’Écriture doit avoir des répercussions dans la vie du croyant, en l’éduquant, le corrigeant et le préparant à des œuvres selon Dieu (2 Tim 3.16-17). Comprendre le texte biblique est une première étape, appliquer et vivre ensuite ce qu’on a compris est la deuxième étape indispensable, sans laquelle nous nous séduisons nous-mêmes (Jac 1.22).
1 Si des personnes peuvent tordre le sens des Écritures (2 Pi 3.15-16), si Jésus peut s’opposer au diable par des « il est écrit » (Mat 4.3-10), c’est bien parce que le texte biblique a un sens qui ne peut être fonction de l’interprétation subjective des uns ou des autres.
2 Nous entendons par là une lecture qui tend à juxtaposer les sens des mots de la phrase, tels qu’ils apparaissent dans les dictionnaires : par exemple la lecture qui voudrait que l’expression « il pleut des cordes » signifie que des cordes tombent du ciel.
3 F.F. Bruce, S. Romerowsky, « Interprétation biblique », Le grand dictionnaire de la Bible, Ex-celsis, 2004, p. 753.
4 Un présupposé est une croyance non démontrable qui est l’objet d’une foi plus ou moins cons-ciente.
5 J. Packer, « L’herméneutique et l’autorité de la Bible », Hokhma, n° 100, 2011, p. 23.
6 Tout en inspirant les auteurs bibliques, Dieu ne court-circuite pas leur humanité : ces derniers s’expriment avec leur personnalité, leur culture, leur langue, etc.
7 Nous parlons ici du contexte au sens large du terme : il s’agit du contexte historique, culturel, religieux, mais aussi de la notion de révélation progressive de Dieu, etc.
8 A. Kuen, Comment interpréter la Bible, Emmaüs, 1991, p. 66. 9 Le texte peut avoir une fonction informative, ou émotive (exprimer ce que ressent l’auteur), ou encore impressive (c’est à dire créant un effet).
10 Par contexte littéraire nous entendons le type d’écrit (narratif, poétique, apocalyptique, etc.), mais aussi le contexte de la phrase pour déterminer le sens du mot, le contexte du paragraphe pour déterminer le sens de la phrase, le contexte de la section pour déterminer le sens du paragraphe, etc.
11 P. Courthial, Fondements pour l’Avenir, Kerygma, 1982. (Source Internet consultée le 30-07-2013 : http://www.vbru.net/src/divers/doctrine/courthial_hermeneutique.html)
« Pardonnez-vous réciproquement comme Dieu vous a pardonné en Christ. » (Éph 4.32)
Philippe JUSTON
Philippe Juston est à plein temps pour l’œuvre du Seigneur en région parisienne. Il travaille pour une association humanitaire chrétienne, « La Gerbe » (voir site www.lagerbe.org) ; il a également un ministère par internet de réponses à des questions et il est actif dans son église locale. Diplômé de l’Institut biblique de Nogent-sur-Marne, il a 38 ans et il est marié à Catherine. Ils ont adopté deux enfants, puis ont eu récemment une petite fille.
Le thème du pardon fait partie de l’ossature sur laquelle s’articule l’histoire de Dieu et de l’humanité. Il s’agit d’un sujet essentiel qu’il est bon de méditer pour pouvoir mieux le vivre comme nous y encourage la Bible, qui nous exhorte à nous pardonner les uns aux autres comme Dieu nous a pardonnés (Éph 4.32 ; Col 3.13). C’est pourquoi dans les lignes suivantes nous proposons de nous arrêter rapidement sur quelques aspects du pardon divin, avant d’examiner un peu plus longuement différents aspects du pardon humain. Les limites imposées à cette étude ne permettant pas de traiter le sujet du pardon dans son ensemble, le choix a été fait de privilégier quelques aspects "théologiques" souvent mal compris.
