Les chrétiens sont appelés à témoigner de leur foi : c’est l’une des grandes vocations que Jésus nous adresse. Mais est-ce que tous les moyens sont bons pour témoigner ? Devons-nous chercher à tout prix à faire accepter que Jésus est « le chemin, la vérité, et la vie » ? Ne préférons-nous parfois pas avoir raison plutôt que de témoigner avec grâce et compassion ?
Lorsque je dis que je suis professeur d’apologétique, les chrétiens avec qui je parle ont parfois l’impression que j’enseigne aux étudiants comment avoir toujours raison. Je ne peux pas leur en vouloir. C’est probablement une attitude qui est nourrie par les débats auxquels nous assistons dans la société française. Avez-vous déjà vu un débat présidentiel ? Quel est le but ? De comprendre l’autre ? De répondre avec précision et modération ? J’en doute. Et les débats entre invités sur le plateau d’une émission télé ? C’est encore pire. C’est parfois à la limite d’une suite d’insultes et de provocations. Le débat, c’est avoir toujours raison.
Et ceci, dans le meilleur des cas ! En 1864, le philosophe allemand Arthur Schopenhauer a écrit un court ouvrage intitulé L’Art d’avoir toujours raison. En anglais, le sous-titre du livre est « l’art de gagner un argument ». Cela vous dit tout ce que vous devez savoir sur ce petit livre. Si vous devez utiliser tous les moyens pour gagner, y compris détourner l’attention de la vraie question, alors je ne m’étonne pas que « gagner un argument » soit quelque chose d’aussi négatif. Le débat, c’est écraser et humilier l’autre.
Défendre la foi chrétienne semblera trop souvent se réduire à cela : gagner un argument. Et c’est vrai, cela peut arriver. Il y a de nombreuses manières de gagner le débat… mais de la mauvaise manière. En discutant avec un ami, ou un parfait inconnu, nous pouvons trop facilement trahir la foi que nous essayons de défendre. Il est même parfois plus facile de gagner l’argument que de gagner les personnes.
Comment trahir la foi
Lorsque quelqu’un essaie par exemple d’attaquer notre foi en ridiculisant Jésus, la Bible, ou ce que nous croyons, il est très naturel de répondre de la même manière. Nous pouvons par exemple ridiculiser la pensée athée. Dire qu’elle ne répond pas aux besoins de l’homme (besoins d‘identité, de sens, etc.) est bon et légitime. La ridiculiser ? Non.
Un bon exemple nous vient d’un débat fameux qui eut lieu en Angleterre en 1860 à Oxford. Ce débat opposait Samuel Wilberforce, un apologète chrétien, et Thomas Huxley, défenseur athée de l’évolution darwiniste. Perdant toute maîtrise de soi, le chrétien explosa : « Monsieur Huxley, est-ce par votre grand-père ou votre grand-mère que vous descendez du singe ? » Ce à quoi Huxley a répondu : « Je n’aurais pas honte d’avoir un singe pour aïeul, mais bien d’être apparenté à un homme qui utilise son talent pour obscurcir la vérité. » Imaginez que dans l’audience il y ait eu des personnes qui n’étaient pas convaincues par la foi chrétienne. Même dans l’Angleterre du XIX e siècle, il y en avait beaucoup !
Qu’ont-ils pu penser ? J’avoue que si cela avait été moi, là dans cette salle, j’aurais trouvé les chrétiens prétentieux.
Cet exemple nous rappelle que tout ce que nous faisons et disons rejaillit sur notre Seigneur. Nous sommes les témoins de Jésus. Nous sommes ses porte-parole, ses ambassadeurs. Imaginez un ambassadeur français qui insulte un de ses hôtes étrangers. Quel sera le résultat ? Embarras. Honte. Crise diplomatique. L’ambassadeur n’aura pas simplement perdu la face. Il aura aussi fait perdre la face à son président et à son pays. Il en va de même pour nous. Lorsque nous échouons à parler de notre foi sans la trahir, ce n’est pas simplement nous qui perdons. Ce sont tous les autres chrétiens. C’est Jésus lui-même.
Répondre au ridicule par le ridicule, à l’injustice par l’injustice… donner coup pour coup. Tout cela est naturel, mais ce n’est pas justifié. Tout ce que nous disons devrait être pétri d’amour et de compassion.
Nous pouvons bien sûr défendre la foi, c’est une exhortation biblique. Nous devons cependant veiller à la manière. Être arrogant est une trahison de notre foi. Vous voyez à quel point présenter et défendre la foi est un défi ! Nous sommes appelés à la fois à donner les raisons de notre espérance et à faire preuve de douceur et de compassion !
« Perdre » les personnes
Trahir la foi, c’est déjà sérieux, mais il y a pire. La foi chrétienne n’est en effet jamais une simple question d’argument. Lorsque nous présentons et défendons la foi chrétienne, il ne s’agit jamais de seulement montrer que nous avons raison. Après tout, nous pourrions avec douceur et compassion toujours chercher à avoir raison. Est-ce ce à quoi nous sommes appelés ? Est-ce cela l’apologétique ? Donner des raisons ? Oui, bien sûr. Présenter des arguments ? Oui, une fois encore. Est-ce que nous sommes appelés à cela pour montrer la vérité de ce que nous croyons ? Oui, n’en ayons pas honte.
