PROMESSES

Lorsqu’on commence la lecture de la Première Épître aux Corinthiens, le premier thème qui se dégage est l’opposition vigoureuse que Paul développe entre la sagesse « de ce monde » et la sagesse de la croix. Ensuite, en poursuivant la lecture, la « connaissance » selon les standards de l’époque est elle aussi questionnée (8.2 ; 13.2).

Dans cet article nous définirons tout d’abord la différence entre ces deux termes, avant de les replacer dans le contexte de l’époque. Puis nous relèverons les contrastes entre la sagesse selon l’homme et selon Dieu, minutieusement exposés par Paul dans les deux premiers chapitres. Nous nous interrogerons ensuite sur l’application de ces contrastes à notre environnement du 21e siècle, en soulignant comment établir des points de contact avec nos contemporains tout en évitant la porosité entre les idées ambiantes et les nôtres.

Définition

Dans la Première lettre aux Corinthiens, l’apôtre s’intéresse à la sagesse (sophia) et à la connaissance (gnosis). Paul devait combattre à la fois l’attrait que gardaient les Grecs pour la rhétorique1 et la dialectique2 , et la fascination de « spirituels » pour une forme primitive de gnosticisme 3. Paul introduit une distinction entre ces deux notions lorsqu’il écrit : « À l’un est donnée par l’Esprit une parole de sagesse ; à un autre une parole de connaissance » (12.8).
Du point de vue linguistique, F. Godet voit dans la terminaison des deux mots en grec une nuance différente : pour la sagesse, le « ia » évoque la possession calme, pour la connaissance le « sis » la recherche en cours. Henri Blocher souligne que la connaissance a généralement un objet, et voit dans les deux termes une différence « d’aspect et d’ampleur. La connaissance est rapport direct avec l’objet connu […] la sagesse, elle, intègre et totalise la connaissance de Dieu et de son œuvre, envisagée dans son ensemble (1 Cor 2.6ss) […] le sage en a les principes comme vivant en lui-même (« Nous avons la pensée de Christ » 2.16) ; ils lui servent alors de guide dans le gouvernement de sa vie ».4 .
Nous nous focaliserons plus sur la sagesse que sur la connaissance dans cet article étant donné son caractère plus englobant et la longueur du traitement que Paul lui réserve dans cette Première lettre aux Corinthiens.

Contexte de l’époque

Une lecture, même rapide des textes de sagesse de l’A.T. nous présente la sagesse sous un jour positif bien différent du propos de Paul en 1 Cor 1 : c’est donc une « sagesse » bien humaine, du monde, qu’il évoque dans ces lignes. Le monde gréco-romain du 1er siècle vit sous l’influence de différentes écoles de pensées de la philosophie grecque, elles-mêmes fortement influencées par les philosophes de l’antiquité tels que Socrate, Platon et Aristote. Si ces écoles varient dans leur conception du monde, elles s’accordent pour placer l’homme au centre, comme « mesure de toute chose », suivant l’expression du sophiste Protagoras (490-420 av. J.-C.). La plupart insistent sur la maîtrise de l’art du discours et de la dialectique.

Sagesse selon l’homme et selon Dieu

Le long développement des chapitres 1 et 2 oppose successivement la sagesse « de ce siècle » à la croix (1.18-25), à ceux qui sont appelés au salut (1.26-31), à la prédication (2.1-5), et enfin à la véritable sagesse (2.6-16).

La croix et la sagesse humaine (1.18-25)

Les objectifs de l’une et de l’autre ne peuvent être plus différents : là où la sagesse humaine propose aux hommes de tendre vers le monde parfait des idées (Platon), ou le bonheur (épicuriens), ou le détachement de la souffrance (cyniques) ou enfin la réconciliation avec leur destin (stoïciens), la croix est une puissance (plus qu’une sagesse) qui sauve. D’emblée, Paul pose cet enjeu majeur au verset 18, afin de détourner les Corinthiens de leur fascination pour la virtuosité et la perspicacité humaines pour les amener à l’essentiel : être sauvé ou périr. Les versets 19 et 20 démontrent que les instances détentrices de la sagesse sont disqualifiées : leur prétendu savoir est pure absurdité s’il ne leur permet pas d’entrer en relation avec le Dieu de l’univers, qui les a créés et les fait vivre. Déjà en Ésaïe 29, cité ici, les prétendus prophètes que l’on prenait pour des sages étaient incapables de discerner l’action de l’Éternel.
La popularité de leur message est également opposée : là où la sagesse antique est plébiscitée, l’idée que le salut du monde soit réalisé par un homme crucifié est la plus ridicule et rebutante qui soit. Cependant, Dieu a choisi dans sa souveraineté non d’être connu par la sagesse humaine, mais de se révéler par le message de la croix, qui renverse toutes les normes et va à l’encontre des attentes courantes. Ce qui est faible selon les critères humains – la croix – libère la puissance divine pour ceux qui « sont appelés ».

Ceux qui sont appelés au salut et la sagesse humaine (1.26-31)

L’accès à la sagesse divine ou humaine est également radicalement différent : universel pour l’une, élitiste pour l’autre. L’objectif de Dieu, en appelant « les choses basses et méprisées du monde, celles qui ne sont rien », est de faire obstacle à tout orgueil humain. Si la connaissance de Dieu était réservée à ceux qui avaient le plus de sagacité, ils pourraient se vanter d’être supérieurs aux autres d’une part, et auraient un statut de « prêtres » d’autre part, dans le sens que l’on viendrait à eux pour le salut. L’intention de Dieu, en choisissant les plus humbles, est un renversement de valeurs : couvrir de honte (1.27) ceux qui se prétendent sages et puissants, et anéantir5 en définitive le prestige lié au fait d’appartenir à une élite.
Elles diffèrent en termes de fierté et de contenu : au sein d’une société gréco-romaine modelée par les notions d’honneur et de honte, Paul présente Jésus comme unique sagesse, et seule source de fierté possible, en s’appuyant sur la citation de Jérémie 9.22-23. Il détaille le caractère sotériologique6 de cette sagesse que nous avons « à partir de lui » : justice (pour être en règle avec Dieu), sainteté (ici dans le sens que Dieu nous considère comme saints), et rédemption 7.

La prédication et la sagesse humaine (2.1-5)

Elles diffèrent également par leur forme, en raison de leur contenu : si Paul voulait persuader ses auditeurs, ainsi qu’on le voit à plusieurs reprises dans le livre des Actes8 , il ne voulait pas convaincre les Corinthiens d’une manière qui serait allée à l’encontre du message qu’il annonçait. Le cœur de sa prédication, Jésus-Christ « crucifié en faiblesse » (2 Cor 13.4, version Darby), exclut les procédés rhétoriques qui fascinaient les foules dans le monde gréco-romain. Le chemin de la puissance passe précisément par la faiblesse et l’inspiration de l’Esprit.

La véritable sagesse (2.6-16)

Elle n’est pas sagesse de ce temps, elle est mystérieuse : la vision du monde des personnes non-chrétiennes est limitée à l’ère actuelle (1.20 ; 3.18), dont Satan est le dieu (2 Cor 4.4). Si les chrétiens peuvent vivre « conformément à la sagesse dans le temps présent » (Tite 2.12), cette sagesse, préparée « avant tous les temps » est un mystère pour nos contemporains et les « chefs de ce temps » en particulier.
Le cœur de la véritable sagesse réside en Dieu lui-même, dans son projet et sa profondeur : Dieu avait préparé quelque chose de surprenant9 , révélé à ceux qui l’aiment par l’entremise de l’Esprit.
Seul l’Esprit de Dieu, en effet, peut sonder et communiquer la profondeur de la sagesse divine. Celui-ci a une triple fonction : nous révéler la véritable sagesse (2.10,12), nous aider à la communiquer (2.13) et l’appliquer dans nos appréciations de situations ou de personnes (2.15).
L’affirmation finale (2.16) peut paraître arrogante : mais le contexte de la citation d’Ésaïe 40 montre que les plans insondables de Dieu sont inaccessibles aux humains, et que si « nous avons la pensée de Christ », c’est par la grâce seule de Dieu.

