PROMESSES
Nous reproduisons ici quelques extraits de son dernier livre « Vivre l’éthique de Dieu » (Éditions Emmaüs, CH-1806 Saint-Légier, Suisse, 2010) avec l’aimable autorisation de l’auteur. Nous avons retenu quatre enseignements du chapitre 12 consacré au mariage et à la sexualité.
1) Le célibat
Dans l’A.T., la question du célibat n’est pas directement abordée. Le mariage sert de norme aux hommes et aux femmes. D’une part, les êtres humains doivent peupler le monde (« Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre » Gen 1.28) et d’autre part, « il n’est pas bon que l’homme soit seul » (Gen 2.18). Les enfants, même âgés, demeuraient dans la sphère familiale jusqu’à leur mariage. Alors, ils « quittaient père et mère » pour devenir une seule chair avec leur conjoint (Gen 2.24). Les femmes en particulier restaient sous l’autorité paternelle tant qu’elles n’étaient pas mariées.
Le célibat existait dans l’A.T., mais il est difficile d’en estimer l’importance. Avant le déluge, les hommes se mariaient, mais moins rapidement qu’aujourd’hui. Selon les généalogies de la Genèse (Gen 5), les prédiluviens engendraient leur premier enfant après un siècle et demi en moyenne. On peut en déduire que le temps de célibat était d’une durée équivalente. Il faut dire que l’espérance de vie dépassait les neuf cents ans ! Après le déluge, les hommes engendrent beaucoup plus rapidement. Sem engendre son premier fils deux ans après le déluge (Gen 11.10), et les huit générations suivantes apparaissent tous les trente ans environ (Gen 11.12-24).
Plusieurs patriarches semblent très attachés à leur mère, au point qu’ils ne se marient qu’après le décès de celle-ci. C’est le cas d’Isaac qui s’est marié à 40 ans (Gen 25.20), trois ans après le décès de Sara (cf. Gen 17.17 ; 23.1), et « c’est ainsi qu’Isaac fut consolé après (la perte) de sa mère » (Gen 24.67). Jacob, lui aussi très attaché à sa mère (Gen 27), trouve une épouse (Rachel) dès qu’il est contraint de quitter Rébecca (Gen 27.40-28.5 ; 29.1-20). Il est alors âgé de 77 ans.1 Par contre, Esaü, son frère jumeau, moins attaché à sa mère (cf. Gen 25.28), se marie (déjà) à 40 ans (Gen 26.34). Parfois, c’est la séparation de la famille élargie qui semble avoir favorisé le mariage : Juda trouve une épouse après avoir « quitté ses frères » (Gen 38.1-2) et Moïse se marie après avoir dû fuir l’Egypte, pays où il avait grandi et où se trouvaient les Hébreux (Ex 2.15-21).
Dans l’A.T., les épouses des hommes de foi sont rarement mentionnées. Il faut dire que l’on identifiait un homme par son père. Parfois on indiquait aussi le nom de ses enfants, mais on ne nommait presque jamais son épouse. La seule exception est celle des rois de Juda dont on connaît le nom de l’épouse et du fils aîné. Par contre, on ignore souvent tout de la vie familiale des prophètes, excepté pour Osée (Os 1.1-3) et Ésaïe (És 8.3, 18). Les autres étaient-ils mariés, eux aussi ? On peut le penser, mais pas le prouver. Quoi qu’il en soit, l’absence de toute référence à une épouse ne signifie pas que ces prophètes étaient célibataires.
Le livre des Juges fait mention de la « virginité » de la fille de Jephthé (Jug 11.37-38). Ce texte est souvent mal compris, car on le lit au premier degré. Le père ne s’est jamais engagé à brûler la personne qui l’accueillerait au retour victorieux du combat (« Je l’offrirai en holocauste » Jug 11.31), mais à la consacrer au service du Seigneur. Le langage du juge est imagé, comme celui de Paul lorsqu’il encourage les chrétiens à offrir leur corps « comme un sacrifice vivant » (Rom 12.1). Jephthé est désolé de voir sa fille unique venir à lui, car il sait qu’elle restera toujours vierge. Celle-ci honore l’engagement de son père et va pleurer sa virginité (et non sa mort). Son engagement est remarquable (et non stupide), c’est pourquoi les jeunes filles commémoraient chaque année son engagement (Jug 11.39-40). Jephthé lui-même est placé parmi les héros de la foi dans le N.T. (Héb 11.32). La fille de Jephthé a été consacrée au service féminin du tabernacle. Cette activité est mal connue, mais elle incluait, comme le montre le récit des Juges, le célibat de ces personnes.2
L’enseignement du N.T. sur le célibat est beaucoup plus étoffé. Le texte de base se trouve dans 1 Cor 7.1 : « Il est bon pour l’homme de ne pas toucher de femme »3. Paul élève le statut du célibat au-dessus de celui du mariage : mieux vaut rester célibataire que de se marier (1 Cor 7.20,27,38). Paul fonde ce renversement de perspective sur le fait que l’essentiel n’est pas du domaine matériel, mais du spirituel. Concrètement, la condition du célibataire est préférable en raison « des calamités présentes » (1 Cor 7.26) et des attentions que le mariage demande (1 Co 7.32-34). Or, les soucis du Royaume doivent venir en premier. Fondamentalement, Paul désire que rien ne fasse obstacle au ministère ; c’est pourquoi tous les sacrifices sont bons s’ils servent à l’avancement du Royaume. Néanmoins, il faut rester réaliste. L’apôtre reconnaît la difficulté du célibat et ne l’impose à personne, même pas aux serviteurs de Dieu (contrairement à la pratique de l’Église catholique). En aucun cas, les désirs sexuels ne doivent mener un chrétien à l’immoralité. C’est pourquoi « il vaut mieux se marier que de brûler » (1 Cor 7.9) et « à cause des occasions d’inconduite, que chacun ait sa femme, et que chaque femme ait son mari » (1 Cor 7.2). Pour rester célibataire, il faut un don du Seigneur : « Je voudrais que tous les hommes soient comme moi ; mais chacun tient de Dieu un don particulier, l’un d’une manière, l’autre d’une autre » (1 Cor 7.7).
Face à la valorisation du célibat dans le N.T., il est intéressant de noter que Jésus accomplit son premier miracle lors d’un mariage (Jean 2.1-11). Puisqu’il participe au bon déroulement de cette fête en suppléant au manque de vin, il ne rejette manifestement pas l’institution du mariage. D’autre part, Jésus met à profit cet événement pour manifester sa gloire à ses disciples (Jean 2.11). En d’autres termes, Jésus resserre les liens avec ses disciples à l’occasion de noces. Or, Jésus est resté célibataire toute sa vie, et les disciples semblent avoir été détachés de tous liens conjugaux durant les trois ans du ministère terrestre du Seigneur. Ainsi, le mariage de Cana donne à Jésus (le célibataire) l’occasion d’établir une relation de grande proximité avec ses disciples (« célibataires »), à l’image de la relation intime qu’un époux a avec son épouse après le mariage. Aux disciples qui étaient venus voir « où il demeurait » (Jean 1.38), « Jésus manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui » (Jean 2.11). La foi, élément indispensable pour entrer dans la nouvelle cellule familiale de Jésus, est mentionnée pour la première fois.
La perspective néotestamentaire est manifestement spirituelle. Le célibat dans le N.T. n’a de valeur « supérieure » que s’il conduit à un plus grand engagement avec le Seigneur. Ce célibat « pour raison spirituelle » n’est pas synonyme de solitude, mais de communion et d’engagement. Les filles et les fils spirituels remplacent (avantageusement) les enfants issus de la chair. Rappelons aussi que dans le ciel, il n’y aura ni mariage physique ni relations sexuelles (Mat 22.30).
Avant de conclure, rappelons que le célibat n’est pas une obligation pour servir, mais une opportunité. Paul et Barnabas n’avaient pas d’épouse, alors que Pierre et les autres apôtres en avaient une (1 Cor 9.5 ; cf. Marc 1.30). Paul avait reçu du Seigneur le don du célibat, ce qui a permis à cet apôtre des païens de voyager sans relâche pour annoncer le message de l’Évangile. Pierre avait été appelé à un autre ministère (Jean 21.15-17 ; Gal 2.8), manifestement plus sédentaire.
Pour certains chrétiens, le célibat ne résulte pas d’un choix ou d’une vocation, mais de l’absence d’un conjoint chrétien avec lequel il aurait été bon de s’engager. C’est en particulier le cas lorsque l’un des sexes est largement majoritaire dans une église, et que les chrétiens ne veulent se marier que « dans le Seigneur » (1 Cor 7.39). En effet, mieux vaut ne pas se marier que de vivre un mariage boiteux. Le Seigneur donne la force et la grâce d’affronter toutes les circonstances de la vie.
2) Les fiançailles
Les fiançailles sont pour un couple une déclaration d’intention de mariage. Le terme de fiançailles désigne le jour de cette déclaration, ainsi que le temps qui sépare cette date de celle du mariage. Ce n’est pas forcément un acte religieux. Une bague de fiançailles matérialise souvent cette décision.
Les fiançailles sont un engagement qui lie les futurs conjoints par la parole en vue du mariage. Dans l’Ancien Testament, la transgression des fiançailles était aussi grave que celle du mariage. Dans les deux cas, on parlait d’adultère, et les coupables étaient punis de mort (Deut 22.23-27).
Le temps des fiançailles était un temps où les futurs époux exprimaient verbalement leur amour. Jérémie utilise l’expression « les chants du fiancé et les chants de la fiancée » pour caractériser une période de joie profonde (Jér 7.34 ; 16.9 ; 25.10 ; 33.11). Les fiancés échangeaient leurs sentiments (Cant 4.8-12), mais ils se gardaient de l’union sexuelle. C’est pourquoi le fiancé n’était pas enrôlé dans l’armée afin de pouvoir consommer son mariage le jour des noces : « Qui est-ce qui a fiancé une femme, et ne l’a point encore prise ? Qu’il s’en aille et retourne chez lui, de peur qu’il ne meure dans la bataille et qu’un autre ne la prenne. » (Deut 20.7) Lorsque Joseph découvre que Marie, sa fiancée, est enceinte, il pense qu’elle l’a trompé, car il n’a eu aucun rapport sexuel avec elle (Mat 1.18-19). La conception miraculeuse de Marie n’a d’ailleurs de sens que si Marie était vierge à ce moment-là (Luc 1.26-38). Paul décrit aussi l’Église comme la fiancée qui est « une vierge pure » (2 Cor 11.2). Même les filles de Loth (qui n’étaient pourtant pas les plus vertueuses des femmes : Gen 19.31-38) étaient restées vierges, alors qu’elles étaient déjà promises en mariage (Gen 19.8,14).
La notion de fiançailles est utilisée pour décrire la relation entre l’Eternel et son peuple. Pour Ésaïe et Osée, Israël est la fiancée de l’Eternel (Es 49.18 ; 61.10 ; 62.5 ; Os 2.21-22), et pour Paul, l’Église est la fiancée de Christ (2 Cor 11.2). Fondamentalement, le sens des fiançailles se trouve dans le Seigneur. L’alliance de Dieu avec son peuple est déjà réalisée, mais la pleine manifestation de cette union est encore à venir. Nous sommes dans le temps de l’attente, « dans le déjà et le pas encore ». Jésus est maintenant avec nous : « Voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mat 28.20), mais l’union n’est pas encore entièrement réalisée. Nous sommes dans le temps des fiançailles et attendons les noces de l’Agneau (Mat 22.2-14 ; 25.1-13 ; Apoc 19.7-9). Alors nous serons pour toujours dans sa présence.
