PROMESSES
Abimélek n’est pas membre de la même famille spirituelle qu’Othniel, Ehud, Débora, Gédéon, Jephthé et Samson. Des différents cycles d’oppression/libération du livre des juges, il est le seul chef à n’avoir pas libéré son peuple. Au contraire, il l’a réduit en esclavage. Ce fils de Gédéon est à l’opposé des juges. Il est un tyran : le type même de l’anti-juge.
Un monde à l’envers
Une comparaison avec Gédéon est instructive. Elle est même voulue par l’auteur , car plusieurs liens unissent ces deux personnages, par ailleurs si opposés.
En premier lieu, ils sont seuls leaders du livre a être membres d’une même famille: Gédéon est le père, Abimélek, le fils.
Deuxièmement, les deux récits sont placés côte à côte. Mieux, ils sont au centre du développement sur les juges (3.5-16.31). Gégéon est précédé d’un juge inhabituel (Débora, une femme) et Abimélek est suivi d’un juge inhabituel (Jephthé, un bâtard). A son tour, Débora est précédée d’un juge solitaire (Ehud), alors que Jephthé est suivi d’un autre juge solitaire (Samson).
Troisièmement, la séparation entre les cycles de Gédéon et d’Abimélek est floue. Si un éditeur de la Bible veut insérer des sous-titres, il est emprunté ici. Doit-il placer le début du cycle d’Abimélek en 8.29, en 8.33 ou en 9.1 ? Les deux sections délimitées par ces trois repères (8.29-32 et 8.33-35) peuvent être rattachées à chacun des cycles: la première section mentionne déjà la naissance d’Abimélek (8.31), la deuxième, contient encore une information sur le ministère de Gédéon (8.35). Ce flou surprend et contraste avec la séparation sans bavure unissant les autres cycles. En fait, l’auteur veut rapprocher, par ce fondu-enchaîné, les deux hommes.
Des liens relevés, passons aux contrastes. Les deux hommes sont aussi différents que le jour et la nuit. Nous sommes à l’opposé du dicton : «Tel père, tel fils». Gédéon est le champion de l’orthodoxie; Abimélek, le chef des hérétiques. Intransigeance doctrinale d’un côté; syncrétisme religieux de l’autre. Lutte contre Baal pour le père et ses compagnons; alliance avec Baal pour la génération du fils (Baal-Bérith signifie «alliance avec Baal»: 9.4). Humilité de Gédéon qui confesse d’emblée sa faiblesse (6.15); orgueil d’ Abimélek qui sans hésitation tue ses frères pour dominer sur toute une population (9.2-5).
Gédéon, le juge, est appelé par Dieu pour un ministère de salut; Abimélek, le tyran, décide de lui-même de devenir chef pour asservir le peuple. Pour le premier, Dieu opère le miracle de la toison pour confirmer son ministère devant toute son armée (voir Promesses 102 [1992/4] p.10- 14); le second, livré à lui-même, mène une campagne électorale pour gagner l’approbation du peuple. Celui-là règne dans le cadre d’une théocratie; celui-ci, dans le cadre d’une démocratie. Là, domine la justice qui libère de l’oppression; ici, l’injustice des hommes qui s’érigent en maîtres absolus.
Le contraste entre les deux cycles expose toute l’horreur de l’éloignement de Dieu. La distance entre le père et le fils marque l’ abîme entre la bénédiction et la malédiction divine . De plus, la révolte du fils impur (Abimélek n’a-t-il pas été engendré par une concubine: 8.31) illustre celle d’Israël. Ce peuple, en reniant son rédempteur et Père céleste, marche sur les traces d’ Abimélek. Si l’anti-juge a tué ses propres frères, le peuple infidèle persécute ses prophètes .
Une défaite sans combat
A la suite de cette évaluation globale sur Abimélek, il convient de reprendre certains points particuliers. Nous commencerons avec la conquête du pouvoir d’Abimélek, continuerons avec la parole prophétique de Yotam, et terminerons avec l’éclatement de la tyrannie.
L’avènement d’un tyran n’est possible que dans un milieu déterminé. Dans une société ancrée en Dieu, toute quête d’un despote est balayée d’un coup de vent. Par contre, lorsqu’une population a abandonné son créateur, les promesses du méchant sont prises pour paroles d’évangile.
A la mort de Gédéon, Israël se prostitue une fois de plus avec des idoles (8.33); à l’alliance avec les divinités suit le rejet de Dieu (les Israélites ne se souvinrent plus de l’Eternel, 8.34); à l’oubli du créateur succède le mépris de la justice (les Israélites n’usèrent pas de loyauté envers la maison de Gédéon après tout le bien qu’il avait fait à Israël, 8.35). Dans cette marche vers les ténèbres, chaque pas en engendre un autre. Le rejet du premier commandement est toujours suivi du rejet du second. Sans amour pour Dieu, pas de véritable amour pour le prochain. Le rejet de Dieu au XIXe siècle est responsable de la crise morale du XXe.
Abimélek est écouté parce que le peuple a fermé les oreilles à Dieu. Dans un premier temps, le fils de Gédéon oriente sa campagne électorale vers une petite minorité à qui il promet monts et merveilles. Aux frères de sa mère et à tout le clan familial de sa mère (9.1 ), il suggère le gain de nouveaux privilèges : Souvenez-vous que je suis de vos os et de votre chair (9.2). Ne soyez plus dominés par une autre famille. Aucun mot sur la justice: tout est axé sur la jouissance personnelle. Dans une société gagnée au matérialisme (Baal n’est-il pas le dieu de la fertilité et de la prospérité matérielle), la lutte des classes proposée par Abimélek trouve rapidement des adeptes.
Puis, avec son petit groupe de disciples, Abimélek étend sa campagne auprès des personnes influentes (les notables de Sichem). Ceux-ci sont vite gagnés à la nouvelle idéologie. Du temple de la fausse religion, ils retirent des fonds qu’ils confient au despote (9.4). Celui-ci les utilise, non pour achever sa campagne électorale, mais pour engager des hommes de main, car des paroles, Abimélek est passé aux actes. Ses premières victimes seront ses propres frères: septante meurent, un seul s’échappe.
Abimélek avait parlé d’une domination de la famille de sa mère, non d’un massacre de la famille de son père. Devant ce bain de sang innocent, le peuple reste impassible. Ayant signé un chèque en blanc à leur nouveau maître, chacun ferme les yeux sur ce nouveau développement. Pire, ils donnent leur aval au meurtrier et l’intronisent roi (9.6).
Ayant adhéré au dieu du matérialisme, la vie humaine a perdu toute valeur. Les meurtriers des fils de re Gédéon ne touchent qu’un sicle par tête égorgée: un montant dérisoire si on le rapporte aux autres sommes mentionnées dans les Juges. L’argent de poche annuel d’un Lévite mal payé n’est que dix sicles (17.10), et Dalila touche 1100 sicles de chaque prince Philistin pour livrer Samson (16.5).
L’élément le plus pathétique dans l’avènement de la tyrannie est l’absence de combat. Israël se livre pieds et poings liés à l’ennemi .Aveuglé par un message qu’il croit juste, le peuple renégat se laisse tromper par la parole. Ainsi, comme lors du cycle précédent (voir Promesses 103 [1993/ 1] p.11-16), le combat stratégique est remporté sans armes, par la parole simplement. La seule différence, mais elle est de taille, est que le premier messager était prophète de Dieu, le second, porte-parole du diable. D’un côté, vérité; de l’autre, mensonge. Ainsi, ces deux cycles au centre du livre relèvent bien le point crucial de toute la période des juges (et de la vie d’une manière générale) : tout est une question de foi.
Une parole prophétique
Israël a mal choisi. Il devra en supporter les conséquences. Yotam, le seul rescapé de la maison de Gédéon, est chargé par Dieu d’apporter une parole prophétique. Ce message céleste est au centre du cycle d’Abimélek. Précédée de la prise du pouvoir (8.30-9.6) et suivie de la désintégration du pouvoir (9.22-57), la parole divine est ainsi mise en évidence. Malgré l’ampleur de la débâcle et malgré le rejet de la révélation divine, la parole de l’Eternel reste au centre de toute chose, puisque c’est par elle que Dieu dicte le cours de l’histoire.
Yotam décide de véhiculer son message par une fable. En période d’endurcissement, les petites histoires (innocentes au premier abord) permettent de contourner la carapace d’excuses derrière laquelle se terrent les mauvaises consciences. Que ce soient les prophètes – à l’ instar de Nathan qui reprend David (2 Sam 12.1-15) – ou Jésus qui parle en paraboles aux Juifs incrédules (Mat 13), les messagers célestes se sont souvent servis d’histoires ou d’actes symboliques en dernier recours.
Yotam choisit la fable comme genre littéraire. Divers arbres tiennent lieu de personnages. Est-ce pour mieux parler à un peuple vendu au panthéisme, à l’adoration des forces naturelles? (L’intronisation de leur roi s’était tenu près du chêne de la pierre: 9.6). Est-ce pour souligner le renversement des choses ?
Sans exclure l’une ou l’autre de ces explications, peut-être faut-il voir dans les personnages de la fable l’ironie de Yotam. Puisque l’anti-juge et son peuple rebelle méprisent totalement la vie humaine, ils ont cessé d’être des hommes. Ils ne seront donc plus décrits comme des hommes. Qu’ ils soient représentés par des plantes plutôt que des animaux en dit long sur leur inhumanité!
L’ironie de Yotam est présente aussi ailleurs. En leur laissant le bénéfice du doute (Si c’est de bonne foi et avec intégrité qu’en ce jour vous avez agi envers Yeroubbaal et sa maison …: 9.19), le rescapé de la maison de Gédéon se moque de ses auditeurs. Il en est de même lorsqu’il tient son discours sur la montagne de la bénédiction (le mont Garizim : 9.7) plutôt que sur celle de la malédiction (le mont Ebal) qui lui faisait face (Deut 11.29; 27.12-13).
Rejeter les humbles qui refusent de se mettre en avant et accepter le pire des orgueilleux relève de la folie. Avec sarcasme, Yotam annonce que celui qui a fait confiance à un menteur ne peut être que trompé. Avec un peu de lucidité, le premier venu peut annoncer la suite des événements: tôt ou tard, le méchant chef et ses méchants alliés finiront par se tromper les uns les autres. Le feu sortira du buisson d’épines et dévorera les cèdres du Liban (9.15).
Le retour de manivelle
Le délai pour permettre à l’iniquité de germer et de faire éclater l’alliance est de trois ans (9.22). (Le même temps d’ailleurs qui unira l’Antichrist à Israël: Dan 9.27!). L’autodestruction est inévitable. Comme au temps de Gédéon, où les Madianites plongés dans les ténèbres physiques et spirituelles avaient fini par tourner l’ épée les uns contre les autres (7.22), Abimélek et les hommes de Sichem s’entre-tuent. Devenus idolâtres comme les Madianites, les Juifs infidèles subissent le même sort. Unis dans le paganisme, ils sont unis dans le jugement.
Un jugement à la mesure du péché est aussi illustré par la mort d’ Abimélek. Celui qui avait tué ses septante frères sur une même pierre (9.5) périt par une seule pierre (9.53); celui qui voulait dominer tous les hommes de la tête et des épaules expire la tête écrasée au sol; celui qui cherchait à monter jusqu’au ciel pour être Dieu reçoit sur le crâne une pierre qui semble venir du ciel; celui qui aspirait à la royauté est couronné par la partie supérieure d’une meule; celui qui voulait tous les honneurs meurt sans honneur puisque le coup fatal lui est porté par une femme (9.54).
Deux pierres marquent le début et la fin de la carrière du tyran. La première est celle de l’iniquité et ressemble à un autel païen dressé pour recevoir les sacrifices humains (9.5); la seconde, apportant la libération, symbolise la vie puisqu’une meule de moulin (9.53) permet de préparer la nourriture. Par le haut d’une meule qui sert à écraser les durs grains de blé, la dure tête du tyran est réduite en miettes.
L’image de la tête fracassée se rapproche aussi d’une vision donnée plus tard à Neboukadnetsar : une statue symbolisant toutes les tyrannies du monde est réduite en poussière lorsqu’ elle est frappée par une petite pierre (Dan 2.34-35, 44). Par là, Dieu indiquait au despote babylonien de quelle manière le royaume éternel serait établi. La similitude entre les deux images permet de penser que le sort d’Abimélek a une portée plus large qu’il n’y paraît: la mort de l’anti-juge n’annoncerait-elle pas le sort réservé à tous les tyrans, y compris Satan?