Et aujourd’hui ?

La sagesse du 21e siècle présente des traits similaires avec la sagesse grecque, même si certaines caractéristiques secondaires diffèrent. Les contrastes relevés précédemment subsistent donc. Que faire ? Nous préserver de la pensée ambiante ?
L’Écriture trace un chemin étroit permettant d’établir des points de contact entre les deux sagesses afin d’amorcer la discussion avec nos contemporains, sans adopter, peut-être à notre insu, l’idéologie ambiante.
L’apôtre Paul dialogue en Actes 17 avec des philosophes épicuriens et stoïciens et, peu après, dans son discours à l’Aréopage, mentionnera l’autel au dieu inconnu érigé à Athènes 10. Pour établir des points de contact, Paul connaissait donc la sagesse de son temps.
Il en connaît aussi le pouvoir de séduction pour nous inciter « à ne pas nous conformer au monde actuel, mais d’être transformés par le renouvellement de l’intelligence » (Rom 12.2, S21) et fustige Démas qui l’a abandonné par amour pour le monde présent (2 Tim 4.10).
« Dans le monde mais hors du monde », en laissant notre esprit être renouvelé par l’Esprit de Dieu pour connaître, communiquer et appliquer dans nos vies sa sagesse : tel est notre défi. Dietrich Bonhoeffer le résume parfaitement dans une lettre à sa fiancée : « Il faut que Dieu nous donne chaque jour la foi ; je ne parle pas de la foi qui fuit le monde, mais de la foi qui tient bon dans le monde […] Je crains que les chrétiens qui n’osent avoir qu’un pied sur la terre n’aient aussi qu’un pied au ciel. »

  1. Ensemble de procédés constituant l’art du bien-dire, de l’éloquence (Larousse).
  2. Suite de raisonnements rigoureux destinés à emporter l’adhésion de l’interlocuteur (Larousse).
  3. Cette doctrine se définit comme une connaissance conduisant au salut par une révélation, réservée aux seuls initiés, des mystères du monde divin et des êtres célestes, des secrets de leur propre origine et des moyens de la rejoindre (Larousse). Ce mouvement, qui s’est propagé dans l’empire romain au cours des 2e et 3e siècles, prône le détachement de l’âme des entraves du corps afin de la ramener à l’état de pureté initiale, et établit des distinctions entre les privilégiés qui accèdent à cette connaissance et le reste des mortels. 
  4. Henri Blocher, « Sagesse et connaissance », La Bible au scanner, Fac-Réflexion, n° 46-47, p. 32-33.
  5. Le verbe kartageo, traduit ici par anéantir, signifie « annuler », « rendre sans effets », « anéantir » (terme aussi employé en Rom 6.6 et Héb 2.14).
  6. En lien avec le salut
  7. Terme utilisé pour la libération des esclaves.
  8. Act 18.4,13 ; 19.8,26 ; 26.28 ; 28.23.
  9. Comme le rappelle la citation d’És 64.3.
  10. L’épisode est d’ailleurs instructif sur l’utilité et les limites de ces « points de contact » : S’ils permettent à Paul de prêcher l’Evangile en étant compris et entendu, ils ne suscitent pas la foi et n’amènent pas à un changement profond d’attitude et de pensée : Seul l’Esprit de Dieu peut opérer cela.

Ce chapitre de l’Épître aux Romains a fasciné des générations de théologiens et de prédicateurs, tant il trouve un écho profond dans l’expérience humaine. Cet attrait provient principalement du débat concernant l’identité de la personne dépeinte dans les versets 7 à 25. Force est de constater que les solutions proposées sont souvent liées à différentes doctrines de la sanctification.

Ceci dit, ce débat ne doit pas faire oublier le sujet principal du chapitre, celui de la loi mosaïque, après le chapitre 6 consacré à la libération de l’esclavage du péché.

Paul aborde la loi sous deux aspects :

  • Un aspect négatif : la loi, pourtant issue de Dieu, est devenue l’auxiliaire bien involontaire du péché : elle ne pouvait ni justifier, ni sanctifier.
  • Un aspect positif : notre libération des liens de la loi était nécessaire pour que nous soyons placés dans une nouvelle relation avec Jésus Christ.

Cet enseignement sur la loi s’insère dans le développement de la Lettre aux Romains de trois manières :

  • Tout d’abord, Paul mentionne à diverses reprises leseffets négatifs de la loi ( 3.19-20,27-28 ; 4.13-15 ; 5.13-14,20).
  • Ensuite, il existe un parallèle entre la loi (ch. 7) et le péché (ch. 6) : de même que le croyant est mort au péché (6.2), libéré du péché (6.18,22) qui ne règne plus sur lui (6.14), de même aussi, il est mort à la loi (7.4), a été libéré de la loi (7.6) et de son autorité (7.1).
  • Enfin, ce chapitre est relié à une affirmation précédente : le chrétien n’est plus « sous la loi » (6.14,15). Paul explique ce que cela veut dire, comment cela a été réalisé, et pourquoi c’était nécessaire.

Délivré de la loi, uni à Christ (7.1-6)

En reprenant l’allusion à la loi faite en 6.14-15, Paul interpelle ses lecteurs et fait référence à un principe général : la loi a autorité sur l’homme aussi longtemps qu’il vit. Il illustre cela par une analogie avec le mariage : la mort libère de la loi comme des liens du mariage rendant une nouvelle relation possible. Ce qui est vrai du mariage (7.2-3) l’est aussi de l’union du croyant avec Christ (7.4).

La loi, loin d’être un rempart contre le péché, est utilisée par le péché pour produire plus de péchés (7.5,8), et rendre la situation pire qu’en l’absence de loi (7.9-11,13). En cela, la loi est bien un pouvoir de l’âge ancien (6.14 ; 7.4) : le chrétien est « mort au péché » pour « vivre à Dieu », et a « été mis à mort à la loi »« pour être joint à Christ ».

Mais le croyant, délivré du pouvoir de condamnation de la loi et de son autorité, n’a-t-il « plus rien à faire avec la loi » ? L’enseignement de Paul conduit-il à vivre sans loi ?

Paul, dans son langage habituel « car… mais maintenant », explique pourquoi il était nécessaire pour les croyants d’être délivrés du domaine de la loi. Il nous décrit comme étant, avant notre nouvelle naissance, « dans la chair », à savoir enveloppés, contrôlés par ses principes et ses valeurs. Paul dépeint la chair11 comme un autre pouvoir de l’âge ancien, en opposition avec l’Esprit. L’existence dans la chair est « réglée » par le péché, la loi et la mort, ici cités ensemble (7.5). Paul réaffirme la connexion entre la loi et le péché, tout en allant plus loin :la loi révèle le péché (3.20), elle tourne la faute en transgression (4.15), elle stimule le péché (7.7-11).