Le pardon divin, relationnel et juridique
Parmi les nombreux textes bibliques qui font référence au pardon divin, nous en relèverons un qui permet de saisir plusieurs aspects de ce pardon : « Et vous, qui étiez morts à cause de vos fautes, et parce que vous étiez des incirconcis, des païens, Dieu vous a donné la vie avec le Christ. Il nous a pardonné toutes nos fautes. Car il a annulé l’acte qui établissait nos manquements à l’égard des commandements. Oui, il l’a effacé, le clouant sur la croix. » (Col 2.13-14)
Le début de ce texte place le « cadre » dans lequel prend place le pardon divin en abordant la question du rapport entre l’homme et Dieu sous son angle relationnel et sous son angle juridique :
– parler de mort spirituelle, c’est dire qu’il y a séparation entre l’homme et Dieu et qu’il ne peut exister de relation de communion entre eux ;
– parler de fautes, c’est dire qu’il y a une loi qui a été transgressée, donc qu’il y a un offenseur (celui qui a commis la faute) et un offensé (celui envers qui la faute a été commise).
Les fautes de l’homme sont présentées ici comme la cause de sa mort spirituelle ; vu sous un autre angle, cela signifie que la cause du problème relationnel qui existe entre l’homme et Dieu est de nature juridique.
Après avoir dépeint la situation passée des destinataires de sa lettre, l’apôtre parle de leur situation présente : ils ont la vie. Ils sont donc maintenant enfants de Dieu et ont une relation de communion avec lui. L’apôtre souligne alors que ce qui a permis de rétablir cette relation, c’est le pardon que Dieu leur a octroyé ; pardon qui consistait en l’annulation, en l’effacement de l’acte qui établissait leurs manquements. Ainsi le pardon divin se révèle être l’acte par lequel Dieu ôte l’accusation qui pèse contre celui qui a transgressé sa loi. Dès lors, une relation de communion peut exister entre Dieu et l’homme puisque ce qui faisait obstacle à cette dernière a été ôté. Le pardon divin qui se situe sur un plan juridique a pour conséquence la réconciliation qui se situe sur un plan relationnel.
Encore un point important à relever au sujet du pardon divin : à qui est-il octroyé ? Bien que Dieu aime l’homme et soit disposé à lui pardonner, le pardon divin n’est accordé que dans la mesure où l’homme se repent de ses fautes et demande pardon à Dieu.
Le pardon humain, à l’image du pardon divin
Le pardon divin servant de modèle au pardon humain, nous nous proposons maintenant d’aborder quelques aspects du pardon humain en gardant à l’esprit les différents points rappelés précédemment.
Parler de nécessité de pardon entre deux personnes, c’est dire qu’il y a nécessité de restaurer la relation entre ces deux personnes à cause d’une offense qui l’a perturbée. À l’image de ce que nous avons vu pour le pardon divin, lorsque l’offensé déclare à l’offenseur qu’il lui pardonne, il lui déclare qu’il ne tient plus compte du contentieux qui le séparait de lui. Cela a plusieurs conséquences.
Pardon et libération du ressentiment
Une première implication est que pardon et libération du ressentiment sont deux choses différentes. Lorsque nous sommes offensés, cela génère en nous des émotions : tout comme la douleur physique nous avertit que notre corps a été blessé, les émotions que nous ressentons nous signalent que notre âme a été blessée. Ces émotions peuvent être saines ou malsaines ; si elles sont malsaines il peut nous arriver de les garder pour nous-mêmes et de les laisser dégénérer et se transformer en ressentiment profond, voire même en haine contre celui qui nous a blessés. Ce ressentiment, cette amertume, voire même cette haine, sont un péché qu’il nous faut régler devant Dieu. Rejeter sur l’offenseur la responsabilité de ce que nous vivons n’est pas la solution pour régler ce péché qui entrave notre relation avec Dieu. Même s’il est vrai que celui qui nous a blessés est coupable de ce qu’il a fait, qu’il y a sans doute une réelle injustice à notre égard, nous sommes pour notre part responsables devant Dieu de notre réaction ; et si nous réagissons mal, ce n’est pas uniquement à cause de celui qui nous a blessés, mais c’est avant tout dû au fait que nous sommes pécheurs et que notre réaction est entachée par le péché. Si nous n’étions pas pécheurs, nous réagirions sainement, à l’exemple de Jésus … Ainsi, lorsque nous réalisons que nous avons laissé se développer en nous des sentiments qui ne sont pas selon Dieu, c’est vers lui qu’il faut se tourner en les lui confessant avec repentance, et en lui demandant qu’il nous en libère et qu’il place en nous son amour et sa paix. Cette démarche qui a lieu entre Dieu et nous-mêmes et qui vise notre restauration spirituelle est donc différente de la démarche du pardon qui a lieu entre l’offenseur et l’offensé et qui vise leur réconciliation. Ce qu’il faut encore souligner, afin que les choses soient bien claires, c’est qu’être libéré de son ressentiment ne signifie pas nécessairement que l’on ne va plus souffrir de l’offense subie ; cela signifie plutôt que l’on va réagir de manière saine face à cette souffrance.