N’oublions pas que les voies de Dieu restent les mêmes à travers toutes les générations. Ses jugements et ses actes rédempteurs du passé nous révèlent sa personne, et par là, ils soutiennent aussi la foi de ceux qui attendent la fin du mal et l’avènement du seul vrai juge juste et miséricordieux, le Messie.
Autre étonnement dans ce combat décisif contre les Madianites: épées, lances, boucliers, frondes, chevaux, chars, sont remplacés par des trompettes, des cruches vides et des torches. De quoi dérouter non seulement les Madianites, mais tout stratège militaire. Même le lecteur familier avec le miraculeux des Ecritures saintes reste perplexe devant la voie suivie par Gédéon. Comment comprendre la réduction de l’armée? Quel sens donner aux instruments de la victoire? Seule une réponse à ces questions fera sauter le double verrou de ce récit énigmatique.
De trente-deux mille à trois cents
La raison invoquée pour réduire le nombre des combattants est donnée par Dieu: si Israël gagne, il pourrait en tirer gloire contre moi et dire: C’est ma main qui m’a sauvé (7.2).
Le problème d’Israël à l’époque des juges est du domaine de la foi. Au lieu de placer sa confiance dans les paroles de l’Eternel, le peuple élu la met dans les choses visibles. Lorsqu’il sent la victoire à sa portée, il engage les hostilités pour chasser les habitants du pays, mais quand l’ennemi est mieux armé, Israël recherche des solutions de compromis. La cohabitation semble préférable à la défaite. Mais ces ententes amicales sont en horreur à l’Eternel qui le leur fait bien comprendre (2.1-5). Israël doit conquérir tout le pays. Peu importe la force respective des armées en présence, puisque c’est Dieu qui décide de l’issue des combats; c’est lui qui désigne vainqueurs et vaincus.
Pour Israël, un succès avec une armée imposante ne résoudrait, qu’un mal secondaire (la domination des Madianites ). Le problème principal resterait (l’incrédulité envers l’Eternel). Or le peuple élu doit apprendre à vivre par la foi. Dieu l’aidera en donnant une victoire où la part de la foi sera immense et la part de la force humaine insignifiante.
La diminution des forces armées se fera en deux étapes. La première réduction purge les troupes de Gédéon de tout craintif. Voilà une des plus sages mesures que peut prendre un général. Mieux vaut être accompagné de dix mille vaillants que de trente-deux mille hommes dont les deux tiers sont craintifs. La peur est un fléau des plus contagieux. Un petit groupe en contamine rapidement toute une troupe. Dans son testament spirituel, Moïse avait déjà recommandé de dispenser de l’armée non seulement tout craintif (Deut 20.8), mais aussi ceux qui risquaient d’être indécis, soit tout homme en passe de jouir d’un bien nouveau important tel que maison, vigne ou épouse (Deut 20.5- 7).
Si les armées modernes faisaient bien de se laisser instruire par la sagesse divine lors d’un enrôlement, les églises devraient aussi veiller à ne pas contraindre les fidèles à des efforts d’évangélisation (ou toute autre action) sous prétexte d’un engagement communautaire. Imposer un combat difficile aux coeurs indécis produit plus de tort que de bien à la troupe. L’histoire de Gédéon offre d’ailleurs une deuxième illustration de ce principe. Après la victoire sur Madian, les craintifs reviennent et provoquent des remous. Ainsi, les hommes d’Ephraïm absents lors du combat décisif, mais présents dès que la victoire est assurée, rejettent immédiatement le blâme de leur absence sur le juge dans un effort d’autojustification (8.1). Seules la sagesse et l’humilité de ce dernier évitent de graves troubles (8.2-3).
La deuxième réduction limite les effectifs de dix mille à trois cents. Le critère de sélection est plus difficile à comprendre. Pourquoi ne garder que ceux qui lapent l’eau comme des chiens ? Par deux fois, les autres guerriers sont décrits comme ayant mis les genoux à terre (7.5,6). Dans cet acte, aucune faute morale, aucun relâchement dans la vigilance, mais un geste qui rappelle l’humiliation présente. Et comme Dieu veut donner la victoire par ceux qui ne plient pas le genou devant l’ennemi, il utilisera le symbole du genou plié pour limiter le nombre des vaillants.
L’intelligence au service de la foi
Réduite à trois cents, l’armée de Gédéon est prête pour le combat. Sans arme, cette poignée de combattants est forcée de dépendre entièrement de Dieu. Lui seul peut donner la victoire.
Le succès sera celui de l’Eternel. Israël ne peut que s’attendre à son Dieu. Celui-ci utilisera, néanmoins, trois cents hommes, ainsi que l’intelligence de leur chef, car la foi que Dieu désire n’est synonyme ni de passivité ni de stupidité. Au contraire, la foi biblique engage tout l’homme: coeur, âme et pensée (Mat 22.37). Aucune opposition entre foi et raison. Dieu s’adresse à tout l’être qu’il a créé.
Gédéon incarne foi et sagesse. En fin stratège, il place l’attaque au moment où la vigilance de l’ennemi est au plus bas. Au commencement de la veille du milieu (7.19) situe l’action vers minuit, soit lorsque le sommeil est le plus profond. Une précision supplémentaire nous est donnée: comme on venait de relever les gardes (7.19). Ce moment est particulier, car en plus du sommeil général, il est marqué par (1) des gardes qui tombent de sommeil (ceux qui viennent de veiller), (2) des gardes encore mal réveillés (ceux qui doivent prendre leur tour de garde), (3) des mouvements d’hommes (les uns allant se coucher, les autres à leur poste). Ce moment est propice pour jeter la confusion. Morts de fatigue ou mal réveillés, les gardes ne disposent pas de tous leurs moyens. Les mouvements à l’intérieur du camp sont pris pour des incursions ennemies, et dans l’effroi et la confusion, ils s’entretuent, chacun croyant voir dans l’autre un Israélite. Ainsi, l’Eternel tourna l’épée des uns contre les autres (7.22).
Les trompettes, les cris et le bruit des cruches brisées galvanisent les Juifs tout en semant la panique parmi les Madianites. Entourés de partout, ceux-ci se croient victime d’une attaque de grande envergure. De plus, si la lumière des torches éclaire et réconforte les Juifs, elle place les ennemis dans une semi-obscurité où les ombres fugitives accroissent la confusion et l’ angoisse.
Avec trois cents hommes non armés, Gédéon met l’ennemi en déroute. Notre juge, qui fait preuve d’un sens psychologique aïgu, a exploité au maximum ses ressources limitées. Cependant, s’il est juste de souligner l’intelligence de notre héros, il faut aussi relever l’origine divine de la stratégie. En effet, la veille du combat, l’Eternel avait conduit Gédéon dans le camp ennemi pour entendre le songe d’un Madianite et son explication annonçant la victoire d’Israël. Non seulement, le juge avait été fortifié par ce récit, mais il avait aussi pu discerner la nature du combat qu’il devait mener.
D’une part, Gédéon découvre l’anxiété des Madianites devant Israël et leur crainte d’une défaite. En homme avisé, il exploitera au maximum cette faiblesse et cherchera, par tous les moyens, à gonfler leur crainte.
D’autre part, la description de la défaite donnait au juge un précieux indice sur la stratégie à suivre. Le songe affirmait que le pain d’orge est venu dans le camp de Madian, jusqu’à la tente, l’a heurtée et elle est tombée, il l’a retournée sens dessus dessous et elle a été renversée (7.13). Si le pain d’orge représentait Israël comme l’a bien compris l’ennemi (Israël servait de grenier à blé aux troupes madianites), la tente représentait l’endroit où le guerrier se repose de ses fatigues. Les éléments du rébus étaient donnés. Pour un esprit éveillé, la solution était évidente: attaque de nuit lorsque les Madianites dorment sous leur tente.
Foi et sagesse ne sont que deux faces d’une même pièce. La confiance accordée par Gédéon aux paroles divines a renouvelé son intelligence. Ainsi, le sage est bien celui qui fonde toute sa réflexion sur la révélation claire et infaillible du créateur, et l’insensé, celui qui croit pouvoir se passer de Dieu, La crainte de l’Eternel est le commencement de la sagesse (Pr 1.7). La sagesse est le fruit de la foi, comme elle est aussi un des instruments par lequel cette foi se concrétise.
Le symbolisme d’un combat idéologique
De la valeur stratégique des éléments du combat, nous passons à leur sens symbolique. Le combat contre Madian doit marquer la priorité de la foi. Tout sera mis en oeuvre pour cela, et chaque élément du récit développera un peu mieux cette lettre ouverte sur la supériorité de la foi.
Aucune arme pour les troupes d’élite de Gédéon. Ainsi obtenue, la victoire manifestera d’autant mieux la place secondaire des armements. La priorité est située sur le plan idéologique. Ce qui importe est la parole de Dieu. Lorsque l’Eternel parle, tout est dit. La réalisation de ses promesses n’est plus qu’une question de temps. Aucun doute n’ est possible, et pour manifester la supériorité de la parole, les armes sont absentes.
La primauté de la parole entraîne la victoire par la parole. Ainsi, les paroles du juge constitueront le premier élément dans l’offensive: pour l’Eternel et pour Gédéon (7.18) ou épée pour l’Eternel et pour Gédéon (7.20). Comme les paroles de Christ sont un parfum de vie pour ceux qui s’y accrochent, mais une odeur de mort pour ceux qui les rejettent, les paroles de Gédéon raniment le courage d’ Israël tout en préparant la perte de l’ennemi. L’épée de Gédéon n’est, ici, pas faite de métal, mais de mots: c’est l’épée de la parole de Dieu, vivante et efficace, plus acérée qu’aucune épée à double tranchant (Héb 4.12).
Victoire par la parole. Aucune épée, aucune arme. Même les torches présentes ne servent pas à brûler l’ennemi. Si elles aident le juge à se situer dans la nuit, elles illustrent surtout certains principes: fils de la lumière, Gédéon et ses vaillants compagnons sont dans la lumière et voient ce qu’ils font; enfants des ténèbres, les ennemis païens et idolâtres sont plongés dans le noir et s’entre-tuent dans leur confusion.
Comme les flambeaux, les trompettes véhiculent aussi un message de vie et de mort. Pour les uns, elles sont une douce mélodie introduisant la venue de leur rédempteur; pour les autres, elles annoncent la venue du jugement dernier.
Quant aux cruches brisées, elles ne représentent pas des vies humiliées comme certains prédicateurs l’affirment, surtout pas les vies des fidèles qui sont tout sauf brisées. A la rigueur pourrait-on y voir la mort des Madianites. Plus vraisemblablement, elles symbolisent la défaite de leur divinité. Baal est le dieu de la fertilité. Mais c’est une idole; un faux dieu qui ne peut tenir ses promesses. Les cruches de ses fidèles ne peuvent être que vides, car Baal est incapable d’envoyer la moindre goutte d’eau. En brisant les cruches vides (oeuvres et symboles de Baal), Gédéon et ses compagnons proclament la défaite du faux dieu. Ainsi, après la démolition de son autel (6.25), Baal est brisé une deuxième; fois par Gédéon surnommé Yeroubbaal (que Baal plaide contre lui).
Crainte paralysante ou foi agissante
Gédéon a conduit le peuple sur la bonne voie; il a donné l’exemple en abattant l’autel de Baal et en précédant ses troupes au combat. Parce que des vaillants l’ont suivi, la victoire sur l’ennemi a pu être obtenue. Combien avons-nous besoin d’entendre cette leçon aujourd’hui! Tellement souvent, nos regards s’arrêtent sur la puissance de l’adversaire ou sur la faiblesse de nos moyens. Avons-nous oublié les paroles de Christ avant son ascension: Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde (Mt 28.20) ? Paul n’a-t-il pas dit qu’il pouvait faire toute chose par celui qui le fortifie (Phi14.13) ?
Que Dieu nous aide à ancrer notre vie dans ses promesses, plutôt que dans les apparences d’un monde en perpétuel changement. Qu’il nous aide à suivre Gédéon dans la brèche qu’il a ouverte.
Juges (6.33-40)
Peut-on demander des signes à Dieu? Et dans l’affirmative, faut-il être aussi précis que Gédéon lorsqu’il a réclamé les signes de la toison? Périodiquement ces questions se posent aux croyants soucieux de plaire à leur Seigneur. Comment connaître la volonté divine là où la Bible reste muette? Gédéon est-il le type du fidèle à suivre ou de l’incrédule qui exaspère l’Eternel?
Gédéon incrédule?