Il faut reconnaître à la loi des aspects positifs : elle enseigne la sainteté de Dieu et celle qu’il attend des siens (3.21-22) ; les commandements individuels de la loi sont accomplis en ceux qui marchent par l’Esprit (8.4 ; 13.8-10). Le chrétien est donc sous « une loi » au sens large du mot (Gal 6.2 ; 1 Cor 7.19).

Anticipant le chapitre 8, le verset 6 proclame l’affranchissement par rapport à la loi et un régime nouveau, celui de l’Esprit, tandis que le verset 5 annonce et résume la section qui suit.

L’homme aux prises avec la loi de Dieu (7.7-25)

Dans les versets 1 à 6, Paul a montré que chacun devait être délivré des liens de la loi pour être uni à Christ, car la vie sous la loi ne produit que péché et mort. Cependant, une question légitime peut être posée : comment la loi peut être à la fois bonne et un instrument qui conduit au péché et à la mort ? Paul explique cela dans la longue parenthèse des versets 7 à 25 :le péché utilise la loi comme « tête de pont » pour produire plus de péché et conduire l’homme sur un chemin de mort.

Ces versets ont donc deux objectifs :

– affirmer que la loi est bonne en elle-même,

– et montrer comment, malgré cela, elle a exercé une influence négative en suscitant le péché.

Ils se divisent en deux sections, chacune étant introduite par une question suivie de l’exclamation : « Certainement pas ! »

De qui s’agit-il ?

Paul utilise ici la première personne du singulier. Mais de qui parle-t-il ? Les (nombreuses) interprétations proposées au cours des âges peuvent être regroupées sous trois lignes générales :

  1. La situation du Juif, dans une ligne autobiographique: c’est celle qui vient le plus naturellement à l’esprit du lecteur ; Paul décrirait son expérience, celle d’un homme aux prises avec la Torah, et évaluant sa situation passée à la lumière de ses convictions chrétiennes.
  2. La condition humaine, avec l’écho de l’expérience d’Adam en Gen 2-3, Adam représentant ici le genre humain : les versets 9 et 10 seraient lus de la manière suivante : « J’étais vivant spirituellement avant que la loi [à propos du fruit défendu] ne vienne… et le péché [par l’intermédiaire du serpent] … et alors je mourus [spirituellement]. »
  3. L’expérience chrétienne: Paul, en s’exprimant à la première personne du singulier et au présent à partir du verset 14, décrirait ainsi l’état d’un chrétien. Cette lecture, déjà présente chez Augustin a été popularisée par Luther qui voyait le croyant « à la fois juste et pécheur » ; jusqu’au XXe siècle, les Réformés ont vu dans ce texte l’expérience chrétienne typique.

Le courant piétiste, par réaction à l’interprétation réformée qui ouvrirait trop la porte à une vie de compromis, a vu dans ces versets quelqu’un sur le chemin de la nouvelle naissance (ayant la conviction de péché mais non né de nouveau), ou alors un chrétien, généralement décrit comme jeune converti, se débattant pour essayer d’obéir à la loi par lui-même.

Le style narratif et descriptif ainsi que l’usage du mot « loi » par Paul pour désigner la loi de Moïse (et non pas une loi générale12)fait préférer la ligne 1 et éliminer la ligne 2, sans toutefois écarter l’hypothèse 3 à ce stade.

Ainsi, Paul décrit son expérience, et plus largement celle de l’homme sous la loi, et ce sous deux aspects : d’une part la venue de la loi et ses conséquences (7.7-12), et d’autre part l’échec de la loi, à cause de la chair, à délivrer du pouvoir du péché (7.13-25). En conclusion, dans les versets 7 à 12, Paul décrirait son vécu de l’entrée de la loi dans sa vie, et dans les versets 13 à 25, son expérience quotidienne sous la loi.

La relation entre le péché, la loi et la mort (7.7-12)

Paul reprend le style de questions-réponses du chapitre 6. La question reflète certainement encore une critique essuyée par Paul : s’il enseigne que la loi suscite le péché, ne dit-il pas que la loi est péché en elle-même ? Si Paul affirmait cela, il détruirait effectivement toute continuité entre l’A.T. et le N.T., entre Moïse et Christ. C’est pour cela que sa dénégation est très claire :« Certainement pas ! »

En revanche, la loi amène la connaissance du péché. Plus encore, elle est utilisée par le péché pour accomplir plus de mauvaises actions, selon le phénomène du « fruit défendu » : qui n’a pas expérimenté que lorsque l’on interdit quelque chose à un enfant, il va s’empresser de le faire ! Israël a été stimulé à désobéir : juste après avoir entendu le commandement de ne pas se faire d’idoles, Aaron leur a fait le veau d’or !

Sans loi, on « vit » (on existe) car les péchés ne sont pas encore explicitement pris en compte (5.13), ils ne constituent pas une transgression (4.15). Mais la loi, tournant alors la faute en transgression, confirme et radicalise la mort spirituelle dans laquelle tous gisent depuis Adam. La loi est venue avec des promesses de vie liées à l’obéissance (Lév 18.5 cité en Romains 10.5), mais elle aurait alors dû être parfaitement observée — ce qui était impossible compte tenu du pouvoir du péché. Donc, bien que le commandement soit censé mener à la vie, il conduit à la mort.

Dans cette section, Paul ne laisse aucun doute quant au rang élevé qu’il attribue à la loi, mais, en montrant comment le péché s’en sert pour parvenir à des fins funestes, il la repousse comme moyen de salut et de sanctification.

L’homme déchiré (7.13-25)

Paul, en passant du passé au présent décrit avec beaucoup d’acuité le conflit pratique que fait naître la perception de l’exigence divine et l’incapacité à l’honorer — autrement dit, la division entre le vouloir et le faire. Parce que le « je » est incapable de faire ce que la loi réclame, il se trouve être prisonnier du péché, une situation, dont Dieu en Christ, peut délivrer (7.24 ; 8.1-4). En revanche, Paul montre encore que la loi est incapable de délivrer du péché. Aussi bonne soit elle, elle s’adresse à des gens « de chair », habités et dominés par le péché (7.17,20).

L’enseignement essentiel de l’incapacité de la loi mosaïque à délivrer de la puissance spirituelle du péché peut s’appliquer aux personnes non régénérées (dans le sens qu’elles ne peuvent être sauvées par la loi), et aux personnes régénérées (qui ne peuvent être sanctifiées et délivrées de la puissance du péché par la loi).

Mais qui est cet homme « sous la loi », déchiré entre le vouloir et le faire ? Est-ce l’expérience d’un Juif pieux ou celle d’un chrétien ?

Sans rentrer dans le détail des arguments avancés par les uns et les autres, notons que chaque lecture peut être étayée par des éléments de ce texte.

Cependant, deux arguments nous semblent décisifs pour ne pas y voir la condition et la vie normales d’un chrétien :

– le contraste entre la description du « je » vendu au péché (7.14b) et l’affirmation que le croyant a été délivré du péché (6.8,22) ;

– le contraste entre le « je », « captif de la loi du péché » (7.23) et le croyant, qui a été libéré de la loi du péché (8.2).

Toutes ces expressions décrivent une situation objective, et il est difficile de voir comment elles peuvent être appliquées en même temps à la même personne. Dans les chapitres 6 et 8, Paul établit clairement qu’être libéré du péché et de la loi du péché sont des affirmations vraies pour tout chrétien, même immature. Par ailleurs, l’absence de référence au Saint-Esprit dans cette section est significative.