3) Le concubinage
Dans l’Écriture, le concubinage est presque toujours associé à la polygamie. Les concubines étaient des épouses de second rang. Parfois, la servante d’une épouse qui avait eu un rapport sexuel avec le mari est appelée concubine (pilegesh). C’est le cas de Bilha, la servante de Rachel qui a engendré deux fils à Jacob (Gen 35.22). Qetoura est aussi appelée concubine (1 Chr 1.32) bien qu’elle ait épousé Abraham après la mort de Sara (Gen 25.1).
Le concubinage marque le lien fragile qui unit un homme à une femme. L’histoire du lévite, qui sacrifie sa concubine aux homosexuels de Guibéa pour se tirer d’une situation difficile, illustre le peu d’attachement qu’un homme peut avoir pour une épouse de second rang (Jg 19.25-29).4 Relevons que cette femme était plus qu’une simple maîtresse du lévite, puisque le narrateur désigne l’homme par les termes de mari et de gendre (Jug 19.3,5), et celui-ci va chercher sa concubine chez son beau-père (Jug 19.4).
Notons que, souvent, les hommes qui avaient des concubines étaient des personnages puissants (juges ou rois) : Gédéon (Jug 8.31), Saül (2 Sam 3.7 ; 21.11), David (2 Sam 5.13 ; 15.16 ; 20.3), Salomon (1 Rois 11.3), Roboam (2 Chr 11.21), Assuérus (Est 2.14), Belchatsar (Dan 5.23), Darius (Dan 6.19). Coucher avec la concubine d’un roi était interprété comme un signe d’usurpation du trône (2 Sam 3.7 ; 16.21-22 ; 1 Rois 2.21-24).
Le concubinage aux temps bibliques n’était pas caractérisé par l’amour et la communion, mais par l’égoïsme et le désir de puissance et de notoriété ; parfois aussi pour pallier la stérilité d’une épouse. Le concubinage « occidental moderne » se différencie passablement de celui décrit dans la Bible, mais ce qui les rapproche, c’est la faiblesse de l’alliance.
Le concubinage moderne, appelé aussi union libre, se décrit difficilement, car ses formes sont multiples et rien n’est défini. L’engagement est généralement oral et privé. Concrètement, les partenaires décident simplement d’emménager ensemble pour un temps indéfini, mais tous les individus qui cohabitent ne sont pas concubins. Les voisins sont rarement informés officiellement de l’union. Avec le temps, l’alliance « s’officialise », mais le flou juridique reste avec tous les inconvénients que cela peut engendrer. Dans de nombreux pays, le législateur édicte des lois pour éviter trop de souffrances en cas de séparation des partenaires. A cet effet, les autorités encouragent fortement les concubins à établir une convention écrite.5
Henri Blocher s’interroge sur le « statut » de la cohabitation. Faut-il voir « la cohabitation sérieuse et durable comme un mariage ‘imparfait’, comme ‘sous-mariage’, plutôt que comme fornication stabilisée » ? « Nos cohabitants stables pèchent-ils de s’unir (comme dans la fornication) ou pèchent-ils de ne pas achever une union matrimoniale qu’on voit déjà, réellement, entre eux ? Nous donnons l’avantage du réalisme biblique à la deuxième analyse. Ils s’écartent du commandement divin parce qu’ils ne scellent pas leur alliance en assumant toute sa portée sociale, dans la forme donc prévue par le magistrat ».6
Le concubinage est la marque d’un amour au rabais, d’un amour qui ne s’engage pas dans la durée (jusqu’à la mort). Pour les chrétiens, vivre en concubinage, c’est ignorer la dimension de l’alliance, un élément fondamental de la foi chrétienne. Les chrétiens concubins sont des chrétiens qui suivent l’esprit libertin du monde. Ils devraient concentrer leurs regards sur le Christ qui s’est livré sans retenue pour nous.
1 Ce chiffre est obtenu par recoupement. Jacob a 130 ans quand il descend en Egypte (Gen 47.9). A ce moment-là, Joseph est âgé de 39 ans : 30 ans au sortir de prison (41.46), plus 7 années d’abondance et 2 années de famine. Jacob a donc 91 ans quand il engendre Joseph. Or, le premier fils de Rachel est né 14 ans après l’arrivée de Jacob à Haran (Gen 31.41 ; cf. 30.25-30).
2 Les jeunes femmes qui dansaient lors d’une fête à l’Éternel à Silo (devant l’arche) étaient apparemment vierges, elles aussi (Jug 21.19-21).
3 Cette affirmation n’est pas une simple citation des Corinthiens, comme le suggère la Bible du Semeur : « C’est une excellente chose, dites-vous, qu’un homme se passe de femme ». Paul expose, au début de son développement, le principe général qu’il s’efforce ensuite de nuancer et d’étoffer.
4 Le tiers des références à une pilegeshse trouve dans ce récit (Jug 19.1-20.6)
5 Michel Johner : A quoi sert le mariage ? Aix-en-Provence, Kerygma, 1997, 40 p.
6 Henri Blocher : « Mariage et cohabitation. Perspectives bibliques et théologiques » in Fac-Réflexion16 (1990) p. 36.
La masturbationLa masturbation est du domaine personnel. L’Ecriture ne la mentionne pas spécifiquement. Le jugement dont Onan a été frappé dans la Genèse ne peut pas servir de précédent à une condamnation de la masturbation, car l’homme voulait jouir du rapport sexuel avec la femme de son frère décédé, sans pour autant lui susciter une descendance comme la loi du lévirat le demandait. C’est pourquoi l’Eternel lui a enlevé la vie (Gen 38.8-10). Les « pollutions nocturnes » masculines mentionnées dans le Lévitique concernent le plan rituel et n’ont aucun rapport avec la morale. Elles étaient probablement accidentelles et rendaient un homme impur jusqu’au soir (Lév 15.16-17), au même titre que les règles rendaient une femme impure (Lév 15.19-24). La perte de sperme ou de sang, symboles de la vie, rendait une personne impure pour une courte période. Le texte le plus en lien avec la masturbation est sans doute la parole de Jésus sur la convoitise : « Moi, je vous dis que quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà commis un adultère avec elle dans son cœur » (Mat 5.28). Sur le plan éthique, ce n’est pas la masturbation en elle-même qui est problématique, mais les pensées impures qui y sont associées. |
L’article qui suit est adapté d’un livre de Daniel Arnold, Le livre des Juges, ces mystérieux héros de la foi, récemment réédité par les éditions Emmaüs. L’ouvrage présente une analyse détaillée du livre biblique, avec une approche souvent originale, qui nous amène à renouveler notre vision de ces hommes de foi. Nous recommandons la lecture de cet ouvrage. Daniel Arnold est professeur à l’Institut biblique Emmaüs, à Saint-Légier, en Suisse ; il est membre du comité de rédaction de Promesses. |
Une femme juge
Au moment où s’ouvre le chapitre 4 du livre des Juges, c’est une femme, Débora, qui est à la tête de l’État. Voilà de quoi surprendre. Si on exclut l’abominable reine Athalie, salie à jamais par son acharnement à détruire la lignée messianique pour usurper le trône royal (2 Rois 11.1-16), la situation de Débora est unique. Elle est la seule femme mentionnée dans les Écritures qui ait été un leader politique. Lorsqu’on est sensible aux innombrables enseignements bibliques sur les rôles respectifs de l’homme et de la femme, la position de Débora à la tête de la nation ne peut que refléter un malaise profond. La situation est anormale, les équilibres brisés, l’harmonie rompue. Péché il y a, mais à qui la faute : usurpation féminine ou irresponsabilité masculine ?
Aucun doute n’est permis : Débora est exempte de tout blâme. La femme de Lappidoth se situe à l’opposé d’une militante d’un mouvement féministe : aucune contestation des rôles n’apparaît chez elle. Chef de la nation, elle ne cherche aucune gloire personnelle. Devant une victoire assurée (car Dieu a promis de libérer Israël), consciente que la gloire rejaillira sur le vainqueur, elle préfère s’effacer et appeler un homme pour prendre le commandement des forces armées (Jug 4.6-7).
Mais voilà : Barak, l’appelé, hésite. Indigne de la gloire du héros, il devra laisser les honneurs du champion à quelqu’un d’autre, à une personne animée d’une foi exemplaire : en l’occurrence, à une autre femme (Jaël). Bien qu’étant le meilleur des hommes de sa génération (Débora ne l’a-t-elle pas choisi ? n’est-il pas le seul homme cité en exemple en Juges 5), Barak est frappé du mal rongeant la gent masculine de son époque : hésitation, tergiversation, vacillement, flottement, tâtonnement, renoncement. La lâcheté masculine pousse Débora à « porter les pantalons ». Aucune usurpation, simplement un vide à remplir, temporairement, puisqu’à tout moment elle est prête à s’effacer.
Une femme prophétesse
Dans le texte hébreu (Jug 4.4), Débora est présentée dans l’ordre comme (1) femme, (2) prophétesse, (3) femme de Lappidoth, (4) juge. En plaçant la qualification de juge en fin de liste, l’auteur veut attirer l’attention sur deux particularités. Avant d’être juge, Débora est une femme, et une femme mariée : dans le poème du chapitre 5, on parlera même de mère (5.7). D’autre part, Débora est prophétesse. Son statut de femme et son ministère prophétique précèdent chronologiquement son appel de juge. Ainsi, avant la libération, les hommes venaient déjà vers la femme de Lappidoth pour être guidés.
Débora est femme et elle est prophétesse. En tant que prophétesse, elle va exercer son ministère de juge essentiellement par la parole. Elle ne marche pas au devant de l’ennemi, comme Othniel et Ehud, les deux premiers juges, l’avaient fait, mais elle siège sous un palmier, recevant ceux qui viennent lui demander conseil. Assise comme les maîtres, elle dispense un enseignement. Même pour donner le coup d’envoi de la libération d’Israël, elle ne quitte pas son poste, mais envoie un simple courrier mandater Barak. Finalement, lorsqu’elle quitte temporairement son statut sédentaire pour rejoindre les troupes, ce n’est que pour soutenir verbalement un homme.
Barak reçoit un ministère très différent. Il doit se déplacer, rassembler les troupes, monter contre l’ennemi et le combattre. Alors que les paroles de Débora sont abondantes (tout le psaume du ch. 5 lui est attribué) et exquises comme le miel (Débora signifie abeille), les propos de Barak sont brefs et décevants : ils reflètent un homme irrésolu et craintif. Contrairement à Débora, il porte mal son nom (Barak signifie éclair) : lent à obéir, sa lumière est pâle et son action sans éclat. La gloire ira à quelqu’un d’autre.
Puisque Barak refuse de s’engager sur la seule base des promesses divines, la gloire du héros lui est refusée. Débora prophétise que l’Éternel livrera Sisera, l’ennemi du moment, entre les mains d’une femme — sans révéler pour le moment de qui il s’agit.
Une femme d’action courageuse
Débora discerne ensuite le jour de l’intervention divine et l’annonce à Barak (4.14). L’intervention divine met l’armée de Sisera en déroute et Sisera s’enfuit. Il s’arrête au domicile de Héber dans l’espoir de trouver de l’aide. Jaël, la femme de Héber, vient à sa rencontre et l’invite chez elle. Sisera, une fois repu, avant de s’endormir de fatigue, lui demande de fonctionner comme garde et de mentir pour tromper l’ennemi. En fidèle servante soumise à son maître, Jaël va s’exécuter sans une parole, mais comme son maître est Dieu et non Sisera, elle va frapper celui qu’elle a déjà trompé. Le renversement est total.