Une lecture trop rapide du texte engendre souvent une attitude critique à l’égard de Gédéon. Pour beaucoup le si tu veux sauver Israël par ma main comme tu l’as dit marque l’incrédulité. Gédéon n’a-t-il pas demandé un signe pour confirmer la parole de Dieu? Mais le témoignage de l’Eternel n’est-il pas toujours digne de confiance? De plus, observe-t- on, Gédéon a eu mauvaise conscience à demander ces signes. Que ta colère ne s’enflamme pas contre moi reflète un cour culpabilisé. Ainsi, les paroles du leader et les affirmations sur la primauté de la foi semblent condamner la démarche du juge. Mais attention aux apparences. Avant de tirer une conclusion hâtive, il faut examiner l’ensemble du texte.
Gédéon, homme de Dieu
Plusieurs éléments mettent en garde contre une attitude trop critique. En premier lieu, il faut relever la réponse divine aux requêtes du juge: aucun reproche, mais au contraire un double exaucement, et même à la lettre. Difficile de ne pas y voir une approbation divine.
En deuxième lieu, les trois chapitres consacrés au fils de Joas nous présentent un homme d’une foi exemplaire. Dès la rencontre avec l’ange de l’ Eternel sous le térébinthe d’Ophra, Gédéon s’engage. (Le signe demandé lors de son appel était des plus légitimes puisqu’il lui fallait s’assurer de l’origine divine de son interlocuteur: 6.17). Une fois convaincu de l’identité du messager, il obéit à Dieu au péril de sa vie. L’autel de Baal érigé par son père et le poteau d’Achéra sont démolis sans tarder. Quatre tribus sont convoquées et 32000 hommes sont mobilisés pour repousser les envahisseurs. Sans un murmure, il accepte de réduire son armée à 10000, puis à 300 quand Dieu le lui demande. Enfin mû par une foi sans limite, il engage les hostilités avec cette poignée de combattants contre une force innombrable. Gédéon est un héros de la foi. Telle est d’ailleurs aussi l’évaluation du Nouveau Testament qui place notre juge parmi les champions de la foi (Héb 11.32).
Un troisième indice vient de l’onction divine du juge mentionnée seulement deux versets avant la demande de signes. Comme indiqué lors de notre première étude (Othniel: Portrait d’un juge négligé, Promesses 1992/1), tous les juges étaient des leaders spirituels oints de l’Esprit divin. Les sept mentions de l’Esprit de 1’Eternel sont minutieusement choisies. A l’exception de la première référence, celle se rapportant au juge-type Othniel, les six autres ont pour but d’aider le lecteur à interpréter favorablement l’action d’un juge qui, à première vue, semble discutable. Ainsi, la demande de Gédéon ne reflète pas l’hésitation d’un cour chancelant, mais au contraire témoigne de l’assurance d’une âme ancrée dans la foi. Gédéon a demandé les deux signes à cause de sa foi. Cette affirmation peut surprendre. Pour la comprendre, il est nécessaire de rappeler le contexte dans lequel ces signes ont été demandés.
Un peuple à convaincre
Lorsque Gédéon demande les signes de la toison, il n’est pas seul. Il vient, en effet, de convoquer quatre tribus afin de repousser l’ennemi (6.33-35).32000 hommes ont répondu à l’appel. La tâche du juge est des plus difficiles. Non seulement ses effectifs sont en infériorité numérique (même les chameaux des Madianites – lisez «leur cavalerie» – étaient innombrables comme le sable qui est surie bord de la mer 7.12), mais encore ses troupes sont composées d’une majorité d’hommes craintifs. (Même après les encouragements apportés par les signes de la toison, la peur domine encore le 70% des cours). Comment mener cette troupe hésitante à la victoire? Le peuple a besoin d’assurance. Comme Gédéon dans un passé proche, eux aussi ont besoin maintenant de recevoir une parole claire de la part de l’Eternel, une parole qui les assure que Dieu est totalement de leur côté et que Gédéon est son envoyé. Celui-ci demande les signes de la toison, non pour lui-même, mais pour le peuple. Le juge sait que Dieu accordera la victoire; eux en doutent. Voilà le point crucial à saisir: Gédéon demande à Dieu de confirmer au peuple l’appel qu’il a reçu en privé.
Certains objecteront l’absence de toute référence au peuple dans les paroles adressées à Dieu. Concernant l’accomplissement du signe, le juge ne dit-il pas: alors je reconnaîtrai que tu sauveras Israël par ma main comme tu l’ as dit (6.37)? L ‘argument est de poids. Mais est-il incontournable? Gédéon s’identifie peut-être tellement au peuple qu’il prend leur demande (et leur incrédulité) à son compte. Moïse avait désiré mourir avec ses contemporains si un de leurs péchés n’était pas pardonné (Ex 32.32); l’apôtre Paul souhaitait être anathème et séparé de Christ pour ses frères selon la chair (Rom 9.3); quant à Daniel, le juste, il intercédait pour les péchés de son peuple en utilisant la première personne du pluriel (nous avons péché, nous avons commis des fautes, nous avons été méchants et rebelles, nous… Da 9.5); enfin, le Messie lui-même a porté les péchés du monde. Par amour pour leur peuple, les hommes de Dieu n’ont-ils pas souvent porté ses faiblesses? Gédéon semble s’inscrire dans cette ligne. Il prend sur lui d’approcher Dieu pour demander la confirmation de la parole divine. Sa demande de recevoir un signe est pleine d’amour et de sagesse. Elle est aussi marquée par le respect et la foi envers Dieu, comme nous allons le voir.
Un profond respect de Dieu
Comment persuader le peuple? Gédéon aurait pu demander à Dieu d’envoyer son ange pour convaincre les soldats. L’ange de l’Eternel était venu une première fois pour lui-même; il aurait pu revenir une seconde fois pour tous les hommes. Gédéon choisit pourtant un autre moyen. Deux raisons peuvent avoir motivé notre juge.
Premièrement, la préoccupation de garder une certaine distance entre Dieu et le peuple. Sachant que l’homme pécheur ne s’approche pas impunément du Dieu trois fois saint, Gédéon craint de faire appel à l’ange de l’Eternel. Comme ce dernier représente Dieu en personne, il partage aussi sa sainteté. Gédéon n’était-il pas encore marqué par cette rencontre avec l’ange, où il avait suffit que l’extrémité du bâton tenu par l’ange touche l’offrande pour que celle-ci soit immédiatement consumée par le feu? Gédéon avait alors craint pour sa vie, mais dans sa grâce Dieu l’avait épargné. Toutefois, comme on ne joue pas avec la grâce; Gédéon préfère garder une saine distance entre le Dieu saint et ce peuple encore incrédule. Un objet profane (la toison) sera un intermédiaire suffisant entre l’Eternel et son peuple.
La deuxième raison ayant pu pousser Gédéon à recourir à une toison comme porte-parole de Dieu, est sa crainte de troubler l’Eternel. Comme le centenier qui avait voulu déranger Jésus le moins possible lorsque son serviteur était malade, se sentant lui-même indigne d’une visite du Messie dans sa demeure (Mat 8.5-13; Luc 7.2-10), ainsi Gédéon ne veut pas importuner Dieu plus que nécessaire. Un mot de la part de Jésus avait suffi au centenier; une toison engorgée d’eau est tout ce que Gédéon demande. Ni un chef païen ni le peuple craintif et incrédule conduit par Gédéon ne mérite une visite personnelle de l’Eternel. Gédéon, comme le centenier, manifeste un respect profond pour le Dieu rédempteur. La foi de l’un comme de l’autre sont dignes d’ admiration.
Le respect de Gédéon pour Dieu se manifeste aussi par son hésitation à demander un deuxième signe. (Notons en passant qu’aucune hésitation ne marque la première demande, celle-ci étant entièrement légitime), Pourquoi demander un deuxième signe ou pourquoi hésiter à en demander un? Nous l’avons dit : Gédéon craint d’importuner Dieu, Un signe pourrait être suffisant, mais Gédéon préfère apporter au peuple un double témoignage (dans la loi juive, un double témoignage n’était-il pas toujours nécessaire?). Certes Dieu dit toujours la vérité, et une seule parole divine en vaut mille autres, Néanmoins, sans être indispensable, un double témoignage serait quand même le bienvenu. Gédéon sent qu’il est à la limite de ce qu’il peut demander au Seigneur: que ta colère ne s’enflamme pas contre moi, et je ne parlerai plus que cette fois (6.39). Le deuxième signe complétera donc le témoignage du premier, et nous verrons plus loin en quoi son message confirme le premier. Mais pour l’instant, revenons au premier des deux signes.
Le symbolisme du premier signe
L’intermédiaire entre Dieu et les hommes sera donc un objet. Mais pourquoi une toison, ou plus exactement pourquoi la toison, l’aire et la rosée?
Les deux premiers éléments représentent deux peuples: la toison, Israël; l’aire, les Madianites. Chaque élément typifie la nation représentée dans trois domaines: le monde matériel, l’activité des hommes et la relation avec Dieu. Ainsi sur le plan de la géographie physique (cf le monde matériel), si l’ampleur et la douceur d’une toison rappelle la prospérité du pays d’Israël (terre où coulent «le lait et le miel» ), la surface dénudée sur laquelle on bat le blé (l’aire) symbolise ces régions désertiques d’où sont venus les Madianites. Sur le plan social (cf l’activité des hommes), si la toison formée de la peau et des poils d’un animal (probablement un mouton) identifie un peuple formé d’un grand nombre de bergers (Israël), l’aire qui recueille les récoltes symbolise les dévastateurs (les Madianites) qui ramassent tout le produit des moissons israéliennes (6.4-5). Finalement, la douceur de la toison et la dureté du sol illustrent respectivement l’ouverture et l’endurcissement à Dieu des deux peuples. Israël une fois repenti prête une oreille attentive au Seigneur, alors que les Madianites restent idolâtres. (La dureté de l’aire pourrait aussi illustrer l’oppression des ennemis).
Quant à la rosée, elle représente la bénédiction divine. Rosée et bénédictions ne viennent-elles pas d’en haut (de l’air et du ciel) et ne renouvellent-elles pas la vie jour après jour en se posant sur la terre?
Ainsi le premier signe demandé par Gédéon doit annoncer la venue de la bénédiction divine sur Israël et non sur les Madianites. Ces derniers ne seront donc plus vainqueurs comme par le passé. L’accomplissement du signe est significatif: l’abondance de la rosée (la toison pressée remplit toute une coupe d’eau) annonce une victoire totale sur l’ennemi.
Avant de passer au deuxième signe, notons encore que le premier signe se rapproche passablement de l’ordre naturel. En effet, il est dans l’ordre des choses que la rosée s’attache mieux à un objet laineux (la toison) qu’à une surface dénudée (l’aire). Comment interpréter cela? Gédéon aurait-il été trop incrédule pour demander un miracle plus grand, un miracle anti-naturel? Cette interprétation cadre mal avec le portrait de notre héros. Mieux vaut voir ici un autre aspect symbolique: puisque il est dans l’ordre des choses que la bénédiction divine s’attache au peuple élu plutôt qu’à des Madianites idolâtres et meurtriers, Gédéon demande un signe «nature1». Ainsi, la demande de notre juge est en rapport non seulement avec les peuples concernés, mais aussi avec les desseins divins.
Le symbolisme du deuxième signe
Le premier signe accordé, Gédéon en demande un deuxième: cette fois la rosée doit s’attacher à l’aire et non à la toison. Pour comprendre ce signe, il faut se rappeler que Gédéon cherche un deuxième témoignage pour confirmer le premier, et non pour le contredire. En demandant que la rosée se pose sur l’aire et non sur la toison, notre juge ne souhaite pas que la bénédiction s’attache maintenant aux ennemis! Il cherche au contraire un signe qui confirme l’an- nonce de la victoire d’Israël sur les ennemis.
Mieux qu’une confirmation, ce signe marquera la victoire sur tous les ennemis, car Gédéon réalise bien que le danger n’est pas seulement d’ordre militaire, mais aussi idéologique. En fait, l’ennemi le plus difficile à vaincre est l’idolâtrie qui s’est infiltrée en Israël. Baal en était la divinité principale. Supposé apporter la pluie (et au travers d’elle la fertilité et la prospérité), il était en sorte le dieu de la nature. En conséquence, Gédéon demande à l’Eternel un signe anti-naturel pour montrer au peuple que le Dieu d’Israël peut et veut donner la victoire sur le prétendu dieu de la nature.Comme l’adversaire spirituel est le plus coriace des ennemis, le signe témoin de sa défaite sera plus miraculeux que le premier. Ainsi, si le premier signe était relativement facile à accomplir (la rosée sur la toison), le second l’est beaucoup moins (la rosée sur l’aire). Dieu accomplira cependant les deux signes, car il est capable de donner la victoire non seulement sur les hommes (les Madianites), mais aussi sur toutes les divinités (Baal). Le double témoignage d’une double victoire est clair. Dieu sauvera Israël par la main de Gédéon. Le peuple assuré de l’engagement et du choix divin est prêt maintenant à marcher à la suite de son juge.