Même si le croyant continue d’être influencé par ses anciens maîtres, le péché et la chair, il est mort au péché (6.2), n’est plus sous l’empire de la chair (8.9), et a été fait esclave de Dieu (6.22). Cela ne veut pas dire pour autant que le chrétien ne lutte pas avec le péché ! Paul l’établit explicitement (cf. Gal 6.1) et implicitement, par toutes les exhortations contenues dans ses lettres. Les chrétiens ne sont pas totalement délivrés de l’influence du péché, ni de leur propension à servir leurs anciens maîtres, le péché et la chair.

La portée de ce passage peut être difficilement étendue à tous les hommes sans Dieu, puisque la loi mosaïque est le sujet principal du chapitre 7. Ceci explique d’ailleurs le regard positif du « je » sur la loi de Dieu. Paul ne reproche pas aux Juifs de ne pas aimer la loi de Dieu, mais de se tromper sur son intention (10.1-4) et de ne pas y obéir (2.17-29).

Après le verset 13 qui sert de transition, Paul décrit donc, dans les versets 14 à 20, comment, de manière pratique, la loi l’a mené à la mort, comment le péché habite en lui, à tel point que sa personne est divisée entre le vouloir et le faire (7.15,16a,18b,19,20a). Paul ne nie pas sa responsabilité, mais fait l’aveu d’un homme « dépassé » par le pouvoir du péché (« ce n’est plus moi qui produis cela » 7.17b). Sa chair (c’est-à-dire ses membres) n’est pas mauvaise en elle-même, mais elle est le moyen par lequel il pèche et il est dominé par le péché (7.18).

Dans les versets 21 à 23, Paul dépeint une réalité plus objective : il décrit les deux lois13 qui agissent dans le Juif non régénéré :

– la loi de son intelligence, qui discerne dans la loi mosaïque le chemin à suivre (7.22,23a), car les Juifs pieux aimaient la loi (10.2) ;

– puis la loi du péché, qui le contrôle et a gagné la bataille (7.21a,23b) : il est prisonnier de cette dernière.

Paul appelle donc à la délivrance (7.24), puis remercie pour la libération survenue (7.25a), anticipation de la victoire à venir. Il conclut par le résumé de l’état du Juif sous la loi, servant deux maîtres : la loi de Dieu et la loi du péché (7.25b). Le « donc » qui ouvre alors le chapitre 8 fait le lien avec les chapitres précédents : plus de condamnation, de verdict à attendre, car il a été déjà rendu en Christ, et plus de sanction à redouter. Le « maintenant » qui retentit vise l’étape nouvelle dans laquelle les chrétiens, délivrés de la loi, sont entrés, même si l’achèvement glorieux reste objet d’espérance.

* * *

En conclusion, si Paul ne décrit pas ici littéralement la situation d’un chrétien, il dépeint généralement la situation d’échec d’un homme sous la loi. L’application de ce texte peut donc être étendue à tout homme, Juif pieux ou chrétien qui s’efforce d’obéir à la loi en comptant sur ses propres ressources, sans dépendre de l’Esprit de Dieu.

Ainsi, un prédicateur pourrait à la limite prêcher sur ce passage sans même trancher sur l’identité du « je ». En effet, comme chrétiens, nous sommes avertis que la loi mosaïque — et donc toute autre loi ou forme de légalisme — ne saurait nous délivrer du pouvoir du péché. Tout comme l’illusion de pouvoir faire le bien seuls, en suivant une multiplication de règles, de commandements, nous conduira immanquablement à la défaite, et pourra même engendrer une véritable souffrance.

Seule une loi nouvelle, celle de l’Esprit de Dieu, nous délivre de la loi du péché, accomplit la justice de la loi en nous, nous transforme et nous conduit à la vie (8.2,6) !

« Le Créateur, qui est béni éternellement. Amen ! » (Romains 1.25)

  1. Le terme « chair » décrit ici la manière de vivre en opposition ou en indépendance de Dieu, c’est-à-dire l’homme livré à lui-même, comptant sur ses seules ressources pour diriger sa vie et satisfaire ses besoins.
  2. Dans les versets 21 et 23 le mot « loi » ne désigne pas la loi mosaïque, mais un principe, comme la « loi de la foi » en 3.27.
  3. Dans les versets 21 et 23 le mot « loi » ne désigne pas la loi mosaïque, mais un principe, comme la « loi de la foi » en 3.27.

La notion d’image de Dieu

La notion d’« image de Dieu » présente diverses facettes :

– La dépendance : L’image n’est rien sans l’original, donc l’homme, image de Dieu, dépend radicalement de Dieu.

– La ressemblance : Le terme sélem en hébreu est utilisé pour décrire une image concrète de quelque chose ou de quelqu’un — une statue, ou une image faite d’après l’original. L’homme est ainsi la représentation créée de Dieu, le reflet de sa gloire13. Comment l’homme ressemble-t-il ainsi à Dieu ? Par l’usage de la parole, la présence de l’esprit en lui. L’insufflation divine (neshama) distingue l’homme des autres créatures (cf. Job 12.10). Elle lui permet d’entrer en relation avec Dieu, tout en étant aussi le moyen par lequel Dieu peut habiter en lui. Cette insufflation divine est décrite en Proverbes 20.27 : « Le souffle de l’homme est une lampe de l’Éternel ; il pénètre jusqu’au fond des entrailles. »

– L’image porte en filigrane la notion de filiation :
– c’est le cas pour Jésus : « Le Fils est l’image du Dieu invisible, le premier-né de toute la création » (Col 1.15) ;
– c’est aussi le cas pour l’homme : « […] fils d’Adam, fils de Dieu » (Luc 3.38) ; « en lui nous avons la vie, le mouvement, et l’être. C’est ce qu’ont dit aussi quelques-uns de vos poètes : De lui nous sommes la race… » (Act 17.28) Mais la Genèse ne le dit pas clairement : le terme de fils est réservé à la relation que Dieu établit avec nous en Jésus-Christ.

– Dieu crée l’homme à son image, homme et femme, pour dominer sur les êtres vivants. L’image est associée :
– à une mission, celle de dominer la création (dans l’Orient ancien, un roi laissait parfois une image de lui dans les villes qu’il avait conquises pour rappeler sa domination) ;
– à une relation entre l’homme et la femme : cette relation, faite de complémentarité et d’unité, est un des aspects de l’image de Dieu ; l’être humain participe au privilège de pouvoir engendrer un être lui-même à l’image de Dieu.

 Après la chute, de quelle manière la qualité de l’homme comme « image de Dieu » a-t-elle été affectée ?

Après la chute l’image a été affectée sur tous les plans décrits ci-dessus :

– De dépendant l’homme est devenu indépendant de Dieu et se prendra parfois pour un dieu, à l’image du pharaon (cf. Éz 29.3 : « Ainsi parle le Seigneur, l’Éternel : Voici, j’en veux à toi, Pharaon, roi d’Égypte, grand crocodile, qui te couches au milieu de tes fleuves, et qui dis : Mon fleuve est à moi, c’est moi qui l’ai fait ! »)

-La ressemblance est devenue caricature et la relation avec Dieu a été coupée. L’homme est devenu spirituellement mort ; cette mort s’est ensuite propagée à son être physique. Le sens du bien et du mal (lié à la notion de « lampe de l’Éternel ») a été faussé : l’homme va appeler le mal bien et le bien mal (És 5.20), même si une certaine conscience demeure chez lui (cf. Rom 2.15 : « Ils (= les païens) montrent que l’œuvre de la loi est écrite dans leur cœur, leur conscience en rendant témoignage, et leurs pensées s’accusant ou se défendant tour à tour. ») L’homme aura aussi tendance à transgresser les deux injonctions liées au fait que l’homme est image de Dieu (interdiction de fabriquer des statues représentant Dieu, et aimer Dieu tout comme aimer son prochain) : il se créera des idoles (des représentations de la création, cf. Rom 1.23, mais aussi l’argent, le pouvoir, les possessions…) et il haïra son prochain.