Le moment tant attendu est arrivé. Sisera meurt des mains d’une femme, comme annoncé par la prophétie de Débora (Jug 4.9,21). Son action est louée : « Bénie soit entre les femmes Jaël, femme de Héber, le Kénien ! Bénie soit-elle entre les femmes qui habitent sous les tentes ! » (Jug 5.24) De toutes les femmes, seule la mère de Jésus a reçu un tel témoignage (Luc 1.42).
L’action conjuguée de Débora et Jaël procure la paix au peuple de Dieu. Jaël, la chèvre des montagnes (c’est le sens de son nom), et Débora l’abeille redonnent vie à Israël, un pays où coulent le lait et le miel. Plus jamais une coalition cananéenne ne montera contre Israël.
Barak d’un côté, Débora et Jaël d’un autre, représentent tout un peuple : une nation où les hommes hésitent et les femmes s’engagent, une génération où les petits encouragent les grands au combat.
Où sont les hommes ?
La situation de nos églises rappelle ce temps lointain des Juges. Les hommes sont trop souvent absents, peu engagés ou craintifs. Dieu a néanmoins soin de son peuple et suscite des femmes de piété et de courage pour relever son œuvre. Ce n’est certainement pas à la gloire des hommes. Au lieu de critiquer une place qu’ils trouvent parfois indue, qu’ils prennent la leur en reconnaissant les dons que Dieu confie à leurs sœurs dans la foi.
L’article qui suit est tiré d’un livre de Daniel Arnold, Le livre des Juges, ces mystérieux héros de la foi, récemment réédité par les éditions Emmaüs. Ce livre présente une analyse détaillée du livre, avec une approche souvent originale, qui nous amène à renouveler notre vision de ces hommes de foi. Nous recommandons la lecture de cet ouvrage, et en particulier toute la section consacrée à Samson, dont cet article n’est qu’un extrait.
Un juge énigmatique
Si Samson vivait aujourd’hui, les équipes sportives s’arracheraient ses services à coups de millions de dollars. Arrière en rugby, personne ne passerait ; attaquant, les meilleures défenses seraient enfoncées. En lutte, boxe, judo, les titres olympiques lui seraient d’emblée acquis. De leur côté, les gouvernements feraient tout pour l’embaucher comme garde du corps présidentiel ou comme membre d’une troupe de choc chargée de pénétrer les premières lignes ennemies. Samson est unique. Jamais un homme n’a été aussi fort que lui. Déchirer un lion rugissant à mains nues ; tuer mille hommes avec la mâchoire d’un âne ; arracher, puis transporter sur ses épaules les portes massives d’une ville côtière au sommet d’une montagne située à plus de 60 kilomètres ; briser les liens les plus solides comme du fil brûlé au feu ; voilà de quoi nous laisser songeurs. À tort, beaucoup voudraient le ranger parmi les personnages mythologiques : qu’un tel Superman ait existé leur paraît impossible. Pour la Bible, aucun doute n’est permis : Samson fut un homme en chair et en os doté par Dieu d’une force exceptionnelle.
La force de Samson n’est pas la seule particularité du juge. Sa consécration au ministère est unique. Pour commencer, sa naissance est exceptionnelle, car comme pour les plus grands hommes de Dieu, un ange annonce sa conception miraculeuse et sa consécration au ministère dès le sein maternel. Ensuite, ses signes de consécration sont singuliers. En particulier, le lien entre sa force et ses cheveux ne peut manquer d’étonner. Enfin, son ministère est marqué par une quadruple venue de l’Esprit de l’Éternel (13.24 ; 14.6,19 ; 15.14), soit plus de références à l’Esprit que pour tous les autres juges réunis.
La force et la consécration de Samson font de ce juge un être unique. Aucun homme n’a jamais été comme lui, mais l’admiration pour cet élu de Dieu se transforme en tristesse et en critiques lorsqu’on pense découvrir le revers de la médaille. Ce champion de Dieu dont on attendait monts et merveilles est incapable de délivrer son peuple. À sa mort, les Philistins dominent toujours la région. Samson échoue là où les autres juges avaient réussi, alors même qu’ils étaient souvent singulièrement limités en moyens pour combattre l’ennemi. Sur le plan personnel, Samson termine misérablement : les yeux crevés, condamné aux travaux forcés, exposé à la risée populaire.
Samson est l’homme des contrastes. Le plus fort des juges devient le plus faible ; le plus béni finit par être le plus misérable ; le plus consacré termine par se confier à une femme méprisable. La force et la consécration du juge qui pouvaient mettre en déroute une armée se volatilisent au contact de Dalila. Lorsqu’il finit par s’endormir sur les genoux de cette femme, les liens ne sont même plus nécessaires pour le maîtriser. Avec Samson, le monde bascule, les espoirs s’effondrent.
L’homme intrigue par ses contrastes. Il intrigue aussi par ses gestes et ses paroles. Pourquoi défier les amis de noce par une énigme ? Pourquoi attacher trois cents renards par la queue et enflammer les champs ? Pourquoi arracher les portes de Gaza et les transporter au sommet d’une montagne ? Samson intrigue aussi ses contemporains par ses énigmes. Un cinquième des chapitres 13 à 16 est consacré à l’énigme proposée lors des noces (14.1-18) ; un autre cinquième aux efforts de Dalila à percer le secret de sa force (16.4-21).
Samson fait réfléchir ses contemporains comme il fait réfléchir les lecteurs. Ce juge est certainement plus qu’un amas de muscles. Son défi lancé à trente hommes pendant sept jours fait penser au champion d’échecs qui livre simultanément plusieurs parties les yeux fermés. Samson est sûr de lui et de la supériorité de son intelligence. La subtilité de son énigme l’assure d’avance de la victoire. Samson semble prêt à relever tous les défis, et pourtant il est incapable de discerner le jeu de Dalila. À trois reprises, cette femme le trompe honteusement, et Samson continue à lui faire confiance. L’aveuglement de Samson est presque aussi incroyable que sa force. Comment ne pas réaliser que Dalila veut sa perte ? Cette cécité spirituelle précède d’ailleurs l’aveuglement physique (16.21). Elle contraste avec le nom de Samson dérivé du nom hébreu soleil. Plein de lumière au début, Samson finit les yeux crevés, dans les ténèbres d’une prison.
Ce fils du soleil illumine et aveugle tout à la fois. Hier comme aujourd’hui, son ministère est mal compris. Ses contemporains ne l’ont pas suivi et les hommes de Juda l’ont même livré à l’ennemi après l’avoir blâmé d’être un trouble-fête (15.11-13). Ses parents n’ont pas compris sa démarche à vouloir épouser une Philistine, alors même que le projet venait de l’Éternel (14.4). Enfin, la plupart des commentateurs modernes le critiquent sans réserve. De tous temps, reproches et moqueries n’ont fait que pleuvoir sur cet homme.
Samson est pourtant un homme remarquable. Comme nous pouvons le démontrer, notre juge incarne les plus grandes qualités morales et spirituelles : aucune immoralité sexuelle prouvée, aucun égoïsme ou appât du gain, pas de mesquinerie, mais un sens profond du ministère et un esprit sensible à la justice divine. Sa spiritualité est relevée à quatre reprises, et l’auteur en profite pour nous mettre en garde contre une mauvaise compréhension de l’action de ce juge (13.24 ; 14.6,19 ; 15.14). Le N.T. le place, lui aussi, parmi les héros de la foi (Héb 11.2). Certes, Samson finit par tomber dans la défaite. Son péché avec Dalila est indéniable, puisqu’il perd sa force et que l’Éternel se retire de lui (16.20). Les critiques s’abattent une nouvelle fois sur notre héros, mais sont-elles bien ciblées ? Malgré les conséquences dramatiques, le péché est minime (Samson s’est contenté de dévoiler l’origine de sa force). Autrefois comme aujourd’hui, Samson est un des personnages bibliques les moins bien compris.
Un peuple endurci
Une compréhension correcte de Samson passe par une étude du contexte. Ici, comme pour les autres cycles, le problème d’Israël n’est pas du côté du juge, mais du côté du peuple. Si le cycle de Samson est particulier, c’est parce que l’attitude du peuple est particulière. Contrairement aux autres cycles, la révolte et la ruine ne sont pas suivies par un retour à Dieu. Aucune repentance n’est présente. À la même époque, en Transjordanie, le peuple était revenu à l’Éternel après 18 ans d’oppression, mais en Cisjordanie, même après 40 ans de ruine, le peuple est toujours aussi rebelle. Contrairement aux situations antérieures, le châtiment infligé par l’Éternel ne produit aucun repentir, même après une domination deux fois plus étendue que toute autre oppression du temps des juges. Sans sourciller, le peuple continue à marcher dans la rébellion.
Le jugement de Dieu ne semble plus produire d’effet. L’humiliation par les ennemis est acceptée. Vingt ans, quarante ans, Israël ne réagit plus. Le peuple élu semble résigné à son sort. Il faut dire à la décharge de cette génération que la domination des Philistins est différente des autres. Ce peuple ne dévaste pas systématiquement le pays « à la madianite », mais il se contente d’une cohabitation plus ou moins paisible avec Israël. Il ne s’oppose pas à des mariages interethniques lorsque les autres peuples s’intègrent à ses coutumes et obéissent à ses autorités. Israël accepte cette soumission (15.9-13). Le compromis de la cohabitation paraît préférable à la guerre. Pour Israël, la vie paisible n’a pas de prix.
Les Juifs tiennent à la vie, mais sont-ils encore en vie ? Physiquement peut-être, mais pour combien de temps ? Spirituellement, il ne reste rien. Comme l’électrocardiogramme qui a cessé d’osciller, l’apathie du peuple est révélatrice de la situation. La flamme de la spiritualité est éteinte. Cet endurcissement du peuple explique la solitude du juge, et même son abandon aux ennemis. Dieu doit intervenir de façon radicale pour redonner vie à ce qui est moribond.
Un ministère prophétique
L’ange de l’Éternel dévoile la nature du ministère particulier de Samson : il « commencera à sauver Israël » (13.5). Puisque le peuple ne s’est pas repenti comme les générations précédentes, le ministère du fils de Manoach ne consiste pas à délivrer Israël, mais seulement à commencer à le faire. La tâche prioritaire de Samson n’est pas de soulager ses frères de la main des Philistins, mais de les affranchir d’eux-mêmes, c’est-à-dire de leur péché.
Samson (rappelons que son nom dérive du mot soleil) doit chercher à éclairer ses contemporains sur leur situation, sur leur péché, sur leur incrédulité, sur les dangers du compromis et du syncrétisme religieux, mais aussi sur la force des fidèles et la certitude de leur victoire. Samson doit enseigner Israël pour l’amener à la repentance, mais comment s’adresser à ce peuple endurci ? Par un discours ? Mieux : par des leçons de choses. Jotham avait repris les habitants de Sichem par une fable (9.7-15) et Nathan reprendra David par une parabole (2 Sam 12.1-9), comme d’ailleurs d’autres prophètes et Jésus le feront pour leurs contemporains quand ils utiliseront des images et des leçons de choses pour communiquer le message divin à un peuple endurci. Samson passe aussi par l’image pour atteindre ses contemporains qui ont fermé leurs oreilles à la prédication, mais plutôt que de raconter des histoires, il les incarnera, comme plus tard Osée sera appelé à le faire. Le mariage avec une Philistine illustrera les dangers d’une mauvaise alliance, les renards attachés par la queue expriment les ravages d’une alliance contre nature, la mort des Philistins annonce le sort des méchants.