Un homme à suivre plutôt qu’une méthode!
Gédéon a été l’homme de Dieu pour Israël. Mais l’est-il aussi pour les chrétiens, et dans l’affirmative, de quelle manière? Peut-on ou doit-on demander des signes à Dieu à l’instar du fils de Joas? Répondre directement à cette question exige une étude plus étendue. L’ensemble de l’Ecriture devrait être consulté, mais l’extrême rareté (pour ne pas dire l’absence) de demandes de signes aussi précis que ceux de la toison devrait nous rendre prudents. Gédéon est un cas particulier, comme l’a été Abraham lorsque Dieu lui a demandé d’offrir son fils en sacrifice (Gen 22). Faut-il en conclure que la demande de signe ou l’offrande d’Isaac ne présentent aucune leçon pour les autres fidèles? Nullement.
Dans les deux cas, le lecteur doit s’attacher au caractère des hommes et non à des actes très particuliers. Ainsi, les signes de la toison nous révèlent un homme plein de sagesse, de foi et de respect pour Dieu. Gédéon a su discerner les besoins légitimes du peuple, il a cru que son Dieu n’était limité en aucune manière, il a abordé le Créateur avec la crainte de celui qui a compris la sainteté du Rédempteur. Ce sont ces qualités de Gédéon qui doivent nous servir de guidé, plutôt que les signes par lesquels çes qualités se sont exprimées. Ici comme ailleurs, l’ esprit domine sur la lettre.
Rôle central de deux femmes, action discrète du juge, répétition du récit sous forme poétique, telles sont les particularités du troisième cycle des juges.
Rappelons que l’auteur des Juges expose trois siècles d’histoire au travers de différents cycles d’oppression/libération. Fixées à sept (le nombre de la plénitude), chaque scène complète le tableau par quelques touches. L’apport constant d’éléments nouveaux maintient l’intérêt du lecteur et enrichit la compréhension globale de cette période. Le rythme de la narration, de tumultueux (5 versets pour le cycle d’Othniel: Jug 3.7-11) et soutenu (19 versets pour le cycle d’Ehud :Jug3.l2- 30), devient calme avec Débora (55 versets: Jug 4-5). Le torrent initial se transforme en rivière de plaine, avec un méandre même, puisque l’auteur s’arrêtera pour reprendre une deuxième fois, mais sous forme poétique (chapitre 5), le récit de Débora.
Débora à la tête de l’Etat
Une femme juge. Voilà de quoi surprendre. Si on exclut l’abominable reine Athalie salie à jamais par son acharnement à détruire la lignée messianique pour usurper le trône royal (2 Rois 11.1-16), la situation de Débora est unique. Elle est la seule femme, dans les Ecritures a avoir été un leader politique. Lorsqu’on est sensible aux innombrables enseignements bibliques sur les rôles respectifs de 1’homme et de la femme, la position de Débora à la tête de la nation, ne peut que refléter un malaise profond. La situation est anormale, les équilibres brisés, l’harmonie rompue. Péché il y a, mais à qui la faute: usurpation féminine ou irresponsabilité masculine ?
Aucun doute n’est permis : Débora est exempte de tout blâme. A l’opposé d’une militante d’un mouvement féministe, aucune contestation des rôles ne se manifeste chez la femme de Lappidoth. Chef de la nation, elle ne cherche aucune gloire personnelle. Devant une victoire décisive et assurée (Dieu est de nouveau avec Israël), elle préfère s’effacer et appeler un homme (Barak) pour prendre le commandement des forces armées, consciente que la gloire rejaillira sur le vainqueur.
Mais voilà: Barak l’appelé, hésite. Indigne de la gloire du héros (Barak n’est pas une «baraque» ), il devra laisser les honneurs du champion à quelqu’un d’autre, à une personne animée d’une foi exemplaire: en l’occurence une autre femme (Jaël). Bien qu’étant le meilleur des hommes de sa génération (Débora ne l’a-t-elle pas choisi ? N’est-il pas le seul homme cité en exemple au chapitre 5 ?), Barak est frappé du mal rongeant la gent masculine de son époque hésitation, tergiversation, vacillation, flottement, tâtonnement, renoncement. La lâcheté masculine pousse Débora «à porter les pantalons». Aucune usurpation, simplement un vide à remplir, temporairement, puisque à tous moments elle est prête à s’effacer.
En plus de l’effort pour passer le flambeau à Barak, l’auteur relève l’attitude humble du juge de deux manières. La femme de Lappidoth siège sous un palmier (Jug 4.5). En indiquant que Débora ne juge pas à découvert, l’auteur veut-il symboliser la soumission de cette femme à Dieu ? D’autre part, l’auteur consacre peu de place à Débora, comme pour marquer l’ effacement volontaire de cette femme. Contrairement à Ehud, vers qui tous les regards convergeaient, Débora agit dans les coulisses, et si elle est contrainte à faire une apparition publique, ce n’est que l’instant d’un éclair, à l’image d’ailleurs de cet orage imprévu (Jug 5.4, 21) qui s’est abattu sur le champ de bataille.
Un rapprochement entre les deux moyens de libération envoyés par l’Eternel (une femme juge et l’orage estival) mérite un bref arrêt. Dans les deux cas le libérateur est inhabituel: une femme juge; un orage hors saison. Dans les deux cas le libérateur agit avec rapidité: Débora n’apparaît sur scène que l’espace de deux paroles; l’orage surprend les troupes ennemies par sa soudaineté. Enfin, les deux libérateurs symbolisent la bénédiction par la fertilité: une épouse probablement mère de famille; l’eau en abonqance à un moment où l’on en manque le plus.
Une deuxième héroïne
Comme pour confirmer l’attitude exemplaire de Débora, une deuxième femme s’élève au-dessus de la mêlée. La notion de dualité dans la pensée hébraïque est fondamentale. La répétition indique l’emphase, la solennité, l’assurance, la certitude. Les en vérité, en vérité ou saint, saint, saint nous sont familiers. Dans le domaine juridique, un double témoignage était nécessaire avant toute condamnation. Le courage d’une deuxième femme dans un contexte de faiblesse masculine, confirme les propos sur Débora et Barak. Ces personnes représentent plus que des individus particuliers; ils reflètent deux tendances: les forts par nature (les hommes) sont lâches, alors que les faibles (les femmes) sont fermes. C’est sur deux héroïnes que Dieu peut s’appuyer pour sauver le peuple. Gloire aux femmes, honte aux hommes!
Quelques traits de plume suffiront à notre écrivain pour situer l’arrière-plan de la deuxième femme: Jaël est l’épouse de Héber le Kénien. L’information doit être d’importance, puisque l’auteur nous la donne deux fois (4.17; 5.24). Descendants du beau-père de Moïse, les Kéniens s’étaient intégrés au peuple élu. Maheureusement, le mari deJaël – détaché de son clan (Jug 4.11 ), mais lié avec un roi païen (Jug 4.17) – semble avoir fait marche arrière. Les relations entre Héber et Israël se sont refroidies. Dans un temps de tiédeur spirituelle pour Israël, Jaël est l’une des dernières à rester bouillante pour l’Eternel. Comme Débora, elle «portera les pantalons» l’espace d’un instant, le temps d’un coup de marteau. Pour remplir le vide créé par l’effacement masculin, démunie de toute arme, elle saisit pieu et marteau pour clouer au sol Sisera, le général cananéen.
Par son engagement, Jaël rappelle aussi Ehud, le deuxième juge (Jug 3.12-30). Les différences sont minimes. Qu’il s’agisse d’un homme haut placé (Ehud) ou d’une femme insignifiante (Jaël), d’une épée enfoncée à l’horizontale dans le corps du roi Eglon ou d’un pieu martelé à la verticale dans la tête du général Sisera, d’une visite dans la ville fortifiée de l’ennemi ou d’une invitation dans la tente vulnérable d’une fidèle, les paramètres majeurs sont les mêmes: un combat solitaire, des paroles séductrices pour endormir la méfiance de l’oppresseur, un coup décisif et mortel porté au chef ennemi. Si l’auteur s’était limité à suggérer la fidélité d’Ehud (voir étude sur «Ehud : la fidélité au zénith» ), il proclame haut et fort le comportement irréprochable de Jaël : Bénie soit entre les femmes Jaël, femme de Héber, le Kénien ! Bénie soit-elle entre les femmes qui habitent sous les tentes! (Jug 5.24). En dehors de Marie, mère de Jésus (Luc 1.42), aucune autre femme n’a reçu un tel témoignage !
Entre la crainte et le courage
L’évaluation de Barak n’est pas aussi flatteuse. Alors que deux femmes sont fidèles, le meilleur des hommes hésite. Il a peur de l’ennemi et n’accepte d’engager le combat que si Débora: la mère (Jug 5.7) lui tient la main. Faut-il s’étonner que la gloire du héros lui ait échappé !
Mais si Barak est faible, il n’est pas sans mérite. Si hésitation, tergiversation, efforts pour échapper à l’appel, animent notre homme au début, le courage l’emporte à la fin: la mission est acceptée, les troupes sont menées au front. Barak a fini par donner le bon exemple. Lorsque l’auteur reprend le récit au chapitre 5, Barak partage le podium du vainqueur avec Débora (Jug 5.1,12). Le livre des Hébreux présente aussi Barak comme un champion de la foi (Héb 11.32). Avec le temps, les hésitations sont oubliées; seuls restent les exploits: un encouragement pour les multitudes de fidèles «pas toujours fidèles».
Les hésitations de Barak sont les nôtres, mais aussi celles de son époque. Dans le cantique de la victoire, notre écrivain relève l’engagement (après hésitations) des chefs et de plusieurs tribus. Les chefs étaient sans force en Israël (Jug 5.7), mais des chefs se sont mis à la tête du peuple en Israël (Jug 5.2) et le coeur de Débora est aux chefs d’Israël, à ceux du peuple qui se sont montrés prêts à combattre (Jug 5.9). Sur les dix tribus concernées (Juda et Siméon étaient trop au sud), six se sont engagées (Ephraïm, Benjamin, Manassé [Makir], Zabulon, Issacar et Nephthali :Jug 5.13-15a,18) et quatre sont lamentablement restées en retrait (Ruben, Gad [Galaad], Dan et Aser: Jug 5.15b-17).
Répétition du récit
Avant de conclure, deux remarques d’ordre littéraire doivent encore être faites. La première concerne le parallélisme entre les chapitres 4 et 5. Pourquoi rapporter deux fois les mêmes événements ? A l’inverse d’un libéralisme stérile et entêté qui se borne à «discerner», dans toute répétition, une pluralité de sources contradictoires (ne répétera-t-on jamais assez comment cette voie est fausse et sans issue ?), la reprise d’un événement fait partie intégrante d’une pensée hébraïque friande d’images et de comparaisons. Reprise n’est pas redite: deux témoignages valent mieux qu’un; une image en complète une autre. L’essence de la poésie hébraïque repose sur les comparaisons d’idées: parallélismes synonymique, antithétique, climatique; et ceci au niveau des mots, des phrases, des paragraphes, des chapitres, voir de livres entiers. Ils foisonnent dans le texte sacré.
Pour le cycle de Débora, le parallélisme convient à merveille. L’auteur ne veut-il pas exprimer des contrastes entre hommes et femmes, juge et peuple, force et faiblesse, crainte et courage, doute et foi, asservissement et libération ? Pourquoi ne pas renforcer les dualités des attitudes, par des dualités sur le plan littéraire ? Les chapitres 4 et 5 reflètent deux genres littéraires (prose et poésie), deux points de vue (pendant et après le combat), deux évaluations de Barak (blâme et louange). Il ne s’agit pas de sources contradictoires, mais d’une plume chevronnée qui sait adapter son style au message proclamé, tout en intégrant à son oeuvre le poème de notre juge-compositeur .