– La domination exercée en dépendance de Dieu s’est transformée en pouvoir abusif. La nature en subit d’ailleurs les conséquences aujourd’hui. La relation entre l’homme et la femme en a souffert de la même manière, l’autorité dévolue à l’homme se transformant en pouvoir excessif (cf. Gen 3.16). Le refus de Dieu pourra aussi se traduire par un refus de la différence entre homme et femme (voyez comment l’homosexualité suit le rejet de Dieu dans le développement de Romains 1).

 Que reste-t-il chez nos contemporains de cette image de Dieu ?

Cependant l’homme garde une dignité particulière en tant que créature à l’image de Dieu. À ce titre on ne peut :

– ni le tuer : « Si quelqu’un verse le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé; car Dieu a fait l’homme à son image » (Gen 9.6) ;

– ni le maudire : « Par [la langue] nous bénissons le Seigneur notre Père, et par elle nous maudissons les hommes faits à l’image de Dieu […] Il ne faut pas, mes frères, qu’il en soit ainsi. » (Jac 3.9,10b)

Nos contemporains ont une conscience du bien et du mal (cf. Rom 2.15), même si celle-ci est altérée. Ils ont aussi une certaine notion de la transcendance : « [Dieu] a mis dans leur cœur la pensée de l’éternité. » (Ecc 3.11) Mais ils portent de manière très partielle l’image de Dieu, car le caractère d’image de Dieu a été affecté sur différents plans, comme nous l’avons vu.

Qu’est-ce qui change à notre conversion ?

Le projet de Dieu pour nous est que nous devenions conformes à l’image de son Fils (Rom 8.29).

En effet, Jésus-Christ est la parfaite image de Dieu. En lui nous retrouvons les attributs perdus lors de la chute.

Cependant ce rétablissement des attributs de l’image de Dieu comporte plusieurs étapes chronologiques :

1. Ce qui est déjà réalisé lorsque nous naissons de nouveau

– Nous devenons fils de Dieu : « L’Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. » (Rom 8.16) En nous rendant fils dans le Fils, cette grâce dépasse et accomplit notre quasi-filiation originelle.

– Nous devenons spirituellement vivants : « Nous qui étions morts par nos offenses, [Dieu] nous a rendus vivants avec Christ. » (Éph 2.5)

2. Ce qui est en cours de réalisation dans nos vies et qui n’est pas automatique

– Par un processus progressif, nous sommes transformés en la même image que Jésus quand nous le contemplons : « Nous tous dont le visage découvert reflète la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image, de gloire en gloire, par l’Esprit du Seigneur. » (2 Cor 3.18)

– Nous sommes renouvelés à l’image de celui qui nous a donné une nouvelle identité : « [Nous avons] revêtu l’homme nouveau, qui se renouvelle, dans la connaissance, selon l’image de celui qui l’a créé. » (Col 3.10)

3. Ce qui n’est pas encore réalisé

La conformité sera parfaite, à la fois morale et physique. Nous porterons « l’image du céleste » (1 Cor 15.49) quand notre corps sera conforme au corps de la gloire de Christ (Phil 3.21). « Ce que nous serons n’a pas encore été manifesté ; mais nous savons que, lorsqu’il paraîtra, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est. » (1 Jean 3.2)

 

 

  1. L’image et la gloire sont associées en 1 Corinthiens 11.7 : « L’homme ne doit pas se couvrir la tête, puisqu’il est l’image et la gloire de Dieu », et 2 Corinthiens 3.18 : « Nous tous, dont le visage est découvert, reflète la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image, de gloire en gloire, par l’Esprit du Seigneur. »

Le premier mot de l’Apocalypse, « révélation », peut aussi signifier « lever du voile » en grec. Rarement mot d’introduction aura été aussi paradoxal tant ce livre présente un contexte déroutant et semble difficile à comprendre. Face à ce type d’ouvrage, deux tentations existent : d’une part en « forcer l’entrée » sans en chercher les combinaisons d’accès, d’autre part passer outre : c’est le seul livre que Calvin n’a jamais commenté, et il fut rejeté par une fraction de la chrétienté orientale jusqu’à la fin du ive siècle.

Pour découvrir et mieux comprendre l’Apocalypse nous examinerons tout d’abord son genre, son langage, et les emprunts faits à l’Ancien Testament. Ensuite, nous listerons les différentes interprétations qui ont été données au cours des âges, avec les forces et faiblesses de chacune d’elles. Enfin, nous proposerons un plan du livre pour mieux en saisir la structure.

Genre et langage de l’Apocalypse

Le livre de l’Apocalypse se présente à la fois comme une lettre — adressée aux sept églises d’Asie mineure — et comme une prophétie (1.3 ; 10.11 ; 22.9). Cependant, il se distingue des autres livres prophétiques par son style particulier, fait de contrastes marqués entre des personnes, groupes et événements : opposition entre bien et mal, trinité divine et trinité diabolique (ch. 12 et 13), agneau et dragon, Jérusalem et Babylone, etc.

Aujourd’hui, ce style pourrait être assimilé à certaines nouvelles ou mangas mettant en contraste les forces du bien et les forces du mal sous formes d’images caricaturales pour mieux illustrer les oppositions entre ces groupes.

Écrite à la fin du 1er siècle, dans un contexte de persécution violente contre les chrétiens, cette « littérature de crise » s’ouvre et se termine par une bénédiction (1.3 ; 22.14). Jean veut encourager un public fragilisé, mis hors la loi, en dévoilant ce qui se passe dans la salle du trône de Dieu, au-delà des regards terrestres. L’apôtre livre le point de vue de Dieu sur le monde et son avenir. Peu de livres bibliques invitent autant à l’adoration, la prière et la louange.

Le langage de l’Apocalypse est chargé de métaphores. Ainsi, les nombres employés ne doivent pas, la plupart du temps, être pris au sens littéral. Ils expriment par exemple l’universalité terrestre (quatre), la plénitude (sept), le peuple de Dieu (douze). Ces nombres se combinent en multiples riches de significations : par exemple les 1600 stades (14.20) expriment l’universalité du jugement de Dieu sur l’humanité (4 x 4 x 10 x 10).

Emprunts faits à l’Ancien Testament

De manière plus ou moins directe, l’Apocalypse fait très souvent référence à l’Ancien Testament. Ainsi, l’Exode est présente par la révélation du nom divin (« Celui qui est », Ex. 3.14 en Apocalypse 1.4 ; 4.8 ; 16.6), par le rappel de certaines plaies d’Egypte aux chapitres 9 et 16, tandis que le passage de la Mer Rouge est évoqué en 15.2.

Les images empruntées aux livres prophétiques sont nombreuses : par exemple, le rouleau d’Ezéchiel, (ch. 10), l’assaut de Gog et Magog (ch. 20), la vision du Fils de l’homme de Daniel 7 (ch. 14), ou encore les deux oliviers de Zacharie 4 (ch. 11). Ainsi l’Apocalypse reprend, développe et mène à leur sens final de nombreuses images déjà ébauchées dans l’A.T.

Diverses interprétations

Elles peuvent se classer en quatre grandes tendances : futuriste, « prétériste », historique et idéaliste. Ces interprétations seront évaluées en tenant compte de la manière dont les chrétiens du 1er siècle ont lu l’Apocalypse, et de son genre littéraire spécifique.