Samson servira de messager, même à ses dépens. Son erreur avec Dalila rappellera à Israël la force que le peuple a perdue pour avoir fait confiance à ceux qui étaient indignes de confiance. Même la prière de supplication de Samson est un message pour Israël. Si le peuple implore l’Éternel comme Samson l’a fait, il recevra aussi le soutien divin.
Le message incarné de Samson est tellement profond qu’il dépasse même la période des juges. Lorsque Dieu prend une femme stérile pour engendrer une nouvelle vie, il veut montrer que, face à la stérilité et à la mort engendrées par le péché, seule une nouvelle création peut sauver. Il faut noter ici que l’engendrement par une femme stérile apparaît dans l’Écriture chaque fois que Dieu veut marquer du fer rouge une étape importante de son œuvre rédemptrice. Isaac est le fils de la promesse ; Samuel est un prêtre divinement mandaté pour oindre les deux premiers rois en Israël ; Jean-Baptiste annonce le Messie. Le Christ lui-même est né d’une vierge. Dans son cas, le miracle symbolisant la nouvelle création est encore plus manifeste, car Jésus est vraiment le nouvel Adam (Rom 5.12-21). Ainsi, le miracle marque la rupture avec l’ordre (corrompu) du passé. Avec Samson, l’Éternel fait du neuf. Étant différent des autres hommes, il est le signe d’une nouvelle humanité, le porteur de toutes les promesses, tant sur le plan physique et intellectuel que spirituel. Puisque les hommes traditionnels ont échoué, Dieu doit faire quelque chose de radicalement différent, et dans ce sens, Samson préfigure la pleine rédemption qu’opéra le Messie.
La première caractéristique de ce nouvel être n’est pas sa force, mais sa consécration. Le récit de la naissance de Samson s’étend à trois reprises sur le thème de la consécration (13.4-5,7,14), alors qu’il se contente de signaler une seule fois la force du juge (13.5). La consécration est fondamentale, la force secondaire. En fait, la première engendre la seconde. La consécration conduit à la force. Celui qui est attaché à Dieu est invincible, car Dieu est avec lui. Si Samson est fort, c’est parce qu’il est consacré. Comme autrefois le peuple élu était invincible dans ses jours de fidélité, Samson est invincible. La force du juge rappelle celle d’Israël dans le passé.
Un type de Christ
Samson est un personnage particulier. La présence divine décuple ses forces et transforme ses gestes en actes symboliques. Puisque son ministère est orienté vers l’enseignement et l’avenir, nous pensons judicieux de relever certains éléments de typologie messianique :
1. Sa consécration et son appel dès avant la conception, de même que la conception miraculeuse le rapprochent certainement de Jean-Baptiste et de Jésus.
2. L’annonce de l’ange de l’Eternel à la mère de Samson rappelle aussi la visite de Gabriel chez Marie.
3. La force prodigieuse de Samson utilisée pour combattre l’ennemi peut trouver un parallèle dans le pouvoir de Jésus de chasser les démons.
4. La lutte contre le lion gardien du territoire des ténèbres (14.5-9) peut illustrer le combat de Jésus contre Satan.
5. La trahison de la tribu leader (Juda) rappelle le péché des chefs religieux juifs qui ont livré Jésus aux Romains.
6. L’insistance de Dalila à piéger Samson rappelle la même persévérance des Juifs pour livrer le Messie, et aussi les efforts de Judas pour trouver une occasion de livrer Jésus pour de l’argent.
7. La passivité de Samson lorsque ses frères le lient pour le livrer aux Philistins (15.12-13) et son sacrifice ultime dans le temple de Dagon rendent possible la plus grande victoire de son ministère ; ces événements évoquent le sacrifice expiatoire de la croix.
8. Samson a vécu en solitaire, sans être compris par ses frères et ses compatriotes, tout comme Jésus a été exclu du peuple et abandonné par ses proches.
Certes, Samson n’est pas le Messie et sa vie ne peut être parfaite puisque tous les hommes ont péché, à l’exception de Jésus (Rom 3.9-10,20 ; Héb 4.15). Samson a fini par pécher, alors que Jésus a vécu sans péché. Samson a fini par perdre sa force ; Jésus l’a gardée jusqu’au bout, mais a renoncé à l’utiliser (cf. Matt 26.53). Ces différences entre le Messie et son précurseur ne doivent pas nous faire oublier toutes les analogies relevées ci-dessus. Le dessein de Dieu pour Samson est des plus surprenants.
Dieu vit que les Ninivites agissaient ainsi et qu’ils revenaient de leur mauvaise voie. Alors Dieu se repentit du mal qu’il avait résolu de leur faire, et il ne le fit pas. (Jonas 3.10)
La repentance des Ninivites à la prédication de Jonas entraîne la suspension du jugement divin. L’expression « Dieu se repentit du mal qu’il avait résolu de faire » pose problème à plusieurs commentateurs. Comment Dieu peut-il se repentir ? Est-il versatile, capricieux, instable, indécis ? Est-il mauvais et rumine-t-il de mauvaises pensées qui l’obligeraient à se repentir ? Le repentir de Dieu soulève aussi des questions sur la crédibilité de ses paroles. Les prophéties divines — qu’elles soient des promesses ou des jugements — sont-elles fiables ?
Peu de commentateurs osent suggérer des carences morales en Dieu, car cela contredirait directement de nombreuses affirmations de l’Ecriture sur la sainteté, la perfection et l’immuabilité de Dieu. Certains commentateurs cherchent une solution dans les imperfections du prophète. Origène pensait résoudre la difficulté en affirmant que Jonas n’avait pas retransmis la parole de Dieu mais la sienne. Au lieu d’annoncer simplement que « la méchanceté était montée jusqu’à l’Eternel » (1.1), il aurait, de sa propre initiative, annoncé la destruction de Ninive (3.4). En effet, le narrateur ne place jamais les paroles de destruction (« encore quarante jours et Ninive est bouleversée ») dans la bouche de l’Eternel. Une telle approche noircit inutilement Jonas. Le fils d’Amitthaï ne trompe personne. Il est honnête et véridique. Sa parole est fiable, dans le présent et dans l’avenir. La tempête ne s’est-elle pas calmée selon les termes annoncés par le prophète (1.12,15) ?
La solution au « repentir de Dieu » doit être cherchée ailleurs. Une différence doit être faite entre but et moyens. Les desseins de Dieu sont immuables. Dieu ne cherche pas la mort du pécheur, mais son salut. Ainsi l’annonce d’un jugement est préférable à un jugement sans préavis, car le premier donne au pécheur une dernière occasion de repentance. Dieu ne change pas son projet de base pour l’homme : ce projet consiste à juger le pécheur et à pardonner au pécheur repentant. Si le coupable se repent, Dieu retient son jugement. Si l’homme ne le fait pas, le jugement se réalise selon la parole annoncée. Un automobiliste qui désire traverser une localité suivra la chaussée, mais modifiera occasionnellement sa trajectoire en déviant à gauche ou à droite pour éviter un obstacle. Son parcours de base reste inchangé du début à la fin. De même, l’action de Dieu dépend simultanément de ses principes et des réactions des hommes.
Le salut et le pardon sont donc possibles quelle que soit l’ampleur du péché et quel que soit l’individu. Les Ninivites étaient de grands pécheurs et formaient un peuple sanguinaire. Ils étaient nombreux et païens — donc éloignés de l’Eternel et sans égard pour lui. Pourtant ces hommes se sont repentis. Cela a suffi pour que Dieu leur accorde son pardon, car l’Eternel est « un Dieu miséricordieux, lent à la colère et riche en bonté, et qui se repent du mal », comme Jonas l’affirme au chapitre 4 (v. 2).
Le pardon de Dieu est donc lié au repentir des hommes, mais encore faut-il que ce repentir soit sérieux. Dieu connaît les cœurs. Impossible de le tromper. Il discerne les vraies repentances des fausses. Les Ninivites avaient plaidé coupables sur toute la ligne. Ils s’étaient engagés à réformer leur vie et pas seulement à exprimer certains regrets. Dieu leur a donc pardonné leurs grands péchés. Le sérieux des Ninivites est même exemplaire. Au risque de paraître ridicules, les Ninivites avaient tout fait pour témoigner de leur humiliation.
Leur attitude tranche avec celle d’autres hommes qui, repris par Dieu, ne se sont repentis que partiellement. Le roi Saül a éprouvé parfois du regret pour son comportement (1 Sam 15.24), mais il n’a jamais changé de vie, car il était davantage préoccupé de l’opinion de ses contemporains que de la volonté de Dieu (1 Sam 15.30).
Suite à ces remarques, il est manifeste que nous ne partageons pas l’avis des commentateurs qui minimisent la profondeur de la repentance des Ninivites. Jésus lui-même n’a-t-il pas cité en exemple la réalité de cette repentance (Mat 12.41 ; Luc 11.32) ?
Ce texte est extrait d’un commentaire rédigé par Daniel Arnold sur le prophète Jonas :
Tous ces ouvrages ont été publiés par les éditions Emmaüs, 1806 Saint-Légier (Suisse). |
Marc 8.22-26
La guérison d’un aveugle dans Marc 8.22-26 m’a longtemps laissé perplexe. Pourquoi le malade n’est-il guéri que partiellement après la première intervention de Jésus ? « Je vois des hommes, mais comme des arbres, et ils marchent », dit-il. Étrange. De la part du Christ, on était habitué à autre chose. Pourquoi cet échec apparent qui nécessite une deuxième intervention ?
Solutions proposées
Comme c’est souvent le cas pour un texte difficile à comprendre, les solutions proposées par les commentateurs et les prédicateurs sont aussi nombreuses que diverses. En voici quelques-unes :
1. L’échec relatif provient du manque de foi du malade ou de ses amis (H.A. Ironside, Mark, p.125). Chrysostome soulignait déjà que cet homme n’était pas venu de lui-même. Il n’aurait pas non plus appelé à l’aide, contrairement, par exemple, à Bartimée, l’aveugle de Jéricho. Pour lui, la limitation ne doit pas être placée du côté divin, mais du côté humain.
2. La guérison graduelle pourrait correspondre au progrès de la foi dans l’infirme (Joseph Huby, Évangile selon St Marc, p.205).
3. Certains discernent une amélioration graduelle de l’aveugle qui pourrait être assimilée à une guérison naturelle. Jésus aurait ainsi montré l’importance d’un processus trop souvent sous-estimé (G.G. Chadwick, The Gospel according to St Mark, p.214).
4. Les paroles de l’aveugle sont celles d’un homme qui aurait eu de la peine à s’exprimer. « Pour les enfants et pour les sauvages, ‘arbre’ est une des formules les plus fréquemment employées pour désigner un homme » (Gunther Dehn, Le Fils de Dieu, p.152).
5. Ce récit illustre la variété des méthodes du Seigneur dans ses guérisons et nous montre avec quelle liberté et quelle souplesse Jésus usait de sa puissance (J.A. Alexander, The Gospel according to Mark, p.217).
6. Ce miracle enseigne la manière dont l’Esprit agit dans l’illumination de l’âme (J.J. Jones, The Gospel according to St Mark, Vol. 2, p.151).
7. L’événement symbolise la marche des disciples vers la lumière (M.J. Lagrange, évangile selon St Marc, p.213).
Enfin, quelques-uns concluent de manière défaitiste.