Les sentiments des fidèles
Si le poème du chapitre 5 permet de contraster la prose du chapitre précédent, il favorise aussi la communication de sentiments. La poésie, par ses combinaisons judicieuses de mots et d’images, crée une dynamique propice à l’expression de sentiments parfois explosifs. Souvent ignorés dans nos cultures occidentales, les sentiments font partie intégrante de la vie. La tristesse devant l’oppression ou la joie de la libération doivent pouvoir se manifester.
Deux autres techniques littéraires permettent d’exprimer des sentiments de soulagement lorsque la justice divine se réalise: le sarcasme et le ridicule. Le sarcasme marque le renversement des choses: grotesque est la chute du méchant dont la force n’a pu tenir un instant devant le courroux divin.
Ainsi, l’opprimé et le persécuté jubilent à la lecture du sort de Siséra : le pillard assoiffé de richesses (Jug 5.30) perd son bien le plus précieux (la vie); celui qui commande aux autres de mentir (Jug 4.20), se voit trompé; 1’homme qui voulait dominer le corps des femmes (allusion au viol en Jug 5.30), finit aux pieds d’une femme (Jug 5.27); celui qui voulait pénétrer dans le corps des femmes par la violence, se fait transpercer la tête par un objet qui soutient les habitations des femmes (un pieu).
Le ton sarcastique qui décrit le sort du méchant est une constante dans le livre des Juges. Pour rappeler le destin de deux des trois oppresseurs qui précèdent le cycle de Débora, on peut relever qu’Adoni-Bézek est frappé du châtiment infligé à ses victimes: amputation des pouces des mains et des pieds (jugement qu’il approuve sans la moindre critique: Jug 1.7).
Quant à la mort d’Eglon, elle est des plus grotesques. Affronté par un égal (contrairement à Siséra qui est tué par une femme insignifiante), le roi de Moab est pourfendu horizontalement. La fin de la scène est imprécise: il sortit par derrière (Jug 3.22). De qui ou de quoi s’agit-il ? (1) D’Ehud qui en combattant rusé se serait échappé par une issue secondaire. (2) De l’épée qui, après avoir pénétré dans l’adversaire, sort dans son dos. (3) Des excréments d’Eglon. Le gros qui s’empiffrait au détriment des pauvres (son tour de taille approchait les 1,50 mètres), éclate sous l’épée. Sujet à des problèmes de constipation (comme le suggère la longue attente des serviteurs: Jug 3.24), le voilà délivré de son mal puisque ses excréments se répandent au dehors!1 De son côté, Ehud profite du quiproquo créé par l’odeur pour s’échapper et organiser ses troupes. Quelle que soit l’ explication (l’auteur a peut-être pensé à toutes ces possibilités), le lecteur sourit devant le sort réservé au méchant.
Le sarcasme est un genre littéraire particulièrement bien adapté pour relever le sort de l’homme impitoyable. Que la ruine atteigne (les méchants) à l’improviste, qu’ils soient pris dans le filet qu’ils ont tendu, qu’ils y tombent et périssent! Et mon âme aura de la joie en l’Eternel, de l’allégresse en son salut (Ps 35.8-9).
Evaluation
Le titre est-il bien choisi ? Un commando qui utilise ruse et tromperie pour tuer un adversaire sans lombre d une hésitation, peut-il servir dexemple moral ? Un meurtrier na pas bonne presse. Mais attention aux confusions, gare à ces raccourcis qui gomment les frontières. Un guerrier nest pas nécessairement un criminel! Ehud est un libérateur, un sauveur suscité par Dieu pour mettre fin à la tyrannie dun roi étranger.
Si un lecteur veut comprendre Ehud sans étudier les chapitres précédents, il doit veiller, à linstar du voyageur qui prend un train en marche, à ne pas manquer Othniel, ce marchepied qui donne accès au convoi des Juges. Objet de notre première étude, le portrait-robot dOthniel léclaireur avait fixé le cadre de justice, de foi et de courage dans lequel sexerçait le ministère des juges. Précédé immédiatement par ce panneau indicateur, linterprète dEhud est orienté dans sa lecture. Le deuxième juge marchera dans les traces du premier.
Soucieux de clarté, lauteurdes Juges fournira une aide supplémentaire pour la compréhension de son message. A la fin du récit dEhud,la mention et le pays fut tranquille pendant quatre-vingt ans (Jug 3.30) permet de contrôler lanalyse. Le pays est en repos à lissue du ministère du juge, un repos total même puisque le chiffre fourni est le double de celui donné pour Othniel, le juge type (80 au lieu de 40: Jug 3.11,30). Qui dit repos dans le contexte de la justice divine, dit approbation divine. Si le lecteur a développé des réserves sur le comportement de ce juge, la bénédiction finale linvite à reprendre son étude: retour à la case départ pour rectifier linterprétation du texte.
Comme des projecteurs qui illuminent une scène aux deux extrémités, comme deux phares qui marquent lentrée dun chenal, le portrait dOthniel et la mention du repos éclairent linterprète et lui évitent de faire naufrage : Ehud est fidèle, il est doublement fidèle.
Sa récompense deux fois supérieure à celle dOthniel (et à dautres juges comme Débora et Gédéon: Jug 5.31; 8.28) peut sexpliquer de deux manières. Ehud peut avoir reçu la part dhéritage de laîné (une portion double des autres: Dt 21.17) pour sa grande fidélité. Parfait en tous points, il est lexemple à suivre, le leader par excellence. Dautre part, la récompense double peut marquer une double fidélité: celle du juge et celle du peuple. Sans devoir trancher entre ces deux explications, nous relèverons la fidélité générale de cette génération, en commençant par celle du peuple pour continuer par celle du juge. L engagement du peuple
La période des juges est marquée par une succession de révoltes du peuple contre Dieu; révoltes qui engendrent la colère divine; colère qui suscite des oppresseurs; oppresseurs qui amènent le peuple au brisement et à la repentance; humiliation qui touche le coeur sensible de Dieu. Celui-ci envoie alors un libérateur pour aider le peuple à chasser lennemi. A la génération suivante, loin davoir appris la leçon, le peuple senfonce une nouvelle fois et plus profondément dans lapostasie. Le cycle est vicieux, car à chaque ronde, on avance davantage dans les ténèbres. Lécart entre Dieu et le peuple se mesure à la distance séparant le juge du peuple. Plus ce dernier séloigne de lEternel, plus il conteste le messager divin. Au début de la période des juges, le peuple, après avoir confessé son péché, se place à lunisson derrière Ehud; avec Débora, les premiers signes de dissension apparaissent (Jug 5.15b-17, 23); Gédéon reçoit des reproches des gens dEphraïm (Jug 8.1), qui les transforment en menaces de mort pour Jephthé (Jug 12.1); quant à Samson, il se voit livré à lennemi par Juda, la tribu qui aurait dû montrer lexemple (Jug 15.11- 13)!
Ehud en vedette
Si lon revient à la génération dEhud et à lengagement du peuple derrière son juge, il faut noter que le mérite de la libération en revient surtout au juge. Sans omettre entièrement le peuple, lauteur montre par la place quil consacre au deuxième juge, que celui-ci tient le rôle clé de cette rédemption. Ehud est lacteur principal. Sil nest plus seul en piste comme Othniel, il continue à monopoliser lattention du lecteur. Le récit arrangé en forme de chiasme concentre toute laction autour du combat solitaire du juge à Jéricho.
Ehud rappelle Josué et préfigure David. Dans un premier temps, il explore le territoire ennemi. Ensuite, il y retourne pour pénétrer dans Jéricho et affronter seul le colosse ennemi (si Goliath dominera par sa stature, Eglon impressionnait par sa corpulence). Après avoir défait le chef, Ehud sonne du cor, se met à la tête du peuple et leur dit: suivez-moi, car lEternel a livré entre vos mains les Moabites, vos ennemis (Jug 3.27-28). En vrai chef, il précède ses troupes au combat. Il est présent du début à la fin de la libération.
Ethique de la guerre
La stratégie suivie pour vaincre lennemi est relevé avec soin par lauteur. Elle débute par la ruse et la tromper culmine par la mort du tyran et sachève par lannihilation des troupes ennemi. Avant de reprendre ces trois aspects, un mot sur léthique divine simpose.
Le respect du prochain tel quil est énoncé dans les dix commandements nexclut ni lusgae de la force ni le recours à la ruse. Certes, le prochain doit être traité avec équité. LAncien comme le Nouveau Testament demandent à lindividu de ne pas répondre à la haine la haine. Lamour divin commande même daccepter des contrariétés, des injustices et des humiliations. Si lindividu doit tendre lautre joue, autre est lattitude de la société. Le ministère des autorités consiste à faire respecter la justice, ou du moins à restreindre les injustices. Linnocent doit être protégé contre les menaces les plus graves. La police et larmée doivent sopposer au méchant, au besoin par la force. La justice doit, si le délit est prouvé, condamner le coupable et, pour les offenses les plus graves, demander la peine capitale. Juste après avoir donné les dix commandements à son peuple (Ex 20), Dieu ordonne de tuer les meurtriers (Ex 21.12) .Ainsi, la peine capitale ne contredit pas le sixième commandement, mais léclaire. Le respect de la vie innocente exige la mort de celui qui na pas ce respect. Dautre part, si le meurtrier perd le droit à la vie, il perd aussi le droit au respect, en particulier le droit à la vérité. Pour tuer le meurtrier, on peut le tromper si nécessaire. Eglon est ce meurtrier, et Ehud en le tuant et en le trompant pour le tuer nenfreint nullement la justice divine telle que Dieu la révélée. LEternel lui-même nenvoie-t-il pas parfois un esprit dégarement pour tromper celui qui doit mourir (endurcissement de Pharaon, aveuglement dAchab:Ex 14.17; 1 Rois 22.19- 23) ?
Stratagème de guerre
La ruse dEhud comporte trois volets. En premier lieu, il cherche à endormir la méfiance de lennemi: un présent est offert au roi de Moab. Comme plusieurs hommes sont nécessaires pour son transport, le don est dimportance. Etait-ce un tribut exigé par l ennemi ou un cadeau spontané ? Peu importe. Labondance des biens matériels et le calme dans lequel lopération de déroule semblent témoigner de la soumission et du bon vouloir des sujets. Eglon sapplaudit de sa puissance et de sa domination. Lefficacité du soporifique est rapide et agit dès le départ du groupe dIsraélites. Lorsque Ehud revient, la vigilance est déjà relâchée.
Le deuxième aspect du stratagème ressort de larme dEhud. Le juge est un Benjamite (littéralement un fils de ma main droite) qui ne se servait pas de la main droite (Jug 3.15). Etait-il gaucher ou plus vraisemblablement ambidextre comme semble lindiquer Jug 20.16 ? Dans tous les cas, il fixe son épée sur le côté droit pour mieux passer les contrôles «anti-terroristes» : les gardes ne cherchaient-ils pas surtout les épées sur le côté gauche? Dautre part, lépée est privée de garde (puisque le manche même senfoncera dans 1a chair du roi: Jug 3.22) afin de mieux épouser le profil de la jambe (une épée plate dune coudée se colle aisément contre la cuisse). .
Finalement, Ehud misera sur le despotisme de son adversaire pour lisoler de ses gardes. O roi! Jai un message secret pour toi (Jug 3.19). Eglon qui rêve comme tout tyran dasseoir encore davantage sa domination, «discerne» en Ehud un traître prêt à se vendre à lui. Le roi dit: Silence! Et tous ceux qui étaient auprès de lui sortirent (Jug 3.19). A linstant, lentretien particulier désiré est accordé. Prenant Ehud pour un traître, Eglon linvite sans se douter que le Benjamite cherche justement à le tromper. Au côté du roi ne se trouve pas un fils de ma droite qui aurait passé à gauche (changé de camp), mais un homme qui sans se servir de la main droite a placé à sa droite lépée de la justice! Le méchant qui veut écraser les fidèles par la parole dun traître reçoit la parole de Dieu (Jug 3.20), celle de la justice divine qui le transperce (l épée du juge). Lironie est à son comble; le renversement est total. Le méchant tombe par sa méchanceté.
Une victoire totale
La mort dEglon est fondamentale. Général en chef de ses troupes et artisan qui tire toutes les ficelles, le roi de Moab est le centre névralgique de la force ennemie. Cest lui qui doit être abattu en premier. Pour se défaire dune tyrannie, il faut lui trancher la tête. Déstabilisé, désorienté, désemparé même, lennemi sera ensuite détrôné et détruit. A la décapitation suivra le démembrement.