1. L’interprétation futuriste telle que nous la connaissons a été proposée dans les années 1830 par J.N. Darby. Elle s’est répandue parmi les chrétiens évangéliques anglo-saxons grâce à la première bible avec commentaires (Bible d’étude Scofield 1909). Cette lecture divise le livre de l’Apocalypse en trois grandes sections, d’après le verset 19 du chapitre 1 :

– les choses passées (« ce que tu as vu ») : la vision de Patmos (1.4-20) ;

– les choses présentes (« ce qui est ») : les 7 églises d’Asie, et, au-delà, l’Église dans sa totalité au cours des âges (2.1-3.22) ;

– les choses à venir (« ce qui doit arriver ensuite ») : les événements qui se produiront après l’enlèvement de l’Église (début du ch. 4).

Selon cette interprétation, le temps des tribulations des chapitres 4 à 19 coïncide avec la 70e semaine du prophète Daniel (Dan 9.24-27). Ce temps de jugement et de conflits submergera le monde entier, jusqu’à l’avènement de Jésus-Christ (ch. 19) et son règne terrestre de mille ans (ch. 20). Ces événements s’articulent en trois séquences principales, vues dans l’ordre chronologique : sept sceaux, sept trompettes, sept coupes, avec des parenthèses qui apportent des précisions complémentaires (comme celle du chapitre 7.1-17 qui décrirait les Juifs et païens sauvés pendant la Tribulation).1

Le point fort de cette interprétation est sa cohérence avec les textes prophétiques de Daniel (70e semaine, abomination de la désolation, etc.) et avec le discours de Jésus sur le Mont des Oliviers en Matthieu 242. En revanche, étant donné que la plupart des événements sont vus comme futurs, les implications pratiques de cette lecture sont indirectes et parfois difficiles à trouver. Les lecteurs du 1er siècle auraient appliqué de nombreux passages des chapitres 4 à 19 à leurs circonstances ou à leur environnement. Par exemple, ils auraient vu l’empire romain dans la femme du chapitre 17 (Rome est bâtie sur sept collines).

2. L’interprétation « prétériste » voit au contraire la plupart des événements de l’Apocalypse comme étant accomplis au moment de sa rédaction. L’Apocalypse décrirait ainsi les persécutions sous Néron au milieu des années 60 ou la chute de Jérusalem en l’an 70. Le point fort de cette interprétation est qu’elle est compatible avec la manière dont les chrétiens du 1er siècle auraient pu lire ce livre, mais trop de passages comme le règne de Christ au chapitre 20 restent inexpliqués.

3. Une troisième interprétation, dite historique, considère que l’Apocalypse dévoile l’histoire de l’Eglise, du 1er siècle à nos jours. Des lecteurs protestants du xvie siècle ont vu, par exemple, tel ou tel pape dans la grande prostituée du chapitre 17, tandis que des lecteurs du xixe ou du xxe siècle ont reconnu Napoléon ou Hitler dans tel ou tel personnage. Adoptée par les Réformateurs, puis par John Wesley, cette interprétation a l’inconvénient de présenter une grille de lecture fluctuante suivant les époques. Elle est également réductrice car centrée majoritairement sur l’interprétation d’événements se déroulant en Europe de l’Ouest. Enfin, elle semble également difficilement conciliable avec la manière dont les chrétiens du 1er siècle ont lu l’Apocalypse.

4. La dernière interprétation, dite idéaliste, perçoit les événements décrits dans l’Apocalypse comme des symboles de la lutte entre le bien et le mal, entre Dieu et Satan et ceux qui s’y rattachent. Elle voit ainsi dans le règne de mille ans la période actuelle de l’Église où l’action de Satan est retenue (depuis la résurrection de Christ). Cette lecture a l’avantage de prendre en compte le genre littéraire de l’Apocalypse et d’être utile pour les chrétiens de tous les temps, y compris ceux du 1er siècle. En revanche, elle a l’inconvénient de ne pas voir à la fin de ce livre un aboutissement de l’histoire, puisqu’elle met de côté tout aspect historique.

Quelle lecture adopter ?

Les événements décrits dans l’Apocalypse indiquent qu’il y aura une progression du mal vers un dénouement final, celui du retour, du règne et de la victoire finale de Jésus-Christ3. Une lecture futuriste prudente par rapport à l’enchaînement des événements paraît justifiée. Mais elle gagne à être complétée pour prendre en compte le genre littéraire du livre, ce qui plaide également en faveur d’une lecture morale pour aujourd’hui.

Ainsi, le chapitre 4 nous questionne sur la manière dont nous intégrons la majesté divine dans notre vie de tous les jours : ne nous devons-nous pas, tout comme les êtres vivants et les anciens, obéissance, louange et honneur à Dieu, notre Créateur ? Les tonnerres, les sept lampes ardentes et la mer de verre qui sont devant le trône évoquent la distance qui nous sépare de lui : Dieu existe par et pour lui-même, son existence n’est assujettie à personne.

Le chapitre 5 nous montre, par continuité et symétrie avec le chapitre 4 un double fait : seul l’Agneau immolé est digne de s’approcher de la majesté pour ouvrir le livre (permettant ainsi au plan de Dieu de s’accomplir) et seul il est digne de s’asseoir au milieu du trône (affirmation de sa divinité).

Ces deux chapitres ne nous interpellent-ils pas quand nous sommes tentés de devenir des chrétiens « performants » et sans faille seuls maîtres à bord de notre vie ? Contempler la majesté du Dieu Créateur et celle de l’Agneau Rédempteur nous pousse à dépendre de lui. Paradoxalement, cette dépendance nous enlève le stress de la course à la performance et nous fait accueillir sa grâce.

Les ch. 12 et 13 mettent en scène une contrefaçon de la trinité véritable :

– le dragon est clairement identifié à Satan en 12.9 ;

– la première bête du ch. 13 parodie Jésus (v.1-10) : elle reçoit autorité sur toute tribu, peuple, langue et nation ;

– la seconde bête parodie le Saint-Esprit et son ministère (v. 11-18) : elle donne le souffle à l’image de la bête, scelle les hommes, oblige les habitants de la terre à adorer la première bête, et elle accomplit de grands miracles.

Ces deux chapitres nous avertissent que, de manière continue et toujours plus arrogante, l’Ennemi cherche à subvertir l’autorité de Dieu par un renversement des valeurs morales, poussant les hommes à appeler le mal bien et le bien mal, à changer les ténèbres en lumière et la lumière en ténèbres (cf. És 5.20).

Structure de l’Apocalypse

Plusieurs groupes de sept (« septénaires ») apparaissent de manière naturelle dans le texte (sept églises, sept sceaux, sept trompettes et sept coupes). D’autres, moins évidents à saisir, découlent assez naturellement du texte pour qu’on puisse proposer un plan en sept septénaires, organisés le plus souvent en 4 + 2 + 1 ou en 6 + 1.

Par exemple, les quatre premiers sceaux sont groupés et imagés sous formes de cavaliers, les cinquième et sixième sceaux sont indépendants, et le septième sceau précédé d’une parenthèse au chapitre 7. De même, les six trompettes sont dissociées de la septième par une parenthèse allant du chapitre 10.1 au chapitre 11.14.

Enfin, la plupart de ces septénaires sont introduits par une vision, par exemple celle du Fils de l’homme avant les lettres aux sept églises.

Nous proposons donc le plan ci-après.