8. Le contexte immédiat étant trop limité, il est impossible de donner une réponse valable (William L. Lane, The Gospel of Mark, p.285).
9. L’échec de Jésus est incompréhensible. Il nous enseigne, néanmoins, que le Seigneur ne s’est pas relâché dans son action jusqu’à ce que l’homme soit complètement guéri (R.A. Cole, Mark, p.133).
Quelle solution faut-il préférer ? Comme le relève Lane, le contexte immédiat (verset 22-26) est maigre. Si nous interdisons d’emblée à notre imagination de déformer le texte (solutions 3 et 4), il nous reste la possibilité d’appliquer un principe général (solutions 5, 6 et 7) – mais lequel ? -, de ramener ce texte à d’autres récits de guérisons (solutions 1 et 2) – mais lesquels ? – ou d’avouer simplement notre perplexité (solutions 8 et 9).
Le contexte général du récit
Une étude du cadre global de cet événement, nous guide, je crois, vers la bonne interprétation. Les dix premiers chapitres de l’évangile selon Marc, qui décrivent le ministère de Jésus depuis ses débuts jusqu’à son entrée à Jérusalem, sont séparés en deux parties par la confession de Pierre (Marc 8.27-33), véritable plaque tournante de ces chapitres.
Avant ces paroles de l’apôtre, l’accent est mis sur la démonstration de la puissance de Jésus. Quatorze miracles sont relatés, et à trois reprises, l’auteur indique que de nombreuses personnes furent guéries (1.34 ; 3.10 ; 7.56).
Après cette confession-clé, la situation est toute différente. Jésus enseigne en privé, à ses disciples, le message de la croix. « Il [Jésus] commença à leur apprendre qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, par les principaux sacrificateurs et par les scribes, qu’il soit mis à mort et qu’il ressuscite trois jours après » (8.31). Les miracles, dans cette section, sont réduits à deux (9.14-29 et 10.46-53). Jésus annonce à plusieurs reprises ses souffrances et sa mort (8.31 ; 9.31 ; 10.33-34) et son corollaire, le chemin de la croix pour les disciples (8.34-38 ; 9.35 ; 10.39,41-45). L’annonce de ce message de souffrance et d’humiliation rencontre l’opposition de Pierre (8.32-33) et l’incompréhension des disciples (9.32 ; 10.32). Le comble de leur aveuglement est illustré par leurs discussions au sujet des premières places, discussions qui suivent à chaque fois l’annonce du calvaire du Christ (9.33-34 ; 10.35-37). Que Jésus soit le Messie tout-puissant, cela Pierre l’avait pleinement compris, cru et confessé (8.29) ; qu’il soit le Messie souffrant, cela il ne l’a compris, cru et confessé qu’après la résurrection.
La confession de Pierre joue donc un rôle capital : elle fait office de charnière pour les dix premiers chapitres de cet Évangile. Est-ce surprenant puisque la tradition affirme que Marc n’était que l’interprète de Pierre ?
Sens du miracle
Revenons à notre récit pour constater qu’il se situe juste avant cette confession cruciale, juste avant la nouvelle orientation du ministère de Jésus. En fait, la guérison de l’aveugle annonce et prépare ce deuxième élément fondamental du message messianique. Tout en manifestant sa compassion pour l’aveugle, Jésus enseigne ses disciples. La manière dont la cécité physique a été guérie, illustre comment la cécité spirituelle sera vaincue. De même que l’aveugle n’a discerné « tout distinctement » (8.25) qu’à la suite d’une deuxième intervention de Jésus – la première ne lui ayant donné qu’une vue trouble -, de même les disciples ont besoin d’un complément d’information – le message de la croix – afin de pouvoir tout comprendre. La confession de Pierre (8.29) n’est que la première étape, elle n’indique encore qu’une compréhension partielle de l’ouvre du Messie, celle qui reconnaît la toute-puissance de Jésus. La perception totale, elle, confesse aussi le ministère de souffrance du Christ.
Comme ce miracle avait pour but d’enseigner les disciples, Jésus prend soin de le réaliser « hors du village » (8.23), à l’écart d’une foule qui n’était pas prête pour ce nouvel enseignement. Notons aussi que la guérison s’est produite dans les environs de Béthsaïda, le village natal de Pierre (Jean 1.44). Qui sait si le Seigneur n’a pas opéré ce signe révélateur près de l’ancien domicile de l’apôtre afin que ce dernier s’en souvienne mieux ?
Pour terminer, relevons que cet événement n’est relaté que dans le deuxième évangile : situation exceptionnelle, puisque tous les autres miracles relatés par Marc – mis à part la guérison du sourd-muet (Marc 7.31-37) – sont « repris » par Matthieu et Luc. Cette guérison progressive, enseignant une vérité particulièrement bien développée dans l’Évangile selon Marc, semble n’avoir eu sa place que dans ce livre.
Et nous ?
En conclusion, il nous reste à méditer sur la leçon de ce récit. L’enseignement du ministère de souffrance s’est heurté à l’incrédulité des disciples. Qu’en est-il aujourd’hui ? Lorsque nous cherchons la puissance de Jésus par dessus tout, n’avons-nous pas, nous aussi, une vue trouble et partielle de l’Évangile ? Aujourd’hui, bien souvent, le message de la « vie abondante » me semble reléguer le message de la « croix » dans l’ombre. Le « plein Évangile » n’est pas fait que de victoires, de guérisons divines et de promesses saisies par la foi, mais aussi d’abnégation, de persévérance, de souffrances et de larmes. Ne l’oublions pas !
Qui n’a jamais rêvé d’être millionnaire ? Si l’on n’est ni intelligent, ni travailleur, ni entreprenant, ni voleur, ni héritier de parents fortunés, ni lié d’une manière quelconque aux riches de ce monde, il reste toujours la loterie pour espérer. Les chances sont minimes, mais elles existent. Et comme avec le Seigneur rien n’est impossible, notre espoir reprend de plus belle.
Mais pourquoi ce désir d’être riche : pour améliorer notre condition matérielle et sociale, pour aider les pauvres de ce monde ? Mille et une raisons nous viennent à l’esprit pour justifier ce désir souvent secret.
Certes, l’argent est utile pour nous et pour les autres, mais il n’est pas sans danger. Les mises en garde de Jésus contre les richesses sont bien connues ; les maximes du livre des Proverbes le sont moins. Dommage, car ce puits de sagesse contient bien des perles. Relevons ici la seule prière de ce recueil qui concerne précisément la richesse.
« Seigneur, ne me donne ni pauvreté ni richesse ;
Accorde-moi le pain qui m’est nécessaire,
De peur qu’étant rassasié, je ne te renie et ne dise :
Qui est l’Éternel ?
Ou qu’étant dans la pauvreté, je ne commette un vol
Et ne porte atteinte au nom de mon Dieu. »
(Prov. 30.7-9)
Agour le sage (30.1), celui qui est assez humble pour considérer les autres supérieurs à lui-même (30.2-3), implore le Seigneur d’écarter de lui la richesse. Agour ne se fait pas d’illusion sur lui-même ; il a vu les ravages de la richesse chez les autres, et dans sa sagesse, il ne se croit pas à l’abri d’une telle tentation. Aucun péché de présomption chez lui. Si d’autres sont tombés, lui aussi le peut. Mieux vaut alors prendre les devants, et prier le Seigneur d’écarter à jamais cette tentation. Sommes-nous prêts à faire sa prière nôtre ? Nous serons alors d’autant plus libres pour porter nos regards sur les vraies richesses.
“ Tais-toi et crois ”. C’est la réponse souvent donnée par l’église aux fidèles qui expriment un doute ou qui rejettent un point de doctrine. Puisque Dieu s’est révélé, puisque la Bible est inspirée, puisque l’Eglise est le porte-parole du Christ sur terre, tout questionnement des choses divines est rejeté et condamné. L’église est le lieu du silence et de l’adoration, non celui des discussions et des contestations. Mais cette attitude est-elle vraiment biblique ? Dieu rejette-t-il toute personne qui questionne ses paroles ?
La Bible contient plusieurs récits dans lesquels des hommes pieux ont questionné Dieu. Un passage très connu et central à l’histoire du peuple élu est l’appel de Moïse à Horeb (Exode 3.1-4.17).
Les objections de Moïse au buisson ardent
Lorsque l’Eternel apparaît dans une flamme de feu et demande à Moïse de délivrer Israël de l’esclavage d’Egypte, celui-ci objecte à plusieurs reprises. Pour commencer, Moïse estime ne pas être à la hauteur de la tâche. “ Qui suis-je, pour aller vers Pharaon, et pour faire sortir les enfants d’Israël ? ” (Ex 3.11). N’a-t-il pas déjà 80 ans et ne vient-il pas de passer 40 ans dans le désert du Sinaï à faire paître le bétail de son beau-père ? N’a-t-il pas dû fuir l’Egypte pour avoir tué un Egyptien ? Moïse ne se sent manifestement pas qualifié pour la tâche que Dieu lui confie.
Persona non grata auprès du Pharaon, Moïse se demande aussi comment son peuple l’accueillera. Que dire au peuple, demande-t-il à l’Eternel : “ J’irai donc vers les enfants d’Israël, et je leur dirai: Le Dieu de vos pères m’envoie vers vous. Mais, s’ils me demandent quel est son nom, que leur répondrai-je ? ” (Ex 3.13).
La longue réponse de l’Eternel (Ex 3.14-22) ne le satisfait pas puisqu’il réplique immédiatement : “ Voici, ils ne me croiront point, et ils n’écouteront point ma voix. Mais ils diront: L’Éternel ne t’est point apparu ” (Ex 4.1). Dieu promet alors de multiplier les prodiges pour convaincre le peuple et il lui donne même un avant-goût par deux miracles effectués sous ses yeux (Ex 4.2-9).
Ces signes ne convainquent Moïse qu’à moitié. D’un côté, il renonce à son objection relative à l’incrédulité du peuple, mais d’un autre côté, il avance une nouvelle objection concernant son parler difficile : “ Ah! Seigneur, je ne suis pas un homme qui ait la parole facile, et ce n’est ni d’hier ni d’avant-hier, ni même depuis que tu parles à ton serviteur; car j’ai la bouche et la langue embarrassées ” (Ex 4.10). Dieu écarte une nouvelle fois l’objection en rappelant à Moïse que le créateur peut donner à tout homme d’exprimer exactement ce qu’il désire (Ex 4.11-12).
La cinquième et dernière objection de Moïse entraîne, pour la première fois, la colère de l’Eternel. En effet, Moïse ne se contente plus d’énoncer des réserves à l’égard du projet divin, mais il exprime son refus de se soumettre à Dieu : “ Ah! Seigneur, envoie qui tu voudras envoyer ” (Ex 4.13).
Les réponses de l’Eternel
Les réponses de l’Eternel à Moïse sont révélatrices de l’attitude de Dieu face aux questionnements des hommes à l’égard des paroles divines. Peut-on questionner Dieu ? Oui et non.
Positivement, Dieu laisse un espace pour le dialogue et les questionnements. Les hésitations et les doutes à l’égard des paroles divines ne sont pas immédiatement condamnés. Dieu prend le temps de répondre à chaque objection. Parfois, ses réponses sont brèves, parfois élaborées (un verset pour répondre à la première objection, Ex 3.12; neuf versets comme réponse à la deuxième, Ex 3.14-22). Parfois, Dieu se contente de répondre par des paroles, et parfois il accompagne ses paroles de miracles.