Pour marquer et annoncer la défaite totale de loppresseur, Eglon est transpercé de part en part (1épée sortant même par derrière: Jug 3.22). Larme est laissée dans le corps pour souligner laspect irrévocable de la défaite. Si ce symbole est marquant pour le lecteur, il lest encore plus pour lennemi. Après avoir frappé Eglon, lépée d Ehud sape le moral du peuple à commencer par celui des plus proches collaborateurs du tyran. Les deux tranchants de lépée reflètent bien le coup double porté à lennemi; ils annoncent aussi la débâcle complète de loppresseur.
Une fois le chef tué, leffort militaire se porte sur les troupes. Ehud rassemble ses compatriotes pour les mener au combat. Il ne se contente pas de chasser ladversaire. Il veut le détruire. En contrôlant les gués du Jourdain, il lui coupe toute voie de retraite (Jug 3.29). lls battirent dans ce temps-là environ dix mille hommes de Moab, tous robustes, tous hommes vaillants, et pas un néchappa (Jug 3.29). La défaite des oppresseurs est complète.
Lengagement total du juge peut étonner. Lannihilation de lennemi nest-elle pas la marque dun coeur dépourvu de compassion ? Il nen est rien. La vraie compassion cherche à lutter contre les forces du mal. Un ennemi mort est toujours un ennemi inoffensif, comme en témoigne la longue période de paix qui suivra. De plus, Ehud, le libérateur divin, est aussi le justicier de lEternel. Non seulement le chef des meurtriers (Eglon) doit être puni de mort, mais encore tous ceux qui se sont associés à ses barbaries (ses troupes). Unis dans le péché, ils doivent être unis dans le jugement.
Le courage du héros
La sympathie de lauteur inspiré face au combat mené par Ehud peut étonner plus dun esprit aujourdhui. Le pacifisme moderne toujours disponible pour lever une armada de boucliers face à tout usage de la force, est prêt à jeter la pierre à notre héros. La parole de Dieu est plus nécessaire que jamais. Engagé, dévoué pour son peuple, courageux à lextrême, assez lucide pour ne pas être berné par un utopisme périlleux, Ehud saisit le mal par les cornes et le détruit. Il est lexemple même du héros dont une nation peut être fière. Avec lui, la fidélité est au zénith.
ETUDE DANS L’ANCIEN TESTAMENT
Les Israélites furent asservis à Kouchân-Richeatayim pendant huit ans. Les Israélites crièrent à l’Eternel, et l’Eternel suscita aux Israélites un libérateur qui les sauva, Othniel, fils de Qenaz, frère cadet de Caleb. L’Esprit de l’Eternel fut sur lui. Il devint juge sur Israël et il partit pour la guerre. L’Eternel livra entre ses mains Kouchân-Richeatayim, roi de Mésopotamie, et sa main fut puissante contre Kouchân-Richeatayim. Le pays fut tranquille pendant quarante ans. (Jug 3.9-11)
Attention aux apparences. Ce qui prend le plus de place, n’est pas toujours le plus important. Le rôle stratégique d’un général ne se mesure pas à sa corpulence. En littérature, un mot peut changer tout le sens d’un texte. Othniel est ce mot pour le livre des Juges. Bien que son ministère soit résumé en trois versets, Othniel est comme une tour fortifiée à l’entrée d’un défilé, comme un pion avancé sur l’échiquier du livre des Juges. La compréhension de son ministère est fondamentale; elle est un passage obligé pour l’interprétation de tout le livre. Négliger Othniel, c’est s’aventurer sans guide dans les régions escarpées et difficiles de ce livre.
Othniel tient son rôle clé de sa place et de son origine. Des douze juges du livre, il est le premier, l’éclaireur en quelque sorte; il est aussi le seul qui vienne de Juda (Jug 1.13; 3.9), c’est-à-dire de la tribu qui, soit lors de la conquête du pays (au début du livre), soit lors de l’attaque de la ville renégate de Guibéa (à la fin du livre), est désignée par 1’Eternel comme devant ouvrir le chemin pour montrer aux autres la voie à suivre (Jug 1.2; 20.18). Othniel est le premier juge et il vient de la tribu leader: tout le désigne pour servir de guide.
Le portrait d’Othniel est sommaire. L’auteur qui va consacrer la partie centrale de son ouvrage à développer le ministère des juges (Jug3.5-16.31), ne veut pas, dans un premier temps, noyer son sujet sous une foule de détails. Au contraire, il cherche à mettre en évidence les points saillants des juges. Othniel servira de portrait-robot. Ce qui est dit de lui sera vrai des autres. Les repères nécessaires pour orienter le lecteur dans une compréhension du comportement des juges doivent être nets. Aucun ornement, rien de superflu.
Comme l’arbre dépouillé de ses feuilles en hiver laisse apparaître toutes les branches maîtresses, le tableau du premier juge sera squelettique. Mieux encore, il sera isolé sur la scène puisque, durant le ministère de ce libérateur, aucune information n’est donnée sur le peuple. L’attention du lecteur est ainsi focalisée exclusivement sur Othniel. Sont relevés en particulier son appel, son ministère de rédemption et l’onction divine. Ces points méritent une étude attentive. Ils sont l’objet des prochains développements.
L’appel et le ministère d’Othniel
L’Eternel suscita aux Israélites un libérateur qui les sauva (Jug 3.9). A l’origine de tout vrai appel se trouve Dieu. C’est lui le catalyseur, le moteur de tout ministère. «l »Eternel suscite». L’expression est ramassée. Pas un mot sur la manière ni la réaction du juge. Une nouvelle fois, les détails sont relégués à des développements ultérieurs, car il faudra attendre les ministères de Gédéon et de Samson pour recevoir des informations plus abondantes sur l’appel d’un juge. Pour l’heure, l’auteur se limite à l’ossature de ces appels. Dieu suscite. Voilà ce qu’il faut savoir, rien de plus.
Le ministère du juge est lié au dessein de Dieu, et si l’on désire mieux cerner ce ministère, c’est donc du côté divin qu’il faut chercher des explications. La relation entre Dieu et Israël repose sur l’alliance conclue au Mt Sinaï. Les termes du contrat sont bien résumés dans Deut 28: si Israël est fidèle, il sera béni; s’il désobéit, il tombera sous le jugement de Dieu. De plus, une repentance sincère permet en tout temps à celui qui a péché de revenir sous l’aile protectrice de l’Eternel. Pendant les trois siècles de la période des Juges, Israël n’a cessé d’osciller entre la révolte et le repentir. Tour à tour, Dieu répond au peuple par l’envoi d’oppresseurs (en cas d’ infidélité) et de libérateurs (en cas d’humiliation). Cette valse lugubre où tyrans et sauveurs se succèdent au rythme des penchants du peuple est parfaitement décrite au chapitre 2 des Juges.
L’envoi d’oppresseurs soulève cependant une question: comment le Dieu juste peut-il punir Israël par des hommes injustes? Si le peuple élu tombe sous le jugement divin, pourquoi n’en est-il pas de même pour les païens? Pourquoi le méchant dévore-t-il celui qui est plus juste que lui? (Rab 1.13). Leur triomphe et apparente bénédiction pose problème. La réponse donnée à Habakuk peu avant l’exil (Rab 2.8-17) est valable aussi ici: quand Dieu aura fini avec Israël, il se tournera vers les nations. Si le jugement commence avec la maison d’Israël. il s’ achèvera avec les païens.
Sous cet éclairage, le ministère des juges est très intéressant. Suscités par Dieu pour répondre au repentir du peuple, les juges entrent dans le dessein de la justice divine. La voie suivie est marquée par deux traces parallèles. D’un côté, le juge est appelé à libérer son peuple, de l’autre sa tâche consiste simultanément et dans le même élan à punir les oppresseurs injustes. Le jugement d’Israël étant terminé, celui des nations peut commencer.
Trop souvent les commentateurs se méprennent sur la fonction des juges. Beaucoup leur contestent un ministère de juridiction et ne voient en eux que des généraux conduisant leurs troupes au combat. Pour ces théologiens, les juges ont usurpé leur titre. Erreur. La réalité est tout autre. Les juges sont de vrais juges, des juges de première importance même. S’il est vrai qu’ils semblent peu impliqués dans les affaires domestiques (à l’exception peut-être de Débora), leur ministère s’exerce surtout au niveau suprême, celui des nations. Comme justiciers de Dieu, ils doivent non seulement libérer le peuple grâcié, mais encore punir les ennemis coupables.
Econome en explications pour Othniel, l’auteur relève cependant par plusieurs expressions la dimension punitive du ministère du premier juge. L’ennemi Cuschan-Rischeathaïm, dont le nom signifie « double méchanceté », est livré à Othniel qui le traite avec une main puissante. Aucun pardon pour celui qui n’en mérite aucun. Influencés par des pensées humanistes, les chrétiens se trompent trop souvent sur le rôle de la grâce et de la justice. Cette dernière doit punir le mal sous peine de devenir, elle-même injustice. D’autre part, la grâce divine, qui reporte le jugement mérité du pécheur sur le Messie, ne peut agir que dans le cadre d’un repentir sincère.
Lorsque la justice est exprimée dans sa totalité, lorsque le peuple réconcilié est libéré, lorsque l’ennemi est écarté et jugé, alors la paix peut régner. Le repos du pays est fixé à quarante ans. Ce chiffre, historiquement vrai, symbolise aussi toute une génération, celle du juste juge suscité par l’Eternel.
L’onction spirituelle
Homme de Dieu, le juge est marqué du sceau de Dieu: L’Esprit de l’Eternel fut sur lui (Othniel) (Jug 3.10). Avant d’entrer dans les détails, un bref arrêt sur le sens de la spiritualité évitera certaines confusions.
Contrairement aux religions orientales, qui opposent le bien à la matière et situent ainsi les notions du bien et du mal dans le domaine de la métaphysique, la Bible place ces éléments dans le domaine de la morale, c’est-à-dire sur le plan du comportement de l’homme. Est spirituel celui qui obéit à Dieu; est charnel celui qui lui désobéit. Un homme oint de l’Esprit divin est donc, par définition, un homme marqué par la morale divine.
C’est ici que l’incompréhension et même l’opposition à la spiritualité des juges est la plus forte. Comment peut-on qualifier un comportement de moral quand – visiblement il ne l’est pas, car pour beaucoup de théologiens, l’action de certains juges est à l’opposé de la justice divine. Devant une telle interprétation, il ne reste plus qu’à minimiser l’onction divine sous prétexte d’être située dans l’Ancien Testament Au plus, l’esprit qualifierait un homme pour accomplir une tâche particulière: par exemple commander une armée. Cette attitude devant le texte biblique est vouée à l’échec, car elle ne cherche pas à comprendre la parole révélée. Elle veut au contraire lui imposer le carcan d’une pensée étrangère.
Contrairement à ces raisonnements circulaires dont les explications se bornent à justifier les a priori, les juges sont réellement revêtus de l’Esprit divin. Ils sont les guides spirituels, et donc moraux, de leur génération. L’auteur inspiré l’avait d’ailleurs déjà suggéré au chapitre précédent (Jug 2) puisque, dans ce résumé de la période des juges qui retrace la chute du peuple génération après génération, aucun reproche n’est adressé aux juges. Sur fond de grisaille, leur parcours est lumineux. En fait, l’égarement du peuple vient précisément de son incapacité à maintenir le cap fixé par ses guides.
Pas de reproche dans le résumé portant sur trois siècles; mention de l’onction divine: voilà des indices fondamentaux pour interpréter les actions des juges favorablement. Un mot doit cependant encore compléter notre propos sur l’onction divine. La venue de l’esprit sur un juge apparaît à sept reprises dans ce livre. Ce nombre, loin d’être dû au hasard, est le résultat délibéré d’un auteur particulièrement attentif au symbolisme des chiffres. Pour exprimer la totalité, notre historien recourt plus d’une fois à ce chiffre de la perfection. (Après la création du monde, Dieu ne s’est-il pas reposé le septième jour?)
Nul besoin de mentionner toutes les oppressions jalonnant plus de 300 ans d’histoire: sept suffiront pour représenter l’ensemble (voir la partie centrale du livre: Jug 3.5-16.31).
Nul besoin de signaler tous les instruments de libération «dérisoires» utilisés par des fidèles pour repousser l’oppresseur: sept suffiront: la courte épée d’Ehud, l’aiguillon à boeufs de Schamgar , le pieu de Jaïr, l’action cumulée des trompettes, cruches et flambeaux de Gédéon, la meule à moulin pour la tête d’ Abimélek, les mains nues de Samson et, pour fermer définitement la bouche vorace des ennemis, une mâchoire d’âne fraîche (Jug 3.16,31; 4.21; 7.16; 9.53; 14.6; 15.16).