Pourquoi ? C’est là que nous devons faire attention.
C’est parce que ce que nous croyons est fondé sur une personne. Que ce que nous croyons fermement être vrai concerne essentiellement Jésus, ce Dieu venu pour sauver, avec grâce et compassion.
Lorsque nous défendons la foi chrétienne, que devons-nous garder à l’esprit ? Si notre foi peut être présentée de manière raisonnée, elle n’est pas une simple affirmation rationnelle. La foi chrétienne essaie de tracer devant les yeux de notre interlocuteur la voie du salut ouverte par Jésus. Il ne s’agit en fin de compte de rien d’autre.
Nous devons garder à l’esprit que, témoins de Jésus, nous sommes les ambassadeurs de la réconciliation (2 Cor 5.20). Nous devons présenter et défendre une foi qui réconcilie les humains avec Dieu.
Que se passe-t-il si nous trahissons cette foi en gagnant un débat par des moyens discutables ? Nous trahissons Jésus, et nous empêchons notre interlocuteur de marcher avec le Seigneur sur la voie du salut. Vous avez bien lu. Nous devenons un obstacle pour son salut ! Qu’arrivera-t-il alors, lorsque le Seigneur reviendra ? Il nous demandera de rendre compte. Il nous demandera pourquoi nous avons été infidèles, obscurcissant la vision de Jésus. Nous aurons, littéralement, perdu une personne en gagnant un débat.
L’apologétique est un combat spirituel
C’est pour cela que l’apologétique est un combat spirituel : il y a plus qu’une présentation rationnelle, bien que celle-ci soit nécessaire. L’apologétique, c’est d’abord présenter et expliquer ce qu’est la grâce salvifique de Dieu. C’est présenter la personne et l’œuvre de Dieu en Jésus, par son Esprit. Cela exige de démontrer les fruits de l’Esprit en tout ce que nous disons.
Présenter et défendre la foi chrétienne demande de la patience et de la persévérance. Peut-être que quand nous expliquerons pour la première fois ce qu’est la foi chrétienne, nous aurons l’impression d’un échec total. Nous ne serons peut-être même pas arrivés à parler de Jésus ! À quoi bon alors ?
Soyons patients avec nos faiblesses, mais aussi avec nos contemporains. Peut-être que nous devrons expliquer, encore et encore, les mêmes choses.
Soyons patients.
Et de plus, gardons le contrôle de nous-mêmes.
Ne répondons pas aux critiques par la colère et la frustration. Demandons à l’Esprit de nous donner le calme et la douceur qui ne peuvent venir que de lui. Je suis parfois impressionné par le calme que peuvent garder certains évangélistes et apologètes : ils entendent les mêmes critiques à longueur de journée, de mois, et d’années… mais ils répondent toujours clairement et calmement !
Nous gagnons un débat (ou une discussion), sans perdre la personne, lorsque nous démontrons aussi la bonté et la douceur. Nous devons être bienveillants, même avec celui qui s’oppose à Jésus. Nous pouvons faire cela en ne cherchant pas à détruire notre interlocuteur. Nous pouvons lui montrer que son rejet de Jésus le conduit à la mort, mais nous ne cherchons pas à l’anéantir, mais à lui montrer la voie du salut.
Enfin, nous sommes témoins fidèles de Jésus lorsque nous vivons l’amour. C’est la grande motivation du témoin de Jésus-Christ. L’amour pour ceux qui rejettent parfois avec sarcasme Jésus prend une forme, celle de la compassion. À chaque fois que nous savons devoir présenter et argumenter en faveur de la foi, prions pour que Dieu nous donne de la compassion, la même que le Seigneur a démontré envers les pauvres, les malades, les riches et les pharisiens.
L’amour est le signe que nous sommes les témoins de Jésus (Jean 13.35). C’est la motivation et la grande marque d’une défense fidèle de la foi chrétienne.
Dieu est à l’œuvre, soyons ses témoins
Si l’amour est la plus grande caractéristique de notre défense de la foi, l’espérance est ce qui nous aide à aller de l’avant. En effet, que notre témoignage soit reçu ou rejeté, que Jésus soit accepté ou non, nous continuons à témoigner de manière fidèle. Pourquoi ? Parce que Dieu fait son œuvre. Voilà la seule espérance pour celui qui témoigne de Jésus. Dieu fait son œuvre. Si ce n’était pas le cas, alors nous serions tentés soit de désespérer, soit de croire que nous « sauvons » les autres. L’espérance nous encourage à continuer de témoigner, tout en sachant que, en fin de compte, nos actions ne font pas la foi. Dieu fait son œuvre ! Et Dieu désire le salut des hommes. Répondons ainsi à l’appel que Dieu nous adresse à être les témoins du Fils donné pour nous sauver. Demandons-lui de le faire, habités de tous les fruits de l’Esprit, afin qu’en gagnant un débat, nous ne perdions pas une personne.
4 livres de référence sur l’apologétique