Pardon et disposition à pardonner
Une deuxième implication est que pardon et disposition à pardonner sont deux choses différentes. En effet, lorsque quelqu’un nous a offensés, nous pouvons être libérés de tout ressentiment envers lui, être prêts à lui pardonner et même l’aimer, sans pour autant lui avoir pardonné ! Le modèle divin du pardon aide à saisir cela : Dieu est disposé à pardonner à l’homme, Dieu aime l’homme, mais tant que ce dernier ne s’est pas repenti, Dieu ne lui accorde pas son pardon et l’homme ne peut espérer avoir communion avec lui. Il devrait en être de même pour nous : si nous sommes dans une situation où nous n’avons pas pu accorder notre pardon à notre offenseur (mais où nous sommes cependant prêts à l’accorder s’il vient nous le demander), alors nous ne pourrons pas avoir une relation normale avec cette personne comme si de rien n’était. Cela ne nous dispensera pas de l’aimer et de rechercher son bien comme Dieu nous le demande pour tout être humain ; mais sur le plan pratique cela signifiera qu’une relation harmonieuse ne pourra pas s’établir tant que le problème ne sera pas réglé.
Pardon et réconciliation
Une troisième implication est que pardon et réconciliation sont deux choses différentes. Même si la réconciliation est intimement liée au pardon, elle en est cependant distincte puisqu’elle en est la conséquence comme nous l’avons vu dans le modèle divin. Confondre ces deux choses peut amener à chercher la réconciliation sans régler le problème de fond, ce qui aboutira à une relation bancale où le problème finira par ressortir tôt ou tard.
Pardon et oubli
Une quatrième implication est que pardon et oubli sont deux choses différentes. En s’appuyant sur des traductions littérales de textes comme Héb 8.12 ou 10.17 qui disent que Dieu ne se souviendra plus de nos péchés, nous pourrions penser que le fait de pardonner une offense implique que nous oubliions celle-ci (dans le sens d’un « effacement » de notre mémoire). En fait une telle compréhension est à écarter, tant sur le plan linguistique que sur le plan théologique. En effet, l’emploi de l’expression : « Dieu se souvient » dans des textes comme Gen 8.1 ; 19.29, etc., montre que l’expression « Dieu ne se souviendra plus de nos péchés » signifie qu’il n’en tiendra plus compte (cf. la traduction du Semeur), qu’il ne va pas agir en fonction de nos péchés. Et sur le plan théologique, il est évident que cette expression ne peut être comprise dans le sens d’une « amnésie » de Dieu par rapport aux péchés pardonnés : sinon cela signifierait que nous serions à même de savoir des choses que le Dieu omniscient lui-même ignorerait !
Ainsi, puisque pardonner n’implique pas de devenir « amnésique » quant à l’offense subie, cela signifie que même après avoir remis ses griefs à Dieu et pardonné à l’offenseur, l’offensé peut garder une cicatrice liée à l’offense, cicatrice qui peut être longue à se refermer.
L’octroi du pardon humain
Avant de terminer, nous aimerions nous arrêter encore sur un point, celui de l’octroi du pardon humain.