Nul besoin de rapporter tous les mémoriaux du passé: en les précédant du refrain jusqu’à ce jour, sept suffiront (1.21, 26; 6.24; 10.4: 15.19; 18.1, 12).
Quant à l’envoi de l’Esprit, le rappeler pour chaque juge serait laborieux et insipide. Si on l’indiquait pour le juge type, une seule mention suffirait. D’un autre côté, sept mentions témoigneraient de la multiplicité et de la totalité tout à la fois. C’est la solution adoptée par notre auteur.
Sept mentions de l’Esprit pour indiquer qu’il est venu sur tous les juges: la répétition est nécessaire, mais elle n’est pas monotone sous la plume chevronnée de notre écrivain, car, en plus de la première référence relative au stéréotype des juges (Othniel), les six autres occupent toutes une place stratégique. Comme des panneaux de signalisation routière orientant les voyageurs aux croisements, l’Esprit est mentionné chaque fois que le lecteur pourrait s’égarer et ne pas comprendre l’action juste du juge. Rencontré une fois en salle de théorie avec Othniel, le panneau réapparaît six fois sur le terrain, là où les difficultés sont réelles: une fois pour Gédéon (6.34), une fois pour Jéphté (11.29), quatre fois pour Samson (13.25; 14.6,19; 15.14).
Si le lecteur n’a pas écouté les recommandations de départ, la sortie de route est garantie, en particulier sur un terrain aussi verglacé que celui de Samson où peu d’interprètes terminent le parcours sans être meurtris à l’image de ce héros qu’ils finissent tous par blâmer plus que nécessaire. (Que le lecteur averti cherche, d’ici la parution du portrait de Samson, l’image de ce héros de la foi (Héb 11.32) tel que nous le dépeint l’auteur des Juges!)
Le caractère du juge
Pour être complet le portrait d’Othniel exige encore une touche. Elle lui sera apportée du chapitre 1 qui avait déjà introduit notre héros auprès des lecteurs des Juges. Les circonstances relatives au mariage d’Othniel (Jug 1.12-16) jettent un peu de couleur sur l’esquisse de notre premier juge; elles brossent surtout les lignes d’un caractère empreint de foi et de courage. Pour comprendre la pointe du récit, il faut se tourner vers le beau-père. Pourquoi Caleb a-t-il dit: Je donnerai ma fille Acsa pour femme à celui qui battra Kirjath-Sépher et qui la prendra (Jug 1.12)? Caleb, faut-il le rappeler, était l’un des deux héros d’Israël. Avec Josué, ils avaient été les seuls à vouloir conquérir la Palestine après l’exploration du pays (Nom 13-14). Cette détermination était signe non de témérité, mais de foi, car ces hommes avaient pris la parole de l’Eternel au sérieux. Si Dieu avait promis au peuple un pays, n’allait-il pas le leur donner; n’allait-il pas mener leur armée à la victoire?
Après la conquête de la Palestine, Caleb, toujours animé de la même foi, choisit la ville de Hébron comme part d’héritage (Jos 14.12-13), c’est-à-dire la ville même des géants! Confiant non dans sa force, mais dans la fidélité de l’Eternel, il choisit le morceau le plus coriace, et laisse ainsi au peuple un témoignage exemplaire. Faites comme moi, n’ayez pas peur, Dieu est avec nous. Ces remarques nous permettent de comprendre et d’apprécier les critères retenus pour trouver un beau- fils: Caleb ne cherche pour sa fille ni athlète musclé ni soldat couvert de cicatrices, mais un homme de foi qui prend Dieu au mot, un leader spirituel qui s’engage en première ligne, assuré de la victoire promise.
Relevons encore que la ville à conquérir était d’importance. Quiryath-Arba, la «ville du livre» comme son nom l’indique, contenait probablement une grande bibliothèque; hypothèse renforcée par son nouveau nom de Debir, qui signifie «parole». Ce centre culturel et haut lieu de l’idéologie cananéenne devait certainement être bien défendu.
Si l’époux recherché est valeureux, l’épouse ne manquait pas d’attrait. La prime offerte était alléchante; en plus du privilège d’entrer dans la famille d’un héros de la foi, Caleb offrait au vainqueur une femme de qualité. Rien n’est dit sur le physique d’Acsa, mais l’essentiel est ailleurs, comme le soulignera la mère de Lemuel dans son poème sur la femme idéale (Prov 31.10-31). Les qualités intérieures d’Acsa sont révélées lorsque, soucieuse du bien de son mari, elle demande à son père la double faveur d’un champ et de fontaines d’eau (Jug 1.14-15). Caleb cède aux désirs de sa fille, et semble même aller au-delà de sa demande, puisqu’il lui offre les sources supérieures et inférieures. Lorsque confiance et respect règnent, n’est-ce pas un plaisir pour les parents de transmettre leur héritage à leurs enfants, convaincus que ces derniers le mettront en valeur?
Sur cette image du couple idéal, nous terminerons notre portrait du juge type. Le cadre est fixé, et nous verrons dans les prochaines études comment les qualités relevées chez Othniel (appel divin, onction spirituelle, foi vivante) se manifestent dans le concret. De la charpente, nous passerons au mobilier; du squelette, à la chair. En cela nous suivrons le cheminement proposé par l’auteur du livre des Juges.
En cette fin du 20eme siècle, tout le monde parle de justice. Ce mot tient une place hebdomadaire sur les manchettes des journaux, et se rencontre quotidiennement dans la bouche des politiciens; il est enfermé dans les valises diplomatiques, et dans des millions de cours effervescents. Tout le monde parle de justice, mais chacun comprend le mot autrement. Au nom de la justice, les uns soutiennent George Bush, les autres Saddam Hussein. Les uns décrient un tyran, les autres, une société hypocrite. Si vous parlez de développement, de sous-développement, de sur-développement, d’impôts, d’immigration, d’avortement, d’euthanasie, de comportement sexuel, d’égalité des sexes, les points de vue les plus divergeants sont défendus au nom de la justice. Pourquoi tant de confusion?
Dieu est juste
Le problème de l’homme contemporain vient de ce qu’il veut parler de justice, sans parler de sainteté. Il veut être un expert en justice, mais refuse tout conseil du maître de justice.
Car faut-il le rappeler: Dieu est la norme de la justice. Ce qu’il déclare être bien, est bien, ce qu’il déclare être mal, est mal. Ce que Dieu fait est bien, cela est toujours bien; cela est bien par définition. Dieu est la norme du bien et du mal. Comme le mètre étalon déposé àParis sert de norme à tous les autres mètres fabriqués dans le monde, Dieu est la norme de toute morale.
Ce point est fondamental. En dehors de Dieu, il n’y a pas de notion de bien ou de mal. Si l’homme est capable de «sentir» le bien et le mal, s’il est capable d’approuver intérieurement certaines actions morales et d’en réprouver d’autres, c’est uniquement parce que Dieu lui a donné une conscience. Sans conscience, pas de sens moral.
Si l’homme existe dans sa forme actuelle – avec un corps, une tête, une bouche, un nez, mais deux yeux, deux oreilles, deux jambes et deux bras …, si l’homme a une conscience, c’est parce que Dieu l’a voulu ainsi. L’homme est totalement dépendant de Dieu. Bien plus, toute la création est dépendante de Dieu. Si la terre est ronde, c’est parce que Dieu l’a voulu ainsi. Si elle mesure plus de 42 000 kilomètres de circonférence à l’équateur, si elle est entourée d’une couche atmosphérique de quelques kilomètres d’épaisseur, si sa température de surface permet la vie, si la planète terre offre un extraordinaire cadre de vie, c’est parce que Dieu l’a voulu ainsi.
L’homme peut se rebiffer devant cette situation. Il peut ne pas être d’accord, mais cela ne changera rien. L’homme et toute la création sont totalement dépendants du créateur, et seul cet être, à la base de tout l’univers, peut servir de norme à la morale.
De ce qui précède, il ressort que tout comportement, toute attitude, toute pensée qui n’est pas en harmonie avec la volonté divine, sont nécessairement mauvais. Toute contestation avec le créateur n’est que folie, comme le confesse d’ailleurs Job après avoir dépensé bien de la salive. L’apôtre Paul lui aussi reconnaît la folie de celui qui blâme Dieu. Qui est-ce qui résiste à sa volonté? écrira-t-il; qui es-tu, ô homme pour contester avec Dieu? Le vase d’argile dira-t-il à celui qui l’a formé: Pourquoi m’as-tu fait ainsi? Le potier n’est-il pas maître de l’argile, pour faire avec la même masse un vase d’honneur et un vase d’un usage vil? (Rom 9.19-21).
Dieu est justice, et si un commandement divin heurte mon éthique je dois sérieusement m’interroger sur mes valeurs. Peu importe si le commandement se trouve dans l’Ancien ou dans le Nouveau Testament, car les deux sont pareillement inspirés. (Relevons à propos de l’éthique de l’Ancien Testament, éthique qui nous choque plus souvent que celle du Nouveau Testament, que les commandements donnés à Moïse au Mt Sinaï sont toujours décrits comme reflétant parfaitement la volonté divine). Si l’éthique divine n’est pas la mienne, je dois radicalement revoir mes valeurs, et me demander pourquoi j’ai tendance à confondre le bien avec le mal, et le mal avec le bien?
L’homme est pécheur
Si les commandements divins expriment parfaitement la volonté divine, ils servent aussi à évaluer (d’autres diront à juger) le comportement des hommes.
Or la Bible affirme qu’à l’exception de Jésus-Christ, tout homme a transgressé les commandements divins. Personne n’a pleinement obéi à Dieu. Il suffit d’ailleurs de lire et de méditer les normes morales du créateur pour réaliser bien vite nos manquements. Personne n’est juste devant Dieu.
Certes, tous les hommes n’ont pas transgressé les lois de la même manière. Certains sont plus coupables que d’autres. Mais attention, ne nous trompons pas nous-mêmes. Si un homme fait plus de mal que moi, cela n’excuse pas mon comportement. Un homme qui commet un meurtre est moins coupable que celui qui en commet 10, 100 ou 1000. Il est moins coupable, mais il est quand même coupable. Il est un meurtrier, et reste un meurtrier, même si d’autres font encore plus de mal. Le péché de mon voisin, n’efface pas mon péché. Certains diront qu’ils n’ont jamais commis de meurtre. Mais le crime n’est pas le seul comportement réprouvé par Dieu. Jésus condamne non seulement le meurtre, mais aussi les gestes agressifs, les paroles et même les pensées violentes. Qui n’a jamais levé sa main pour frapper injustement? Qui ne s’est jamais mis en colère et prononcé des paroles injustes et blessantes, parfois plus tranchantes que des couteaux? Qui n’a jamais ruminé dans son cour des pensées de vengeance meurtrière?
Mais les plus grandes offenses ne se situent pas sur le plan de nos relations avec les autres hommes. Le premier commandement concerne notre relation avec Dieu: Tu aimeras Dieu de tout ton cour, de toute ton âme, de toute ta pensée, et de toute ta force (Mc 12.30). Une seule personne a-t-elle toujours honoré Dieu comme elle aurait dû? Qui n’a jamais douté de la puissance ou de l’amour de Dieu? Personne. Or, selon la Bible, le premier et plus grand péché est l’incrédulité. Incrédule et orgueilleux, l’homme ne croit pas dans la perfection et dans la bonté divine; au contraire, il pense pouvoir se passer de Dieu et faire mieux que lui. Le péché d’Adam et d’Eve qui voulaient être comme Dieu, est notre péché. Nous tous contestons avec le créateur. L’homme est pécheur, tout homme est pécheur. Aucun ne fait le bien, pas même un seul.
Dieu est juste, l’homme est pécheur: voilà le résumé de tout ce qui a été dit jusqu’à présent. Mais alors quelle attitude Dieu doit-il avoir avec sa création? Comment le Dieu juste et saint doit-il, ou mieux encore va-t-il, se comporter avec l’homme pécheur. C’est ce que nous allons voir dans la deuxième partie de cet exposé.
Un jugement nécessaire
La justice ne peut pas tolérer l’injustice. Si elle la tolère, elle n’est plus juste. Si la justice tolère l’injustice, la justice devient injustice.
Dieu est saint, Dieu est juste. Il est parfait sur tous les plans. Puisque Dieu est parfait, il ne peut pas ne pas punir le mal. S’il ne le faisait pas, il ne serait plus juste.