* * *

En conclusion, relevons un dernier septénaire, celui des béatitudes qui traverse l’Apocalypse et particulièrement la première : « Heureux celui qui lit et ceux qui écoutent les paroles de la prophétie et gardent ce qui s’y trouve écrit, car le moment est proche ! » Que ce moment, celui du retour de Celui qui « vient bientôt » oriente chacune de nos vies.

1NDLR : C’est notamment l’optique présentée dans l’article précédent de William MacDonald.
2Les sept sceaux reprennent divers éléments du discours de Jésus sur le mont des Oliviers :
     1. Le cheval blanc (parodie de pureté) // antichrists séducteurs annoncés (Mat 24.4-5).
     2. Le cheval roux (la guerre) // les guerres et les bruits de guerres (Mat 24.6-7).
     3. Le cheval noir (la famine) // famines (Mat 24.7).
     4. Le cheval livide // mort des fidèles (Mat 24.9).
     5. Âmes des martyrs sous l’autel // persécutions (Luc 21.12).
     6. Signes dans le ciel et sur la terre // signes (Luc 21.11).
3Le parallélisme entre les 7 sceaux, trompettes et coupes suggère cependant plus une intensification des mêmes événements qu’une succession de jugements différents.

Plan de l’Apocalypse

Introduction 1.1-8
1er septénaire : les lettres aux 7 églises 1.9-3.22

– Vision introductive : le fils de l’homme 1.9-20

– 7 lettres 2.1-3.22
2e septénaire : les 7 sceaux 4.1-8.1
– Double vision introductive : le ciel ouvert 4.1-5.14
– 6 premiers sceaux 6.1-17
– Parenthèse : la double vision des rachetés 7.1-17
– 7e sceau 8.1
3e septénaire : les 7 trompettes 8.2-11.18
– Vision introductive : l’autel dans le ciel 8.2-5
– 6 premières trompettes 8.1-9.21
– Parenthèse : la double vision du petit livre et les 2 témoins 10.1-11.13
– 7e trompette 11.14-18
4e septénaire : les 7 signes-visions 11.19-15.4
– Vision introductive : temple de Dieu ouvert 11.19
– 1er signe du dragon, de la femme et de l’enfant mâle 12.1-17
– 2e vision de la bête qui monte de la mer 13.1-10
– 3e vision de la bête qui monte de la terre 13.11-18
– 4e vision des scellés de l’Agneau 14.1-5
– 5e vision des trois anges 14.6-13
– 6e vision de la moisson et de la vendange 14.14-20
– Parenthèse : annonce des 7 coupes 15.1
– 7e signe de la fin 15.2-4
5e septénaire : les 7 coupes 15.5-16.21
– Vision introductive : le temple dans le ciel ouvert 15.5-8
– 6 premières coupes 16.1-14
– Parenthèse : béatitude concernant la venue de Dieu 16.15
– 7e coupe 16.16-21
6e septénaire : les 7 paroles sur Babylone 17.1-19.10
– Vision introductive : la grande prostituée sur la bête 17.1-18
– 1re parole : la chute de Babylone 18.1-3
– 2e parole : le châtiment de Babylone 18.4-8
– 3e parole : la lamentation des rois 18.9-10
– 4e parole : la lamentation des marchands 18.11-16
– 5e parole : la lamentation des navigateurs 18.17-20
– 6e parole : la fin de Babylone 18.21-24
– Parenthèse : le triple alléluia dans le ciel 19.1-5
– 7e parole : les noces de l’Agneau 19.6-10
7e septénaire : les 7 visions de la fin 19.11-22.5
– 1re vision : le juge sur le cheval blanc 19.11-16
– 2e vision : le grand souper de Dieu 19.17-18
– 3e vision : la capture de la bête et du faux prophète 19.19-21
– 4e vision : Satan enchaîné pour 1000 ans 20.1-4
– 5e vision : la première résurrection et le règne de 1000 ans 20.5-10
– 6e vision : le jugement du grand trône blanc 20.11-15
– 7e vision : les nouveaux cieux et la nouvelle terre 21.1-8
– double appendice : la nouvelle Jérusalem, le nouvel Éden 21.9-22.5
Conclusion 22.6-21


Christophe Argaud travaille en région parisienne dans un groupe international, tout en s’impliquant activement dans l’enseignement biblique, dans son église et dans diverses rencontres, en particulier pour les jeunes. Il est marié et père de trois enfants.

La structure symétrique du prologue

L’Évangile selon Jean ne débute pas, comme les évangiles synoptiques, par les scènes de la nativité ou par le commencement du ministère de Jésus, comme les Évangiles synoptiques, mais par une introduction magistrale qui, telle une ouverture musicale, décline les uns après les autres les grands thèmes de l’évangile.

On peut voir dans ce prologue (1.1-18) une construction particulière appelée « chiasme » où chaque thème, placé de manière symétrique, pointe vers le thème central, clef de voûte de l’édifice.

Le schéma suivant visualise cette construction : (A) Dieu avec Dieu : Cher Lecteur,……………………..(A’) Dieu avec Dieu
Le logos avec Dieu (v. 1-2)…………………….. Le Fils avec le Père (v. 18) (B) Dons aux hommes ………………….. (B’) Dons aux hommes (v. 3-5)……………………………………………..(v. 16-17) (C) Témoignage de………………. (C’) Témoignage de
Jean-Baptiste (v. 6-8) ………….Jean-Baptiste (v. 15)

(D) Venue de la Parole….. (D’) La Parole
dans le monde (v. 9-10)…..incarnée(v. 14) (E) Rejet ou acceptation de la Parole (v. 11-13)

Cette structure n’est pas anodine, car le thème central du prologue est aussi celui de l’Évangile (20.31).
Et, en même temps, le rejet ou l’acceptation de la Parole (E) sont basés sur ce qui précède, à savoir : (A) ce que la Parole est,
(B) ce qu’elle a donné aux hommes,
(C) le témoignage des hommes,
(D) sa vie parmi les hommes. Tout comme l’Évangile selon Jean dans son ensemble, ce prologue surprend par le contraste entre la simplicité des mots utilisés et la profondeur de son contenu. La suite de l’Évangile en sera le développement.

(A) et (A’) : Dieu avec Dieu

(A) : « Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. » (v. 1-2)
– Les arrière-plans grecs et juifs sont importants pour comprendre le terme grec « logos » (traduit par « parole » ou « verbe » en français). Pour les Grecs, le logos est la raison divine ou cosmique qui donne la cohésion au monde. Pour les Juifs, le logos renvoie à la sagesse qui a créé le monde et le soutient (Prov 8.23-26). Le fait que Jésus soit identifié au logos est donc un message fort pour ces deux cultures.
– La « Parole » était : l’imparfait suggère l’éternité, et s’oppose au passé simple employé dans les v. 3 et 14, quand la parole entre dans l’histoire par la création et l’incarnation.
– « Au commencement » renvoie à Genèse 1 et souligne qu’au moment de la création, la Parole existait déjà.
– Elle « était avec Dieu » et elle « était Dieu ». Le logos est distinct de Dieu et il est en même temps Dieu, dans une intimité unique et éternelle avec lui.
(A’) : « Personne n’a jamais vu Dieu. Dieu le Fils unique, qui vit dans le sein du Père, nous l’a fait connaître. » (v. 18)
– Ce verset distingue le Fils de toute création et exprime la relation étroite du Fils avec le Père. Et c’est ce logos-Fils qui a « fait l’exégèse de Dieu ». Il a expliqué, interprété, raconté la nature profonde de Dieu, ainsi rendu visible et accessible : « Personne ne connaît le Fils si ce n’est le Père, et celui à qui le Fils voudra le révéler. » (Matt 11.27)