Si nous nous reportons au modèle divin, nous en concluons que le pardon ne peut être accordé que s’il y a repentance. Et cela est confirmé par Jésus en Luc 17.3-4 où il met tout spécialement en évidence la nécessité de la repentance pour que le pardon puisse être accordé par l’offensé. À cet égard, il faut souligner qu’il n’est peut-être pas toujours nécessaire de s’attacher à entendre exactement les mots : « je me repens », car la repentance peut s’exprimer par d’autres termes. Mais il est essentiel qu’elle soit là pour que le pardon puisse être accordé : d’abord parce que vouloir pardonner sans qu’il y ait repentance, c’est refuser de se conformer au modèle divin. C’est finalement vouloir faire les choses comme on l’entend, et non pas comme Dieu le veut ! Ensuite, parce que se repentir, c’est reconnaître qu’on a eu tort, qu’on est fautif. Par conséquent, pardonner sans exiger de repentance, c’est donner raison à l’offenseur et d’une certaine façon c’est l’encourager à continuer dans sa voie ! La repentance est aussi importante vis-à-vis de l’offenseur, car une offense envers le prochain est aussi une offense envers Dieu puisqu’il demande d’aimer son prochain. Ainsi, c’est par la repentance envers Dieu et envers son prochain que l’offenseur peut être délivré de son péché. Enfin, exiger la repentance est important, car pardonner sans repentance revient plus ou moins à cautionner le mal et c’est d’une certaine manière refuser de rétablir l’ordre moral qui a été bafoué.
Affirmer que la repentance est nécessaire à l’octroi du pardon amène inévitablement à s’interroger sur des textes comme Matt 6.15 ; 18.33-35 ; Marc 11.25-26 ou Luc 11.4, qui semblent faire dépendre le pardon divin du pardon humain. Cette compréhension ne peut cependant pas être retenue, car le reste de l’enseignement biblique montre clairement que ce n’est pas en pardonnant que nous pouvons gagner le pardon de Dieu (ce serait le salut par les œuvres). Dès lors, il nous semble que ces textes présentent le pardon humain comme la « condition-conséquence » du pardon divin et non comme la cause, qui en est la grâce de Dieu. Et ce n’est pas un cas isolé puisque l’enseignement biblique présente d’autres « conditions-conséquences » du salut telles par exemple la persévérance (Matt 10.22 ; 24.13) ou la sanctification (Héb 12.14 ; 1 Cor 6.9, etc.).
Vivre le pardon
Vivre le pardon dans nos relations interpersonnelles n’est donc pas une option pour le chrétien. Se pardonner les uns aux autres est un acte que Dieu nous appelle à vivre pour restaurer les relations avec notre prochain. Car comment pourrions-nous vivre l’amour de notre prochain tout en refusant de lui pardonner ?
En même temps, vivre le pardon à l’image du pardon divin peut paraître un but impossible à atteindre. Mais l’amour de Dieu versé dans nos cœurs par l’Esprit Saint n’est-il pas le moteur essentiel qui permet de réaliser ce qui pourrait paraître inconcevable ?
« Le Seigneur vous a pardonné : vous aussi, pardonnez-vous de la même manière. Et, par-dessus tout cela, revêtez-vous de l’amour qui est le lien par excellence. » (Col 3.13-14)
Bibliographie
Nous conseillons vivement au lecteur qui voudrait approfondir le sujet du pardon l’excellent livre de Jacques Buchhold et duquel nous nous sommes largement inspirés pour cet exposé.
– Neil Anderson, Une nouvelle identité pour une nouvelle vie, Editeurs de Littérature Biblique, Braine-L’Alleud, p. 191-206.
– Jacques Buchhold, Le pardon et l’oubli, Excelsis, Cléon d’Andran, 1997, 169 p.
– Samuel Hatzakortzian, Le pardon une puissance qui libère, Compassion, Challes-les-Eaux, 1980, 93 p.
– Jacques et Claire Poujol, Manuel de relation d’aide, vol. 2, Empreinte, Paris, 1996, p. 99-107.
– R. Vercellino-Aris, « Le pardon : une résurrection », La Revue Réformée, n° 198, mars 1998, p. 33-53.
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