Chaque homme peut comprendre cela, car nous avons en nous – malgré nos fautes et notre péché – un certain sens de l’équité. Si une autorité politique ou judiciaire n’intervient pas devant une grave injustice, notre être intérieur crie au scandale. Les plus courageux dénonceront publiquement cette iniquité. Car pour tous les hommes, la justice doit punir l’injustice, et veiller ainsi au bien être des innocents. Cela est vrai sur le plan d’une nation, d’une région, d’une entreprise, d’une école, d’une famille. Si la maîtresse d’une classe enfantine ne reprend pas un enfant qui martyrise tous les autres, elle se fait complice du mal.
Que le mal doive être contré est une vérité incontestable et pratiquement incontestée. Les divergences apparaissent lorsque l’on parle de la manière et du moment de la sanction.
Un jugement capital
Concernant la manière, Dieu a décrété que toute atteinte à la vie doit être punie de mort. Celui qui s’oppose injustement à la vie, doit mourir. La protection de la vie innocente exige la mort de celui qui n’a pas de respect pour la vie.
Face à ce principe juste, la situation de l’humanité est alarmante, pire, désespérée, car tous les hommes sont des ennemis de la vie. Tous les hommes sont d’une manière ou d’une autre opposés au maître de la vie. Notre opposition à Dieu, notre rejet du créateur nous place dans le camp des ennemis de la vie.
Certes, l’opposition à Dieu n’est pas la même pour tous, mais elle est toujours présente. Certains vont jusqu’à blasphémer Dieu, d’autres se contenteront de l’ignorer, ou de le servir comme eux le désirent. Que la forme soit le blasphème, le mépris, l’idolâtrie, ou la fausse religion, le fond est le même: l’homme rejette le maître de la vie, et la conséquence dramatique de cet état de fait, est que tous les hommes doivent mourir.
Un jugement différé et détourné
Mais si Dieu est juste, il est aussi miséricordieux. La justice demande la peine capitale, l’amour diffère cette peine. A Adam, Dieu avait annoncé la mort comme salaire de la désobéissance, mais lors du premier péché, Dieu a différé la sentence. Il l’a renvoyée à plus tard pour donner à l’homme un temps de grâce, un temps pour permettre à l’homme de se sauver, ou plus exactement un temps pour permettre à l’homme d’être sauvé par Dieu. Car l’homme ne doit pas se faire d’illusion. Le coupable ne peut pas se sauver lui-même. Dieu seul le peut.
Toute la Bible révèle le plan de Dieu pour sauver l’humanité. De la Genèse à l’Apocalypse, la Bible a pour thème majeur la rédemption divine. Ce plan contient deux aspects distincts, deux économies distinctes, deux testaments distincts. Ils sont distincts, mais non opposés.
Sans entrer dans les détails, relevons deux aspects particuliers. En premier lieu, la difficulté pour l’homme pécheur de s’approcher du Dieu saint. Comment un ennemi de la vie peut-il s’approcher du créateur de la vie sans être consumé immédiatement par la justice divine? Dans l’Ancien Testament toute une série de règles devait être observée. L’homme devait se garder de tout contact physique avec les choses impures. Des lois alimentaires et hygiéniques dictaient une conduite précise. L’approche du temple était particulièrement ardue: seuls certains prêtres pouvaient pénétrer dans le sanctuaire. Quant au lieu très saint, il était accessible à une seule personne une fois par année, le souverain sacrificateur qui y pénétrait au grand jour des expiations pour implorer le pardon des péchés du peuple. Pour tous, l’approche du temple était toujours accompagnée de sacrifices nécessaires pour détourner la colère divine.
Le Nouveau Testament confirme et souligne encore plus la difficulté d’une réconciliation avec Dieu. Toutes les règles de purification, tous les sacrifices d’animaux, toutes les précautions humaines pour s’approcher du Dieu saint sont, en fin de compte, insuffisants. Seul Dieu peut pardonner; seul un homme parfait peut présenter une offrande agréable; seul un homme parfait peut servir de sacrifice de substitution. Christ a pu lui seul être, et le sacrificateur parfait, et le sacrifice parfait pour expier les péchés des hommes.
En second lieu, relevons que le salut de Dieu n’est jamais désincarné. Pour s’approcher et être réconcilié avec le maître de justice, l’homme doit suivre la voie fixée par le Dieu souverain. Comme un sentier jalonné de crevasses et de précipices, les règles de l’Ancien Testament devaient être suivies à la lettre. Pas d’initiatives personnelles ou originales pour venir à Dieu. C’est lui qui fixe les conditions, et mieux valait les suivre au doigt et à l’oil. L’enjeu était trop important, et la première désobéissance avait déjà engendré suffisamment de souffrances.
La nouvelle alliance exige aussi une adhésion totale. La voie est considérablement simplifiée, car tous les règlements antérieurs se trouvent accomplis en Christ. La voie du salut devient simple, extrêmement simple. Simple, mais elle reste unique. Jésus-Christ est le chemin, la vérité et la vie. En dehors de lui, il n’y a pas de salut.
Salut ou jugement éternel
En conclusion, une parole d’exhortation s’impose. A celui qui écarte le plan de Dieu, il ne reste plus que l’attente du jugement final. Aucun autre moyen n’est donné aux homme s pour être sauvés. L’homme peut vivre une fois, après quoi vient le jugement. Que personne ne s’illusionne ou soit assez insensé pour remettre à plus tard un engagement avec Dieu. Qui maîtrise l’avenir? Qui connaît le jour de sa mort? Qui sait s’il lui sera encore donné une autre occasion de s’engager avec Christ? Aujourd’hui est le temps du salut.
D’autre part, pour ceux qui ont déjà pris cet engagement avec Dieu, l’annonce aux hommes du salut en Christ est impérative. Que notre message soit clair. Trop souvent, l’évangile est d’abord présenté comme un mieux être pour aujourd’hui. Non. La bonne nouvelle concerne en premier le pardon de nos péchés et le salut de la perdition éternelle. Comme l’apôtre Paul, n’ayons pas honte de l’Evangile: c’est une puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit (Rom 1.16).
A l’approche de l’an 2000 (après la naissance de Jésus-Christ, faut-il le préciser), nombreux sont ceux qui expriment de sérieuses réserves quant à la personne du Christ. Si son existence et son humanité ne sont niées que par une petite minorité, Sa divinité et les faits qui la confirment – sa naissance virginale, sa résurrection, les nombreux miracles qu’il a accomplis – sont rejetés par la majorité. « Pour pouvoir croire à la résurrection de Jésus, il faudrait l’avoir vue de nos propres yeux », disent-ils. Pour eux, les deux millénaires qui nous séparent de cet événement représentent une barrière infranchissable à une foi intelligente. Puisque le temps efface, déforme et transforme les faits, que peut-il rester après deux mille ans?
Cette question mérite d’être reprise. Comme une aquarelle se dilue à l’eau, le souvenir de certains événements s’efface, se déforme et se transforme. Par contre, d’autres faits historiques résistent à l’action du temps, comme les peintures indélébiles résistent à l’eau. Un témoignage oral se déforme rapidement. Qui ne connaît pas le jeu du téléphone où un message est transmis de bouche à oreille successivement par une dizaine de personnes même les messages courts subissent de grandes transformations? Un témoignage écrit est d’un tout autre genre. Il résiste infiniment mieux à la transmission et au temps. Seule une grande négligence ou une volonté délibérée peut modifier sensiblement un message d’une certaine longueur. Les hommes d’affaires, les juristes, les historiens reconnaissent tous la valeur d’un document écrit; même ancien, il garde toute sa valeur si son authenticité (le signataire correspond à l’auteur) et son intégrité (le document est fidèle à l’original) sont établis.
Qu’en est-il des faits relatifs à la vie de Jésus-Christ? Quatre écrits distincts – les quatre évangiles – nous relatent certains aspects. Penchons-nous d’abord sur leur intégrité. Dés leur rédaction et jusqu’à nos jours, les quatre évangiles (et c’est aussi le cas des autres livres de la Bible) ont été fidèlement transmis. Certes, le support matériel des originaux – probablement du papyrus – n’a pas résisté à l’action du temps et la préservation de ces textes a dû passer par de nombreuses copies, situation identique à la majorité des documents qui nous sont parvenus depuis l’antiquité. (Les seules exceptions concernent certains textes, en général courts, gravés sur la pierre, imprimés dans de l’argile cuite ou écrits sur du papyrus ou parchemin préservé dans des régions désertiques, à l’abri de toute humidité et lumière). Les livres du Nouveau Testament ont été copiés, certes, mais leurs copies sont d’une qualité inégalée lorsqu’elles sont comparées à d’autres documents de l’antiquité tant du point de vue de leur nombre élevé – plus de 5000 manuscrits grecs – du faible degré de variation entre les copies – moins de 1 % – et de l’intervalle séparant les plus anciennes copies des originaux – moins de 50 ans pour certains fragments, environ 250 ans pour tout le Nouveau Testament. Dieu dans sa miséricorde a permis que sa Parole soit transmise fidèlement de génération en génération. L’intégrité des livres du Nouveau Testament peut satisfaire le savant le plus exigeant.
L’authenticité des quatre évangiles appelle les remarques suivantes. Bien qu’aucun évangile ne porte de signature – à l’inverse des épîtres de Paul, Pierre, Jacques et Jude – l’ensemble des communautés chrétiennes disséminées dans le monde romain a, dès le premier siècle, reconnu ces ouvres comme venant de la main de deux apôtres, Matthieu et Jean, et de deux disciples, Marc et Luc, proches collaborateurs des apôtres. Les Pères de l’Eglise, dans leurs écrits, n’ont jamais fait allusion à une quelconque controverse touchant à l’identité de l’un des auteurs des évangiles canoniques. Cependant, ces premiers conducteurs de communautés chrétiennes s’exprimaient librement sur leurs doutes et objections, preuve en est l’abondance des discussions relatives à l’autorité d’autres livres, canoniques et non-canoniques, et au bien-fondé de certaines doctrines et pratiques ecclésiastiques. L’absence, non seulement de polémiques, mais de simples discussions sur les questions d’authenticité des quatre évangiles en dit long sur la confiance universelle accordée, dès leur origine, à ces biographies du Christ.
Aujourd’hui, bien des théologiens ne partagent plus cette confiance. Beaucoup plus éloignés de la rédaction de ces écrits, leur scepticisme surprend. Est-il enraciné dans la découverte de nouveaux faits, inconnus des générations précédentes, ou est-il le fruit de considérations philosophiques? Les nombreuses découvertes archéologiques de ces deux derniers siècles n’ont soulevé aucun doute sur l’authenticité des évangiles. Bien au contraire. Par exemple, la découverte de fragments de copies de l’évangile de Jean – réputé comme le plus tardif – ont irrémédiablement fixé la rédaction de cette oeuvre au premier siècle. Une meilleure connaissance du monde romain de cette même époque a permis de confirmer maints détails du livre des Actes, démontrant ainsi que seul un auteur du premier siècle avait pu écrire cette ouvre, dont la rédaction est étroitement liée à l’évangile de Luc. Si les découvertes archéologiques n’ont fait que justifier la confiance de l’église primitive, il semble bien que ce soient des considérations philosophiques qui sont à la base du scepticisme de nombreux théologiens contemporains. Partant du concept d’une évolution naturelle des idées religieuses, qui minimise ou élimine le concept d’une révélation directe et souveraine de Dieu, certains théologiens ont daté les écrits du Nouveau Testament en fonction d’une estimation du degré de développement et de maturité des affirmations théologiques. Afin de placer chaque parole à sa juste place, ils ont dû fragmenter chaque livre, souvent même les paragraphes et les phrases. Puis, considérant le temps nécessaire à la maturation des idées, les théologiens du dix-neuvième siècle ont placé la rédaction de certains écrits canoniques, comme l’évangile de Jean, dans la deuxième moitié du deuxième siècle. Plus tard, certaines découvertes archéologiques ont rendu impossible de telles dates pour les évangiles, et les adhérents de ces « à priori » philosophiques ont été obligés à comprimer de plus en plus cette évolution naturelle pour finalement la placer entièrement au premier siècle. Le résultat d’une telle démarche conduit au paradoxe suivant: à une époque où les apôtres et leurs associés étaient personnellement connus, tout le monde croyait que les quatre évangiles étaient l’oeuvre de Matthieu, Marc, Luc et Jean, alors qu’en réalité ils auraient été rédigés par des inconnus. En conclusion, si l’on fait abstraction des « à priori » philosophiques et si l’on se limite aux données observables, on peut partager la confiance de l’église primitive au sujet de l’authenticité des évangiles canoniques.
Professeur à l’Institut biblique d’Emmaüs.
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