(B) et (B’) : Dons aux hommes

(B) : « Toutes choses furent faites par elle, et sans elle pas une seule chose ne fut faite de ce qui a été fait. En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes. Et la lumière luit dans les ténèbres ; et les ténèbres ne l’ont pas comprise. » (v. 3-5)
– La Parole entre dans l’histoire par la création. Créatrice au même titre que Dieu, elle donne aux hommes vie et lumière. La vie physique (« en lui nous avons la vie, le mouvement et l’être » dira Paul en Actes 17.28), temporelle, préfigure la vie éternelle, thème majeur de l’Évangile. La lumière, première création de Dieu, représente dans l’A.T. la révélation de Dieu qui guide l’homme dans sa destinée et lui apporte la vie : « En toi est la source de la vie, en ta lumière nous verrons la lumière. » (Ps 36.9) Jésus s’identifie à cette lumière, en lui donnant une portée universelle : il est la « lumière du monde » (Jean 8.12).
– La lumière est supérieure aux ténèbres : les ténèbres n’ont pas enveloppé, circonscrit, vaincu la lumière. La lumière l’a emporté sur toutes les forces du mal, présentes dans le monde visité par le logos. Jean anticipe la fin de l’Évangile, avec le Calvaire et la résurrection.
(B’) : « Car, de sa plénitude, nous tous nous avons reçu, et grâce sur grâce. Car la loi a été donnée par Moïse ; la grâce et la vérité vinrent par Jésus-Christ. » (v. 16-17)
– Jésus-Christ comble l’homme de richesses que la loi ne pouvait donner. Étant plénitude, il ne donne pas avec mesure : nous avons en effet reçu « une grâce après l’autre ». Ce ministère de la grâce, incarné par Jésus-Christ, dépasse celui de la loi, incarné par Moïse. Augustin a commenté le rapport entre loi et grâce dans cette formule célèbre : « La loi a été donnée pour que la grâce soit recherchée ; la grâce est venue pour que la loi soit accomplie. » La grâce qui accompagne la vérité n’est pas du laxisme — et la vérité nous est supportable car elle est alliée avec la grâce.

(C) et (C’) : Témoignage de Jean-Baptiste

(C) : « Il y eut un homme envoyé de Dieu ; son nom était Jean. Celui-ci vint pour rendre témoignage de la lumière, afin que tous croient par lui. Lui n’était pas la lumière, mais pour rendre témoignage de la lumière. » (v. 6-8)
(C’) : « Jean rend témoignage de lui, et a crié, disant : C’était celui duquel je disais : Celui qui vient après moi prend place avant moi ; car il était avant moi. » (v. 15)
– Le témoignage de Jean-Baptiste est un point essentiel de l’Évangile (1.19,32,34 ; 3.26 ; 5.33). Il était là pour que tous croient en Jésus-Christ, et un beau témoignage est rendu a posteriori à sa mission : « Plusieurs vinrent à Jésus et disaient : Jean n’a fait aucun miracle ; mais toutes les choses que Jean a dites de celui-ci étaient vraies. Et plusieurs crurent là en lui. » (10.41-42) Jean n’était pas la lumière, mais seulement un témoin de la lumière ; de même nous ne sommes pas non plus des modèles à imiter ou des références, mais nous montrons simplement Celui qui seul est lumière. Quand Jean-Baptiste a continué à baptiser alors que Jésus avait lui aussi commencé à le faire (3.22), leurs deux ministères se « télescopent », et Jean se rend compte qu’il pourrait retenir ses disciples d’aller à Jésus-Christ. C’est à ce moment qu’il constate « qu’il faut que lui croisse, et que moi je diminue » (3.30).

(D) et (D’) : La Parole incarnée

(D) : « La vraie lumière était celle qui, venant dans le monde, éclaire tout homme. Il (le logos) était dans le monde, et le monde fut fait par lui ; et le monde ne l’a pas connu. » (v. 9-10)
(D’) : « Et la Parole devint chair, et habita au milieu de nous (et nous vîmes sa gloire, une gloire comme d’un fils unique de la part du Père) pleine de grâce et de vérité. » (v. 14)
– « La lumière venant dans le monde », « la Parole devint chair » : on ne peut guère trouver de formulations plus concises de l’incarnation. Jésus n’est pas simplement apparu comme un homme : il est devenu homme. Jean choisit à dessein le terme le plus explicite qui soit (« chair »), pour démontrer l’humanité de Christ.
– La Parole « planta sa tente » (litt.) parmi nous, de la même manière que Dieu habitait au milieu de son peuple (Ex 25.8-9), mais avec la différence que Jésus était accessible par tous et en tout temps. Le rêve que Salomon osait à peine caresser (« Mais Dieu habitera-t-il vraiment sur la terre ? ») est réalisé.
– Cependant, l’accessibilité de Jésus ne lui ôte pas sa gloire, gloire liée à celle de Dieu (Jésus était « en forme de Dieu »). Cette gloire est plénitude de « grâce et de vérité », deux notions qui ne peuvent être comprises dans leur pleine dimension en dehors de la vie de Jésus-Christ. Chaque scène de l’Évangile montre à quel point Jésus les a incarnées : ses rencontres avec la femme samaritaine (la grâce : « Comment toi qui es Juif, me demandes-tu à boire, moi qui suis une femme samaritaine ? » et la vérité : « celui que tu as maintenant n’est pas ton mari ») et avec la femme adultère (la grâce : « Que celui de vous qui est sans péché, jette le premier la pierre sur elle » et la vérité : « Va, dorénavant ne pèche plus ») en sont deux exemples.

(E) Rejet ou acceptation de la Parole

(E) : « Il vint chez soi ; et les siens ne l’ont pas reçu. Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il leur a donné le droit d’être enfants de Dieu, savoir à ceux qui croient en son nom ; lesquels sont nés, non pas de sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu. » (v. 11-13)
– Le point central du texte porte sur le rejet ou l’acceptation de Jésus-Christ. On ne peut adopter d’attitude neutre : soit nous croyons en lui, soit nous le rejetons. Ceux qui croient deviennent « enfants de Dieu ». Ce n’est pas parce que nos parents ou ancêtres sont chrétiens que nous le devenons : Dieu n’a pas de petits-enfants !
– Être « enfants de Dieu » est la réponse de Dieu à notre foi en Jésus-Christ, et non le résultat d’une décision humaine, comme le choix de vouloir un enfant.
– « Croire » en Jésus-Christ n’est pas simplement une démarche intellectuelle ou un élan de confiance inspiré par les paroles et la personne de Jésus. Il s’agit d’une démarche essentiellement volontaire, qui est l’aboutissement des pas de foi intellectuel et affectif qui la préparent. Or nous ne sommes pas laissés à nous-mêmes pour prendre cette décision : le prologue nous rappelle que Jésus est Dieu, qu’il nous a comblés de bienfaits que nul autre ne pouvait apporter, et qu’il a partagé notre condition d’homme pour nous expliquer Dieu. Jean-Baptiste, mais également Nathanaël, Pierre, l’aveugle-né, Marthe et Thomas ont reconnu Jésus comme Messie et l’ont annoncé aux hommes, et Jean a consigné leur témoignage. Une foule de témoins s’est ajoutée à travers les âges, certains d’entre eux ont profondément souffert ou sont même morts martyrs.

Tout cela rend la décision de recevoir Jésus-Christ capitale — et sensée. Mais si la décision est négative, aucun lecteur de l’Évangile ne pourra honnêtement prétexter que l’identité de Christ ne lui a pas été clairement dévoilée.