Au sujet des miracles, Dieu va quelquefois au-delà de ce que les hommes demandent. Ainsi, Moïse peut voir un buisson ardent qui ne se consume pas ; il doit jeter lui-même le bâton qui devient un serpent, puis saisir ce serpent par la queue (ce qu’il ne faut jamais faire avec un serpent) pour qu’il redevienne un bâton ; il met sa main sur sa poitrine à deux reprises pour en faire apparaître, puis disparaître la lèpre. Moïse assiste à tous ces miracles qu’il n’avait pas demandés, mais il se voit refuser le droit d’examiner de plus près le miracle du buisson ardent. Lorsque Moïse veut s’approcher du buisson ardent “ pour voir quel est ce spectacle extraordinaire, et pourquoi le buisson ne brûle pas ” (Ex 3.3), l’Eternel lui ordonne non seulement de ne pas approcher, mais d’enlever ses sandales de ses pieds, car “ l’endroit où tu te tiens est une terre sainte ” (Ex 3.5). Dieu est saint et il est souverain en matière de révélation. Il se laisse chercher, mais il ne révèle pas tout. C’est lui qui fixe les limites de la révélation.
L’homme qui sonde les Ecritures trouvera une réponse satisfaisante aux questions fondamentales de la vie, car tout ce qui est nécessaire pour une vie de foi nous est donné. De plus, la Parole de Dieu est cohérente. Les difficultés suscitées par le texte biblique ont reçu, pour la plupart, des réponses satisfaisantes. Cela ne signifie pas que le chrétien peut tout expliquer. Certains mystères lui échappent. Certains sont gardés pour la fin des temps (Dan 12.4). Peu importe, car tout ce qui est nécessaire pour plaire à Dieu a été révélé.
Peut-on questionner Dieu ? Manifestement, la réponse est affirmative… jusqu’à un certain point. Dieu ne perd patience avec les interrogations et les doutes de Moïse, que lorsque celui-ci refuse d’obtempérer : “ Alors la colère de l’Éternel s’enflamma contre Moïse ” (Ex 4.14). Dieu ne condamne pas nos questions, mais notre désobéissance. Lorsque les pharisiens demandent un signe à Jésus, celui-ci refuse de les aider, car les chefs religieux étaient venus pour le piéger et avaient déjà rejeté toute aide préalable (Mc 8.11-12). Les miracles du Christ ne les avaient pas ouverts à la foi, mais les avaient endurcis.
La parole que l’église doit adresser à celui qui questionne Dieu n’est pas “ Tais-toi et crois ”, mais “ Ecoute et crois ”. La foi vient de ce qu’on entend (Rom 10.17). Il faut se laisser instruire par Dieu. Venir à Christ et lui faire confiance. A la première objection de Moïse qui se sent inapte au ministère divin, Dieu répond de ne pas regarder à l’homme, mais à Dieu. « Je serai avec toi » dit l’Eternel à Moïse (Ex 3.12). Moïse ne peut pas, mais l’Eternel peut tout. La foi ne consiste pas à mettre la raison sous un boisseau, mais à reconnaître que la raison humaine a ses limites, et que le mot de la fin est à celui qui a créé la raison, à celui qui a répondu avec patience à nos objections et qui demande qu’en dernier lieu, l’homme s’en remette à celui qui est vérité et amour, et qui sait tout.
Ce qui est difficile dans l’Ecriture n’est pas ce que l’on ne comprend pas, mais ce que l’on comprend, car Dieu nous tient responsables de tout ce qu’on a compris. A celui qui questionne Dieu, on doit répondre : “ Pose toutes les questions que tu veux, mais n’oublie pas d’écouter la Parole de Dieu, et quand tu l’as compris, sur un point particulier, mets-la en pratique sans tarder ”.
1 Samuel 14.16-46
Le dicton tel père tel fils ne s’applique certainement pas à Saül et Jonathan. Alors que Jonathan a témoigné de courage, d’intelligence, de détermination et de foi (14.1-15)1, Saül se trouve dépourvu de toutes ces qualités. L’exploit du fils est suivi par une scène où le père multiplie les fautes dans les domaines les plus divers. On le voit hésiter là où il faut s’engager rapidement, et s’entêter là où il faudrait se remettre en question.
L’arche méprisée
Devant la nouvelle de la déroute des Philistins, Saül hésite à engager ses troupes (14.16-18). L’ennemi avait tellement resserré son étau sur Israël, que sa fuite soudaine laisse Saül perplexe, d’autant plus que seul Jonathan et son écuyer manquent à l’appel, dans le camp israélite. Le roi doute que deux hommes (si vaillants soient-ils) aient pu mettre l’adversaire en déroute.
Le roi fait chercher l’arche pour consulter Dieu. La démarche peut paraître sage, mais c’est oublier d’une part que la situation de Saül était tellement désespérée que tout recul de l’ennemi devait être exploité immédiatement, et d’autre part que l’arche ne devait jamais être déplacée pour être consultée. C’est aux hommes de venir devant Dieu et non l’inverse. Puisque l’arche était dans le camp, c’était à Saül de s’en approcher. Des années plus tard, David s’opposera à ce que l’arche le suive en exil dans sa fuite devant Absalom (2 Sam 15.24-25). La légèreté avec laquelle Saül traite l’arche (et Dieu par la même occasion) est encore plus manifeste, lorsque quelques instants plus tard, le roi interrompt le sacrificateur en pleine séance de consultation. On l’entend dire: «Maintenant que la fuite des Philistins se confirme, je n’ai plus besoin de toi. Tu peux disposer ». Saül traite le sacrificateur et l’arche comme on traite un valet. Pour Saül, l’arche n’est qu’un objet utilitaire; Dieu n’est là que pour répondre à ses besoins.
Un vœu stupide
Le combat tourne rapidement à l’avantage des Israélites. Les Hébreux craintifs qui étaient passés dans les rangs philistins sont revigorés par le coup d’éclat de Jonathan et tournent casaque une fois de plus (14.21). De l’intérieur du camp philistin où ils avaient trouvé refuge, ils attaquent l’ennemi et accroissent sa confusion. Les maquisards sortent eux aussi de leur retraite et assaillent l’ennemi de partout (14.22).
Au moment où la victoire semble certaine, le narrateur mentionne un vœu solennel de Saül: «Maudit soit l’homme qui prendra de la nourriture avant le soir, avant que je me sois vengé de mes ennemis! » (14.24). Le roi impose un jeûne pour s’assurer une victoire imposante. Désire-t-il que ses soldats ne perdent pas de temps à se ravitailler? C’est peu probable, car une armée sait se restaurer en quelques minutes. Plus vraisemblablement, Saül impose un jeûne pour des raisons religieuses. Tout comme le roi pensait, avant le combat, qu’un sacrifice était indispensable à une victoire militaire (13.8-12), maintenant, il espère accroître sa victoire en décrétant un jeûne généralisé. Saül est le type même d’un homme religieux, mais charnel. Un homme qui veut contraindre Dieu par ses pratiques religieuses.
Le calcul de Saül s’avère néfaste. Jonathan qui a déjà fait preuve d’un excellent discernement spirituel et militaire critique son père: «Mon père trouble le peuple; voyez donc comme mes yeux se sont éclaircis, parce que j’ai goûté un peu de ce miel. Certes, si le peuple avait aujourd’hui mangé du butin qu’il a trouvé chez ses ennemis, la défaite des Philistins n’aurait-elle pas été plus grande?» (14.29-30). Au lieu d’accroître la victoire, le vœu de Saül la diminue, car le peuple manque de force physique et de lucidité.
Sur le plan spirituel, la conséquence du vœu est tout aussi négative. Privé de lucidité, le peuple tiraillé par la faim se rue sur la première nourriture disponible et la dévore sans respecter les lois divines sur les aliments. Saül, qui avait demandé au peuple un signe extérieur de consécration (le jeûne), le conduit à transgresser ouvertement la loi divine.
Le premier autel construit par Saül
A l’annonce du comportement du peuple, Saül est scandalisé. Il critique sans ménagement ses soldats qui l’avaient suivi à la lettre pendant toute la journée («Vous êtes des traîtres» 14.33).
La réaction du roi peut paraître saine. Elle ne dénote, cependant, pas un discernement exceptionnel. D’une part, le péché était manifeste, et d’autre part, le roi a été rendu attentif à la faute du peuple par des tiers (14.33). On peut se demander si de lui-même, le roi aurait découvert le péché. On notera aussi que Saül critique le peuple sans se remettre personnellement en question: aucune parole de regret au sujet de son vœu.
La suite du récit est encore moins favorable à Saül. Le roi érige une pierre pour y égorger les animaux. Un lecteur peu familier avec les prescriptions mosaïques pourrait approuver la démarche du roi, mais c’est oublier que Dieu avait expressément défendu de répandre du sang sur une pierre lorsqu’un Juif devait saigner une viande pour un simple repas. Le sang devait être répandu «sur la terre comme de l’eau» (Deut 12.15-16, 20-24), pour éviter d’assimiler ce geste à un sacrifice et transformer n’importe quelle pierre en autel.
Or, la pierre érigée par Saül devient rapidement un autel («Saül bâtit un autel à l’Éternel: ce fut le premier autel qu’il bâtit à l’Éternel»14.35). Par conséquent, en imposant à chaque soldat de faire saigner son animal sur cette pierre, Saül contraint chaque homme à transgresser une nouvelle fois la loi mosaïque, les sacrificateurs étant seuls autorisés à égorger les animaux sacrifiés.
Finalement, il convient de noter que si des sacrifices ont été offerts, ce sont uniquement des sacrifices de communion. Les sacrifices pour le péché et les holocaustes2, indispensables dans une telle situation, sont ignorés. Saül témoigne ainsi d’une grande insouciance par rapport au péché. Pour lui, une faute ne demande pas réparation.
Quand Saül veut écouter, Dieu ne veut plus parler
Après avoir «corrigé» le comportement du peuple, Saül s’apprête, sans la moindre hésitation, à poursuivre les Philistins. Ses soldats n’émettent aucune objection (« Fais tout ce qui te semblera bon»14.36). Comment oseraient-ils contester après avoir été repris si sévèrement par leur roi? Par contre, le sacrificateur suggère de consulter Dieu. Réalise-t-il que Saül a péché, mais hésite-t-il à le lui dire, ou a-t-il simplement la conscience troublée par rapport à ce qui vient de se passer?
Saül accepte le conseil, car la situation est moins pressante qu’au début du conflit. Les Philistins ont pu s’éloigner et les Israélites eux-mêmes se sont arrêtés pour manger. Maintenant, Saül peut prendre le temps de consulter Dieu. Les questions sont précises, mais Dieu ne donne aucune réponse (14.37).
Ce silence est immédiatement perçu comme un signe réprobateur de l’Éternel. (On connaît mal les détails des consultations divines, mais cela importe peu pour comprendre ce récit). Saül est convaincu que quelqu’un a péché. Il s’efforce donc de découvrir le coupable. Il jette le sort et demande à Dieu de désigner le coupable : «Dieu d’Israël! fais connaître la vérité» (14.41).
Saül témoigne d’une forte myopie. Il interprète correctement le silence de Dieu, mais se méprend sur la nature du péché. Quelqu’un a péché, cela est manifeste, mais pas besoin d’être devin ou de jeter le sort pour connaître le coupable. Une connaissance élémentaire des lois divines suffit à désigner Saül et le peuple comme coupables. En jetant le sort, Saül ne témoigne pas de la volonté de connaître la pensée divine, mais d’un refus de reconnaître son propre péché.
Saül s’enhardit à menacer de mort le coupable: «Car l’Éternel est vivant, le libérateur d’Israël! Même si Jonathan, mon fils, en est l’auteur, il sera puni de mort» (14.39). Sans connaître la nature du péché, Saül énonce la sentence. Manifestement, Saül se laisse dominer par sa colère plutôt que par la justice. En effet, si un pécheur doit être puni, la punition doit toujours être en rapport direct avec la gravité du méfait: ni plus ni moins. Et comme Saül prétend ignorer le coupable et le péché, toute sentence ne peut être que prématurée.
Jonathan désigné par le sort
Plus d’un lecteur est étonné que le sort tombe sur Jonathan. Pourquoi Dieu (qui dirige toute chose) fait-il tomber le sort sur Jonathan? Le fils de Saül serait-il réellement le coupable? Bien sûr que non. Jonathan est le seul innocent. Il a témoigné de foi, de courage et de discernement, et c’est par lui que la victoire est venue. Certes, il a mangé du miel, mais dans l’ignorance du jeûne imposé par son père. Et même s’il avait transgressé l’ordre de Saül, cela ne serait qu’une désobéissance à un ordre humain, alors que Saül et le peuple ont transgressé les commandements divins.
Certains objecteront à cette lecture du texte à cause des paroles de Jonathan qui, interrogé par son père, répond: «J’ai goûté un peu de miel, avec le bout du bâton que j’avais à la main: me voici, je mourrai » (14.43). Croire que Jonathan accepte sereinement la sentence du père, c’est ignorer la réplique qui suit: «Saül dit: Que Dieu me traite dans toute sa rigueur, si tu ne meurs pas, Jonathan!» (14.44). Saül réitère sa menace de mort, car il perçoit l’ironie de son fils. Jonathan trouve la sentence de son père tellement absurde (son père sait qu’il ignorait tout du jeûne imposé: 14.17) qu’il ne peut répondre que par l’ironie. Face à la folie, toute protestation rationnelle est vouée à l’échec. L’ironie, par contre, peut parfois encore ouvrir les yeux. «Réponds à l’insensé selon sa folie» conseille le sage (Pr 26.5).
L’intervention divine va d’ailleurs dans le même sens. En désignant Jonathan, c’est-à-dire l’innocent, par le sort, Dieu répond à Saül par l’ironie. Lorsqu’on prétend chercher la volonté divine, alors qu’on la contourne sciemment, et lorsqu’on veut contraindre Dieu à répondre (en jetant le sort), alors qu’il a refusé de le faire, on ne doit pas s’attendre à un miracle du Seigneur. Dieu désigne l’innocent pour sortir, si c’est possible, le roi de son égarement. Le peuple, jusquelà très soumis à Saül, comprend la leçon et s’oppose à l’exécution de Jonathan. L’injustice est vraiment trop flagrante.
Notes :
1 Voir précédent article : L’exploit de Jonathan, 1 Sam 14.1-15.
2 Pour ces deux sacrifices, le pécheur ne peut rien manger de l’offrande.
1 Samuel 14.1-15
Une situation catastrophique
Suite à une première attaque de Jonathan (13.3), les Philistins montent en force contre Israël. Saül qui hérite d’une situation difficile (3000 Israélites contre 30?000 chars et 6000 cavaliers philistins) laisse la situation se détériorer par un attentisme insensé. A force de s’entêter à offrir un sacrifice avant d’engager le combat, le roi des Hébreux voit ses forces le déserter (13.1-8).
Le narrateur, après avoir rapporté la condamnation divine de Saül (le roi ayant lui-même offert le sacrifice: 13.9- 14), accentue encore le portrait tragique d’Israël en indiquant: 1. que seuls six cents soldats (c.-à-d. 20% des troupes) étaient restés avec Saül (13.15); 2. que les Philistins avaient profité du repli temporaire de Saül sur Guilgal (dans la plaine du Jourdain) pour occuper une partie importante des collines de Judée (13.16-18)1; 3. qu’Israël était dépourvu d’armes de qualité puisque les Philistins avaient non seulement le monopole de la fabrication du fer, mais avaient réussi à «confisquer» aux Hébreux l’ensemble des armes et des outils métalliques (13.19-22).
L’objectif de Jonathan: prendre un point stratégique
Jonathan ne s’avoue pas vaincu. Plutôt que d’attendre, résigné, l’assaut final des Philistins, il décide de quitter son camp, non pour le déserter, mais pour attaquer un poste philistin. Jonathan ne cherche pas à battre quelques ennemis dans un esprit revanchard. Il n’est pas non plus intéressé à ne renforcer que légèrement la situation de son peuple en dérobant, par exemple, quelques armes à l’ennemi, ou en éliminant une garnison de vingt hommes.
Jonathan cherche une victoire mémorable: une victoire qui pourra ranimer le courage de ses troupes et démoraliser l’adversaire. Jonathan veut prendre l’imprenable et montrer ainsi que la forteresse philistine la mieux défendue peut tomber devant une poignée d’hommes.
L’objectif choisi est situé entre deux pitons rocheux («Il y avait une dent de rocher d’un côté et une dent de rocher de l’autre côté, l’une portant le nom de Botsets et l’autre celui de Séné. L’une de ces dents est au nord vis-à-vis de Mikmach, et l’autre au sud vis-à-vis de Guéba» 14.4-5). Les Philistins avaient établi un avant-poste dans ce défilé, appelé «la passe de Mikmach» (13.23), situé en plein cœur des collines judéennes, entre les armées philistine et israélite. La garnison philistine perchée au sommet d’un monticule aux pentes abruptes exigeait un exercice de grimpe pour y accéder (voir 14.13: «Jonathan monta en s’aidant des mains et des pieds»). L’espace au pied du monticule semblait dégagé (14.11) empêchant les Hébreux de l’approcher par surprise.
Ce poste-clé, qui contrôlait toute la région et qui semblait imprenable, était l’objectif idéal pour Jonathan. S’il pouvait le prendre, il revigorerait le courage de ses compagnons d’armes et porterait un coup fatal au moral de l’ennemi. Encore fallait-il le prendre.
Le signe demandé à Dieu: se faire passer pour un déserteur
Jonathan n’est pas sûr de réussir. Bien qu’il soit convaincu que rien n’est impossible à l’Éternel («Rien n’empêche l’Éternel de sauver au moyen d’un petit nombre comme d’un grand nombre » 14.6), il ne sait pas si Dieu lui accordera la victoire en ce jour. Pour s’en assurer, Jonathan demande un signe à l’Éternel: «si les Philistins disent: Montez vers nous! nous monterons, car l’Éternel les livre entre nos mains. C’est là ce qui nous servira de signe» (14.10). En d’autres termes, le signe demandé à Dieu consiste dans une invitation des Philistins à gravir le monticule.
Jonathan a bien réfléchi. Il sait que la butte ne peut être approchée par surprise. Il décide alors de prendre l’ennemi par la ruse. En se présentant à découvert avec un seul compagnon, Jonathan se fait passer pour un déserteur. Qui pourrait penser que ces deux hommes ont l’intention d’attaquer la forteresse la mieux défendue par l’ennemi? Si les Philistins restent un tant soit peu méfiants et viennent à leur rencontre, Jonathan se retirera, car une victoire au pied du monticule ne servirait à rien. Par contre, si les Philistins, sans la moindre méfiance (et voulant se ménager la peine de descendre, puis de grimper à nouveau dans leur repaire), les invitent à monter, alors l’occasion rêvée sera donnée.
Jonathan mise sur l’assurance et l’intérêt des Philistins. Ces derniers savent que beaucoup d’Hébreux ont déserté les rangs de Saül et ont pris le maquis ou se sont réfugiés à l’étranger (13.6-7). Les deux hommes qu’ils voient au pied du rempart semblent vouloir se rendre. Les Philistins pensent à une aubaine. Ils espèrent en obtenir des renseignements utiles sur l’emplacement des troupes israélites, car il est toujours plus facile de faire parler un volontaire que de tirer, par la torture, quelques bribes à un prisonnier. Les Philistins encouragent Jonathan et son écuyer à monter et à être bien traités («Montez vers nous, et nous vous ferons savoir quelque chose» 14.12).
Le narrateur précise que Jonathan n’a dévoilé son projet à personne. Son père (14.1) et le peuple (14.3) sont tenus à l’écart. Peut-être Jonathan ne voulait-il pas être découragé dans sa résolution à attaquer ce poste ennemi, car qui aurait pu rêver au succès d’un projet si téméraire. Il est possible aussi, que Jonathan voulait se protéger contre toute indiscrétion. Pour le succès du projet, l’ennemi devait impérativement prendre les deux hommes pour des déserteurs, et comme les Hébreux avaient eu de nombreux contacts avec les Philistins dans le passé, la présence, dans le camp israélite, d’un traître (ou d’un sympathisant) au service des Philistins ne pouvait être exclue. En homme avisé, Jonathan prend toutes les précautions nécessaires pour la réussite de son projet. Puisque la discrétion doit être totale, Jonathan ne sera aidé que par son écuyer. Aucun sacrifice n’est offert; aucune réunion de prière n’est organisée pour soutenir les deux combattants; même l’éphod n’est pas consulté.2 Le succès ne dépend pas d’abord de la dimension religieuse, mais de la foi (l’Éternel est tout-puissant) et du bon sens (le secret doit être total).
Foi, courage et sagesse
Jonathan est un homme de foi. Il croit que Dieu peut faire l’impossible (14.7). Quand il encourage son compagnon à combattre «ces incirconcis» (14.6), Jonathan ne témoigne pas d’un mépris racial, mais exprime sa foi. Puisque les Philistins ne sont pas du côté de Dieu (ils ne l’adorent pas), Jonathan espère que l’Éternel lui donnera la victoire sur ce peuple.
Jonathan est aussi un homme rempli de courage. Alors que ses compagnons tremblent, lui ose affronter le puissant ennemi. En cela, Jonathan ressemble à David qui, plus tard, relèvera le défi lancé par Goliath. Il n’est pas étonnant de voir, par la suite, ces deux héros se lier d’amitié (18.1-4; 20).
Finalement, Jonathan est un homme qui réfléchit. Un homme qui ne met pas en veilleuse l’intelligence que Dieu lui a donnée, mais l’utilise pour faire ce qui est juste. Foi et sagesse ne sont pas contradictoires. Au contraire, elles sont appelées à se compléter. Celui qui croit (réellement) en Dieu utilisera son intelligence, puisqu’elle a été créée par Dieu, et celui qui est sage écoutera aussi le Seigneur puisque «la crainte de l’Éternel est le commencement de la science» (Pr 1.7).
Lorsque Jonathan désire connaître la volonté de Dieu pour une situation particulière, il utilise sa tête. Malheureusement, trop souvent, les chrétiens, sous prétexte de foi, mettent leur intelligence en veilleuse et suivent, en cela, certaines idéologies du monde. Dieu a donné une intelligence à l’homme pour qu’il s’en serve. La Bible ne doit pas seulement être lue, mais elle doit être ruminée, réfléchie et comprise. La vie quotidienne doit être vécue avec bon sens et intelligence.
Jonathan est l’homme animé d’une foi saine. Il se situe à l’opposé de son père. Si Saül est le type même de l’homme religieux, Jonathan incarne le portrait du héros de la foi. Le père fait confiance aux objets et aux rites (les sacrifices), alors que le fils fait confiance au Dieu créateur qui a fait alliance avec son peuple.
Pour terminer, notons, le courage et la foi de l’écuyer de Jonathan. Il n’est pas une tête brûlée qui suit aveuglément le premier venu, mais il est une âme sage et courageuse qui fait confiance à Jonathan parce qu’il a discerné en lui un homme droit, courageux, réfléchi et fidèle à Dieu (14.7).
D.A.
Notes
1 De Guilgal, Saül était ensuite remonté à Guéba, dans les collines de Judée, en réunissant sans doute ce qui restait de l’armée de Jonathan stationnée à 5 kilomètres au Sud, à Guibea de Benjamin (13.16).
2 Le narrateur a pris soin de mentionner que le sacrificateur et l’éphod étaient présents au milieu du peuple (14.3).
1 Samuel 13.1-14
Au début du règne de Saül, Israël semble vivre en bon voisinage avec les Philistins puisque Saül ne garde que trois mille hommes et renvoie le reste du peuple chez lui (13.1-2).
Jonathan le trouble fête (13.3-7)
Jonathan ne respecte pas cette trêve puisqu’il attaque une garnison philistine (13.3). Espère-t-il battre secrètement quelques Philistins pour en retirer un maigre avantage territorial? 1 Dans ce cas, l’action de Jonathan est stupide, car pour un gain insignifiant, le fils de Saül entreprend une opération des plus risquées. Si jamais l’action commando est découverte (et on voit mal comment, tôt ou tard, elle ne pourrait pas l’être), la guerre avec les Philistins reprendra, et Israël est militairement mal préparé pour un tel combat. En effet, le gros de l’armée vient d’être démobilisé et les armes sont pratiquement inexistantes en Israël (13.19-22).
Mais Jonathan est un homme aux qualités multiples comme le montre sa deuxième attaque d’une garnison philistine (14.6-15). Le signe demandé à Dieu reflète un discernement militaire affiné 2 et les paroles adressées à son écuyer témoignent d’une grande foi: «Rien n’empêche l’Éternel de sauver au moyen d’un petit nombre comme d’un grand nombre » (14.6). Homme de foi et homme de vision, Jonathan attaque la première garnison philistine dans le dessein de stimuler Israël au combat. Comme Samson l’avait fait dans le passé, Jonathan essaie de rompre la paix pourrie avec les Philistins. Le littoral, occupé par ce peuple païen, fait partie de la terre promise. Israël ne doit pas coopérer avec ses voisins occidentaux, ni même les tolérer, mais il doit les déposséder de leur territoire. Pour déclencher les hostilités, Jonathan provoque un incident frontalier sans rien cacher («Les Philistins l’apprirent »).
A ces remarques, il convient d’ajouter que les Philistins semblent avoir étendu, depuis peu, leur domination territoriale, puisque la garnison philistine attaquée par Jonathan est positionnée à Guéba, c’est-à-dire en plein centre des collines de Judée, territoire traditionnellement occupé par Israël. Guéba est même située entre Mikmach, où se trouvent les deux mille hommes de Saül, et Guibea, où sont stationnés les mille hommes de Jonathan. Cet emplacement stratégique du camp philistin fait penser que les Philistins contrôlent le pays. Si Saül renvoie le gros de ses troupes, c’est parce qu’il n’a aucune intention de les utiliser contre les Philistins. Elles servaient sans doute à contenir les Ammonites à l’est du Jourdain et comme la paix semble rétablie dans cette région (cf. 11.1-11), Saül libère ses soldats.
L’avancée philistine en territoire israélite n’est pas commentée, mais on peut supposer que ce peuple a profité des efforts israélites à repousser l’agression bestiale des Ammonites à l’Est, qui voulaient mutiler tous les habitants de Yabéch (11.2), pour étendre imperceptiblement leur contrôle «amical» des plateaux judéens. Saül accepte cette situation, alors que Jonathan la conteste. Celui-ci attaque la garnison philistine chargée de contrôler les allées et venues des deux corps d’armée israélites (13.3). Tout en infligeant un camouflet aux Philistins, il renforce la position israélite puisque les trois mille hommes peuvent à nouveau être réunis en cas de besoin. Le coup d’éclat du fils oblige le père à rappeler rapidement ses troupes («Saül fit sonner de la trompette dans tout le pays» 13.3). Au son du cor, les Israélites comprennent que la paix est rompue («Israël s’est rendu odieux aux Philistins» 13.4). Dans l’absence de détails, la responsabilité en est attribuée à Saül («Tout Israël entendit que l’on disait : Saül a battu le poste des Philistins» 13.4).
Saül se retire d’une vingtaine de kilomètres à l’Est pour convoquer ses troupes à Guilgal dans la vallée du Jourdain (13.5). Ce mouvement de repli lui donne un peu de répit. Peutêtre espère-t-il aussi que le lieu où Dieu l’a publiquement oint roi deux ans auparavant (11.14-15) soit à nouveau un lieu de bénédiction pour lui.
La réaction des Philistins est rapide et musclée: trente mille chars et six mille cavaliers sont mobilisés (13.5). L’action de Jonathan est ressentie comme un coup de poignard dans le dos. La vivacité de leur réaction montre que ces voisins en apparence amicaux étaient fondamentalement très durs. Aucune démarche diplomatique pour s’assurer que l’attaque du commando était planifiée par le gouvernement et non par un groupe extrémiste. Le nombre des soldats mobilisés laisse présager d’un combat sans quartier. Beaucoup d’Israélites paniquent et désertent l’armée pour se réfugier dans le maquis («dans les cavernes, dans les buissons, dans les rochers, dans les tours et dans les citernes » 13.6) ou à l’étranger («de l’autre côté du Jourdain»). Les six cents vaillants qui restent avec Saül tremblent.
Le «discernement» de Saül (13.8-14)
Saül est dans une situation délicate. Ses chances de succès paraissent minimes et diminuent d’heure en heure. Le temps joue contre lui, car plus il attend, plus ses soldats le désertent et ceux qui restent tremblent, car l’inaction est toujours difficile à gérer pour une armée menacée. D’autre part, l’ennemi profite certainement de ce délai pour renforcer ses positions.
Saül devait agir rapidement s’il voulait se tirer de ce guêpier et pourtant, contre toute logique militaire, il repousse l’affrontement de plusieurs jours. Saül veut à tout prix offrir un holocauste à l’Éternel avant d’engager le combat, et comme le seul à pouvoir offrir ce sacrifice est absent (Samuel), mais a promis de passer dans la semaine, Saül attend sept jours.
Manifestement, Saül a certaines convictions. Dans un passé récent (10.1- 12), il a vu l’intervention de Dieu dans sa propre vie et il désire maintenant que Dieu l’assiste dans sa détresse, réalisant que seul un miracle peut lui permettre de remporter la victoire. La patience de Saül à attendre le retour de Samuel souligne à quel point Saül voulait offrir ce sacrifice.
La patience de Saül est remarquable, mais, pour un rien, est insuffisante. Lorsque le septième jour arrive, Saül perd patience et, au moment où il offre lui-même le sacrifice, Samuel arrive. Le prophète traite le roi d’insensé et lui annonce qu’en raison de son infidélité son règne ne sera pas affermi (14.13-14). La royauté passera à une autre famille. La condamnation est sans appel et semble très dure.
Pour comprendre la sévérité du jugement divin, il faut saisir deux choses. Premièrement, Samuel n’a jamais reproché à Saül son impatience. Le péché du roi n’est pas de n’avoir pas assez attendu le prophète, mais d’avoir lui-même offert le sacrifice. Deuxièmement, Saül n’avait aucune obligation d’offrir un holocauste avant d’engager le combat. Aucune stipulation dans la loi mosaïque n’oblige un tel sacrifice. Lorsque Saül patiente jusqu’à l’arrivée de Samuel («Il attendit sept jours, selon le terme fixé par Samuel » 13.8), il ne faut pas comprendre que Samuel avait interdit à Saül de se battre avant son arrivée, mais qu’il lui avait simplement indiqué la date de son prochain passage: «Je serai de passage dans la semaine».3 Saül aurait pu (et aurait dû) attaquer les Philistins sans offrir de sacrifice puisque aucun sacrificateur n’était présent.
Le problème de Saül est d’avoir voulu aller au-delà de la loi, pour ensuite ne pas respecter la loi. Si Saül a fini par offrir l’holocauste (et ainsi, transgresser la loi), ce n’est pas parce que Dieu l’a poussé dans des limites surhumaines de patience, mais parce que Saül, sous sa propre initiative, s’est placé dans une situation des plus inconfortables en décidant de ne pas se battre sans avoir offert préalablement un sacrifice.
Saül estimait-il qu’un sacrifice obligerait davantage l’Éternel? Ou pensaitil à la dernière bataille entre les armées israélite et philistine (7.7-14) lorsque Samuel avait offert un holocauste juste avant une victoire éclatante et miraculeuse? Si c’est le souvenir de ce sacrifice qui nourrissait son esprit, alors il a oublié l’essentiel, c’est-à-dire le réveil spirituel qui avait précédé le sacrifice et la victoire (7.2-6).
L’épreuve de Saül était difficile, mais pas surhumaine. L’épreuve est difficile parce que l’ennemi est fort. Mais Dieu ne rajoute pas à l’épreuve en faisant patienter Saül pour que ses troupes diminuent. Nous ne sommes pas dans la situation d’un Gédéon à qui Dieu a demandé de diminuer ses troupes. Ici Saül aurait pu agir, mais une mauvaise compréhension des choses divines le paralyse, puis le fait transgresser ouvertement l’alliance. Cette situation se retrouvera au chapitre suivant. Pour respecter son vou, Saül sera prêt à tuer un innocent (son propre fils: 1 Sam 14.44).
Saül n’est pas un homme qui doute de l’intervention divine. Son problème est de croire au signe plus qu’au sens, à la forme plus qu’au fond, à la lettre plus qu’à l’esprit derrière la lettre. Ce n’est pas le doute qui est reproché à Saül, mais une foi mal placée.
Tout comme les fils d’Eli avait une foi superstitieuse et stérile dans l’arche (cf. 4.1-11), ainsi Saül croit plus à la valeur des sacrifices qu’à l’obéissance au Seigneur. Il est intéressant à noter que la défaite d’Eben-Ezer lorsque l’arche a été prise (14.1, 10-11) est suivie d’une victoire à Eben-Ezer en l’absence de l’arche (7.2-13). De même, la victoire de Samuel contre les Philistins lors d’un combat précédé par un sacrifice (7.2-13) est suivie d’une victoire de Jonathan contre les Philistins, alors que ce dernier n’avait offert aucun sacrifice (14.1-15).
Dans notre récit, l’échec de Saül n’est pas celui d’un coureur de cent mètres qui lutte jusqu’aux derniers mètres avant de se faire battre sur le fil. Saül ressemble plutôt à un coureur insensé qui, à la surprise générale, s’élancerait dans la mauvaise direction. L’échec de Saül n’est pas partiel, mais total.
D.A.
1 Le lecteur ne connaît rien de Jonathan et peut tout imaginer sur cet homme, car c’est la première fois que son nom est mentionné.
2 Voir prochain article: L’exploit de Jonathan, 1 Sam 14.1-15.
3 Plusieurs commentateurs estiment que Samuel avait demandé à Saül d’attendre sept jours, sur la base de 1 Sam 10.8: «Puis tu descendras avant moi à Guilgal; et voici, je descendrai vers toi, pour offrir des holocaustes et des sacrifices d’actions de grâces. Tu attendras sept jours, jusqu’à ce que j’arrive auprès de toi et que je te dise ce que tu dois faire». Le contexte est pourtant tout autre, car cette parole à été donnée avant l’accession au trône de Saül et se situe deux ans avant notre texte (cf. 1 Sam 13.1).
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